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EXPLICATION LINÉAIRE 9 : LE PORTRAIT OVALE », EDGARD

ALLAN POE TRADUIT PAR BAUDELAIRE

5 C’était un homme passionné, et étrange, et pensif, qui se perdait en rêveries ; si bien


qu’il ne voulait pas voir que la lumière qui tombait si lugubrement dans cette tour isolée
desséchait la santé et les esprits de sa femme, qui languissait visiblement pour tout le
monde, excepté pour lui. Cependant, elle souriait toujours, et toujours sans se plaindre,
parce qu’elle voyait que le peintre (qui avait un grand renom) prenait un plaisir vif et
10 brûlant dans sa tâche, et travaillait nuit et jour pour peindre celle qui l’aimait si fort, mais
qui devenait de jour en jour plus languissante et plus faible. Et, en vérité, ceux qui
contemplaient le portrait parlaient à voix basse de sa ressemblance, comme d’une
puissante merveille et comme d’une preuve non moins grande de la puissance du peintre
que de son profond amour pour celle qu’il peignait si miraculeusement bien. — Mais, à la
15 longue, comme la besogne approchait de sa fin, personne ne fut plus admis dans la tour ;
car le peintre était devenu fou par l’ardeur de son travail, et il détournait rarement ses yeux
de la toile, même pour regarder la figure de sa femme. Et il ne voulait pas voir que les
couleurs qu’il étalait sur la toile étaient tirées des joues de celle qui était assise près de lui.
Et, quand bien des semaines furent passées et qu’il ne restait plus que peu de chose à
20 faire, rien qu’une touche sur la bouche et un glacis sur l’œil, l’esprit de la dame palpita
encore comme la flamme dans le bec d’une lampe. Et alors la touche fut donnée, et alors
le glacis fut placé ; et pendant un moment le peintre se tint en extase devant le travail qu’il
avait travaillé ; mais, une minute après, comme il contemplait encore, il trembla, et il fut
frappé d’effroi ; et, criant d’une voix éclatante : « En vérité, c’est la Vie elle-même ! » il se
25 retourna brusquement pour regarder sa bien-aimée : — elle était morte ! »
EXPLICATION LINÉAIRE 9 : LE PORTRAIT OVALE », EDGARD
ALLAN POE TRADUIT PAR BAUDELAIRE
INTRODUCTION

« Le portrait ovale » est une nouvelle fantastique écrite en 1842 par Edgar Allan Poe, un écrivain
américain du XIXe. Cet extrait laisse la parole à un narrateur blessé qui se réfugie dans un château.
30 Un tableau en particulier attire son attention, le fascine. On apprend que ce portrait représente
l’épouse du peintre, lequel, ivre de son sort, s’est consacré au tableau délaissant son épouse dans
une atmosphère de plus en plus fantastique.

LECTURE
35
PROBLÉMATIQUE
Comment le processus de création peut-il s’avérer paradoxalement
destructeur ?
40 ORGANISATION DU TEXTE

Pour répondre à cette problématique nous allons analyser le texte de façon linéaire.

Ligne 1-7 →L’aveuglement de l’artiste


45 Ligne 8-13 →Une création mystérieuse et fascinante
Ligne 14-21 → De l’Eros au Thanatos, le dénouement tragique et fantastique

DEVELOPPEMENT
Mouvement 1 : L’aveuglement de l’artiste
50
CITATIONS PROCEDE ANALYSE
Passionné, étrange, pensif adjectifs L’extrait début avec un portrait du personnage, personnage
ambivalent qui semble déconnecté du rée
il ne voulait pas voir / elle Champ lexical Cette déconnexion du personnage est mise en valeur par son déni de
voyait, visiblement , du regard la réalité soulignée par la négation « il ne voulait pas voir ». Cet
excepté pour lui aveuglement s’oppose à la lucidité de son épouse
Desséchait, languissait Verbes – Le lexique vient accentuer la déchéance de la jeune femme,
Champ lexical déchéance aussi bien physique que mentale
de la maladie
elle souriait toujours Chiasme Cette attitude digne est mise en valeur par le chiasme. La jeune
et toujours sans se femme fait preuve d’un courage constant ce qui permet de voir en elle
plaindre une femme dévouée
plaisir vif et brulant Adjectifs Les adjectifs mettent en valeur la passion dévorante du personnage. A
noter que le plaisir est associé à des adjectifs puissants mais aussi
dangereux, évoquant le duo Eros-Thanatos
travaillait nuit et jour / Indications Le parallèle entre ces deux indications temporelles permet de créer un
devenait de jour en jour temporelles lien entre le travail acharné du peintre et la déchéance de la jeune
femme. Cette mise en relation indirecte permet d’introduire le
fantastique.
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ALLAN POE TRADUIT PAR BAUDELAIRE

plus languissante et plus Superlatifs Alors que le peintre ne voit toujours rien, les superlatifs permettent
faible insister sur la dégradation rapide de la jeune femme

TRANSITION :
Personnage aveugle, déconnecté du réel mais très passionné par son art.
Sa femme lui est très dévouée.
55
Mouvement 2 : L’aveuglement de l’artiste

CITATIONS PROCEDE ANALYSE


en vérité, preuve Champs lexical du Ce lexique quasi scientifique ou du moins très concret, ramène
réel l’extrait dans le réel
comme d’une puissante Comparaison – (Merveille : chose extraordinaire, magique)
merveille, si superlatif – Néanmoins, la narration joue rapidement avec ce réel introduisant
miraculeusement lexique une dimension mystérieuse au tableau grâce au lexique utilisé. La
fantastique beauté devient surnaturelle ce qui permet d’introduire le
Description fantastique.
méliorative
Mais » « personne » Conjonction La conjonction « mais » introduit un retournement de situation.
« à voix basse » Ambiance L’atmosphère devient de plus en plus lourde. Le fait de parler à
voix basse instaure
devenu fou par Complément On comprend alors que ce travail est la cause de sa folie, que son
l’ardeur de son circonstanciel de génie artistique lui fait perdre la raison
travail cause
Yeux, regarder Champ lexical du Encore une fois, ce peintre se démarque par son déni de la réalité.
regard Il ne vit qu’à travers sa peinture, qu’à travers l’image qu’il crée de
son épouse mais néglige complètement son épouse en tant que
telle

TRANSITION :
60 C’est donc une œuvre mystérieuse. Le personnage est fasciné par celle-ci, tellement qu’il sombre
dans la folie

Mouvement 3 : De l’Eros au Thanatos, le dénouement tragique et fantastique

CITATIONS PROCEDE ANALYSE


Et.....Et..... Polysyndète Les dernières lignes de cette nouvelle sont rythmées par un
polysyndète. Cela peut représenter que le dénouement, la chute est en
marche et que plus rien ne peut empêcher le drame de survenir.
couleur, étalait, toile / joues Champs lexical de Le champ lexical de la peinture se mêle à celui du corps
la peinture/ Corps humain ce qui nous plonge dans le fantastique mais aussi dans
humain ! une dimension un peu morbide. On perçoit que la peinture
provient du sang de la jeune fille que le peintre vampirise
inconsciemment.
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ALLAN POE TRADUIT PAR BAUDELAIRE

il ne restait plus que Juxtaposition. Le lien entre la peinture et la vitalité de la jeune femme
peu de chose à faire, continue à être suggéré. Le lecteur continue à faire lui-même
(...), l’esprit de la le rapprochement
dame palpita
comme il contemplait Réaction physique Les réactions physiques de l’artiste observant son œuvre
encore, il trembla, et achevée témoignent de sa terreur et de sa fascination, on
il fut frappé d’effroi retrouve ici le concept de sublime
Il se retourna Description de Le retour au réel est violent, brutal. Il va enfin « regarder »
brusquement pour l’attitude. celle qu’il ne voyait pas
regarder sa bien- Lexique du regard
aimée
elle était morte ! Exclamation Ce que le lecteur suspectait depuis quelques lignes se vérifie :
un lien étroit est créé entre la Vie du tableau et la mort de son
modèle. Le tableau aurait aspiré la vie ; l’art aurait causé la
mort en aspirant l’âme de la muse. La chute est d’autant plus
brutale, saisissante qu’elle est retranscrite au discours indirect
libre.
65
CONCLUSION
Pour conclure, dans cet extrait, nous retrouvons un personnage déconnecté du réel
face à une femme qui lui est très dévouée. Le personnage est très passionné, fasciné
par son art, si bien qu’il est aveugle et ne fait plus attention à son modèle qui va
70 mourir peu à peu. De ce fait, le processus de création s’avère paradoxalement
destructeur.
// « Le désir de peindre » de Baudelaire
→ « Malheureux l’homme mais heureux l’artiste que le désir déchire »

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