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Texte 1/16 (1A) - Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

L’extrait du chapitre que je vais étudier, provient de l’œuvre comique Gargantua, publiée en
1535, par Rabelais sous le pseudo-anagramme « Alcofribas Nasier ». L’œuvre fait partie de la période
du mouvement littéraire de l’humanisme et appartient à la littérature d’idée du 16 ème S. Elle rentre dans
le parcours « RIRE ET SAVOIR ».
Ce chapitre XIV, intitulé Comment Gargantua fut instruit par un théologien en lettres latines, fait
parler Grandgousier, un père admiratif convaincu que son fils est supérieurement et précocement
intelligent, si bien qu’il lui donne un précepteur de talent, présenté comme un « grand docteur en
théologie » (l. 6). Mais nous découvrirons, après la lecture de ce chapitre, la manière dont cet
enseignement est dispensé : c’est celui propre à une époque déterminée du Moyen Âge, qui s’appelle la
scolastique.

Avec cette lecture, on peut délimiter les 4 moments du texte :


1. Un père humaniste mais naïf (l. 1-5) ;
2. L’enseignement inutile de faux maîtres : premier professeur (l. 6-14) ;
3. L’enseignement inutile de faux maîtres : deux lectures absurdes (l. 15-22) ;
4. L’enseignement inutile de faux maîtres : les sommes assommantes du second maître (l. 23-27).

Cet extrait peut par conséquent se lire de manière ironique.


Nous allons donc nous demander comment Rabelais fournit-il l’occasion de faire de manière fantaisiste la
satire de l’éducation scolastique traditionnelle ?

Un père humaniste mais naïf (l. 1-5)


-Allusion à Aristote et Alexandre :
Avec l’analogie comique qui, par la conjonction de coordination « mais » (l. 1), rapproche le grand
Alexandre des mérites relatifs du petit Gargantua.
-La grandiloquence d’un père émerveillé devant le savoir de son fils, mise en valeur par :
→ exemple, avec le changement de catégorie pour caractériser la nature « divine » du savoir de
Gargantua (« quelque divinité », l. 2)
→ longue phrase, dont la syntaxe est celle de la période oratoire (longue phrase complexe où l’on
distingue un ou deux sommets -intonation élevée- après les mots « divinité » et « serein »).
-Élévation du registre épidictique marquée par :
→ énumération de 4 qualités : «aigu », « subtil », « profond » et « serein » au sein de la PSCC de cause «
tant... » (l. 2)
Nous pouvons aussi relever ces expressions, susceptibles de souligner le caractère exceptionnel de
l’intelligence de Gargantua :
→ comme « selon ses capacités » (l. 4) : le maître doit être à la hauteur des aptitudes intellectuelles de G.
→ « je ne veux pas regarder à la dépense » (l. 4-5) : proposition qui conclut le discours direct de
Grandgousier ; détail qui traduit le manque de discernement paternel.

L’enseignement inutile de faux maîtres : premier professeur (l. 6-14)


-Commentons le choix du nom du professeur :
le prénom évoque la « confusion » en hébreu, tandis que le nom « Holopherne » connote la persécution
(Holopherne persécuteur des Hébreux ; ligne 6).
-Cette antithèse produit un effet comique :
aux lignes 6 et 7, le comique procède de la contradiction entre « grand docteur en théologie » et « il lui
apprit son alphabet ».
-L’absurdité de l’apprentissage est soulignée par cette référence :
l’apprentissage d’un alphabet à l’envers ne présente aucune valeur pédagogique (l. 7).
-Les mentions de durée, de taille et de poids et taille s’expliquent par la volonté de dénoncer les excès
pédagogiques des maîtres de la scolastique et de souligner le caractère ordinaire de l’intelligence de G. («
ce qui lui prit cinq ans et trois mois » ; « il y mit treize ans, six mois et deux semaines » ; « un gros
écritoire pesant plus de sept mille quintaux » ; « aussi gros et grand que les gros piliers d’Ainay » ; « de la
capacité d'un tonneau de marchandise » (deux comparaisons).
-Ligne 11 : pourquoi Rabelais insiste sur l’absence des techniques d’imprimerie ? En effet, ce passage
exprime une distance à l’égard des pratiques du Moyen Âge (moines copistes, écriture gothique).
- Et que symbolise la manière dont est présenté le matériel d’écolier utilisé par Gargantua ?
On remarque que la lourdeur de l’enseignement et son caractère répétitif et punitif sont soulignés par le
vocabulaire (quatre occurrences de l’adjectif qualificatif « gros ») l’emploi de l’imparfait duratif (« portait
ordinairement » ; « pendait ») et les deux comparaisons (l. 13-14).

L’enseignement inutile de faux maîtres : deux lectures absurdes (l. 15-22)


→ « commentaires de Heurtebise, Faquin, Tropditeulx, Gualehaut, le Veau, Billonion, Berlinguandus » :
liste onomastique négative, fantaisiste qui montre une importance des commentaires, non de la réflexion
personnelle au sujet de la source littéraire étudiée.
→ « 5 ans et 3 mois » + « 13 ans et 6 mois » + « 18 ans et onze mois » + « 16 ans et deux mois » : au total
53 ans d’enseignement !
→ « rendait par cœur » : mémorisation sans compréhension.
→ « il n’y avait pas de science des manières de signifier » : enseignants obtus et vains (R. l’énonce en
latin, pour accentuer la différence entre le titre ambitieux et la conclusion qu’en tire le professeur de
Gargantua.
→ « almanach » (« compost », dans la langue de Rabelais) : calendrier populaire (baisse du niveau
d’exigence, comme si le professeur n’avait aucune autre étude à proposer à G.).
→ « décéda d’une vérole qu’il attrapa » : régression de la médecine ; connotation négative affectant le
comportement du professeur ; Rabelais amuse le lecteur en citant 2 vers de Clément Marot.

L’enseignement inutile de faux maîtres : des sommes assommantes (l. 23-27)


→ « un autre, vieux, tousseux » : enseignants qui incarnent une pédagogie dépassée et défaillante.
→ « Jobelin Bridé » : nom qui de manière insistante exprime la stupidité de l’enseignant (« idiot niais »).
→ assimilation négative de l’enseignement à la cuisine : « de semblable farine » et « enfournâmes »
(lignes 26 et 27). Gargantua étudiant peut être assimilé à un ventre qui ingère de nombreux plats, à un plat
aux trop nombreux ingrédients, à un four qui accueille de nombreux plats.
→ 3e § marqué par l’accumulation : les titres d’oeuvres se succèdent (« Hugutio [...] Dormi secure »)
→ « et quelques autres » : satiété atteinte après une liste importante ;
→ Fermeture absurde du § : opposition entre la prétendue « sagesse » et le fait que depuis aucun étudiant
n’a pu / su / voulu ingurgiter une telle somme universitaire !

Conclusion :
Texte savoureux par sa fantaisie et son humour, mettant les détails réalistes au service de
l’invraisemblance burlesque. Dans le chapitre XIV, Rabelais fait justement une satire du type d’éducation
scolastique pour proposer dans les chapitres suivants un enseignement conforme à l’idéal humaniste. Il
s’agit donc d’une attaque frontale, de Rabelais à l’égard de l’institution universitaire et religieuse, la
Sorbonne.
Texte 2/16 (1A) - Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

L’extrait du chapitre 18 que je vais étudier, provient de l’œuvre comique Gargantua, publiée en
1535, par Rabelais sous le pseudo-anagramme « Alcofribas Nasier ». L’œuvre parut dans la période du
mouvement littéraire de l’humanisme et appartient à la littérature d’idée du 16 ème S. Elle rentre dans le
parcours « RIRE ET SAVOIR ».
Dans ce chapitre 18, dès son arrivée à Paris, Gargantua s’empare des cloches de la ville et les
accroche au cou de son énorme jument. Ce chapitre, est une sorte de parenthèse romanesque et
carnavalesque, qui précède le discours, inutile et ridicule, que Janotus de Braquemardo (plus
expérimenté des théologiens) fera à Gargantua pour le convaincre.

Nous pouvons nous demander en quoi ce chapitre XVIII relève déjà de la critique, sous l'égide de la
plaisanterie, des théologiens sorbonnards.

Notre explication tiendra compte des deux mouvements repérables dans ce texte :

a) Une description moqueuse de la troupe de Janotus (l. 1-10) ;

b) Le piège tendu à Janotus (l. 11-22).

a) Description moqueuse de la troupe de Janotus (l. 1-10)

-titre : met en valeur le nom ridicule de Janotus (« Bragmardo » = braquemart, terme qui désigne à la
fois l’épée et le sexe masculin). À déceler dans « Janotus » : Jeannot + suffixe diminutif -tus = le
petit Jeannot, Jeannot le niais, le simplet.

-portrait physique du théologien :

→ à la ligne 3, la périphrase « tondu à la césarine » indique une calvitie, tandis que le nom
« lyripipion » désigne un capuchon pointu et allongé déjà désuet en 1535, comme le souligne le GNP
« à l’antique ».

→ l. 4 : l’énumération se poursuit, avec le GN expansé « l’estomac bien antidoté de cotignac de four


et eau bénite de cave », qui accuse la gourmandise et la consommation d’alcool. Le verbe pronominal
« se transporta » suggère une certaine lourdeur.

-lignes 5-6 : « touchant devant soi trois vedeaux à rouge museau, et traînant après cinq ou six maîtres
inertes, bien crottés à profit de ménage ». Où l’on apprécie le néologisme « vedeaux », à mi-chemin
entre « bedeau » (employé d’une église) et « veau », le nez rouge des buveurs (« à rouge museau »)
et l’allusion à l’apathie (« inertes ») et à la saleté des maîtres sorbonnards (« à profit de ménage »,
ironique, signifiant « utilement »).

-lignes 7-10 : Ponocrate prend peur (« frayeur ») ; le GN « quelques masques hors du sens »
transporte le lecteur en plein carnaval : le décalage est donc complet entre la solennité attendue
avant le discours de Janotus et l’apparence comique et peu flatteuse de la troupe. La satire de la
Sorbonne s’attaque non plus à la lubricité (on se souvient de la vérole d’Holopherne), mais à
l’apparence ridicule de la troupe des maîtres, ici assimilés à de grossiers noceurs.

-l. 9 : deux procédés d’insistance :

→ emploi du déterminant anaphorique « desdits » et répétition de l’adjectif qualificatif « inertes ».


Le narrateur en fait une sorte d’épithète homérique, ce qui établit une relation d’identification à
l’inertie des théologiens de la Sorbonne ;

→ dérivation de « masque » à « mascarade » : le champ lexical du déguisement (nous lisons


également à la l. 6 « déguisés ») peut être rapproché de la satire de l’hypocrisie et du mensonge.

-l. 10 : réponse des théologiens, qui n’est pas empreinte du sérieux attendu (manque de précision
comique, dans la mesure où les cloches sont des accessoires importants du carnaval).
b) Le piège tendu à Janotus (l. 11-22)

Gargantua et ses précepteurs vont décider de faire boire Janotus, afin de lui jouer un tour. Le récit
prend un tour plus romanesque, où le suspense prend toute sa place.

-les désignations, précises, de la troupe de Gargantua : plus élogieuses que les précédentes :

→ « Ponocrate » (l. 7, 11 et 13) : celui qui vainc (de κρατέω) la peine (de πόνος) ; la ténacité et
l’endurance, que ce « précepteur » va transmettre à Gargantua.

→ « Philotomie » (l. 13) : étymologiquement « celui qui aime la découpe » : Gargantua bénéficie
des services de ce préposé au service de bouche.

→ « Gymnaste » (l. 13) : l’écuyer (de γυμναστής, maître de gymnastique, véritable professeur chez les
anciens Grecs).

→ « Eudémon » (l. 14) : (εὐδαίμων : « heureux », « doué »), le jeune page de Des Marais, si habile
dans l’art oratoire.

-présence d’un polyptote : dérivation autour de la racine répond- (l. 10, 12 et 15). La trame narrative se
concentre sur l’accueil réservé aux sophistes de la Sorbonne.

-accélération du rythme narratif : PSP circonstancielle (l. 11) + 3 adverbes circonstanciels de temps
« aussitôt », « sur-le-champ » et « sommairement ».

-modalité déontique (« ce qu’il convenait de faire », répété : l. 12 et 15) : une tension dramatique est
ainsi communiquée au lecteur.

-l. 16 : désignation péjorative de Janotus par le GN « ce tousseux » (connotation de maladie ou


d’artificialité) ; valeur dépréciative du déterminant démonstratif.

-néologisme « théologalement » : permet de se jouer des critiques et de la censure (que signifie cet
adverbe de manière : boire « de manière raisonnable, comme un théologien » ? ou bien « plus que
de raison, comme un sorbonnard, selon le cliché »?).

-la troupe des maîtres est donc retenue à l’« office » (l. 16 : arrière-cuisine), où elle cède à la
tentation du boire. Le narrateur émet une précaution morale (la « vanité » de Janotus, péché
chrétien, sera ainsi contenue (« n’entrât en vaine gloire », l. 17).

-l. 18-19 : le plan d’action est précisé, sur un rythme ternaire. Les trois autorités parisiennes
assisteront au réquisitoire de Janotus, que le lecteur devine ridicule et déstructuré ; les cloches de
Notre-Dame leur seront même rendues avant la fin du discours (l. 20) ! Le comique relève donc de la
farce, ce qui est accentué par le contraste entre le sérieux exigé par la préparation du discours et la
familiarité du verbe « chopinerait ».

-l. 20 : antiphrase du narrateur perceptible dans le GN « sa belle harangue ».

-l. 21-22 : brièveté des derniers énoncés du chapitre. Effet d’attente : le lecteur a hâte de lire les
propos irrationnels de Janotus. Polyptote dans le gérondif « en toussant », qui rappelle « tousseux ».

Dernière phrase effet attente, et envie lire suite

Conclusion 2

Cet extrait est de ceux qui font la transition entre l’ancienne éducation de Gargantua et celle, plus
conforme aux idéaux humanistes, que lui proposera Ponocrate. Les tristes sorbonnards prônent une
éducation morne et d’autant plus rébarbative qu’ils incarnent l’immobilisme, la mauvaise santé, une
hygiène insuffisante et des appétits excessifs.
Texte 3/16 (1A) - Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

L’extrait du chapitre 44 que je vais étudier, provient de l’œuvre comique


Gargantua, publiée en 1535, par Rabelais sous le pseudo-anagramme
« Alcofribas Nasier ». L’œuvre parut dans la période du mouvement
littéraire de l’humanisme et appartient à la littérature d’idée du 16 ème S. Elle
rentre dans le parcours « RIRE ET SAVOIR ».
Comme au chapitre 35, le chapitre 44 est une scène de combat mêlant Grand-
gousier et son seigneur voisin, Picrochole. Deux personnages sont présents : Frère
Jean et les archers. Dans ce chapitre abordant plusieurs thèmes comme la méde-
cine, le courage et le combat, Rabelais montre que les humanistes sont contre les
traditions absurdes à travers de nombreux comique de mots et des répétitions.

Notre explication linéaire tiendra compte des trois mouvements repérables dans ce
texte :
1er mouvement (l. 1 à 6) : Mort du premier archer : la parodie anatomique du roman
de chevalerie.

2e mouvement (l. 7 à 19) : Une demande de grâce inefficace.

3e mouvement (l. 20 à 25) : Seconde « dissection » : la lâcheté du second archer


punie.

Nous pouvons donc nous demander, Comment cette scène de combat


particulièrement comique permet-elle à Rabelais de délivrer un message engagé
contre les désastres des guerres de conquête ?

Mouvement 1

→ voc. précis de la médecine : caractère comique et intérêt pour la science (on a


l’impression d’avoir affaire à une dissection, pratique nouvelle à l’époque) ;

→ énumération épique : souligne le courage et les ressources de Jean ;

→ nombreux verbes d’action au PS : succession de hauts faits (parodie du registre


épique) ;

→ CC temps « aussitôt après » : rapidité d’exécution d’un héros ;

→ prépositions « avec » et « jusqu’aux » : intensité de la coup asséné ;

→ adverbe « tout » devant l’adjectif « mort » : issue fatale de sa victime ; il fait


écho à l’adverbe précédent (« entièrement ») ;

→ conjonction de coordination « et » en début de seconde phrase : rapidité


d’exécution ;

→ syntaxe de l’efficacité : 3 groupes participiaux au participe présent


(« tournant », « voyant » « ayant ») ; eux aussi rappellent les structures
participiales précédentes (« coupant », « retirant ») ;
→ peu de détails dans la phrase 2 : les circonstances s’effacent devant les paroles
rapportées directement.

Mouvement 2

→ phrases exclamatives, interjections exprimant la terreur ;

→ répétition de « monsieur le prieur » : lâcheté, cherche à obtenir la merci ;

→ « je me rends » : la proposition, la parole remplace l’acte de se défendre les


armes à la main ;

→ double jeu de mots : entre « prieur » (< prior, qui vient en premier) et
« postérieur » (qui vient après), puis entre « postérieur » et « postères »
(fesses) ;

→ futur simple : punition certaine (« vous aurez ») ;

→ ambition des gens d’Église (« fasse abbé ») : mais Jean est hermétique à ce
genre de quête personnelle ;

→ jeu de mots de la part de Jean : « je vous ferai cardinal » = « de votre tête


jaillira le sang » (« vous aurez un chapeau rouge ») ;

→ les 2 premières réponses de Jean montrent qu’il reste impassible devant les
lâches supplications de l’archer ;

→ nouvelle mention des cris apeurés de l’archer + répétition des apostrophes


cherchant à obtenir la grâce ;

→ nombreux monosyllabes (vivacité, dimension théâtrale – on imagine que Frère


Jean s’approche ou le menace) + répétition du verbe « se rendre » ;

→ dernière réponse du moine : jeu de mots à partir de « rendre » (ici, envoyer à la


mort).

Mouvement 3

→ « lors » : adverbe annonçant la dernière action, le coup fatal ;

→ nouvelle série de verbes d’action au PS (5 actions principales), entrecoupée de


groupes participiaux au participe présent (2 actions) ;

→ nouvelles apparitions du champ lexical de la médecine (minutieuse description


du cerveau) ; en cela Gargantua se distingue des récits épiques comme Iliade ;
→ adverbes ou GNP indiquant l’intensité des coups : « d’un coup », « avec une
grande partie de », « profondément », « par derrière », « raidement » ;

→ là encore nous retrouvons le motif de la séparation totale du corps en deux


parties égales ;

→ la comparaison actualise le couvre-chef promis : l’archer perd la vie mais gagne


un « bonnet de docteur » !

Conclusion 3

Nous avons pu voir le Portrait en action du « bon moine », qui est ouvert aux
nouvelles sciences, à l’idée de progrès, et l’esprit de conquête.

Cet extrait est donc une Parodie des romans de chevalerie. R. introduit le rire pour
mieux dénoncer les dérives bellicistes de son époque. Nous pouvons ainsi compa-
rer cet extrait aux comparaisons homériques de l’Iliade.
Texte 4/16 (1A) - Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

Dans l’extrait que nous allons étudier, Voltaire crée une fiction inspirée à la fois de L'Histoire des
états et empires de la Lune de Cyrano de Bergerac (1657), et des Voyages de Gulliver de Swift
(1726).
Cet extrait, provient de Micromégas, un des ouvrages les plus représentatifs de l'esprit des Lumières,
écrit par Voltaire et publié en 1752.
Dans cet extrait, Micromégas est un géant sirien, philosophe en son pays, qui entreprend un voyage
interplanétaire, accompagné d’un « nain de Saturne ». Ils s'entretiennent avec un groupe
d’humains philosophes qui reviennent d’une expédition.

En effet, comme Gargantua de Rabelais, ce récit d’aventures dénonce les maux dont souffre la
société (préjugés),mais évoque aussi la religion, philosophie au profit des idées des Lumière/s (raison,
réflexion sur l’homme et l’aspect scientifique)

Notre explication linéaire tiendra compte des deux mouvements repérables dans ce texte :

1° Lignes 1-7 (jusqu’à « pour l’homme ») : les deux philosophies humaines ;

2° Lignes 7-20 : la farce des géants.

Ainsi, nous allons étudier : De quelle façon Voltaire, par la bouche des philosophes et les réactions
des géants dénonce la limite des connaissances humaines et la vanité philosophique de ceux qui
prétendent percer les mystères de la métaphysique.

Je vais donc procéder à la lecture de l’extrait.

Nous pouvons remarquer dans le premier mouvement = les deux philosophies humaines

Relevé Identification Interprétation


« l’animal de Sirius » Périphrase (GN) Désigne Micromégas d’une manière neutre et souligne
(1) la focalisation sur le géant -> met en valeur le
relativisme
« celui-là » (1) ; « le pronom démonstratif à Désigne le Philosophe anglais qui permet de
sectateur de Locke » valeur anaphorique souligner la philosophie prônant une pensée limitée
(2) (reprend un personnage aux sens humains, à l’expérience (héritage de Bacon)
de l’avant-texte) et de la présentée comme modeste.
« il ne trouva pas celui- litote Permet d’accentuer le fait, que le Sirien trouve celui-là
là le moins sage » (1) le plus intelligent.
«sans l’extrême hyperbole Fait ressortir l’aspect comique qui met en valeur la
disproportion » (2) différence de taille entre le sectateur de Locke et le
nain de Saturne.
« mais il y avait là » conjonction de Mets en avant l’apparition d’un problème, d’une
(2-3) coordination exprimant péripétie retardant l’accès à une solution.
l’opposition
« petit animalcule en périphrase + pléonasme Propos péjoratif à l’encontre du théologien et
bonnet carré » (3) animalisation des êtres microscopiques qui sont les
humains.
« qui coupa la parole à proposition subordonnée Témoigne de l’audace et de l’orgueil du
tous les animalcules relative + verbe au philosophe ≠ sectateur de Locke. Le PS exprime une
philosophes » (3-4) passé simple inflexion du récit : un nouvel évènement rompt
l’atmosphère de concorde.
« il dit qu’il savait tout hyperbole dans l’emploi Mets en évidence l’omniscience prétendue du
le secret » (4) du déterminant indéfini théologien.
de la totalité
« Somme de Saint groupe nominal Oeuvre monumentale de d’Aquin, théologien du
Thomas » (5) prépositionnel (Somme XIIIe s.C’est un ouvrage qui fait référence à
théologique) l’enseignement scolastique. Il critique Voltaire, qui lui
oppose philosophie théologique à méthode
scientifique.
« il regarda de haut en locution adverbiale + Renforce le Caratère hautain du philosophe +
bas les deux habitants adjectif « célestes » incapacité de ses sens.
célestes » (5-6)
« leur soutint que leurs énumération de 4 Montre la prétention intellectuelle du sorbonnard, et
personnes, leurs groupes nominaux sa maladresse rhétorique (4 éléments accumulés, au
mondes, leurs soleils, désignant des parties de lieu de 3).
leurs étoiles » (6-7) l’univers + gradation
Procédé de reprise Grâce à l’emploi du insistant sur le pouvoir exclusif des hommes. Voltaire
« tout était fait pronom indéfini dénonce l’anthropocentrisme.
uniquement pour « tout » en fin
l’homme » (7) d’énumération + adverbe
Après avoir relever tout Nous pouvons passer au =la farce des géants
les procédés du premier deuxième mouvement=
mouvement
« nos deux déterminant possessif Mets en relief la Complicité du lecteur avec les figures
voyageurs » (7-8) sympathiques des géants.
« se laissèrent aller périphrase verbale au Comique de geste, caractère visuel de l’action : le
l’un sur l’autre » (8) passé simple lecteur se figure les deux personnages se tordant de
rire
« ce rire déterminant Dessine le Caractère rare et exceptionnel du fou rire
inextinguible » + PSR démonstratif des géants.
(8-9)
« le partage des Valoriser avec le Groupe Supériorité des géants, rapprochés des dieux, sur les
dieux » (9) nominal êtres humains.
« que le Sirien avait sur Proposition Font ressortir le Détail facultatif qui permet
son ongle » (10) subordonnées relative d’apprécier la différence de taille, donc la prétention
/explicative (facultative) intellectuelle du dernier philosophe.
« dans une poche de la Ainsi que le Groupe
culotte du Saturnien » nominal prépositionnel à
(11) fonction de complément
circonstanciel Lieu
« bonnes gens » (11) ; Groupe nominal+ Valorise une Grande générosité, de l’« humanité »
« fort proprement » locution adverbiale + des deux géants, qui ne punissent pas les humains de
(12-13) ; « avec Groupe nominal leur vanité.
beaucoup de bonté (13- prépositionnel
14)
« les infiniment petits hyperbole et antithèse Critique de l’orgueil et de la vanité des hommes. Ils
eussent un orgueil contenues dans une sont impuissants à connaître leur nature et leur âme,
presque infiniment proposition subordonnée et leur univers. Micromégas n’adopte pas de posture
grand » (14-15) conjonctive de morale et respectent les différences de points de vue,
complément contrairement aux hommes.
circonstanciel de
concession
« il leur promit […] pour proposition principale Met en valeur l’apparente simplicité de Micromégas ;
leur usage » (15-16) le narrateur tend aussi un piège au lecteur, qui
s’attend à une révélation.
« ils verraient le bout Proposition subordonnée Critique l'eschatologie (signifie « dernier »,
des choses » (17) conjonctive complétive et« parole », « étude ») qui est le discours sur la fin
du monde ou la fin des temps. Elle relève à la fois de
la théologie et de la philosophie, en lien avec les
derniers temps, les derniers événements de l’histoire
du monde ou l’ultime destinée du genre humain.
Dernière phrase (17-20) Est mise en valeur, par Cela intensifie la Déception anticipée des philosophes
l’effet d’attente, de la qui recherchent un but dans la fin d’une connaissance
proposition « il ne vit parfaite, finie. C’est une critique des vérités révélées
rien qu’un livre tout contenues dans les Écritures, telles que le retour du
blanc » (négation Christ ou l’arrivée d’un antéchrist.
exceptive)
Conclusion 4

Dans cet extrait, Voltaire s'amuse donc en jouant sur les différences de taille entre des géants venus
d'autres planètes et des êtres minuscules que sont les habitants de la Terre. Mais il contient
également un enseignement philosophique qui prône l'ouverture d'esprit et la rationalité. Cet
enseignement permet de faire réfléchir le lecteur par rapport à la place de l'homme dans l’univers.
Il sera donc possible de se demander comment, dans ses autres contes philosophiques
(Candide, Zadig, L’Ingénu) Voltaire combat les idées d’intolérance et d’anthropocentrisme.
Texte 5/16 (1A) - Objet d’étude : la poésie du XIXe au XXIe siècle

Commence une quête de liberté pour le jeune Rimbaud. Quête qui s’exprime par des fugues répétées, et par une
volonté de révolutionner le langage poétique.
Le poème « Vénus Anadyomène » se trouve dans le premier recueil d’Arthur Rimbaud, les
Cahier de Douai imaginé à l’occasion de ses fugues de 1870.
Dans ce sonnet, le poète représente une femme sous des traits empruntés à Vénus, déesse de la beauté, pour laisser
voir progressivement sa vulgarité, sa laideur et sa maladie. Il s’agit peut-être pour le poète d’une prostituée, mais cette fois rien
de grâcieux ne se dégage de cette représentation, nous allons le voir.
Cette description suit non pas le mouvement attendu, « ana- » (« de bas en haut », en grec), mais « cata » (« de haut en bas »),
puisque le regard du « je » décrit la tête pour ensuite descendre jusqu’au postérieur de cette Vénus.

Pour mener cette explication linéaire du poème, nous suivrons les strophes en procédant à un rapprochement :

1- D’abord la vue d’ensemble de la femme qui sort de la baignoire : strophe 1.


2- Ensuite une description du corps dégradé de la femme, tout en pudeur, vu de dos : strophes 2 et 3.
3- Enfin, la chute audacieuse de l’évocation du postérieur : dernière strophe.

Ainsi Rimbaud détourne cette figure et le topos de sa naissance pour rejeter le lyrisme traditionnel et proposer une nouvelle
esthétique poétique : en effet, « Vénus anadyomène » s’inspire du mouvement parnassien (poésie du désengagement et de la
création pure, conformément à la doctrine de « l’art pour l’art »), tout en le dépassant par son originalité thématique et
stylistique.

I. Strophe 1 : vue d’ensemble de la femme qui sort de la baignoire

-1er quatrain d’un sonnet, dont l’objet serait classiquement l’expression de l’admiration ou de l’amour envers une femme aimée
et magnifiée (voir les célèbres sonnets galants de Ronsard).

-Les premiers mots du poème : « Comme d’un cercueil » peuvent rappeler le premier vers d’un poème de Ronsard : « Comme
un chevreuil » (Les Amours de Cassandre). Les sonorités sont très similaires. On voit donc d’emblée la volonté parodique de
Rimbaud qui reprend un grand poète de cour, membre de la prestigieuse Pléiade, pour déformer ses mots.

-De plus, le nom « cercueil » s’oppose au thème de la naissance de Vénus car il suggère l’idée de mort. Une vision effroyable
remplace incroyablement l’éblouissement esthétique attendu.

-L’emploi de l’article indéfini « une » devant « tête » montre la volonté de désincarner la figure représentée.

-Les couleurs présentes dans les vers 1 et 2 : « vert » ; « blanc » ; « bruns » peuvent également rappeler le tableau de La
Naissance de Vénus par Cabanel. Seulement ici, ces couleurs censées désigner la mer et l’écume de manière méliorative
qualifient en fait une baignoire usée.

-L’adjectif épithète péjoratif « vieille » qualifie « baignoire » confirme d’ailleurs cette lecture : ce que le poète veut donner à
voir, c’est une femme qui émerge de la baignoire (l’analogie produit un effet de diminution parodique).

-La beauté naturelle est en outre remplacée par le caractère artificiel de la mortelle, en témoignent ses cheveux « fortement
pommadés » (rapproché de « ravaudés » par la rime croisée et par l’antéposition des adverbes « fortement » et « assez mal ») :
la femme peine à masquer les marques du vieillissement.

-Cependant, même avec tous ses artifices, la femme ne peut cacher sa laideur, comme le montre le GNP « avec
des déficits mal ravaudés », là où le lecteur attendrait la mention d’un ou plusieurs attributs divins.

-L’animalisation caractérise aussi la femme décrite, notamment par la rime « tête » / « bête ».

-Sur le plan du rythme, les enjambements entre les vers 1-2 et 2-3 créent un déséquilibre et une disharmonie à l’image de la
femme présentée ici.
II. Description du corps dégradé de la femme, tout en pudeur, vu de dos : strophes 2 et 3

-Commence par l’adverbe de liaison : « puis ». Cet adverbe, repris au vers 7, montre une volonté de décrire la femme de
manière très précise, en insistant sur les détails dévalorisants.

-L’animalisation se poursuit car l’énonciateur évoque, non pas le cou, mais le « col » de la femme. On assiste à une sorte de
transformation en quadrupède domestiqué.

- L’expression « larges omoplates / Qui saillent » soulignent la masculinité et la maigreur : deux qualités à l’opposé des
attributs physiques de la déesse de la beauté. Notez le rejet du verbe au vers 6.

-De plus, le poète cherche à donner un sentiment désagréable au lecteur, notamment par l’usage de l’allitération en [g] (sur
les monosyllabes « gras et gris », qu’on appliquerait volontiers à un animal) qui émet un son disgracieux.

-Le parallélisme des PSR suggère que les mouvements de la femme sont répétitifs et évoque celui d’un animal (« le dos
court qui rentre et qui ressort »).

-Pourtant, la maigreur est contredite par « les rondeurs des reins » au vers 7. Ce contraste disharmonieux s’oppose parfaitement
à la perfection habituelle de Vénus.

-On note que la strophe 2 tout entière est parcourue par l’allitération en [r], qui consiste à parasiter le portrait pourtant peu
flatteur par l’émission de sons désagréables, proches d’un râle.

-La « graisse » (nom inapproprié dans les portraits de divinités) remplace les « formes » parfaites de la Vénus traditionnelle.
Au contraire, paradoxalement elle « paraît en feuilles plates », ce qui signifie que ces amas lipidiques ne confèrent aucune
rondeur, mais constituent des strates qui semblent s’ajouter au corps de la femme.

-Le premier tercet apporte une nouvelle couleur au tableau d’ensemble : le rouge, couleur qui vient s’opposer à la blancheur
pure avec laquelle est fréquemment représentée Vénus. L’adjectif surprend : on attendrait un terme mélioratif comme
« vermeil » ou « rubis ». Ici, « l’échine est un peu rouge » : cette image bouchère suggère une fois de plus que la colonne est
saillante, au point que la maigreur de la femme décrite apparaît comme maladive. On note de nouveau l’emploi de l’adverbe
« un peu », qui met en valeur le défaut chromatique, ainsi qu’une reprise de sonorité (assonance en [u], qui traverse le tercet).

-Dans cette strophe, le poète mobilise plusieurs sens du lecteur pour mieux montrer l’aspect déplaisant de la femme décrite.
On trouve l’odorat avec « sent », le goût avec « goût » et la vue avec « voir » et dans l’expression familière « à la loupe » : le
lecteur a donc affaire à une synesthésie détournée dans laquelle le poète sature sa description de détails afin de confronter le
lecteur à la laideur de la femme considérée dans son ensemble (« le tout »).

-L’oxymore mis en relief par le rejet « horrible étrangement » donne un nouveau sens à la laideur. Le goût est horrible, mais
suscite la curiosité du poète. Il faut donc voir ici une sorte de beauté du laid, du mal, qui attire Rimbaud. On peut rapprocher
cela de sa volonté de combattre la poésie traditionnelle et son éloge de la beauté ; en cela cet éloge paradoxal le rapproche de
ses aînés Hugo (« J’aime l’araignée et j’aime l’ortie », Contemplations) et Baudelaire (« Une Charogne », Les Fleurs du
mal).

-Se poursuivent dans cette strophe les jeux d’enjambements qui disloquent le rythme traditionnel.
Ces enjambements continuent de mimer l’ondulation disgracieuse et interminable de la femme.

-Aux v. 10-11, Rimbaud s’éloigne également du lyrisme traditionnel dans lequel le « je » et les sentiments personnels sont
exacerbés. Ici, le pronom impersonnel « on » remplace le « je », et les sentiments personnels sont absents, au profit de
l’objet décrit. En outre, la dernière remarque est énoncée par la construction impersonnelle « il faut ». En cela, le poème se
rapproche de l’esthétique parnassienne que Rimbaud recherche dans ses plus jeunes années : le lecteur, intrigué par cet effet
d’attente marqué par les points de suspension, anticipe la pointe finale du sonnet. Sera-ce un charmant détail ou au contraire un
ultime défaut physique ?

III. La chute audacieuse de l’évocation du postérieur : dernière strophe


-Chute dans les deux sens du terme : la surprise, et la fin du mouvement descendant, contre-intuitif dans le cas d’une Vénus
sortant des eaux. 3 vers marqués par une accélération : nous passons des « reins » (v. 12) à la « croupe » (v. 13), puis à
l’« anus » (v. 14).

-Comme souvent dans les sonnets, le dernier tercet offre une chute. Elle est ici double. D’une part, la femme semble porter en
tatouage un nom latin qui évoque celui d’une courtisane : « Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus » (« illustre
Vénus »). « Clara Venus » représente, par sa position sur le corps de la femme, la vulgarité : il est placé sur ses reins ; cela
contraste avec sa mise en valeur dans le vers 12, en dernière position, et avec la référence littéraire au premier vers d’un sonnet
de Louise Labé : « Clere Venus, qui erres par les cieux ».

-Cette désignation infamante amorce une rime qui permet à Rimbaud de clore le poème en rompant définitivement avec
l’esthétique traditionnelle : la trivialité s’oppose ici à l’emphase avec laquelle le thème de Vénus anadyomène est
habituellement traité.

-Au vers 13, le groupe nominal « tout ce corps » déshumanise la femme (on retrouve l’indéfini « tout ») Elle n’est plus
qu’un corps, qui plus est repoussé par le démonstratif « ce ». Il est présenté comme un objet de
dégoût presque inqualifiable.

-La posture ostentatoire de la femme est suggérée par l’emploi du verbe « tendre » dans « tend sa large croupe ». Elle
présente donc un postérieur, dont la vision n’est pas agréable. La métaphore « large croupe » animalise la
femme et ironise sur la laideur de son arrière-train, comparé à celui d’un cheval.

-Le dernier vers s’ouvre par un tiret long (qui semble annoncer la surprise au lecteur) et un nouvel oxymore, qui rappelle le
précédent : « Belle hideusement ». Rimbaud fait ici encore une fois l’éloge de la beauté du laid et s’éloigne des canons de
l’esthétique poétique. L’inversion met par ailleurs en relief l’adjectif « belle ». D’ailleurs, l’assonance en [ε] dans ce vers
crée un rapprochement de deux mots accentués : « belle » et « ulcère ». On sent donc la volonté du poète d’ajouter à la laideur
d’ensemble l’expression d’un sincère intérêt.

-La pointe du sonnet achève le processus de dégradation : l' « ulcère à l’anus » ferme trivialement le sonnet, en soulignant
implicitement les conditions de vie et d’hygiène déplorables de cette prostituée.

Conclusion 5

Nous avons pu voir que Rimbaud développe une parodie du topos de Vénus sortie des eaux. En se moquant des critères de
beauté traditionnels et du lyrisme poétique, le jeune poète se range du côté des parnassiens tout en laissant déjà entrevoir la
révolution du langage qu’il prépare.
Texte 6/16 (1A) - Objet d’étude : la poésie du XIXe au XXIe siècle

L’’extrait que je vais vous expliquer, se nomme « Ma Bohème », ce poème fait par-
tie de l’ensemble des Cahiers de Douai (il clôt le second cahier), écrit par Arthur
Rimbaud en 1889 ; symboliquement très chargé, il permet au poète d’exprimer au-
tant ses idéaux de vie que ceux de poète. Il revendique ainsi une liberté autant phy-
sique que poétique, voyage, nature, amour pour la poésie.
Arthur Rimbaud a manifesté très tôt sa révolte contre l'ordre social. Il fait partis du
mouvement littéraire du symbolisme. Âgé de 16 ans, il échappe à l’emprise de sa
mère et fuit Charleville (ville des Ardennes), poussé par un besoin de liberté qui ne
se démentira jamais et par le désir de créer. Ce poème a très probablement été
composé lors de cette fugue, en octobre 1870. Le poème, « Ma Bohème (Fantai-
sie) », se présente sous la forme d'un sonnet qui fait l’éloge d’une forme d’errance
inspiratrice. Au féminin, « Ma bohème » signifie à la fois à l’époque de Rimbaud
« vagabondage » et « groupe d’artistes menant une vie hors des cadres so-
ciaux ».

Sensibles à l’unité d’un poème dont les quatre strophes associent une notation
concrète à un sentiment exalté, nous pourrons résoudre la problématique sui-
vante : comment ce poème transforme-t-il le récit de pénibles fugues (strophes 1
et 2) en une expérience joyeuse et créatrice (strophes 3 et 4) ?

Pour mener cette explication linéaire du poème, nous suivrons les


strophes en procédant à un rapprochement :
Tout d’abord, dans les deux quatrains, le poète vagabonde au sein d’une nature pro-
tectrice et inspirante. (Strophes 1-2)
Puis dans les deux tercets, il montre la liberté de création qui est la sienne.
(Strophes 3-4)

1- le poète vagabonde au sein d’une nature protectrice et inspirante.


(Strophes 1-2)

Ma Bohème Je/ m' / j'

➔ Utilisation du pronom personnel et des déterminants possessifs de 1re per-


sonne, souvent en première position.
➔ L'auteur réalise son portrait en mouvement, célèbre son individualité et la dé-
couverte de sa liberté.

➔ L'expression de la liberté associée à la césure irrégulière du vers 1 (4 + 8 syl-


labes).

Mes poches crevées / Mon paletot devenait idéal / unique culotte / large trou
➔ Termes affinant la description indiquant le délabrement des vêtements du jeune
homme mais aussi son insouciance (légèreté qu’on peut associer à l’assonance en
[e]). À rapprocher du titre « Ma Bohème ».
➔ une garde-robe peu fournie ("unique culotte") et en piteux état ("crevées" ;
"large trou" ; donc usure ; "paletot " devenu "idéal" ; par conséquent il n'est plus
qu'une idée de manteau.
➔ Usage de termes familiers ; cette liberté est aussi d'ordre lexical.

➔ Hiatus ou liaison difficile, entre « paletot » et « aussi » : mise en valeur de


l’originalité, de la laideur ; remise en cause de la notion d’harmonie sonore.

Je m'en allais/ j'allais / j'égrenais

➔ Verbes marquant le déplacement.

➔ Valeur durative de l’imparfait, très fréquent ; une fugue présentée comme impor-
tante, fondatrice.

➔ Chiasme des vers 3-4 et 6 qui met ce rêve au cœur de la scène en l’associant à
son carburant qu’est le déplacement : "j'allais […] rêvées // rêveur […] course".

Muse ! J'étais ton féal...

➔ Utilisation du discours direct pour interpeler la muse de la poésie lyrique, Éra-


to ; cette apostrophe, quoique assez triviale ici, marque cette fois une forme de
respect des conventions littéraires (on pense à l’adresse à la Muse du début de
l’Iliade ou de l’Odyssée) : peut-être y pouvons-nous voir une intention parodique.

➔ Recours à l'imparfait, verbe de la description et marquant l'habitude.

➔ Une fuite totale :

- dans l' espace : "Je m'en allais", "j'allais" ; pour aller où ? venant d'où ? On ne sait
pas : absence totale de précision.

- dans le temps : l'allusion à la "Muse" nous entraîne dans l'Antiquité ; le terme


"féal" nous emmène au Moyen Âge (« fidèle à la foi jurée » ; « Partisan, ami dé-
voué et fidèle »).

Ce voyage ne correspond pas qu’à une fugue révoltée : il s’agit aussi d’un voyage initia-
tique qui révèle au jeune homme sa vocation de poète.

Oh ! là là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées !

➔ Niveau de langage familier, encore peu courant dans la poésie du XIXe siècle.

➔ Le type de phrase exclamatif souligne l’influence de la marche sur le processus


créateur : l’imagination de Rimbaud s’est développée et a compensé le dénuement
matériel (rime entre « crevées » et « rêvées »).
Sous le ciel / à la grande ourse / auberge / dans ma course

➔ Nombreux compléments circonstanciels de lieu. L'imprécision des indications


de lieu souligne le cheminement, l'errance et met l'accent sur les verbes de mouve-
ment.

Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course / Des rimes

➔ Métaphore filée qui associe les vers aux « cailloux guides » du personnage de
Perrault. L’originalité de l’analogie (rapprochement à 4 éléments : Petit Poucet –
cailloux / Rimbaud – rimes) est soulignée par le rejet du groupe « Des rimes ».

les poings

➔ Cette position caractéristique des mains met en lumière la révolte qui pousse le
jeune poète à la fugue. Un personnage révolté qui refuse le conformisme bourgeois.

➔ Utilisation du tiret, liberté par rapport à la prosodie classique. Sert à indiquer


une forme de rupture, peut-être celle qui marque le passage de la rigueur de l’er-
rance à la douceur de la liberté.
➔ Marques d'une délicieuse communion avec la nature, féminine et protectrice.
Cette vie est celle qu’il a choisie ; c'est "sa" bohème : l’absence de limites de son
voyage lui permet des rêves "splendides" (rayonnants, radieux, d’une beauté écla-
tante). Les souvenirs récents de ses "bons" soirs de septembre sont agréables
(assonance en [U] dans "doux frou-frou"). Le « je » poétique (qu’on ne peut asso-
cier qu’à Rimbaud revenu de son expérience à Douai) ne sent apparemment ni la
pauvreté ni la fatigue.

2- la liberté de création qui est la sienne (strophe 3-4)

➔ Il est en communication avec le ciel et la terre (on a plus haut assisté à une confu-
sion entre le monde terrestre et le monde céleste ("sous le ciel", v. 3 ; "Grande
Ourse", v. 7)

➔ Vision enthousiaste d’un jeune poète dont l’imagination se nourrit des impressions sen-
sorielles produites par la nature : sens de l’ouïe, de la vue, du toucher et du
goût. Cette idée est exprimée par la comparaison (v. 11) de la rosée au « vin de
vigueur », en référence avec les « vins » fortifiants de l’époque (le plus souvent
des boissons ferrugineuses), soulignée par l’allitération.

rosée / vin de vigueur élastiques / lyre Petit-Poucet, féal

➔ Nouvelle comparaison : ce rapprochement entre la lyre et les élastiques méta-


morphose l’objet ordinaire en instrument poétique.
➔ Le terme « lyre », qui se réfèrent à l’univers du roman courtois, cohabitent avec
un vocabulaire plus trivial (« élastiques » ; « souliers »).

➔ Caractère inhabituel de la rime riche entre « fantastiques » et « élastiques »


est à souligner ; il rapproche la création de l’expérience inédite des rigueurs du
voyage. Allitération en [m] du v. 12.

un pied près de mon cœur !

➔ Le dernier vers d’un sonnet constitue toujours une chute nommée concet-
to, mais pas ici. Rimbaud convoque de nouveau ce désir de modernité puisque le
dernier vers aborde, à l’image de tout le poème, le thème de l’errance permettant de
célébrer une création poétique née de l’amour du vagabondage et des rencontres
au sein de la nature.

➔ Originalité et fantaisie du rapprochement (le pied ; image du voyage).

➔ Impression de légèreté (exclamation ; 6 monosyllabes, qui sont autant de


« pieds » légers, si on tient compte de la signification de « pied » en métrique).

Conclusion 6

Éloge de la liberté, du vagabondage mais aussi de la poésie moderne, voilà


comment nous pouvons interpréter « Ma Bohème ». Rimbaud célèbre, en
effet, un bonheur, celui du bohémien, mais la nature lui octroie aussi une liberté,
physique, intellectuelle qui se mue en liberté poétique. En vagabondant, il s’amuse
des règles de la poésie traditionnelle, un brin provocateur et, ouvre, de la sorte, la
voie à la modernité poétique, qu’on décèle chez Apollinaire ou Jacques Prévert au
siècle suivant.
Texte 7/16 (1A) - Objet d’étude : la poésie du XIXe au XXIe siècle

1. introduction

L’’extrait que je vais vous expliquer, se nomme « A la musique », ce poème compo-


sé de quatrains d’alexandrins, fait partie de l’ensemble des Cahiers de Douai,
écrit par Arthur Rimbaud. Arthur Rimbaud a manifesté très tôt sa révolte contre
l'ordre social. Il fait partis du mouvement littéraire du symbolisme. Âgé de 16 ans,
il échappe à l’emprise de sa mère et fuit Charleville (ville des Ardennes), poussé
par un besoin de liberté qui ne se démentira jamais et par le désir de créer. Ce
poème a très probablement été composé lors de cette fugue, En juin 1870. Cette
scène d’apparence plutôt banale qu’il raconte dans « à la musique », cristallise en
fait sa critique d’une bourgeoisie cupide et satisfaite de sa médiocrité. Dans le
poème « A la musique » un concert à lieu tous les jeudi soir sur la place publique
de Charleville, et une musique militaire commence à resonner un peu trop fort. Ce
poème ne se contente pas de rejeter une catégorie d’individus.

1. L’ironie, procédé de la critique de la bourgeoisie carolopolitaine (strophe 1-5)

2. Eloge d’une autre société (strophe 6-9).

Comment « À la musique » associe-t-il la disqualification intellectuelle et morale


de la bourgeoisie à la célébration d’une contre-société et de la liberté
individuelle ?

L’ironie, procédé de la critique de la bourgeoisie carolopolitaine (mouvement 1)

- Tonalité réaliste des premiers vers : le « je » ancre la scène dans un cadre


spatial bien défini.

- Les « mesquines pelouses » (hypallage, au vers 1) et le « square où tout est


correct » (PSR dépréciative, qui met en valeur l’absence d’imagination et de
fantaisie, au vers 2) suggèrent le caractère ridiculement soigné et apprêté de la
place : la nature, canalisée et domptée, annonce la mascarade et l’hypocrisie
bourgeoises dénoncées dans tout le poème.

- Aux vers 3-4, 4 marques de pluriel nous permettent d’apprécier la critique de


l’uniformisation et de la routine bourgeoises (« tous les bourgeois poussifs » +
« les chaleurs » + « les jeudis soirs » + « leurs bêtises jalouses »).

- Les personnages sont dépeints avec une ironie mordante : l’énonciateur les dit
« poussifs » et « étrangl[és] » par « les chaleurs » (3) et dénonce d’emblée
« leurs bêtises » (4).

- Malgré une définition précise du cadre spatio-temporel et contrairement à ce que


pourrait impliquer le titre du poème, Rimbaud ne donne pas d’importance aux
couleurs de la nature, qui ne seront plus mentionnées à partir de la strophe 2,
hormis les « gazons verts » du v. 21 et les « marronniers verts du v. 26), ni au
sens de l’ouïe (excepté les « couacs » du v. 9).
- Du 2e au 5e quatrain, Rimbaud brosse une galerie de portraits bourgeois, plus
ridicules les uns que les autres : on remarque l’amusante inversion de
fonctions contenue au vers 8 dans la proposition « Le notaire pend à ses breloques
à chiffres ». L’inversion sujet-verbe et la position finale de « parade le gandin »
(7) et la périphrase « rentiers à lorgnons » (9) soulignent l’attitude de certains
pédants qui se prétendent mélomanes sous prétexte de relever toutes les fausses
notes de l’orchestre, mais qui en réalité ne sont là que pour se montrer. Comme
Balzac dans l’incipit de La Cousine Bette, Rimbaud raille l’embonpoint excessif des
couples (10 : « Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames »).
L’insistance est produite par l’allitération, la répétition de l’adjectif qualificatif et la
comparaison implicite aux éléphants (voir « officieux cornacs »,
apposition placée à la rime, au vers 11). Le caractère grossier, voire superficiel
des dames de compagnie est mis en valeur par la comparaison de leurs
vêtements aux couleurs trop criardes aux « réclames » (12). Les vers 17-18
rappellent la surcharge pondérale de la « Vénus anadyomène » : les assonances
nasales et l’allitération en [b/p] y soulignent l’obésité satisfaite et inerte d’un
bourgeois qui fume sa pipe. Les plaisirs dispendieux des hommes s’occupant à
discuter d’autrui font également l’objet d’une acerbe critique : pensons à la
tabatière en « argent » (16) des « épiciers retraités » (13) qui, comme
l’« onnaing » de « contrebande » (19-20), contente le snobisme bourgeois, dont la
vanité s’exprime au discours direct (« vous savez ») et par le biais du rejet du
verbe « déborde », adapté à l’idée de plaisir superflu. Cette exhibition de la
possession matérielle est ironiquement contrecarrée par la posture morale adoptée
par les bourgeois moqués : Rimbaud raille la société des « clubs » (13 ; terme
généralisé dès 1848 désignant un groupe de réflexion politique, assimilé dans
l’esprit du jeune poète à un aréopage de commentateurs) et sous-entend
l’insincérité des débatteurs (2 adverbes du vers 15 : « fort sérieusement », groupe
adverbial distingué par la diérèse).

- Rimbaud s’inscrit dans la tradition de la satire de la bourgeoisie : comme Balzac


dans l’incipit de La Cousine Bette ou Zola dans Le Ventre de Paris, l’auteur joue de
cette opposition sociale consistant à placer du côté de la jeunesse et la vigueur les
classes ouvrières et les étudiants, tandis que sont dénigrés les excès en tous
genres d’une classe bourgeoise enrichie par la Monarchie de Juillet et le second
Empire.

Éloge d’une autre société (mouvement 2)

-C’est d’abord celle des « voyous » qui « ricanent » au spectacle des bourgeois
qu’ils songent peut-être à voler (21). Le nom est mis à la rime, ainsi rapproché de
« pioupious » (23). Le « je » place ainsi les classes inférieures sous la lumière
(groupe participial « fumant des roses », métonymie qui emprunte au parler
populaire et suggère des moyens financiers modestes).

- Rimbaud pour autant n’est guère tendre : sans dissimulation ni hypocrisie, les
« pioupious » ne songent qu’à séduire les domestiques (23).
- Le « je », qui n’a d’yeux que pour les jeunes bourgeoises (25). 11 occurrences de
ce pronom dans les 12 derniers vers. Le « je » se décrit et explique sa place dans
la farce sociale qui se joue sous ses yeux.

- La rupture lyrique est aussi marquée par le tiret initial et la comparaison


« débraillé comme un étudiant » : le poète se situe dans un non-lieu social (ni
enfant, ni adulte, ni étudiant, ni bourgeois, ni soldat, ni employé).

- L’adjectif « débraillé » introduit la question des relations sensuelles entre les


êtres. Les appétits sexuels succèdent dans ce 2nd mouvement aux désirs matériels
des bourgeois : les soldats cherchent à séduire les « bonnes » en feignant la
sensibilité (« caressent les bébés », 24).

- Le « je » suit du regard les « fillettes » de la bourgeoisie, puis les déshabille


longuement en pensée (26, puis 29-34). Par opposition à cette société bourgeoise
figée et étriquée, le poète se sent libre et heureux, pris un élan amoureux (position
de sujet pour le GN « les baisers qui me viennent aux lèvres », 36). Les
expressions allusives « alertes fillettes » (26), « le savent bien » (27), « en
riant » (27) et « de choses indiscrètes » (28) rompent avec la peinture
conventionnelle de la sage fille bourgeoise.

- Dans la strophe 8 abondent les références au corps, tandis que l’excitation


charnelle du « je » s’exprime par l’anaphore (29, 32), la longueur suggestive du
vers 30 et les allitérations des vers 30 et 32. L’atmosphère sensuelle contraste avec
les préoccupations matérialistes des bourgeois.

- Le quatrain 9 fait accéder le lecteur au déshabillage symbolique : l’article défini,


l’allitération en [b], les points de suspension et l’emploi du passé composé (« ai
déniché ») créent un univers érotique, riche en mystères, précieux aux yeux du
« je ». La fin du poème verse ainsi dans un lyrisme amoureux sciemment excessif,
où l’on repère une hyperbole à la rime (« brûlé de belles fièvres », 34), où l’on
retrouve les tirets et points de suspension (pauses qui suggèrent le trouble du
« je » et introduisent des ellipses temporelles associées au choc émotionnel : les
jeunes filles ne sont pas indifférentes au « je »).

- L’énonciateur perd son statut dominant dans cette dernière strophe : en position
d’objet (« brûlé de belles fièvres » ; « me trouvent drôle » ; « me viennent aux
lèvres » : vers 33-34). Le temps d’un poème, il est passé d’étranger à la comédie
sociale à objet d’attentions particulières. Cette transformation soudaine peut se lire
comme un discours d’auto-dérision visant à se moquer de son aveuglement
lié l’excès de lyrisme amoureux.

-Noter la présence inquiétante de la guerre, en arrière-plan : le mois suivant, plus


précisément le 19 juillet 1870, la France entrera en guerre contre la Prusse, alliée à
plusieurs états allemands. On comprend que Rimbaud a choisi de souligner
l’impréparation de l’armée française et l’insouciance hébétée des bourgeois. Ainsi
les soldats sont « amoureux » et « naïfs » (22, 23) au son d’un orchestre militaire
réduit à un geste ridicule (« balance ses schakos », 6).

7. conclusion
-Ainsi, à travers une succession de portraits-types caricaturaux, le poète raille la
bourgeoisie de province, qu’il exècre et qui se pavane tous les jeudis soir sur la
place de la gare, tandis qu’il s’adonne aux joies de la séduction. Mais nous pouvons
considérer qu’il porte un regard tout aussi distancié sur la parade amoureuse.

Dans « Le Mal » et « Le Châtiment de Tartufe », Rimbaud ironise cette fois au


sujet de l’hypocrisie de l’Église et des faux dévots qui se jouent de la vertu et de la
générosité des fidèles.

Questions de grammaire

1° Comptez les propositions de la première phrase et indiquez leur nature.


_________________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________________
2° Analysez les propositions des vers 10-12.

_________________________________________________________________________________

_________________________________________________________________________________
3° Analysez les propositions des vers 9-11 du poème « Vénus anadyomène ».

4° Extrait 4/16 (Micromégas) : analysez les propositions de la 2e phrase (l. 2-7).


Texte 8/16 (1A) - Objet d’étude : la poésie du XIXe au XXIe siècle

L’extrait que je vais expliquer, provient du recueil Les Fleurs du mal, de Baudelaire publié en 1861, et se
trouve être le 28ème poème du recueil , issu de la section « Spleen et Idéal ».
Ce poème est composé de douze quatrains alternant alexandrins et octosyllabes en rimes croisées, il a
pour thème un cadavre en décomposition qui étrangement permet au lecteur d'assister à la naissance d'une
« fleur du mal » et de comprendre les étapes de l'activité poétique, leur sens et leur importance.
Baudelaire fait le choix, avec « Une charogne », d'un thème nouveau : l'horrible pour affirmer le beau et
déclarer son amour.

Projet de lecture : Comment le poète s’émancipe-t-il des conventions de représentation du beau pour faire
de l’immonde un objet poétique ?

Mouvements :
1er mouvement, strophes 1 à 4 : une macabre découverte
2e mouvement, strophes 5 à 9 : le travail de décomposition
3e mouvement, strophes 10-12 : les pouvoirs de la poésie

Citations + procédés littéraires Interprétation


Connotation -ive de « charogne » + peu poétique, provocateur, désagréable
Titre

sonorités désagréables [H], [r] [G]


article indéfini : « une » cadavre indéfini : de quoi ? de qui ? → mystère
er
1 mouvement : Une macabre découverte
Impératif + pronom : « vous » adresse intime : à la femme aimée
Article défini : « l’objet » on ne sait pas de quoi on parle, mais l’article défini
montre que lui et elle s’en souviennent → effet d’attente,
car l’objet n’est défini qu’au v. 3 « une charogne infâme »
Apostrophe : « mon âme » connotation amoureuse
Redondance « charogne »+ effet d’insistance sur l’horreur de la découverte
« infâme »
Strophe 1

Antithèse et oxymore : « beau fusion du beau et du laid


matin d’été si doux » / « charogne
infâme »
+ antithèses à la rime : âme/infâme,
doux/cailloux
Polysémie : « un lit » « lit » de la rivière ou de la chambre → contribue à
personnifier le cadavre comme s’il s’agissait d’une
femme
Personnification dégradante : « les connotation sexuelle
jambes en l’air »
Comparaison dégradante et association de la charogne et de la femme désirée
sexuelle : « comme une femme
Strophe 2

lubrique »
Connotation polysémique : évoque soit la fièvre amoureuse, soit la maladie
« brûlante et suante »
Métaphore : « ouvrait […] son ventre : siège de la sexualité → image très crue,
ventre » provocante
CL du mal : « lubrique », cadavre lié au péché, au mal
« poisons », « cynique »
Antithèse : « soleil »/ « pourriture » fusions beau/laid, vie/mort (rappel du titre « Fleurs du
mal »)
Antithèse : « ensemble », « joint » / la nature unit, le cadavre est en état de décomposition
« rendre au centuple » avancée → le vie unit, la mort décompose
Allégorie : « la grande Nature » + personnification majestueuse : la Nature est unificatrice
verbe d’action « elle avait joint » (comme l’artiste)
Strophe 3

Comparaison culinaire : « cuire à très provocateur : comme si on pouvait imaginer manger


point » la charogne (ce que la chienne fera à la strophe 9) →
fascination pour le dégoûtant, l’horrible
Oxymore : « carcasse superbe » beauté repérable dans la laideur
Comparaison : « comme une fleur » comparaison étonnante d’un cadavre et d’une fleur → lien
beau/laid
Strophe 4

Antithèse + rapprochement laid et beau s’alimentent l’un l’autre : quand l’un


paronymique : s’éveille, l’autre s’endort
« s’épanouir »/« évanouir »
Opposition et rapprochement dans rapprochement étonnant qui lie encore une fois le laid et
1 rime interne : le beau
« puanteur »/« fleur »
2e mouvement : le travail de la décomposition
Évocation de la mort et de la mort évoquée comme une décomposition, un
pourriture : « putride », « noirs », éparpillement
« haillons », « épais liquide »
Image concrète, très visuelle : présence de la mort dans sa forme la plus concrète et
« larves », « mouches » (au pluriel), visible de la décomposition
« épais liquide »
Lexique de la vie : de la mort sort la vie : paradoxe ; cycle vie/mort
Strophe 5

«bourdonnaient », « sortaient »,
« bataillons », « vivants »
Image de naissance : « ce ventre la mort donne naissance à la vie
[…] d’où sortaient »
2 enjambements : « noirs accompagne l’écoulement de « l’épais liquide », comme
bataillons / De larves » si cela ne s’arrêtait jamais
Verbes d’action à l’imparfait : continuité de la vie qui sort de la mort ; caractère durable
sorte de mouvement permanent et de la vision (se plaît à contempler?)
perpétuel
Gradation dans la multitude : expansion du cadavre comme si de l’un naissait le
« tout cela », « enflé », multiple
« multipliant »
Verbes de mouvement : paradoxe absolu du cadavre vivant, effet fantastique
Strophe 6

« descendait », « montait »,
« s’élançait »
Comparaison « comme une vague » images issues de la nature avec idée de distribution,
et métaphore « souffle vague » d’expansion
Comparaison avec connotation B. file l’image de la naissance, commencée à la strophe
d’accouchement : « on eût dit que précédente : comme s’il y avait eu relation intime entre la
le corps, enflé […] vivait » femme et la nature (strophe 2), et que de cette union
naissait la vie
Allitération en [v] vibration, vrombissement des mouches = vie
Métaphores musicales : « étrange strophe lyrique, en décalage avec ce qui précède : il ne
Strophe 7

musique », « mouvement s’agit plus de provoquer (lier le beau et le laid) mais de


rythmique » faire émerger une nouvelle forme de poésie : montrer que
de la laideur surgit la beauté
Comparaison avec des éléments idée d’écoulement, qui poursuit la comparaison de
naturels : « comme l’eau courante et l’ « épais liquide » : continuité beau/ laid ou vie/mort.
le vent »
Lexique du mouvement : « agite », éparpillement de la vie aux quatre vents, dispersion dans
« tourne », « mouvement » la nature. Le son [B] rythme la strophe.
+ assonance en [B]
allitération en [v] vibration, vie
CL de l’oubli : « s’effaçaient », la mort comme disparition, dilution des formes et des
« oubliées », « souvenir » souvenirs
Métaphores artistiques : par opposition, l’art serait une manière de fixer des
Strophe 8

« formes », « ébauche », « toile », formes, afin qu’elles ne s’effacent pas. L’art serait une
« artiste » manière de dépasser la mort.
Métaphore : « l’artiste achève » fonction de l’artiste : unir ce qui se décompose,
rassembler les souvenirs éparpillés, les fixer pour
l’éternité sur sa toile ou dans un poème.
Cadre spatial : « derrière les retour au récit après la parenthèse lyrique des strophes 7
rochers » et 8 ; récit dur, avec sonorité rauque.
allitérations en [r] et [n]
Gradation : « Charogne » (§ 1) → gradation dans la décomposition : auparavant, la charogne
Strophe 9

« carcasse superbe » (§ 4) → « le était comparée à une femme, désormais, elle n’est plus
corps » (§ 6) → le « squelette » qu’un tas d’os.
GN « le morceau » fragmentation du cadavre qui part en morceaux : la mort
comme éparpillement
Enjambement : « reprendre… / Le continuité vie/ mort + la mort nourrit la vie (le squelette
morceau » nourrit la chienne)
e
3 mouvement : Les pouvoirs de la poésie
Tiret + adverbe adversatif marquent une rupture : après le récit, le poète semble
« pourtant » + retour au dialogue entamer une morale
avec le pronom « vous »
Futur de certitude « serez » certitude ironique et horrible
Comparaison « vous serez comparaison provocatrice et horrible, totalement en
Strophe 10

semblable à cette ordure / à cette décalage avec les mots d’amour traditionnels
horrible infection »
Apostrophes ronsardiennes : clin d’œil aux poètes de la Pléiade, notamment à Ronsard
« Étoile de mes yeux », « soleil de → Baudelaire signe ce poème comme étant une parodie
ma nature », « mon ange, ma de l’ « Ode à Cassandre » de Ronsard. Contraste
passion » (association de la femme saisissant entre l’évocation gothique de la mort et ces
aux éléments et au sublime) apostrophes lyriques.
Exclamation « Oui ! » confirmation presque joyeuse de la mort à venir
Réitération de la comparaison confirme de nouveau la décomposition future de la femme
« telle vous serez » aimée. Là encore, parodie du Carpe Diem de Ronsard,
dans l’« Ode à Cassandre »
Apostrophe lyrique : « ô la reine lyrisme décalé, humoristique → on est dans le registre
des grâces » héroï-comique (employer un style élevé pour aborder un
Strophe 11

sujet bas). Noter que les Grâces dans la mythologie sont


les déesses de la beauté. Idée que la beauté deviendra
laideur… mais heureusement, le poète est là pour fixer
cette beauté à jamais.
Futur de certitude « serez », aucun doute possible sur le devenir de la femme
« irez »
Indicateur spatial « sous l’herbe et la femme appartiendra au domaine du bas, de la boue ;
les floraisons grasses » + verbe mais dans le même temps, sa décomposition nourrira la
« moisir » vie (cycle vie/mort)
Apostrophe lyrique : « ô ma reprend l’apostrophe de la Reine des Grâces : effet
beauté » d’insistance sur sa beauté présente

Impératif présent « Dites » le présent rend réelle, présente cette mort comme si elle
était déjà là, l’actualise
Enjambement + expression de nouveau la continuité vie/mort (dans l’enjambement) +
employée au sens propre « à la union de l’Eros et du Thanatos (2 divinités de la
vermine / qui vous mangera de mythologie grecque, 2 principales pulsions selon Freud →
baisers » amour et mort imbriqués, inextricablement liés : l’amour
est inséparable de la mort)
Pronom de la 1re personne du 1re occurrence du « je » (employé auparavant dans un
singulier : « j’ai » « nous » qui associait la femme) → dissociation poète /
Strophe 12

femme aimée : elle est mangée alors qu’il garde sa forme


originelle
Opposition singulier / pluriel : le poète, par opposition à la femme, appartient au
« gardé la forme et l’essence domaine du divin, de l’or grâce à la poésie → l’artiste est
divine » / « mes amours celui qui réassemble ce que la mort a décomposé → il
décomposées » unit, il donne une forme unique à ce qui se désagrège.

Conclusion

Ce poème sonne comme un Memento mori et montre tout le pouvoir de la poésie qui arrache les êtres et
les choses au gouffre de la mort et à la réalité de la décomposition. Elle le fait par un processus très précis
: l'artiste ne peut retenir du réel que des impressions mortes, désignées ici par la figure du cadavre. Sa
sensibilité, son génie consiste à les ressusciter sous une forme sublimée. Le poète métamorphose la mort
en vie et, par son art, transforme le vulgaire, le banal, l'horreur en un chef-d'oeuvre. Mais ce poème se
révèle très novateur dans la mesure où les codes de la poésie traditionnelle (éloge de la beauté de la
femme aimée) sont complètement inversés ; il propose ainsi une réécriture de la poésie amoureuse et
s’émancipe, comme Rimbaud dans sa « Vénus anadyomène », des codes de la littérature.
Grammaire

Analysez les propositions dans les phrases suivantes :

2 PSR déterminative s PS Conjonctive complétive

2 PSR explicatives PS Conjonctive circonstancielle

PS Infinitive complétive

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, ce beau matin d'été si doux : au détour d'un sentier une

charogne infâme sur un lit semé de cailloux, les jambes en l'air, comme une femme lubrique, brûlante et

suant les poisons, ouvrait d'une façon nonchalante et cynique son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture, comme afin de la cuire à point, et de rendre au centuple à la

grande Nature tout ce qu'ensemble elle avait joint. Et le ciel regardait la carcasse superbe comme une

fleur s'épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l'herbe vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, d'où sortaient de noirs bataillons de larves, qui

coulaient comme un épais liquide le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague, ou s'élançait en pétillant ; on eût dit que le corps, enflé

d'un souffle vague, vivait en se multipliant.


Texte 9/16 (1A) - Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Introduction

Publié en 1731, Manon Lescaut est un roman de l’abbé Prévost, qui raconte les amours contrariées
et tumultueuses d’un jeune homme de bonne famille, Des Grieux, et d’une jeune fille d’origine modeste,
Manon Lescaut. Réduits à employer des moyens malhonnêtes et immoraux pour vivre, ils tentent de
duper un riche et vieux libertin qui avait des vues sur Manon, M. de G*** M***, mais ils sont tous deux
arrêtés et incarcérés, Des Grieux à Saint-Lazare, et Manon à l’Hôpital Général. Des Grieux s’évade en
tuant un religieux, puis se lie avec M. de T*** pour faire évader Manon. Dans cet extrait, il exécute son
plan d’évasion, non sans maladresses.

Nous pourrons alors nous demander en quoi ce projet d’évasion particulièrement romanesque prend une
tournure comique.

Lecture
Mouvement 1 → la préparation de l’évasion, le travestissement de Manon (1-11)
Mouvement 2 → l’exécution du plan d’évasion (11-17)
Mouvement 3 → une péripétie à visée morale : un cocher cupide (18-26)
Nous pouvons constater que le texte suit trois mouvements. Le premier se concentre sur le
travestissement de Manon, depuis le début de l’extrait à « longueur insupportable » (l. 11). Le second
mouvement consiste en l’exécution du plan d’évasion, depuis « enfin » (l. 11) à « séparé de Manon » (l.
17). Enfin, le dernier mouvement porte sur les réticences du cocher, de « ce transport » (l. 18) à la fin de
l’extrait.

I – Le travestissement de Manon (« Nous retournâmes […] longueur insupportable », l. 1-11)


- Énumération de vêtements masculins : « du linge » (l. 1) ; « des bas » (l. 1) ; « juste-au-corps » (l. 1 ;
l. 4), « vestes » (l. 4) ; « culotte » (l. 5 ; l. 9), « surtout » (l. 2 ; 4 ; 10)
→ L’épisode apparaît comme vraisemblable. Le texte s’ancre dans la réalité de son temps, et renvoie le
lecteur à des éléments qui font partie de son quotidien.

- Manon destinataire des vêtements :


→ Préposition « pour » : « pour Manon » (l. 1)
→ COI : « Je lui donnai » (l. 4)
⇒ Insistance sur le travestissement de Manon : renvoie à un motif théâtral, propre à la comédie.

- Insistance sur l’oubli de la « culotte » : « excepté la culotte » (l. 5) ; « sans culotte » (l. 9).
→ Effet burlesque : sans cette pièce, une partie de l’anatomie masculine est exposée.
⇒ Burlesque < décalage entre la situation noble et le ridicule du personnage de Des Grieux, dont la
dignité dépend de quelques « épingles » (l. 10).
- Verbe « rire » : « L’oubli de cette pièce nécessaire nous eût sans doute apprêtés à rire » (l. 7)
→ Rappelle l’imaginaire de la comédie.
→ Subjonctif plus-que-parfait « nous eût apprêtés à rire » : les personnages ne peuvent pas rire dans le
contexte où ils sont. Cela dit, le rire est possible si l’on saisit l’image des amants sans culotte,
indépendamment du contexte.
⇒ Présence de comique au sein d’une situation romanesque et noble.

- Antithèse : « rire » (l. 7) / « embarras » et « sérieux » (l. 7)


→ Mélange des tons.

II – L’exécution du plan d’évasion (« Enfin […] séparé de Manon », l. 11-17)


- Connecteur logique + PS participiale complément circonstanciel de temps : « Enfin, la nuit étant
venue » (l. 11-12)
→ Rupture narrative et temporelle.
→ Connecteur « enfin » : souligne l’impatience de Des Grieux, et recentre l’attention du lecteur sur
l’action.

- Enchaînement rapide de propositions indépendantes : « ils montèrent tous deux à l’instant. Je reçus
ma chère maîtresse dans mes bras : elle tremblait comme une feuille » (l. 14-15)
→ Phrases / propositions brèves : impression d’un enchaînement rapide des actions.
→ Locution « à l’instant » : soudaineté.

- Verbe « toucher » répété (l. 16) : la demande d’information précise dans la PSII « où il fallait toucher »
trouve une réponse immédiate dans la phrase injonctive qui suit. Effet de précipitation.

- Discours direct : « Touche au bout du monde, lui dis-je, et mène-moi quelque part où je ne puisse
jamais être séparé de Manon » (l. 16-17). Variété, entre les descriptions, les successions d’actions, le
discours indirect et les dialogues.
→ Lyrisme (cf. fin de « À la musique ») : comique car dissonant avec la demande triviale et pragmatique
du cocher.
⇒ Cocher : demande précise d’information.
≠ Réponse de Des Grieux : déclaration d’amour + ordre solennel.
→ Mention de Manon : dans son élan amoureux, Des Grieux ruine ses efforts pour cacher l’identité de
Manon. Souvent sa candeur se couvre de bêtise.

III – Les réticences d’un cocher cupide (« Ce transport […] l’Hôpital même », l. 18-26)
- Article indéfini « un » : « un fâcheux embarras » (l. 18)
→ Nouvel épisode ; seconde occurrence du nom « embarras », qui désigne un véritable empêchement, un
obstacle.
→ Rupture exprimée par l’article, le passé simple et le GN anaphorique « ce transport », qui ne désigne
pas le voyage, mais l’emportement lyrique de Des Grieux, un trouble de l’âme causé par la violence des
passions.

- Discours indirect du cocher (l. 20-23) :


→ Attribut du sujet qui surprend le lecteur par son caractère brut, direct : « ce beau jeune homme qui
s’appelait Manon était une fille ».
⇒ Comique : ironie de la situation, le cocher pointant l’erreur commise par Des Grieux.
→ Evocation des scrupules moraux : verbes « craignait », « se perdre », GN « mauvaise affaire »,
⇒ Donne singulièrement une image d’homme honnête au cocher. Noter le rythme ternaire du discours
indirect.
⇒ Comique : ne sert en réalité qu’à extorquer plus d’argent au personnage.

- Terme « coquin » (l. 23) :


→ Définition (Furetière) : « Terme injurieux qu'on dit à toutes sortes de petites gens qui menent une vie
libertine, friponne, faineante, qui n'ont aucun sentiment d'honnesteté. »
→ Effet de réel : renvoie à la brutalité des rapports de classe au XVIIIe s.
⇒ Des Grieux parle avec condescendance, en homme habitué à être servi et à commander.

- Expression « filer doux » (l. 24) :


→ Définition : obéir humblement sans opposer de résistance.
→ Concerne le valet dans la comédie : ici, l’expression s’applique pourtant à Des Grieux.
⇒ Renversement du rapport de force maître-valet.

- Chute comique : « Il m’aurait aidé, après cela, à brûler l’Hôpital même » (l. 26)
→ Brièveté de la dernière phrase : contraste avec la longueur de la phrase évoquant les scrupules moraux
du cocher.
⇒ Invalide totalement le discours indirect concernant le cocher : elle renverse le point de vue que l’on
peut avoir sur le cocher. D’homme moral, il apparaît comme un escroc.
→ Hyperbole : « brûler l’Hôpital même »
⇒ Contribue à cet effet de chute comique : détruit l’image d’honnêteté du cocher.
Conclusion
Nous avons constaté, à travers le travestissement de Manon, la mise en marche du plan d’évasion,
et par les réticences du cocher, que nous avions affaire à un épisode particulièrement romanesque,
impliquant un travestissement, des imprévus et des frayeurs, mais aussi un héros qui, quoique courageux
et prêt à tout par amour, s’avère pour le moins maladroit et ridicule. Réalisme et comique, voire
burlesque, viennent ici discréditer le romanesque de l’épisode.
Loin d’être parfait et idéalisé, Des Grieux annonce déjà le héros réaliste du XIX e siècle par ses
failles, et l’on pourrait lui appliquer ici ce que Stendhal dit de Fabrice del Dongo, à la bataille de
Waterloo, dans La Chartreuse de Parme (1839) : « Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en
ce moment ».
Texte 10/16 (1A) - Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Introduction
Offrir aux lecteurs « un exemple terrible de la force des passions » : telle est l’ambition d’Antoine-
François Prévost dans ce roman majeur du XVIII e siècle. Le romancier, qui fut également un journaliste
engagé contre l’intolérance religieuse, propose ici une œuvre unique, qui marque le retour de la
sensibilité et des passions dangereuses dans un XVIIIe siècle rationaliste.
Publiée une première fois en 1731, corrigée et augmentée en 1753, l’Histoire du Chevalier des
Grieux et de Manon Lescaut (intitulé simplement Manon Lescaut dès 1742) est un roman-mémoires à
visée morale dans lequel le narrateur, qui n’est autre que le Chevalier des Grieux, retrace son amour
passionnel pour Manon Lescaut, femme de mauvaise vie qui entraînera le jeune homme sur la pente des
délits et du crime.
Notre extrait se réfère à un moment stratégique du roman, dans la mesure où il marque une rupture
a priori définitive entre Des Grieux et sa famille (seule attache à la société et à la norme qu’il détenait) :
lorsque Des Grieux apprend par le concierge du Châtelet que Manon doit partir pour l’Amérique et qu’il a
été libéré après un accord passé entre le vieux M. de G... M... et son père, il demande à ce dernier une
entrevue afin de le convaincre de sauver Manon. C’est dans le jardin du Luxembourg qu’il retrouve son
père, mais aucun argument ne parvient à le convaincre. Le passage que nous nous proposons d’étudier
constitue la fin de l’échange.
Dès lors, nous serons conduits à nous poser la question suivante : en quoi cette rupture familiale
renforce-t-elle la marginalité de Des Grieux ?
Afin de mener à bien notre analyse, nous étudierons de manière linéaire les 3 mouvements
successifs de notre passage :
1) Lignes 1 à 6 (« Je me jetai à ses genoux [...] que la tendresse et la douleur ? ») : le discours
pathétique de DG.
2) Lignes 7 à 12 (« Ne me parle pas davantage [...] son cœur était inflexible ») : l’agacement du père.
3) Lignes 12 à 20 (« Je m’éloignai de quelques pas [...] adieu père barbare et dénaturé ») : une
séparation irrévocable.

Explication linéaire
Citations + procédés littéraires Interprétation
1er mouvement : lignes 1 à 6 (« Je me jetai à ses genoux [...] que la tendresse et la douleur ? ») : le
discours pathétique de DG.
1-2

« je me jetai » : phrase simple, dynamisme de la scène représentée


brève + action ponctuelle au passé
simple
« à ses genoux » : GNP qui effet de pathos, dimension visuelle et théâtrale de la scène
transforme DG en personnage de
tragédie qui supplie
« Ah ! » : interjection qui exprime exprime la douleur, un désespoir que la raison de DG ne
une vive émotion parvient pas à surmonter
« endurcissez », « pleurs », DG essaie de persuader son père de prendre son parti ; il
« aimiez », « souffert » : champ met en valeur l’opposition de ses sentiments aux idées du
lexical des sentiments (antithèse). père.
« en les embrassant » : gérondif qui Caractère imagé de la scène, laissant planer un doute sur
transforme DG en personnage de la réponse du père : va-t-il céder aux instances de son
tragédie fils ?

« Hélas ! »: interjection exprime le désespoir et la déception de DG


« jusqu’à la mort » : GNP DG se sert du passé de son père et le flatte : il aurait tout
hyperbole accompli pour sa défunte épouse.

«souvenez-vous » : impératif inversion des rôles : le fils appelle le père, l’invite à


présent raisonner
COI « de ma mère » : distorsion de changement de point de vue : le fils oblige son père à
3-4

focalisation adopter le point de vue du fils malheureux


Phrase exclamative + adverbe DG fait appel aux sentiments de jeunesse du père
intensif « si », qui modifie
« tendrement »
5 occurrences du marqueur Insistance de DG qui se concentre à des fins
personnel de 2pl : 4 fois « vous » + argumentatives et persuasives sur le point de vue de son
1 fois « vos » père
3 questions rhétoriques DG se sert du passé de son père afin de le persuader du
consécutives (3-6). bien-fondé de sa requête, en pointant même l’égoïsme du
père (questions 2 et 3)
antithèse « tendresse » et l’adjectif « barbare » souligne l’apparente cruauté de son
« douleur » ≠ « barbare » père : l’aveuglement de DG est à son acmé
5-6

généralisation : emploi du pronom le fils se range du côté de la sagesse et de l’empathie, et


indéfini + présent de VG dans renvoie son père dans le camp des individualistes et des
« peut-on être barbare ? » cruels
L’auxiliaire « pouvoir », associé au Ce verbe permet à l’énonciateur d’interroger une
GIP « après avoir éprouvé » possibilité objective (modalité épistémique) : DG se
donne l’autorité intellectuelle dans la discussion
e
2 mouvement : lignes 7 à 12 (« Ne me parle pas davantage [...] son cœur était inflexible ») :
l’agacement du père.
GNP / CC manière « d’une voix Souligne le fort agacement d’un père heurté par les
irritée » outrances précédentes.
« tes désordres la feraient mourir de Le temps verbal rend plus présentes les mauvaises actions
douleur » (conditionnel présent + du fils + le père réagit vivement à l’inversion des rôles
hyperbole) opérée par DG
7-8

répétition du nom « douleur » À des fins rhétoriques : ce n’est plus celle de l’amant
éperdu, mais celle de la mère humiliée
impératifs (mode ou énoncés : au Le père fait acte d’autorité et reprend l’avantage en
nombre de 3 ; l. 7-10) coupant court à la tentative de son fils
« échauffe mon indignation » : Pas de recours aux connecteurs logiques, pour renforcer
asyndète l’opposition
« il m’importune » : asyndète Pas de recours aux connecteurs logiques, pour signifier
qu’un père n’a pas à se justifier devant son fils
« si elle eût assez vécu pour les Expression du pathétique : le père exprime à son tour,
voir » : corrélatifs et subj. +QP qui mais avec pudeur, sa tristesse
expriment une condition qui ne sera
9-10

jamais réalisée
Négation de la tournure transitive Inflexibilité et autorité du père
(« ne me fera + infinitif) + futur de
certitude
« Je retourne au logis ; je t’ordonne Brièveté d’une formule qui ne souffre aucune
de me suivre » : un alexandrin contradiction
oralisé, parallélisme ; parataxe
asyndétique
« ton sec et dur » : sorte de Ajoute à l’impression de sévérité
didascalies
11-12
Adverbe d’intensité « trop » Le fils rend compte vivement de l’impression que son
père a produite
Passé simple « intima » La réplique du père marque une étape importante : le
débat est désormais clos
e
3 mouvement : lignes 12 à 20 (« Je m’éloignai de quelques pas [...] adieu père barbare et dénaturé ») :
une séparation irrévocable.
« de ses propres mains » : CC Progression : le fils craint dorénavant un châtiment
manière corporel
Reprise du discours direct Effet de surprise : le fils reprend la parole alors que le
père a fermé la discussion
Mode impératif (expression de la Inversion des rôles qui témoigne de la folie dangereuse de
défense) DG
« en me forçant de vous désobéir » : Cette construction syntaxique met en valeur l’inclination
impossibilité logique (opposition de DG à se présenter comme le jouet d’une destinée
entre la modalité déontique et le malheureuse
12-15

COI « vous »)
Anaphore de « il » Insistance sur l’impasse où se trouve DG

« est impossible », « ne l’est pas DG ne choisira pas la voie de l’honneur filial et du code
moins » : répétition de la modalité d’honneur aristocratique, comme Rodrigue dans Le Cid. Il
épistémique cède à l’appel des passions, au risque de perdre son père.
« suive », qui rappelle « logis » Symbolique du chemin à prendre : 2 possibilités, le retour
au bercail, ou l’exil volontaire ?
« un éternel adieu » : mis en valeur Le lecteur comprend que DG se rachète un honneur en
par la dernière position dans réclamant la mort.
l’énoncé
GN en fonction de sujet : « ma Exagération du registre pathétique
mort »
Futur de certitude « fera » Volonté de DG : impressionner son père (veut-il encore le
fléchir ?)
16-18

PSR explicative « que vous Expression qui ajoute au mystère (mise en scène
apprendrez bientôt » ostentatoire du fils malheureux et incompris)
Adverbes « tristement » et « peut- Pathétique de la situation : DG cherche sans doute une
être » dernière fois à émouvoir son père qui, dans un accès de
compassion, pourrait gracier Manon
Apostrophe du père au fils Le jugement moral aboutit à une condamnation sans
nuance : le père renie son fils
Interrogation finale du père Caractère brutal et direct (pas d’inversion SV) : les
derniers mots de DG n’ont produit aucun effet !
Impératifs présents « va » + Rappellent ironiquement le « va » confiant et fier de don
« cours » Diègue à son fils (« Va, cours, vole, et nous venge ! »)
19-20

Répétition de l’adjectif « barbare ». Groupe qui forme une hyperbole : celle-ci met en relief
L’apostrophe le relie au synonyme l’aporie rhétorique du jeune homme, qui n’a plus que sa
« dénaturé » + position finale + haine à exprimer ; insulte, sous la forme d’un parallélisme
assonance en [a]. Parallélisme : de construction, le caractère naturellement bon et honnête
« adieu » + nom commun + 2 de l’aristocrate.
adjectifs coordonnés

Conclusion
Des Grieux souhaitait convaincre son père en s’entretenant avec lui et espérait échapper à la
désapprobation qu’il avait endurée lorsqu’il avait été contraint de rentrer au domicile familial. Si les deux
protagonistes évoluent, force est de constater que les figures d’autorité, auxquelles appartient le père,
constituent toujours des forces opposées à la liaison des amants.
La situation semble donc se répéter. Mais ici, Des Grieux, qui avait cédé en poursuivant ses études
au séminaire de Saint-Sulpice, s’affirme. La rupture est ainsi consommée pour le personnage qui peut
revendiquer son statut d’amant prêt au sacrifice, comme il montrera par la suite en s’embarquant pour
l’Amérique. Ce passage éminemment tragique annonce donc la perte morale du jeune noble.
Texte 11/16 (1A) - Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Introduction
Dans « L’Avis de l’auteur », Manon Lescaut, roman publié par l’abbé Prévost en 1731, se présente
comme « un exemple terrible de la force des passions » dont la conclusion révèle tout le tragique. Ce
roman relate les multiples aventures du chevalier des Grieux et de sa compagne, Manon Lescaut. Après
moult trahisons et réconciliations entre les deux amants, ces derniers sont déportés en Amérique, plus
précisément dans une colonie française où l’on envoie les marginaux. Le passage à commenter marque la
fin du temps heureux de la Nouvelle-Orléans, où les amants vivent en paix jusqu’à ce que le gouverneur
du village ne décide injustement de donner la main de Manon à son neveu, Synnelet. Après un duel
victorieux, Des Grieux mène alors Manon dans le désert où la jeune femme meurt d’épuisement.

Nous nous demanderons lors de cette explication comment la narration rend possible le
prolongement d’une union passionnée.

Nous nous intéresserons dans le premier paragraphe à la mort sublimée de Manon, avant de
constater, dans le second mouvement, la solitude de Des Grieux. Enfin, le dernier paragraphe invite à
étudier le récit paradoxal d’une union dans la mort.

I – La mort éludée et sublimée de Manon (premier §)

- 2e personne du pluriel + verbe à l’impératif présent : « N’exigez point de moi » (l. 1), « je vous
décrive » (l. 1) « je vous rapporte » (l. 1)
→ Appel à l’empathie de ses auditeurs (principalement Renoncour) et du lecteur, invité à partager les
sentiments de Des Grieux.

- Négation : « n’exigez » (l. 1) ; « ni » (l. 1)


→ Le récit d’une histoire qui n’est pourtant plus récente devient impossible à mener pour le narrateur.
⇒ La souffrance de Des Grieux, lié à l’être le plus cher qui motive toutes ses actions, se traduit par de
l’indicible.

- Ellipse temporelle au passé simple (évènement important, action bornée) : « je la perdis » (l. 2)
→ Récit impossible : Des Grieux ne peut se résoudre à raconter les derniers instants de Manon.
⇒ De nouveau, expression de l’ineffable, qui traduit la souffrance du personnage.

- Euphémisme : « je la perdis » (l. 2)


→ Difficulté à parler de la mort : est-ce l’expression d’un déni ? Ou toujours la souffrance qui retarde
l’arrivée de termes associés à la mort ?

- Subordonnée circonstancielle de temps : « je reçus d’elle des marques d’amour au moment même
qu’elle expirait » (l. 2-3)
→ Simultanéité : Manon donne son amour au moment où elle perd la vie. Insistance lyrique de l’adverbe
« même ».
⇒ Réhabilitation du personnage qui apparaît comme une femme aimante. Permet aussi à Prévost
d’ajouter à la morale du récit.

- Tonalité tragique : « perdis » (l. 2), « expirait » (l. 3), « fatal » (l. 3)
→ Terme « fatal » : renvoie au fatum (latin qui renvoie à ce qui « a été dit, dicté par les dieux ») de la
tragédie.
⇒ le fatum = le destin, qui emporte les personnages vers la mort.
→ Gradation : DG passe d’une mort euphémisée à l’expression de la fatalité.
⇒ Manon devient un personnage tragique, et donc sublimé, les personnages de tragédie étant
caractérisés par leur caractère hors-normes, et nobles.

- Complément du présentatif : « c’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre » (l. 3)
→ Sobriété : récit concis et épuré de la mort de Manon.
→ Tonalité pathétique : de nouveau, idée d’une incapacité, physique cette fois-ci (« force ») à faire le
récit de la mort de Manon.

II – La solitude de Des Grieux (§ 2)

- Marques fréquentes de 1re personne du singulier : « mon » (l. 5), « me » (l. 5), « je » (l. 6 ; l. 7)
→ Des Grieux ne peut plus dire « nous », comme lorsqu’il était avec Manon.

- Lexique religieux : « âme » (l. 5), « Ciel » (l. 5), « puni » (l. 6)
→ Des Grieux interprète l’événement comme une punition divine.
⇒ Marginalisation de DG : rejeté par la société (il finit anonyme en Amérique) et Dieu lui-même.

- Opposition entre le Ciel et Des Grieux : « il a voulu que j’aie traîné, depuis, une vie languissante et
misérable » (l. 6-7)
→ Valeur aspectuelle d’accompli (passé composé « a voulu » et subjonctif passé « aie traîné »). Mise en
valeur d’une conséquence présente d’une action passée.
→ Connotation péjorative de « traîné ».
→ « Il » : sujet de la principale : fatalité ; c’est Dieu qui choisit d’imposer une vie de misère à Des
Grieux.

- Terme « misérable » (l. 7) :


→ Exprime à la fois la douleur et la misère sociale.
⇒ Exclusion sociale.
→ Désigne aussi le péché, la bassesse morale : la vie misérable est celle du pécheur, du mécréant.
⇒ De nouveau, idée d’un personnage qui s’est dressé contre Dieu et en a été puni.

- Terme « languissante » (l. 7)


→ « Languir » : attendre la mort.
⇒ Des Grieux, dans une ultime inclination pécheresse, s’exclut volontairement de la vie.

- Adverbe « volontairement » (l. 7) : « je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse »


→ L’exclusion de DG est volontaire. La mort de Manon, la marginale, pourrait marquer son retour dans la
société, mais il fait le choix de demeurer dans la marginalité.
⇒ Contradictoire : il disait plus tôt que c’était une décision divine. DG refuse de se limiter à une finalité
tragique en choisissant les circonstances de sa mort.
→ Se présenter comme le jouet du destin : serait-ce la posture d’un personnage qui se veut
romanesque ?
III – L’enterrement, ou l’union des amants au-delà de la mort (§ 3)

- Possessif : « ma chère Manon » (l. 9) + assonance en [m] :


→ Lien indéfectible entre les deux amants, malgré la mort de Manon.

- Hyperboles : « plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage […] de ma chère Manon »
(l. 8-9) ; « après l’avoir embrassée mille fois » (l. 20)
→ Sensualité de la dernière étreinte : elle se fait pourtant dans la mort.

- Compléments circonstanciels de temps : « plus de vingt-quatre heures » (l. 8), « longtemps » (l. 22)
→ Opposition avec le récit de la mort (bref) : le récit de l’enterrement est long.
⇒ Des Grieux cherche à retarder le moment de la disparition définitive de celle qu’il aime.

- Autre hyperbole : « son corps serait exposé […] à devenir la pâture des bêtes sauvages » (l. 10-11)
→ Dramatisation du récit : Des Grieux transforme la mort de Manon en un événement pathétique et
tragique pour susciter la pitié du lecteur.

- Anaphore lyrique du « je » : 7 phrases consécutives commencent par « je » (l. 17-22) :


→ Registre pathétique mettant en valeur la solitude de DG et un enterrement long et pénible.

- Symbole pathétique : « je rompis mon épée » (l. 17) :


→ Épée : symbole de la noblesse.
⇒ DG sacrifie sa noblesse à Manon. Ce sacrifice suppose également qu’il ne compte pas réintégrer sa
classe sociale > il demeurera marginal et sans honneur (mort symbolique qui précède la mort effective).

- Groupe nominal qui sert de périphrase affective : « l’idole de mon coeur » (l. 18-19) :
→ « Idole » : dieu païen, à qui on rend des honneurs divins.
⇒ Parjure vis-à-vis du dieu chrétien : Manon est érigée par Des Grieux au rang de divinité.
⇒ La seule religion de Des Grieux est donc l’amour.

- Métonymie : « après avoir pris soin de l’envelopper de tous mes habits pour empêcher le sable de la
toucher » (l. 19-20) :
→ « tous mes habits » = Des Grieux : Des Grieux, en recouvrant Manon de la totalité de ses vêtements,
enterre une part de lui-même avec elle dans la fosse.
⇒ Symbole de son sacrifice total.

- Champ lexical de la passion : « embrassée », « ardeur », « parfait amour » (l. 20-21) :


→ Dernière étreinte des amants : elle est décrite avec précision et sensualité.
→ « Parfait amour » : renvoie à la « fin’amor » : en ancien français, cela signifie « parfait amour », et
désigne l’amour du chevalier pour sa dame (le chevalier est le serviteur de sa dame).
⇒ Manière d’ériger son couple avec Manon comme un couple romanesque, dans la lignée de Tristan et
Iseult.

- Imparfait de l’auxiliaire modalisateur de « résoudre » : « je ne pouvais me résoudre à fermer la


fosse » (l. 22)
→ Longueur de l’enterrement : Des Grieux dilate le temps, pour retarder le moment où il évoquera la
disparition définitive de Manon.
- Périphrase + répétition de l’adj. « parfait » : Manon est « ce qu’elle [la terre] avait porté de plus
parfait et de plus aimable » (l. 24-25)
→ Idéalisation de Manon dans le cadre de l’éloge funèbre (construction superlative).
→ Relative périphrastique : « ce que » : pronom « ce » (neutre) → Manon n’est plus humaine >
divinisation.

- Répétition de la volonté de mourir : « Mon dessein était d’y mourir » (l. 9) ; « j’invoquai le secours du
ciel, et j’attendis la mort avec impatience » (l. 26-27)
→ Intensité de la souffrance : il appelle la mort, par communion avec Manon.
→ Mais refus du Ciel : châtiment supplémentaire. Des Grieux est condamné à vivre seul.

Conclusion
Nous avons apprécié dans cet extrait comment la narration sublime la mort d’une héroïne à la
moralité controversée, avant de nous intéresser à la solitude de Des Grieux, et enfin à une inhumation
paradoxale qui scelle l’union des amants malgré la mort. Nous pouvons conclure que le récit de Des
Grieux réhabilite le personnage de Manon, et justifie la passion qu’il a eue pour elle.
L’émotion suscitée par la mort de Manon inscrit cette dernière dans la lignée d’héroïnes comme
Iseult ou Juliette, mais ici, l’amant survit à la disparition de la femme qu’il a aimée, et donc, peut la faire
revivre par ses mots : cette mort marque paradoxalement la naissance de Des Grieux narrateur
homodiégétique (le narrateur est lui-même personnage de l’histoire qu’il raconte), et par conséquent celle
du roman.
Texte 12/16 (1A) - Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Introduction

Également connu sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, ou de Bison Ravi (anagramme de son
nom), Boris Vian (1920-1959) est un écrivain français, ingénieur, poète, parolier, chanteur, critique et
musicien de jazz. Son roman le plus célèbre est L’Écume des jours, paru en 1947. Ce roman relate une
histoire qui tient davantage du rêve réaliste : Colin, un héros sans qualité particulière, change de vie en
décidant de tomber amoureux et en rencontrant Chloé. Le couple vit paisiblement, jusqu’à ce que Chloé
développe une maladie : un nénuphar dans le poumon droit.
L’extrait étudié est l’incipit du roman. Il développe donc la présentation de Colin, et la découverte
de l’univers dans lequel évolueront les personnages.

Sans négliger la fonction programmatique de cette entrée en matière quant à la suite du roman,
nous nous demanderons en quoi cet incipit inhabituel nous présente, en dépit d’un personnage assez
banal, un monde où la réalité semble tenir davantage de l’onirisme.
[lecture]

Nous verrons que le texte peut être divisé en deux mouvements : le premier étudie longuement la
toilette de Colin et permet de voir comment ce geste quotidien vire du banal au fantasque ; le second porte
davantage sur la dimension absurde des habitudes du personnage.

I – Toilette de Colin, de la banalité au fantasque (« Colin terminait sa toilette […] traces


d’humidité » ; l. 1-13)

- Imparfait : « Colin terminait sa toilette »


→ Entrée in medias res dans le roman : l’action est en cours.
→ Imparfait : peut également supposer une longueur de la toilette (superficialité du personnage ?).
→ Originalité de la séquence d’emblée introduite par la rareté d’un tel prénom (anglo-saxon) dans la
France des années 1940.

- Champ lexical de la toilette : « toilette », « bain », « serviette », « vaporisateur », « peigne »


→ Prosaïsme de la scène, tout à fait banale : il s’agit d’un jeune homme à sa toilette.

- Humour, expression de l’absurde : « une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son
torse dépassaient »
→ Début de confusion : contradiction entre l’adjectif qualificatif « ample » et le fait que seul le tiers de
son corps soit couvert + GN expansé extrêmement long, dont la précision contenue dans la PSR manque
de pertinence et d’efficacité.
⇒ Objet et vivant commencent à se mélanger. La description commence à basculer dans l’extravagance.

- Préposition « à » : « Il prit à l'étagère de verre »


→ Confusion syntaxique : on prend quelque chose « dans » une étagère, ou on le prend « à » quelqu’un.
⇒ Ici, le « à » suggère que l’étagère est vivante.

- Complément du nom « ambre » : « son peigne d’ambre »


→ Ouverture sur un univers chromatique riche.

- Couleurs : « cheveux clairs » > « filets orange »


→ Univers chromatique riche : les couleurs ne sont pas neutres, elles deviennent criardes.

- Comparaison homérique double : cheveux « pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une
fourchette dans de la confiture d'abricots »
→ les « filets » sont comparés à des « sillons » de « laboureur » : on pense aux métaphores rurales de la
poésie bucolique ou épique, mais on apprend que ces « sillons » sont tracés dans la confiture
(détournement par le burlesque).
→ Finalement on a affaire à une analogie crée à partir du lexique de la cuisine : « peigne d’ambre » =
« fourchette » // « longs filets orange » = « sillons dans de la confiture d’abricots ». Cette comparaison
bucolique établit un rapprochement amusant entre les « filets » de la chevelure et des « sillons » tracés
dans la confiture. L’effet comique provient de la correction que le narrateur apporte à cette comparaison
du laboureur, celle-ci n’étant pas appropriée à souligner la couleur des cheveux, mais seulement le sillon.
⇒ Multiplication des réseaux d’images pour décrire les cheveux, au point que l’on oublie que l’on a
affaire à des cheveux.
⇒ Réification du personnage.

- Verbe « s’armant », « tailla » : verbes supposant une certaine violence, ou du moins une atteinte à
l’intégrité physique.
⇒ Inquiétant, et intrigant compte tenu de la gaieté de l’univers mis en place.

- Complément d’objet de « tailla » : « les coins de ses paupières mates »


→ Nouvelle intrusion de l’absurde : il aurait pu s’agir de sourcils, mais il s’agit de la paupière, soit un
élément organique vivant et possiblement douloureux.
⇒ Premier choc de lecture.

- Complément circonstanciel de but : « pour donner du mystère à son regard »


→ Expression du but qui se justifie dans le monde du lecteur par la taille des sourcils ou le maquillage.
→ Cette justification de l’action de tailler les paupières, qui devient normale, relève de la banalité du
geste.
⇒ Le lecteur bascule dans un univers fantasque, où la taille des paupières devient la norme dans une
toilette.

- Complément circonstanciel de cause : « car elles repoussaient vite »


→ De nouveau, justification de la taille des paupières.
→ Bizarrerie anatomique car le verbe « repousser » s’applique aux cheveux, cils, sourcils, non à la peau.
⇒ Le corps humain obéit à de nouvelles règles dans l’univers de Colin.

- Complément circonstanciel de but : « pour vérifier l'état de son épiderme »


→ Étape normale d’une toilette : vérifier sa peau.
→ Terme « épiderme » : dissonant. Plutôt que de parler de « peau », Vian emploie un terme médical. Le
corps est perçu sous un angle technique, presque réifié.

- « Comédons » sujet : « En se voyant si laids […], ils rentrèrent prestement sous la peau »
→ Personnification : « se voir » et « rentrer » sont des verbes associés à des actions humaines.
⇒ Le corps de Colin est abordé de manière très détachée, presque technique, ce qui le réifie. À l’inverse,
certains éléments sont présentés comme vivants.
⇒ Confusion : monde où le vivant devient machine, et ce qui ne vit pas prend vie.

II – Une description atypique et absurde du personnage : « Dans la glace […] sur son garde-
manger » (l. 13-24)

- Complément circonstanciel de lieu : « dans la glace »


→ Rupture : déplacement du regard du narrateur du personnage à la glace.

- Pronom « on » : « on pouvait voir à qui il ressemblait »


→ Identité du « on » : peut inclure le narrateur, le lecteur.
⇒ Insistance sur le fait que Colin est ici perçu par un regard extérieur.
⇒ Description quasiment cinématographique : le regard porté sur la glace peut apparaît comme un
déplacement de caméra.

- Comparaison : Colin ressemble au « blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen »
→ Comparaison paresseuse et périphrastique à un acteur américain, Robert Hutton : malgré l’aspect
bizarre et totalement étranger de l’univers de Colin, il y a des échos avec l’univers du lecteur.
→ Fiction et réalité se mélangent.
→ Référence à un acteur/film : insiste sur l’aspect cinématographique de cette description.
→ Fascination de Vian pour la culture américaine, notamment le cinéma et le jazz (il s’agit ici d’un film
récent, de 1944, qui introduit les thèmes de la guerre, de la danse et du hasard des rencontres
amoureuses).

- Attributs du sujet : « Sa tête était ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint doré »
→ Énumération mécanique des parties du visage : tête > oreilles > nez > teint
⇒ Passage d’une vision globale du visage à une vision précise : mélange entre le genre du canon littéraire
(description d’un personnage, partie du corps par partie du corps) et gros plan cinématographique.
→ Ellipse du verbe « être » : description qui se fait de manière rapide, accélérée.
⇒ La description exacte du physique de Colin n’est pas ce qui intéresse le narrateur.

- Complément du nom « de bébé » : « il souriait souvent d’un sourire de bébé »


→ Aspect enfantin de Colin : du portrait physique découle un portrait moral. On devine une innocence,
une insouciance.

- Sujet « cela » : qui reprend « il souriait souvent d’un sourire de bébé » : « cela lui avait fait venir une
fossette au menton »
→ Absurde : une fossette est une particularité présente dès la naissance, et peut donner à celui qui en a
une une expression enfantine.
⇒ Ici, le rapport de causalité est inversé : c’est le sourire régulier qui provoque la fossette.
⇒ Idée d’un corps qui se modifie selon les habitudes du personnage : corps-objet.

- Énumération de caractéristiques mêlant le concret et l’abstrait : « Il était assez grand, mince avec de
longues jambes, et très gentil. »
→ Rupture avec la mention de « gentil » : mention de caractéristiques physiques « grand, « mince »,
« longues jambes ».
→ Introduction d’une caractéristique morale, « gentil », au terme de l’énumération.
→ « assez grand » + « à peu près » + « presque toujours » : 3 adverbes atténuateurs indiquent qu’il s’agit
d’un héros ordinaire et banal, pourquoi pas indécis ; leur situation et leur signification produisent dans ce
portrait un effet humoristique.
⇒ Description décousue, qui reflète l’aspect fou et fantasque de l’univers dans lequel évolue le
personnage.

- Le nom : « Le nom de Colin lui convenait à peu près »


→ Complément du nom : « de Colin » : le narrateur n’emploie pas le possessif « son ».
⇒ Impression que le nom, qui est également un élément important de l’identité, est mis à distance par
Colin, au même titre que son corps.
→ GN « le nom de Colin », fonction de sujet / pronom « lui » (Colin), COI.
⇒ De nouveau, distinction entre le nom et le personnage, quand les deux éléments devraient fonctionner
de concert.

- Adverbes qualifiant le parler de Colin : « doucement », « joyeusement »


→ Univers de gaieté et d’insouciance. Présentation d’un personnage optimiste et d’humeur égale.

- Contraste dans les compléments circonstanciels : « Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du
temps il dormait. »
→ « Presque toujours » : suppose que le temps où Colin n’est pas de bonne humeur est rare.
→ « Le reste du temps » : mis en valeur par la parataxe asyndétique (la routine est caractérisée par
l’insouciance).
→ « il dormait » : inaction cependant associée à la dépression (clinophilie).
⇒ Dissonance et confusion au sujet de l’humeur du personnage.

- « Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire »


→ Après celui des comédons, second adynaton insérant du merveilleux dans cette description réaliste,
afin de mettre en lumière le caractère fantaisiste et inventif du personnage.
→ Cette action incongrue termine le portrait de Colin ; elle est associée à deux faits absurdes (« sans
prévenir Colin », « l’eau tombait sur son garde-manger ») et participe d’un cadre spatio-temporel éloigné
de la France d’après-guerre, de la reconstruction.
- « grès cérame jaune clair »
→ nouvelle notation -précise- qui ajoute à la joie émanant du personnage, ainsi qu’à un certain
raffinement esthétique (dallage de qualité). Cette expression permet de souligner le caractère inventif et
fantaisiste de la narration.

Conclusion

Nous avons d’abord étudié la toilette de Colin, présentée comme un geste à la fois banal et
fantasque, avant de nous intéresser à la description, tout aussi atypique, du personnage. Nous pouvons
conclure que cet incipit multiplie les transgressions vis-à-vis de la logique narrative traditionnelle, si
attendue dans les incipit.
Si Colin semble mener une vie tout à fait ordinaire pour lui, il le fait dans un univers à la fois
coloré, insouciant, et inquiétant, où les contradictions peuvent coexister, mais aussi où les humains
semblent devenir des choses, et où les choses semblent s’animer. La plupart de ces contradictions sont
parlantes et semblent même programmatiques pour la suite du roman : en effet, la vie de Colin, d’abord
insouciante et rêveuse, va se transformer en un véritable cauchemar. Sa réification, amusante dans
l’incipit, ne fait d’ailleurs qu’annoncer la manière dont la société va l’exploiter, notamment quand Colin
devra utiliser son corps pour tiédir la terre, afin que des canons puissent pousser : il devient alors
littéralement de la « chair à canon ».
Texte 13/16 (1A) - Objet d’étude : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
Remarque : ce corrigé n’est pas rédigé intégralement, de manière à faciliter les révisions. Ne pas adopter
ce genre de présentation lors de la rédaction d’un commentaire organisé (épreuve écrite).

1. Présentation de l’extrait
En 1673, dans Le Malade imaginaire, Molière met en scène Argan, qui fait vivre son entourage au rythme
de ses maladies imaginaires et qui, par intérêt personnel, veut marier sa fille Angélique à un étudiant en
médecine. Ce texte est issu de la scène centrale de la dernière comédie du dramaturge ; une scène qui
confronte deux camps qui s’opposent au sujet du mariage d’Angélique.
Il s’agit ici du moment où Thomas Diafoirus, fils d’un médecin d’Argan, doit faire sa déclaration et
demande au bourgeois la main de sa fille.
De son côté, Cléante, jeune homme qui aime Angélique, a pu, grâce à Toinette, entrer dans la maison
d’Argan (il passe pour le remplaçant du maître de musique d’Angélique) ; il est donc contraint d’assister
au spectacle pathétique d’un jeune homme maladroit qui ne connaît sa future épouse que depuis quelques
instants.

2. Structure, mouvements du texte


Les deux mouvements que nous pouvons délimiter dans l’extrait : a) le compliment maladroit et
emphatique de Thomas (l. 1-21) ; b) les réactions contrastées de l’auditoire (l. 22-33).

3. Lecture expressive de l’extrait

4. Annonce de la problématique (projet de lecture)


Ma lecture commentée se propose de répondre à la question suivante : “Comment Molière suscite-t-il le
rire en représentant le danger d’un mariage arrangé ?ˮ

5. Explication linéaire
Le premier mouvement du texte est la tirade de l’étudiant en médecine, remarquable d’emphase et de
ridicule, qu’il faut imaginer prononcée sous un costume de médecin de l’époque (haut chapeau, fraise
autour du cou, habit long). Les gestes d’orateur mal maîtrisés, les accents à contretemps, les hésitations et
tremblements divers sont au nombre des particularités scéniques de l’extrait.
Le nom du personnage : le nom « Diafoirus », qui combine le préfixe grec dia, le suffixe latin à
connotation savante -us et le mot français réaliste foire (qui désigne aussi la diarrhée), souligne le ridicule
d’un apprenti médecin réduit satiriquement par Molière, comme son père, à la prescription de lavements.
D’emblée le spectateur saisit que Thomas n’est sorti ni des cours de l’Université, ni de l’emprise exercée
par un père autoritaire. Sa maladresse est exagérée à des fins comiques, et on rappelle qu’il vient de
prendre Angélique pour sa belle-mère, ce qui disqualifie de toute façon l’éloge qu’il s’apprête à énoncer.
Le « compliment » de Thomas est rigoureusement structuré et repose sur la syntaxe oratoire latine des
périodes : trois périodes, longues phrases présentant une phase ascendante plus longue (protase), un
sommet (« soleil » ; « astre du jour », « toute sa vie ») et une phase descendante (apodose). On l’a
compris, il ne s’agit pas d’un poème lyrique improvisé, mais d’une sorte de démonstration.

La 1re phrase se distingue par :


-la longue comparaison homérique (« ne plus ne moins…, tout de même », l. 2 et 5) ; cette comparaison,
pourtant bien entamée, est gâchée à la fin par l’expression redondante « soleil de vos beautés » (l. 7) ;
-cette image érudite se réfère aux colonnes de Memnon, au bord du Nil (l. 2-5) et à la légende qui leur est
associée ;
-l’emploi de l’expression archaïque, même à l’époque de Molière, « ne plus ne moins » (l. 2) : vient du
latin nec (« et… ne… pas »). « Ne » a été supplanté par « ni » dès le XVIIe s., mais Thomas emploie
l’ancienne forme à dessein, pour impressionner Angélique par un vocabulaire recherché.
Un personnage n’a pas pris la parole, alors même qu’elle est présente : Angélique. C’est la façon qu’a
choisie Molière de signifier l’inutilité et la vacuité de la déclaration du jeune Thomas, mais aussi de créer
un certain effet d’attente. Le spectateur peut imaginer une Angélique témoignant silencieusement d’un
certain dégoût.
Dans la 2e période (de longueur similaire à la première : 38 mots), nous constatons que le jeune homme
persiste dans sa volonté d’exposer son érudition et la maîtrise d’un discours complexe. Soyons sensibles :
-aux expressions hyperboliques (« sans cesse », « toujours », « son pôle unique » ; l. 9-10, 12, 14) qui
alourdissent le propos et donnent à la déclaration un caractère ampoulé.
-à l’emploi d’une nouvelle expression ancienne : « dores-en-avant » est pourtant supplanté dès le XVIe s.
par « dorénavant » !
-à une nouvelle comparaison, cette fois de nature scientifique : le jeune étudiant y décrit l’héliotrope (l. 7-
10) à l’intérieur d’une structure aussi longue que la première. L’emploi de l’expression générale « les
naturalistes remarquent » est empreinte de ridicule dans la mesure où les réactions de cette plante,
communément appelée « tournesol », sont connues de tous.
-à la redondance créée par le développement inutile de cette comparaison (« les astres resplendissants de
vos yeux », l. 12-13). Il faut aussi remarquer que l’association métaphorique beauté de la femme - astre
relève de la platitude poétique.
-au rythme ternaire qui caractérise l’énoncé de ces deux périodes (« Et comme les naturalistes remarquent
que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, // aussi mon cœur dores-en-avant
tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, // ainsi que vers son pôle
unique ») : ce rythme est habituellement adapté à la rhétorique argumentative. Son emploi suggère une
certaine maladresse qui s’oppose à la sincérité lyrique qu’on attendrait dans ce genre de situation.
-au comique de situation : Thomas fait allusion, dans un langage périphrastique et précieux (« vos yeux
adorables », « vos beautés » ; l. 7 et 13) au charme physique d’Angélique, alors qu’il vient de la
rencontrer !

La 3e période ne contraste en rien avec l’impression générale d’un discours amoureux qui manque sa
cible :
-la conj. de coord. « donc » relève de la démonstration ; celle-ci est pour le moins rudimentaire, car elle
revient à dire : « Vous êtes d’une beauté radieuse, par conséquent je vous sacrifie mon coeur ».
-une 3e comparaison cliché apparaît, celle du coeur porté sur l’autel de la dame (« j’appende aujourd’hui à
l’autel de vos charmes l’offrande de ce coeur », l. 15-17) : le déictique précieux (« ce » au lieu de
« mon ») et l’emploi du terme religieux spécialisé « appende » expriment une solennité exagérée.
-la phrase se termine par la formule administrative « votre très humble, très obéissant, et très fidèle
serviteur » complétée in extremis par « et mari » (l. 21), ce qui ôte à la déclaration toute spontanéité et
brise le rythme ternaire, si bien que l’effet de fermeture de la période est annulé.

Ce discours précieux, qui relève davantage de la récitation d’écolier que de la déclaration sincère, produit
des effets opposés sur les autres personnages, selon leur camp.
-Toinette, quoiqu’elle parle peu, joue un rôle important : ses courtes remarques ironiques (voir la
didascalie, l. 22) font d’elle le porte-parole discret de l’auteur et indiquent implicitement au spectateur
que cette scène est plus sérieuse qu’il n’y paraît. Aux lignes 22-24, dans la réplique « Voilà ce que c’est
que d’étudier, on apprend à dire de belles choses », on note la mise en relief par les deux présentatifs
« voilà » et « c’est », la virgule suppléant l’absence de lien logique causal entre les deux propositions,
ainsi que l’antiphrase « belles choses ». L’admiration est catégorique et ne trompe pas le public, puisqu’il
sait que le but de Toinette est d’empêcher ce mariage et de démasquer les intentions de Béline.
-Argan, au contraire, est sincèrement émerveillé, comme l’indiquent l’interjection « eh » et l’interrogative
enthousiaste (« que dites-vous de cela ? », l. 25).
-Cléante prend sur lui et donne le change, comme Toinette, sur un mode ironique : les deux propositions
complétives coordonnées («Que Monsieur fait merveilles, et que s’il est aussi bon médecin qu’il est bon
orateur») expriment une feinte admiration soulignée par les termes appréciatifs « bon » (répété), « fait
merveilles » et le sentiment exprimé au futur de certitude « il y aura plaisir à » (l. 26-30). Cléante cache
ses sentiments et emprunte l’hyperbole à Thomas afin de participer à la duperie orchestrée par Toinette :
quand le médecin est compétent, qu’il est doux d’être malade... Le public apprécie à ce moment le
comique de situation et la satire sociale.
-Aux lignes 30-33, Toinette imite la syntaxe conditionnelle adoptée par Cléante (« s’il fait d’aussi belles
cures ») pour mettre en valeur la déclaration de Thomas. Cependant, il ne faut pas oublier que l’adjectif
« admirable » (l. 31) signifie étymologiquement « étonnant », voire « surprenant » : il peut donc revêtir
une connotation ironique dans la bouche de qui l’emploie -cela est courant au XVII e siècle. De plus
l’adjectif « belles », associé à « cures », a de quoi surprendre : on n’attend pas des médecines qu’elles
aient quelque valeur esthétique, mais qu’elles s’avèrent efficaces ! Là aussi, on peut relever une forme
d’ironie de la part de la servante.

6. Conclusion
Pour Molière, la comédie se proposait à la fois de faire rire le public, mais aussi de l’instruire. C’est
pourquoi la scène, très efficace à la représentation, mêle les comiques de langage, de situation, de
caractère, mais elle est plus sérieuse qu’il n’y paraît : Molière y fait la satire des mœurs de son temps et
de certains contemporains. Ses cibles : l’ignorance admirant la pédanterie, les discours maniérés et
emphatiques, les médecins incompétents et cupides, les mariages arrangés.
Après avoir entendu le «contre-portrait» de Thomas par son père le docteur Diafoirus, Angélique recevra
deux présents déconcertants de la part de son futur époux : une «grande thèse roulée» et le spectacle
d’une «dissection» ! À ce moment du spectacle, le public se demande comment Angélique et Cléante vont
pouvoir se débarrasser d’un tel obstacle à leurs amours.

7. Question de grammaire (minutes 10’ à 12’)


Analysez les propositions dans la dernière phrase de l’extrait.

« Ce sera quelque chose d’admirable, s’il fait d’aussi belles cures qu’il fait de beaux discours. »

PP1 : proposition principale au premier niveau (à l’échelle de la phrase)


PP2 : proposition principale contenue dans la PS1 (« il fait de belle cures »)
PS1 : proposition conjonctive circonstancielle de condition (fait réalisable, éventualité proche de la cause)
PS2 : proposition conjonctive circonstancielle de comparaison (égalité)
Texte 14/16 (1A) - Objet d’étude : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle
Introduction
« Corriger les hommes en les divertissant », écrit Molière dans son « Premier Placet au Roi » pour
sa pièce Tartuffe (1664). Le théâtre n’est dès lors pas qu’un amusement : il a une dimension didactique,
voire satirique, que l’on retrouve dans Le Malade imaginaire, comédie-ballet représentée pour la première
fois en 1673. Argan, un hypocondriaque, est manipulé par les médecins et par sa deuxième femme,
Béline, la peur de la maladie pouvant servir leurs intérêts respectifs. Sa peur l’amène aussi à projeter de
marier sa fille, Angélique, à un médecin, et non à son amant, Cléante. Toinette demande à Béralde, le
frère d’Argan, d’intervenir en faveur de sa nièce. Dans cette scène, Argan et Beralde débattent de la
légitimité de la médecine. Cette dispute aboutit même à la convocation de Molière lui-même.

Nous pourrons ainsi nous demander dans quelle mesure cette confrontation entre les deux personnages
permet de nourrir une réflexion sur la nature même du théâtre.

Nous étudierons tout d’abord l’opposition du jugement entre les deux personnages (l. 1-30 : « Hoy !
Vous êtes un grand docteur [...] bonne maison que les médecins ») puis la radicalisation du discours
d’Argan face à la sagesse pondérée de Beralde (l. 31-55 : « Par la mort non de diable […] pour porter
son mal ») qui achève de ridiculiser le personnage et la médecine.

I – Opposition entre Argan et Béralde : un reflet de l’opposition entre médecine et théâtre (l. 1-30)

1. Réplique 1 : Argan
- Interjection familière et exclamation : « Hoy ! » (l. 1)
→ Ironie agressive d’Argan.

- Hyperbole à dimension antiphrastique : « vous êtes un grand docteur » (l. 1)


→ Intensification de la satire d’Argan envers Beralde.

- Conditionnel : « je voudrais bien qu'il y eut ici quelqu'un de ces Messieurs » (l. 2-3)
→ Aveu de faiblesse : Argan n’arrive pas seul à réfuter le jugement de son contradicteur et formule le
souhait d’avoir le secours de « quelqu’un de ces Messieurs ».

2. Réplique 2 : Béralde
- Pronom tonique « moi » (l. 4) + apostrophe « mon frère » (l. 5)
→ Béralde marque sa différence, sur le fond, avec son frère, tout tout en essayant de le calmer.

- Phrases complexes : « je ne prends point à tâche de combattre la médecine, et chacun à ses périls, et
fortune, peut croire tout ce qu'il lui plaît. » (l. 5-8)
→ Phrase complexe : 2 propositions coordonnées par « et » + présence d’une subordonnée relative « ce
qu’il lui plaît ».
⇒ Béralde est calme et tempéré : les phrases bien construites reflètent sa pensée. Il incarne l’idéal
ordonné et mesuré de l’honnête homme classique. Il marque sa différence avec son frère par la forme.

- PSR : « ce qu’il lui plaît »


→ Tolérance et ouverture du personnage pour ne pas déclencher la colère de son frère.

- Négation exceptive de restriction : « ce que je dis n’est qu’entre nous » (l. 8)


→ Rappelle à Argan l’intimité du dialogue afin de favoriser un échange calme.

- Verbes : Béralde dit à Argan vouloir « [le] tirer de l'erreur où [il est] ; et pour [le] divertir […] Molière »
(l. 9-11)
→ Double impératif classique : placere et docere (« plaire et instruire ») : Beralde rappelle la fonction
divertissante des comédies de Molière, mais aussi celle d’éclairer les consciences.
- Stichomythie (parallélisme de construction entre 2 répliques) : à « quelqu’un de ces messieurs » (l. 3)
répond « quelqu’une de comédies » (l. 12-13).

3. Réplique 3 : Argan
- Possessif : « votre Molière » (l. 13-14)
→ Argan refuse d’être associé au dramaturge : refus méprisant de la proposition de son frère.

- Attribut du sujet : « c’est un bon impertinent » (l. 13)


→ Impertinent : « qui ne parle ou n’agit pas selon la raison » (Furetière).
⇒ Ironique : le personnage le plus déraisonnable de la pièce est celui qui émet cette critique. Cela
contribue à le ridiculiser davantage, et à l’inverse, à faire ressortir le bon sens de Molière.

- Antiphrase : « je le trouve bien plaisant d’aller jouer » (l. 14-15)


→ D’autant plus savoureux que c’est Molière lui-même qui jouait le rôle d’ Argan en 1673.
→ « Je le trouve » : appréciation personnelle d’Argan, mais aucun argument objectif à avancer contre
Molière.

4. Réplique 4 : Béralde
- Isolexisme « médecin »/ « médecine » : « Ce ne sont points les médecins qu’il joue mais le ridicule de la
médecine » (l. 17-18).
→ Béralde nuance son propos, fait preuve de subtilité.

- Mention du « ridicule » :
→ Béralde souligne la puissance du théâtre comme moyen d’élever les hommes selon la devise latine :
castigat ridendo mores (« il punit en se moquant des mœurs »).

5. Réplique 5 : Argan
- Amplification : « bon nigaud » → « bon impertinent » (l. 21) + répétition du groupe « un bon
impertinent ».
→ Colère croissante d’Argan, mais le niveau de d’argumentation ne progresse pas.

- Opposition : « médecin » (associé à la louange) et « théâtre » (blâmé) (l. 22-24) :


→ Dimension sociale : les comédiens étaient déconsidérés au XVIIe siècle.
⇒ Au blâme du théâtre s’oppose la tournure laudative, en décalage avec ce à quoi le public assiste depuis
le début de la pièce : « personnes vénérables comme ces Messieurs-là » (l. 24-25).

6. Réplique 6 : Béralde
- Question rhétorique : « Que voulez-vous qu'il y mette, que les diverses professions des hommes ? » (l.
26-27).
→ La visée dénonciatrice du théâtre est montrée comme une évidence : évoquer les vices associés aux
diverses professions va de pair avec la comédie.
→ Épithète « diverses » : potentiel du théâtre qui peut évoquer une infinité de thèmes, liberté
consubstantielle à la comédie.
- Mention des « princes et des rois »
→ Absence de limite à la dimension satirique du théâtre de Molière.
⇒ Célébration de la force de son théâtre.

II – Radicalisation des positions : ridiculiser la médecine en ridiculisant Argan (l. 31-55)

7. Réplique 7 : Argan
- Interjection : « par la mort non de diable »
→ Hybris d’Argan, colère montante dans l’expression de l’opposition.
- Conditionnel présent : « vengerais », « laisserais, « aurait », « ordonnerais », « dirais » (l. 32-37).
→ Désir d’Argan de se métamorphoser en médecin vengeur qui condamnerait Molière sans même le
secourir.
⇒ Comique : inversion du serment d’Hippocrate.

- Palilogie (répétition immédiate) du verbe à l’impératif « crève » (l. 37)


→ Familier : le serment d’Hippocrate détourné laisse place à une violence inouïe → comique + peinture
cruelle d’un hypocondriaque qui craint presque par superstition toute personne qui critique la médecine.

- Répétition de la structure superlative : « pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement » (l.
36-37).
→ Comique de répétition : rappelle la scène d’exposition, quand Argan calcule le prix qu’il paiera pour
ses traitements.
→ Comique de situation : le public a depuis longtemps compris que les « lavements » et « saignées » sont
peu efficaces ; or, Argan présente ces actes comme d’incroyables opportunités.
→ Ce parallélisme permet de souligner qu’Argan refuserait tout secours à Molière. Le comique tient au
fait que compte tenu des thèses défendues par Molière, celui-ci se passerait volontiers de saignées et de
lavements. À l’inverse, cela met l’accent sur la dépendance d’Argan à ces traitements.

- Allégorisation de la « Faculté » (l. 39).


→ Argan, dans son aveuglement, divinise le corps médical et rend blasphématoire toute critique.

8. Réplique 8 : Béralde
- Présentatif : « Vous voilà bien en colère contre lui » (l. 40-41).
→ Calme de Béralde : il se contente de constater de manière claire et lucide la colère de son frère.
⇒ Effet de contraste : accentue la démesure d’Argan.

9. Réplique 9 : Argan
- 4e insulte (« malavisé », adjectif de la l. 42).
→ Argan ne présente pas de nouvel argument ; il se contente d’injurier Molière.

10. Réplique 10 : Béralde


- Phrase comparative : « Il sera encore plus sage que vos médecins » (l. 44).
→ Tournure laudative : Béralde inverse la tendance, alors qu’Argan blâmait les comédiens.
⇒ Discours subversif : l’homme de théâtre est présenté comme supérieur aux hommes de science.
⇒ Catharsis théâtrale : le théâtre peut lui aussi peut guérir l’âme des tourments intérieurs.
→ Possessif : « vos médecins » : rappelle le « votre Molière » d’Argan. Béralde se distingue alors des
médecins, et insiste sur le fait que sa vision est irréconciliable avec celle d’Argan. Le futur simple est lui
aussi employé en réponse à la réplique précédente.

- Expression de la cause : Molière est plus sage « car il ne leur demandera point de secours » (l. 45-46).
→ Paradoxe comique : Béralde retourne la sagesse qu’Argan attribue aux médecins (« si les médecins
sont sages » (l. 42-43), car pour guérir, il faut refuser d’être soigné !

11. Réplique 11 : Argan


- Phrase courte « Tant pis pour lui s’il n’a point recours aux remèdes ».
→ Incapacité d’Argan à développer un argument qui contre l’ironie précédente : Argan n’a pas compris
que Béralde accusait la malignité de la plupart des « remèdes » !

12. Réplique 12 : Béralde


- Négation restrictive, à propos des remèdes : « cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robustes, et qui
ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie » (l. 51-53).
→ Nouveau paradoxe : pour survivre aux remèdes, il faut être en bonne santé.
- Long discours indirect : « il soutient que cela n’est permis […] que pour lui il n'a justement de la force
que pour porter son mal » (l. 50-55).
→ Opposition mise en valeur par les 2 propositions subordonnées complétives du discours indirect.
→ Paradoxe amusant de la situation dramatique : Béralde apparaît comme un intime de Molière, à même
de répéter ses mots, alors qu’Argan est incarné par Molière lui-même.
→ Part de vérité autobiographique : Molière est malade, épuisé, et semble créer ici les conditions d’une
mise en scène de sa mort.
⇒ Pièce qui parle de son auteur, qui se bat contre son mal, mais ne trouve, contrairement à Argan dont les
maux sont imaginaires, aucun remède capable de le soigner.

- « Raisons » de Molière : « il a ses raisons pour n’en point vouloir » (l. 49)
→ Ces paradoxes sont rattachés à la raison, qu’incarne Beralde.
⇒ Molière n’est pas un « malavisé », ou un « impertinent », comme le souligne la réplique d’Argan, qui
s’avère bien le personnage le plus sot de la pièce.

Conclusion
Nous avons d’abord constaté une opposition entre les frères, qui permettait l’opposition entre
science et théâtre, avant de voir comment Argan, cédant à la colère et à la violence, bascule dans le
ridicule et entraîne avec lui la médecine. Nous pouvons conclure que cette scène comique repose, certes,
sur une opposition de caractère, mais permet au lecteur/spectateur de réfléchir également sur le pouvoir
du théâtre. La scène s’éloigne d’ailleurs par moment du comique pour devenir touchante, notamment
puisque le mal évoqué dont souffre Molière est réel.
Celui-ci mourra d’ailleurs la même année (le 17 février 1673), des conséquences d’une pleurésie,
quelques heures après sa quatrième interprétation du rôle d’Argan dans Le Malade imaginaire.
Texte 15/16 (1A) - Objet d’étude : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle

Ce corrigé n’est que partiellement rédigé.

1. Présentation de l’extrait
« Corriger les hommes en les divertissant » est la devise que Molière énonça dans son Premier
Placet au Roi au sujet de Tartuffe (1664). Sa conception du théâtre ne se limite pas à un simple
amusement mais présente une dimension didactique voire satirique, faisant de ses nombreuses comédies
de véritables apologues. Qu’il s’agisse de la critique de l’aveuglement religieux dans Tartuffe, de
l’hypocrisie et des rapports humains dans Le Misanthrope ou de la morale dans Dom Juan, Molière
apparaît comme une figure subversive au cœur du XVII e siècle classique. Le Malade imaginaire,
comédie-ballet représentée pour la première fois en 1673, s’inscrit dans un autre topos théâtral, celui de la
critique de la médecine.
Argan, hypocondriaque invétéré, est en effet manipulé par les médecins et sa deuxième femme,
qui profitent de sa peur intrinsèque de la mort pour le manipuler et lui soutirer de l’argent. Dans la scène
III, 12, Toinette a convaincu Argan de « contrefaire le mort » afin de prouver à son frère Béralde les
bienveillantes intentions de Béline à l’égard de son époux. Bien entendu, Toinette œuvre sournoisement
pour un maître victime de son aveuglement devant la cupidité de Béline. Celle-ci vient donc d’apprendre
le décès d’Argan.

2. Lecture expressive de l’extrait


Insister sur la dissimulation et l’ironie de la servante Toinette, la satisfaction de l’avidité de Béline et la
colère d’Argan.

3. Structure, mouvements du texte


Voici les trois mouvements que nous pouvons délimiter dans l’extrait : a) un portrait à charge
d’Argan (l.1-15) ; b) le projet de Béline (l. 16-28) ; c) la première étape du dénouement (l. 29-43).

4. Annonce de la problématique (projet de lecture)


Comment Molière fait-il de Toinette un personnage central de la comédie ? Comment ce personnage nous
rend-il complices de ses stratagèmes ?

5. Explication linéaire
a) Portrait à charge d’Argan (1-15)
-Explication du titre : on peut l’entendre de deux manières (celui qui se croit malade / celui que son
épouse croit malade), dans la mesure où Béline ne semble pas étonnée de la nouvelle et ne cherche pas à
savoir les causes du décès.
-Apprécier la valeur de la double énonciation : a) Argan va entendre ce que dit Béline sans qu'elle le
sache ; Argan va donc accéder aux mêmes informations que le public. b) Toinette joue la discrétion et
redevient une domestique docile dans la première réplique du passage (le verbe d’opinion à l’imparfait
« pensais », à la l. 1, exprime une sorte d’humilité ; il est associé au titre « Madame », placé en incise).
Toinette, qui d'habitude s'exprime beaucoup, intervient peu dans cette scène, afin de laisser Béline
s'exprimer le plus longuement possible, et ainsi qu'elle livre à Argan et au spectateur la noirceur de ses
intentions.
-La réplique de Béline est d’abord marquée par le détachement : expression familière « va, va », l. 3 ;
associée au pronom neutre « cela », très péjoratif car il représente avec distance la mort de son époux.
-Suit une question oratoire dont la fonction est également de réifier Argan (« de quoi servait-il », l. 5).
-Caractère cupide, vénal de Béline : se lit dans l’emploi des termes « valait » et « perte » (l. 3 et 4).
-Le portrait d’Argan se distingue par la vivacité qui caractérise toute phrase averbale (le verbe conjugué
sous-entendu étant « était » : « Argan était…, l. 5-13) et par la figure de style d’insistance :
l’accumulation.
-Celle-ci additionne treize défauts ! On remarque que les défauts relèvent à la fois de l’humeur générale
d’Argan, de sa santé et des conséquences des remèdes appliqués à son corps. Outre les termes dépréciatifs
(adjectifs verbaux, adjectifs qualificatifs, GN, participes présents), le public est sensible à l’expression de
l’intensité et de la fréquence (« sans cesse », l. 7 et 11 ; groupe pronominal « tout le monde », l. 6 ;
expressions adverbiales « toujours », l. 10 et « jour et nuit », l. 12).
-La synthèse suivante (présentatif « voilà » de la l. 14) montre l’ironie de Toinette (antiphrase contenue
dans « une belle oraison funèbre ») ; elle s’adresse davantage au public qu’elle oriente, si besoin en était,
vers l’interprétation d’une Béline ingrate et hypocrite.

b) Le projet de Béline (16-28)


Le portrait est extrêmement cruel : Béline ne tient pas compte de la détresse psychique d’Argan et
recouvre bien vite ses esprits. Elle élabore d’emblée un plan d’action.
-L’expression « exécuter mon dessein » (l. 17) dévoile aux oreilles d’Argan les réelles visées de Béline,
qui a fait le nécessaire pour s’emparer de la fortune d’Argan à sa mort (fin de l’acte I).
-Béline adopte un ton assuré ; la modalité injonctive suggère qu’elle compte sur les services de Toinette
pour mettre la main sur les biens de son époux (« Il faut », l. 16 ; « tu peux me croire », l. 18).
-Le GNP « par un bonheur » (l. 19-20) affirme cette fois explicitement que le décès d’Argan la réjouit et
lui offre une perspective d’enrichissement immédiat, à condition que le secret soit gardé (« tenons cette
mort cachée », l. 21).
-Dans le même temps, le public constate avec des sentiments contrastés le rabaissement d’Argan → ''la
chose'' (l. 21) a la même fonction réductrice que le pronom démonstratif ''cela'' et le GN ''cette mort'' (l.
22). Ces termes, neutres ou exprimant une distance chargée de mépris, accusent ouvertement Béline.
-Reprise du champ lexical des biens ou du patrimoine (« argent » ; « affaire » ; « fruit ») : Béline veut au
plus vite signer les papiers auxquels Argan, se croyant malade, a souscrit.
-Les deux dernières phrases sont courtes, nerveusement ponctuées et scandées par les injonctions faites à
Toinette, de la ligne 21 à 27 (« portons » ; « tenons » ; « viens », « prenons ») : Béline veut agir vite et ne
négliger aucun calcul. Hélas pour elle, le dernier calcul (elle veut s’emparer de « toutes [l]es clefs »
d’Argan, l. 28) aboutit à une réaction immédiate d’Argan qui se redresse, sorte d’habile transition vers la
première étape du dénouement.

c) La première étape du dénouement (29-43)


Ce portrait amusant par son caractère caricatural est conçu pour mettre fin à la naïveté d'Argan à l’égard
de sa femme. Aussi le public assiste-t-il à un retournement de la situation de Béline, qui s’avère une piètre
metteuse en scène par comparaison avec Toinette.
-La didascalie de la l. 29 et l’adverbe « doucement » (l. 30) indiquent sans ambiguïté l’accès à la lucidité
d’Argan.
-La confrontation avec Béline est matérialisée par la didascalie « surprise, et épouvantée » (l. 31) et
l’interjection « ahy ! » à la ligne suivante.
-La mise en relief « c’est ainsi que » (l. 34) et le type interrogatif permettent à Argan de réaffirmer son
autorité et sa prise de distance : le spectateur comprend que Béline ne peut plus désormais exercer son
influence sur Argan.
-Toinette aussi se révèle ; elle ne réprime que discrètement sa satisfaction (répétition de l’interjection
« ah! », l. 35). Le public apprécie ce commentaire que lui-même aurait pu énoncer, sous la forme d’un jeu
de mots relevant de l’adynaton, car il exprime un fait impossible : « le défunt n’est pas mort » (l. 35-36),
sommet comique du passage.
-La marche vers une résolution dramatique se poursuit. Une didascalie nous apprend la sortie de Béline :
Argan peut à son tour accabler son épouse de reproches teintés d’ironie (« je suis bien aise », l. 37-38 ;
« voir votre amitié », l. 38 ; « beau panégyrique » = discours élogieux soulignant les qualités d’une
personne, l. 39). Il savoure amèrement sa victoire, qui consiste à accéder à la conscience pleine de la
réalité : il n’est pas aimé pour ce qu’il est ; on se plaît et on a intérêt à le savoir angoissé par la maladie.
-L’expression spécialisée « avis au lecteur » (l. 41) et les futurs de certitude, soulignés par la double
subordonnée relative, annoncent cependant un revirement. Mais le mystère demeure : le GN « bien des
choses » ne désigne pas directement quelque action qu’Argan aurait résolu d’accomplir. Certes le public
attend que la situation d’Angélique s’améliore.

6. Conclusion
La scène III, 12 nous a permis d’apprécier le rôle central que Molière a confié à son personnage, son
véritable double dans cette « comédie dans la comédie » : Toinette. En effet, après Argan, c’est à Béline
de faire les frais de ses stratagèmes.
Elle ne s’arrête pas là en cette fin de scène, et invite son maître à rejouer ce douloureux rôle du défunt,
cette fois sous les yeux d’Angélique. À la fin de cette nouvelle comédie, le maître de maison prendra
conscience des sentiments filiaux de sa fille, et renoncera au mariage arrangé.

7. Question de grammaire
Analysez les propositions de la dernière phrase de l’extrait.
Texte 16/16 (1A) - Objet d’étude : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle

Corrigé sous forme de commentaire composé.


Le Songe d’une nuit d’été est une pièce écrite par Shakespeare vers 1596. On rattache volontiers
cette comédie au mouvement humaniste, courant européen né en Italie au XVI e siècle qui place l’homme
et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres, tout en tirant ses méthodes et sa philosophie de
l’étude des textes antiques. L’action de cette comédie se déroule dans une Athènes plus mythologique
qu’antique, ainsi que dans un bois voisin, fréquenté par des créatures surnaturelles. La pièce est une
fantaisie littéraire dans laquelle le roi d’Athènes, Thésée, doit épouser la reine des Amazones, Hippolyte,
tandis que l’intrigue fait intervenir le thème d’un mariage forcé, un ensemble de fées et, ce qui nous
intéresse ici, un groupe d’artisans.
Nous allons en effet observer un extrait de cette pièce (acte III, scène 1) dans lequel une petite
troupe d’amateurs (Bobine, Groin, Meurt-de-Faim et Lecoin) essaie de préparer une pièce tragique en
l’honneur du mariage du « duc » d'Athènes. Celui qui tiendra le rôle principal (le Pyrame du drame
antique Pyrame et Thisbé), Bobine le tisserand, est un homme simple, d’une intelligence et d’une culture
limitées, mais d’une volonté si communicative que ses collègues lui témoignent une solidarité non feinte.
L’extrait nous invite à nous poser la question de savoir comment Shakespeare arrive à susciter la
réflexion sur les fonctions du théâtre, tout en faisant rire son public.
Nous consacrerons le premier temps de notre commentaire à l’évocation d'une troupe de théâtre à
la fois concernée et craintive. Nous examinerons ensuite comment s’exprime, dans une mise en abyme
comique, la méconnaissance de la notion d’illusion théâtrale.

Shakespeare place son public devant une scène déroutante, oscillant entre la répétition par des
élèves d’un spectacle de kermesse et un débat littéraire des plus sérieux sur la question du représentable
au théâtre.
Les noms des personnages soulignent d’emblée leur appartenance aux catégories sociales
populaires et indiquent aux spectateurs leur potentielle difficulté à saisir les enjeux dramaturgiques. Le
terme « Bottom », par exemple, signifie « bobine » et permet d’identifier le personnage comme un
tisserand, métier qui n’a pas de rapport direct avec l’art théâtral. Il en va de même pour « Lecoin »,
traduction de l’anglais quince, qui sert désigner le coin du charpentier. Néanmoins les artisans font part
d’un certain enthousiasme devant le débat initié solennellement (« Qu’avez-vous à répondre à cela ? », l.
3-4) par le chef de troupe Bobine. L’atteste en effet la réponse averbale sur le mode exclamatif, dans
laquelle le chaudronnier Groin emploie le juron « Par Notre-Dame » associé au groupe nominal « une
peur terrible » : cette réplique exprime à quel point toute la troupe semble concernée par la réception de la
pièce. La réplique suivante, prononcée par Meurt-de-Faim sur un ton empreint de gravité, explique à son
tour qu’il va falloir amputer la pièce de son final en lui ôtant ce qu’elle comporte de tragique (ligne 8 :
l’auxiliaire modal « devoir » suivi du verbe « renoncer »), sanction dont on peut s’amuser, si l’on
considère qu’elle vient d’un artisan tailleur. De même, à la ligne 15, c’est au tour de Lecoin de manifester
son intérêt pour la solution du prologue explicatif, que Bobine vient de trouver (« Bon »). À son tour, le
personnage contribue à déterminer les conditions d’un accueil chaleureux et serein de Pyrame et Thisbé :
ce prologue « devra être écrit en vers de huit et de six syllabes », comme une ballade, afin que le rythme
adopté par le comédien rassure le public. Le futur de certitude et l’auxiliaire modal « devoir » répété
soulignent ici la volonté commune de formaliser pour ne négliger aucun détail.
La progression du texte invite à interpréter le comportement de ces dramaturges mal dégrossis
comme celui d’une troupe peu à peu gagnée par la peur. En effet, Bobine renchérit de manière ridicule à
la ligne 18, au moment de son injonction aberrante (de faire se succéder des vers de huit… et de huit
syllabes !) ; ce qui compte aux yeux de la troupe, c’est de témoigner une envie partagée de créer la pièce
parfaite, mais aussi peut-être de se rassurer elle-même. La passion l’emportant devant la réflexion, Groin
ne relève pas l’absurdité et relance la discussion : la mort n’est pas le seul motif effrayant, voici à présent
la question du lion qu’est censée apercevoir Thisbé, avant de prendre la fuite. Adoptant après Bobine le
point de vue du public féminin, prétendûment plus sensible, Groin -rejoint par Meurt-de-Faim- s’implique
émotionnellement. Notons par exemple les emplois du déterminant « ces » devant « dames », de la phrase
de forme interro-négative (l. 20), du pronom démonstratif représentant « cela » et des deux marqueurs de
première personne (l. 22). D’une manière générale, la troupe apparaît comme concernée et
paradoxalement elle-même effrayée à la fin d’un extrait qui aura emprunté au champ lexical de la peur
(« supporteront » ; « peur » ; « frayeur » ; « auront peur » ; « ai peur » ; «effrayante » ; « terrible » répété),
à la modalité déontique (« dois » ; « devons » répété ; « pas le moins du monde » ; « devra » ; « faudra »),
à la prière même (« par Notre-Dame » ; « je vous jure » ; « Dieu nous préserve »).
Mais l’art de Shakespeare consiste à faire cohabiter ce caractère impressionnable, qui prend le pas
sur l’ethos du dramaturge, avec l’expression de la plus désarmante méconnaissance des conditions de
l’illusion théâtrale.

Le groupe d’apprentis dramaturges ne brille ni par ses repères culturels, ni par un bon sens qui leur
permettrait d’adopter le point de vue correct d’un spectateur ordinaire. Deux éléments signalent
clairement le manque de culture théâtrale du groupe : l’invention d’un prologue inutile, voire
dommageable, et celle d’illusion théâtrale, inaccessible à leur intelligence.
Rappelons qu’alors que le roman nécessite une lecture individuelle, le théâtre a besoin de
médiateurs et d’un public pour vivre ; il s’agit donc d’un texte dialogué lié à une création collective, en
dehors de laquelle il n’existe pas. Le public, auquel il est souvent fait allusion dans l’extrait (« plaire » ;
« les dames » ; pronoms « les » et « leur » des lignes 12 et 14 ; « ces dames » répété), est d’ailleurs dans
une situation différente de celle des spectateurs de cinéma : en effet, le dramaturge et le metteur en scène
lui demandent d’être complice de toutes les conventions qui règlent la manifestation théâtrale ; il est donc
actif, ce qu’ignorent nos artisans !
En ce qui concerne l’idée du prologue (dont la paternité revient à Bobine : « J’ai un moyen de tout
arranger. Écrivez-moi un prologue », l. 10), nous pouvons affirmer qu’elle illustre la grande naïveté du
tisserand. L’asyndète le montre, qui rapproche ces courts énoncés déclaratif puis injonctif : dans son
esprit, tout se passe comme si le spectacle liminaire du prologue avait pour fonction de donner au public
les « clefs » d’une interprétation convenable de la pièce. L’on vous dirait comment apprécier l’oeuvre. Or
à l’époque du théâtre élisabéthain, le prologue est un élémént facultatif qui, pendant l’installation des
derniers spectateurs, avait -et ce depuis l’Antiquité- pour principal mérite de préciser les conditions de
représentation de la pièce et de résumer quelque intrigue compliquée en un argument. Aux lignes 11 et 12,
les expressions quelque peu puériles « nous faire de mal » et « n’est pas tué tout de bon » relèvent du
comique dans le sens où il s’agirait tout bonnement de dévoiler le dénouement avant le début de la pièce !
Certes, le public des théâtres connaît les mythes qui y sont représentés depuis des siècles, mais révéler la
fin de l’histoire, tout comme énoncer pendant la représentation le nom d’un des acteurs (« je [...] suis [...]
Bobine le tisserand », qui offre un contraste burlesque avec le nom « Pyrame », à la ligne 13), nuit au
pouvoir de la notion d’illusion théâtrale. La dérision de la création théâtrale prend une autre tournure
lorsque la discussion roule sur les vers forgés à l’occasion de la rédaction du prologue : c’est derechef
l’impression d’ignorance qui domine. Ainsi deux choix arbitraires se succèdent, pour le grand plaisir d’un
public amusé devant tant de maladresse. On apprécie le groupe nominal « en vers de huit et de huit », qui
se réfère à une distinction inutile, en sorte qu’il vaut mieux dire « en vers de huit syllabes ».
En outre, les échanges à propos du lion suggèrent que nos artisans ne se représentent pas
précisément les éléments scéniques. Que faire de cet animal ? Apparaîtra-t-il au premier plan, alors qu’il
n’est censé tuer ni Thisbé, ni Pyrame ? Ces questions s’effacent devant la plus importante, aux yeux de
« Groin » : « Est-ce que ces dames n’auront pas peur du lion ? » Nous le constatons donc : nous savons
que la fonction de divertissement inhérente à toute pièce de théâtre est accessible non seulement par le
talent du dramaturge et la mise en scène, mais aussi par la disponibilité du spectateur à rompre les
amarres avec la vie réelle, à subir des chocs émotifs. Contrairement à tout individu sensé, Bobine et ses
camarades n’imaginent pas un instant qu’une de « ces dames » soit capable de s’immerger dans l’intrigue
au point de distinguer clairement l’acteur et le personnage, au point d’oublier la réalité du premier : la
proposition « Pyrame doit tirer l’épée pour se tuer » (l. 3) et l’indépendante qui lui est juxtaposée
indiquent qu’aux yeux du tisserand, le public ne saura faire la différence. Meurt-de-Faim se range à son
opinion et décrète que le dénouement tragique ne saurait contenir de « tuerie » ; mais c’est sans savoir que
le public voit davantage, à ce moment fatal, la disparition d’un des deux amants, qu’il ne perçoit le
spectacle du sang versé. C’est l’absence de Thisbé pour Pyrame, ou celle de Pyrame pour Thisbé, qui
nous fait souffrir. Mais la dernière réplique de Bobine combine cette méconnaissance de l’illusion
dramatique avec l’ignorance en matière de sciences naturelles ; aussi le tisserand confond-il un lion avec
un « rapace » ! L’énormité de cette lacune, jointe à l’emploi du présent de vérité générale (« il n’y a pas
au monde de rapace plus terrible que votre lion », l. 25-26), nous fait définitivement comprendre que la
pièce ne pourra être montée sans encombres. On finit à la ligne 29 par comprendre que la pièce fera
apparaître un lion dont il faudra annoncer, dans un second prologue (comble de l’absurdité !)... qu’il n’est
pas un lion.

Le comique de cette scène repose, nous l’avons compris, sur le décalage entre une situation de
haute responsabilité (un groupe de sujets chargés de préparer un spectacle en l’honneur du roi) et le
niveau d’incompétence risible auquel la troupe est limitée. Mais cet extrait contient un autre message, en
rapport avec la conception dramatique de l’auteur.
Et l’on pense à ce passage de Macbeth : « La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur,
/ Qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène, / Et puis qu’on n’entend plus ». La dimension
existentielle est un élément bien connu dans les tragédies de Shakespeare, pour qui « le monde est un
théâtre », mais dans Le Songe d’une nuit d’été, le dramaturge anglais nous invite à réfléchir sur la magie
du théâtre, à la fois lieu miroir de notre vie et alibi dématérialisé capable de faire communier le public et
les personnages des grands mythes.
Texte 16/16 (1A) - Objet d’étude : le théâtre du XVIIe au XXIe siècle

Introduction
Le Songe d’une nuit d’été est une comédie de Shakespeare, que sa date de création (1596) permet
de rattacher à l’humanisme : courant européen né en Italie au XVIe siècle qui place l’homme et les valeurs
humaines au-dessus de toutes les autres, tout en tirant ses méthodes et sa philosophie de l’étude des textes
antiques. L’action de cette comédie se déroule dans une Athènes plus mythologique qu’antique, ainsi que
dans un bois voisin, fréquenté par des créatures surnaturelles. La pièce est une fantaisie littéraire dans
laquelle le roi d’Athènes, Thésée, doit épouser la reine des Amazones, Hippolyte, tandis que l’intrigue fait
intervenir le thème d’un mariage forcé -Hermia aime Lysandre, et refuse d’épouser le prétendant que son
père lui destine-, un ensemble de fées et, ce qui nous intéresse ici, un groupe d’artisans.
Nous allons en effet observer un extrait de cette pièce (acte III, scène 1) dans lequel une petite
troupe d’amateurs (Bobine, Groin, Meurt-de-Faim et Lecoin) essaie de préparer une pièce tragique en
l’honneur du mariage du « duc » d'Athènes. Celui qui tiendra le rôle principal de Pyrame (du drame
antique Pyrame et Thisbé), Bobine le tisserand, est un homme simple, d’une intelligence et d’une culture
limitées, mais d’une volonté si communicative que ses collègues lui témoignent une solidarité non feinte.
Les 3 mouvements de l’extrait (l. 1-8 : le problème de la peur du public et du rapport au tragique ;
l. 9-19 : le contournement du problème par Bobine ; l. 20-29 : la résurgence du problème et l’absurdité de
l’excès de précaution) nous invitent à nous poser la question de savoir comment Shakespeare arrive à
susciter la réflexion sur les fonctions du théâtre, tout en faisant rire son public.

1) Mouvement 1 – Le problème de la peur du public et du rapport au tragique (l. 1-8)


Shakespeare place son public devant une scène déroutante, oscillant entre la répétition par des
élèves d’un spectacle de kermesse et un débat littéraire des plus sérieux sur la question du représentable
au théâtre.
Les noms des personnages soulignent l’appartenance aux classes populaires et indiquent aux
spectateurs leur potentielle difficulté à saisir les enjeux dramaturgiques. Le terme anglais « Bottom », par
exemple, signifie « bobine » et permet d’identifier le personnage comme un tisserand, métier qui n’a pas
de rapport direct avec l’art théâtral (« texte » est cependant un nom formé à partir du verbe tego,
« tisser », en latin). Il en va de même pour « Lecoin », traduction de l’anglais quince, qui sert à désigner
le coin du charpentier. Nous avons affaire à des ouvriers qui, selon le cliché, seront dans le meilleur des
cas désignés à travers les aspects matériels d’une représentation (costume, équipements scéniques,
décors) : Groin est chaudronnier, Meurt-de-Faim est tailleur.
Dès le début de l’extrait, en effet, contrairement à tout individu familier des tragédies (voir l’erreur
d’identification générique dans « comédie », l. 2), Bobine et ses camarades n’imaginent pas un instant que
« ces dames » du public soient capables de s’immerger dans l’intrigue au point de distinguer clairement
l’acteur et le personnage, au point d’oublier la réalité du premier : la proposition « Pyrame doit tirer
l’épée pour se tuer » (l. 3) et l’indépendante qui lui est juxtaposée (« ce que les dames ne supporteront
pas ») indiquent qu’aux yeux du tisserand, le public ne saura faire la différence.
Néanmoins les artisans font part d’un certain enthousiasme devant le débat initié solennellement
(« Qu’avez-vous à répondre à cela ? », l. 3-4) par le chef de troupe Bobine. L’atteste en effet la réponse
averbale sur le mode exclamatif, dans laquelle Groin emploie le juron « Par Notre-Dame » associé au GN
« une peur terrible », où l’adjectif « terrible » modalise la subjectivité et exprime la peur : cette réplique
exprime à quel point toute la troupe semble concernée par la réception de la pièce. La réplique suivante,
prononcée par Meurt-de-Faim sur un ton empreint de gravité, explique à son tour qu’il va falloir amputer
la pièce de son final en lui ôtant ce qu’elle comporte de tragique, la mort inévitable (ligne 8 : l’auxiliaire
modal « devoir » suivi du verbe « renoncer »), sanction dont on peut s’amuser, si l’on considère qu’elle
vient d’un artisan tailleur.

2) Mouvement 2 – Le contournement du problème par Bobine (l. 9-19)


Le groupe d’apprentis dramaturges ne brille ni par ses repères culturels, ni par un bon sens qui leur
permettrait d’adopter le point de vue correct d’un spectateur ordinaire. Deux éléments signalent
clairement le manque de culture théâtrale du groupe : l’invention d’un prologue inutile, voire
dommageable, et celle d’illusion théâtrale, inaccessible à leur intelligence. Cependant Bobine impose ses
solutions.
En ce qui concerne l’idée du prologue (dont la paternité revient à Bobine : « J’ai un moyen de tout
arranger. Écrivez-moi un prologue », l. 10 : on note l’impératif présent et le pronom indéfini « tout », qui
assignent un caractère catégorique à l’idée du chef de troupe), nous pouvons affirmer qu’elle illustre la
grande naïveté du tisserand. L’asyndète (l. 10) le montre, qui rapproche ces courts énoncés déclaratif puis
injonctif : dans son esprit, tout se passe comme si le spectacle liminaire du prologue avait pour fonction
de donner au public les « clefs » d’une interprétation convenable de la pièce. L’on vous dirait comment
apprécier l’oeuvre. Or à l’époque du théâtre élisabéthain, le prologue est un élément facultatif qui,
pendant l’installation des derniers spectateurs, avait -et ce depuis l’Antiquité- pour principal mérite de
préciser les conditions de représentation de la pièce et de résumer quelque intrigue compliquée en un
argument.
Aux lignes 11 et 12, les expressions quelque peu puériles « nous faire de mal » et « n’est pas tué
tout de bon » relèvent du comique dans le sens où il s’agirait tout bonnement de dévoiler le dénouement
avant le début de la pièce ! Certes, le public des théâtres connaît les mythes qui y sont représentés depuis
des siècles, mais révéler la fin de l’histoire ou énoncer pendant la représentation le nom d’un des acteurs
(« je [...] suis [...] Bobine le tisserand », qui offre un contraste burlesque avec le nom « Pyrame », à la l.
13), nuit au pouvoir de la notion d’illusion théâtrale. La dérision de la création théâtrale prend une autre
tournure lorsque la discussion roule sur les vers forgés à l’occasion de la rédaction du prologue : c’est
derechef l’impression d’ignorance qui domine. Ainsi deux choix arbitraires se succèdent, pour le grand
plaisir d’un public amusé devant tant de maladresse. On apprécie le GN « en vers de huit et de huit », qui
se réfère à une distinction inutile, en sorte qu’il vaut mieux dire « en vers de huit syllabes » (lignes 16 à
19).
Alors que le roman nécessite une lecture individuelle, le théâtre a besoin de médiateurs et d’un
public pour vivre ; il s’agit donc d’un texte dialogué lié à une création collective, en dehors de laquelle il
n’existe pas. Le public, auquel il est souvent fait allusion dans l’extrait (« plaire » ; « les dames » ;
pronoms « les » et « leur » des lignes 12 et 14 ; « ces dames » répété), est d’ailleurs dans une situation
différente de celle des spectateurs de cinéma : en effet, le dramaturge et le metteur en scène lui demandent
d’être complice de toutes les conventions qui règlent la manifestation théâtrale ; il est donc actif, ce
qu’ignorent nos artisans !
Ainsi, à la ligne 15, Lecoin s’intéresse à l’idée du prologue explicatif, que Bobine vient de trouver
(adverbe « bon »). À son tour, le personnage contribue à déterminer les conditions d’un accueil
chaleureux et serein de Pyrame et Thisbé : ce prologue « devra être écrit en vers de huit et de six
syllabes » (l. 15-16), comme une ballade, afin que le rythme adopté par le comédien rassure le public. Le
futur de certitude et l’auxiliaire modal « devoir » répété soulignent ici la volonté commune de formaliser
pour ne négliger aucun détail.
Cependant la progression du texte invite à interpréter le comportement de ces dramaturges mal
dégrossis comme celui d’une troupe peu à peu gagnée par la peur. En effet, Bobine renchérit de manière
ridicule à la ligne 18, au moment de son injonction aberrante (de faire se succéder des vers de huit… et de
huit syllabes !) ; ce qui compte aux yeux de la troupe, c’est de témoigner une envie partagée de créer la
pièce parfaite, mais aussi peut-être de se rassurer elle-même.
L’art de Shakespeare consiste à faire cohabiter ce caractère impressionnable, qui prend le dessus
sur l’ethos du dramaturge, avec l’expression de la plus désarmante méconnaissance des conditions de
l’illusion théâtrale.

3) Mouvement 3 – La résurgence du problème et l’absurdité de l’excès de précaution (l. 20-29)


D’une manière générale, la troupe paraît concernée et paradoxalement elle-même effrayée à la fin
d’un extrait qui aura emprunté au champ lexical de la peur (« supporteront » ; « peur » ; « frayeur » ;
« auront peur » ; « ai peur » ; «effrayante » ; « terrible » répété), à la modalité déontique (« dois » ;
« devons » répété ; « pas le moins du monde » ; « devra » ; « faudra »), à la prière même («par Notre-
Dame » ; « je vous jure » ; « Dieu nous préserve »).
La passion l’emportant devant la réflexion, Groin ne relève pas l’absurdité d’un prologue et
relance la discussion : la mort n’est pas le seul motif effrayant, voici à présent la question du lion qu’est
censée apercevoir Thisbé, avant de prendre la fuite. Adoptant après Bobine le point de vue du public
féminin, prétendûment plus sensible, Groin -rejoint par Meurt-de-Faim- s’implique émotionnellement.
Notons par exemple les emplois du déterminant « ces » devant « dames », de la phrase de forme interro-
négative (l. 20), du pronom démonstratif représentant « cela » et des deux marqueurs de 1re personne (l.
22) : « Est-ce que ces dames n’auront pas peur du lion ? / -Cela, j’en ai bien peur, je vous jure ». En effet,
les échanges à propos du lion suggèrent que nos artisans ne se représentent pas précisément les éléments
scéniques. Que faire de cet animal ? Apparaîtra-t-il au premier plan, alors qu’il n’est censé tuer ni Thisbé,
ni Pyrame ? Ces questions s’effacent devant la plus importante, aux yeux de « Groin » : « Est-ce que ces
dames n’auront pas peur du lion ? » Nous le constatons donc : nous savons que la fonction de
divertissement inhérente à toute pièce de théâtre est accessible non seulement par le talent du dramaturge
et la mise en scène, mais aussi par la disponibilité du spectateur à rompre les amarres avec la vie réelle, à
subir des chocs émotifs.
Meurt-de-Faim se range derrière l’opinion de Groin et décrète que le dénouement tragique ne
saurait contenir de « tuerie » ; mais c’est sans savoir que le public voit davantage, à ce moment fatal, la
disparition d’un des deux amants, qu’il ne perçoit le spectacle du sang versé. C’est l’absence de Thisbé
pour Pyrame, ou celle de Pyrame pour Thisbé, qui nous fait souffrir. Mais la dernière réplique de Bobine
combine cette méconnaissance de l’illusion dramatique avec l’ignorance en matière de sciences
naturelles ; aussi le tisserand confond-il un lion avec un « rapace » ! L’énormité de cette lacune, jointe à
l’emploi du présent de vérité générale (« il n’y a pas au monde de rapace plus terrible que votre lion », l.
25-26), nous fait définitivement comprendre que la pièce ne pourra être montée sans encombres. On finit
à la ligne 29 par comprendre que la pièce fera apparaître un lion dont il faudra annoncer, dans un second
prologue (comble de l’absurdité !)... qu’il n’est pas un lion.

Conclusion
Le comique de cette scène repose sur le décalage entre une situation de haute responsabilité (un
groupe de sujets chargés de préparer un spectacle en l’honneur du roi) et le niveau d’incompétence risible
auquel la troupe est limitée. Dans la métaphore filée entre artisanat et art de l’écriture (qui sera plus tard
chère à Jean Giono), Shakespeare s’est ici amusé à présenter un texte dramatique « mal ficelé », mal tissé
(« texte » vient du latin « tissé », textus). Mais cet extrait contient un autre message, en rapport avec la
conception dramatique de l’auteur.
On pense à ce passage de Macbeth : « La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur, /
Qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène, / Et puis qu’on n’entend plus ». La dimension
existentielle est un élément bien connu dans les tragédies de Shakespeare, pour qui « le monde est un
théâtre », mais dans LSUNE, le dramaturge nous invite à réfléchir sur la magie du théâtre, à la fois lieu
miroir de notre vie et alibi dématérialisé capable de faire communier le public et les personnages des
grands mythes.

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