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Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde

Etude 1 - Prologue

Introduction

Qqs éléments importants pour entrer dans l’œuvre

La didascalie initiale (la seule de la pîèce) indique un lieu précis : maison d’enfance avec
retour du personnage dans la maison natale dans laquelle vivent encore sa mère et sa sœur.
Oriente l’action sur les rapports familiaux avec une liste restreinte des personnages dans un
lieu unique : huis clos familial. Temps précis également «un dimanche » : temps du rituel
des réunions familiales, mais là encore, ironie de l’adverbe « évidemment » (uniquement pour
le lecteur), mais ce temps se complexifie par la suite « ou bien encore durant une année
entière » : temps brouillé, élastique.
Prologue : issu de la tradition antique (pro logos : avant le discours) : fréquent dans les
tragédies et précédant l’intervention du Chœur. Pose les enjeux de la pièce en rappelant des
faits antérieurs qui permettent au spectateur de comprendre l’action à venir
Verset : formé poétique proche de la prose mais avec des retours à la ligne fréquents, qui
instaurent un souffle et un rythme.
Motif biblique du retour du fils prodigue : épisode qui illustre l’amour paternel mais aussi
la rivalité entre deux frères (Antoine et Louis). Dans la Bible, c’est le cadet qui est parti et qui
revient, démuni, après avoir gaspillé tout ce qu’il possédait, pendant que l’aîné est resté
travailler auprès de son père.

Auteur : Comédien, dramaturge et metteur en scène français . De son vivant, est surtout
célèbre pour ses mises en scène du répertoire. Il connaît la postérité comme dramaturge (qui
écrit des pièces) après sa mort. Actuellement, est en France l’auteur le plus joué. Lorsqu’il
écrit sa pièce à Berlin en 1990, il se sait déjà séropositif, donc condamné. Thèmes de la
maladie et de la disparition déjà présents dans son œuvre mais qui prend dans notre pièce un
écho particulier.
Pièce : Titre paradoxal avec un mélange entre l’euphémisme et l’hyperbole puisque la fin du
monde renvoie à l’apocalypse (tragédie et néant) mais l’adverbe « juste » vient minimiser
ironiquement son impact. La pièce n’est pas construite sur la division classique en actes : elle
présente un prologue /des parties séparées par un intermède /épilogue.
Extrait : prologue (cf définition dans l’encadré). Louis annonce sa mort à venir et son retour
dans la maison natale (mythe du fils prodigue). Mais parole difficile, heurtée : écriture en
versets et nombreuses épanorthoses (figure de style qui consiste à se corriger, à exprimer
les hésitations)
•Problématiques possibles : Comment le dramaturge met-il en place dans son prologue la
crise personnelle et familiale de la pièce ? ou Comment ce prologue joue-t-il avec les
attentes du lecteur/spectateur ?
•Mouvements : une seule longue phrase donc difficile à repérer.
De la ligne 1 à 11 : l’annonce de la mort (« vous détruirait aussitôt »)
De la ligne 12 à 27 :l’annonce du retour (« irrémédiable »)
De la ligne 28 à fin : une volonté de s’affirmer (« propre maître »)

1er mouvement : Louis annonce sa propre mort.


1.Découverte déroutante du personnage par le spectateur , indissociable de son aveu: (lignes
1 à 4).
On peut penser qu’il s’agit du personnage principal puisqu’apparaît en 1 ère position dans liste
des personnages, les autres étant définis par rapport à lui.
Le prologue = monologue d’une seule phrase, avant l’action. Donc, attentes du spectateur =
avoir des infos sur le personnage, grâce à l’introspection et la confidence, d’où l’emploi
rapide de la 1ère personne « je », dés la 2ème ligne. Louis s’y définit immédiatement par rapport
à l’annonce de sa propre mort + l.3 âge « trente quatre ans maintenant » donné en référence à
sa mort (« c’est à cet âge … »)
Mais début déroutant pour le spectateur : mort annoncée ou ayant déjà eu lieu ? En effet,
Repères temporels brouillés : « plus tard » (qui ouvre le monologue) + « mourrai » +
« l’année d’après » = futur mais « j’allais mourir » (l.2) vient situer ce futur par rapport au
passé + références au présent (« j’ai près de trente quatre ans maintenant ») = dédoublement
identitaire du personnage qui rappelle que nous sommes au théâtre, (monde de l’artifice
et des jeux de rôle) et vient raconter au public l’intrigue, comme si le personnage déjà mort
revenait raconter une histoire.
Autre élément déroutant : l’annonce de la mort est livrée entre parenthèses, comme une
simple précision, comme pour atténuer le tragique de l’annonce (même effet que le titre).
Pourquoi « à mon tour » ? = idée d’un cycle vie/mort qui pourrait rappeler le theatrum
mundi si la perspective est générale ; en contexte, pendant l’épidémie du sida dont Lagarce a
été lui-même victime, expression qui souligne les ravages de la maladie dans l’entourage du
metteur en scène.
Aucune autre info n’est donnée que la certitude de la mort = registre tragique.

2.Le début d’une tragédie (lignes 5 à 11)


- omniprésence de la fatalité.
Lignes 4 à 7, enfermement du personnage dans sa mort à venir avec un chiasme : le passé de
Louis évoqué par l’anaphore « de nombreux mois » + imparfait « attendais » est encadré par
« l’année d’après » qui revient comme une menace (leitmotiv qu’on retrouve plus loin dans le
texte).
Semble ne pouvoir échapper à sa propre mort .De ce fait, attitude résignée, passive, d’où le
motif de l’attente, marqué aussi par les nombreuses négations « à ne rien faire, à ne plus
savoir » (l.5) + « sans vouloir faire de bruit » (l.10). Négations qui peuvent être un indice de
l’absence d’action dans la pièce en général). Dans cette énumération, verbe « tricher » =
s’aveugler, se mentir à soi-même, mentir aux autres (faire le silence sur la maladie), c’est
aussi un mot théâtral : rappel que le personnage joue un rôle.

Ligne 9, discrétion qui est presque déjà une disparition « à peine » (verset très bref qui mime
le sens de la locution) + « imperceptiblement » (l.10) donnent l’impression que Louis
s’empêche de vivre en attendant la mort.
Ligne 10, Menace mortelle particulièrement sensible à partir de la comparative « comme on
ose bouger parfois » (l.8) hyperbole « danger extrême » « vous détruirait aussitôt », « trop »
Ampleur du danger mimé par la longueur du verset (en contraste avec le verset
précédent)« L’ennemi » dont il est question = allégorie de la maladie ou de la mort. Ici,
esquisse d’un registre épique ; maladie comme un prédateur, victime qui se cache pour ne pas
être repérée. Adverbe « aussitôt » en opposition avec les retours « l’année d’après » =
irruption violente de lm’ennemi/mort.
Bilan : le monologue permet au lecteur/spectateur d’être complice du personnage +
énonciation « on » (l.8) et « « vous » (l.11) qui permet d’associer perso et public. A noter que
le lecteur/spectateur restera le seul à connaître le secret de Louis.

2ème mouvement : annonce du retour dans la maison natale

1.Annonce du but de ce retour retardée (lignes 12 à 17) :

-Parole de plus en plus difficile, ce que traduit l’écriture en verset avec les retours à la ligne
après quelques mots seulement (blancs typographiques comme des silences ou des temps de
respiration). Parole qui piétine avec les répétitions « malgré tout » (l.13 et 16), « l’année
d’après » (l.12 et 17) + rupture de construction l.14 « la peur » = intrusion brutale du
sentiment de Louis dans sa vie comme dans son propos.
Ligne 15, prolongement du registre épique avec la prise de « risque » (ligne 15) pourrait faire
penser à un acte héroïque, mais ce risque est dans l’annonce qu’il veut faire à la famille
puisque certitude de mourir : « sans espoir jamais de survivre » avec mise en valeur de
l’adverbe « jamais » = Annonce à la famille comparable au fait d’affronter la mort.
Combat perdu d’avance, difficultés pour exprimer ce retour et l’aveu préfigurent pièce
dont le sujet est justement la difficulté de dire.

2.Révélation difficile du retour (lignes 18 à 27

-A partir de la ligne 18, proposition principale : « je décidai…. » plus ample avec révélation
du projet en 4 temps « retourner… », « revenir… », « aller sur… », « faire le voyage ».
Projet d’un retour en arrière, marqué par les préfixes itératifs [re]. Gradation du retour
« voir », « pas » « traces » = le retour devient quasiment voyage initiatique. D’ailleurs
ambiguïté sémantique de l’expression « faire le voyage » = euphémisme pour mourir ?
Mais révélation aussi sur relations entre Louis et sa famille à travers déséquilibre entre
« je » sujet singulier et « les » COD. Semble être isolé dans sa propre famille »

-Ligne 19, but du retour = annoncer sa mort prochaine à sa famille avec proposition
infinitive de but : « pour annoncer ».
-A partir de la ligne 19 à 26, c’est alors que la parole se détraque à nouveau pour révéler
difficultés de l’aveu, avec multiplication de digressions : il faut attendre 8 lignes pour avoir le
complément du verbe annoncer, « ma mort prochaine ». Ces digressions sont constituées
d’une énumération d’adverbes et groupes prépositionnels « lentement, avec soin, avec soin et
précision », « lentement, calmement, d’une manière posée » qui sont redondantes.
Les propositions entre parenthèses lignes 20 et 22 ralentissent aussi la révélation du but du
retour. Propos nettement modalisé « je crois » + question ligne 22 sur l’image qu’il a tjs
renvoyée aux autres montrant hésitations et incertitude.
La parole finit même par reculer, revenir sur elle-même avec les épanorthoses (figure
stylistique consistant à reprendre ce que l’on vient de dire pour le modifier, le compléter) :
« avec soin, avec soin et précision », « dire, seulement dire » (l.25 et 26). Derrière l’emploi de
ce verbe très neutre, volonté du personnage de ne pas dramatiser une annonce déjà tragique
(cf plus haut ; refus d’un excès de lyrisme)
Après tous ces retardements, « ma mort prochaine et irrémédiable » sonne alors comme un
couperet = registre tragique.

3ème mouvement : de la ligne 28 à fin : une volonté de s’affirmer

1. Sursaut du personnage qui semble prendre une forme de pouvoir

Ligne 28, reprise du verbe « annoncer » mais tentative pour prendre le dessus sur la situation
et revendiquer un certain pouvoir avec le pronom emphatique « moi-même » + adjectif
« unique ».

Idée prolongée par le lexique de la volonté ligne 30 « voulu » « décidé ». Hyperboles


temporelles « en toutes circonstances… » + « depuis le plus loin que » (l.30) confirment
sentiment de puissance qui atteint son apogée aux ligne 35 et 36 : adjectif « responsable » et
surtout « mon propre maître » comme clôture du prologue = donnent l’impression qu’il
peut encore décider de sa vie, qu’il peut encore éprouver sa liberté, son libre arbitre.

2.Mais cette prise de pouvoir est-elle réelle ?

-Dés la ligne 29 puis 32 lexique du doute : modalisateur « paraître » + ligne 35 « l’illusion ».


Ici, Louis n’est-il pas en train de tricher, comme il avouait le faire au début du monologue ?.
Louis soulignerait alors le mensonge que constitue sa décision.

On peut aller plus loin en prenant en compte le sens métatextuel des termes (c’est-à-dire que
le texte de théâtre parle alors de lui-même) : L’illusion renvoie au monde du théâtre ;
Louis n’est-il pas en train de se mettre en scène, d’être le metteur en scène et le comédien
principal de l’annonce de sa mort ? Emploi, d’ailleurs, du mot « messager » (ligne 28) = dans
les tragédies antiques, personnage fréquent, chargé d’annoncer les morts (qui ne pouvaient
être représentés sur scène)

Ligne 33 : énonciation particulière avec jeu des pronoms « toi, vous, elle, ceux-là » =
désignent famille de Louis mais aussi spectateurs : rupture du 4ème mur par cette
apostrophe : public et famille confondus par ce jeu sur les pronoms = renforce l’idée de mise
en scène de soi par Louis. Rompre le 4ème mur, c’est rompre l’illusion théâtrale, puisqu’on
en montre les ficelles.
Brouillage déroutant pour le spectateur puisque univers de la salle/univers de la scène
confondus et qui prolonge brouillage temporel du début.

Conclusion
-Bien insister sur la fonction du prologue : confidence au spectateur + annonce des thèmes : la
parole et la difficulté à dire, les relations avec la famille.
Réactualisation du tragique (prologue , héritage du théâtre antique + thème de la mort
inéluctable) mais distance ironique qui ôte la solennité du propos.
Ouverture sur les mises en scène du prologue (activité personnelle faite en ½ groupes.

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