Vous êtes sur la page 1sur 4

Texte 5 : explication linéaire du chapitre 21, Gargantua, Rabelais.

Le premier enseignement donné à Gargantua, suivant la tradition scolastique, conduit à un échec,


constaté par son père au début du chapitre 15 « il ne progressait en rien, devenait fou, niais, tout
rêveur et radoteur ». Il est décidé qu’il change de professeur et qu’il se rende à Paris auprès de
Ponocratès (qui signifie « celui qui fonde son pouvoir sur le travail »). Ce dernier demande donc à
Gargantua de montrer comment il passe une journée ordinaire.

Comment la description des activités matinales de G permet-elle à Rabelais de formuler une satire de
la première éducation ?

1) Le temps du lever
2) L’art d’argumenter
3) Le temps de l’étude

1- Le temps du lever ou l’enfant livré à lui-même


Ponocratès demande dans un premier temps à gargantua de « se comporter selon sa
méthode habituelle » afin de pouvoir évaluer son nouvel élève.
On constate alors que Gargantua répond à cette consigne comme nous l’indiquent l’emploi
de verbes à l’imparfait et l’adverbe « ordinairement » (l.1) qui marquent l’habitude.
La suite du premier paragraphe évoque le réveil de G. Le complément circonstanciel de
temps « entre 8 et 9 heures » met en avant le flottement dans l’emploi du temps et
l’absence de régularité dans le rythme de vie. Cela constitue déjà un premier reproche. La
proposition complétive « qu’il fasse jour ou non » renforce le reproche car l’argument est
infondé, il fait dans tous les cas jours, il s’agit d’afficher une fausse rigueur, reproche adressé
à ses anciens professeurs ce que l’on comprend par l’emploi de la périphrase « vieux
régents ». Il s’agit d’une nouvelle attaque puisque le terme « régents » appartient au champ
lexical de la monarchie et sous-entend le pouvoir illimité et la toute- puissance que
s’octroient les enseignants sophistes sur la vie de leurs élèves.
Ensuite, l’évocation du psaume de David sert à justifier le ridicule des sophistes. En effet, la
citation est tronquée et détournée au service de la paresse. De plus, l’absurdité du propos
est renforcée par l’emploi du participe présent alléguant qui sous-entend qu’ils citent comme
un argument d’autorité la Bible or ce texte n’a pas lieu d’être pour des questions biologiques.
Rabelais pointe ainsi l’absence de crédit à porter à ce type d’éducateur.
Les différentes actions réalisées au saut du lit et qui traduisent l’excitation « gambadait,
tourniquait, se vautrait » semblent peut propice à la construction d’un enfant et sont
justifiées par les sophistes par le biais du médecin antique Galien grâce à l’expression
« esprits animaux ». Or, une fois de plus, il s’agit de détourner la pensée au profit d’une
mollesse éducative car Galien s’il prône la pratique de l’activité physique n’encourage
nullement à laisser un enfant se comporter comme un animal.
«et il s’habillait » (l.5) : l’emploi de la conjonction de coordination permet d’insister sur le
manque d’hygiène de G. car après s’être activer, il ne fait aucun geste de toilette. On
retrouve la même idée avec la suite du passage qui évoque sa tenue vestimentaire. Dans un
premier temps, il est suggéré qu’elle était adaptée au temps « selon la saison » mais cette
affirmation est de suite contrariée par « mais il portait volontiers… » ; à nouveau, on
comprend que ce qui régit le comportement de G. est sa volonté et non l’éducation et
l’adaptation. Il s’habille comme il aime et non comme cela pourrait convenir à la saison. De
même, la présence du jeu de mots autour d’Amain (l.6) pour dire que G ; n’utilise pas de
peigne insiste sur le fait que G est encouragé à ne pas prendre soin de lui.
Il ne faut pas oublier que Rabelais est médecin et donc promulgue l’hygiène qui a cette
époque est peu présente comme nous l’indique la dernière phrase de ce paragraphe : « car
ses précepteurs disaient que se peigner, laver, nettoyer autrement, c’était perdre son
temps ; ». La conjonction de coordination insiste sur la responsabilité des sophistes dans ce
manque d’hygiène ; l’utilisation de verbes renvoyant à des actes de toilette rappelle que
pour la religion l’eau est considérée comme une source de danger et en particulier est un
élément qui propage les maladies.
Le troisième paragraphe reprend le style scatologique cher à Rabelais pour énoncer toute
une série d’actions qui témoignent de l’absence de savoir vivre et qui sont récurrentes
comme en témoigne l’emploi de l’imparfait d’habitude. C’est aussi l’occasion pour Rabelais
de lancer une nouvelle pique à la religion avec l’expression « se moucher en archidiacre »,
qui soulignent la saleté associée à cette catégorie d’ecclésiastiques.
Le paragraphe se termine sur l’évocation du petit déjeuner de G qui est caractérisée par
l’emploi de pluriels et de l’adjectifs « belles » pour désigner les quantités astronomiques
ingurgitées par G. Là encore, l’hygiène alimentaire fait défaut car les différents plats sont
gras et pas équilibrés.
 On constate donc que cette première partie du texte au-delà d’un descriptif est un suite
de reproches adressés aux sophistes et dénonce la faiblesse de leur éducation faisant du
jeune G un sauvageon.
2- L’art d’argumenter
L’observation faite par Ponocratès à Gargantua va donner l’occasion à Rabelais de faire la
satire des sophistes. En effet, il souligne qu’il n’est pas sain de manger autant sans faire
d’exercice et Gargantua va s’empresser de justifier l’injustifiable en suivant les préceptes
sophistes qui ont pour caractéristique d’argumenter tout et n’importe quoi, peu importe la
valeur de cette argumentation.
Gargantua va dans un premier temps réagir de manière impulsive en marquant son
incompréhension face au reproche de Ponocratès. L.13-14 : l’exclamation « quoi » traduit
cette incompréhension et est suivie d’une question rhétorique qui confirme son incapacité à
se remettre en cause. Il en vient d’ailleurs à se justifier « je me suis vautré… » Or, par cet
argument inefficace qui produit l’effet inverse grâce u verbe « vautrer » qui insiste sur
l’absence de dynamisme, Rabelais se moque de la stupidité de Gargantua et de son
argumentation.
L14-16 : Gargantua poursuit dans sa démarche et convoque des arguments d’autorité pour
essayer de démontrer qu’il a raison. Le 1er argument avancé est une référence au pape
Alexandre. Il s’appuie sur la sommité religieuse pour défendre son manque d’hygiène. Cela
manque de pertinence car être chef religieux n’est pas une garantie médicale. De plus, dans
son propos, il va cumuler les inepties en précisant « qu’il vécut jusqu’à sa mort » ce qui
constitue une vérité creuse ( = lapalissade : affirmation évidente qui prête à rire) et « en
dépit de ses ennemis » : cette dernière précision est hors-sujet puisque l’évocation des
ennemis n’a rien à voir avec l’hygiène de vie mais montre plutôt que le pape a échappé à
différents complots.
L16 à 17 : il convoque comme argument d’autorité ses maîtres or l’exemple donné par ces
personnes est peu moral ; en effet, ils prétendent que boire donne bonne mémoire, ce qui
est bien évidemment faux et apparaît comme un prétexte donné par ces derniers pour boire
« donc ils y buvaient les premiers ».
L17 à 22 : Gargantua s’appuie sur l’argument d’autorité que constitue Thubal, son maître
sophiste pour parachever sa défense. Or il apparaît que ce professeur est une sorte de
gourou pour G car il le cite (l.21-22) ce qui traduit l’emprise de Thubal exercée sur G. De
même, la fascination de G se ressent à l’évocation de son CV « qui était le premier à l’examen
de licence de Paris » ; cette mention vise à donner une autorité à ce personnage mais par le
vague qui la qualifie (de quelle licence, de quelle spécialité parle-t-on) montre bien que G est
sous la coupe de ce maître et le croit sur parole. De plus, Rabelais va se moquer ouvertement
de Thubal lors de l’évocation erronée de la morale de la fable d’Esope. « Ce n’était pas le
tout de courir vite mais qu’il faut partir à point aussi ce n’est pas le bon régime de santé… » si
la première partie de la phrase fait référence à la fable du lièvre et la tortue d’Esope
(antiquité) qui sera reprise par la suite par La Fontaine (17ème siècle) en aucun cas Esope ne
fait référence à l’hygiène de vie. On comprend donc que pour la 2ème fois, Rabelais dénonce
les pratiques intellectuelles des sophistes qui détournent les textes dans leur intérêt ici boire
le matin.

3- Le temps de l’étude
Après cet aparté concernant l’hygiène de G. Le déroulement d’une journée type se poursuit.
On retrouve l’évocation d’un monde de géants comme en témoignent les dimensions et les
quantités gros bréviaire … onze quintaux », « un tas de chapelets dont chaque grain était
aussi gros qu’est la coiffe d’un bonnet ».
Néanmoins Rabelais au-delà de la dimension grotesque va profiter de cette évocation de la
journée de G pour dénoncer à nouveau cette éducation scolastique et médiévale.
Le champ lexical de la religion est très présent « bréviaire, église, ermite, diseur de prières,
kyrielles, chapelets » et sert à préciser que cette éducation est uniquement religieuse.
De plus, l’évocation de la taille démesurée du bréviaire est une image qui sert à faire
comprendre combien cette éducation repose sur l’apprentissage par cœur et la religion, ce
qui est aux antipodes des convictions humanistes défendues par Rabelais. On retrouve la
même idée, avec le nombre de messes auxquelles assiste chaque jour G « 26 ou30 » ce qui
suppose qu’il ne fait rien d’autre. De même, le terme « kyrielles » ou l’évocation du « chariot
de chapelets » insistent sur la notion de répétition et de mémorisation, on est bien loin d’une
tête bien faite et de la variété d’activité censées construire l’élève ce qui est évoqué avec le
comparatif de supériorité « il en disait plus que seize ermites ».
Rabelais dénonce aussi la passivité de G qui ne produit aucun effort dans cet apprentissage
comme en témoigne « on lui portait » ou « diseur de prières ».
De même, la description du diseur de prières est une satire car il nous dit qu’il est « emballé
comme une huppe », ce qui vise à se moquer de son habit. Et il précise qu’il a « antidoté son
haleine à force de sirop de vignoble », il insinue ainsi que cet homme est un ivrogne et de
plus qu’il utilise un prétexte médical comme en témoigne le champ lexical de la médecine
pour justifier de son ivrognerie. Il décrédibilise ainsi l’homme et le professeur.
Le dernier paragraphe revient sur le sujet même de l’étude. Le complément circonstanciel de
temps « quelques méchante demi-heure » révèle le peu de temps consacré à l’étude. De
plus, Rabelais précise que ce temps limité est peu efficace car G a « les yeux posés sur un
livre » témoignant ainsi de son extrême passivité. La référence finale à la phrase de Térence
confirme son absence d’investissement et cantonne G dans un état primitif car il ne
s’intéresse qu’à ses besoins primaires : se nourrir et dormir. De plus, cette éducation ne vise
à aucun moment à stimuler des compétences intellectuelles.

CONCLUSION
Cet extrait complète la critique de l’éducation scolastique que Rabelais juge inefficace et qu’il
déploie depuis le début du livre. Au-delà de la critique et du rire provoqué par le
comportement du géant, c’est l’humaniste qui s’exprime. Si l’on lit les critique, on voit
apparaître en filigrane les grands principes de l’idéal humaniste, qui seront exposés dans le
chapitre 23 lors de la mise en œuvre de l’éducation dispensée par Ponocratès. En effet, on y
retrouve l’idée du « mens sana in corpore sano », un esprit sain dans un corps sain, c’est-à-
dire la mise en parallèle d’un corps en harmonie avec l’ordre naturel de l’univers, avec un
esprit instruit, capable de faire usage de sa raison en se dégageant de la seule influence
religieuse.

Vous aimerez peut-être aussi