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Brock, Les - Origines - de - Quelques - Termes - Utilisés - Dans - Les - Épiclèses - Eucharistiques - Syriaques PDF
Brock, Les - Origines - de - Quelques - Termes - Utilisés - Dans - Les - Épiclèses - Eucharistiques - Syriaques PDF
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mystère de l'Incarnation 3 : ceci est insinué par le fait que dans l'ancieŒ du général Sipur, de sa femme et de sa fille, à la Qurbana qui suit,
ne poésie syriaque (et sans doute dans la poésie liturgique syriaque en Jude Thomas prie en ces termes: «Nous rappelons le nom de
général), c'est le verbe régulièrement utilisé quand les auteurs paraphra~ sur vous" l~ ~o~ exalt~, c~ché à tous; en votre nom, Jésus, que
sant les deux versets-clefs des évangiles qui se rapportent à l'Incarnation, puissanc;e ~e benedIctwn et d actwn de grâce vienne et réside (w - nesh-
à savoir le récit de l'Annonciation en Luc 1,35 : «Le Saint-Esprit viendra sur ce pam. ,,» (133). de même chez Ephrem, dans un passage où il
et la Puissance du Très-Haut te courvrira de son ombre», et Jean, 1, 14 «Le s'adresse au Christ:
Verbe s'est fait chair et a planté sa tente parmi nous». L'usage constant du Dans ton pain se cache l'Esprit".
verbe shra dans ces deux contextes est d'autant plus frappant que toutes dans ton vin réside (sharya) le feu". (Madrashe sur la foi, 10, 8).
les versions syriaques des évangiles utilisent un verbe tout différent des
deux passages, à savoir aggen, planter sa tente, un des verbes auxquels Il est significatif qu'aucun verbe correspondant à shra ne se trouve
nous reviendrons ci-dessous. Deux exemples devraient suffire à illustrer nulle part dans auc~ne anaphore. gr~cq~e ; l'absence de ce verbe en grec
cet usage de shra au lieu de aggen dans ces deux passages fondamentaux comme t~r~e techmque est une mdIcatwn supplémentaire que nous nous
de l'Évangile. Reflétant l'usage du terme «Puissance» (le Très-Haut) de tro~v~ns.Ici devant un terme spécialisé qui remonte aux racines mêmes du
Luc 1,35, Ephrem écrit: chnstIamsme de langue araméenne et syriaque.
«Quand la Puissance réside (shra) dans le sein, cette même Puissance
formait des enfants dans le sein» (Madrashe sur la Nativité, 4, 174). 2. ettnih : se reposer, trouver le repos
L'usage du verbe shra pour décrire l'Incarnation du Verbe divin dans Les origines bibliques de l'usage de ce verbe en connexion avec
le sein de Marie se trouve en beaucoup d'autres passages du Madrashe l'Esprit sont dans la traduction d'Isaïe 1,2 dans la Peshitta (<<Un rameau
d'Ephrem sur la Nativité et ailleurs 4. On peut aussi trouver le même so.rtira du tronc de !~ssé et un re~eton naîtra de sa souche») et l'Esprit de
verbe, quoique moins fréquemment, dans de claires allusions à Jean 1, 14. DIeu reposera e~ residera sur lUI (w - tettnih w -leshre). Le concept du
Ainsi, encore chez Ephrem, on trouve le passage suivant: «repos» .(en synaque nyaha, en grec anapausis) était à l'évidence un
«Béni soit Celui qui a abaissé sa grandeur et a résidé (wa-shra) en concept Important dans le christianisme ancien et était associé à Mt Il
nous» (Madrashe sur l'Église, 15,2; sur la Résurrection 1, 7). 2~-29 ?ù le Christ dit .: «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et char~
Du point de vue plus spécifique de l'usage de shra dans les épiclèses ?es et J~ vous d~nne~aIle repos. Prenez sur vous mon joug et recevez mes
eucharistiques pour indiquer l'activité de l'Esprit, il est curieux de consta- mstructlüns c~ar Je SUIS doux et h':,mble de cœur et vous trouverez du repos
ter qu'il y a d'étroits parallèles phraséologiques déjà dans les targums. pour"vous-memes (ou pour vos ames)>> 6. Au mot traduit ici par «doux»
Dans le Targum officiel (Onkelos) de Gn 45, 27, on lit que l'Esprit de (praus en grec) correspond dans les évangiles syriaques le mot niha qui
Sainteté résidait (shrat) sur Jacob et de même dans le targum palestinien est de la ~mê~e racine que nyaha, repos, et l'on est tenté de soupçonner
Neofiti de Nb 11, 25, l'Esprit de Sainteté est décrit comme ayant résidé que le meme Jeu ?e mo~s .était au~si présent derrière le Matthieu grec dans
(shrat) sur les soixante-dix anciens 5 la sentence arameenne JUIve de Jesus. Que tel soit ou non le cas il est évi-
L'usage du verbe shra dans un contexte eucharistique se trouve déjà dent, à partir d'une variété de sources différentes avec le verb~ ettnih, se
en syriaque dans les Actes de Thomas. Dans un passage décrivant le bap- reposer, ,trouver le repos, a été adopté en syriaque à une date reculée
3. A ce sujet, voir mon article «The Lost OId Syriac at Luke 1, 35 and the earliest
comme 1 un des termes .spécialisés pour signifier l'activité de l'Esprit.
Syriac Terms for the Incarnation» dans W. L. PETERSEN (éd.); Gospel Traditions in the Cet~ usage d~ et~nz.h ~ans le contexte des invocations de l'Esprit
Second Century (Notre Dame, 1989), pp. 117-131. semble etre un trait dIstmctIf de la tradition liturgique syriaque car aucun
4. E. g. Hom. de Nativitate 3, 20 ; 16,2; 21, 6; Hom. de Virginitate 25,8; Carmina
Nisibena 46) 1. Dans de nombreux passages du Fengitho et de l'Hudra, aggen et shra sont 6. J:ce sujet, .voir G. WINKLER. «Ein bedeutsamer Zusammenhang zwischen
tous deux utilisés ensemble dans les paraphrases de Luc 1,35. Erkenntms und Ruh~ m Mt ~ 1, 27"29 und dem Ruhen des Geistes auf Jesus am Jordan.
5. Ephrem utilise shra avec le Saint Esprit comme sujet dans Hom. de Nativitate 5, Eme Analyse zur Gelst - Chnstologie in syrischen und armenischen Quellell» Le Muséon
10 et 6, 13. 96(1983),p~ 267-326. '
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ducteurs du Targum palestinien ont choisi aggen à l'évidence parce qu A partir du Ve siècle, l'usage de aggen s'étendit du contexte de
c'était un verbe qui avait des connotations de protection divine (la racin AnmClUclatlon à celui d'autres étapes importantes de l'histoire du salut
s'en trouve aussi dans l'hebreu magen, bouclier). Bien que la Peshitta a' naT'-m~SSllS to~t. l'Eucharistie. Ici, l'usage commun du verbe aggen à l~
choisi pour l'Exode une traduction toute différente pour pasah, le plu dans le r~cIt de l'Annonciation et en référence à l'action consécratoi-
ancien christianisme d'expression syriaque doit avoir repris de l'araméel1 :e ~e l'Espnt dans l'E~charistie aidait à mettre en évidence les liens
juifl'usagespécifique du verbe aggen pour indiquer l'activité divine dans ~trolts, co~me les vOY~lent !es auteurs. s~riaques à partir d'Ephrem, entre
l'humanité et c'est la raison pour laquelle ce fut le terme choisi pour 1 IncarnatIOn et la consecratIOn euchanstIque du pain et du vin.
rendre les deux différents verbes grecs utilisés dans les versets-clefs meh- D,ans les anaphores syriennes orientales, aggen ne se présente que
tionnés ci-dessus, Luc 1, 35 (où le grec a epekiasen, «a couvert de sOll dans 1 anaphore sous le nom de Théodore. Il a été suggéré que l'usage de
ombre») et Jean 1, 14 (où il a eskènosen, «a planté sa tente»). Le choix agg.en dans cette anaphore était dû à l'influence de l'anaphore syrienne
originel de aggen semble remonter au Diatessaron syriaque, et latraduc- o~cldental~ ?e .Jacques, où kad maggen, «tandis qu'il plante sa tente», est
tion a été conservée dans toutes les versions syriaques utérieures des évan- tres c~ractens~l,q~e, ,correspondant au participe grec epiphoitèsan. La for-
giles. Maintenant, dans aucun des deux passages des évangiles, aggen mulatIOn de 1 eplclese dans l'anaphore de saint Jacques a certainement
n'est une traduction évidente du grec, et des traductions plus proches ex~rcé une ~r~de influence sur de nombreuses anaphores orthodoxes
auraient pu aisément être trouvées; cela signifie que celui qui a choisi syne~nes ulter~eures, où est conservée la phrase kad maggen. Cependant,
d'utiliser aggen l'a fait pour une raison précise. On peut ici tenter de sug- en raIs.o~ de 1 usa~e répandu de aggen dans le contexte de l'épiclèse
gérer qu' il l' a fait parce qu'il vait connaissance de l'usage de ce verbe par e~chanstI9ue parr;u les aute~~s syria~ues des Vème et Vlè me siècles, il peut
le Targum palestinien dans le récit de la Pâgue et, en conséquence, dési- bIen se faIre que l.usa,ge de ,11n:p.arf~It de aggen, par opposition à la phra-
rait introduire dans ces deux passages de l'Evangile une résonance typo- se kad maggen, SOIt ne tout a fait mdependamment de l'influence de l'ana-
logique entre l'Agneau de Dieu incarné et l'agneau pascal. cela peut au phore de saint Jacques.
premier abord paraître plutôt forcé (tiré par les cheveux), mais il faut se . Le substantif dérivé maggnanuta est attesté pour la première fois à la
souvenir que ce lien typologique entre l'agneau pascal et le Christ, fm ~u Vème siècle, normalement dans le contexte de l'Incarnation. Lui
«1'agneau véritable», était très fort dans l'ancien christianisme syriaque, aUSSI a cependant été étendu rapidement à d'autres contextes et surtout à
et les parallèles entre les deux ont été élaborés en détail par Ephrem et par l'E~charistie . où il caractérise un nombre considérable d'épiclèses
d'autres, comme le montre le passage suivant d'Ephrem dans son synennes OCCIdentales.
Commentaire de ['Exode: . Bien que la phrase kad maggen dans l'anaphore de Jacques soit cer-
tameme?t une traduction du participe grec epiphoitèsan, il n'est pas du
L'agneau (pascal) est un symbole de notre Seigneur qui a été
t?ut vraIse~?lable que l'usage de aggen dans les invocations syriaques
conçu le lü ème jour de Nisan. Car, du dixième jour du septième mois
~Ire son ongme .de ce verbe grec, vu que aggen est un terme biblique
où Zacharie fut averti de la naissance de Jean (Luc 1, Il, pris comme
le Jour de l'expiation), jusqu'au 1ü du premier mois (= Nisan), Important en synaque, alors que epiphoitaô (et de même le substantif epi-
lorsque l'annonce fut faite à Marie par l'Ange, on compte six mois. phoitèsis) ne l'est pas en grec.
c'est pourquoi l'Ange lui dit : «C'est le sixième mois pour celle Ces quatre verbes utilisés dans les épiclèses eucharistiques syriaques
qu'on appelait "stérile" (Luc 1,36). Par conséquent, le 1ü ème jour (de son.t tous des caractéristiques distinctives de la tradition liturgique
Nisan), lorsque l'agneau pascal fut réservé (Ex 12,3), notre Seigneur syna~~e et cha~~n d' en~re eux a sa résonance propre et ses propres et
fut conçu 10; quand il fut immolé, lui, que symbolisait l'agneau, fut mysteneuses ongmes qUI nous font même parfois remonter (comme dans
crucifié. ~e cas ?e shra ~t de aggen) dans la préhistoire du christianisme syriaque
J~squ'~ ses racmes en araméen juif. Un autre verbe, rahhep, tire son ori-
10. Le 10 Nisan (avril) est régulièrement considéré comme la date de l'Annonciation
dans la littérature syriaque ancienne. Le 25 mars, familier aujourd'hui, est d'introduction gme d un passage de la PeShitta de l'Ancien Testament, qui par la suite est
beaucoup plus tardive.
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