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Master MECANIQUE, MATERIAUX, STRUCTURES, PROCEDES

Mention SCIENCES POUR L’INGENIEUR

CONCEPTS FONDAMENTAUX
DE LA
MECANIQUE DE LA RUPTURE

Abderrahim ZEGHLOUL

2016-2017
Sommaire

Chapitre I – Introduction 1

Chapitre 2 – Elasticité plane en variables complexes 15

Chapitre 3 – Concentration de contraintes près des entailles 36

Chapitre 4 – Intensification des contraintes à l’extrémité des fissures 73

Chapitre 5 – Mécanique linéaire de la rupture en fatigue des matériaux 119

Chapitre 6 – Mécanique non linéaire de la rupture 143


Chapitre I Introduction

La rupture est un problème auquel l’homme devra faire face aussi longtemps qu’il
construira des édifices ou fabriquera des structures. Ce problème est de plus en plus
crucial avec le développement, lié aux progrès technologiques, de structures complexes.
Les avancées dans la connaissance de la mécanique de la rupture permettent aujourd’hui
et plus précisément depuis le milieu du 20e siècle, de mieux prévenir le risque de
rupture.

Cependant, beaucoup de mécanismes de rupture sont encore mal connus notamment


lorsqu’on utilise de nouveaux matériaux ou de nouveaux procédés. Le coût des ruptures
catastrophiques représente, d’après les études économiques réalisées depuis le début des
années 80, près de 4% du PNB dans les pays industriels développés. On peut réduire ce
coût d’environ 30% en appliquant correctement les concepts connus de la mécanique de
la rupture et de 25% supplémentaires en développant davantage la recherche dans le
domaine de la rupture.

On distingue deux catégories de rupture des structures :

- celle provenant d’une négligence dans la conception, dans la construction ou dans


l’utilisation de la structure,
- et celle liée à l’utilisation d’un nouveau matériau ou d’un nouveau procédé, qui peut
provoquer une rupture inattendue.

Dans le premier cas, le risque de rupture peut être évité dès lors que la structure est bien
dimensionnée avec un choix de matériaux adaptés, et les chargements correctement
évalués.

Dans le deuxième cas, la prévention de la rupture est plus délicate. Lorsque le


concepteur utilise un nouveau matériau ou un nouveau procédé, il ne maîtrise pas
forcément tous les facteurs car la mise en œuvre de nouvelles techniques, bien qu’elle
procure des avantages, conduit inévitablement à des problèmes potentiels.

Ce sont peut-être les « bateaux de la liberté » (Liberty ship) de la seconde guerre


mondiale qui illustrent le mieux le second cas de rupture. Ces bateaux, dont la coque
était assemblée par soudage (et non plus par rivetage), coûtaient moins chers et étaient
plus rapidement fabriqués que leurs prédécesseurs. Ce changement de procédé de
fabrication qui constituait un progrès indéniable, conduisait cependant à des ruptures
catastrophiques développées dans les joints de soudure. Aujourd’hui, la plupart des
bateaux sont assemblés par soudage mais le progrès des connaissances et l’utilisation
des doubles coques en aciers plus adaptées, permettent de mieux maîtriser ce risque de
rupture.

L’utilisation des matériaux polymères procure, dans certaines applications, un avantage


par rapport à d’autres matériaux. Toutefois, cette utilisation peut aussi conduire au
deuxième cas de rupture. Par exemple, les conduites en polyéthylène utilisées pour le

1
transport du gaz naturel, facilitent les opérations de maintenance puisque l’intervention
sur ces conduites est opérée sur une faible longueur : on pince le tuyau de part et d’autre
de la zone d’intervention et ainsi, on provoque localement l’arrêt de l’écoulement du
gaz, sans qu’il soit nécessaire d’arrêter tout le système. Cependant, ce nouveau procédé
qui réduit incontestablement le coût de la maintenance, peut engendrer une rupture du
type 2. En effet, des fuites de gaz qui conduisaient parfois à des endommagements
importants apparaissaient régulièrement sur ces conduites. L’examen des zones de fuite
a montré que des fissures se développaient dans la partie pincée de la conduite ; ces
fissures initialement situées à l’intérieur de la paroi se propageaient sous l’effet de la
pression du gaz pour ensuite traverser la paroi et donc conduire à des fuites de gaz. Ces
accidents ne remettaient pas en cause le nouveau procédé de pinçage des conduites de
polyéthylène : l’utilisation de nouvelles nuances de polyéthylène, de densité plus faible,
réduisît ce risque de rupture.

Certaines ruptures catastrophiques sont à la fois de type 1 et 2. Par exemple, l’accident


survenu en 1986 sur la navette spatiale Challenger – l’engin explosa avec des passagers
à bord – fut provoqué parce qu'un joint de bague dans l’un des propulseurs a mal réagi à
la baisse de température liée à l’altitude. Les technologies nouvelles utilisées pour la
conception de la navette pouvaient en effet conduire à des défaillances de type 2.
Cependant, certains ingénieurs souhaitaient retarder le lancement de la navette : ils
suspectaient un problème potentiel dans les joints de bague avec risque de rupture (de
type 1 dans ce cas).

Durant les dernières décennies, le développement de la mécanique de la rupture a


incontestablement conduit à une meilleure fiabilité des structures. Il est difficile d’en
donner une estimation en termes de coût et surtout de vies humaines sauvées. Lorsque
les concepts de la mécanique de la rupture sont correctement appliqués, le type 1 de
rupture peut être évité et la fréquence des ruptures de type 2 est aussi réduite.

I.1 Aperçu historique sur la rupture

Eviter la rupture n’est pas en soi une idée nouvelle : les concepteurs des structures de
l’Egypte des pharaons ou ceux de l’empire romain nous ont laissé des édifices que l’on
peut encore contempler (pyramides, ponts …). Les matériaux utilisés avant la révolution
industrielle étaient cependant limités pour l’essentiel au bois de construction, à la pierre
ou à la brique et au mortier. La brique et le mortier sont relativement fragiles lorsqu’ils
sont utilisés en traction. Pour ces raisons, toutes ces structures anciennes (pyramides,
ponts romains…) qui ont su résister au temps, étaient chargées en compression - en fait,
toutes les structures de l’époque précédant la révolution industrielle étaient conçues
pour des chargements en compression. Il a fallu attendre la révolution industrielle au
début du 19e siècle, avec l’utilisation de l’acier, pour pouvoir enfin concevoir des
structures capables de résister à des charges de traction. La comparaison des anciens
ponts romains avec les ponts modernes de structure métallique montre bien que les
premiers étaient effectivement chargés en compression alors que les seconds le sont
plutôt en traction.

2
L’utilisation de nouveaux matériaux ductiles (acier et autres alliages métalliques) pour
des chargements en traction conduisit cependant à quelques problèmes. Des ruptures se
produisaient parfois pour des niveaux de charges bien inférieurs à la limite d’élasticité.
Dans un premier temps, ces risques de rupture ont été réduits en surdimensionnant les
structures. Mais cette solution devint insatisfaisante compte tenu des nécessités d’une
part d’alléger de plus en plus les structures, et d’autre part de réduire les coûts. La
recherche en mécanique de la rupture devait donc être développée.

Les premiers essais de rupture ont été menés par Léonard de Vinci (1452-1519) bien
avant la révolution industrielle : il a montré que la résistance à la traction d’un fil de fer
variait inversement avec la longueur de ce fil. Ce résultat suggérait déjà que les défauts
contenus dans le matériau contrôlaient la résistance de celui-ci : plus le volume est
important (fil de fer long) plus la probabilité de présence de fissure est importante.

Cette interprétation qualitative fût précisée plus tard en 1920 par Griffith qui établit une
relation directe entre la taille du défaut et la contrainte de rupture. S’appuyant sur les
travaux d’Inglis, Griffith appliqua l’analyse des contraintes autour d’un trou elliptique à
la propagation instable d’une fissure. Il formula ainsi à partir du premier principe de la
thermodynamique, une théorie de la rupture : un défaut devient instable et conduit à la
rupture lorsque la variation d’énergie liée à une propagation du défaut atteint l’énergie
spécifique du matériau. Cette théorie prédit correctement la relation entre la contrainte
de rupture et la taille du défaut dans les matériaux fragiles. Cependant, dans les
matériaux ductiles et notamment dans les alliages métalliques, l’avancée d’un défaut
s’accompagne d’une importante dissipation d’énergie due à la plastification qui se
développe à l’extrémité d’une fissure, énergie dont la théorie de Griffith ne tient pas
compte (puisqu’elle ne considère que l’énergie de création de surface). Il a fallu attendre
les travaux d’Irwin en 1948 pour que l’approche de Griffith soit applicable aux
matériaux ductiles : Irwin inclut dans le bilan énergétique, l’énergie due à la
plastification.

La mécanique de la rupture passa du stade de curiosité scientifique à celui d’une


discipline scientifique largement utilisée dans l’ingénierie de la construction, après
l’expérience des bateaux de la liberté. Le principe de conception de ces bateaux avec
une coque entièrement soudée remporta un grand succès jusqu’au jour où l’un de ces
navires se fissura en deux parties dans les eaux froides entre la Sibérie et l’Alaska. Une
dizaine d’autres navires sur les 2700 en service, subirent ensuite le même sort. Les
analyses des causes de rupture montraient que celles-ci provenaient de la combinaison
de trois paramètres :

- les joints de soudures contenaient des fissures,


- la plupart de ces fissures qui conduisaient à la rupture, se développaient à partir de
zones de forte concentration de contrainte,
- l’acier de construction utilisé pour ces bateaux, qui convenait pour les assemblages
par rivetage (puisqu’il n’y avait pas de risque pour une fissure de traverser toute la
coque), avait une faible ténacité.

3
Dès l’instant où la cause des ruptures était clairement identifiée, des plaques en acier de
meilleure ténacité furent fixes près des zones de forte concentration des contraintes pour
arrêter la propagation des fissures. On développa ensuite des aciers de forte ténacité et
on améliora le procédé de soudage ; c’est dans ces années après guerre qu’un groupe de
chercheurs dirigé par Irwin étudia en détail le problème de la rupture au laboratoire
national de recherche de la marine américaine.

Irwin considéra que les outils fondamentaux pour étudier la rupture existaient et proposa
en 1948, une extension de l’approche de Griffith aux matériaux ductiles en y incluant le
terme de dissipation d’énergie due à l’écoulement plastique près des extrémités d’une
fissure. Il développa ensuite en 1956 le concept de taux de restitution d’énergie à partir
toujours de la théorie de Griffith mais sous une forme facilement exploitable par les
concepteurs de structures. En 1957, s’appuyant sur les travaux de Westergaard sur
l’analyse des champs de déplacements et de contraintes élastiques près de l’extrémité
d’une fissure sous chargement donné, Irwin montra que ces déplacements et ces
contraintes pouvaient être décrits à l’aide d’un paramètre unique défini en liaison avec
le taux de restitution d’énergie. Ce paramètre issu de la mécanique linéaire de la rupture,
est le facteur d’intensité des contraintes (FIC).

Les nouveaux concepts de la mécanique de la rupture furent ensuite utilisés pour


montrer que la plupart des ruptures dans les fuselages d’avions étaient dues à des
fissures de fatigue qui atteignaient une taille critique (accidents avions Comet en 1954).
Ces fissures prenaient naissance près des hublots dans les coins qui constituent des
zones de forte concentration des contraintes. Les ruptures qui se produisaient dans les
essieux d’engins roulants ou encore dans les rotors des turbines à vapeur furent aussi
expliquées grâce à l’application de ces nouveaux concepts. Le concept de FIC fut
également utilisé par Paris et Erdogan pour décrire la propagation des fissures de
fatigue : les courbes de propagation de ces fissures remplacèrent peu à peu les courbes
d’endurance ; ce qui permit une meilleure prédiction des durées de vie des structures.

La période entre 1960 et 1980 vit une intensification des recherches sur la rupture avec
deux écoles concurrentes. D’un coté, les tenants de l’approche par la mécanique linéaire
de la rupture et de l’autre, les partisans de la plastification développée à l’extrémité
d’une fissure. La mécanique linéaire de la rupture cesse d’être valable lorsqu’une
plastification importante précède la rupture. Pour tenir compte de l’effet de cette
plastification sur les champs de contraintes et de déplacements à l’extrémité d’une
fissure, plusieurs auteurs (Irwin, Dugdale et Barenblatt …) proposèrent une « correction
de zone plastique » : la taille de la fissure est alors augmentée de cette zone plastique
pour retrouver les champs de contraintes élastiques décrits par le FIC.

Wells, un des représentants de la deuxième école, proposa en 1961 le déplacement à


fond de fissure - ou CTOD « Crack Tip Opening Displacement » - comme paramètre
alternatif dans le cas de plastification importante (comme par exemple, pour les
matériaux très ductiles), à la mécanique linéaire de la rupture et plus précisément au
concept de FIC. Plus tard, Hutchinson, Rice et Rosengren (HRR) développèrent un
nouveau paramètre appelé intégrale J pour mieux décrire la répartition des contraintes
dans les zones plastifiées (champ HRR). Begley et Landes caractérisèrent la ténacité à

4
l’aide du paramètre J et développèrent une procédure standard pour l’utilisation de cette
intégrale dans des cas pratiques. Shih et Hutchinson proposèrent également une
méthodologie pour utiliser l’intégrale J non seulement pour décrire la ténacité mais
aussi pour la relier à la taille du défaut et au champ des contraintes appliquées. Shih
établit par la suite la relation existant entre l’intégrale J et le CTOD.

Si les recherches en mécanique de la rupture sont restées centrées entre 1960 et 1980 sur
l’effet de la plastification, elles se sont ensuite orientées vers l’étude des comportements
viscoplastique et/ou viscoélastique. Le premier type de comportement se rencontre à
température élevée, lorsque les phénomènes de fluage deviennent importants, alors que
le second type caractérise les matériaux polymères - de plus en plus utilisés dans
l’industrie. L’apparition des nouveaux matériaux composites nécessita également
l’utilisation des concepts de la mécanique linéaire de la rupture pour la description du
comportement de ces matériaux.

Plus récemment, de nouvelles approches tentent de relier le comportement local à


l’échelle microscopique au comportement global lors de la rupture d’un matériau. Ces
approches micro-macro deviennent parfois nécessaires lorsqu’on atteint les limites
d’utilisation des approches plus classiques.

I.2 Utilisation de la mécanique de la rupture en conception

Deux approches sont utilisées pour le dimensionnement des structures (cf. figure I.1). La
première, la plus classique, repose sur la limité d’élasticité du matériau σ E , alors que la
seconde s’appuie sur le concept de ténacité K C issu de la mécanique linéaire de la
rupture (MLR).

Contrainte Limite
appliquée d’élasticité

a)

Contrainte
appliquée

Taille du Ténacité
défaut

b)

Figure I.1 : Comparaison de l’approche classique (a) et de l’approche utilisant la MLR (b)

5
Dans le premier cas, les structures sont dimensionnées pour que les contraintes
appliquées σ restent inférieures à la limité d’élasticité ( σ < σ E ). Un coefficient de
sécurité est en général introduit pour prévenir tout risque de rupture fragile ( σ < ασ E
avec α < 1 ). Cette approche, qui est entièrement décrite par les deux variables σ et σ E ,
fait donc abstraction de l’existence d’éventuels défauts sous forme de microfissures par
exemple.

L’approche basée sur la mécanique linéaire de la rupture est en revanche à trois


variables : la contrainte appliquée σ , la ténacité K C (qui remplace la limité d’élasticité)
et une nouvelle variable attachée cette fois-ci à la taille du défaut. Pour cette même
approche, deux études alternatives sont possibles : l’une utilise un critère d’énergie (cf.
I.2.1) et l’autre le concept d’intensité des contraintes critique (cf. I.2.2). Ces deux études
sont, sous certaines conditions, équivalentes.

Dans les deux prochaines sections, nous présentons brièvement ces deux études
alternatives pour ensuite, en préciser les hypothèses et en exposer les calculs.

I.2.1 Critère d’Energie

L’approche énergétique est basée sur le postulat suivant : l’extension d’une fissure qui
conduit à la rupture se produit lorsque l’énergie fournie est suffisante pour vaincre la
résistance du matériau. Cette résistance se compose de l’énergie de création de surface,
de l’énergie de plastification de l’extrémité de la fissure, et éventuellement d’autres
types d’énergies dissipatives associées à la propagation d’une fissure.

Griffith fut le premier à proposer un critère d’énergie pour la rupture des matériaux
fragiles, critère ensuite étendu aux matériaux ductiles par d’autres auteurs (dont Irwin et
Orowan).

L’énergie de Griffith notée G (qu’on appelle aussi taux de restitution d’énergie), est
définie en liaison avec la variation d’énergie par unité de surface fissurée, associée à la
propagation d’une fissure dans un matériau linéaire élastique. La rupture se produit
lorsque G atteint une valeur critique GC . Cette valeur est en fait une mesure de la
ténacité du matériau.

Pour une fissure de longueur 2a (figure I.2) dans une plaque de dimensions infinies
(c’est à dire lorsque la longueur de fissure est très petite par rapport aux dimensions de
la plaque dans la plan de chargement) constituée d’un matériau de module d’Young E
et soumise à une contrainte nominale de traction σ ∞ , l’énergie de Griffith G par unité
de surface fissurée est donnée par :

π (σ ∞ ) a
2

G= Ι.1
E

6
σ∞

2a

Figure I.2 : Fissure traversante de longueur 2a dans une plaque infinie

La rupture se produit lorsque la contrainte appliquée σ ∞ , devenue trop grande, atteint


une certaine valeur σ R . Par conséquent, si GC désigne la valeur critique de l’énergie
obtenue pour la contrainte appliquée σ R , la relation précédente donne la formule :

πσ 2R a
GC = Ι.2
E

Notons que pour une valeur fixée de GC , la contrainte à rupture σ R varie avec 1/ a ;
de même, si les valeurs GC et σ ∞ sont fixées, la longueur de défaut critique aC à
laquelle la rupture se produit, est donnée par :

EGC
aC = Ι.3
π (σ )
∞ 2

La figure I.3 illustre bien la différence entre l’approche classique qui fait abstraction de
l’existence d’une fissure (le critère de rupture est σ ∞ = σ E ) et l’approche par la MLR
qui prend en compte la présence de la fissure ( σ ∞ proportionnelle à 1 a ). La zone de
non rupture située sous les deux courbes représentant les approches précédentes qui
montre chacune des deux zones limitées par la longueur de défaut a0 , correspond à une
approche particulière.

L’énergie de Griffith G est la force motrice dans un matériau dont la résistance à la


rupture est donnée par GC . Ce qui peut être mis en analogie avec l’approche basée sur la

7
limite d’élasticité où la contrainte joue le rôle de force motrice dans un matériau dont la
résistance à la déformation plastique est donnée par la limite d’élasticité σ E .

Contrainte 1
à rupture σ ∞α
a
σ∞ =σE

Zone de non rupture


a0
Longueur de fissure

Figure I.3 : Comparaison entre l’approche classique et celle de la MLR.

Cette analogie illustre aussi le concept de similitude. La limite d’élasticité d’un


matériau, mesurée à partir d’essais sur des éprouvettes de laboratoire, est indépendante
de la taille des éprouvettes et peut donc être utilisée pour des structures de tailles
différentes dès lors que le matériau est raisonnablement homogène. Ce principe de
similitude est l’une des hypothèses fondamentales de la mécanique de la rupture : la
ténacité d’un matériau (mesurée par GC ) est indépendante de la taille et de la géométrie
de la structure fissurée. Cette hypothèse de similitude reste valable tant que le
comportement du matériau demeure linéaire élastique.

I.2.2 Concept d’intensité des contraintes

La figure I.4 schématise l’ensemble des contraintes appliquées sur un élément centré en
un point M de coordonnées polaires (r , θ ) par rapport à l’extrémité d’une fissure
sollicitée en mode d’ouverture ou mode I.

Ces contraintes, pour le mode d’ouverture ou mode I indiqué sur la figure I.2, sont
décrites par les relations suivantes :

σ xx =
KI FG 1 − sin θ sin 3θ IJ
θ
2H 2K
cos
2πr 2
θF θ 3θ I
cos G 1 + sin sin J
K
σ yy = Ι.4
2H 2K
I

2πr 2
KI θ θ 3θ
τ xy = cos sin cos
2πr 2 2 2

8
Ces relations peuvent s’écrire sous la forme condensée suivante :

KI
σ ij = f ij (θ ) Ι.5
2πr

y σ yy
τ xy
σ xx
r
θ x

Figure I.4 : Contraintes près de l’extrémité d’une fissure

Les formules de calcul du FIC K I , que l’on peut trouver dans les manuels spécialisés,
sont établies pour différentes configurations de chargement,. Dans le cas décrit par la
figure I.2, le facteur KI est donné par :

K I = σ ∞ πa Ι.6

En comparant les formules I.1 et I.6, il apparaît que :

2
K I2 K IC
GI = et GIC = Ι.7
E E

Dans l’approche basée sur le concept de FIC de la MLR, la rupture se produit lorsque le
FIC K I atteint la valeur critique K IC - cette valeur correspond en fait à la ténacité du
matériau. Dans cette approche, le coefficient K I est la force motrice dans un matériau
dont la résistance à la rupture est caractérisée par la ténacité K IC . Le principe de
similitude est supposé vérifié comme dans le cas de l’approche énergétique.

Les deux démarches sont équivalentes, via les relations I.7, pour un matériau dont le
comportement est linéaire élastique.

I.2.3 Propagation des fissures et concept de tolérance au dommage

La MLR permet le calcul de la durée de vie d’une structure soumise à des sollicitations
cycliques (phénomène de fatigue) ou sujette à des effets de corrosion sous tension,
puisque dans ce cas :

9
- la vitesse de propagation des fissures est caractérisée par un paramètre tel que le
FIC,
- et la taille critique de défaut à ne pas dépasser est directement liée à la ténacité
du matériau.

Par exemple, pour la fissuration par fatigue des alliages métalliques, la propagation de
fissure da/dN est généralement représentée par la relation empirique de Paris :

da
dN
b g
= C ∆K
m
Ι.8

où C et m sont des constantes du matériau, et ∆K l’amplitude du facteur d’intensité


des contraintes.

Parce que les structures contiennent inévitablement des défauts de type fissure, défauts
en général inhérents aux procédés même de fabrication des composants, leurs
dimensions sont choisies de sorte que ces défauts ne puissent atteindre la taille critique
conduisant à la rupture brutale : il s’agit du concept de tolérance au dommage. La MLR
fournit les outils nécessaires pour déterminer cette taille critique (relation I.3) et suivre
la propagation de la fissure (relation I.8).

L’évolution au cours du temps (cf. figure I.5) de la taille d’un défaut (de type fissure de
fatigue ou de corrosion sous tension) illustre bien le concept de tolérance au dommage.

Taille du
défaut Rupture
brutale

Durée de vie en
Longueur service
admissible

a0
Temps

Figure I.5 Concept de tolérance au dommage

En pratique, la longueur de fissure initiale a0 correspond à la limite de détection des


moyens de contrôle non destructif, et la longueur critique est déterminée à partir du
chargement appliqué et de la ténacité du matériau. Quant au coefficient de sécurité, il est
choisi de sorte que la longueur admissible du défaut reste inférieure à la longueur

10
critique. La durée de vie de la structure est alors déterminée en calculant le temps
nécessaire pour que la longueur de défaut passe de a0 à la longueur admissible.

I.3 Influence des propriétés des matériaux sur la rupture

En mécanique de la rupture, le choix du concept varie selon le comportement physique


du matériau.

La classification usuelle de ces concepts est la suivante :

-La mécanique linéaire de la rupture (MLR) pour les matériaux dont le


comportement est essentiellement linéaire élastique, tels les alliages d’aluminium
à précipitation durcissante, les aciers à haute limite élastique, les céramiques…

-La mécanique élastoplastique de la rupture (MEPR), pour les matériaux ductiles


tels les aciers à faible ou moyenne résistance, les inox ou aciers austénitiques, les
alliages de cuivre…

-La mécanique dynamique de la rupture (MDR), linéaire ou non linéaire, pour les
métaux sollicités à grandes vitesses de déformation – dans ces conditions, le
comportement peut aussi être viscoplastique.

- La mécanique viscoélastique de la rupture (MVER), essentiellement pour les


polymères sollicités à des températures au dessous de la température de transition
vitreuse.

- La mécanique viscoplastique de la rupture (MVPR) pour les polymères au dessus


de la température de transition ou encore les métaux et les céramiques sollicités à
haute température.

Remarques

1/ Si le temps n’agit pas en MLR et en MEPR, il intervient explicitement en


MDR, MVER et MVPR.
2/ La MEPR, la MDR, la MVER et la MVPR sont souvent regroupées dans le
domaine élargi de la mécanique non linéaire de la rupture (MNLR).

Considérons à présent, une plaque fissurée chargée jusqu’à rupture. La figure I.6
schématise la variation de la contrainte à rupture en fonction de la ténacité du matériau.

- Pour les matériaux à faible ténacité où la contrainte à rupture varie linéairement avec
le K IC (relation I.6), la rupture fragile est le principal mécanisme qui gouverne la
ruine de la structure. C’est la MLR qui décrit donc le mieux ce genre de
comportement.

11
- Pour les matériaux à très haute ténacité, la MLR n’est plus valable puisque les
propriétés d’écoulement du matériau gouvernent le mécanisme de rupture. Une
simple analyse de chargement limite permet alors de dimensionner les structures.
- Pour les matériaux à ténacité intermédiaire, la MNLR est souvent appliquée.

Contrainte
σ∞
à rupture

Analyse de 2a
chargement
MLR MNLR limite

Ténacité KIC

Figure I.6 : Comportement en fonction de la ténacité

I.4 Analyse dimensionnelle en mécanique de la rupture

L’analyse dimensionnelle est un outil important pour l’étude de la mécanique de la


rupture.

Pour décrire cette approche, nous considérons les configurations de chargement


représentées sur la figure I.7, où les différentes géométries de structures fissurées sont
soumises à la même contrainte σ ∞ loin de la fissure. Comme il s’agit de problèmes
plans, l’épaisseur des structures n’intervient pas.

- La figure I.7a représente une fissure de bord de très petite dimension par rapport
à celles de la plaque : le problème est donc traité comme un problème en milieu
infini. La plaque est conçue dans un matériau dont le comportement est linéaire
élastique, de module d’Young E et de coefficient de Poisson υ .

- La taille a de la fissure de la figure I.7b n’est plus négligeable : la largeur L de


l’éprouvette devient une variable additionnelle.

- Le cas de la figure I.7c se présente sous la même configuration de chargement


que le cas I.7b mais cette fois-ci, avec un matériau élastoplastique (élastique
plastique parfait). Deux autres variables doivent être considérées : la limite
d’élasticité σ E du matériau et la taille rp de la zone plastifiée qui se forme à
l’extrémité de la fissure.

12
Dans le cas le plus général, les contraintes σ ij en un point de coordonnées polaires
(r , θ ) par rapport à l’extrémité de la fissure, seront représentées par une fonction de
type :

σ ij = f (σ ∞ , σ E , E ,υ , a, r , L, rp , θ ) Ι.9

σ∞ σ∞ σ∞

L>>a L L

a a a
Zone
plastique
de taille rp

a) b) c)

Figure I.7 : Différents cas d’éprouvettes avec fissure de bord

Dans le cas de la figure 1.7a par exemple, cette fonction se réduit à :

σ ij = f1 (σ ∞ , E ,υ , a, r ,θ ) Ι.10

L’analyse dimensionnelle (théorème de Buckingham) permet alors d’écrire :

σ ij E r
∞ = F1 ( ∞ , ,υ , θ ) Ι.11
σ σ a

Pour le cas de la figure I.7 b, l’analyse dimensionnelle donne la formule :

σ ij E r L
∞ = F2 ( ∞ , , , υ , θ ) Ι.12
σ σ a a

où la largeur L de la plaque est la variable additionnelle.

Dans le cas de la figure I.7c, il vient la relation :

σ ij E σ E r L rp
∞ = F3 ( ∞ , ∞ , , , ,υ , θ ) Ι.13
σ σ σ a a a

13
où σ E et rp sont les deux autres variables additionnelles.

La relation I.12 correspond à un comportement élastique linéaire du matériau pour


lequel la MLR s’applique. Si L >> a , autrement dit si la taille de la fissure est faible par
rapport à la largeur L de l’éprouvette, il n’y a plus d’effet de bord et L n’est plus
considérée comme une dimension caractéristique : on retrouve alors la relation I.11.

La relation I.13 correspond à un comportement élastique plastique parfait décrit par la


MLNR. Lorsque la taille de la zone plastifiée est négligeable par rapport à la longueur
de la fissure (rp << a ) et que la contrainte appliquée est faible par rapport à la limite
d’élasticité du matériau (σ E >> σ ∞ ) , on retrouve la relation I.12. Ce qui était prévisible
puisque c’est précisément dans ces conditions (rp << a, σ ∞ << σ E ) que la MLR
s’applique.

14
Chapitre II Elasticité plane en variables complexes

II.1 Introduction

Lorsqu'on étudie l'équilibre d'un solide élastique soumis à des forces ou des
déplacements sur sa surface, et à des forces de volume, on cherche à déterminer en
chaque point les contraintes et les déformations. Ces grandeurs s’expriment dans le cas
d’un solide par des tenseurs que l’on écrit sous forme matricielle. Ceux-ci sont
déterminés à partir des différentes relations qui lient les contraintes, les déformations et
les déplacements.

Cette démarche conduit à un système d'équations aux dérivées partielles qu'il s’agit
d'intégrer en tenant compte des conditions aux limites exprimées en termes de force
et/ou de déplacements sur la surface du matériau solide.

Les différentes relations dont on dispose sont les équations statiques exprimant
l’équilibre en volume et en surface, les équations géométriques définissant les
déformations et celles exprimant la compatibilité de ces déformations, et enfin les
équations de comportement données par la loi linéaire de Hooke pour la plupart des
matériaux métalliques sollicités dans le domaine élastique.

II.2 Equations de l’élasticité

II.2.1 Equations statiques

a- Equilibre en volume


div σ + f = 0

Cette égalité vectorielle s’écrit dans le système des coordonnées cartésiennes que l’on
considérera dans toute la suite :

σ ij , j + f i = 0 II.1

avec σ = (σ ij ) le tenseur des contraintes en un point quelconque du solide étudié ;


f la densité des forces de volume caractérisant le poids du matériau, ...

15
b- Equilibre sur les surfaces (conditions aux limites)

T ( P, n ) = F ( P ) ou σ ij n j = Fi II.2

u ( P) = U ( P) ou ui = U i II.3
avec
T ( P, n ) le vecteur contrainte en un point P de la surface du solide et n la normale
extérieure en P ;
F ( P ) la densité superficielle des forces appliquées sur la surface considérée ;
u ( P ) le champ des déplacements en un point quelconque du solide ;
U ( P ) le déplacement imposé au point P de la surface.

II.2.2 Equations géométriques

a- Définition des déformations (dans l’hypothèse des petites perturbations)

1 → t → 1
ε= ( grad u + grad u ) ou ε ij = (ui , j + u j ,i ) II.4
2 2

ε = (ε ij ) est le tenseur des déformations en un point quelconque du solide.

b- Equations de compatibilité

ε ik , jl + ε jl ,ik − ε jk ,il − ε il , jk = 0 II.5

Six équations obtenues par permutation circulaire des indices (ijkl ) = (1212), (1213) .

II.2.3 Equations physiques de comportement (Loi de Hooke)

σ = 2 µε + λeI

ou σ ij = 2 µε ij + λ eδ ij II.6

avec σ = (σ ij ) le tenseur des contraintes, I = (δ ij ) la matrice unité ( δ ii = 1, δ ij = 0 pour


i ≠ j ), e la trace du tenseur ε des déformations c'est-à-dire la somme des termes
diagonaux de ε ( e = trace ε = ε kk = uk , k ), λ le coefficient de Lamé et µ le module de
cisaillement du matériau.

Inversement, pour exprimer les déformations en fonction des contraintes, on utilise la


relation :

16
1+υ υ
ε ij = σ ij − sδ ij II.7
E E

avec s = trace σ = σ kk , E le module d'Young et υ le coefficient de Poisson du


matériau.

Les coefficients λ et µ sont reliés à E et υ par les relations suivantes :

E υE
µ= et λ = II.8
2 (1 + υ) (1 + υ )(1 − 2υ )

Les relations I.8 sont établies en partant de la relation I.7 :

1+υ υ 1+υ υ E
ε ij = σ ij − sδ ij , soit e = ε kk = s − 3s ⇒ s = σ kk = e
e E E E 1 − 2υ

1+ υ υ E
I.7 devient alors ε ij = σij − . eδ ij
E E 1 − 2υ
soit :
E υE
σ ij = ε ij + eδ ij , d'où les relations I.8.
1+υ (1 + υ )(1 − 2υ )
2µ λ

La combinaison de ces différentes équations permet de résoudre un problème


d'élasticité, en termes de contraintes ou de déplacements ; cela dépendra principalement
de la manière dont sont exprimées les conditions aux limites (forces ou déplacements).

La recherche d'une solution en termes de déplacements par exemple, conduit aux


équations de Lamé-Navier qui s'obtiennent en introduisant l'expression des
déplacements II.4 dans la loi de comportement II.6, soit :

σ ij = µ (ui , j + u j ,i ) + λ uk ,k δ ij

ce qui donne dans la relation II.1 :

µ ( ui , j + u j ,i ), j + λ ( uk ,k δ ij ), j + f i = 0
µ ( ui , jj + u j ,ij ) + ( λuk ,ki ) + f i = 0
soit
( λ + µ ) u j , ji + µui , jj + f i = 0

que l'on peut écrire également :

∂e
(λ + µ ) + µ∆ui + f i = 0 II.9
∂ xi

17
∂ 2i ∂ 2i ∂ 2i ∂ 2i ∂ 2i ∂ 2i
où ∆ i= + + qui peut s’écrire aussi ∆ i = + + , est le laplacien
∂ x12 ∂ x22 ∂ x32 ∂ x2 ∂ y 2 ∂ z 2
et e = ε jj = u j , j la trace du tenseur ε .

Les relations II.9 sont appelées équations de Lamé-Navier ; elles permettent de résoudre
un problème d’élasticité en termes de déplacements.
Les relations permettant de trouver la solution en termes de contraintes vont être
établies au paragraphe suivant qui traite des états plans en élasticité.

II.3 Etats Plans en Elasticité

Un état est dit plan si l'un des axes de référence est principal. On examinera deux cas
principaux : état de contraintes planes ou état de déformations planes.

II.3.1 Etat de contraintes planes

L'état élastique d'un solide est un état de contraintes planes (par rapport au plan x,y),
si on a en tout point M du matériau :

 σ xx σ xy 0
 
σ ( M )( x , y , z ) =  σ xy σ yy 0 σ = σ ( x, y) ne dépend que de x et y.
 0 0 0 

C'est sensiblement l'état que l'on rencontre dans les structures minces planes, telles que
des plaques chargées dans leur plan.

Dans ces conditions, on a s = trace σ = σ x + σ y , et la loi de Hooke II.7 donne pour les
composantes non nulles du tenseur des déformations :



 ε xx =
1
(σ xx − υσ yy ) 2 µε xx =
1
1+υ
( σ xx − υσ yy ) 
E 

ε = 1 (σ − υσ )
 yy E yy xx
2 µε yy =
1
1+υ
(σ yy − υσ xx )
 ⇔  II.10a
 ε = 1+υ σ 2 µε xy = σ xy 
 xy
E
xy

 υ 
ε zz = − (σ xx + σ yy ) υ
2 µε zz = − (σ xx + σ yy ) 
 E 1+υ 

18
II.3.2 Etat de déformations planes

Un solide élastique est en état de déformations planes, si on a en tout point M du


matériau :

 ε xx ε xy 0 

ε ( M )( x , y , z ) =  ε xy ε yy 0  ε = ε ( x , y )
 0 0 0 

Cet état de déformations planes existe dans les structures épaisses planes chargées dans
leur plan.

Comme la déformation ε zz est nulle, on a d’après la loi de Hooke


1+υ
σ zz − υ (σ xx + σ yy + σ zz ) = 0 soit σ zz = υ (σ xx + σ yy ) et donc s = (1 + υ )( σ xx + σ yy ) .
E
Les composantes non nulles du tenseur des déformations sont alors données par :

 1+υ
ε xx = E ( (1 − υ )σ xx − υσ yy )

2 µε xx = (1 − υ )σ xx − υσ yy 
 
 1+υ 
ε yy =
E
( (1 − υ )σ yy − υσ xx ) ⇔ 2 µε yy = (1 − υ )σ yy − υσ xx  II.10b
 
 1+υ 2 µ = σ xy 
 ε xy = σ xy
 E 

II.3.3 Equations des états plans

Les relations de l'élasticité (Equilibre, loi de Hooke et compatibilité des déformations)


se simplifient dans le cas des états plans. Elles prennent une forme relativement simple
avec l’introduction du concept de fonction de contrainte appelée fonction d’Airy.

Conditions d'équilibre

∂σ xx ∂σ xy
+ +X =0
∂x ∂y
II.11
∂σ xy ∂σ yy
+ +Y = 0
∂x ∂y

où X et Y sont les composantes f i de la densité des forces de volume f .

19
Equations de compatibilité

∂ 2ε xx ∂ ε yy ∂ 2ε xx
2

+ − 2 =0
∂y 2 ∂x 2 ∂x∂y
II.12
∂ ε zz ∂ ε zz ∂ ε zz
2 2 2
= = =0
∂x 2 ∂y 2 ∂x∂y

La première équation de compatibilité peut être réécrite en termes de contraintes en


introduisant les relations II.10a ou II.10b selon qu’on ait en présence d’un état de
contraintes ou de déformations planes et en utilisant ensuite les relations d’équilibre
II.11. On aboutit alors à une relation unique intégrant toutes les équations de l’élasticité
(équilibre, comportement et compatibilité).

a- Etat de contraintes planes

∂2 ∂2 ∂ σ xy2

∂y 2 ( σ xx − υσ yy ) +
∂x 2 ( yy
σ − υσ xx ) = 2(1 + υ )
∂x∂y

∂ 2i ∂ 2i
soit en introduisant le laplacien ∆i= + pour les états plans
∂ x2 ∂ y 2

∂ 2σ xx ∂ σ yy2
∂ σ yy 2
∂ 2σ xx ∂ σ xy 2

∆σ xx − − υ + ∆ σ − − υ = 2(1 + υ )
∂x 2 ∂y 2 ∂y 2 ∂x 2 ∂x∂y
yy

 ∂ 2σ xx ∂ 2σ yy  ∂ 2σ xy
∆ (σ xx + σ yy ) − (1 + υ )  +  = 2(1 + υ )

 ∂x ∂y 2 ∂x∂y
2

∂ 2σ xx ∂ σ yy ∂ 2σ xy ∂X ∂ 2σ xy ∂Y
2

en utilisant les relations II.11 + =− − − − , on obtient


∂x 2 ∂y 2 ∂x∂y ∂x ∂x∂y ∂y
après simplification :

 ∂X ∂Y 
∆ (σ xx + σ yy ) + (1 + υ )  + =0 II.13a
 ∂x ∂y 

b- Etat de déformations planes

∂2 ∂2 ∂ σ xy
2

∂y 2
( (1 − υ )σ xx − υσ yy ) +
∂x 2
( (1 − υ )σ yy − υσ xx ) = 2
∂x∂y
 ∂ 2σ xx  ∂ 2σ yy  ∂ 2σ yy  ∂ 2σ xx ∂ 2σ xy
(1 − υ )  ∆σ xx −  −υ + (1 − υ )  ∆σ yy −  − υ =2
∂x 2 ∂y 2  ∂y 2 ∂x 2 ∂x∂y
   

20
 ∂ 2σ xx ∂ 2σ yy  ∂ 2σ xy
(1 − υ )∆ (σ xx + σ yy ) −  +  = 2
 ∂x 2 ∂y 2 ∂x∂y
 

∂ 2σ xx ∂ σ yy ∂ 2σ xy ∂X ∂ 2σ xy ∂Y
2

en utilisant les relations II.11 + =− − − − , on obtient


∂x 2 ∂y 2 ∂x∂y ∂x ∂x∂y ∂y
après simplification :

1  ∂X ∂Y 
∆ (σ xx + σ yy ) +  + =0 II.13b
1 − υ  ∂x ∂y 

II.4 Résolution des états plans par la méthode d’Airy

Les relations II.13a et II.13b permettent de résoudre les problèmes d’élasticité plane en
termes de contraintes. Celles-ci sont les inconnues, alors que les composantes X et Y des
forces de volume sont les données. La méthode d’Airy utilisée pour cette résolution
considère que les forces de volume dérivent d’un potentiel, c'est-à-dire qu’il existe une
fonction V ( x, y ) tel que :

∂V ∂V
f = − grad V soit X = − et Y = −
∂x ∂y

Dans ces conditions, les équations d’équilibre II.11 s’écrivent :

∂ ∂σ
(σ xx − V ) + xy = 0
∂x ∂y
∂ ∂σ
∂y
( σ yy − V ) + xy = 0
∂x

Ces deux relations sont toujours vérifiées si on pose :

∂G ∂G
σ xx − V = et σ xy = −
∂y ∂x
∂H ∂H
σ yy − V = et σ xy = −
∂x ∂y

∂G ∂H
Les deux expressions de σ xy impliquent que = , ce qui est toujours vrai si :
∂x ∂y

∂A ∂A
G= et H =
∂y ∂x

soit en définitive :

21
∂2 A
σ xx − V =
∂y 2
∂2 A
σ yy − V = II.14
∂x 2
∂2 A
σ xy = −
∂x∂y

La fonction de contrainte A = A( x, y ) est appelée fonction d’Airy.

En reportant les relations II.14 dans II.13a et II.13b respectivement, on obtient :

 ∂ 2V ∂ 2V 
∆ ( ∆A + 2V ) + (1 + υ )  − 2 − 2 =0
 ∂x ∂y 
soit
∆(∆A) + (1 − υ )∆V = 0 II.15a
et
1  ∂ 2V ∂ 2V 
∆ ( ∆A + 2V ) + − − =0
1 − υ  ∂x 2 ∂y 2 
soit
1 − 2υ
∆(∆A) + ∆V = 0 II.15b
1 −υ

Les forces de volume sont en général soit négligées (structures dont le poids intervient
peu sur les contraintes mises en jeu) auquel cas V = 0 , soit correspondent aux forces de
la pesanteur dans les structures pesantes (ponts, barrage…), qui s’expriment par :

f = ρg

où ρ est la masse volumique du milieu considéré et


g est l’accélération de la pesanteur.

En choisissant un repère de calcul tel que l’axe y soit la verticale ascendante par
exemple, on a alors :

f = − ρ gy = − grad V
d’où
V = V ( y ) = ρ gy + V0 et ∆V = 0

Dans ces conditions, les égalités II.15a et II.15b se réduisent à une relation unique :

∆ (∆A) = 0 II.16

22
Une fonction dont le laplacien est nul est dite harmonique et une fonction dont le
laplacien du laplacien est nul est dite bi harmonique.

La relation II.16 montre que la résolution d’un problème d’élasticité plane revient à
trouver une fonction d’Airy A = A( x, y ) bi harmonique.

Les polynômes de degré inférieur ou égal à trois sont des exemples de fonctions bi
harmoniques simples. Les polynômes de degré trois permettent de résoudre les
problèmes où les contraintes sont des fonctions linéaires de x et ou de y, comme celles
qui existent dans une poutre chargée en flexion simple par exemple.

II.5 Expression de la fonction d’Airy en variables complexes

II.5.1 Définition et propriétés des fonctions analytiques

Les fonctions algébriques, trigonométriques, exponentielles, logarithmiques … peuvent


être formées avec la variable complexe z, de la même manière qu’avec une variable
réelle. De telles fonctions sont appelées fonctions analytiques.

Si f ( z ) est une fonction analytique :

α = α ( x, y ) = Re f ( z )
f ( z ) = α + i β avec z = x + iy et 
 β = β ( x, y ) = Im f ( z )

• Le conjugué de f ( z ) est noté :

f ( z ) = f ( z ) = α − iβ

• La différentielle de f ( z ) par rapport à z est définie par :

df ∂f ∂f
f '( z ) = = = −i
dz ∂x ∂y

Comme f ( z ) = α + i β , la propriété précédente entraîne :

∂α ∂β ∂α ∂β
+i = −i +
∂x ∂x ∂y ∂y
soit
∂α ∂β
= (1)
∂x ∂y
∂α ∂β
=− (2)
∂y ∂x

23
Les conditions (1) et (2) sont appelées conditions de Riemann-Cauchy.

∂ (1) ∂ (2) ∂ (1) ∂ (2)


En calculant simultanément + et − , on obtient :
∂x ∂y ∂y ∂x

∆α = ∆β = 0

Les parties réelle et imaginaire d’une fonction analytique sont donc harmoniques.

Inversement, toute fonction harmonique peut être considérée comme partie réelle ou
imaginaire d’une fonction analytique.

• Si f ( z ) est une fonction analytique, ses dérivées et ses primitives successives le sont
aussi.

Exemples de fonctions analytiques

Les fonctions einz , z n et ln z sont analytiques. Leurs parties réelle et imaginaire qui
sont des fonctions harmoniques, peuvent être déterminées.

• f ( z ) = einz = ein ( x +iy )

df ∂f df ∂f df
= ineinz , = inein ( x + iy ) = et = − nein ( x +iy ) = i
dz ∂x dz ∂y dz
f ( z ) = e = e e = e ( cos nx + i sin nx )
inz inx − ny − ny

Les fonctions harmoniques associées sont e− ny cos nx et e− ny sin nx .

En échangeant n en –n, on voit que eny cos nx et eny sin nx sont également harmoniques.
Il en résulte que :

sinh ny sin nx , cosh ny sin nx , sinh ny cos nx et cosh ny cos nx , obtenues par
combinaison linéaire des fonctions harmoniques précédentes, sont également
harmoniques. Les fonctions sinh et cosh , appelés respectivement sinus et
cosinus hyperboliques, sont définies par :

e ny − e− ny e ny + e− ny
sinh ny = et cosh ny =
2 2

• f ( z ) = z n = ( x + iy )
n

24
df ∂f df ∂f df
= n ( x + iy ) = = in ( x + iy ) = i
n −1 n −1
= nz n −1 , et
dz ∂x dz ∂y dz
f ( z ) = z n = ( reiθ ) = r n einθ = r n (cos nθ + i sin nθ )
n

Les fonctions harmoniques associées sont r n cos nθ et r n sin nθ . Les fonctions


r − n cos nθ et r − n sin nθ sont également harmoniques.

∂ 2 i 1 ∂i 1 ∂ 2 i
Le laplacien en coordonnées polaires est donné par ∆i= + +
∂r 2 r ∂r r 2 ∂θ 2

• f ( z ) = ln z = ln ( x + iy )

df 1 ∂f 1 df ∂f i df
= , = = et = =i
dz z ∂x x + iy dz ∂y x + iy dz
f ( z ) = ln z = ln ( reiθ ) = ln r + iθ

Les fonctions harmoniques associées sont ln r et θ .

II.5.2 Expression de la fonction d’Airy

Lorsque A( x, y ) est une fonction d’Airy associée à un problème d’élasticité plane, elle
vérifie la condition [I.16], soit :

∆(∆A) = 0

• Si on pose ∆A = P ( x, y ) , la relation ∆(∆A) = 0 impose ∆P = 0 , donc P ( x, y ) est une


fonction harmonique et on peut alors lui associer une fonction analytique que l’on
définit comme suit :

f ( z ) = P + iQ

avec P ( x, y ) et Q( x, y ) vérifiant les conditions de Riemann-Cauchy, soit :

∂P ∂Q ∂P ∂Q
= et =−
∂x ∂y ∂y ∂x

Lorsqu’on connaît par exemple P ( x, y ) , Q( x, y ) se calcule facilement via les


conditions précédentes :

 ∂P ∂P 
Q = ∫ dQ = ∫  − dx + dy 
 ∂y ∂x 

25
1
• Si de plus on pose ϕ ( z ) = f ( z )dz = p + iq , ϕ ( z ) est alors analytique puisque
4∫
l’intégrale d’une fonction analytique l’est aussi.

Les parties réelle et imaginaire de ϕ ( z ) sont telles que :

∂p ∂q
∆p = ∆q = 0 avec P = 4 =4 = ∆A .
∂x ∂y

• Montrons à présent que la fonction p1 ( x, y ) = A( x, y ) − xp − yq est harmonique :

∂p1 ∂A ∂p ∂q ∂ 2 p1 ∂ 2 A ∂p ∂2 p ∂2q
= − p−x − y , = 2 −2 −x 2 − y 2
∂x ∂x ∂x ∂x ∂x 2 ∂x ∂x ∂x ∂x
∂p1 ∂A ∂p ∂q ∂ p1 ∂ A
2 2
∂ p
2
∂q ∂2q
= −x −q− y , = − x − 2 − y
∂y ∂y ∂y ∂y ∂y 2 ∂y 2 ∂y 2 ∂y ∂y 2
 ∂p ∂q 
∆p1 = ∆A − x ∆p − y ∆y − 2  +  = ∆A − P = 0
 ∂x ∂y 
P

p1 ( x, y ) étant harmonique, on peut lui associer une fonction analytique χ ( z ) telle que :

χ ( z ) = p1 + iq1

La fonction de contrainte d’Airy peut alors s’écrire en utilisant l’expression


p1 = A( x, y ) − xp − yq :

A( x, y ) = p1 + xp + yq

ou encore en utilisant les fonctions analytiques ϕ ( z ) et χ ( z ) introduites plus haut :

A( x, y ) = Re [ z ϕ ( z ) + χ ( z ) ] II.17a
ou
1
A( z , z ) = [ z ϕ ( z ) + zϕ ( z ) + χ ( z ) + χ ( z )] II.17b
2

Les fonctions analytiques ϕ ( z ) et χ ( z ) sont appelées potentiels complexes.

26
Lorsqu’on passe du couple des variables ( x, y ) aux couples de variables ( z , z ) avec
z+z z−z
x= et y = , les dérivations par rapport à z et z sont données par :
2 2i

∂ i ∂ i ∂x ∂ i ∂y 1  ∂ i ∂i 
= + =  −i 
∂z ∂x ∂z ∂y ∂z 2  ∂x ∂y 
∂ i ∂ i ∂x ∂ i ∂y 1  ∂ i ∂i 
= + =  +i 
∂z ∂x ∂z ∂y ∂z 2  ∂x ∂y 

II.6 Expression des contraintes

Lorsqu’on néglige les forces de volume, les relations II.14 deviennent :

∂2 A ∂2 A ∂2 A
σ xx = , σ = et σ = −
∂y 2 ∂x 2 ∂x∂y
yy xy

soit
∂2 A ∂2 A
σ yy + σ xx = 2 + 2 = ∆A II.18a
∂x ∂y
∂2 A ∂2 A ∂2 A
σ yy − σ xx + 2iσ xy = − − 2i II.18b
∂x 2 ∂y 2 ∂x∂y

La relation II.18a peut aussi s’écrire :

∂ 2 A ∂ 2 A ∂  ∂A ∂A  ∂  ∂A ∂A 
σ yy + σ xx = + 2 =  −i +i  −i 
∂x 2
∂y ∂x  ∂x ∂y  ∂y  ∂x ∂y 
 ∂ ∂  ∂A ∂A  ∂2 A
σ yy + σ xx =  + i  − i  = 4
 ∂x ∂y  ∂x ∂y  ∂z∂z

soit compte tenu de l’expression II.17b d la fonction d’Airy :

σ yy + σ xx = 2 (ϕ '( z ) + ϕ '( z ) ) = 4 Re [ϕ '( z ) ] II.19a

La relation II.18b peut également s’exprimer à partir des dérivées des potentiels
complexes ϕ ( z ) et χ ( z ) :

∂2 A ∂2 A ∂2 A  ∂ ∂  ∂A ∂A  ∂2 A
σ yy − σ xx + 2iσ xy = 2 − 2 − 2i =  − i  −i  = 4 2
∂x ∂y ∂x∂y  ∂x ∂y  ∂x ∂y  ∂z

soit compte tenu de II.17b :

27
σ yy − σ xx + 2iσ xy = 2 [ z ϕ ''( z ) + χ ''( z )] II.19b

On peut tirer de II.19a et II.19b, d’autres relations qui s’avèrent parfois utiles :

σ xx − iσ xy = ϕ '( z ) + ϕ '( z ) − z ϕ ''( z ) − χ ''( z )


σ yy + iσ xy = ϕ '( z ) + ϕ '( z ) + z ϕ ''( z ) + χ ''( z )

II.7 Expression des déplacements

Les déplacements sont déterminés par intégration des déformations. Ce calcul est
effectué pour les deux états plans étudiés.

a- Etat de déformations planes ( ε xz = ε yz = ε zz = 0 )

On utilise les relations II.10b qui s’écrivent :

2 µε xx = (1 − υ )σ xx − υσ yy = (1 − υ ) (σ xx + σ yy ) − σ yy
2 µε yy = (1 − υ )σ yy − υσ xx = (1 − υ ) (σ xx + σ yy ) − σ xx
soit
∂u x ∂2 A ∂p ∂ 2 A
2 µε xx = 2 µ = (1 − υ )∆A − 2 = 4(1 − υ ) − 2
∂x ∂x ∂x ∂x
∂u y ∂ A
2
∂q ∂ 2 A
2µε yy = 2µ = (1 − υ )∆A − 2 = 4(1 − υ ) − 2
∂y ∂y ∂y ∂y

ce qui donne après intégration :

∂A
2 µ u x = 4(1 − υ ) p − + α ( y)
∂x
∂A
2 µ u y = 4(1 − υ )q − + β ( x)
∂y

Les constantes d’intégration α ( y ) et β ( x) n’interviennent pas dans le calcul des


déformations : elles correspondent à des déplacements rigides d’ensemble dont on ne
tiendra pas compte dans la suite. On peut dans ces conditions écrire :

 ∂A ∂A  ∂A
2 µ ( u x + iu y ) = 4(1 − υ ) ( p + iq ) −  + i  = 4(1 − υ )ϕ ( z ) − 2
 ∂x ∂y  ∂z
soit
2 µ ( u x + iu y ) = (3 − 4υ )ϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z ) II.20a

28
a- Etat de contraintes planes ( σ xz = σ yz = σ zz = 0 )

On utilise les relations II.10a qui s’écrivent :

2 µε xx =
1
1+υ
( σ xx − υσ yy ) =
1
1+υ
(σ xx + σ yy ) − σ yy
2 µε yy =
1
1+υ
( σ yy − υσ xx ) =
1
1+υ
(σ xx + σ yy ) − σ xx
soit
∂u x 1 ∂2 A 4 ∂p ∂ 2 A
2 µε xx = 2 µ = ∆A − 2 = −
∂x 1 + υ ∂x 1 + υ ∂x ∂x 2
∂u 1 ∂2 A 4 ∂q ∂ 2 A
2µε yy = 2µ y = ∆A − 2 = −
∂y 1 + υ ∂y 1 + υ ∂y ∂y 2

ce qui donne après intégration et regroupement :

∂A
2 µ ( u x + iu y ) =
4 4
ϕ ( z) − 2 = ϕ ( z ) − ϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z )
1+υ ∂z 1 + υ
soit
3 −υ
2 µ ( u x + iu y ) = ϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z ) II.20b
1+υ

Les relations II.20a et II.20b sont généralement regroupées en une seule relation :

2 µ ( u x + iu y ) = κϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z ) II.20c

avec
κ = 3 − 4υ pour un état de déformations planes
3 −υ
κ= pour un état de contraintes planes
1+υ

II.8 Expression du torseur des efforts

Considérons un arc BC orienté de B vers C dans une plaque (figure II.1 ci-dessous où
(x,y) est le plan de la plaque).

• Le vecteur contrainte au point P, centré sur l'élément d'arc ds de normale


n : ( cosα , sin α ) sera noté T P , n  . Ses composantes ( X n , Yn ) sont définies par :
→ →
 →

T P , n  = σ n = ( X n , Yn )

 → →

29
Figure II.1

X n = t x.σ .n = σ x cos α + σ y sin α = Α, yy cos α − Α, xy sin α


soit
Yn = t y.σ .n = σ xy cos α + σ y sin α = − Α, xy cos α + Α, xx sin α

dy dx
Comme cosα = et sin α = − , les expressions de X n et Yn deviennent :
ds ds
d ∂ Α  d ∂ Α 
Xn =   et Yn = −   II.21
ds  ∂ y  ds  ∂ x 


• La résultante par unité d'épaisseur F : ( X , Y ) sur l'arc BC, est donnée par :

→ C → →

F = ∫ T  P, n ds
B
 
soit
C C
X = ∫ X n ds et Y = ∫ Yn ds
B B
d'où

C C
∂ Α ∂ Α ∂ Α ∂ Α  ∂ Α 
X + iY = ∫ ( X n + iYn )ds = ∫ d 
C C
−i  = −i  +i  = −2i  
B B
∂y ∂x ∂ x ∂ y B  ∂ z B

soit finalement, compte tenu de l'expression II.17b de Α :

() ()
C
X + iY = −i ϕ ( z ) + zϕ ' z + χ ' z  II.22
 B
• Le moment résultant par unité d'épaisseur en un point O, des efforts s’exerçant sur
l'arc BC, s'écrit :

→ C → →
 →
M = ∫ OP ∧ T  P, n ds = (0,0, M ) avec
B
 

30
C ∂ Α  ∂ Α 
M = ∫ ( xYn − yX n )ds = ∫ − xd 
C
 − yd  
B B
  ∂ x   ∂ y 

soit en intégrant par partie :


 ∂Α ∂ Α
C

M = [ Α] B −  x +y
C

 ∂x ∂ y  B

Le second terme de M peut aussi s'écrire :

∂Α ∂Α   ∂ Α ∂ Α 
x +y = Re ( x + iy )  −i 
∂x ∂ y   ∂ x ∂ y 
 ∂ Α
= Re  2 z 
 ∂z

{ () }
= Re z  zϕ ' ( z ) + ϕ z + χ ' ( z ) 
 

et l'expression de M devient alors, compte tenu de l'expression II.17b de Α :

M = Re  χ ( z ) − z χ ' ( z ) − z z ϕ ' ( z ) 
C
II.23
B

II.9 Changement de repère

Désignons par (O; x , y, x3 ) le repère plan des coordonnées cartésiennes, et par


( M ; α , β , x3 ) un repère associé à des coordonnées curvilignes (α , β ) . La figure II.2
montre ces deux repères que l’on choisit orthonormés.

Le vecteur déplacement u ( M ) a pour composantes dans chacun des repères :

u ( M ) = u x x + u y y + u3 x3
u ( M ) = uα α + uβ β + u3 x3

En exprimant α et β en fonction de x et de y dans la deuxième relation ci-dessus, il


vient :

u ( M ) = uα (cos θ x + sin θ y ) + uβ (− sin θ x + cos θ y ) + u3 x3

En comparant la relation ci-dessus à l’expression du vecteur déplacement u ( M ) dans le


repère (O; x , y, x3 ) , il apparaît que :

31
u x = uα cos θ − uβ sin θ
u y = uα sin θ + uβ cos θ
soit
u x + iu y = uα (cos θ + i sin θ ) + iuβ (cos θ + i sin θ ) = ( uα + iuβ ) eiθ

y
β
u (M )
α

M θ
x3
α = constante
β = constante
θ
O x
Figure II.2

La relation II.20c exprimant les composantes du déplacement en fonction des potentiels


complexes ϕ ( z ) et χ ( z ) , devient donc :

2 µ ( uα + iuβ ) = e − iθ ( κϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z ) ) II.24

Le changement de repère de (O; x , y, x3 ) à ( M ; α , β , x3 ) est caractérisé par la matrice de


passage suivante :

 cos θ − sin θ 0
 
P :  sin θ cos θ 0
 0 0 1 

On peut remarquer que, s’agissant des composantes du vecteur déplacement, on a bien


u ( M )( x , y , x3 ) = P ⋅ u ( M )(α , β , x ) .
3

La matrice P caractérise le passage d’un repère orthonormé direct à un autre repère


orthonormé direct. C’est une matrice orthogonale, c'est-à-dire telle que :

det P = 1 et P −1 = t P

Considérons maintenant le vecteur contrainte T ( M , n ) qui s’exerce en un point M situé


sur un pourtour quelconque de normale extérieure n . On a alors :

32
T ( M , n )( x , y , x3 ) = P ⋅ T ( M , n )(α , β , x )
3

Ce vecteur s’exprime en fonction du tenseur des contraintes σ , dans les deux repères
considérés, par :

T ( M , n )( x , y , x3 ) = σ ( x , y , x3 ) ⋅ n( x , y , x3 ) (1)
T ( M , n )(α , β , x ) = σ (α , β , x ) ⋅ n(α , β , x ) (2)
3 3 3

La relation (2) ci-dessus peut être réécrite dans le repère (O; x , y, x3 ) en utilisant la
matrice de passage P :

T ( M , n )(α , β , x ) = P −1 ⋅ T ( M , n )( x , y , x3 ) = σ (α , β , x ) ⋅ P −1 ⋅ n( x , y , x3 )
3 3

soit
T ( M , n )( x , y , x3 ) = P ⋅ σ (α , β , x ) ⋅ P −1 ⋅ n( x , y , x3 )
3

En comparant la relation ci-dessus à la relation (1), il apparaît que :

σ ( x , y , x ) = P ⋅ σ (α , β , x ) ⋅ P −1
3 3
(3)

 σ xx σ xy 0  σ αα σ αβ 0
   
avec σ ( x , y , x3 ) =  σ xy σ yy 0  et σ (α , β , x3 ) =  σ αφ σ ββ 0
 0 0 σ 3   0 0 σ 3 
 

Le développement de la relation (3) donne :

σ xx = σ αα cos 2 θ + σ ββ sin 2 θ − 2σ αβ sin θ cos θ


σ yy = σ αα sin 2 θ + σ ββ cos 2 θ + 2σ αβ sin θ cos θ
σ xy = (σ αα − σ ββ ) cos θ sin θ + σ αβ (cos 2 θ − sin 2 θ )

On a d’une part :

σ xx + σ yy = σ αα + σ ββ

et d’autre part, en utilisant les identités sin 2θ = 2sin θ cos θ , cos 2θ = cos 2 θ − sin 2 θ ,
1 + cos 2θ 1 − cos 2θ
cos 2 θ = et sin 2 θ = , les expressions précédentes des composantes
2 2
σ xx , σ yy et σ xy , deviennent :

33
1 + cos 2θ 1 − cos 2θ
σ xx = σ αα + σ ββ − σ αβ sin 2θ
2 2
1 − cos 2θ 1 + cos 2θ
σ yy = σ αα + σ ββ + σ αβ sin 2θ
2 2
sin 2θ
σ xy = (σ αα − σ ββ ) + σ αβ cos 2θ
2
d’où
σ yy − σ xx + 2iσ xy = σ ββ (cos 2θ − i sin 2θ ) − σ αα (cos 2θ − i sin 2θ )
+ 2iσ αβ (cos 2θ − i sin 2θ )
soit
σ yy − σ xx + 2iσ xy = (σ ββ − σ αα + 2iσ αβ ) e −2iθ

Les relations II.19a et II.19b exprimant les composantes du tenseur des contraintes en
fonction des potentiels complexes ϕ ( z ) et χ ( z ) , deviennent donc :

σ αα + σ ββ = σ xx + σ yy = 4 Re [ϕ '( z ) ] II.25a
σ ββ − σ αα + 2iσ αβ = 2e2 iθ [ z ϕ ''( z ) + χ ''( z )] II.26b

Remarque

Aux coordonnées ( x, y ) , on associe le complexe z = x + iy ; et de même aux


coordonnées (α , β ) , on peut associer le complexe ζ = α + i β . Comme
x = x(α , β ) et y = y (α , β ) , on a donc :

dz
z = f (ζ ) et = f '(ζ )

On montre facilement que f '(ζ ) = f '(ζ ) eiθ , autrement dit, l’argument de f '(ζ )
est égal à l’angle θ que font entre eux les deux repères associés respectivement
aux coordonnées ( x, y ) et (α , β ) .

arg f '(ζ ) = arg dz − arg dζ = u ( M ), x − u ( M ), α = θ

Donc, on a bien f '(ζ ) = f '(ζ ) eiθ et de même pour le conjugué


f '(ζ ) = f '(ζ ) e − iθ
, ce qui permet d’écrire :

f '(ζ )
= e 2iθ II.27
f '(ζ )

34
Résumé des principaux résultats du chapitre

La résolution d’un problème d’élasticité plane se ramène à la recherche d’une fonction


de contrainte, appelée fonction d’Airy A, qui est bi harmonique, c'est-à-dire telle que
∆ (∆A) = 0 .

L’expression de cette fonction de contrainte, à partir des potentiels complexes ϕ ( z ) et


χ ( z ) , est donnée par :

1
A( x, y ) = Re [ z ϕ ( z ) + χ ( z )] = [ z ϕ ( z ) + zϕ ( z ) + χ ( z ) + χ ( z )]
2

La recherche de la fonction d’Airy revient donc à trouver ces potentiels complexes. Les
composantes du tenseur des contraintes et du vecteur déplacement sont alors
déterminées par les relations suivantes :

- dans un repère de cordonnées cartésiennes ( x, y )

σ yy + σ xx = 2 (ϕ '( z ) + ϕ '( z ) ) = 4 Re [ϕ '( z ) ]


σ yy − σ xx + 2iσ xy = 2 [ z ϕ ''( z ) + χ ''( z )]
2 µ ( u x + iu y ) = κϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z )

- dans un repère associé à d’autres coordonnées (α , β ) , et faisant un angle θ


par rapport au précédent

σ ββ + σ αα = 2 (ϕ '( z ) + ϕ '( z ) ) = 4 Re [ϕ '( z )]


σ ββ − σ αα + 2iσ αβ = 2e2 iθ [ z ϕ ''( z ) + χ ''( z )]
2 µ ( uα + iuβ ) = e − iθ [κϕ ( z ) − zϕ '( z ) − χ '( z ) ]

3 −υ
avec κ = 3 − 4υ ou κ = selon qu’on est en présence d’un état de déformations
1+υ
planes ou d’un état de contraintes planes.

35
Chapitre III Concentration des contraintes près des entailles

III.1 Introduction

Les calculs de dimensionnement des structures sont principalement basés sur la théorie
de l’élasticité. Lorsque la limite d’élasticité est dépassée, des déformations plastiques se
développent, ce qui nécessite l’utilisation des théories plus compliquées de la plasticité.
Cependant, la fatigue des matériaux ou encore la corrosion sous tension, se produisent
le plus souvent à des niveaux de contrainte relativement bas où la théorie de l’élasticité
est applicable.

Dans les structures, des entailles géométriques dues à des changements brusques de
section (épaulements, gorge, cannelure, orifice de lubrification …) sont souvent
inévitables compte tenu de leur rôle fonctionnel. Au voisinage de ces incidents de
forme, les répartitions des contraintes sont inhomogènes et conduisent à des
concentrations de contraintes : la figure III.1 illustre ces concentrations où l’on observe
que la contrainte atteinte à la racine du trou est bien plus élevée que la contrainte
nominale σ nom de traction appliquée à la plaque.
σ nom

σ nom

σ nom

Figure III.1 Répartition des contraintes autour d’un trou dans une plaque

Le facteur de concentration des contraintes est le rapport de la contrainte maximale


( σ max ) observée à la racine de l’incident de forme sur la contrainte nominale ( σ nom ) à
laquelle la structure est soumise. Ce facteur, noté K t , est donné par :

σ max
Kt = III.1
σ nom

36
La sévérité de la concentration de contraintes dépend de la géométrie et de la
configuration de l’entaille. Lorsqu’on conçoit une structure, on cherche à réduire autant
que possible les concentrations de contraintes pour éviter notamment les problèmes de
rupture par fatigue. Ce chapitre traite des différents aspects des concentrations des
contraintes et des effets de la géométrie sur le facteur K t : c’est l’une des questions
fondamentales pour le dimensionnement en fatigue des structures. Le chapitre
commence par la détermination théorique de ce facteur en s’appuyant sur les résultats
du chapitre précédent.

III.2 Détermination théorique du facteur de concentration de contraintes

Considérons une plaque avec un trou elliptique central, très petit par rapport aux
dimensions de la plaque (figure III.2a).

a- b-

Figure III.2 a- Entaille elliptique et b- entaille hyperbolique

Pour traiter le problème de concentration de contraintes au voisinage de ce genre de


contour curviligne, on adopte le changement de variable suivant :

x = x(α , β ) = c cosh α cos β


III.2
y = y (α , β ) = c sinh α sin β

qui présente l’avantage de décrire à la fois les contours elliptiques et les contours de
forme hyperbolique (figure III.2b) selon que l’on maintient constante la variable α ou
la variable β .

37
- pour α = α 0

x = c cosh α 0 cos β = a cos β x2 y2


soit + = 1 (équation d’une ellipse)
y = c sinh α 0 sin β = b sin β a2 b2

a = c cosh α 0 ; b = c sinh α 0 et c = a 2 − b 2 ;

les foyers de l’ellipse sont situés à x = ±c .

- pour β = β 0

x = c cosh α cos β 0 = a 'cosh α x2 y2


soit − = 1 (équation d’une hyperbole)
y = c sinh α sin β 0 = b 'sinh α a '2 b '2

a ' = c cos β 0 ; b ' = c sin β 0 et c = a '2 + b '2 ;

les foyers de l’hyperbole sont aussi situés à x = ±c .

On a ainsi un faisceau d’ellipses et d’hyperboles homofocales pour différentes valeurs


fixées de α et β (figure III.3).

2a = 2c cosh α 0
y

x
2b = 2c sinh α 0 α
β
θ
Ellipses α i > α 0

Foyers distants de 2c

Ellipse α 0 Hyperboles βi

Figure III.3 Faisceau d’ellipses et d’hyperboles homofocales

38
A partir des relations III.2, on définit le complexe :

z = x + iy = c ( cosh α cos β + i sinh α sin β ) = c cosh(α + i β )


soit
z = c cosh ζ = f (ζ ) ; z = c cosh ζ = f (ζ )

et
dz dζ 1
= f '(ζ ) = c sinh ζ ; =
dζ dz c sinh ζ

La relation II.27 établie dans le chapitre précédent permet d’écrire :

f '(ζ ) sinh ζ
e2 iθ = = où θ est l’angle ( x , α )
f '(ζ ) sinh ζ

III.2.1 Plaque uniformément chargée

La figure III.4 représente une plaque uniformément chargée, autrement dit, la contrainte
σ ∞ appliquée à la plaque est perpendiculaire en tout point à ses extrémités. Cette plaque
est percée d’un très petit trou elliptique. On utilise les résultats du chapitre précédent
pour déterminer les potentiels complexes ϕ ( z ) et χ ( z ) associés à cette configuration de
chargement.

σ∞

y
ρ
σ∞ x σ∞ i A' 2b Ai

2a

σ∞

Figure III.4 Plaque uniformément chargée


percée d’un trou elliptique de rayon à fond d’entaille ρ

39
• Les conditions limites aux bords de la plaque, c'est-à-dire à l’infini compte tenu de la
taille importante de la plaque comparée à celle du trou elliptique, sont données par :

σ x∞ = σ y∞ = σ ∞ et σ xy∞ = 0

Ce qui, dans les relations II.19a et II.19b du chapitre précédent, conduit à :

σ y∞ + σ x∞ = 2σ ∞ = 4 Re [ϕ '( z )]∞
et
σ y∞ − σ x∞ + 2iσ xy∞ = 0 = 2 ( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )∞

 2 Re [ϕ '( z )]∞ = σ

On a donc pour z grand :  III.3a


( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )∞ = 0

• Les conditions limites aux extrémités du trou elliptique, c'est-à-dire pour α = α 0 , sont
données par :

σ α )α =α = σ αβ )α =α = 0 quelque soit β ,
0 0

soit, compte tenu des relations [I.22a] et [I.22b] du chapitre précédent :

σ β )α =α = 4 Re [ϕ '( z )]α =α = 2 (ϕ '( z ) + ϕ '( z ) )α =α et


0 0 0

σ β )α =α = 2e2iθ ( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )α =α


0 0

d’où
(ϕ '( z ) + ϕ '( z ) )α =α 0
− e 2iθ ( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )α =α = 0
0
III.3b

Il s’agit donc maintenant de trouver les fonctions analytiques ϕ ( z ) et χ ( z ) satisfaisant


les conditions limites III.3a et III.3b.

Comme, par raison de continuité, les composantes des contraintes doivent être
périodiques et de période 2π par rapport à β , les solutions ϕ ( z ) et χ ( z ) doivent avoir
des formes qui engendrent cette périodicité. De telles formes sont :

sinh nζ = sinh nα cos nβ + i cosh nα sin nβ


cosh nζ = cosh nα cos nβ + i sinh nα sin nβ

On pourra vérifier que les parties réelles et imaginaires de ces fonctions analytiques
sont harmoniques.

De plus, les fonctions ϕ ( z ) et χ ( z ) n’intervenant que par leur dérivées, on peut


adjoindre aux formes précédentes la fonction Aζ où A est une constante réelle ou
complexe. Par ailleurs, les contraintes devant rester finies loin de l’entaille (c'est-à-dire

40
à l’infini), l’entier n doit rester inférieur à un ( n ≤ 1 ) pour ϕ ( z ) et inférieur à deux
( n ≤ 2 ) pour χ ( z ) . Les solutions ont donc la forme générale suivante :

 z = c cosh ζ

 ϕ ( z ) = A0ζ + A1 sinh ζ + A2 cosh ζ III.4
 χ ( z ) = B ζ + B sinh ζ + B cosh ζ + B sinh 2ζ + B cosh 2ζ
 0 1 2 3 4

Dans le cas de la plaque chargée uniformément et percée d’une petite entaille elliptique,
les solutions ϕ ( z ) et χ ( z ) ont été proposées par KOLOSOFF en 1913. Seuls les termes
A1 et B0 sont non nuls, et cet auteur présente les solutions sous la forme :

ϕ ( z ) = Ac sinh ζ ( A1 = Ac ) réel
χ ( z ) = Bc 2ζ ( B0 = Bc 2 ) réel

Les calculs des dérivées de ces fonctions analytiques donnent :

Ac cosh ζ cosh ζ A A cosh ζ


ϕ '( z ) = =A ; ϕ ''( z ) = − ; z ϕ ''( z ) = −
c sinh ζ sinh ζ c sinh ζ
3
sinh 3 ζ
Bc B cosh ζ
χ '( z ) = ; χ ''( z ) = −
sinh ζ sinh 3 ζ

• Comme coth ζ )α →∞ = 1 , Re [ϕ '( z )] = A et ( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )


∞ ∞
= 0 , les conditions
limites [II.3a] à l’infini conduisent à :

σ∞
A=
2

• Au bord du trou elliptique, on a α = α 0 , d’où ζ = α 0 + i β , ζ + ζ = 2α 0 ou


ζ = 2α 0 − ζ , les conditions limites [II.3b] deviennent :

 cosh ζ cosh ζ  sinh ζ  cosh ζ cosh ζ 


A + + A +B =0
 sinh ζ sinh ζ  sinh ζ  sinh ζ sinh 3 ζ 
3

 cosh ζ sinh ζ + sinh ζ cosh ζ 


A
sinh ζ sinh ζ
+
1
( A cosh ζ + B cosh ζ ) = 0
 sinh ζ sinh ζ
2

 
1      
 A sinh ζ ⋅ sinh  ζ + ζ  + cosh ζ + B cosh ζ  = 0
  
sinh 2 ζ sinh ζ   2α 0 −ζ  
   2α 0  
soit
A [sinh ζ ⋅ sinh 2α 0 + cosh 2α 0 cosh ζ − sinh 2α 0 sinh ζ ] + B cosh ζ = 0

41
D’où finalement ( A cosh 2α 0 + B ) cosh ζ = 0 et donc :

σ∞
B = − A cosh 2α 0 = − cosh 2α 0
2

Les potentiels complexes ont alors pour expressions :

σ ∞c σ ∞ c 2 cosh 2α 0
ϕ ( z) = sinh ζ et χ ( z) = − ζ
2 2

La contrainte maximale σ βmax est atteinte à l’extrémité A (ou A’) de l’entaille (figure 4),
c'est-à-dire pour α = α 0 et β = 0 en A, soit ζ = α 0 . Comme la contrainte σ α )α =α est
0

nulle, la valeur de σ β max


peut être calculée directement :

cosh α 0 a
σ βmax = 4 Re [ϕ '( z ) ]ζ =α = 2σ ∞ = 2σ ∞
0
sinh α 0 b

Le facteur de concentration des contraintes K t est quant à lui donné par :

σ max σ β
max
a
Kt = = ∞ =2 III.5a
σ nom σ b

Le rayon ρ à fond d’une entaille elliptique de grand axe a et de petit axe b


s’exprimant par ρ = b 2 a , le facteur K t peut aussi s’écrire :

ρ
Kt = 2 III.5b
a

Pour un trou circulaire, le facteur K t vaut 2 et il tend vers l’infini lorsque b << a ou
lorsque ρ tend vers 0, ce qui suggère que les contraintes sont infinies à l’extrémité
d’une fissure dans un matériau élastique.

III.2.2 Plaque percée d’un trou elliptique sollicitée en traction simple

• Les conditions limites aux bords de la plaque (figure III.5), sont données par :

σ y∞ = σ ∞ et σ x∞ = σ xy∞ = 0

Ce qui, dans les relations II.19a et II.19b du chapitre précédent, conduit à :

42
σ y∞ = σ ∞ = 4 Re [ϕ '( z )]∞
et
σ y∞ = 2 ( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )∞ = σ ∞

 4 Re [ϕ '( z )]∞ = σ ∞
On a donc pour z grand : 
( z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) )∞ = σ

• Les conditions limites aux extrémités d’un trou elliptique, c'est-à-dire pour α = α 0 ,
sont comme dans le cas précédent (plaque uniformément chargée) données par les
relations [II.3b].

σ∞

y
x
i A' Ai

Ellipse α = α 0

σ∞

Figure III.5 Plaque chargée en traction simple,


percée d’un trou elliptique de rayon à fond d’entaille ρ

Les solutions pour cette configuration de chargement ont été proposées par Stevenson
en 1945. Ces solutions de la forme III.4 ont pour expressions :

ϕ ( z ) = Ac cosh ζ + Bc sinh ζ
χ ( z ) = Dc 2ζ + Ec 2 cosh 2ζ + Fc 2 sinh 2ζ
avec
σ∞ σ∞ σ∞
A=−
4
e 2α 0 , B=
4
( )
1 + e 2α 0 , D = −
4
(1 + cosh 2α 0 ) ,
σ∞ 2α 0 σ∞
E= e cosh 2α 0 et F =− e2α0 sinh 2α 0
8 8

43
La contrainte maximale σ βmax , atteinte à l’extrémité A de l’entaille (figure III.5) pour
ζ = α 0 , est calculée comme dans le cas précédent :

 cosh α 0 
σ βmax = 4 Re [ϕ '( z ) ]ζ =α = 4  A + B 
0
 sinh α 0 
soit
 α 
σ βmax = σ ∞  −e 2α + (1 + e 2α
0 0
) cosh 0

 sinh α
0 
  cosh α 0 − sinh α 0  cosh α 0 
σ βmax = σ ∞  e 2α0  + 
  sinh α 0  sinh α 0 
 eα0 cosh α 0  ∞  2 cosh α 0 + sinh α 0 
σ βmax =σ∞  +  =σ  
 sinh α 0 sinh α 0   sinh α 0 

d’où finalement :

 a
σ βmax = σ ∞ 1 + 2 
 b 

et le facteur de concentration des contraintes est alors donné par :

a
Kt = 1 + 2 III.6a
b

ou encore en fonction du rayon à fond d’entaille ρ :

ρ
Kt = 1 + 2 III.6b
a

Pour un trou circulaire, le facteur K t vaut 3 et lorsque l’entaille tend vers la fissure
( b << a ou ρ → 0 ), les contraintes sont infinies.

La contrainte au point A est maximale σ β ( A) = σ ∞ (1 + 2a b ) ; au point B (figure


III.6a), on a α = α 0 et β = π 2 d’où ζ B = α 0 + i π 2 :

σ β ( B) = 4 Re [ϕ '( z ) ]ζ
B

 cosh ζ B  cosh ζ B = cosh (α 0 + i π 2 ) = i sinh α 0


σ β ( B) = 4 Re  A + B  avec  sinh ζ = sinh α + i π 2 = i cosh α
 sinh ζ B   B ( 0 ) 0

d’où

44
σ β ( B) sinh α 0  sinh α 0 − cosh α 0  sinh α 0
= −e2α + (1 + e2α )
0 0
= e 2α 
0
+
σ ∞
cosh α 0  cosh α 0  cosh α 0
σ β ( B)  −eα + sinh α 0 
0
cosh α 0
= =− = −1
σ ∞
 cosh α 0  cosh α 0

Au point B s’exerce donc une contrainte de compression −σ ∞ . Ce résultat, vrai pour


tout trou elliptique, est en particulier vrai pour un trou circulaire (figure III.6b) ; la
contrainte au point A du trou circulaire vaut quant à elle 3σ ∞ ( K t = 3 ).

 a
σ ∞ 1 + 2 
 b 
B 3σ ∞
−σ ∞
−σ ∞
B θ =π /3
A Zones où A
σθ < 0

a- b-

Figure III.6 Plaque sollicitée en traction : contraintes aux extrémités A et B


a- d’un trou elliptique et b- d’un trou circulaire

La contrainte, le long du trou circulaire, est en fait donnée par :

σ θ = σ ∞ (1 + 2 cos 2θ ) ( β = θ pour un trou circulaire)

Cette relation montre que la contrainte σ θ , qui vaut 3σ ∞ pour θ = 0 , s’annule pour
θ = π 3.

Par raison de symétrie, la contrainte σ θ est négative dans les zones où π / 3 < θ < 2π / 3
et −2π / 3 < θ < −π / 3 (figure III.6b).

On peut montrer que la contrainte σ θ en n’importe quel point de la plaque percée d’un
trou circulaire, et sollicitée en traction, est donnée par :

σ∞  a 2  σ ∞  3a 4 
σθ =  1 + + 1 + 4  cos 2θ III.7
2  r2  2  r 

où a est le rayon du trou circulaire et ( r , θ ) sont les coordonnées polaires du point


considéré.

45
III.3 Gradient de contrainte le long de l’axe d’une entaille

• La formule III.7 montre que la variation de la contrainte σ θ le long de l’axe du trou


circulaire, c'est-à-dire pour θ = 0 (soit y = 0 , r = x et σ θ = σ y ), est donnée par :

σ y ) y =0 1a 3a
2 4

= 1+   +   III.8
σ∞ 2 x 2 x

Lorsque x est grand, σ y ) = σ ∞ et pour x = a , σ y ) = 3σ ∞ = σ max .


y =0 y =0

• La relation équivalente à III.8 pour un trou elliptique est donnée par :

σ y ) y =0 N ( x)
= 1+ III.9
σ ∞
D( x)
avec
(
N ( x) = a ( a − 2b ) x − x 2 − c 2 ) ( x − c ) + ab ( a − b ) x
2 2 2

D( x) = ( a − b ) ( x 2 − c 2 ) x 2 − c 2
2

c 2 = a 2 − b2

 a
Lorsque x est grand, σ y ) = σ ∞ et pour x = a , σ y ) = σ ∞ 1 + 2  = σ max .
y =0 y =0
 b

La figure III.7 donne, à titre d’exemple, les variations de la contrainte σ y ) pour un


y =0

trou elliptique ( a / b = 3, K t = 7) et pour un trou circulaire ( K t = 3 ). Cette figure montre


que la diminution de la contrainte est plus rapide dans le cas du trou elliptique1.

Le gradient de contrainte de σ y ) à la racine du trou ( x = a ), que l’on notera pour


y =0

simplifier l’écriture ( dσ y / dx ) , est obtenu par différentiation de l’équation [II.8] ou


x =a
[II.9] pour, respectivement, le trou circulaire ou elliptique.

• Le calcul de ce gradient pour le trou circulaire donne :

 dσ y  ∞ a 2 6a 4  7σ ∞
  = σ −
 3 −  = − [II.10]
 dx  x = a  x x5  x =a a

1
J. Schijve, « Fatigue of Structures and Materials », Kluwer Academic Publishers, 2001.

46
7

σ y ) y =0 5

σ∞ 4
Trou elliptique
3 a/b=3
2 Trou circulaire
y
1

x 0
1 2 3
x/a

Figure III.7 Variations de la contrainte


au bord d’un trou elliptique et d’un trou circulaire

• Le gradient de contrainte pour le trou elliptique s’exprime par :

 dσ y  ∞  N '( x ) D '( x) 
  =σ  − N ( x) 2 
 dx  x = a  D ( x) D ( x)  x =a
avec
N ( x) ) x = a = 2ab 2 ( a − b ) D ( x) ) x = a = ( a − b ) b3
2 2

N '( x) ) x = a = a ( a − b ) ( 3b 2 + 2a 2 − 5ab ) D '( x) ) x = a = 3ab ( a − b )


2

d’où
 dσ y  ∞ a
  = −σ 3 (4a + 3b) III.11
 dx  x = a b

• Les relations III.10 et III.11 peuvent se mettre sous une forme unique :

 dσ y  σ max
  = −γ III.12
 dx  x = a ρ
avec
pour le trou circulaire, le rayon à fond d’entaille ρ = a , σ max = 3σ ∞ ;
pour le trou elliptique, ρ = b 2 / a , σ max = σ ∞ (1 + 2a / b) ;

47
γ un coefficient de proportionnalité.

La relation III.12 indique que le gradient de contrainte est proportionnel à la contrainte


maximale et inversement proportionnel au rayon à fond d’entaille. On peut aisément
montrer, à partir des relations III.10 et III.11, que le coefficient de proportionnalité γ a
la même expression pour les deux géométries de trou :

1
γ = 2+ III.13
Kt

Cette expression implique que 2 < γ < 3 .

Il apparaît que le facteur de concentration de contraintes n’a pas une grande influence
sur le coefficient de proportionnalité γ . Pour des entailles dont le K t est compris entre
2 et 5 (valeurs que l’on rencontre le plus souvent dans les structures en service), ce
coefficient varie entre 2,2 et 2,5.

Le gradient de contrainte à la racine d’une entaille donne une indication sur le volume
de matériau fortement sollicité.

Applications

• Donner une estimation de la distance δ le long de l’axe d’un trou circulaire de


diamètre 4mm, où la chute de la contrainte maximale est de 5%.

On peut déduire simplement la distance δ par linéarisation de la relation III.12 :

 dσ y  σ max − 0,95σ max  1  σ max


  =− = −2 + 
 dx  x = a δ  3 2

d’où δ = 48µ m ; dans un matériau dont la taille moyenne de grain d g ≈ 50 µ m , δ est


proche de la taille d’un grain.

• On dispose d’un matériau dont la taille moyenne de grain est d g ≈ 20 µ m . Déterminer


la contrainte moyenne dans trois grains adjacents à la racine d’une entaille elliptique
( a = 3cm, b = 1cm) dans une plaque sollicitée en traction ( σ ∞ = 50MPa ).

ρ = 3,33mm , K t = 7 et σ max = 350MPa . On a en


linéarisant III.12 :

 dσ y  p1σ max  1  σ max dg


  = − = −  2 + 
 dx  x = a dg  7 ρ

48
d’où

 1d
p1 =  2 +  g = 1, 29%
 7 ρ

La contrainte atteinte à l’extrémité du premier grain vaut σ 1 = (1 − p1 )σ max , ce qui


donne une contrainte moyenne σ 1moy dans le premier grain :
σ max + σ 1  p 
σ moy
1 = = 1 − 1  σ max = 347,8MPa
2  2

on adopte le même raisonnement pour les deux autres grains, ce qui donne :

 1  2d
p2 =  2 +  g = 2 p1 et p3 = 3 p1
 7 ρ
 p 
σ 2moy = 1 − 3 1  σ max = 343,3MPa
 2
 p 
σ 3moy = 1 − 5 1  σ max = 338,8MPa
 2

Les grains adjacents à la racine de l’entaille sont fortement sollicités, ce qui revêt une
grande importance pour la fatigue.

III.4 Gradient de contrainte le long du bord d’une entaille

Lorsque les structures sont conçues avec des entailles, l’amorçage des fissures de
fatigue se produit généralement en surface à fond d’entaille : l’état de surface (rugosité
de surface, présence ou non de rayures qui amplifient la concentration de la
contrainte…) a une forte influence sur cet amorçage. Aussi il est intéressant d’examiner
comment varie la contrainte, non pas uniquement le long de l’axe de l’entaille, mais
également le long du bord de celle-ci, surtout lorsque la présence de rayures n’est pas
exclue. La variation de la contrainte au bord d’un trou circulaire est illustrée sur la
figure III.8a où les lignes d’isocontraintes principales sont déterminées par calculs aux
éléments finis (un exemple de maillage est indiqué sur la figure III.8b). Ces lignes sont
à des niveaux correspondant à 90%, 80% et 50% de la contrainte maximale2. Ce
résultat, obtenu grâce au développement des moyens de calcul au début des années 80,
confirme qualitativement des mesures de contraintes par photo élasticité (figure III.9)
effectuées une dizaine d’années auparavant3. Il est intéressant de noter que la
diminution de la contrainte le long du bord de l’entaille est relativement moins rapide
que celle observée lorsqu’on se déplace le long de l’axe x en partant de la racine.
Comme l’amorçage des fissures se fait en surface, il apparaît donc que le gradient de

2
J. Schijve, « Stress gradients around notches », Fatigue of Engineering Materials and Structures, vol. 3,
325-338, 1981.
3
R.B. Heywood, « Designing by photo-elasticity », Pergamon Press, 1969.

49
contraintes sur le bord de l’entaille est au moins aussi important que le long de l’axe de
celle-ci.

0, 9σ max
0,8σ max
0, 5σ max

σ max

a- b-

Figure III.8 a- Variation de la contrainte aux bords d’un trou circulaire


déterminée par calcul aux éléments finis
b- maillage de la plaque trouée

Figure III.9 Franges d’iso contraintes déterminées par photoélasticité

Les entailles de grande taille ont une plus grande surface de matériau le long de leur
bord et donc le risque d’amorçage de fissure de fatigue est plus élevé. D’autre part, la
relation III.12 montre que, lorsque toutes choses sont égales par ailleurs, le gradient est

50
inversement proportionnel au rayon ρ à fond d’entaille. Il est donc nécessaire
d’examiner l’effet de la géométrie sur la concentration de la contrainte au voisinage
d’une entaille.

III.5 Influence de la géométrie et du chargement sur le facteur de concentration


des contraintes

La détermination théorique du facteur de concentration de contraintes du paragraphe


précédent considère que les dimensions de l’entaille sont faibles par rapport à celles de
la structure. Seules les dimensions de l’entaille (a et b pour une entaille elliptique et
diamètre D lorsque l’entaille est circulaire) interviennent dans l’approche théorique.

Considérons à présent une plaque sollicitée en traction, de largeur W et de longueur L,


percée en son centre d’un trou circulaire de diamètre D. La figure III.10 montre deux
plaques avec cette configuration de chargement, de dimensions différentes, mais ayant
les mêmes rapports D/W et D/L.
Le facteur de concentration des contraintes K t est un rapport sans dimension, il ne peut
donc dépendre que des rapports géométriques. Si toutes les dimensions de la plaque 2
sont par exemple doubles de celles de la plaque 1 (figure III.10), les déformations sont
les mêmes et la répartition des contraintes est similaire dans les deux plaques : le facteur
K t et la contrainte maximale σ max atteinte à la racine de l’entaille sont les mêmes.
Cependant, le gradient de contrainte, qui n’est pas sans dimension, est différent : ce
paramètre est inversement proportionnel au rayon à fond d’entaille ( ρ = D / 2 dans
l’exemple de la figure III.10). Par conséquent la plaque 2, comparée à la plaque 1, a un
plus grand volume adjacent à la racine de l’entaille et une plus grande surface d’entaille
qui sont plus sollicités : la probabilité d’amorçage de fissure est donc plus grande pour
la plaque 2. Ce constat permet d’appréhender les effets d’échelle en fatigue.
σ∞

(2)
σ ∞

(1)
σ max
L
D

Figure III.10 Plaques similaires ayant le même K t


mais des gradients de contraintes différents

51
Plusieurs manuels spécialisés donnent les valeurs du facteur de concentration des
contraintes pour un grand nombre de géométries d’entaille et de configurations de
chargement4-5. On va examiner, dans le cadre de ce cours qui ne prétend pas à
l’exhaustivité en la matière, quelques exemples illustrant l’effet de la forme de l’entaille
et du chargement sur la concentration de la contrainte.

La figure III.11 montre la variation du facteur K t dans une plaque, entaillée sur ses
bords ou percée d’un trou circulaire, soumise à une traction simple : ces géométries sont
fréquemment utilisées pour les essais de fatigue en laboratoire. Lorsque le rayon r de
l’entaille augmente, le facteur K t diminue, mais cette diminution est moins prononcée
pour la plaque avec un trou central. Quand 2r / W → 1 , K t → 1 dans la plaque entaillée
sur ses bords alors que K t → 2 quand l’entaille est centrale. La valeur du K t peut aussi
dépendre de la longueur L de la plaque mais cette influence est négligeable lorsque
L ≥ 2W .

Equation
[II.14]

Figure III.11 Facteur K t pour une plaque entaillée sur les bords
ou percée d’un trou circulaire central

4
R. E. Peterson, « Stress concentrations Factors », John Wiley & Sons, New York, 1974
5
« Stress concentrations Factors », ESDU Engineering Data, Structures, London, 1995

52
La variation de la courbe K t ( D / W ) pour la plaque trouée au centre peut être décrite par
une relation polynomiale simple proposée par Heywood6 et donnant de façon assez
précise la valeur du facteur de concentration des contraintes :

3
 D
K t = 2 + 1 −  III.14
 W

Parmi les formules les plus connues permettant le calcul du K t , on peut citer les
formules de Neuber7 adaptées à des éléments de structures très courants, tels des arbres
avec gorge, ou épaulement, ou encore des plaques avec épaulement (figure III.12) :

1
Kt = 1 + III.15
2 2
 1   1 
  +  
 aK p   bK q 

d 1
où K p = 1 + − 1 et K q =
2r 2r
D−d

Les coefficients a et b ont pour valeurs, selon l’élément de structure et le type de


sollicitation :

a- Arbre avec gorge semi circulaire

Traction : a = 1,197 b = 1,871


Flexion : a = 0, 715 b=2
Torsion : a = 0,365 b =1

b- Arbre avec épaulement simple

Traction : a = 0,88 b = 0,843


Flexion : a = 0,541 b = 0,843
Torsion : a = 0, 263 b = 0,843

c- Arbre avec double épaulement

Si L > 2d , même valeur de a et b que le cas précédent


Sinon ( L < 2d ), même valeur de a et b mais en remplaçant dans la
relation [II.15] D par un diamètre équivalent, Deq , donné par :
Deq = d + 0,3L

6
R.B. Heywood, « Designing against fatigue », Chapman and Hall, 1962
7
H. Neuber, « Theory of notch stresses », J. D. Edwards and A. Arbor eds., 1946

53
d- Plaque avec épaulement simple

Traction : a = 1,938 b = 0, 917


Flexion : a = 0, 653 b = 1, 095

e- Plaque avec double épaulement

Si L > 2d , même valeur de a et b que le cas précédent


Sinon ( L < 2d ), même valeur de a et b mais en remplaçant D par
Deq = d + 0,3L .

Figure III.12. Eléments de structures dont le K t est donné par l’équation III.15

Les courbes de la figure III.13 illustrent les variations du facteur de concentration des
contraintes, déduites des formules de Neuber dans des arbres avec épaulement sollicités

54
en traction et en flexion. Ces courbes, décrites pour d / D = 2 / 3 , montrent notamment
l’effet du rayon de raccordement r sur la valeur du K t . Un rayon de raccordement
élevé a un effet bénéfique, mais en pratique il n’est pas toujours possible d’augmenter
ce rayon. Aussi on a recours à des solutions technologiques telle celle indiquée sur la
figure III.14 pour un arbre avec épaulement en appui sur un roulement à billes.

Traction

Flexion

Figure III.13 Effet du rayon de raccordement d’épaulement sur le facteur K t


dans un arbre sollicité en traction ou en flexion

Solution pour
réduire le K t

Figure III.14 Réduction du K t par augmentation du rayon de raccordement

55
Un autre cas que l’on rencontre souvent dans la pratique et qu’il convient d’examiner,
est l’exemple indiqué sur la figure III.15. Il s’agit d’un assemblage par goupille d’un
crochet avec une chape. La goupille exerce sur la partie supérieure de l’alésage du
crochet une distribution de pression. Dans la section critique (B-B sur la figure III.15),
le K t est élevé au point A situé à la racine du trou d’alésage : l’expérience des ruptures
en service montre que les fissures s’amorcent au voisinage de ce point.

La figure III.15 montre la variation du facteur K t au point A en fonction des


dimensions du crochet, comparée à la variation du K t d’une plaque percée d’un trou
circulaire en son centre : ces résultats ont été obtenus par photoélasticité8. En pratique,
le dimensionnement du crochet est tel que d / W ≈ 1/ 3 , de sorte que la valeur du facteur
K t ne dépasse pas 3,5.

Distribution
de pression

Crochet

Plaque percée

Figure III.15 Facteur K t dans un crochet

Un dernier point qui mérite l’attention avant de clore ce paragraphe est l’effet de
superposition des entailles. Supposons qu’à l’intérieur d’une entaille de facteur K t1 , se
trouve une entaille de facteur Kt2 : cette situation est schématisée sur la figure III.16. La
contrainte maximale σ A , au point A situé au fond du petit trou, est donnée par :

( )
σ A ≈ K t2 K t1σ ∞ = Ktσ ∞ avec K t = Kt1 Kt2

C’est une situation que l’on tente d’éviter naturellement dans la pratique.

8
M.M. Frocht and H. N. Hill, “Stress concentration factors around a central circular hole in a plate loaded
through pin in the hole”, Journal of Applied Mechanics, p. A5-A9, 1940

56
Ainsi par exemple, dans le cas d’un crochet comme celui représenté sur la figure III.15,
on peut envisager un petit orifice de lubrification. Au cours de la conception, il faut
éviter que cet orifice ne débouche dans une zone de forte concentration des contraintes.
La solution indiquée sur la figure III.17 n’est pas une bonne solution, car elle conduit à
une superposition de la concentration des contraintes : la solution idéale est de lubrifier
par le haut à partir du point B.

σ∞

y
x
Ai

σ∞

Figure III.16 Superposition d’entailles

B

Figure III.17 Crochet avec orifice de lubrification

III.6 Influence des contraintes résiduelles sur la concentration des contraintes

III.6.1 Introduction

Il convient avant tout de préciser la signification de « contraintes résiduelles ». Celles-ci


se référent à une distribution de contraintes présente dans une structure, un composant
de structure, une plaque … en dehors de toute application d’un quelconque chargement

57
extérieur : les contraintes résiduelles sont parfois appelées contraintes internes.
Cependant, on utilise plus souvent le terme de contraintes résiduelles car leur présence
dans un composant de structure fait fréquemment suite à une déformation plastique
inhomogène du matériau.

Les contraintes résiduelles de traction et de compression sont toujours présentes en


même temps, car en l’absence de chargement extérieur, elles s’équilibrent
nécessairement entre elles. Considérons la distribution de contraintes résiduelles σ res
dans une plaque de largeur t représentée sur la figure III.18. En l’absence de chargement
extérieur, l’équilibre des forces impose :

t /2

∫σ
−t / 2
x dy = 0

L’équilibre des moments conduit, quant à lui, à :

t /2

∫ yσ x dy = 0
−t / 2

Figure III.18 Equilibre des contraintes résiduelles

Si on applique à la plaque de la figure III.18, un chargement extérieur σ ext , la contrainte


σ dans la plaque, dans l’hypothèse où celle-ci reste élastique, est donnée par :

σ = σ ext + σ res

Si le chargement extérieur appliqué à la plaque est cyclique de contrainte moyenne


σ moy.ext et d’amplitude σ a.ext ( σ ext = σ moy .ext ± σ a.ext ), la contrainte cyclique dans la plaque
a la même amplitude de contrainte, mais la contrainte moyenne σ moy est augmentée des
contraintes résiduelles σ res :

σ a = σ a.ext
σ moy = σ moy .ext + σ res

Si les contraintes résiduelles sont positives, elles augmentent la contrainte moyenne, ce


qui est défavorable pour la tenue en fatigue. En revanche, lorsque les contraintes
résiduelles sont négatives, elles ont un effet bénéfique sur la résistance à la fatigue.

58
III.6.2 Origines des contraintes résiduelles

Comme nous l’avons signalé auparavant, les contraintes résiduelles font toujours suite à
une déformation plastique inhomogène du matériau. Cette déformation peut avoir
différentes origines :

- déformation plastique inhomogène au voisinage d’une entaille


- procédés de fabrication induisant des contraintes résiduelles
- traitement thermique
- assemblage de composants d’une structure
- …

Considérons par exemple une plaque percée d’un trou circulaire que l’on charge, de
sorte que la contrainte maximale σ max à la racine du trou dépasse la limite d’élasticité
du matériau (figure III.19). Dans ces conditions, une zone de déformation plastique se
forme aux extrémités du trou et la contrainte maximale est alors inférieure à K tσ nom :

σ max < K tσ nom

σ nom

K tσ nom
σ max
σE

+
-

Zone plastique Contraintes résiduelles


après décharge

Figure III.19 Equilibre des contraintes résiduelles dans une plaque trouée

Si on décharge ensuite la plaque, la zone plastifiée s’étant déformée de façon


permanente, le reste de la plaque demeuré élastique, va venir comprimer cette zone et
on aura la répartition de contraintes résiduelles indiquée sur la figure III.19, avec
toujours un équilibre entre les contraintes résiduelles de compression et celles de
traction.

59
Les procédés de fabrication induisant des contraintes résiduelles sont multiples. On peut
citer par exemple la rectification, le forgeage à froid … Le forgeage à froid induit
inévitablement des déformations plastiques qui laissent des contraintes résiduelles dans
le matériau. Un exemple simple est la flexion plastique d’une poutre schématisée sur la
figure III.20 : les fibres extérieures sont déformées plastiquement en traction et les
fibres intérieures en compression. Après décharge de la poutre, les contraintes
résiduelles sont de compression sur les fibres extérieures et de traction sur les fibres
intérieures, avec là encore, un équilibre de toutes ces contraintes.

σE
-
+
Partie élastique -
Parties plastiques
+
Contraintes résiduelles

Figure III.20 Equilibre des contraintes résiduelles


dans une poutre après flexion plastique

III.6.3 Estimation des contraintes résiduelles près des entailles

Dans les structures en service, il est possible que des surcharges accidentelles induisent
des contraintes résiduelles à la racine des entailles. Une détermination analytique de ces
contraintes est extrêmement délicate et on a souvent recours à des techniques de calculs
utilisant la méthode des éléments finis. Cependant, une estimation raisonnable des
contraintes maximales peut être fournie en adoptant l’hypothèse de Neuber9.

Lorsque les contraintes maximales restent inférieures à la limite d’élasticité du matériau


d’une structure, les déformations sont proportionnelles à ces contraintes et on a alors :

σ max = K tσ nom
σ Kσ
ε max = max = t nom = K t ε nom
E E

Si en revanche, les contraintes maximales dépassent la limite d’élasticité, celles-ci sont


inférieures à K tσ nom , mais les déformations maximales sont, elles, supérieures à
K t ε nom :

σ max < K tσ nom

9
H. Neuber, “Theory of stress concentration with arbitrary non-linear stress-srain law, Trans. ASME,
Journal of Applied Mechanics, p. 544-550, 1961

60
ε max > K t ε nom

La figure III.21 illustre les répartitions des contraintes et des déformations dans une
plaque trouée avec formation d’une zone plastifiée localisée au voisinage de la racine du
trou.

ε max
K tσ nom K t ε nom
σ max
σE

σ nom ε nom

Zone plastique

Figure III.21 Répartition des contraintes et des déformations dans une plaque trouée
avec plastification locale au voisinage de la racine du trou

L’hypothèse de Neuber consiste à admettre que lorsque la structure se plastifie


localement, le produit σ max ε max reste égal au produit des mêmes valeurs maximales
atteintes en absence de plastification, soit :

σ max ⋅ ε max = K t2σ nomε nom III.16

La diminution de σ max en présence de plastification est donc compensée par


l’augmentation de ε max .

Neuber définit alors des facteurs de concentration plastiques Kσ et K ε par :

σ max
Kσ = < Kt III.17a
σ nom

61
ε max
Kε = > Kt III.17b
ε nom

Le postulat de cet auteur conduit à la relation empirique :

Kσ Kε = K t2 III.18

Neuber a montré la validité de son postulat pour des arbres chargés en torsion avec
entailles hyperboliques. Son hypothèse est utilisée depuis pour donner, pour tout type
d’entaille, une estimation des contraintes résiduelles, qui reste raisonnable tant que la
plastification à la racine de l’entaille demeure modérée. En remplaçant dans la relation
III.16, ε nom par σ nom E , on obtient :

(K σ )
2

σ max ⋅ ε max = t nom III.20


E

Le terme de droite de cette relation est connu. On détermine ensuite graphiquement la


valeur de σ max à partir de la loi de comportement σ = σ (ε ) du matériau comme indiqué
sur la figure III.22. Au point A d’intersection des deux courbes σ = σ (ε ) et σ ⋅ ε , σ max
et ε max satisfont à la fois la relation de comportement et la relation III.20. En absence
de plastification, la contrainte maximale est donnée par le point B d’ordonnée K tσ nom .
La différence entre l’ordonnée σ A du point A et celle du point B donne la contrainte
résiduelle σ res de compression :

σ res = σ A − σ B = σ A − K tσ nom

K tσ nom
σ = σ (ε )
σ max
(K σ )
2

σ ⋅ ε = t nom
E

ε max ε
σ res

Figure III.22 Procédure de détermination graphique des contraintes σ max et σ res

62
A titre d’application, on peut calculer la contrainte au voisinage d’une entaille de
K t = 2,5 dans une plaque en acier chargée à σ nom = 200 MPa . Le module d’Young de la
plaque est E = 210 ⋅103 MPa , la limite d’élasticité est σ E = 300 MPa et la loi de
comportement est bilinéaire avec un module plastique E pl = E / 20 .

La loi de comportement s’écrit :


σ↑
E 300 
σ − 300 = ε − 
20  E  300
Ep
soit
E  ( K tσ nom ) 300 
2
E 300  σ ⋅ε
σ A = 300 +  ε A −  = 300 +  − 
20  E  20  Eσ A E 
E
→ε
σ A2 − 285σ A − 12500 = 0 d’où σ A = 323, 6 MPa
et
σ res = σ A − 500 = −176, 4MPa

C’est une contrainte résiduelle de compression très significative ( σ res ≈ 0, 6σ E ).

Les facteurs de concentration plastiques valent respectivement :

σA K t2
Kσ = = 1, 63 et Kε = = 3,83
σ nom Kσ

III.7 Facteur de concentration des contraintes dans des structures complexes

Les jonctions tubulaires des plateformes off shore sont des exemples de structures
complexes. Ces plateformes, nécessaires à l’exploitation des réserves d’hydrocarbures
en milieu marin (la figure III.23 montre un exemple de plateforme offshore), sont
constituées de tubes en raison du bon rapport résistance/poids, d’une meilleure tenue au
flambage et de la bonne résistance aux courants et marées de ces éléments. Les tubes de
ces structures sont soudés entre eux, constituant ainsi des jonctions tubulaires classées
selon leur forme en types T, Y, K… schématisés sur la figure III.24. Les intersections
complexes de ces jonctions représentent des discontinuités structurales conduisant à de
fortes concentrations des contraintes au voisinage des cordons de soudure.

L’étude de ces jonctions nécessite un paramétrage. La figure III.25 définit les notations
et les paramètres géométriques d’une jonction de type K qui correspond au cas le plus
général. Le manchon étant encastré à ses deux extrémités, les chargements
généralement appliqués à une jonction de type K pour le calcul du facteur de
concentration des contraintes sont représentés sur la figure III.26.

63
Figure III.23 Plateforme offshore de forage et soudage des éléments tubulaires

Figure III.24 Classification des jonctions tubulaires


utilisées dans les plateformes offshore

Les calculs utilisent la technique des éléments finis. La grande difficulté lorsqu’on
modélise les jonctions tubulaires est la génération des mailles notamment dans les zones
de discontinuités géométriques où les gradients de contrainte sont importants. La finesse
du maillage près de l’intersection des manchons et des entretoises est déterminante pour
une bonne convergence des calculs : un bon traitement numérique des équations de
rigidité avec une précision maximale exige que les éléments ne subissent pas des
élongations ou des distorsions excessives. La figure III.27 indique à titre d’exemple le
maillage d’une jonction DTDX (Double T et Double X).

64
Figure III.25 Notations et paramètres géométriques d’une jonction de type K

a- b c-

Figure III.26 Chargements appliqués à une jonction de type K :


a- traction b- flexion dans le plan c- flexion hors plan

Des relations paramétriques très utilisées dans l’industrie offshore, pour le calcul des
facteurs de concentration des contraintes dans les jonctions de type T, Y, X, K et KT
sont proposées par Efthymiou et Llyod10. Ces relations utilisent les paramètres de la
figure III.25. Pour les jonctions de type Y par exemple (T étant un cas particulier avec
l’angle d’inclinaison de l’entretoise par rapport au manchon, θ = 90° ), ces relations
proposent pour le facteur de concentration des contraintes au point de quartier du
manchon :

10
Llyod’s Register of Shiping, « Stress concentration factors for simple tubular joints, HSE books, 1997

65
Zoom

Figure III.27 Maillage d’une jonction DTDX

- Efthymiou K t = F1 ⋅ (1,11 − 3(2,12 − 2 β ) 2 )τ 1,1γ sin1,6 θ III.21a

- Lloyd K t = F1 ⋅ ( 2,12 − 2β ) βτγ 1,2 sin 2 θ III.21b


avec
1 − ( 0,83β − 0, 56 β 2 − 0, 02 ) γ 0,23 exp  −0, 21γ −1,16α 2,5  pour α < 12
F1 =   
1 pour α ≥ 12

L’influence des paramètres α , γ ,τ , β , θ sur les valeurs du facteur K t pour un


chargement de traction d’une jonction est indiquée sur la figure III.28. Les courbes de
cette figure comparent les valeurs de K t données par les relations de Efthymiou et
Llyod à des résultats récents de calcul par éléments finis11. Cette comparaison fait
apparaître que les relations empiriques III.21 donnent de bons résultats.

L’étude de l’influence de ces paramètres géométriques permet l’optimisation de leur


choix lors du dimensionnement des éléments tubulaires des structures off shore. Cette
influence est cependant caractérisée pour des chargements simples (traction, flexions
dans le plan de la jonction tubulaire ou hors plan). Les chargements réels sont bien plus
complexes, ce qui rend délicat le dimensionnement. Cette complexité est liée aux
changements aléatoires des forces dues aux vents et marées en pleine mer.

11
F. Ghanameh, D. Thevenet et A. Zeghloul, « Concentration de contraintes dans les jonctions tubulaires
de type T, Y et K, Congrès français de Mécanique, 2003

66
Figure III.28 Influence des paramètres α , γ ,τ , β , θ sur le facteur K t

III.8 Rupture par clivage

La rupture par clivage est une rupture fragile qui s’accompagne de très peu de
déformation plastique. Dans les matériaux métalliques, le clivage opère par rupture des
liaisons interatomiques dans une direction perpendiculaire au plan de rupture. La figure
III.29 montre l’amorçage d’une microfissure associée à la rupture par clivage d’un
carbure (particule fragile) selon le modèle de Smith12.

Figure III.29 Rupture par clivage selon le modèle de Smith

12
Smith E, The nucleation and growth of microcracks in mild steel, Physical basis of yield and fracture,
pp. 36-46, 1966.

67
La figure III.30 schématise ce type d’endommagement par rupture des liaisons
interatomiques.

Figure III.30 Schéma de la rupture par clivage

La figure III.31 montre un faciès de rupture par clivage dans l’acier 16MND5 et la
schématisation de la formation des marches de cisaillement observées sur ce faciès13.

Figure III.31 Faciès de clivage et schéma de la formation des marches de cisaillement13

Pour calculer la contrainte de liaison atomique, il est nécessaire d’introduire la distance


interatomique r, puis de considérer la relation entre le déplacement des atomes, autour
de leur position d’équilibre r0, et la force appliquée. Cette force est la somme d’une
composante d’attraction en 1/r2 et d’une composante de répulsion en -1/r9. La contrainte
de liaison est de la dorme :

 r0 2  r0 9 
σ = A   −    III.22
 r   r  

La contrainte théorique de clivage, notée σc, est la valeur maximale de σ sur la courbe
de la figure III.32.

La contrainte de clivage σc est calculée par deux méthodes différentes.

13
Amaury Bousquet, « Critère de propagation et d’arrêt de fissure de clivage dans un acier de cuve
REP », Thèse à l’Ecole Centrale Paris, 2013

68
Figure III.32 Contrainte de liaison interatomique

Première méthode

r
La déformation entre deux atomes distants à l’équilibre de r0 s’exprime par : ε = ln
r0
dσ  dσ 
Le module d’Young E s’écrit : E =  = r0 
d ε  r = r0 dr r = r0

En utilisant la relation III.32, il apparait que E=7A.

La contrainte théorique de clivage σc est définie par la condition :

dσ r0
=0 ⇒ = 0,81
dr r

Ce qui donne une contrainte de clivage :

E
σc ≈
24

Cette contrainte théorique de clivage est plus élevée de plusieurs ordres de grandeur que
la contrainte mesurée expérimentalement. En fait les défauts sous forme d’entaille aiguë
concentrent les contraintes dans leur voisinage et provoquent ainsi des mécanismes
d’amplification, si bien que la contrainte locale qui correspond à la contrainte théorique
de clivage est bien plus élevée que la contrainte appliquée expérimentalement.

Deuxième méthode

Cette méthode utilise l’énergie de cohésion. Pour simplifier les calculs, on assimile la
courbe s=s(r) à une sinusoïde comme indiquée sur la figure III.33

69
Figure III.33 Courbe de la contrainte de liaison assimilée à une sinusoïde

Sous cette hypothèse, la contrainte de liaison pour r>r0 s’écrit :

 π r 
σ = σ c sin   − 1 
 2 (α − 1)  r0  

Si bien que le module d’Young E s’écrit :

dσ  π
E = r0  = σc
dr  r = r0 2 (α − 1)

Cette deuxième méthode utilise une approche énergétique. L’énergie de cohésion W par
unité de surface, qui correspond à l’aire hachurée de la figure III.33, est définie par :

( 2α −1) r0 α −1
W =∫ σ dr ⇒ W = 4 rσ
r0 π 0 c

Lors de la rupture, deux surfaces sont créées. On pose alors W=2γS où γS est l’énergie
spécifique de création de surface, ce qui permet d’écrire :

α −1
γS = 2 rσ
π 0 c

En éliminant α entre cette dernière relation et la relation III.21, on obtient :

σc Eγ S
γS = r0σ c ⇒ σc = III.23
E r0

Cette contrainte théorique de clivage est elle aussi bien plus élevée que la contrainte
mesurée expérimentalement. Les contraintes théoriques de clivage, calculées à partir de
la relation III.23 avec r0 ≈ 2 ⋅10−10 m , sont indiquées sur le tableau de la figure III.34.

70
Figure III.34 Contraintes théoriques de clivage σth pour différents matériaux
σ th >> σ cexp

A l’extrémité d’un défaut de forme elliptique de longueur 2a et de rayon à fond


d’entaille ρ (figure III.35), la contrainte locale σL est donnée par :

 a  a a
σ L ( A) = σ a 1 + 2  = σ a 1 + 2   → σ L ( A) ≈ 2σ a
 b  ρ  ρ << a ρ

Figure III.35 Entaille elliptique dans une plaque de grandes dimensions

Si on prend par exemple le rayon à fond d’entaille ρ de l’ordre d’une distance


interatomique r0, la contrainte locale devient :

a
σ L ( A) ≈ 2σ a III.24
r0

La comparaison des relations III.23 et III.24 permet d’écrire la contrainte


expérimentale de clivage σa sous la forme :

71
Eγ S
σa ≈
4a

Cette approximation est une estimation de la contrainte de rupture expérimentale par


clivage. Mais à l’échelle atomique, le milieu ne peut être considéré comme continu ;
des simulations numériques où les liaisons entre atomes sont modélisées par des ressorts
non linéaires, montrent que cette contrainte est de la forme :

Eγ S 1
σa ≈ β avec < β <1
a 2

72
Chapitre IV Intensification des contraintes près des fissures

IV.1 Introduction

La concentration des contraintes au voisinage d’une entaille, étudiée dans le chapitre


précédent, a permis d’introduire le facteur de concentration des contraintes K t , un
paramètre important pour caractériser la sévérité d’une entaille. Ce paramètre est défini
pour une plaque percée d’un trou de forme elliptique à partir des longueurs 2a et 2b
des petit axe et grand axe de l’ellipse, ou de a et du rayon à fond d’entaille ρ = b 2 / a :

a a
Kt = 1 + 2 ou Kt = 1 + 2 IV.1
b ρ

Une fissure peut être considérée comme une entaille elliptique très aplatie, c'est-à-dire
avec b << a ou encore ρ << a . Dans ces conditions, K t → ∞ et le concept de facteur
de concentration des contraintes ne peut alors décrire la répartition des contraintes à
l’extrémité d’une fissure. Il est donc nécessaire d’introduire un nouveau paramètre pour
caractériser cette répartition : s’appuyant sur les travaux de Westergaard1, Irwin2
proposa le concept de Facteur d’Intensité des Contraintes (FIC). L’application du
concept de FIC à la description de la propagation des fissures est appelée communément
Mécanique Linéaire de La Rupture.

L’utilisation du FIC comme paramètre unique pour décrire la répartition des contraintes
au voisinage d’une fissure est justifiée par les similitudes que l’on peut observer entre
différentes fissures soumises à des contraintes de traction. La figure IV.1 montre des
clichés obtenus par la méthode photo-élastique pour trois fissures différentes dans une
plaque chargée en traction. Ces clichés montrent des franges très similaires, ce qui
suggère qu’il en est de même de la répartition des contraintes aux extrémités de ces
fissures.

Le concept de FIC est présenté dans ce chapitre. Pour la détermination théorique du


champ des contraintes et des déplacements à l’extrémité d’une fissure, on utilise
l’approche de Westergaard qui s’appuie sur la méthode de fonction d’Airy décrite par
les potentiels complexes étudiés au chapitre II.

L’approche de Westergaard considère une fissure dans un milieu infini et s’intéresse au


voisinage immédiat de l’extrémité d’une fissure. Les champs de contraintes et de
déplacements, valables uniquement dans ce voisinage immédiat, sont appelés champs
asymptotiques.

1
H.M. Westergaard, Bearing pressures and cracks, Journal of Applied Mechanics, p. A49-A53, 1939
2
G.R. Irwin, Analysis of Stresses and Strains near the end of a crack traversing a plate, , Journal of
Applied Mechanics, p. 361-364, 1957

73
Fissure
latérale

Fissure près
d’une entaille

Fissure
centrale

Figure IV.1 Clichés de photoélasticité montrant la similitude


des champs de contraintes pour trois fissures différentes

IV.2 Modes de sollicitation des fissures

Si on considère une fissure dans un plan, on distingue selon la direction de sollicitation


trois modes de déplacement des lèvres de la fissure. Ces modes indiqués sur la figure
IV.2 correspondent à différentes cinématiques de déplacement des lèvres de la fissure :

- Mode I ou mode d’ouverture ; le champ de déplacement relatif des lèvres de la


fissure est défini par :

u1 = 0, u2 ( x1 ) ≠ 0, u3 = 0 IV.2a

- Mode II ou mode de cisaillement plan ; le champ de déplacement relatif des


lèvres de la fissure est défini par :

u1 ( x1 ) ≠ 0, u2 = 0, u3 = 0 IV.2b

- Mode III ou mode de cisaillement antiplan ; le champ de déplacement relatif


des lèvres de la fissure est défini par :

u1 = 0, u2 = 0, u3 ( x1 ) ≠ 0 IV.2c

74
x2
x3
r
θ
r +π
x1
−π

a- b- c-

Figure IV.2 Modes de sollicitation d’une fissure : a- mode I ou mode d’ouverture


b- mode II ou de cisaillement plan c- mode III ou de cisaillement antiplan

Les modes I et II correspondent à des sollicitations planes, ce qui n’est pas le cas du
mode III. Le mode I conduit à une discontinuité des déplacements selon la direction x2 :
u2 (r , −π ) = −u2 (r , π ) ; alors que dans le mode II, la discontinuité est selon la direction
x1 : u1 (r , −π ) = −u1 (r , π ) .

Les modes II et III se produisent lorsque les fissures sont soumises à des contraintes
cycliques de cisaillement. Cependant, l’expérience montre que les fissures qui
s’amorcent sous ces modes de sollicitations, ont tendance très rapidement à se propager
perpendiculairement à la direction de sollicitation, c'est-à-dire en mode d’ouverture qui
est le plus endommageant.

Les fissures en service ne se présentent pas toujours dans la configuration schématisée


sur la figure IV.2. Lorsqu’elles sont suffisamment longues, elles traversent en général
les structures minces telles des plaques, par exemple. Dans les structures plus épaisses,
elles peuvent être de coin ou de surface. La figure IV.3 montre par exemple les
différentes configurations de fissures que l’on peut observer au voisinage d’une entaille
circulaire. Une fissure traversante avec un front bien défini est généralement traitée
comme un problème bi dimensionnel. Pour les fissures de coin ou de surface, on a
recours à des calculs tri dimensionnels pour déterminer les champs de contraintes et de
déplacements.

IV.3 Méthode de Westergaard

On a vu au chapitre II, qu’en élasticité plane, les contraintes dérivent d’une fonction de
contrainte bi harmonique : la fonction d’Airy dont l’expression, en fonction de
potentiels complexes ϕ ( z ) et χ ( z ) , est :

A = Re z ϕ ( z ) + χ ( z ) IV.3

Les composantes des contraintes sont données par :

75
Front de
Fissure Fissure fissure
de coin Fissure traversante
de surface
Figure IV.3 Différentes configurations de fissures au voisinage d’un trou circulaire

RS σ y + σ x = 4 Re ϕ '( z )
Tσ y − σ x + 2iσ xy = 2 z ϕ ''( z ) + χ ''( z )
soit :
σ x = Re [ 2ϕ '( z ) − z ϕ ''( z ) − χ ''( z )]

σ y = Re [ 2ϕ '( z ) + z ϕ ''( z ) + χ ''( z ) ] IV.4
 σ xy = Im [ z ϕ ''( z ) + χ ''( z )]

Considérons à présent un corps solide fissuré, avec une taille de fissure très petite par
rapport aux dimensions du corps fissuré. Le corps fissuré étant soumis à un chargement
donné, on note 2a la longueur de la fissure (figure IV.4).

x
x=-a x=a

Figure IV.4 Fissure de longueur 2a

Les lèvres L de la fissure sont non chargées et donc le vecteur contrainte T ( M ∈ L, n )


est nul. La normale aux lèvres étant n = ± y , on a T ( M ∈ L, ± y ) = σ ⋅ ( ± y ) = 0 , soit :

σ y = σ xy = 0 pour z = z et z < a IV.5

Les expressions IV.4 conduisent alors à :

76
RSRe 2ϕ '(z) + z ϕ ''(z) + χ ''( z) = 0
T Im z ϕ ''(z) + χ '' (z) = 0
On en déduit donc que sur les lèvres L de la fissure :

2ϕ '( z ) + zϕ ''( z ) + χ ''( z ) est imaginaire pur



 zϕ ''( z ) + χ ''( z ) est réel pur

Soit Re(2ϕ ' ( z )) = − zϕ ' ' ( z ) − χ ' ' ( z ) .

La fonction ϕ ( z ) peut alors être décomposée en deux fonctions ϕ1 ( z ) et ϕ 2 ( z ) comme


suit :
ϕ1 + ϕ2

 ϕ=
 2 avec
RS
ϕ 1 ( z) (et ses dérivées) imaginaires sur la fissure
ϕ '2 = − zϕ ''− χ '' T
ϕ 2 ( z) (et ses dérivées) réelles sur la fissure

En intégrant la relation χ '' = − zϕ ''− ϕ '2 = − d ( zϕ ') + ϕ '− ϕ '2 , on obtient :

χ ' = − zϕ '+ ϕ − ϕ2 = − d ( zϕ ) + 2ϕ − ϕ2 = − d ( zϕ ) + ϕ1
d’où
χ ( z) = − zϕ + ϕ 1dz z IV.6

Compte tenu de IV.6, les relations IV.3 et IV.4 deviennent :

et
A = Re z ϕ − zϕ + ϕ 1dz z IV.7

σ x = Re [ϕ '1 + 2ϕ '2 − z ϕ ''+ zϕ '']



 σ y = Re [ϕ '1 + z ϕ ''− zϕ ''] IV.8
 σ = Im [ z ϕ ''− zϕ ''− ϕ ' ]
 xy 2

En faisant z = x + iy et z = x − iy , les relations IV.7 et IV.8 deviennent :

et
z
A = Re ϕ 1dz + y Im ϕ 1 + y Im ϕ 2 IV.9

R|σ x = Re ϕ '1 − y Im ϕ ' '1 +2 Re ϕ ' 2 − y Im ϕ ' ' 2


S| σ y = Re ϕ '1 + y Im ϕ ' '1 + y Im ϕ ' ' 2 IV.10
T σ xy = − y Re ϕ ' '1 − y Re ϕ ' ' 2 − Im ϕ ' 2

77
On peut donc considérer que le champ des contraintes σ est la superposition de deux
champs σ 1 et σ 2 dérivant de deux fonctions d’Airy :

 AI = Re ϕ1dz + y Im ϕ1

∫ ¨ IV.11
 AII = y Im ϕ 2

Le champ engendré par AI correspond en fait au mode I de sollicitation et celui


engendré par AII au mode II. On confirmera a posteriori cette assertion après calcul des
déplacements et vérification des conditions limites sur les lèvres de la fissure.

La méthode de Westergaard consiste précisément à décomposer le déplacement que


subit la fissure en modes I et II de sollicitation.

Westergaard définit pour ces modes, les fonctions analytiques suivantes :

Z I ( z ) = ϕ '1 ( z ) IV.12a
Z II ( z ) = iϕ '2 ( z ) IV.12b

Pour tout chargement combinant à la fois le mode I et le mode II, la fonction de


Westergaard Z ( z ) s’écrit :

Z ( z ) = Z I ( z ) + Z II ( z ) = ϕ '1 ( z ) + iϕ '2 ( z )

Cet auteur note ensuite Z ' , Z ' '… les dérivées successives de la fonction Z ( z ) , et
Z , Z … ses primitives successives.

Avec ces notations, les deux fonctions d’Airy données par les relations IV.11
deviennent :

AI = Re Z I + y Im Z I IV.13a
AII = y Im ϕ2 = − y Im iZ II = − y Re Z II ** IV.13b

La fonction d’Airy A a la dimension d’une force ; la fonction Z a donc la dimension


d’une contrainte pour assurer l’homogénéité de la relation IV.13a.

** Tout nombre complexe ℂ peut s’écrire sous la forme : ℂ = Re ℂ + i Im ℂ et iℂ = − Im ℂ + i Re ℂ ,


d’où Re iℂ = − Im ℂ et Im iℂ = Re ℂ .

78
IV.4 Expressions des contraintes et des déplacements

Les expressions des contraintes se déduisent directement des relations IV.10 : elles
diffèrent selon le mode de sollicitation. Les expressions des déplacements différent
également en fonction du mode de sollicitation et selon qu’on est en présence d’un état
de déformations planes ou de contraintes planes.

La différence entre ces deux états est liée aux équations de comportement (relations
II.10a et II.10b du chapitre II) donnant les composantes du tenseur ε des déformations
en fonction de celles du tenseur σ des contraintes. On peut regrouper ces relations et
écrire la loi de Hooke sous la forme suivante :

 2 µε x = (1 − υ *) σ x − υ * σ y

2 µε y = (1 − υ *) σ y − υ * σ x IV.14a
 2 µε xy = σ xy

avec
υ * = υ en déformations planes

 υ IV.14b
 υ * = 1 + υ en contraintes planes

Avant d’effectuer les calculs, il convient de rappeler que pour toute fonction analytique
g ( z ) , on a :

g = α + i β = Re g + i Im g
dg ∂g ∂g ∂α ∂β ∂α ∂β
g'= = = −i d’où +i = −i +
dz ∂x ∂y ∂x ∂x ∂y ∂y

Il s’ensuit donc que :

 ∂ ∂
 Re g ' = ∂x Re g = ∂y Im g

 III.15
Im g ' = ∂ Im g = − ∂ Re g
 ∂x ∂y

IV.4.1 Mode I d’ouverture

Expressions des contraintes

D’après la relation IV.10, les contraintes en mode I sont données par :

79
σ x = Re ϕ '1 − y Im ϕ ''1

σ y = Re ϕ '1 + y Im ϕ ''1
 σ = − y Re ϕ ''
 xy 1

Soit compte tenu de la relation IV.12a :

R|σ = Re Z − y Im Z '
x I I

S|σ = Re Z + y Im Z '
y I I IV.16
T σ = − y Re Z '
xy I

Expressions des déplacements

On a d’après la loi de Hooke et compte tenu de la relation IV.16 :

∂u x
2 µε x = 2 µ = (1 − υ *)σ x − υ * σ y = (1 − 2υ *) Re Z I − y Im Z 'I
∂x

Il vient alors compte tenu des règles de dérivation IV.15 :

2 µ u x = (1 − 2υ *) Re Z I − y Im Z I IV.17

La déformation ε y est donnée quant à elle par :

∂u y
2µε y = 2 µ = (1 − υ *)σ y − υ *σ x = (1 − 2υ *) Re Z I + y Im Z 'I
∂y

Les règles de dérivation IV.15 permettent d’écrire :

∂ ∂
Re Z I = Im Z I et Im Z 'I = − Re Z I
∂y ∂y
∂ ∂
y Im Z 'I = − ( y Re Z I ) + Re Z I = − ( y Re Z I − Im Z I )
∂y ∂y
d’où
2µ u y = 2(1 − υ *) Im Z I − y Re Z I IV.18

IV.4.2 Mode II de cisaillement plan

Expressions des contraintes

D’après la relation IV.10, les contraintes en mode II sont données par :

80
 σ x = 2 Re ϕ '2 − y Im ϕ ''2

 σ y = y Im ϕ ''2
σ = − Im ϕ ' − y Re ϕ ''
 xy 2 2

Comme d’après la relation IV.12b ϕ '2 = −iZ II , il vient :

σ x = 2 Im Z II + y Re Z 'II

 σ y = − y Re Z 'II IV.19
 σ = Re Z − y Im Z '
 xy II II

Expressions des déplacements

2 µε x = (1 − υ *)σ x − υ * σ y = 2(1 − υ *) Im Z II + y Re Z 'II


d’où
2 µ u x = 2(1 − υ *) Im Z II + y Re Z II IV.20
et
2µε y = (1 − υ *)σ y − υσ x = − ( 2υ * Im Z II + y Re Z 'II )
avec
∂ ∂ ∂
Im Z II = − Re Z II , Re Z 'II = Im Z II et y Re Z 'II = ( y Im Z II + Re Z II )
∂y ∂y ∂y
d’où
2 µ u y = − ( (1 − 2υ *) Re Z II + y Im Z II ) IV.21

IV.5 Expressions des contraintes et des déplacements à partir du facteur


d’intensité des contraintes

Il convient dans un premier temps de déterminer les fonctions analytiques Z I et Z II


introduites par Westergaard. Considérons par exemple la fonction Z I (le raisonnement
est applicable au mode II aussi) et examinons les conditions limites au voisinage des
extrémités d’une petite fissure de longueur 2a sollicitée en mode I (figure IV.5).

Sur le plan de la fissure, c’est à dire pour y=0, on a d’après les relations IV.16 :

RSσ x = σ y = Re Z I
IV.22a
T σ xy = 0

Les lèvres de la fissure étant non chargées, les conditions limites (relation IV.5) sont :

81
 σ y = σ xy = 0
 IV.22b
pour y = 0 et z < a

A’ A
x

2a

Figure IV.5 Fissure de longueur 2a sollicitée en mode I

Des deux relations précédentes, on déduit que :

 σ x = σ y = σ xy = 0
 IV.22c
pour y = 0 et z < a

Considérons à présent la contrainte σ y seule. De part et d’autre des extrémités de la


fissure, elle est soit nulle (relations IV.22), soit tend vers l’infini (car
a
K T = 1 + 2 → ∞ dans le cas d’une fissure). Il s’ensuit que la fonction Z I ( z ) doit
b
être de la forme suivante :

g ( z)
Z I ( z) = IV.23a
z2 − a2
avec
g ( z ) fonction réelle pour y=0 et finie pour z = ± a .

Les conditions limites sont alors vérifiées puisque sur le plan de la fissure, on a :

1
imaginaire pur pour z < a ⇒ Re Z I = 0
z2 − a2

1
réel pour z > a ⇒ Re Z I z
→+ a +
→∞
z2 − a2 z →− a −

82
Les extrémités A et A’ ( z = ± a ) de la fissure jouent des rôles identiques. On ne
considérera par la suite que l’extrémité A( z = + a ), en effectuant une translation de
repère (figure IV.6) avec pour origine A. Cette translation équivaut au changement de
variable suivant :

ζ = z−a

Un point M sera repéré par rapport à l’extrémité A par ζ = reiθ .

y
M (ζ )
r
A θ
x

2a

Figure IV.6 Repérage autour de l’extrémité A

La fonction de contrainte de Westergaard s’écrit alors :

g1 (ζ )
Z I (ζ ) = avec g1 (ζ ) = α 0 + α 1ζ + α 2ζ 2 +… IV.23b
ζ

Comme on cherche à déterminer les champs de contraintes et de déplacements au


voisinage immédiat de l’extrémité A de la fissure (champs asymptotiques), c’est à dire
lorsque ζ → 0 , la fonction Z I (ζ ) peut s’écrire :

α0
Z I (ζ ) ≈ IV.23c
ζ

Le facteur d’intensité des contraintes (FIC) que l’on note K I en mode I d’ouverture,
est défini par :

K I = lim z →a 2π ( z − a ) Z I ( z ) = limζ →0 2πζ Z I (ζ ) = 2πα 0 IV.24

Et dans ces conditions la relation IV.23c s’écrit :

83
KI
Z I (ζ ) = IV.25a
2πζ

Comme la fonction de Westergaard Z a la dimension d’une contrainte, le FIC K I aura


pour dimension une contrainte ⋅ longueur .
L’unité usuelle pour le FIC est le MPa m .

• Pour le mode de cisaillement plan (mode II), la même démarche que précédemment
conduit à un résultat similaire au voisinage immédiat de l’extrémité de la fissure :

K II
Z II (ζ ) = IV.25b
2πζ

avec K II facteur d’intensité des contraintes en mode II (cisaillement plan).

Expressions des contraintes et des déformations

A partir des relations IV.25a (ou IV.25b) avec ζ = reiθ , on déduit :

KI θ KI θ
Re Z I = cos , Im Z I = − sin
2π r 2 2π r 2
1 KI 1 KI 3θ 1 KI 3θ
Z 'I (ζ ) = − , Re Z 'I = − cos , Im Z 'I = sin
2 2π ζ 3/ 2
2r 2π r 2 2r 2π r 2
K I 1/ 2 r θ r θ
Z I (ζ ) = 2 ζ , Re Z I (ζ ) = 2 K I cos , Im Z I (ζ ) = 2 K I sin
2π 2π 2 2π 2

θ θ
A partir de ces grandeurs et en notant que y = r sin θ = 2r sin cos
, on calcule les
2 2
contraintes et les déplacements (schématisés sur la figure IV.17) en se servant des
relations IV.16 à IV.21. Les résultats sont résumés ci-dessous :

y σ yy y
τ xy uy u (M )
σ xx ux
r r
fissure θ x θ x

Figure IV.7 Contraintes et déplacements au voisinage de l’extrémité d’une fissure

84
Mode I

Contraintes

 KI θ θ 3θ 
σ x = cos 1 − sin sin 
 2π r 2 2 2 
 KI θ θ 3θ 
σ y = cos 1 + sin sin  IV.26a
 2π r 2 2 2 
 KI θ θ 3θ
 σ xy = cos sin cos
 2π r 2 2 2

Déplacements

 K I 2r θ θ
 ux = cos  1 − 2υ * + sin 2 
 2µ π 2 2
 IV.26b**
u = K I 2r sin θ  2(1 − υ *) − cos 2 θ 
 y 2µ π  
 2 2

Mode II

Contraintes

 K II θ θ 3θ 
σ x = − sin  2 + cos cos 
 2π r 2 2 2 
 K II θ θ 3θ
 σy = sin cos cos IV.26c
 2π r 2 2 2
 K II θ θ 3θ 
 σ xy = cos 1 − sin sin 
 2π r 2 2 2 

Déplacements

 K II 2r θ θ
u x = sin  2(1 − υ *) + cos 2 
 2µ π 2 2
 IV.26d**
 u = K II 2r cos θ 1 − 2υ * − sin 2 θ 
 y 2µ π  
 2 2

υ
** υ * = υ ou υ * = pour respectivement un état de déformations ou de contraintes planes.
1+υ

85
IV.6 Mode de cisaillement antiplan

La figure IV.8 illustre le mode de cisaillement antiplan ou mode III. Les lèvres de la
fissure se déplacent selon une direction x 3 perpendiculaire au plan ( x, y ).

2a

Figure IV.8 Sollicitation en cisaillement antiplan ou mode III

Le champ des déplacements en mode de cisaillement antiplan est de la forme :

u = u3 x 3 avec u3 = u3 ( x , y )

Les déformations sont données par :

R| ε =
1
c h 1
u3,1 + u1,3 = u3,1
S|
13
2 2


23
1
c h 1
= u3, 2 + u2 , 3 = u3, 2
2 2

et la loi de Hooke conduit à :

RS σ 13 = 2 µε 13 = µ u3,1
IV.27
Tσ 23 = 2 µε 23 = µ u3,2

Les équations d’équilibre s’écrivent alors :

c h
σ 13,1 + σ 23,2 = 0 ⇒ µ u3,11 + u3,22 = 0 ⇒ ∆u3 = 0

La composante u3 du déplacement est donc harmonique. Elle peut être alors considérée
comme partie réelle ou imaginaire d’une fonction analytique.

L’approche de Westergaard peut être utilisée pour traiter le problème du cisaillement


antiplan. Si on note Z III la fonction de Westergaard associée à ce problème, on montre
que le déplacement peut se mettre sous la forme :

86
1
u3 = Im Z III IV.28
µ

Comme Z III est homogène à une contrainte, Z III est homogène à une
contrainte ⋅ longueur , si bien que Z III / µ est homogène à une longueur donc pouvant
décrire un déplacement.

Des relations IV.27 et IV.28, on déduit :

RSσ 13 = Im Z III
IV.29
Tσ 23 = Re Z III

La fonction Z III a la même forme que celles de Z I et Z II données par les relations
IV.25 :

K III
Z III = IV.30
2πζ

K III est le facteur d’intensité des contraintes en mode III.

Les contraintes et le déplacement s’écrivent compte tenu des relations IV.28 à IV.30 :

R|σ = − K sin θ III

|| 13
2πr
θ
2
S| σ = 2πr cos 2
23
K III
IV.31

||u = K 2r sin θ
III
3
T µ π 2
IV.7 Méthodes de calcul du facteur d’intensité des contraintes

Les relations IV.26 à IV.31 montrent que les champs des contraintes et des
déplacements sont décrits par un paramètre unique : le facteur d’intensité des
contraintes K I , K II ou K III selon le mode de sollicitation. Il s’agit à présent de voir
comment ce paramètre s’exprime en fonction des données globales : géométrie
(longueur de la fissure et dimensions de la structure) et chargement appliqué à la
structure. Généralement, les expressions du Fic K ont la forme suivante :

a
K =σ πa f   III.32
W 

87
où σ est la contrainte appliquée à la structure, a la longueur (ou demi longueur) de la
fissure, W une dimension (souvent la largeur ou la demi largeur) de la structure et
f (a / W ) un paramètre géométrique sans dimension appelé fonction complaisance ou
facteur géométrique. Lorsque la structure est de dimension infinie par rapport à la taille
de la fissure, f (a / W ) prend une valeur constante. A titre d’exemple, dans une plaque
fissurée de dimension infinie et sollicitée en mode I (figure IV.9a), f (a / W ) = 1 et le
FIC est simplement donné par :

KI = σ ∞ π a IV.33a

La hauteur de la plaque a peu d’influence lorsqu’elle est supérieure à 2W .

La fonction de Westergaard associée au corps fissuré de la figure IV.9a, s’écrit :

σ ∞z
ZI ( z) = IV.33b
z 2 − a2

Cette fonction vérifie bien la relation IV.24 :

K I = lim z →a 2π ( z − a) Z I ( z ) = σ ∞ π a

σ∞ σ∞

2a 2a
W>>a W

a- b-

Figure IV.9 Fissure traversante de longueur 2a


a- dans une plaque infinie b- dans une plaque finie

La figure IV.9b représente l’éprouvette CCT (Central Cracked Tension specimen) très
utilisée pour les essais de fatigue en laboratoire. La fissure n’est pas de taille
négligeable par rapport à la largeur W de la plaque et le facteur d’intensité des
contraintes, calculé par éléments finis, est donné par la relation IV.32 avec :

88
−1/ 2
a   πa   a
2
a 
4

f  =  cos  1 − 0,1  + 0,96    IV.34


W   W   W  W  

Lorsque a / W → 0 c'est-à-dire lorsque la plaque est très large, f (a / W ) → 1 et le FIC


K I est alors donné par la relation IV.33a.

Une autre éprouvette très utilisée pour les essais de fatigue est l’éprouvette CT
(Compact Tension specimen) représentée sur la figure IV.10a. Le FIC K I pour une
épaisseur d’éprouvette t , est donné par une relation de type IV.32 avec :

P
σ∞ =
Wt
et
 a 
2 3 4
 a a a  a
2+   0,866 + 4, 64   − 13,32   + 14, 72   − 5, 6   
 a   W   W  W  W  W  
f = IV.35
a  πa 
3/ 2 1/ 2
W  
1 −   
 W W 

La figure IV.10b compare les variations de la fonction complaisance f (a / W ) des


éprouvettes CT et CCT. Dans l’éprouvette CT, une faible charge conduit à des valeurs
élevées du FIC K I ce qui est un avantage eu égard à la capacité des machines d’essai.
Cette éprouvette a une longueur de ligament ( W − a0 ) relativement importante : elle est
très utilisée dans l’étude de la propagation des fissures de fatigue et pour déterminer la
ténacité d’un matériau après pré fissuration de l’ordre de a / W ≈ 0, 5 .

Des manuels spécialisés donnent les expressions du FIC K en fonction du chargement


et des données géométriques pour de multiples configurations de fissures3,4,5. Les
fonctions de complaisance f (a / W ) sont données à partir de relations empiriques de
type IV.34 ou IV.35. Elles sont généralement déterminées pour les plus anciennes par
photoélasticité, et depuis le développement des codes de calculs, par éléments finis. On
va citer quelques exemples les plus rencontrés dans la pratique.

Le FIC dans une plaque de grandes dimensions fissurée sur un bord (figure IV.11a) est
donné par :

K I = 1,12σ ∞ π a IV.36

3
D.P. Rooke and D.J. Cartwright, Stress Intensity Factors, Her Majesty’s Stationnary Office, London,
1976
4
H. Tada, P.C. Paris and G.R Irwin, The Stress Analysis Handbook, 2nd edition Paris Productions Inc.,
1985
5
Y. Murakawi, Stress Intensity Factors Handbook, Pergamon Press, Oxford, 1987

89
a- b-

Figure IV.10 Comparaison des fonctions complaisance des éprouvettes CT et CCT

La fonction complaisance f (a / W ) est constante et vaut dans ce cas 1,12 . Lorsque la


taille de la fissure n’est plus négligeable par rapport à la largeur de l’éprouvette,
f (a / W ) est donnée par4 :

a  a 
2 3 4
a a a
f   =  1,12 − 0, 23   + 10,55   − 21, 71  + 30,38    IV.37
 W   W  W  W   W  

Pour une éprouvette fissurée sur ses deux bords avec la même longueur de fissure
(figure IV.11b), la fonction complaisance f (a / W ) est donnée par5 :

−1/ 2
a   a  a  a
2
a 
3

f  = 1 − 2   1,12 − 1,12   − 0, 06   + 0, 73    IV.38


W   W  W  W  W  

Dans les deux relations IV.37 et IV.38, f (a / W ) → 1,12 lorsque a / W → 0 ce qui nous
ramène au cas de la figure IV.11a.

Une configuration intéressante que l’on rencontre dans la pratique est celle schématisée
sur la figure IV.11c. Tant que la taille de la fissure est faible, celle-ci reste dans le
champ du facteur de concentration de contrainte K t dû à la présence de l’entaille et le
FIC K I est donné en première approximation par :

K I = 1,12σ max π a = 1,12 K tσ ∞ π a IV.39

90
a- b- c-

Figure IV.11 Trois configurations de fissures de bord

Les structures navales ou aéronautiques comportent souvent des hublots aux bords
desquels des fissures peuvent s’amorcer. La figure IV.12a présente cette configuration
de fissure qui est à l’origine des accidents survenus dans les années 50 en plein vol sur
les avions Comet ; le chargement est dû à la pressurisation des cabines. Dans ce cas on
considère que la longueur effective 2aeff de la fissure est égale à celle de la fissure
réelle ( a ) augmentée de la largeur L du hublot :

2aeff = a + L

Le FIC K I est ensuite calculé en première approximation par la relation IV.35 ou


IV.36.

Une autre illustration de ce type de configuration de fissure est indiquée sur la figure
IV.12b. Il s’agit d’une fissure amorcée au fond d’une cannelure dans un cylindre sous
pression interne. Une telle fissure provoque l’éclatement du cylindre.

La figure IV.13 présente trois configurations de fissures chargées ponctuellement en un


point de leurs lèvres : P est la charge ponctuelle par unité d’épaisseur de plaque. Les
fissures amorcées à la racine d’un trou de rivet ou de boulon, sont proches de ces
configurations. La charge appliquée par un boulon sur son trou de passage, peut être
assimilée en première approximation à une charge ponctuelle si la longueur de fissure
est suffisamment importante comparée au diamètre du trou (figure IV.13c). Le FIC K I
de la fissure représentée sur la figure IV.13a, est calculé à partir de la fonction de
Westergaard Z I associée à cette configuration de fissure4 :

91
a- b-

Figure IV.12 Fissures amorcées a- au bord d’un hublot b- au fond d’une cannelure

P a 2 − b2
ZI ( z) = IV.40
π ( z − b) z 2 − a 2

ce qui donne aux deux extrémités A et B de la fissure :

P a+b
K IA = lim z → a 2π ( z − a ) Z I ( z ) = IV.41a
πa a −b

P a −b
K IB = − lim z →− a i 2π ( z + a ) Z I ( z ) = IV.41b
πa a+b

A partir des relations IV.41a ou IV.41b, on obtient en faisant b = 0 , le même FIC K I


aux extrémités de la fissure de la figure IV.13b :

P
KI = IV.42
πa

Le calcul du FIC K I pour la configuration représentée sur la figure IV.13c nécessite


d’utiliser le principe de superposition.

IV.7.1 Principe de superposition en mécanique de la rupture

Le principe de superposition affirme que dans un matériau élastique linéaire, les


composantes des contraintes, des déformations et des déplacements sont « additives ».
Cette superposition est cependant soumise à certaines règles : par exemple, deux
contraintes normales selon la direction x peuvent s’ajouter entre elles, alors qu’une
contrainte normale ne peut être additionnée à une contrainte de cisaillement. Il en est de

92
même pour les facteurs d’intensité des contraintes (FIC) : on ne peut additionner des
FIC que s’ils concernent le même mode de sollicitation (mode I, II ou III).

Figure IV.13 Trois cas de fissures chargées ponctuellement sur les lèvres

Considérons par exemple une fissure sollicitée en mode I par trois chargements
différents ( σ (1) , σ (2) , σ (3) ). Le principe de superposition permet d’écrire :

K I(total ) = K I(1) + K I(2) + K I(3) IV.42

Si la même fissure est sollicitée simultanément en mode I, en mode II et en mode III, le


FIC K (total ) n’est en aucun cas la somme de K I , K II et K III :

K ( total ) ≠ K I + K II + K III

Dans de nombreux cas, le principe de superposition permet de déterminer le FIC d’une


configuration de chargement relativement complexe. L’idée, qui est naturelle, est de
décomposer le chargement en sollicitations simples : le FIC attaché à la première
configuration est alors la somme des FIC de chacune des sollicitations. Il est ainsi
possible de calculer la solution a priori non connue d’un chargement donné, en
superposant des chargements dont les solutions sont connues.

93
On peut dès lors utiliser ce principe pour déterminer la solution pour la configuration de
fissure de la figure IV.13c en décomposant les chargements comme indiqués sur la
figure IV.14.

Figure IV.14 Décomposition de chargements

Cette décomposition permet d’écrire :

K I(3) = K I(1) + K I(2) avec K I(1) = K I(2) d’où K I(1) = K I(3) / 2


K I(3) = K I(4) + K I(5) d’où K I(1) = ( K I(4) + K I(5) ) / 2

Si la plaque est de largeur W >> a , la solution pour la fissure de la figure IV.13c est
alors donnée par la demi somme des relations IV.33a et IV.42, soit :

1 P 
K I(1) =  σ ∞ π a +  avec σ ∞ = P /W
2 πa 

Un exemple simple mais intéressant est représenté sur la figure IV.15. Le chargement 1
est la somme des chargements 2 et 3. Dans le cas du chargement 2, l’intensité des
contraintes ne peut être transmise aux extrémités de la fissure puisque les lèvres de
celle-ci sont fermées par une compression −σ ∞ . On a alors :

K I(2) = 0

et en utilisant le principe de superposition, on obtient :

K I(1) = K I(3)

Cet exemple illustre un résultat plus général : les contraintes de traction appliquées sur
la frontière d’un solide fissuré (cas de la figure IV.15a) peuvent être déplacées sur les
lèvres de la fissure (figure IV.15c) sans que cela change le FIC.

94
Figure IV.15 Décomposition de chargements

La figure IV.16 représente un solide non fissuré soumis à un chargement de traction


σ ∞ ( x ) qui se traduit par une répartition des contraintes σ ( x ) sur le plan A-B.

σ ∞ ( x)

σ ( x)
A B x

Figure IV.16. Solide non fissuré soumis au chargement σ ∞ ( x)


conduisant à une répartition σ ( x ) sur le plan A-B.

Supposons maintenant que ce solide se fissure le long du plan A-B. Maintenir ce corps
sous la contrainte σ ∞ ( x ) comme indiqué sur la figure IV.17a, revient, via le principe de
superposition, à enlever le chargement σ ∞ ( x ) pour le remplacer par le chargement
σ ( x ) appliqué aux lèvres de la fissure**. Le FIC K I est alors inchangé :

K I(1) = K I(2) + K I(3) =K I(2) puisque K I(3) = 0

** Le chargement σ ( x ) qui apparaît sur la figure IV.17b est celui qui s’appliquait sur le plan A-B
lorsque la structure n’était pas fissurée (figure IV.16).

95
σ ∞ ( x) σ ∞ ( x)

σ ( x) −σ ( x )

= +

1 2 3

a- b- c-
Figure IV.17 Application du principe de superposition : K I = K I(2)
(1)

Une autre façon de calculer le FIC consiste à utiliser les fonctions poids. Cette méthode
permet, lorsqu’on connaît une solution du FIC K pour une fissure sollicitée avec des
conditions limites données, de déterminer le FIC K pour la même fissure mais avec des
conditions limites différentes.

IV.7.2 Méthode des fonctions poids

Considérons une structure fissurée sollicitée en mode I dont le FIC K I est connu pour
un chargement (*) et notons cette solution K I* . En considérant des intégrales de contour
indépendantes des contours d’intégration, Buekner6 et Rice7 ont montré que le FIC K I
pour tout autre chargement appliqué à la même structure fissurée, peut se mettre sous la
forme :

K I = ∫ Ti hi ds IV.44
Γ

Ti sont les composantes du vecteur contrainte sur le contour Γ
ds est l’élément d’abscisse curviligne du contour Γ
hi sont les fonctions poids de Bueckner-Rice définies par :

E ' ∂ui* ( x, y, l )
hi ( x, y, l ) = IV.45
2 K I* ∂l

6
H.F. Bueckner, A novel principle for the computation of stress intensity factors, Zenschrift fur
Angewandte Mathematic und Mechanik, 50, pp. 529-546, 1970
7
J.R. Rice, Some remarks on elastic crack tip stress fields, Journal of Solids and Structures, 8, pp. 751-
758, 1972

96

l est la longueur de fissure,
E ' = E ou E ' = E /(1 − υ 2 ) selon que l’état est de contraintes ou de déformations
planes,
K I* le FIC connu pour le chargement (*)
ui* les composantes du déplacement sur le contour Γ dues au chargement (*)

On va appliquer à titre d’exemple la méthode des fonctions poids à une plaque infinie
fissurée en son milieu et sollicitée en traction (figure IV.18a).

Le FIC K I* est donné pour cette configuration de chargement par la relation IV.33a :

πl
K I* = σ ∞
2

et la fonction de Westergaard associée (relation IV.33b) est :

σ ∞z
Z ( z) =
*
I
z2 − l2 4

σ∞

y y
y σ∞
σ∞
x x x
l
l l
W>>a
* 1 2

a- b- c-
Figure IV.18 Méthode des fonctions poids pour le calcul de K I et K I(2)
(1)

à partir de K I* connu

Le contour Γ à considérer est celui des lèvres de la fissure ( −l / 2 < x < l / 2 et y = 0 ),


où la composante u1* du déplacement est nulle. La composante u2* c'est-à-dire u*y est
calculée quant à elle via la relation IV.18 pour un état de contraintes planes, soit :

97
2
2 µ u2* = Im Z I* ( x) où Z I* ( x) = ∫ Z I*dx = σ ∞ x 2 − l 2 4
1+υ
soit
± 2σ ∞ l2
u ( x, 0 , l ) = ±
*
2 − x2
E 4

selon qu’il s’agit du déplacement sur la lèvre supérieure ( y = 0 + ) ou sur la lèvre


inférieure ( y = 0 − ).

En se plaçant sur le repère de la figure IV.18b (ce qui revient à changer x en x − l / 2 ),


le déplacement u2* ( x, 0 ± , l ) s’écrit :

2σ ∞ ∂u2* ( x, 0± , l ) σ∞ x
u2* ( x, 0 ± , l ) = ± x(l − x) d’où =±
E ∂l E l−x

La relation IV.45 donne alors, compte tenu de l’expression de K I* :

± E ∂u2* ( x, 0 ± , l ) ±1 x
h2 ( x, 0 , l ) = ± =
*
2KI ∂l 2π l l−x

La composante T2 du vecteur contrainte s’écrit :

-chargement (1) de la figure IV.18b

T2 = σ ∞ sur la lèvre supérieure et T2 = −σ ∞ sur la lèvre inférieure

-chargement (2) de la figure IV.18c

x x
T2 = σ ∞ sur la lèvre supérieure et T2 = −σ ∞ sur la lèvre inférieure
l l

Les FIC K I(1) et K I(2) pour les deux chargements sont ensuite déterminés à l’aide de la
relation IV.44. On adopte pour le calcul le changement de variable x = l sin 2 θ :

π /2
σ∞ l
x σ ∞l σ ∞l π / 2
∫ ∫ 2sin 2 θ dθ = 2 (1 − cos 2θ )dθ
2π l ∫0
K I(1) = 2 dx = 2
2π l 0
l−x 2π l 0

d’où
πl
K I(1) = σ ∞
2
et

98
π /2
σ∞ l
x x σ ∞l
K I(2) = 2 ∫0 l l − x dx = 2 ∫ 2 sin
4
θ dθ
2π l 2π l 0
π /2
σ l

13 cos 4θ 
=2 ∫  − 2 cos 2θ +  dθ
2π l 0
22 2 
d’où
3σ ∞ πl
K (2)
I =
4 2

IV.7.3 Cas tridimensionnel

Les fissures traversantes avec un front bien défini (figure IV.3) ont une configuration
bidimensionnelle. Les méthodes indiquées précédemment permettent le calcul du FIC
dans un grand nombre de cas simples.

Lorsque les fissures ont un caractère tridimensionnel comme celles de surface ou de


coin (figure IV.3), le FIC K varie le long du front de fissure : sa détermination
nécessite le plus souvent des calculs par éléments finis.

Pour des fissures de surface de forme semi elliptique (figure IV.19a) dans des plaques
sollicitées en mode I, des formules empiriques permettant le calcul du FIC ont été
proposées par Raju et Newman8. Ces formules sont de la forme :

a a c 
K I = σ ∞ π aFS  , , , ϕ  IV.46a
c t W 

a
avec pour ≤1
c
 a
2
a 
4

FS =  M 1 + M 2   + M 3    f1 f 2 f 3 f 4
 t  t  

M 1 = 1,13 − 0, 09a / c M 2 = −0,54 + 0,89 / ( 0, 2 + a / c )

M 3 = 0,5 − 1/(0, 65 + a / c) + 14(1 − a / c) 24

f1 = (1 + 1, 464(a / c)1,65 ) f 2 = 1 + ( 0,1 + 0,35(a / t ) 2 ) (1 − sin ϕ )


−1/ 2 2

−1/ 2
  πc a   a2 
1/ 4

f 3 =  cos   f 4 = sin 2 ϕ + 2 cos 2 ϕ 


  2W t    c 

8
I.S. Raju and J.C. Newman, Stress intensity factors for a wide range of semi-elliptical surface cracks in
finite thickness plates, Engineering Fracture Mechanics, 11, pp. 817-829, 1979

99
W
t

a a
ϕ
2c c

a- b-
Figure IV.19 Fissures a- de surface b- de coin

Pour des fissures de coin (figure IV.19b) dans des plaques sollicitées en mode I, les
formules empiriques sont de même type9 :

a a 
K I = σ ∞ π aFC  , , ϕ  IV.46b
c t 

a
avec pour ≤1
c

 a
2
a 
4

FC =  M 1 + M 2   + M 3    g1 g 2 g3 g 4
 t  t  

M 1 = 1, 08 − 0, 03a / c M 2 = −0, 44 − 1, 06 / ( 0,3 + a / c )

M 3 = −0,5 + 0, 25a / c + 14,8(1 − a / c)15

g1 = f1 = (1 + 1, 464(a / c)1,65 ) f 2 = 1 + ( 0, 08 + 0, 4(a / t ) 2 ) (1 − sin ϕ )


−1/ 2 3

1/ 4
 a2 
f 2 = 1 + ( 0, 08 + 0,15(a / t ) ) (1 − cos ϕ ) g 4 = f 4 = sin 2 ϕ + 2 cos 2 ϕ 
2 3

 c 

La figure IV.20 compare les FIC calculés par les formules IV.46 de Newman et Raju à
ceux obtenus par des calculs aux éléments finis plus récents10, pour des fissures de coin
et de surface. Les relations empiriques IV.46 donnent des résultats tout à fait
acceptables. Elles sont largement utilisées dans les bureaux d’études.

9
I.S. Raju and J.C. Newman, Stress intensity factors for corner cracks, ASTM STP 677, pp. 411-430,
1979
10
A. El Malki Alaoui, Influence du chargement sur la propagation en fatigue de fissures courtes dans un
acier de construction navale, Thèse de doctorat - Université de Metz, février 2005.

100
c = 100 µ m c = 100 µ m

a- b-

Figure IV.20 Comparaison des FIC K I donnés par la relation IV.46


à ceux calculés par éléments finis10 (code ABAQUS)
a- fissure de coin b- fissure de surface

IV.8 Facteur critique d’intensité des contraintes - Ténacité

Etant donnés une fissure et un mode de sollicitation, l’expérience montre qu’il se


produit une propagation brutale de la fissure lorsque le facteur d’intensité des
contraintes atteint une valeur critique notée K C . Cette valeur critique qui caractérise la
capacité d’un matériau à résister à la propagation brutale d’une fissure, est appelée
ténacité. Comme le mode d’ouverture est le plus endommageant, c’est la valeur critique
K IC obtenue en mode I qui est généralement retenue pour caractériser la ténacité.

Le rôle de la ténacité K IC en mécanique de la rupture, est analogue à celui de la limite


d’élasticité σ E en mécanique classique. K IC dépend comme σ E de la température
d’essai et de la vitesse de déformation, mais aussi de l’épaisseur du matériau testé.

Les évolutions caractéristiques de K IC , obtenues à partir d’essais normalisés, sont


représentées schématiquement sur la figure IV.21.

L’épaisseur influe sur l’état de contrainte. Dans les éprouvettes d’essais de faible
épaisseur (plaques), chargées en mode I dans leur plan, l’état de contraintes planes est
prédominant et la valeur critique du FIC est élevée, notamment dans les matériaux
ductiles. Lorsque l’épaisseur augmente, on observe une transition vers un état de
déformations planes, le FIC critique diminue et n’évolue plus au-delà d’une certaine
épaisseur - c’est cette valeur minimale stabilisée du K IC qui définit la ténacité du
matériau.

101
Contraintes
planes
K IC K IC Fragile

Déformations
Ductile
planes
εɺ A
K IC

Epaisseur Température
Figure IV.21 Variations caractéristiques de la ténacité K IC

Dans les alliages métalliques tels que les aciers, l’influence de la température se
caractérise par une transition très significative entre un domaine fragile à basse
température et faible ténacité, et un domaine ductile à haute température et forte
ténacité. Cette zone de transition fragile-ductile se déplace vers les températures plus
grandes lorsque la vitesse d’essai εɺ augmente. Lorsqu’il y a des risques d’explosion, ce
comportement rend très délicat le dimensionnement des structures – tout simplement,
parce qu’une explosion provoque une augmentation brutale de la vitesse de déformation
de la structure.

Le vieillissement des matériaux influe, comme la vitesse de déformation, sur la


ténacité : à mesure que les matériaux vieillissent, le domaine fragile s’étend aux dépens
du domaine ductile avec translation de la zone de transition vers les températures plus
grandes. Pour cette raison, certains vieux ponts de structure métallique sont fermés en
périodes de gel, puisqu’ils deviennent alors très fragiles et menacent à tout moment de
rompre.

Mesure standard de ténacité

Les mesures de ténacité sont faites sur des éprouvettes normalisées préfissurées en
fatigue. Pour une bonne mesure de la ténacité K IC , les normes ASTM11 imposent les
conditions suivantes :
2
 KI 
a, e, (W − a ) ≥ 2,5  C  IV.47
 σE 

11
Standard Test Method for Plane-Strain Fracture Toughness of Metallic Materials, Annual Book of
ASTM Standards, Part 10, E399-81, American Society for Testing and Materials, pp. 592-621, 1981

102
où σ E , a, e et W sont respectivement la limite d’élasticité du matériau, la longueur de
la fissure, l’épaisseur et la largeur de l’éprouvette ; W − a est la longueur du ligament
non fissuré.

En plus des conditions IV.47, les normes ASTM exigent, lors de l’essai de mesure du
K IC , de s’assurer que :

i. les longueurs de la fissure mesurées sur chaque coté de la surface de


l’éprouvette d’essai ne diffèrent pas de plus de 10% de la longueur moyenne
mesurée à cœur d’éprouvette ;
ii. le K Imax auquel est soumise l’éprouvette dans la phase de préfissuration, ne
dépasse pas 0, 6 K IC , et qu’au cours du dernier stade de fissuration
K I / E < 0,32 ⋅10−3 m ;
iii. Pu / PQ < 1,1 où les charges Pu et PQ sont déterminées lors de la rupture de
l’éprouvette selon la procédure graphique indiquée sur la figure IV.22 ;
iv. 0,55MPa m / s < ∆K I / t < 2, 75MPa m / s où ∆K I / t est la vitesse de
chargement.

Charge P
A Q
Pu →
PQ ր

Pente(0Q)=0,95Pente(0A)

O
Déplacement

Figure IV.22 Digramme charge-déplacement et


procédure de détermination des charges PQ et P max

103
Application de la méthode de détermination expérimentale de la ténacité K IC

Une éprouvette de flexion trois points (figure IV.23) est testée conformément aux
recommandations de l’ASTM. σ E = 1200 MPa et E = 210GPa sont les valeurs
respectives de la limite d’élasticité et du module d’Young du matériau. L’éprouvette est
chargée à une vitesse de 100kN / mn . Elle est préfissurée en fatigue à P1max = 45kN et
P min = 0 . Les derniers cycles pour atteindre une longueur de fissure a telle que
a / W ≈ 0, 5 , sont effectués à P2max = 30kN . Les dimensions mesurées sont :

W = 8cm e = 4cm L = 30cm


a1 = 3, 996cm a2 = 4, 007cm a3 = 3, 997cm
gauche
asurface = 3,915cm et asurface
droite
= 3,952cm

L est la distance entre les points d’appui de l’éprouvette et a1 , a2 , a3 sont les longueurs
gauche droite
de fissure mesurées après rupture (figure IV.23) et asurface , asurface sont les longueurs en
surface.

P
W
P/2 a P/2

Surface
gauche
asurface a1 a2 a3 droite
asurface
fissurée

e
Figure IV.23 Eprouvette de flexion 3 points pour la mesure de K IC

L’enregistrement du diagramme charge-déplacement (figure IV.22) a donné les valeurs


suivantes pour la charge ultime Pu et la charge PQ :

Pu = 86kN PQ = 80kN

Le FIC K I pour l’éprouvette testée est calculé par la relation suivante :

104
PL
KI = g (a / W )
eW 3/ 2
avec
3 a / W (1,99 − (a / W )(1 − a / W )(2,15 − 3,93a / W + 2, 7(a / W ) 2 )
g (a / W ) =
2(1 + 2a / W )(1 − a / W )3/ 2

Solution

• On calcule dans un premier temps amoy = (a1 + a2 + a3 ) / 3 , soit amoy = 4cm


PQ L a  a 1 a 
• On détermine ensuite K Q = g  moy  , avec moy = , d’où g  moy  = 2, 663 et
eW 3/ 2  W  W 2  W 
80kN ⋅ 0,3m
KQ = 2, 663 = 70, 6 MPa m
0, 04m ⋅ (0, 08m)3/ 2

• On vérifie toutes les conditions imposées par l’ASTM :

2 2
 KQ   70, 6 MPa m  −2
- a, e, (W − a ) ≥ 2,5   = 2,5   = 0,865 ⋅10 m = 8, 65mm
 σE   1200 MPa 
la condition IV.47 est vérifiée ;

amoy − asurface
gauche
4 − 3,915 amoy − asurface
droite
4 − 3,952
- = = 0, 02 < 0,1 et = = 0, 012 < 0,1
amoy 4 amoy 4
la condition i. est vérifiée ;

P1max L 45kN ⋅ 0,3m


- K Imax = g (a / W ) = 2, 663 = 39, 7 MPa m < 0, 6 K Q et
eW 3/ 2
0, 04 ⋅ (0, 08)3/ 2
le dernier stade de propagation est effectué à P2max = 30kN d’où

K I 1 30kN ⋅ 0,3m 29, 6 MPa m


= 2, 663 = = 0,14 ⋅10 −3 m < 0, 32 ⋅10 −3 m
E E 0, 04 ⋅ (0, 08) 3/ 2
210000 MPa

la condition ii. est vérifiée ;

Pu 86
- = = 1, 08 < 1,1 la condition iii. est vérifiée ;
PQ 80

 kN 
∆K I 
100  ⋅ 0, 3 ∆K I
60 s  MPa m MPa m
- = 2, 663 = 1, 47 soit 0,55 < < 2, 75
∆t 0, 04 ⋅ (0, 08) 3/ 2
s ∆t s
la condition iv. est vérifiée ;

105
• Les conditions de l’ASTM étant toutes vérifiées, on a donc :

K IC = K Q = 70, 6 MPa m

IV.9 Zone plastifiée À fond de fissure

Les contraintes au voisinage de l’extrémité d’une fissure données par les relations IV.26
pour les modes de sollicitation I et II, et IV.31 pour le mode III, sont inversement
proportionnelles à r . Le calcul en élasticité qui aboutit à cette singularité en 1/ r ,
prévoit donc qu’elles deviennent infinies lorsque r → 0 . Or nous savons très bien que
dans les matériaux réels, les contraintes restent finies et qu’au-delà de la limite
d’élasticité σ E du matériau, il se forme une zone plastifiée dont le contour peut être
déterminé.

IV.9.1 Longueur de la zone plastifiée dans le plan de la fissure

L’approche la plus simple est celle d’Irwin1. Cet auteur considère, en première
approximation, que le contour de la zone plastique correspond au lieu des points où les
contraintes atteignent la limite d’élasticité du matériau. Pour la détermination du rayon
rE pour lequel cette frontière coupe le plan d’une fissure en contraintes planes, il pose
σ y = σ E où σ E est la limite d’élasticité en traction simple et σ y donnée par IV.26a en
mode I ; ce qui conduit à :

KI
σ y (r ,θ = 0) = = σE
2π rE
d'où

rE =
1 KI FG IJ 2

2π σ E H K IV.48

Pour représenter la longueur rE (figure IV.24), on suppose que le comportement du


matériau est élastique-plastique parfait, pour ensuite tout simplement tronquer le champ
des contraintes à σ y = σ E .

Cette analyse fait cependant abstraction des forces non transmises représentées par
l’aire hachurée de la figure IV.24. Pour tenir compte de ces forces, il convient d’assurer
l’équilibre entre les deux répartitions (élastique et élastoplastique) des contraintes.
Comme la taille rP de la zone plastique doit donc être supérieure au rayon rE ,
l’équilibre des forces entre les deux configurations conduit à :

z0

σ y dr = σ E . rP + z
rE

σ y dr ⇒ σ E . rP = z
0
rE
σ y dr

106
σy
Répartition
élastique

σE Répartition
rE élasto plastique

rP

Figure IV.24 Répartition des contraintes élastiques et élasto plastiques


dans le plan de la fissure et en aval de son extrémité

Soit, compte tenu de l’expression de σ y :

F IJ
1 KI
= G
2

= 2rE
π Hσ K
rP IV.49
E

La distribution des contraintes dans la répartition élasto plastique pour r > rP , est
obtenue par une translation d’une distance rE de la répartition élastique (figure IV.24).
Irwin rend compte de cette translation en définissant un FIC effectif qu’il obtient en
augmentant la longueur de fissure de rE . Ce qui revient à considérer non pas la
longueur réelle a de la fissure mais une longueur effective aeff = a + rE .

C’est ainsi que, dans le cas d’une fissure traversant une plaque infinie chargée en mode
I, le FIC sans correction K I = σ ∞ πa devient après correction :

K eff = σ ∞
π (a + rE ) = σ ∞
L 1Fσ
πa M1 + G

IJ 2
OP 12

MN 2 H σ E K PQ IV.50

IV.9.2 Contour de la zone plastifiée en aval de l’extrémité d’une fissure

L’approche précédente d’Irwin donne l’estimation de la taille de la zone plastique rP en


θ = 0 , notée rP (θ = 0) . Pour déterminer rP (θ ) selon les valeurs de l’angle θ , les deux
critères de plasticité les plus utilisés sont ceux de Von Mises et de Tresca. Ils s’écrivent
dans l’espace des contraintes principales :

Critère de Von Mises bσ 1 −σ2 g + bσ − σ g + bσ


2
2 3
2
3 −σ1 g 2
= 2σ 2E
Critère de Tresca Max dσ − σ i = σ
i j E

107
Après calculs, la forme de la zone plastique rP (θ ) est donnée en mode I par :

i. en contraintes planes

rP (θ ) =
K I2 FG θ IJ FG 1 + 3 sin FG θ IJ IJ
cos 2
H 2K H H 2K K
2
Von Mises IV.51a
2πσ 2
E

 θ  θ
2
K I2
Tresca rP (θ ) = cos 2  1 + sin  IV.51b
2πσ E
2
 2  2

ii. en déformations planes

rP (θ ) =
K I2 FG θ IJ FG b1 − 2υ g 2
+ 3 sin 2
FG θ IJ IJ
Von Mises
2πσ 2
E
cos 2
H 2K H H 2KK IV.51c

 KI
2
2  θ  θ
2

Pr (θ ) = cos   1 − 2υ + sin  si 0 ≤ θ ≤ 2 Arc sin(1 − 2υ )


 2πσ E
2
 2  2
Tresca  2
IV.51d
 r (θ ) = K I sin 2 (θ ) pour 2 Arc sin(1 − 2υ ) < θ ≤ π
 P 2πσ E
2

La figure IV.25 visualise, pour υ = 0,3 , les formes des zones plastiques qui se forment
à l’extrémité d’une fissure sollicitée en mode I. L’étendue de la zone plastifiée est plus
importante en contraintes planes qu’en déformations planes, et ce pour les deux critères.
Le critère de Tresca conduit, en contraintes planes comme en déformations planes, à des
zones plastifiées légèrement plus étendues que celles prévues par le critère de Von
Mises. Les observations expérimentales des zones plastiques sont souvent plus proches
du critère de Tresca, notamment en contraintes planes.

rp
LM PO
1 KI
2
CP

N Q
2π σ E
DP
0

-2

Figure IV.25 Contours des zones plastiques en mode I,


en contraintes planes (CP) et en déformations planes (DP)
- trait continu : critère de Von Mises, - trait pointillé : critère de Tresca

108
En mode II et III, les contours des zones plastiques peuvent aussi être déterminés : il
suffit, par exemple, d’appliquer le critère de Von Mises qui s’écrit dans l’espace des
contraintes non principales :

dσ xx + σ yy + σ zz i − 3dσ
2
xx i
σ yy + σ yy σ zz + σ zz σ xx − τ 2xy − τ 2yz − τ 2xz = σ 2E

Le calcul des zones plastiques pour ces deux modes donne :

i. Mode II en contraintes planes

LM4 sin FG θ IJ + 3 sin FG θ IJ FG cos θ cos 3θ IJ FG 2 + cos θ cos 3θ IJ OP


MM H 2 K H 2K H 2 2 K H 2K
2 2

rP (θ ) =
K 2
II 2
PP IV.52a
2πσ 2E 2F θIF θ 3θ I
MN +3 cos GH 2 JK GH 1 − sin 2 sin 2 JK PQ
ii. Mode II en déformations planes

 θ   θ  θ 3θ  θ 3θ 
 4(1 + υ ) 2 sin 2   + 3sin 2   cos cos  2 + cos cos 
2  2  2  
2
K 2 2 2
rP (θ ) =  II
 IV.52b
2πσ E 
2
2 θ  2 θ  θ 3θ  
 −12υ sin  2  + 3 cos  2   1 − sin 2 sin 2  

iii. Mode III

2
3K III
rP (θ ) = (ne dépend par de θ ) IV.53
2πσ 2E

La figure IV.26 présente les contours des zones plastiques en mode II ; en mode III, le
contour est circulaire.
4

rp
LM PO
1 K II
2

2π σ EN Q
0 DP

CP

-4
0

Figure IV.26 Contours des zones plastiques en mode II

109
IV.10 Approche énergétique de Griffith

Dans un matériau, une extension ∆a d’une fissure de longueur a (figure IV.27)


s'accompagne des variations d'énergie suivantes :

∆Wext = ∆Wél + ∆U IV.54


avec

∆Wext la variation d'énergie appliquée (due aux forces extérieures),


∆Wél la variation d'énergie élastique (emmagasinée),
∆U l'énergie dépensée lors de la propagation de la fissure sur la longueur ∆a.

e
∆a ∆A

a a

Figure IV.27 Propagation d’une fissure sur une longueur ∆a

Dans la théorie de Griffith qui s’applique à la rupture fragile, ∆U correspond à


l’énergie nécessaire pour créer de nouvelles surfaces dans le matériau : ∆U = ∆Wsep où
∆Wsep est l’énergie de séparation des surfaces. Griffith introduit à partir de ∆U une
énergie de propagation de la fissure par unité de surface, notée G et définie par :

∆U ∂U
G = lim ∆A→0 = IV.55a
∆A ∂A

où ∆A = e∆a est la surface fissurée lors de la propagation de la fissure sur une longueur
∆a dans une éprouvette d’épaisseur e ; G est une énergie par unité de surface qui
s’exprime en général en kJ / m 2 .

Généralement, on suppose l’épaisseur unité ( e = 1) si bien que l’expression de l’énergie


G rapportée à l’unité d’épaisseur devient :

∆U ∂U
G = lim ∆a →0 = IV.55b
∆a ∂a

110
L’énergie G est appelée aussi taux de restitution d’énergie et pour bien comprendre
cette signification, on va considérer la propagation (dans une éprouvette d’épaisseur
unité) dans les deux cas classiques suivants :

• Propagation à déplacement u imposé (figure IV.28b)


• Propagation à force P imposée (figure IV.28c)

a
a + ∆a a + ∆a

P
a- b- c-

Figure IV.28 Propagation à déplacement ou a force imposés

Les diagrammes charge-déplacement pour les deux cas sont indiqués sur la figure
IV.29.

Propagation
P A P A B
Propagation ∆U
∆U B
a a
a+∆a
a+∆a
∆u
u u
O u O u
a- Déplacement imposé b- Force imposée

Figure IV.29 Diagrammes charge-déplacement

i. Propagation à déplacement imposé (u=constante)

∆ u = 0 ⇒ ∆Wext = 0 et Wél = Pu / 2 , soit en introduisant la complaisance


(c’est-à-dire l’inverse de la rigidité) C = u / P :

111
1 u2 u2  ∂ C 
Wél = CP =2
⇒ ∆Wél = − 2   ∆a
2 2C 2C  ∂ a u
On constate dans ce cas que l'énergie élastique emmagasinée décroît.

Comme ∆Wext = 0 = ∆U + ∆Wél ⇒ ∆U = −∆Wél et G = lim


∆U FG IJ
∆a → 0 ∆ a H K
, soit :

u2  ∂ C  P2  ∂ C 
G=   =   IV.56a
2C 2  ∂ a u 2  ∂ a u

ii. Propagation à force imposée (P=constante)

u ∆u ∆C
∆ P = 0 ⇒ ∆   = 0 , soit =
C  u C
Pu ∂ C 
∆ Wext = P.∆u = .∆C ≈ P 2   ∆a
C  ∂ a P
1 P2 P2  ∂ C 
Wél = Pu = C d’où ∆Wél =   ∆a
2 2 2  ∂ a P
P2  ∂ C 
∆U = ∆Wext − ∆Wél =   ∆a , et l’énergie de Griffith s’écrit alors :
2  ∂ a P
P2  ∂ C 
G=   IV.56b
2  ∂ a P

Les relations IV.26a et IV.26b peuvent se mettre sous une forme unique :

P2  ∂ C 
G=   IV.56c
2  ∂ a u ou P

ou encore, si l’épaisseur de l’éprouvette n’est pas égale à l’unité :

P2  ∂ C 
G=   IV.56d
2e  ∂ a u ou P

Il apparaît dans les deux cas examinés (déplacement ou charge imposés), que l’énergie
∆U (figure IV.29) est égale à l’aire du triangle OAB : ∆U = Aire(OAB ) . Pour réaliser
ces cas de chargement, il faut une machine d’essai, soit de rigidité infinie pour imposer
un déplacement, soit de rigidité nulle ou de souplesse infinie pour imposer une force.
Ces cas correspondent donc à des conditions limites extrêmes. Dans la pratique des
essais réels, on est entre ces deux cas limites et le diagramme charge-déplacement
présente l’allure indiquée sur la figure IV.30a pour différentes longueurs ai de fissure.

112
A1 Charge P ↑
Pi Ai (ui , Pi )

A2
a1 A j (u j , Pj )
A3
a2 Pj
A4
a3 A5 ai
a4 aj
a5

Déplacement u → A 'i A'j


O a- O u b- uj
i

Figure IV.30 Diagramme charge-déplacement pour différentes longueurs de fissure

Considérons à présent deux longueurs de fissure ai et a j (figure IV.30b). L’énergie


∆U correspond à l’aire du triangle OAi A j :

∆U = Aire(OAi A j ) = Aire(OAi A 'i ) + Aire( A 'i A ' j Aj Ai ) − Aire(OA j A ' j )


soit
∆U =
1
2
( Pui j − Pj ui ) IV.57a

et l’énergie de propagation de Griffith s’écrit alors :

i j − Pj ui
Pu
G= IV.57b
2e ( a j − ai )

IV.10.1 Energie de Griffith critique

Comme pour le FIC K , l’expérience montre que pour un mode de sollicitation donné
(mode I, II ou III), la propagation brutale intervient lorsque l’énergie de Griffith atteint
une valeur critique notée GIC , GIIC ou GIIIC . En pratique, c’est la valeur critique GIC
obtenue en mode I qui est retenue. GIC est également une caractéristique de la capacité
d’un matériau à résister à la propagation brutale des fissures. C’est donc aussi une
mesure de la ténacité. Elle s’exprime en KJ / m2 alors que la ténacité mesurée à partir
du FIC s’exprime en MPa m .

113
Détermination expérimentale de la ténacité GIC

Une série d’essais sur des éprouvettes d’épaisseur 1mm préfissurées en mode I à
différentes longueurs jusqu’à rupture, a été effectuée pour déterminer la ténacité d’un
acier. Elle a donné les résultats suivants :

Longueur de fissure Charge critique Déplacement critique


a (mm) P (kN ) u (mm)
30,0 4,00 0,40
40,0 3,50 0,50
50,5 3,12 0,63
61,6 2,80 0,78
71,7 2,62 0,94
79,0 2,56 1,09

Ces résultats sont représentés sur les courbes charge-déplacement de la figure IV.31.

A
1
4
A
2
A
3
a =30mm A
Charge P (kN)

3 1 4
a =40 A A
5 6
2
a =50,5
3
a =61,6
2 4
a =71,7
5
a =79
6

0
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2

Déplacement u (mm)

Figure IV.31 Courbes charge-déplacement à rupture d’un acier

La relation IV.57b permet le calcul de la ténacité critique GIC à partir des aires des
triangles OAi A j :
Aires OA1 A2 OA2 A3 OA3 A4 OA4 A5 OA5 A6
2
GIC (kJ / m ) 30,0 30,7 30,2 29,1 30,8

Les valeurs de la ténacité GIC déterminées sur les différentes éprouvettes sont assez
proches les unes des autres. La valeur moyenne de la ténacité est :

114
GImoy =
∑G IC
= 30, 2 kJ / m 2 soit GImoy = 30, 2 ± 0, 4kJ / m 2
C
5 C

Les valeurs de la complaisance en fonction de la longueur de fissure sont directement


déduites des données, soit :

a (mm) 30,0 40,0 50,5 61,6 71,7 79,0


C (10 −7 m / N ) 1,00 1,43 2,02 2,79 3,59 4,26

La ténacité GIC peut être ensuite déterminée via la variation de la complaisance dC / da


par une relation de type IV.56. Il convient pour plus de précision de calculer des valeurs
moyennes de dC / da . Ces valeurs pour la longueur a3 = 50,5mm sont par exemple :

 dC 
G
( 2, 02 − 1, 43)10−7 m / N
= 5, 62 ⋅10−6 N −1
  =
 da  ( 50, 5 − 40 ) 10 −3
m
 dC  (
D
2, 79 − 2, 02 )10−7 m / N
= 6,94 ⋅10 −6 N −1
  =
 da  ( 61, 6 − 50,5 )10 m
−3

d’où
(5, 62 + 6, 94)10−6 N −1
moy
 dC 
  = = 6, 28 ⋅10−6 N −1
 da  2
et

GIC =
( 3,12 ⋅10 ) −3 2
N 2 ⋅ 6, 43 ⋅10−6 N −1
= 31,3kJ / m 2
−3
2 ⋅10

Les valeurs de la ténacité calculées par cette méthode sont :

a (mm) 30,0 40,0 50,5 61,6 71,7 79,0


GIC (kJ / m 2 ) 34,4 30,4 30,6 29,1 29,3 30,1

Si on excepte les premier et dernier points où dC / da n’a pu être moyennée, la valeur


moyenne de la ténacité est :

GImoy =
∑G IC
= 29,9 kJ / m 2 soit GImoy = 29, 9 ± 0, 7 kJ / m 2
C
4 C

Cette valeur est proche de celle déterminée par le calcul des aires OAi A j .

Les figures IV.32a et IV.32b donnent les variations de la complaisance C et de sa


dérivée dC / da en fonction de la longueur de fissure.

115
-5
0.5 1 10

-6
0.4 8 10
Complaisance C (10 m/N)

dC/da (10 N )
-6

-1
-6
0.3 6 10

-6
-6
0.2 4 10

-6
0.1 2 10

0 0
0 20 40 60 80 100 0 20 40 60 80 100

Longueur de préfissuration a (mm) Longueur de préfissuration a (mm)

Figure IV.32 Variations de la complaisance et de sa dérivée


en fonction de la longueur de fissure a

IV.10.2 Relation entre l’énergie de Griffith et le facteur d’intensité des contraintes

Nous allons plus particulièrement étudier le cas d’une fissure élastique sollicitée en
mode I (figure IV.33) ; les situations en mode II et III se traitent de façon analogue.

i- mode I

σ (ya ) σ (ya + ∆a )

A A'
x
a r'

a + ∆a

Figure IV.33 Fissure sollicitée en mode I

Considérons une fissure de longueur initiale a qui se propage sur une distance ∆a . Son
extrémité se déplace du point A( x = a ) au point A' ( x = a + ∆a ) . Dans cette situation, le
champ de contrainte en aval de l'extrémité de la fissure ( θ = 0 ) est donné par IV.26a :

b
σ y r ,θ = 0 = g KI
2πr

116
alors que le champ des déplacements des lèvres en amont de l'extrémité de la fissure
(θ = π ) s'écrit (relations IV.26b) selon les cas :

υ * = υ en déformations planes

u y ( r ,θ = π ) =
KI
µ
2r
π
(1 − υ ) *
avec  * υ
υ = en contraintes planes
 1+υ

Pour déterminer le taux de restitution d'énergie ou énergie de Griffith G , il est plus


pratique de calculer le travail de régression de la fissure de la position A' ( x = a + ∆a ) à
la position A( x = a ) , autrement dit de considérer le travail nécessaire pour refermer les
lèvres de la fissure.

Dans une structure d’épaisseur unité, la force appliquée aux lèvres d’une fissure est
bg
σ y r edx avec r = x − a (figure IV.33).

Comme le déplacement d’un point d'abscisse x est u y (r' ) avec r ' = a + ∆a − x (figure
IV.33), le travail de régression s'écrit donc :

z σ y (r )u y (r ' ) 1 − v*
z a + ∆a − x
2
a KI a
∆W ' = − ∆U = 2 dx = . dx
a + ∆a 2 µ π a + ∆a x−a
(I)

Pour calculer l’intégrale (I), on effectue le changement de variables suivant :

∆a dX
= X ⇒ dx = − 2 ∆a et
RS x = a ⇒ X =∞
x−a X T x = a + ∆a ⇒ X = 1
devient alors Ι = ∆a z
F dX IJ que l’on intègre par parties en
X − 1G −

L'intégrale (I)
H XK 1 2

posant :
R|α = X − 1 ⇒ dα = dX R|
L X − 1 OP − UV
z

2 X −1
S| dX 1
⇒ Ι = ∆a S M
| N X Q
dX
2 X X − 1W

|T dβ = −
X 2
⇒ β =
X |
T =0
1

d’où
∞ π
Ι = ∆a − Arctg X − 1 =− ∆a
1 2

∆U = − ∆W ' =
KI
2
c1 − υ h ∆a*

µ 2
et
∆U K I2  1 − υ * 
GΙ = Lim =   IV.58a
∆a →0 ∆a µ  2 

117
soit
- pour un état de déformations planes (υ * = υ ) :
K I2
GIDP =
E
(1 − υ 2 ) IV.58b

 υ 
- pour un état de contraintes planes υ * = 
 1+υ 
K I2
GI =
CP
IV.58c
E

Des calculs analogues peuvent être effectués en modes II et III pour une fissure de longueur a se
propageant sur une distance ∆a .

ii- mode II

Les champs des contraintes en aval et des déplacements en amont de l'extrémité de la


fissure sont ceux existants en mode II. Ils s’écrivent d’après les relations IV.26 :
R|
σ xy r ,θ = 0 =
K II
b g
|S 2π r
|| b
K
u x r , θ = π = II
2r
1− υ* g c h
T µ π

si bien que les calculs précédents conduisent à :

 DP K II2
GII = (1 − υ 2 ) en déformations planes
K II2 E
GII = (1 − υ * ) ⇒  IV.59
2µ 2
 G CP = K II en contraintes planes
 II E

iii- mode III

Cette fois-ci, les champs des contraintes en aval et des déplacements en amont de
l'extrémité de la fissure s’écrivent (relation IV.31) :

R| σ br ,θ = 0g = K III

|S yz
2π r
||u br ,θ = π g = K 2r III

T
3
µ π

si bien que l’énergie de Griffith en mode III est :

2
K III
G III = IV.60

118
Chapitre V Mécanique linéaire de la rupture en fatigue des matériaux

V.1 Introduction

La fatigue est la modification des propriétés des matériaux consécutive à l’application


de sollicitations cycliques. Elle produit en général des défaillances des structures qui
conduisent à la fissuration et à la ruine des matériaux. Les composants mécaniques tels
que les vilebrequins, les bielles, les pignons pour l’industrie automobile, les rails et
essieux pour l’industrie ferroviaire ou encore les trains d’atterrissage, les aubes de
turbines et de compresseurs pour l’industrie aéronautique, se détériorent souvent par
fatigue.

L’endommagement par fatigue, associé à plus de 50% des cas de défaillances des
systèmes mécaniques, se manifeste en général par l’amorçage et la propagation de
fissures.

Dans la pratique des procédures de caractérisation du phénomène de fatigue, la période


de l’amorçage (apparition de fissure) est traitée à l’aide d’essais sur des éprouvettes
lisses (parfois entaillées) et l’on détermine alors une durée de vie en fonction d’une
amplitude de contrainte ou de déformation.

La phase de propagation est quant à elle essentiellement étudiée à partir d’essais de


fatigue sur des éprouvettes entaillées, la vitesse de fissuration est ensuite décrite en
fonction de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K. C’est une des
applications majeures du concept de FIC.

V.2 Définitions des courbes d’endurance

V.2.1 Cycle de contrainte

Un cycle de contrainte est caractérisé par une amplitude de contrainte ∆σ et par une
contrainte moyenne σ m (figure V.1). On utilise souvent pour décrire les résultats de
fatigue l’amplitude de contrainte et le rapport, noté R , de la contrainte minimale sur la
contrainte maximale :

σ min
R= <1
σ max
∆σ = σ max − σ min = σ max (1 − R )
∆σ R∆σ
σ max = , σ min =
1− R 1− R
1+ R
σ moy = ∆σ
2 (1 − R )

119
Contrainte

σ max

σ moy ∆σ

σ min
Temps

Figure V.1 Caractéristiques d’un cycle de contrainte

Les courbes de fatigue sont souvent présentées en fonction de la demi-amplitude de


contrainte, ou contrainte alternée σ a :

∆σ 1 max
σa = = (σ − σ min )
2 2

V.2.2 Courbes d’endurance

L’essai de fatigue le plus simple consiste à soumettre un lot d’éprouvettes non


entaillées, à des cycles d’efforts périodiques, d’amplitude et de fréquence fixées, et à
noter le nombre de cycles à rupture NR pour chaque éprouvette. On obtient alors une
courbe en échelle semi-logarithmique qui a l’allure représentée sur la figure V.2.

σa

Zone 1 Zone 2 Zone 3

σD
σ m = 0 ou R = −1

Log( N R )
Figure V.2 Courbe d’endurance ou de Wöhler

120
On peut distinguer sur cette courbe, connue sous les noms de courbe d’endurance, de
Wöhler ou encore courbe S-N (Stress - Number of cycles), trois domaines :

- une zone à faible nombre de cycles ou zone de fatigue oligocyclique (zone 1), sous
forte contrainte, où la rupture qui intervient après un faible nombre de cycles, est
précédée d’une déformation plastique significative ;

- une zone de fatigue ou d’endurance limitée (zone 2), où la rupture est atteinte après
un nombre de cycles plus important, nombre qui croît lorsque la contrainte décroît ;

- une zone d’endurance illimitée ou zone de sécurité (zone 3), sous faible contrainte,
pour laquelle la rupture ne se produit pas avant un nombre donné de cycles
généralement supérieur à 106 cycles pour les aciers et 107 cycles pour les alliages
légers.

i. Domaine de fatigue oligocyclique

Il est généralement admis que ce domaine (zone 1 de la figure V.2) correspond à des
contraintes élevées supérieures à la limite d’élasticité du matériau. Le nombre de cycles
à rupture s’étend d’une alternance à 104 cycles.

Sous l’effet de la sollicitation cyclique en déformation imposée, la courbe contrainte-


déformation prend la forme d’une boucle d’hystérésis ouverte qui se stabilise et se
ferme au bout d’un nombre de cycles, au cours duquel le matériau s’adapte aux
sollicitations cycliques ; la figue V.3 représente une boucle stabilisée. Cette
accommodation en fatigue peut se produire de deux manières : il y a durcissement ou
adoucissement suivant l’état initial du matériau. Souvent, pour des sollicitations
alternées, un matériau initialement écroui, s’adoucit en fatigue. Alors qu’inversement,
un matériau initialement, mou durcit.

R = −1

∆σ ∆ε p

∆ε t

Figure V.3 Courbe contrainte-déformation en fatigue oligocyclique

121
La figure V.4 est une illustration de ces deux types de comportement : lorsque
l’amplitude de contrainte cyclique augmente avec l’amplitude de la déformation, le
matériau durcit ; dans le cas contraire il s’adoucit. Cependant, on observe souvent dans
les deux cas une stabilisation de la réponse du matériau dès les premiers cycles. En
joignant les sommets des boucles stabilisées obtenues pour différentes valeurs de
déformation ∆ε imposée, on trace une courbe dite de traction cyclique qui caractérise
l’état stable des déformations sous sollicitations cycliques. Chacun des deux
comportements possibles d’un matériau est mis en évidence par la position de la courbe
de traction cyclique par rapport à la courbe de traction monotone comme le montre la
figure V.5.

Les lois empiriques les plus utilisées pour décrire la fatigue oligocyclique à température
ambiante, c'est-à-dire le nombre de cycles pour différentes déformations plastiques ou
totales imposées, sont :

- la loi de Manson-Coffin de résistance aux déformations plastiques :


∆ε p
= ε 'f . ( 2 N R )
c

2
où c est l’exposant de ductilité en fatigue et ε 'f le coefficient de ductilité en fatigue.

- la loi de Basquin de résistance aux déformations élastiques :


∆ε e σ f
'

= ( 2 N R ) avec ∆ε e = ∆ε t − ∆ε p
b

2 E
où b et σ f sont respectivement l’exposant et le coefficient de résistance à la fatigue.
'

On a pour les matériaux courants tels les aciers ou les alliages légers,
c ≈ −0.5 et b ≈ c 10 .

ii. Zone d’endurance limitée

C’est le domaine (zone 2 de la figure V.2) de la fatigue habituellement considéré, où la


rupture apparaît après un nombre limité de cycles (compris entre 104 et 107), sans être
accompagnée d’une déformation plastique d’ensemble mesurable. Le nombre de cycles
à rupture N R croît quand l’amplitude de la contrainte cyclique σ a décroît. Parmi les
nombreuses expressions empiriques proposées pour relier N R à σ a pour des contraintes
σ a > σ D , on peut citer celles de Weibull, Basquin ou Bastenaire :

A
Weibull N R . (σ a − σ D ) = A NR =
n
Basquin
σ an
− C (σ a −σ D )
e
Bastenaire N R + B = A
σa −σ D

Les constantes n, A, B et C sont caractéristiques de l’alliage métallique et des conditions


d’essais.

122
Figure V.4 Boucles contrainte-déformation cycliques correspondant
aux deux comportements a- durcissement cyclique et b- adoucissement cyclique

σ
Durcissemen Traction
t  statique
cyclique
Adoucissement

ε
Figure VI.5 Adoucissement ou durcissement cyclique par fatigue

La figure V.6 est une représentation schématique des résultats de fatigue oligocyclique
ajustés aux relations empiriques de Manson-Coffin et Basquin.

123
Log∆ε

∆ε p ∆ε t = ∆ε e + ∆ε p

∆ε e

LogN R

Figure V.6 Courbes de fatigue oligocyclique

iii. Zone d’endurance illimitée

Dans de nombreux cas, on peut tracer une branche asymptotique à la courbe


d’endurance (zone 3 de la figure V.2). Cette asymptote donne la limite de fatigue ou
limite d’endurance à N R ≥ 107 cycles , notée σ D pour des essais à σ m = 0 ou R = −1 .
Cependant, dans certains cas, il ne semble pas qu’il y ait d’asymptote horizontale : c’est
par exemple ce qui se produit lorsqu’il y a simultanément fatigue et corrosion.

La limite de fatigue σ D peut être définie comme l’amplitude de contrainte en dessous


de laquelle une microfissure créée par fatigue dans un matériau, n’arrive plus à passer
une barrière métallurgique telle un joint de grain par exemple.

Dans la zone 3 d’endurance illimitée, il est parfois difficile d’évaluer la limite de fatigue
ou limite d’endurance σD. La figure V.7 montre les limites d’endurance pour acier doux
(le coude de la zone 3 est bien marqué) et un alliage d’aluminium où la détermination de
σ D est plus délicate.

On introduit alors la notion de limite de fatigue conventionnelle qui correspond à la plus


grande amplitude de contrainte pour laquelle la probabilité de rupture est de 50% après
N cycles de sollicitation (N variant de 106 à 108).

Les courbes de Wöhler présente en effet un aspect probabiliste du fait de la dispersion


des résultats inhérente au phénomène de fatigue. La figure V.8 montre la dispersion des
résultats d’endurance dans un acier XC10.

La courbe de Wöhler étant la courbe médiane à 50%, il est vérifié par l’expérience
(figure V.9) que :
- La distribution de Log(NR) suit une loi normale pour une contrainte donnée;
- La distribution de la contrainte suit une loi normale pour un nombre de cycles donné.

124
Figure V.7 Limite d’endurance pour un acier doux et un alliage d’aluminium

Figure V.8 Dispersion des résultats de fatigue endurance dans un acier XC10

Figure V.9 Courbes de Wöhler d’équiprobabilité de rupture

125
V.2.3 Influence de la contrainte moyenne sur les courbes de Wöhler

Lorsque les essais de fatigue sont réalisés à contrainte moyenne sm non nulle, la durée
de vie est modifiée :

- Une contrainte moyenne de traction diminue la durée de vie ;


- Une contrainte moyenne de compression l’augmente ;
- La limite d’endurance sD varie dans les mêmes sens.

La figure V.10 représente schématiquement ces variations.

Figure V.10 Variations des courbes de Wöhler avec la contrainte moyenne σm

Différents diagrammes permettent de représenter ces variations :

- Diagramme de Haig
- Droites de Söderberg ou de Goodman;
- Parabole de Gerber

Le diagramme de Haig, déduit des courbes de Wöhler, représente la variation de


l’amplitude de contrainte σa=∆σ/2 en fonction de la contrainte moyenne σm pour NR
donné. La figure V.11 est une représentation de ce diagramme.

Les points A et B correspondent respectivement à σD obtenue à R=-1 (σm=0) et à Rm la


résistance à rupture en traction. La construction expérimentale de Haig résulte :

- d’un essai de traction simple pour déterminer la résistance à rupture Rm ;


- d’essais dynamiques à σm=0 pour déterminer le point A ;
- d’essais dynamiques à σm∫0 pour déterminer les points Ai.

La procédure de construction du diagramme de Haig est indiquée sur la figure V.12.

126
Figure V.11 Diagramme de Haig

Figure V.12 Procédure de construction du diagramme de haig

127
Plusieurs représentations de la courbe AB ont été proposées (figure V.13). Ces
représentations empiriques nécessitent la connaissance de la limite d’endurance à σm=0,
de la limite d’élasticité Re et de la résistance ultime à la traction Rm du matériau :

Figure V.13 Représentations du diagramme de Haig

- la droite de Söderberg et, dans une moindre mesure, la droite de Goodman sont trop
pénalisantes pour σ m > 0 et trop optimistes pour σ m < 0 ;
- la parabole de Gerber est assez juste pour σ m > 0 mais elle est pénalisante pour
σ m < 0 puisqu’elle ne rend pas compte de l’augmentation de l’endurance σ a dans
ce domaine.

V.3 Endommagement en fatigue endurance

Lorsqu’un élément de structure est soumis à un chargement d’amplitude constante, de


contrainte ∆σ ou de déformation plastique ∆ε p , les courbes de Wöhler ou de Manson-
Coffin fournissent directement sa durée de vie.

Si en revanche l’amplitude de chargement varie au cours du temps, la façon classique


d’aborder le problème consiste à définir l’endommagement associé à chaque amplitude
et à utiliser ensuite une loi de cumul de l’endommagement : la loi à la fois la plus
simple et la plus utilisée dans les bureaux d’études est la règle de cumul linéaire
proposée par Miner.

Le dommage élémentaire Di sous amplitude constante ( ∆σ i ou ∆ε i ) est défini par la


relation suivante :

ni
Di =
Ni

Avec comme le montre la figure V.14 :

128
ni le nombre de cycles effectué à l’amplitude ∆σ i ou ∆ε i
N i le nombre de cycles à rupture correspondant (déduit de la courbe de Wöhler
ou de celle de Manson-Coffin)

σa Log∆ε
Courbe de Wöhler Courbe de Manson-Coffin

∆σ i ∆ε i
2
σD

ni Ni Log( N R ) ni Ni LogN R

Figure V.14 Définition de l’endommagement élémentaire Di = ni / N i

La règle de cumul linéaire de Miner suppose que l’endommagement total est la somme
algébrique des endommagements élémentaires. L’endommagement total D est donné
par :

ni
D = ∑ Di = ∑ La rupture se produit lorsque D = 1 .
i i Ni

L'expérience montre que la sommation des fractions de durée vie ni / N i dépend de


l'histoire du chargement. Pour des amplitudes (de contrainte ou de déformation
plastique) décroissantes ∑ ni / N i < 1 au moment où la rupture intervient, alors que pour
les niveaux croissants ∑n / Ni i > 1 à la rupture.

La règle de Miner bien que peu précise dans certains cas ( ±20% ), est néanmoins très
utilisée en calcul de structure à cause de sa simplicité.

V.4 Courbes de fissuration par fatigue

Le paragraphe précédent a abordé essentiellement l’amorçage qui englobe la


propagation de microfissures : c’est un phénomène qui se produit essentiellement en
surface. Le présent paragraphe traite de la propagation au-delà de la phase d’amorçage
lorsque les fissures pénètrent à l’intérieur du matériau.

Dans quelles conditions la propagation des fissures de fatigue présente un intérêt ? Les
spectres de charge subis par les structures en service peuvent contenir des contraintes de
niveau supérieur à la limite de fatigue et provoquer donc la propagation des fissures. Par

129
ailleurs certaines structures contiennent des fissures inhérentes aux procédés de
fabrication, et la maîtrise de leur propagation devient alors importante pour l’intégrité
de la structure. C’est ce qu’on appelle le concept de tolérance au dommage qui peut
s’énoncer ainsi : puisque certaines structures contiennent inévitablement des fissures,
leur dimensionnement et/ou leur durée de vie doivent être tels que ces fissures
n’atteignent pas une taille critique conduisant à la rupture brutale. C’est notamment le
cas des structures aéronautiques : les avions par exemple, où des fissures sont présentes
un peu partout dans le carénage, ont une durée de vie limitée. Ils sont régulièrement
inspectés à des périodes fixées par la vitesse de propagation des fissures, de sorte que
les tailles de celles-ci ne deviennent pas critiques.

La présence de fissures dans les structures est donc tolérée. Lorsque la sécurité n’est pas
essentielle comme par exemple les essieux des roues de tracteur qui rompent le plus
souvent en fatigue, on remplace alors l’essieu quand il est hors usage. Mais lorsque ce
n’est pas le cas, comme par exemple les réservoirs sous pression qui peuvent exploser et
provoquer des catastrophes, il faut des inspections régulières pour éviter la rupture
brutale.

Essai de fissuration par fatigue

Un essai de propagation de fissure de fatigue peut être conduit sur une simple plaque
percée d’un trou central prolongé d’entailles aigues pour faciliter l’amorçage (zoom de
la figure V.15). Si W est la largeur de la plaque, des bonnes conditions d’essai exigent
que son épaisseur soit environ égale à W / 20 , le diamètre du trou central de l’ordre de
W / 30 et la longueur initiale 2a0 (trou et entailles) d’environ W /10 . Ce type
d’éprouvette est appelé éprouvette CCT.

La photo sur la figure V.15 montre le dispositif de fixation de l’éprouvette CCT entre
les mors de la machine de fatigue. La longueur de fissure est mesurée régulièrement à
l’aide de méthodes optique ou électrique.

Pour décrire la progression des fissures, on peut représenter la longueur a en fonction


du nombre de cycles N subi par l’éprouvette d’essai (figure V.16), ou la vitesse de
fissuration da / dN en fonction de a (figure V.17), ou encore da / dN en fonction de
l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K (figure V.18).

La figure V.16 représente deux essais sur des éprouvette CCT ( W = 100mm ) sollicitées
à des niveaux de chargements cycliques différents mais à même rapport de charge : la
progression de fissure est tout naturellement plus rapide à l’amplitude de contrainte, σ 1 ,
la plus forte. L’essai à amplitude σ 2 < σ 1 , conduit à une rupture de l’éprouvette pour un
nombre de cycles plus élevé.

La figure V.17 représente la variation de la vitesse de propagation da / dN en fonction


de la longueur de fissure a . Cette vitesse est plus élevée à l’amplitude de contrainte
σ1 > σ 2 .

130
σ∞

2a0
W
2

2a

2W
2a

σ∞

Figure V.15 Eprouvette CCT pour essais de propagation de fissure de fatigue

La figure V.18 montre l’évolution de la vitesse de propagation en fonction de


l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K = K max − K min : on aboutit à une courbe
unique ce qui montre que le paramètre ∆K est le plus approprié pour décrire la
fissuration en fatigue. Ce point est développé dans les paragraphes qui suivent.

131
50

σ1 σ 2 < σ1
40

30
a (mm)

20
Pente
da / dN
10

a0
0
0 20000 40000 60000 80000

N (cycl es)

Figure V.16 Variations de la longueur de fissure a en fonction


du nombre de cycles N pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .

-4
2.10

σ1
da/dN (mm/cycle)

10-4

σ 2 < σ1

0
10 20 30 40
a (mm)

Figure V.17 Variations de la vitesse de fissuration da / dN en fonction de la longueur


de fissure a pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .

132
-4
2.10

• σ1
σ2
K
da/dN (mm/cycle)

K max
10-4
∆K

K min

t
0
15 25 35 45
∆K∆Κ 1 /2
(MPa.mm ))
( MPa

Figure V.18 Variations de la vitesse de fissuration da / dN en fonction de l’amplitude


du FIC ∆K pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .

Facteur d’intensité des contraintes et principe de similitude

Comme le montre la figure V.18, les vitesses de fissuration en fonction de l’amplitude


du facteur d’intensité des contraintes ∆K , sont décrites par une courbe unique pour les
deux essais effectués à même rapport de charge mais à des amplitudes de contraintes
différentes σ 1 et σ 2 . Ce résultat permet d’énoncer le principe de similitude relatif au
facteur d’intensité des contraintes : lorsque deux fissures sollicitées à même rapport de
charge, sont soumises à la même amplitude du facteur d’intensité des contraintes, les
vitesses de propagation sont alors les mêmes. Ce principe est néanmoins violé lorsque
les fissures sont de petites tailles : la problématique des fissures courtes sera abordée à
la fin de ce paragraphe.

Le rapport de charge R est défini par :

σ min K min
R= = avec K max = σ max π a f (a / W ) et K min = σ min π a f (a / W )
σ max K max

f (a / W ) est la fonction complaisance définie au chapitre 3.

On a ainsi :

∆K R
∆K = K max − K min = K max (1 − R ) ⇒ K max = et K min = ∆K
1− R 1− R

133
On peut donc écrire :

da
= f ( K max , K min ) V.1
dN
ou
da
= f (∆K , R ) V.2
dN

En général, une courbe de fissuration comme celle de la figure V.18 est représentée en
échelle bi-logarithmique ( log(da / dN ) − log(∆K ) ) . La courbe V.19 montre un exemple
de courbes de fissuration obtenues sur un alliage d’aluminium1. Celles-ci sont issues
d’essais sur éprouvettes CCT, sollicitées avec deux rapports de charge R et deux
amplitudes de contrainte pour chaque valeur de R . Ces résultats montrent bien que les
courbes de fissuration dépendent du rapport de charge comme le prévoit la relation V.2 ;
à même ∆K , la vitesse de propagation da / dN croit avec R , autrement dit da / dN est
plus rapide lorsque σ m , le niveau moyen de la contrainte cyclique, augmente.

∆σ ( MPa )

Figure V.19 Courbes da / dN − ∆K à deux rapports de charge


et pour deux niveaux de contraintes à chaque rapport

1
J. Schijve, Fatigue of Structures and Materials, Kluwer Academic Publishers, 2001

134
Courbes de fissuration en fatigue

La figure V.19 montre des courbes de fissurations partielles. L’allure d’une courbe de
fissuration (ou courbe de propagation en fatigue) complète est indiquée sur la figure
V.20. Ce type de courbe est obtenu pour un rapport de charge R fixé ; on observe un
déplacement de la courbe vers la gauche, lorsque R augmente.

Pour un matériau donné, on distingue généralement trois domaines dans la courbe de


propagation par fatigue :

- Le domaine des faibles vitesses, obtenu par des essais à ∆K décroissant : cette
procédure permet de déterminer la valeur seuil de l’amplitude du FIC, ∆K seuil , en
dessous de laquelle, une fissure, présente dans un matériau, ne se propage plus.
Compte tenu de la procédure, la longueur de fissure est relativement longue lorsque
le ∆K seuil est atteint. La connaissance de ∆K seuil est d’une grande importance pour
les structures nécessitant une grande fiabilité. Elle varie avec le rapport de charge R
et le milieu environnant. La relation empirique de Klesnil et Lukas2, la plus utilisée
pour décrire ces variations, est de la forme :

∆K seuil = (1 − R ) ∆K 0
γ
V.3

où ∆K 0 est la valeur seuil pour R = 0 . L’exposant γ est compris entre 0 et 1 : il est


proche de 1 lorsque l’essai de fatigue est conduit dans des environnements agressifs
et proche de 0 pour des milieux inertes tel que le vide, ou tout environnement
gazeux dont les molécules ne d’adsorbent pas sur les surfaces fraîchement créées
lors de la fissuration.

- Le domaine des vitesses moyennes, obtenu par des essais à ∆K croissant : la


vitesse de fissuration dans ce domaine est le plus souvent décrite par la relation
empirique de Paris :

da
dN
= C ∆K b g m
V.4

C et m sont des constantes qui dépendent du matériau, du milieu environnant et du


rapport de charge R .

- Le domaine des vitesses très élevées où les valeurs de K max se rapprochent de la


ténacité K C du matériau.

L’influence du rapport de charge R sur l’ensemble de la courbe de fissuration est


schématisée sur la figure V.20b.

2
M. Klesnil and Lukas, The influence of strength and stress history on growth and stabilization of fatigue
cracks, Engineering Fracture Mechanics, 4, pp. 77-92, 1972

135
da da
Log Log
dN dN

Pente

m

a- b-
∆K seuil Log ∆K ∆K seuil Log ∆K

Figure V.20 Courbes de propagation da / dN − ∆K en fatigue


a- à rapport de charge fixé, b- pour des rapports de charge différents

Dans les bureaux d’étude, on considère en première approximation que la courbe de


propagation peur être décrite par une relation de Paris étendue au domaine et selon
la procédure indiquée sur la figure II.51.

da
Log Courbe de propagation
dN Approximation BE

da
= C ( ∆K )
m

dN

Log ∆K
∆K seuil K max = K c

Figure V.21 Extension du domaine de Paris da / dN = C (∆K ) m


entre ∆K = ∆K seuil et K max = K c

La durée de vie est alors calculée par intégration de la relation suivante :

136
ac da
Nf = ∫ V.5
a0 C ∆K m

avec les longueurs a0 et ac déterminées à partir des égalités suivantes :

∆K seuil = ∆σ π a0 f (a0 / W ) et K c = σ max π ac f (ac / W )

V.5 Cumul de l’endommagement en propagation

Lorsqu’un élément de structure fissuré est soumis à un chargement d’amplitude de


contrainte constante ∆σ , la durée de vie est calculé par une relation de type V.5 où
l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K dépend de la longueur fissurée.

Si l’élément est soumis à un spectre de charge comportant plusieurs amplitudes ∆σ i , on


procède de la façon suivante :

- On calcule l’accroissement de longueur de fissure ∆ai dû à chaque amplitude ∆σ i


appliquée pendant ∆N i cycles, soit :

(
∆ai = C ( ∆K i ) ∆N i = C ∆σ i π ai f ( ai / W ) )
m
∆N i
m

Le nombre de cycle ∆N spectre subis pendant une période du spectre de charge et


l’accroissement de longueur de fissure ∆aspectre correspondant, sont donnés par :

∆N spectre = ∑ ∆N i
i

∆aspectre = ∑ ∆ai
i

L’accroissement de longueur de fissure ∆aspectre reste en général faible par rapport à la


longueur de fissure a , si bien que l’on peut déterminer la vitesse moyenne da / dN spectre
sur le spectre de charge :
∑ ∆a ∑ C ( ∆σ π a f ( a / W ) )
m
∆N i
∆aspectre i i
da / dN spectre = = i
= i

∆N spectre ∑ ∆N
i
i ∑ ∆N i
i

soit
∑ ( ∆σ ) ∆N
m
i i
π a f ( a / W ) 
m
da / dN spectre = C  i

∑ ∆N i
i

137
Ce calcul repose sur l’utilisation d’une loi de cumul linéaire (de type Miner) des
accroissements élémentaires ∆ai de fissure.

- On calcule ensuite la durée de vie en nombre de spectres ( N spectre ) en intégrant une


relation de type V.5.

Lorsque le spectre de chargement n’est pas décomposable en cycles à ∆σ fixée, on


utilise une approche, proposée par Barsom3, qui consiste à relier la vitesse de
propagation da / dN à une amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K mS
moyennée (moyenne des carrés des contraintes) sur une période du spectre de N S
cycles :
σ ↑
σ max
∆K mS = ∆σ mS π a f ( a / W )
σ min

∆σ mS = σ mS
max
− σ mS
min

avec
NS
1
σ mS
max
=
NS
∑σ
i =1
2
max

et
NS
1
σ min
mS =
NS
∑σ
i =1
2
min ,
NS

On détermine, à partir de ces contraintes, RmS le rapport de charge moyen sur le


spectre :
σ mS
min
RmS =
σ mS
max

La vitesse est alors déterminée par une relation de type Paris :

da
= C ( ∆K mS )
m

dN

La durée de vie est ensuite calculée par intégration d’une relation de type IV.20.

V.6 Effet de fermeture de fissure

On a vu au chapitre 4, que le fond de fissure se plastifie. Lorsqu’une fissure de fatigue


se propage, elle entraîne avec elle la zone plastifiée qui se forme à son extrémité. Il se
forme ainsi au fur et à mesure que la fissure progresse, un sillage plastique autour de la

3
J.M. Barsom, ASTM STP 595, p. 217, 1976

138
fissure. Il s’ensuit alors qu’au cours d’un cycle de chargement, la décharge élastique du
matériau entraîne des contraintes de compression sur le sillage plastique : c’est le
phénomène de fermeture induite par la plastification. Elber4 fut le premier a observé un
contact prématuré des lèvres de la fissure pendant la décharge lorsque la contrainte
nominale n’est pas encore nulle. La fissure reste ensuite fermée pendant toute une partie
du bas de cycle. Ainsi, alors que l’éprouvette d’essai est globalement en traction, la
fissure peut rester fermée jusqu’à une contrainte appelée contrainte d’ouverture σ ouv
(figure V.22). Comme l’intensité de contrainte n’est pas transmise à l’extrémité de la
fissure tant que celle-ci reste fermée, l’amplitude de contrainte ∆σ eff qui contribue
effectivement (ou efficacement) à la propagation est :

∆σ eff = σ max − σ ouv

L’effet de la fermeture de fissure sur les courbes de propagation se traduit donc par une
réduction de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K = K max − K min . Seule
l’amplitude ∆K eff = K max − K ouv est effectivement transmise à l’extrémité de la fissure.

Contraintes de compression
Sillage plastique

σ max
σ ↑ σ ouv
σ ouv < σ < σ max σ min σ min < σ < σ ouv
→t Fissure fermée
Fissure ouverte

Figure V.22 Représentation schématique de la fermeture de fissure


induite par la plasticité

Elber a proposé de décrire les courbes de propagation, non pas en termes de ∆K mais
en termes de ∆K eff , soit pour le domaine de Paris :

da
= C ( ∆K eff )
m

dN
avec
∆K eff = ∆σ eff π a f ( a / W )

La figure V.23 reprend les courbes de propagation de la figure V.19 en termes de ∆K eff .
On obtient alors une courbe unique da / dN − ∆K eff pour les deux rapports de charge.

4
W. Elber, ASTM STP 486, p. 230-242, 1971

139
Autrement dit, l’influence du rapport de charge sur les courbes de propagation
da / dN − ∆K est directement liée à la fermeture de fissure qui intervient en bas de
cycle de fatigue.

Lorsqu’on opère sous environnement oxydant, les contraintes de fermeture sont plus
élevées du fait de la présence de débris d’oxyde sur les surfaces fraîchement rompues.
La fermeture peut être également accentuée si le chemin de fissuration est sinueux avec
des déplacements en mode II à l’extrémité de la fissure. Ces deux types de fermeture
induite par l’oxydation ou la rugosité des surfaces rompues, sont schématisés sur la
figure V.24.

R ∆σ ( MPa )
0,52 34
53 •
-0,05 118,7
182,5

da/dN ↑
(μm/cycle)

Figure V.23 Courbes de propagation de la figure V.19


représentées en termes de ∆K eff

oxydes rugosité Déplacement en mode II

Figure V.24 Accentuation de la fermeture de fissure par


les dépôts d’oxyde et la rugosité des surfaces rompues

140
Le développement de toutes ces fermetures (plasticité, oxydation des surfaces rompues
et ou déplacements en mode II) est lié à l’existence d’un sillage plastique. L’évolution
du paramètre K ouv = σ ouv π a f ( a / W ) , est représentée schématiquement en fonction de
la longueur de fissure sur la figure V.25. Il apparaît qu’en dessous d’une taille de fissure
a0 (et donc d’une longueur de sillage plastique), on observe une diminution de K ouv . La
longueur a0 ainsi déterminée, est de 1 à 2 mm selon les matériaux.

K ouv ↑

a0 a→

Figure V.25 Evolution de la fermeture en fonction de la longueur de fissure

V.7 Propagation des fissures courtes

L’examen de la figure V.25, montre qu’une fissure dont la longueur est inférieure à a0
(que l’on appelle fissure courte) a une intensité de contrainte effectivement transmise à
son extrémité plus élevée comparée à celle d’une fissure de longueur supérieure à a0
(fissure longue) et soumise au même chargement. Ce résultat met en défaut le concept
de similitude en mécanique de la rupture, selon lequel deux fissures de tailles différentes
soumises au même chargement ∆K − R dans un système matériau-environnement
donné, auront la même propagation dès lors que ∆K > ∆K seuil . Or l’expérience montre
que les fissures courtes se propagent non seulement plus vite mais parfois à des niveaux
d’intensité des contraintes inférieurs à ∆K seuil . Ce seuil de non fissuration est déterminé
selon une méthodologie de décroissance par paliers du ∆K qui conduit à des fissures
dont la longueur est de plusieurs millimètres, autrement dit des fissures longues. La
figure V.26 présente schématiquement le comportement en propagation des fissures
courtes de fatigue comparé en termes de ∆K à celui des fissures longues. Pour le calcul
des durées de vie en bureau d’études (BE), on utilise en général une loi type Paris pour
les fissures longues ( da / dN ) et une pour les fissures courtes ( da / dN )
FL FC
tronquée à
∆K seuil .eff = ( K max − K ouv ) seuil (figure V.26).
FL FL

La propagation des fissures courtes se situe en fait dans un domaine intermédiaire entre
l’amorçage des toutes petites fissures de la taille d’un grain et le domaine de

141
propagation des fissures longues ; il faut se rappeler que limite de fatigue σ D est
l’amplitude de contrainte en dessous de laquelle une microfissure créée par fatigue dans
un matériau n’arrive plus à passer un joint de grain. Il est clair qu’à l’échelle de ces
toutes petites fissures, l’application de la mécanique linéaire de la rupture et plus
précisément du concept de facteur d’intensité des contraintes, devient problématique car
les hypothèses sur lesquelles elle repose ne sont pas vérifiées dans le cas des
microfissures. Ces hypothèses supposent une taille de fissure grande par rapport d’une
part à la zone plastifiée de la fissure et d’autre part aux dimensions microstructurales
pour que le milieu soit considéré comme continu.

da

dN

Calcul en BE

da
Fissures Courtes
dN
( da / dN )
FC

( da / dN )
FL

da
Fissures Longues (FL)
dN
∆K seuil
FL
.eff
∆K seuil
FL

∆K →

Figure V.26 Comportement en propagation des fissures courtes

142
Chapitre VI Mécanique non linéaire de la rupture

VI.1 Introduction

La mécanique linéaire de la rupture (MLR) demeure une approche valable tant que le
comportement du matériau est élastique et linéaire, mais aussi lorsque la plastification à
fond de fissure reste confinée dans une zone de faible taille par rapport aux dimensions
des fissures et de celles de la structure fissurée. Il est quasiment impossible dans
beaucoup de matériaux de respecter les deux conditions précédentes et de décrire le
comportement avec la MLR. Une approche alternative s’avère nécessaire pour ces
matériaux.

La mécanique élasto-plastique de la rupture (MEPR) ou mécanique non linéaire de la


rupture (MNLR) s’applique aux matériaux ductiles lorsque le comportement reste
toutefois indépendant du temps (pas d’effets dynamiques ou de viscosité, absence de
fluage…).

Comme pour la MLR, où deux paramètres équivalents (K et G) peuvent être utilisés


comme critère de rupture, deux paramètres caractéristiques de la MEPR sont présentés
dans ce chapitre. Nous verrons que ces deux paramètres - le déplacement à fond de
fissure ou CTOD (Crack Tip Opening Displacement) et l’intégrale de contour notée J -
sont aussi équivalents entre eux. Ils décrivent tous les deux, les conditions à l’extrémité
d’une fissure (champs de contraintes et de déplacements) et peuvent être utilisés comme
critère de rupture. Les valeurs critiques de J et du CTOD conduisent à des valeurs de la
ténacité des matériaux à peu près indépendantes de la géométrie des structures, même
lorsque la plastification à l’extrémité des fissures est importante. On verra également
dans quelles conditions on atteint les limites de ces approches à paramètre descriptif
unique (J ou CTOD).

VI.2 Ecartement à fond de fissure (CTOD)

On s’est rendu compte dès le début des années 60, qu’il était difficile de caractériser
avec la seule MLR, la ténacité de certains matériaux tels que les aciers de structure. Les
matériaux étaient élaborés en recherchant une plus forte ténacité mais les concepts
existants de la MLR (K ou G) n’étaient plus applicables à cette classe de matériaux
comme l’ont montré les essais expérimentaux de Wells1. L’émoussement de l’extrémité
des fissures fut la principale observation expérimentale de Wells. La figure VI.1 illustre
la différence de comportement entre une fissure élastique et une fissure dont l’extrémité
s’émousse du fait de l’écoulement plastique.

1
A. A. Wells, « Unstable crack propagation in metals : Cleavage and fast fracture ». Proceedings of the
crack propagation symposium, vol. 1 , Paper 84, UK, 1961

143
Wells observa que l’émoussement de l’extrémité des fissures augmentait avec la
ténacité des matériaux. Cela l’a conduit à proposer l’écartement à fond de fissure
comme mesure de la ténacité. Ce paramètre est connu aujourd’hui sous le nom de
CTOD.

a- Fissure élastique b- Emoussement de l’extrémité

Figure VI.1 Comparaison a- de l’ouverture d’une fissure élastique et


b- d’une fissure dont l’extrémité s’émousse.

L’analyse proposée par Wells tente de relier le CTOD au FIC K lorsqu’on est en régime
de plasticité confinée. Pour examiner cette approche, on va considérer une fissure avec
une faible zone plastifiée comme indiqué sur la figure VI.2. Irwin montra qu’une telle
fissure se comporte comme si elle était effectivement plus longue du fait de
l’écoulement plastique à fond de fissure. On peut alors estimer le CTOD en augmentant
la longueur de fissure de ry, la correction de zone plastifiée. Le CTOD est pris égal à
l’ouverture de la fissure à la distance ry en amont de l’extrémité ; le déplacement à cette
distance est estimé à partir de la MLR qui prévoit en mode I :

uy =
κ +1
KI
ry
avec
RS
κ = 3 − 4υ en DP
VI.1
2µ 2π T
κ = (3 − υ ) / (1 + υ ) en CP

La longueur effective de fissure est a+ ry, avec ry le rayon de zone plastifiée calculé
d’après l’approche d’Irwin pour un état de contraintes planes :

ry =
FG IJ
1 KI
2

H K
2π σ E
VI.2

En combinant les 2 relations précédentes, on trouve pour un état de contraintes planes :

4 K I2
δ = 2u y = VI.3
π σEE

144
CTOD=2u

ry

Figure VI.2 Estimation du CTOD à partir du déplacement à la distance ry


en amont de l’extrémité d’une fissure de longueur a + ry.

δ est le CTOD ou écartement à fond de fissure. Le CTOD peut être relié au taux de
restitution d’énergie G en utilisant la relation liant G au FIC K. En contraintes planes,
on a :
K I2 4 G
G= ⇒ δ= VI.4
E π σE

Ainsi, lorsqu’on est en régime de plasticité confinée où la MLR s’applique, le CTOD est
relié à G et au FIC KI. Wells postula alors que le CTOD est un paramètre approprié pour
caractériser le comportement à l’extrémité d’une fissure lorsqu’on atteint les limites
d’application de la MLR. Cette hypothèse s’est avérée correcte quelques années plus
tard lorsqu’on établit une relation unique entre le CTOD et l’intégrale de contour J
introduite par Rice (§ III.2).

Le modèle de Dugdale-Barenblatt peut aussi être utilisé pour estimer le CTOD (figure
VI.3).

−σ E

CTOD

Figure VI.3 Estimation du CTOD à partir du modèle de Dugdale-Barenblatt

145
L’ouverture de la fissure au début de la zone où les contraintes de compression σE
s’exercent, correspond au CTOD δ dans ce modèle qui s’exprime par :

8σ E a F F
π σ∞ IJ I
δ=−
πE
Log cos GH GH
2 σE K JK VI.5

Le développement limité au voisinage de 0 de l’équation précédente donne :

F π σ IJ = 1 − 1 FG π σ IJ + 1 FG π σ IJ +…
cosG
∞ ∞
2

4

H 2 σ K 2H 2 σ K 4H 2 σ K
E E E

8σ a L 1 F π σ I 1 Fπ σ I O K LM1 + 1 F π σ I OP
2 4 2
∞ ∞ ∞
M +…P =
2
δ= E
G
πE M 2 H 2 σ K
J + G
12 H 2 σ K
J P G J
σ E M 6H 2 σ K
I
+…
PQ
N E Q E N E E

En considérant uniquement le premier terme, on a :

K I2
δ= VI.6
σ EE

La relation VI.6 diffère peu de la relation VI.3 (le terme 4/π est remplacé par 1).

Le modèle de Dugdale-Barenblatt suppose un état de contraintes planes et un matériau


élastique-plastique parfait c’est à dire sans consolidation. La relation plus générale entre
le CTOD δ et le FIC KI est de la forme :

K I2 G
δ= = VI.7
mσ E E mσ E

Où m est un coefficient sans dimension qui vaut à peu près 1 en contraintes planes et 2
en déformations planes.

Plusieurs définitions ont été proposées pour le CTOD. Les deux définitions les plus
communément utilisées sont représentées sur la figure VI.4. La première utilise le
déplacement à l’extrémité de la fissure initiale c’est à dire de longueur non corrigée
(figure VI.4a). La seconde définition, illustrée sur la figure VI.4b, considère le
déplacement à l’intersection des deux cotés d’un angle droit issu du fond de la fissure
émoussée. Cette dernière définition, couramment utilisée dans les calculs par la MEF, a
été suggérée par Rice. On peut noter que les deux définitions sont équivalentes lorsque
l’émoussement de l’extrémité de la fissure est de forme semi-circulaire.

146
a) Déplacement à l’extrémité initiale b) Déplacement à l’intersection d’angle droit

Figure VI.4 Définitions du CTOD

Mesure du CTOD

L’écartement à fond de fissure (ou CTOD) est une grandeur locale difficilement
accessible directement. La plupart des mesures en laboratoire utilisent des éprouvettes
de flexion 3 points (figure VI.5). Lorsqu’elles sont fissurées, ces éprouvettes tournent
autour d’un point (centre de rotation) qui demeure à peu près fixe tout au long du
chargement.

V
V
a
a
L δ

r(L-a)

.
Figure VI.5 Modèle à centre de rotation ( ) fixe pour la mesure du CTOD.

En considérant les relations entre triangles semblables, on obtient :

δ V r ( L − a )V
= ⇒ δ=
r( L − a) r( L − a) + a r( L − a) + a

147
Où V est l’ouverture de la fissure et r le facteur de rotation compris entre 0 et 1.

Le modèle à centre de rotation fixe a été ensuite amélioré pour tenir compte du
déplacement élastique qui précède l’émoussement de l’extrémité de la fissure. Les
méthodes standards de détermination du CTOD séparent les déplacements élastique et
plastique. La figure VI.6 montre un exemple type d’enregistrement de la charge en
fonction de l’ouverture V de la fissure.

Charge

VP

Ouverture V de la fissure

Figure VI.6 : Enregistrement type de la charge en fonction


de l’ouverture de la fissure

Le CTOD δ est ainsi séparé en deux composantes :

K I2 rP ( L − a )V P
δ = δ el + δ P = + VI.8
mσ E E rP ( L − a ) + a

Le facteur de rotation plastique rP dans les procédures standards est pris égal à 0,44.

VI.3 Intégrale J

Le paramètre J est défini à partir de l’intégrale de contour suivante :

J= z FGH
Γ
wdy − Ti
∂ui
∂x
ds
IJ
K VI.9

où Γ est un contour d’intégration entourant l’extrémité de la fissure (figure VI.7), ds


l’élément de longueur sur Γ, Ti et ui les composantes du vecteur contrainte et du vecteur
déplacement en un point de Γ. La densité d’énergie de déformation w est définie quant à
elle par :

148
w= z 0
ε ij
σ ij dε ij VI.10

où σij et εij sont les composantes des tenseurs de contraintes et de déformations au point
courant sur le contour Γ.

Figure VI.7 Contour arbitraire autour de l’extrémité d’une fissure

L’intégrale J correspond à l’énergie de Griffith dans un matériau élastique.

Rice a montré que l’intégrale J ne dépendait pas du contour d’intégration. Pour


démontrer cette indépendance, il évalue l’intégrale J le long d’un contour fermé Γ*
(figure VI.8) :

Γ*
A*

Figure VI.8 Contour fermé Γ* entourant la surface A*

J* =
F
z H ∂x dsJK
G wdy − T
∂u I
i
i

Γ*

Rice utilise ensuite le théorème de Stokes pour transformer l’intégrale de contour en


intégrale de surface :

149
J* = z FGH
A*
∂w


∂x ∂x j
FG
∂u
σ ij i
H
∂x
IJ IJ dxdy
KK VI.11

où A* est la surface plane limitée par Γ*.

w étant un potentiel élastique, le premier terme de l’intégrale précédente peut s’écrire :

∂w ∂w ∂ε ij ∂ε ij 1 ∂ ∂ui ∂ ∂u j LM F I FG IJ OP
MN GH JK
= = σ ij = σ ij +
∂x ∂ε ij ∂x ∂x 2 ∂x ∂x j ∂x ∂xi H K PQ
Le tenseur des contraintes étant symétrique σ ij = σ ji , l’expression précédente peut se
transformer en :

∂w
= σ ij
∂ ∂ui FG IJ
∂x ∂x j ∂x H K
∂σ ij
Et compte tenu de l’équation d’équilibre = 0 , on a également :
∂x j

∂ FG ∂u
σ ij i
IJ = σ FG IJ = ∂w
∂ ∂ui
∂x j H ∂x K ij
H K ∂x
∂x j ∂x

L’intégrale J* est donc nulle.

Considérons maintenant deux contours Γ1 et Γ2 autour de l’extrémité d’une fissure


(figure VI.9). On obtient un contour ferme en reliant les deux contours Γ1 et Γ2 par des
segments Γ3 et Γ4 le long des lèvres de la fissure. Dans ces conditions, on peut appliquer
le résultat précédent au contour fermé Γ= Γ1+ Γ2+ Γ3+ Γ4.

L’intégrale J sur le contour Γ est la somme des intégrales Ji sur les quatre contours Γi.
On a alors :

J = J1 + J 2 + J 3 + J 4 = 0

Comme le long de Γ3 et Γ 4 les intégrales sont nulles ( Ti et dy = 0 ), on a :

J1 = − J 2

Les deux intégrales sont opposées car les sens de parcours des contours sont inversés, et
donc l’intégrale J est bien indépendante du contour d’intégration entourant
l’extrémité de la fissure

150
Γ2
Γ3
Γ1

Γ4

Figure VI.9 Décomposition du contour Γ∗= Γ1+ Γ2+ Γ3+ Γ4

VI.4 Méthodologie de mesure de l’intégrale J

Tant que le comportement du matériau est linéaire, l’intégrale J correspond à l’énergie


de Griffith qui est directement reliée au FIC K lui même proportionnel à la charge
appliquée et pouvant être calculé à partir des conditions de chargement et de la taille de
la fissure.

Les choses se compliquent lorsque le comportement est non linéaire. Le principe de


superposition n’est plus vérifié et l’intégrale J n’est plus proportionnelle à la charge
appliquée. Aussi il n’existe pas de relation simple entre J, la charge appliquée et la taille
de la fissure.

Une manière de déterminer J consiste à appliquer la définition de cette intégrale, donnée


par la relation VI.9, à la configuration de chargement. Les premières mesures de
l’intégrale J sur des plaques fissurées, utilisaient un ensemble de jauges de déformations
collées sur un contour entourant la fissure. Comme l’intégrale J est indépendante du
contour d’intégration, on choisissait un contour de collage des jauges de telle sorte que
les mesures soient le plus simples possible. Cette méthode était également utilisée pour
les calculs par éléments finis où l’on détermine les contraintes, les déformations et les
déplacements le long d’un contour généralement circulaire pour ensuite calculer
l’intégrale J à partir de la relation VI.9. Les approches numériques modernes utilisent
toutefois une extension virtuelle de la fissure qui donne des résultats plus précis.

Cependant cette méthode de contour est impraticable dans beaucoup de cas.


L’instrumentation requise est coûteuse et elle devient acrobatique lorsque les structures
sont complexes. La méthode beaucoup plus appliquée actuellement utilise la définition
du paramètre J comme taux de restitution d’énergie.

Les varaiations d’énergie qui accompagne l’extension ∆a d’une fissure sont :

∆Wext = ∆Wdéf + ∆U

151
Où l'énergie ∆U dépensée lors de la fissuration sur la longueur ∆a, se compose de
l’énergie de séparation des surfaces ∆Wsép et de l’énergie de plastification ∆Wplas :

∆U = ∆Wsép + ∆W plas

On a ainsi dans le cas d’une fissuration à déplacement imposé, la variation de F


schématisée sur la figure VI.10. Le cas du chargement à force imposée se traite tout
aussi simplement.

F
a
Propagation

a+∆a

x
x
Figure VI.10 Variation de la force lors de la propagation, à déplacement imposé,
d’une fissure dans un matériau non linéaire.

L’aire hachurée de la figure VI.10 correspond à l’énergie de propagation ∆U, c’est à dire
la différence entre l’énergie fournie et l’énergie élastique restituée après propagation de
la fissure sur une longueur ∆a.

Le taux de restitution J est défini par l’énergie dépensée lors de la fissuration rapportée à
l’aire fissurée, i.e. l’énergie spécifique, soit :

1  ∂U  1 ∂ x  1  x  ∂F  
J=   = −  ∫0 Fdx  = −  ∫0   dx  VI.12
e  ∂a  x ea x e   ∂a  x 

Le signe moins provient du fait que l’énergie U correspond à l’aire sous la courbe (F, x)
comptée négativement de sorte que lorsque la longueur de fissure augmente on a une
variation positive de cette énergie.
K2
Dans le cas d’un matériau linéaire, J = G = I , où G est l’énergie de Griffith et E’=E
E'
en contraintes planes ou E ' = E (1 − υ ) en déformations planes.
2

A partir d’une série d’éprouvettes de même géométrie et de même taille, on introduit


des fissures de différentes longueurs, obtenues généralement par essais de fatigue. Les
variations de la force appliquée F avec le déplacement ∆ sont ensuite enregistrées pour
les différentes longueurs de fissure. On trace à partir de ces enregistrements à ∆ fixé,

152
l’énergie U, c’est à dire l’aire sous la courbe (F,∆) comptée négativement, en fonction
de la longueur de fissure a. De ces tracés on déduit la pente des courbes qui correspond
à la valeur de l’intégrale J donnée, pour des éprouvettes d’épaisseur e, par :

J=
FG IJ
1 ∂U
H K
e ∂a ∆

La figure VI.11 décrit le principe de cette méthodologie de mesure. La dernière courbe


obtenue sur la figure VI.11 est une courbe de calibration qui s’applique au matériau, à la
géométrie et à la taille des éprouvettes pour lesquels elle a été déterminée. Cette
méthodologie expérimentale nécessite donc un grand nombre d’éprouvettes pour
déterminer le paramètre J dans différentes configurations de chargement.

F

F a1<a2<a3<a a1
a2
a3
a4

a
-U


∆1 ∆2 ∆3 ∆4

J a1 - ∆1
dU
a2 ∆2 −
da
a3 ∆3
a4 ∆4

∆ a

Figure VI.11 Détermination expérimentale du paramètre J

Rice a montré qu’il était possible de déterminer l’intégrale J dans certains cas, à partir
d’un seul enregistrement de la variation de la force F avec le déplacement ∆. Il utilise
pour cela l’analyse dimensionnelle en mécanique de la rupture, introduite dans le
chapitre I.

153
Pour illustrer cette approche, considérons par exemple une plaque, doublement fissurée
et sollicitée en traction (figure VI.12).

L’intégrale J est définie par J =


FG ∂U IJ avec dA = 2eda = −2edb et pour une
H ∂A K F
épaisseur unité on a alors :

J=
1
2 z FGH
F

0
∂∆
∂a
IJ
K F
dF = −
1
2 z FGH
F

0
∂∆
∂b
IJ
K F
dF VI.13

a 2b

Figure VI.12 Plaque doublement fissurée

Pour calculer J, il est nécessaire de connaître la relation entre la charge F, le


déplacement ∆ et les dimensions de la plaque. L’analyse dimensionnelle permet
d’écrire :

∆ = bf
FG F , a , σ ,υ ,α , nIJ
E

Hσ b b E
E K
Où f est une fonction sans dimension. Pour des propriétés données du matériau, on ne
considère alors que la charge et les dimensions de la plaque comme variables. Le
déplacement peut être séparé en composante élastique et composante plastique, soit :

∆ = ∆e + ∆ p VI.14

Des relations VI.13 et VI.14, on déduit :

154
LMFG ∂∆ IJ + F ∂∆ I OPdF = K − 1 F ∂∆ I
J=−
1
2 z
0
F

MNH ∂b K GH ∂b JK PQ E ' 2 z GH ∂b JK
e

F
p

F
2
I
0
F p

F
dF VI.15

E
Où E ' = en déformations planes et E’=E en contraintes planes.
1− υ2

Si la déformation plastique reste confinée dans le ligament non fissuré de longueur 2b -


entre les deux extrémités des fissures - on peut considérer que cette longueur est la seule
dimension qui influencera la composante plastique ∆p du déplacement. C’est une
hypothèse raisonnable à condition toutefois que la fissuration de la plaque soit
suffisamment profonde de sorte que les contraintes moyennes dans le ligament non
fissuré soient bien plus élevées que la contrainte appliquée. On peut alors utiliser
l’analyse dimensionnelle et écrire :

∆ p = bH
FG F IJ
H bK
Une dérivation partielle de cette relation par rapport à la longueur du ligament non
fissuré et par rapport à la force F respectivement, donne :

FG ∂∆ IJ
p
=H
FG F IJ − H ' FG F IJ F FG ∂∆ IJ p
= H'
FG F IJ
H ∂b K F
H bK H bK b et
H ∂F K b
H bK
Ce qui conduit à :

FG ∂∆ IJ
p
=
1 LM
∆p − F
∂∆ p FG IJ OP
H ∂b K F
b MN ∂F H K b PQ VI.16

En substituant VI.16 dans VI.15 et en intégrant par parties, on obtient :

J=
K I2
+
1LM z ∆p
Fd∆ p − F∆ p OP
E 2b N
2
0 Q
Précaution dans l’utilisation de l’intégrale

L’intégrale de contour J utilisée comme paramètre caractéristique de l’état de contrainte


au voisinage de l’extrémité d’une fissure dans les matériaux dont le comportement est
non linéaire, a connu un grand succès. Rice qui proposa ce paramètre, assimile le
comportement élasto-plastique à un comportement élastique non linéaire. L’approche de
Rice qui repose sur une telle hypothèse doit être utilisée avec précaution lorsqu’on a des
décharges élastiques par exemple. La figure VI.13 illustre la différence de
comportement entre un matériau élasto-plastique et un matériau élastique non linéaire.

155
Lors de la décharge, le chemin suivi par le matériau élastique non linéaire est différent
du chemin réel que l’on observe dans les matériaux élasto-plastiques. Une relation
unique lie la contrainte et la déformation dans un matériau élastique, linéaire ou non,
mais une déformation donnée dans un matériau élasto-plastique peut correspondre à
plusieurs contraintes si le matériau est déchargé ou soumis à des sollicitations cycliques.
Il est donc plus aisé de considérer un matériau élastique qu’un matériau où les
déformations sont irréversibles.

Matériau élastique
non linéaire
Contrainte

Décharge dans un Matériau


élasto-plastique

Déformation

Figure VI.13 Comportement élastique non linéaire et comportement réel

On voit bien sur la figure VI.13 que les deux matériaux donnent la même réponse tant
que les contraintes augmentent de façon monotone. Cette réponse peut cependant ne pas
être la même lorsqu’on traite des problèmes 3D, mais dans beaucoup de cas
l’assimilation des deux réponses constitue une hypothèse acceptable. Ainsi donc
l’analyse qui suppose un comportement élastique non linéaire, peut être valable pour un
matériau élasto-plastique en l’absence de décharges. La théorie de la déformation de la
plasticité qui propose une relation unique entre les déformations totales et les
contraintes dans un matériau, est équivalente à l’élasticité non linéaire.

Rice a appliqué la théorie de la déformation pour analyser un solide fissuré. Il a


démontré que le taux de restitution d’énergie non linéaire noté J, peut être déterminé à
partir d’une intégrale de contour indépendante du contour d’intégration. Hutchinson,
Rice et Rosengreen ont ensuite montré que ce paramètre J caractérise de façon unique
les champs de contraintes et de déformations au voisinage de l’extrémité d’une fissure
dans un matériau non linéaire. L’intégrale J peut donc être considérée à la fois comme
un paramètre d’énergie et un paramètre d’intensité des contraintes, comme en MLR
où le FIC K et l’énergie de Griffith G sont deux paramètres qui décrivent de manière
équivalente la répartition des contraintes.

156
VI.5 J taux de restitution d’énergie non linéaire

Considérons un solide fissuré bidimensionnel limité par un contour Γ’ ; on notera A’ la


surface de ce solide (figure VI.14).

y Ti

a
x

A’ Γ’

Figure VI.14 Solide fissuré soumis à un chargement extérieur Ti.

Dans des conditions quasi statiques et en l’absence des forces de volume, les énergies
mises en jeu sont :

Wext = Ti ui ds

Wext = Wdef

+ U avec  Γ'

 Wdef = ∫ wdA
et w= z
0
ε ij
σ ij dε ij
 A'

La variation d’énergie potentielle liée à une avancée virtuelle da de la fissure à Ti


constant le long de l’axe x, s’écrit :

La variation d’énergie de propagation U liée à une avancée virtuelle da de la fissure à Ti


constant le long de l’axe x, s’écrit :

dU du dw
= ∫ Ti i ds − ∫ dA
da Γ ' da A'
da

Lorsque la fissure progresse virtuellement de la quantité da, l’axe x est rétréci de la


même quantité ( ∂x ∂a = −1 ), si bien que la dérivée par rapport à a s’écrit :

d ∂ ∂x ∂ ∂ ∂
= + = −
da ∂a ∂a ∂x ∂a ∂x

et la variation de l’énergie de propagaion devient :

157
dU  ∂u ∂u   ∂w ∂w 
= ∫ Ti  i − i  ds − ∫  ∂a − ∂x  dA
da Γ '  ∂a ∂x  A'  

avec
∂w ∂w ∂ε ij
= = σ ij
∂ ∂ui FG IJ
∂a ∂ε ij ∂a ∂x j ∂a H K
Le principe des travaux virtuels permet d’écrire :

∂ui ∂  ∂ui 
∫T ds = ∫ σ ij   dA
∂a ∂x j  ∂a 
i
Γ' A'

L’énergie de propagation pourra alors s’exprimer par :

dU ∂w ∂u
=∫ dA − ∫ Ti i ds
da A ' ∂x Γ'
∂x

En utilisant le théorème de Stokes, on peut à nouveau transformer l’intégrale de surface


en intégrale de contour ;

dU  ∂u 
= ∫  wnx − Ti i  ds
da Γ '  ∂x 

Comme n x ds = dy , le taux de restitution d’énergie J aura finalement pour expression :

dU  ∂u 
J= = ∫  wdy − Ti i ds 
da Γ '  ∂x 

VI.6 L’intégrale J, paramètre d’intensité des contraintes

Hutchinson2, Rice et Rosengren3 (HRR) ont montré que le paramètre J caractérise les
champs de contraintes et de déformations (champs HRR) à l’extrémité d’une fissure
dans un matériau non linéaire. Pour décrire la loi de comportement, ils utilisent la
relation de Ramberg-Osgood :

ε = εe + ε p =
σ

σE FG σ IJ n

E Hσ K
VI.17
E E

2
Hutchinson, J.W., « Singular behavior at the end of a tensile crack tip in a hardening material », Journal
of the mechanics and physics of solids, vol. 16, 1968, p. 13-31.
3
Rice, J.R. and Rosengren, G.F., « Plastic strain deformation near a crack tip in a power-law hardening
material », Journal of the mechanics and physics of solids, vol. 16, 1968, p. 1-12.

158
où σE est la limite d’élasticité et n un exposant d’écrouissage supérieur à 1.

Hutchinson, Rice et Rosengren montrent que le produit contrainte.déformation varie


comme 1/r près de l’extrémité d’une fissure. Par ailleurs pour n=1, c’est à dire dans le
cas d’un matériau linéaire élastique, on doit retrouver une singularité en 1 / r prévue
par la MLR. Dans la zone très proche de l’extrémité de la fissure, les déformations
élastiques étant faibles comparées aux déformations plastiques, les deux conditions
précédentes entraînent :

R| FG IJ J
1
n +1

|Sσ ij = k1
H K r
VI.18
||ε F JI
=k G J
n
n +1

T ij
H rK
2

où k1 et k2 sont des constantes.

Les calculs plus précis montrent que le champ HRR donné par la relation précédente,
s’écrit :

R| F EJ IJ
1
n +1
σ =σ G σ~ ij (n,θ )
| H ασ I r K
ij E 2

S| E n
VI.19

||ε = ασE FGH ασEJI r IJK


n
n +1
E
ε~ij (n,θ )
Tij 2
E n

où In est une constante d’intégration qui dépend de n, σ~ ij et ~


ε ij des fonctions
addimensionnelles de n et θ.

L’intégrale J définit donc l’amplitude de la singularité HRR, comme le FIC K définit la


singularité 1 / r en MLR. On a ainsi en régime de plasticité confinée deux zones au
voisinage de l’extrémité d’une fissure dominées par des singularités : une singularité en
1
n+1
1 / r pour la zone élastique et une singularité en 1 / r dans la zone plastifiée.

VI.7 Relations entre l’intégrale J et le CTOD

En mécanique linéaire de la rupture, la relation entre le CTOD δ et l’énergie de Griffith


G, est donnée par l’équation VI.7. Lorsque le comportement du matériau est linéaire
élastique, J=G, et le même type de relation existe donc entre J et δ :

J = mσ E δ VI.20

159
où m est une constante sans dimension qui dépend de l’état des contraintes et des
propriétés du matériau. La relation précédente est en fait vérifiée bien au delà des limites
de validité de la MLR.

Considérons par exemple le modèle de Dugdale-Barenblatt - figure VI.15 - dont le


chargement sur la zone plastifiée est représenté sur la figuré VI.15b. On peut choisir
pour le calcul de l’intégrale J le contour Γ indiqué sur cette figure.

Si la longueur ρ de la zone endommagée est grande devant le CTOD δ (ρ>>δ), le


premier terme de l’intégrale J (relation VI.9) est nul puisque dy ≈ 0 . La normale au
contour Γ étant y , l’intégrale J est alors donnée par :

J =σE z Γ
∂u y ( x )
∂x
ds

X
−σ E x

CTOD δ 2uy

ρ Γ

Figure VI.15 Modèle de Dugdale-Barenblatt

Si on prend l’origine du repère à l’extrémité de la zone endommagée, ce qui revient à


faire le changement de variable X=x-ρ, le déplacement uy ne dépend que de X à δ fixé
et l’intégrale J s’écrit :

J = 2σ E z 0
ρ
z δ
du y ( X ) = σ E dδ = σ E δ
0
VI.21

Cette relation est similaire à la relation VI.6 établie précédemment en ne considérant


que le 1er terme du développement limité de Log(cos). Une telle hypothèse n’a pas été
nécessaire pour obtenir la relation VI.21. Ainsi le modèle de Dugdale-Barenblatt,
appliqué à un matériau fissuré, dont le comportement est élastique plastique parfait,
sollicité en mode I et en contraintes planes, prévoit m=1 à la fois dans des conditions
élastiques et élastoplastiques.

On peut également montrer, à partir du champ de déplacement HRR qu’il existe une
relation du type J = mσ E δ entre le CTOD et l’intégrale J. Le champ de déplacement
prévu par l’approche HRR, est de la forme :

160
FG EJ IJ
n
ασ E n +1
ui = ru~i (θ , n)
E H ασ I r K 2
E n
VI.22

En utilisant la procédure, proposée par Rice, de détermination du CTOD indiquée sur la


figure VI.16, il apparaît que :

δ
= r * − u x (r *, π ) ≈ u y (r *, π ) VI.23
2

La relation VI.22 peut aussi s’écrire :

F ασ IJ FG J IJ
1 n
n +1 1
u =G
n +1
u~i (θ , n)
H E K Hσ I K
E n +1
i r
E n

uy
r*
δ
ux

Figure VI.16 Procédure de détermination du CTOD

En utilisant cette dernière relation dans VI.22 on obtient :

FG IJ FG J IJ
1 n
ασ E n +1 n +1 1
r n +1 u~x (θ , n) + u~y (θ , n) = r *
H E K Hσ I K E n

La résolution de cette équation permet de déterminer r* :

F ασ IJ
1
n +1
r* = G
n J
u~x (θ , n) + u~y (θ , n)
H EK
E n
σ E In

Connaissant r* on détermine le CTOD δ = 2u y (r *, π ) , soit :

161
dn J
δ= VI.24
σE
avec
L ασ nu~ (θ , n) + u~ (θ , n)sOP
1

2u~ bπ , n g M
n
E

dn =
y
NE x y
Q VI.25
In

La figure VI.17 montre l’allure des courbes dn en fonction de 1/n pour α=1. On peut
observer la forte influence de l’exposant d’écrouissage en contraintes planes comme en
déformations planes et l’augmentation de dn lorsque le rapport σE/E augmente.

En comparant les relations VI.20 et VI.24, il apparaît que dn = 1/m .Par ailleurs, comme
le prévoit le modèle de Dugdale-Barenblatt, dn = 1 pour un matériau non écrouissable
( n → ∞ ) en contraintes planes.

1 1

dn dn
σE/E
σE/E

σE/E
0 0
0 1/n 0,6 0 1/n 0,6

a- Contraintes planes b- déformations planes

Figure VI.17 Allure des courbes d n = d n (n)

On voit bien qu’il existe une relation unique entre le CTOD et l’intégrale J. Ces deux
quantités équivalentes, sont des paramètres caractéristiques des conditions qui existent à
l’extrémité d’une fissure dans un matériau élastoplastique. La ténacité d’un matériau
peut donc être quantifiée à partir d’une valeur critique de l’intégrale J ou du CTOD.

L’analyse précédente qui s’appuie sur le champ de déplacement HRR pour démontrer la
relation qui existe entre le CTOD et l’intégrale J contient néanmoins une incohérence.
En effet, comme le montre la figure III.10, le champ des contraintes HRR dévie du
champ réel déterminé de façon plus précise par la MEF lorsqu’on s’approche de
l’extrémité de la fissure à une distance inférieure à 2 fois le CTOD. Or dans le calcul du
CTOD précédemment effectué, on se place à une distance moitié du CTOD donc dans

162
une région où l’approche HRR ne prévoit plus correctement la répartition des
contraintes et notamment la relaxation des contraintes. Cependant la solution CTOD
obtenue par la MEF, plus précise, est similaire à celle donnée par la relation III25. Ce
résultat montre par conséquent que le champ de déplacement HRR est raisonnablement
précis même lorsqu’on se place dans une zone tout près de l’extrémité de la fissure.

VI.8 Zone de grandes déformations à l’extrémité d’une fissure

La singularité HRR présente la même anomalie que la singularité de la MLR : toutes les
deux prédisent des contraintes infinies lorsque r → 0 . Le champ singulier dominant
dans une zone près de l’extrémité d’une fissure, ne persiste pas en fait à l’extrémité
même de la fissure où les grandes déformations qui se développent causent un
émoussement de la fissure, ce qui réduit la triaxialité des contraintes. Les lèvres de la
fissure étant libres, on a σ x = 0 quand r → 0 .

L’analyse qui conduit à la singularité du champ HRR ne considère pas l’effet de


l’émoussement de l’extrémité de la fissure sur le champ de contraintes, et ne prend pas
en compte non plus les grandes déformations qui se développent près de l’extrémité de
la fissure. Cette analyse s’appuie sur la théorie des petites perturbations, qui reste
valable lorsque les déformations plastiques n’excèdent pas 10%.

Les premiers calculs par éléments finis effectués par McMecking et Parks utilisant une
théorie des grandes déformations montrent que le champ HRR des contraintes ne peut
plus décrire la répartition des contraintes à l’extrémité d’une fissure lorsqu’on
s’approche à une distance inférieure à 2*CTOD de l’extrémité. La figure VI.18 compare
schématiquement le champ HRR aux résultats des calculs par éléments finis.

σy
σE Champ HRR

4
Calculs par la MEF

x
2.CTOD

Figure VI.18 Champ HRR et résultats de calculs par la MEF

163
Cette défaillance du champ HRR à décrire la répartition des contraintes lorsqu’on est
trop près de l’extrémité d’une fissure conduit à se poser la même question sur cette
approche que sur les limites de la MLR lors du chapitre IV. Peut-on utiliser l’intégrale J
comme critère de rupture compte tenu de l’émoussement de l’extrémité d’une fissure ?
La réponse est similaire à celle du chapitre précédent. Tant qu’il existe une région
entourant l’extrémité de la fissure où le champ des contraintes est correctement décrit
par les équations VI.19, l’intégrale J caractérise de façon unique ce champ et peut alors
être utilisée pour quantifier la ténacité.

La figure VI.19 illustre l’effet de la plasticité sur la distribution des contraintes à


l’extrémité d’une fissure : pour la commodité de la présentation, on utilise une échelle
Log-Log et on norme la distance à l’extrémité de la fissure par une dimension
caractéristique L. L correspond à une dimension de la structure comme par exemple la
longueur du ligament non fissuré.

La figure VI.19a montre le cas de la plasticité confinée, où à la fois le FIC K et


l’intégrale J caractérisent les conditions à l’extrémité de la fissure. Au voisinage de la
fissure on rencontre successivement 3 zones à mesure que l’on s’approche de son
extrémité. Dans la première zone dominée par le FIC K issu de la MLR, la singularité
est en 1 r et la pente de la courbe de variation des contraintes est alors –1/2 en échelle
Log-Log.

La seconde zone qui correspond à la zone plastifiée qui se développe à l’extrémité d’une
fissure, est dominée par l’intégrale J, en admettant toutefois que le chargement reste
monotone et quasi statique. A l’intérieur de cette zone, la solution HRR est
raisonnablement valable pour beaucoup de matériaux et la pente de la courbe est alors
− 1 (n + 1) . Enfin la troisième zone correspond à la région des grandes déformations au
voisinage immédiat de l’extrémité de la fissure. La taille de cette zone est d’environ
deux fois le CTOD ce qui correspond à la limite de validité de la solution HRR (figure
VI.18).

En régime de plasticité confinée, le FIC K caractérise de façon unique les conditions au


voisinage de l’extrémité d’une fissure, même si la singularité en 1 r n’existe plus en
deçà d’une certaine distance. De la même manière, J caractérise la distribution des
contraintes dans la zone plastifiée tant que les déformations restent modérées, mais au
delà d’environ 10% de déformation on entre dans la zone des grandes déformations et
l’approche HRR atteint aussi ses limites.

La figure VI.19b illustre un exemple de conditions élastoplastiques où la zone dominée


par le FIC K a disparu alors que le paramètre J est encore applicable. A mesure que la
zone plastifiée se développe par rapport à la dimension caractéristique, la zone dominée
par le FIC K est envahie par la plastification et disparaît ensuite complètement. J comme
le CTOD sont des critères de rupture valables tant que la plastification demeure
modérée.

164
HRR
Logσ y
1
K −
n +1
J

1 MLR

2

GD
rS L
Plasticité confinée r
Log
a) L
HRR
Logσ y

MLR

GD
rJ L
Conditions élastoplastiques
r
Log
b) L
HRR
Logσ y

GD

MLR

Grandes déformations r
Log
L
c)

Figure VI.19 Effet de la plasticité sur les champs de contraintes à fond de fissure

165
Lorsqu’on atteint le régime des grandes déformations (figure VI.19c), il n’y plus de
paramètre unique pour décrire les champs de contraintes, l’intégrale J dépend alors de la
taille et de la géométrie de la structure ; la zone dominée par J disparaît à son tour. On a
alors recours à d’autres approches comme la théorie des lignes de glissement.

VI.9 Théorie des lignes de glissement

La théorie des lignes de glissement découle de l’application de la théorie différentielle


de la plasticité.

Pour un état de déformations planes, on a :

ε zP = ε xzP = ε Pyz = 0

et en appliquant les équations de Levy-Misès (équations du comportement avec υP=0.5),


on a :

σ z=
1
2
dσ x +σ y i σ xz = σ yz = 0 VI.26
et
σ x +σ y +σ z
σm = =σz VI.27
3

(σz est donc égale à la contrainte moyenne).

Le tracé du cercle de Mohr des contraintes dans le plan principal (x,y) donne (figure
VI.20) :

α
τ

x
σxy Px
-2ϕ
σm σy
σx σ
C
-2ϕ Py
−σxy
Pβ y

β
Figure VI.20 Construction de Mohr

166
Sur le cercle de Mohr, chaque point Pn (σ,τ) est représentatif de l’état de contrainte dans
une direction n . Pα et Pβ sont représentatifs de l’état de contrainte dans les directions
α et β correspondantes aux directions de cisaillement maximum. Si sur le cercle de
b g
Mohr, autrement dit dans le plan des contraintes on a l’angle CPx , CPα = −2ϕ ,dans le
plan physique on aura l’angle x , α = ϕ . b g
Les lignes de glissement constituent un réseau de courbes orthogonales α et β tangentes
en tout point aux directions de cisaillement maximum β et α .

Comme on considère un solide rigide plastique parfait, le critère de Von Misès impose,
losqu’on atteint le seuil d’écoulement plastique, que le cercle de Mohr ait un rayon
σE
constant égal à k = .
2

L’état des contraintes est donc donné par :

R|σ = σ − k sin 2ϕ
x m

S|σ = σ + k sin 2ϕ
y m VI.28
T σ = k cos 2ϕ
xy

En appliquant ce résultat à une surface libre (telle que les lèvres d’une fissure) tangente
à une direction x' , on a :

R|σ x' = 2k = σ E
S| σ y' = 0 VI.29
T σ x' y' = 0

Les deux directions α et β (figure VI.21) sont orientées de 45° par rapport à la surface
libre.
τ α
y'

Surface libre
x' σ
45° -45° y' x'

β α

β
Figure VI.21 Orintation des lignes de cisaillement maximum

167
Les équations d’équilibre conduisent pour l’état de contraintes considéré à :

RSσ m ,1 − 2 kϕ ,1 cos 2ϕ − 2 kϕ ,2 sin 2ϕ = 0


VI.30
Tσ m,2 + 2 kϕ ,2 cos 2ϕ − 2 kϕ ,1 sin 2ϕ = 0

Quand ϕ → 0, x → α et y → β et les équations précédentes deviennent :

RSσ m ,1 − 2 kϕ ,1 = 0
VI.31
Tσ m,2 + 2 kϕ ,2 = 0

En intégrant ces relations, on obtient les équations de Hencky :

RSσ m − 2 kϕ = Cβ constante le long d' une ligne β


VI.32
Tσ m + 2 kϕ = Cα constante le long d' une ligne α

Ainsi lorsque les lignes de glissement sont rectilignes, l’état de contraintes est constant
le long d’une ligne.

Au voisinage d’une fissure sollicitée en mode I, le réseau des lignes de glissement


présente l’aspect suivant :

y σr

σθ = σr

θ FG
σ y = 1+
πIJ σ
x
B H 2K
E

π
σx =σE σx = σE
2
A C

β α α
β
fissure
Figure VI.22 Distribution des contraintes autour d’une fissure

Les zones A et C, où les lignes de glissement sont rectilignes, sont appelées zone
« diamant ». La zone B, située entre A et C, est appelée zone « éventail ».

Dans la zone diamant A, située sur les lèvres de la fissure qui constituent une surface
libre, les lignes de glissement sont inclinées de 45° par rapport aux lèvres de la fissure.
Il s’ensuit que l’état de contrainte dans cette zone est constant et s’écrit :

168
RSσ x = 2k = σ E
dans la zone A où

≤θ ≤π VI.33
Tσ y = σ xy = 0 4

Ainsi le long d’une ligne α de la zone A, ϕ = 3π 4 , σ m = k et d’après les relations


précédentes :

σ m (ϕ = 3π 4) + 2 k

= k 1+
FG
3π IJ
= Cα dans la zone A
4 H
2 K
En appliquant ce résultat dans la 2e zone diamant C où ϕ = π 4 , on a d’après les
mêmes relations :

Cα = k 1 +
FG 3πIJ
= σ m (ϕ = π 4) + 2 k
π
H 2 K 4

Soit

σ m (ϕ = π 4) = k 1 + π dans la zone C b g
L’état de contrainte est donc constant dans la zone C et s’exprime par :

R| σ x = k (1 + π ) − k = πk =
π
σE
|| 2
FG π IJ σ π
S|σ y = k (1 + π ) + k = (2 + π ) k = 1 +
H 2 K E dans la zone C où 0 ≤ θ ≤
4
VI.34

|| σ xy = 0
T
Dans la zone éventail B, l’état des contraintes n’est pas constant. On a dans la zone B :
α
Rα = e
ϕ = θ et S r
β
Tβ = e θ

B
Soit en se reportant au cercle de Mohr :
ϕ =θ
σ r = σ θ = σ m (θ ) et σ rθ = k

σ m (ϕ = θ ) + 2 kθ = Cα = k 1 +
FG 3π IJ
H 2 K dans la zone B

soit
σ m (θ ) = k 1 +
FG 3π
− 2θ
IJ
H 2 K dans la zone B

169
Finalement l’état de contraintes dans la zone considérée est donné par :

R|σ = σ θ = 1+
FG 3π
− 2θ
IJ
σE
S|
r
H 2 K2 dans la zone B où π ≤ θ ≤ 3π VI.35
σ 4 4
|T σ rθ =k= E
2

Les relations VI.33 à VI.35 montrent que les contraintes au voisinage de l’extrémité
d’une fissure sont non singulières et ne dépendent que de θ.

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