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RÉSUMÉ DE THÈSE.

LE PONTIFE ET LE DÉCEMVIR
L'expiation des prodiges à Rome. Pratique et politique de deux grands collèges sacerdotaux
Caroline Février

Les Belles lettres | L'information littéraire

2002/2 - Vol. 54
pages 32 à 34

ISSN 0020-0123

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Février Caroline , « Résumé de thèse. Le Pontife et le Décemvir » L'expiation des prodiges à Rome. Pratique et
politique de deux grands collèges sacerdotaux,
L'information littéraire, 2002/2 Vol. 54, p. 32-34.
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L’INFORMATION LITTÉRAIRE N°2 / 2002 – ACTIVITÉ DE LA RECHERCHE

Résumé de thèse. Le Pontife et le Décemvir.


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L’expiation des prodiges à Rome.
Pratique et politique de deux grands collèges sacerdotaux (1)

Pontifes et décemvirs. Pontifes ou décemvirs. Tel était le systématique, les pontifes des décemvirs, sans jamais envi-
choix qui s’offrait aux sénateurs lorsqu’il leur fallait recou- sager de possibles interférences entre les deux sacerdoces.
rir aux prêtres romains susceptibles d’apaiser la colère Mieux, il semble que les compétences des uns et des autres
divine, manifestée par des prodiges. L’alternative n’était pas se rejoignent pour s’unir dans une finalité commune : l’en-
sans échappatoire et l’on pouvait toujours faire appel à la tente harmonieuse des hommes et des dieux. Au même titre
science des prêtres toscans. Pontifes, haruspices et décem- que l’auspication ou l’haruspicine étrusque, la procuration
virs : trois corps sacerdotaux qui s’affrontent et font assaut des prodiges est un art. Celui de savoir opposer aux sinistres
d’ingéniosité pour rétablir la pax deorum. Comment cette avertissements du ciel des mesures expiatoires diverses et
surenchère de rites et de talents pouvait-elle s’exercer dans complémentaires, ajustées à l’ampleur des prodiges, aux
le cadre de la procuratio romaine ? C’est ce qu’il nous mouvements de l’histoire et aux goûts d’une époque.
appartiendra d’observer.
On s’étonnera sans doute qu’aucun spécialiste ne se soit *
encore attaché à délimiter, pour mieux les confronter
ensuite, les attributions des autorités religieuses appelées à Nous opposerons d’abord les pratiques éprouvées des
résoudre les crises prodigiales qui rythment l’histoire de pontifes, garants de la tradition ancestrale, héritiers du roi-
l’Vrbs. Un examen plus attentif des textes permettra peut- législateur, aux rituels inédits des décemvirs, tenants du ritus
être de préciser, voire de rectifier, une vision assez superfi- Graecus. Un ritus Graecus souvent invoqué, rarement expli-
cielle du dispositif religieux, où l’on distingue, de manière cité, qu’il nous appartiendra précisément de définir. Ayant
ainsi inventorié ce qui constitue, pour ainsi dire, l’arsenal
expiatoire de la Rome religieuse, il nous sera alors permis
(1) Thèse de doctorat sous la direction de Jacqueline Champeaux, d’observer la rivalité des sacerdoces à l’œuvre dans la pro-
université de Paris IV-Sorbonne, 2001. curatio, lorsque rites et officiants font assaut d’efficacité

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C. FÉVRIER : LE PONTIFE ET LE DÉCEMVIR

pour conjurer dans les meilleurs délais les funestes prodigia. titude du supplex. Ce n’est rien d’autre qu’un rituel social, de
Pontifes, décemvirs (et parfois haruspices), tous se succè- tout temps pratiqué dans le monde romain, qui a servi de
dent ou s’affrontent sur la scène où se joue le devenir de modèle à la supplicatio. Il faut écarter, d’emblée, l’iJJketeiva
l’Vrbs . et la proskuvnhsi", sans rapport aucun avec notre rituel : le
Rites innovants contre rites traditionnels, ritus peregri- ritus Graecus n’a fait que conférer à une pratique ancestrale,
nus contre ritus patrius : la procuration des prodiges sem- bien romaine dans ses origines, une coloration exotique.
blait prendre la forme d’un combat plutôt inégal. À la lecture Réalisant l’alliance fructueuse du faste et de la rigueur
de nos sources, il se révèle en fait que le formalisme de la formelle, la supplicatio révèle par là-même ses origines
procédure réduisait considérablement la part d’initiative romaines. On comprend alors qu’elle fasse une entrée si dis-
concédée aux gardiens du recueil sibyllin. Dans la pratique, crète dans la procuratio prodigiorum, ne heurtant en aucune
la toute-puissance juridique des pontifes compensait large- façon le conservatisme romain. Sous les apparences d’un
ment le prestige conféré aux décemvirs : ceux-ci avaient cérémonial innovant, la supplicatio répond aux exigences de
beau se faire les interprètes de la parole divine, en tous la religion traditionnelle. Là est peut-être l’ambiguïté fonda-
points supérieure à la science des hommes, il n’en reste pas mentale d’un rituel constamment tiraillé entre conservatisme
moins que, si doctes fussent-ils, ils étaient soumis aux lois et innovation, entre mos maiorum et ritus Graecus, ... entre
du mos maiorum et à l’appréciation du vénérable collège pontifes et décemvirs. Point de convergence des compé-
pontifical. tences sacerdotales, d’ordinaire soigneusement partagées, la
Lieu d’affrontement des compétences sacerdotales, la supplicatio réconcilie en sa bigarrure formelle le ritualisme
procuration des prodiges découlait cependant d’une procé- ancestral et la fraîcheur audacieuse de l’hellénisme.
dure rigoureuse, dont l’organisation a déjà, dans ses grandes
lignes, été mise en lumière par R. Bloch. Rien n’était laissé Dès lors, il restera à dégager d’éventuelles interférences
au hasard dans cette mécanique soigneusement huilée qui entre les attributions respectives des pontifes et des décem-
précédait, chaque année, le départ des consuls en campagne : virs. Il apparaît au terme de l’analyse que les uns et les autres
la paix des dieux et la tranquillité des hommes étaient à ce étaient avant tout des prêtres romains, qui disposaient de
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prix. recettes différentes pour résoudre un problème identique.

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Rétablir la pax deorum à tout prix, tel était le défi que Rome
Nous nous efforcerons ensuite de discerner, par-delà lançait, une fois l’an, aux ministres de la procuratio. C’est
toute concurrence, l’alternance des interventions sacerdo- ainsi que les pontifes empruntaient à la religion décemvirale
tales. La supplicatio, rituel de base, constamment prescrit et que, de leur côté, les décemvirs s’en remettaient à la tra-
dans la procuration des prodiges où elle réapparaît chaque dition nationale. Aux interférences réelles, dans le rite, se
année, commune aux deux collèges romains, et même aux superposent en outre des interférences littéraires, dans la
haruspices, est un terrain d’observation privilégié : en elle présentation qu’en font les historiens, au point qu’il n’est
interfèrent les compétences des uns et des autres. Etranger, souvent pas possible de démêler l’écheveau inextricable de
par sa forme spécifique, aux legs de la religion archaïque, le la procédure. Mais malgré ces distorsions qui brouillent notre
rite solennel de l’agenouillement détonne au sein des pra- lecture, il apparaît en fait que les gardiens des Livres, loin
tiques ancestrales. En même temps, il réconcilie des poli- d’imposer aux pontifes leurs rites innovants, se soumettaient
tiques expiatoires pourtant divergentes. Usant et abusant des beaucoup plus qu’on ne pouvait s’y attendre au ritus patrius
prières ad omnia puluinaria, pontifes et décemvirs prescri- et aux exigences d’une tradition décidément inébranlable.
vent, tour à tour, le rituel supplicatoire qui incarne, à lui seul, Plus prosaïquement sans doute, on peut supposer que la
toutes les contradictions – mais aussi toute la richesse – de collaboration des prêtres s’exerçait à un tout autre niveau,
la religion d’Etat. dans l’acte rituel proprement dit. En d’autres termes, il
Associée aux manifestations les plus spectaculaires du semble que les procédures destinées, simultanément, à effa-
ritus Graecus, la supplicatio s’est fondue dans le faste et le cer les traces de l’ira deorum et à rétablir un climat d’entente
cérémonial coloré des rites hellènes, qui l’ont peut-être avec les habitants du ciel aient impliqué, pour nombre
influencée, mais ne l’ont pas créée. Contre toute attente, la d’entre elles, la coexistence de deux rites complémentaires,
supplicatio n’est pas une pratique grecque, introduite à confiés indépendamment à deux instances religieuses. Ainsi,
Rome à la faveur de l’hellénisation. D’abord rite profane, l’on aura soin de distinguer l’expiatio de la procuratio, la
elle a gagné peu à peu le domaine religieux. Non seulement première ne représentant souvent qu’une étape de la
les matrones, suppliantes pathétiques qu’évoquent avec pré- seconde. Expiation et procuration, deux notions indisso-
dilection les textes littéraires, mais tous les habitants de ciables mais irréductibles l’une à l’autre, qui nécessitent,
l’Vrbs, prennent l’habitude d’aller, dans les moments cri- sinon la collaboration, du moins le concours de plusieurs
tiques, adresser des prières aux dieux, reproduisant ainsi l’at- sacerdoces, chacun requis selon sa spécialité.

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L’INFORMATION LITTÉRAIRE N°2 / 2002 – ACTIVITÉ DE LA RECHERCHE

Enfin, le dernier chapitre de cette étude nous permettra ritus Romanus sur le ritus peregrinus. Présents d’un bout à
d’envisager la longue évolution du prodige. D’avertissement l’autre de la procédure, les pontifes semblent avoir exercé
funeste qu’il était, il devient progressivement présage, signe sans faillir leur ascendant sur le collège rival.
d’un avenir qui n’est plus seulement malheureux, mais qui Ce sont les pontifes qui, sollicités les premiers, décidaient
peut aussi être heureux, signe annonciateur d’un destin tou- de convoquer ou non la Sibylle et ses exégètes. Ce sont eux,
jours exceptionnel. À ce titre, il n’y a donc plus lieu de le également, qui donnaient leur aval aux mesures religieuses
« procurer » : s’il reste présent dans l’actualité religieuse offi- qu’avaient proposées les prêtres s. f. Ce sont eux, enfin, qui
cielle, c’est comme un message céleste, instrumentalisé par la orientaient d’une main autoritaire la stratégie de ceux qui
propagande politique. Il semble cependant que l’expiation – au s’étaient donné pour mission de renouveler et d’helléniser le
sens où nous l’entendons, c’est-à-dire la purification qui efface culte officiel. Les innovations décemvirales enrichirent la tra-
par les rites (rite) la souillure prodigiale, se soit maintenue dition pontificale, elles ne s’y substituèrent pas À Rome, on
par-delà les siècles et qu’elle ait été utilisée, ponctuellement ne démolissait pas pour, ensuite, reconstruire.
mais assez régulièrement, pour expier les prodiges funestes, C’est donc dans ce rapport de proximité, de dépendance
signes de malheur, qui angoissaient la Rome impériale. Plus réciproque, qu’il faut envisager les acteurs de la procuratio
tard, beaucoup plus tard, c’est par le biais de l’expiation des prodigiorum, vaste entreprise à laquelle collaborent toutes les
prodiges que le paganisme agonisant livrera son dernier com- forces de l’appareil religieux. Loin de n’être qu’un rite ponc-
bat. On s’étonnera d’ailleurs de voir si souvent évoqués dans tuel confié à un unique sacerdoce, au même titre que la prise
l’Histoire Auguste ces Livres Sibyllins qui, depuis près de trois des auspices (par les augures), par exemple, la procuratio pro-
siècles, dormaient aux pieds d’Apollon Palatin. Il semble digiorum est un travail d’équipe, nécessitant la collaboration
qu’épisodiquement, la Sibylle se soit laissé réveiller ... fructueuse de tous les prêtres et la conjonction de tous les céré-
moniels pour aboutir à l’heureuse conclusion du processus. Un
* processus dont l’enjeu est double – puisqu’il s’agit à la fois de
conjurer les prodiges et d’apaiser la colère divine – en même
Sous le vernis si engageant de l’hellénisme, les décemvirs temps que décisif : rien ne pourra se faire, à Rome et dans les
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s. f. sont, autant que les pontifes, des prêtres romains : ils ne provinces, avant que la pax deorum n’ait été rétablie.

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se dissocient pas de leurs congénères lorsqu’il s’agit de réta- On comprendra, alors, que la procuratio ait mobilisé, des
blir la paix avec le ciel. Amalgamés à tort par les défaillances siècles durant, toutes les ressources du rituel et toutes les
de l’historiographie ou réunis effectivement par des cérémo- autorités compétentes, alliant sans hésitation le rite grec au
niels communs, les pontifes et les décemvirs apparaissent liés rite romain et l’allégresse des fêtes apolliniennes à l’ar-
par les mêmes astreintes et soumis conjointement aux lois chaïsme austère des indigitations. Fût-ce pour Rome, la
austères de la tradition. Pour autant, la prééminence juridico- faveur des dieux se méritait.
religieuse des pontifes et leur droit de regard sur la procura- Caroline FÉVRIER
tion décemvirale reflètent une incontestable supériorité du École doctorale de Paris IV-Sorbonne

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