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NUMÉRO SPÉCIAL

Septembre 2019
revue-banque.fr

ACCOMPAGNER LE CAPITAL HUMAIN


À L’ÈRE DU DIGITAL ET
DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE :
le défi des managers de managers
Avant-propos

C
ette troisième édition du numéro spé- tion, conformité, analyse financière etc.) que
cial de Revue Banque propose une série de cours de management (marketing de service,
de 23 articles tirés des thèses présen- stratégie, management d’équipe, leadership, etc.).
tées pour l’obtention du diplôme CESB Afin de renforcer encore la dimension opé-
Management, Mastère Spécialisé Senior Mana- rationnelle de cette formation, tous les par-
gement Bancaire, qui constituent l’aboutis- ticipants se voient confier la préparation et
sement d’un travail de recherche effectué au la soutenance d’une thèse professionnelle,
sein du Mastère. À partir du troisième opus, dont le sujet trouve idéalement sa source dans
on peut parler de tradition ; elle consiste à les réflexions que souhaite approfondir l’éta- René
mettre en avant les travaux des participants blissement qui inscrit son manager de mana- Desbiolles
de chaque promotion ayant obtenu les notes ger. La banque dispose ainsi de la possibilité Directeur
les plus élevées. d’orienter les recherches et les réflexions liées des Diplômes, Titres
Ainsi, le CESB Management confirme être la à la thèse sur des problématiques qui lui sont et Certifications
formation de référence reconnue dans la pro- propres et qui conduiront à des propositions CFPB École
fession bancaire depuis plusieurs décennies. de solutions concrètes pouvant ensuite être supérieure
de la Banque
Le CFPB s’est associé, depuis quelques années facilement développées.
et dans le but d’accroître la visibilité de ce titre, La publication de la synthèse des meilleures
à l’ESSEC Business School. Ce partenariat a thèses illustre ce qui constitue le défi des mana-
donné lieu à la reconnaissance de cette for- gers de managers pour accompagner le capital
mation par la Conférence des Grandes Écoles humain à l’ère du digital et de l’intelligence
comme le Mastère Spécialisé Senior Manage- artificielle, qui se décline à plusieurs niveaux :
ment Bancaire, entraînant sa visibilité officielle •  adapter l’organisation vers… une banque 4.0 ;
à la fois nationale et internationale. •  accompagner les équipes au regard de
Construite conjointement et en parfaite com- l’accélération du changement ;
plémentarité par les deux partenaires, l’orga- •  enchanter l’expérience client ;
nisation pédagogique retenue a pour objectif •  décliner dans les métiers l’apport du digital Wolfgang
de former des managers de managers capables et de l’intelligence artificielle ; Dick
de contribuer à la définition des stratégies de •  transformer les modèles de management. Professeur,
l’entreprise et d’en faciliter la compréhension, Ces articles sont le reflet de thèses qui, nous Directeur
l’appropriation et le déploiement. Dans cette l’espérons, vous apporteront le même niveau académique du
Mastère Spécialisé®
optique sont dispensés aux participants autant de réflexion et d’enseignements que lors de Senior Management
de cours à caractère technique (contrôle de ges- leur soutenance. n Bancaire
ESSEC Business
School

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 3


SOMMAIRE
Adaptation des structures Donner du sens
6 Rentabilité bancaire 30 Stratégie bancaire
L’insomnie des dirigeants La Responsabilité sociétale
de banque : le défi de la rentabilité des entreprises (RSE) peut-elle
dans un environnement de constituer le socle d’un nouveau
concurrence et de réglementation business model ?
Kokouvi Akakpo Vincent Bagnis

13 Se transformer ou disparaître 34 Le rôle éthique des établissements bancaires


Les banques ont tous les atouts Participer au développement
pour devenir rentables et pérennes d’économies durables pour bâtir
dans le temps un avenir meilleur
Damien Basez Caroline Fournier

16 Carrière professionnelle 37 Développement durable


Conseiller bancaire : quel avenir Concilier business et impact positif
dans les banques de réseau ? dans la banque pour un futur meilleur
Laurent Cadart Scander Thabet

18 La Banque Postale sur le marché 40 Management


des professionnels Faire converger enjeux des banques et
Une nouvelle proposition, entre digital aspirations des salariés
et humain, au service de l’entrepreneuriat Thomas Belotti
Carine Férey

22 L’agence bancaire de demain


L’expérience client
dans une logique omnicanale
Réinventer notre métier afin 41 Relation clients
de garder le maillage de notre territoire Les émotions seront au cœur
Alina Ochinciuc de l’expérience client malgré
les technologies
27 Banque de détail
Mickaël Blanchard
Rentabiliser un réseau d’agences
sans toucher à l’emploi est possible ! 45 Marketing du risque
Arnaud Pinatel Tirer profit des indicateurs de risque
au bénéfice de l’activité commerciale
Murielle Michon

4 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


49 Une agence bancaire humaine et digitale 64 La blockchain dans le refinancement
Le triple choc pour un design bancaire des entreprises
organisationnel agile de l’agence Enjeux, opportunités et limites
Richard Rodrigues pour les placements privés (Euro PP)
Christine Mahamba
52 Conformité
Les réglementations au profit de l’activité 70 Nouvelles technologies et création de valeur
commerciale de la banque de détail Vers un nouveau business model
El Abidine Amrane pour la banque de détail
Alexis Mainka

La banque mutualiste et coopérative


Nouvelles formes de management
55 Mutualisme
Le modèle des banques coopératives, et RH
un atout pour la clientèle ETI ? 73 Entreprise libérée
Axel Cathala
Happy management :
58 Stratégie une réponse plausible
La banque mutualiste a-t-elle dans le secteur bancaire ?
encore un avenir ? Romain Lagrange

Didier Chavagnac
77 Transformation managériale
Feedback et Speak Up Culture :
leviers d’implication des salariés
Technologie, IA et digital Frédéric Mailhan

59 Une expérience client différenciante 80 Développer l’engagement des collaborateurs


La relation client bancaire augmentée dans la banque de détail
grâce à l’intelligence artificielle Le levier de l’expérience collaborateur
Sonia Fauchois Laurent Peillon

62 Marketing bancaire
Face à la révolution numérique,
la segmentation bancaire n’est pas morte
Sébastien Haméon

Dossier coordonné par Philippe Reignard, CFPB École supérieure de la banque, et Élisabeth Coulomb, Revue Banque.

Illustration de couverture et pages intérieures : © Getty images.


Imprimé à Nancy (54) par Bialec.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 5


ADAPTATION DES STRUCTURES

Rentabilité bancaire

L’insomnie des dirigeants


de banque : le défi de la
rentabilité dans un environ-
nement de concurrence
et de réglementation
Les dirigeants de banque ont à charge d’assurer à leur institution la rentabilité indispensable
à la pérennité de l’activité. Dans un environnement concurrentiel et de durcissement
de la réglementation, il devient urgent de disposer de leviers d’action plus efficaces. Aussi
doit-on s’interroger sur la meilleure statégie et les plans d’actions adéquats en lien avec
les déterminants de la rentabilité bancaire. Exemple d’application dans le secteur bancaire togolais.
Kokouvi
Akakpo

C
Mastère Spécialisé ette recherche vise à identifier les facteurs qui I. ENJEUX DE LA RENTABILITÉ
Senior Management
influencent significativement la rentabilité des La rentabilité est gage de la pérennité de toute entreprise
Bancaire, Promotion
2018-2019 banques confrontées à la concurrence et à la dont les banques. En général, les banques poursuivent
réglementation prudentielle de Bâle II & Bâle III, l’objectif de rentabilité dans un environnement concur-
CFPB École afin de proposer des solutions idoines. La revue de la lit- rentiel dont l’intensité varie d’un marché à l’autre. En
supérieure
de la banque térature a montré que la plupart des auteurs recherchent effet, « les cinq forces concurrentielles[2] déterminent conjointe-
les effets des facteurs managériaux, macrofinanciers et ment l’intensité de la concurrence et de la rentabilité dans un sec-
ESSEC Business
School macroéconomiques sur la rentabilité économique. L’ap- teur » (Porter, 2004). La concurrence rend les clients de
proche dynamique du GMM[1] des données de panel a été moins en moins fidèles et de plus en plus exigeants avec
utilisée pour analyser les données des banques togolaises. une pression continue sur les marges. Ainsi la marge
L’étude économétrique révèle que les indicateurs, fonds d’intermédiation des banques togolaises est passée de
propres, liquidité, crédits, commissions affectent posi- 4,32 % en 2013 à 2,70 % en 2017[3].
tivement et significativement la rentabilité. Les charges En raison du rôle prépondérant joué par les banques
d’exploitation et les créances en souffrance, ont un effet dans le financement de l’économie, le secteur fait l’objet
négatif sensible. En plus des actions directement liées d’une réglementation spécifique qui tend à se renforcer
à ces variables managériales, la titrisation, la digitali- ces dernières années. En effet, « la crise financière mondiale
sation, une segmentation fine du portefeuille client, la a mis en lumière l’importance de la réglementation et de la super-
rentabilité de la nouvelle production, le RAROC, outil vision pour un système bancaire performant, capable de canaliser
de suivi de la rentabilité intégrant la rémunération du efficacement les ressources financières vers des investissements. »
capital et le risque, sont préconisés.
[2] Pouvoir de négociation des clients, pouvoir de négociation des fournisseurs,
menace de nouveaux entrants, menace des produits ou services substituables,
rivalité entre les firmes existantes.
[1] Generalized methods of moment : la méthode des moments généralisés est une [3] Suivant rapport de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest sur
méthode générique pour estimer les paramètres d’un modèle statistique. les conditions de banque à fin 2017 ; juillet 2018.

6 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


(Ayadi et al., 2016). Dans les huit pays de la zone Union GRAPH. 1. RENTABILITÉ ÉCONOMIQUE (ROA), FINANCIÈRE (ROE) ET RATIO
monétaire ouest africaine (UMOA) dont est membre le DE LA MARGE NETTE D’INTÉRÊT (NIM) SUR LA PÉRIODE 2006-2017
Togo, de nouvelles dispositions réglementaires (Bâle II et
Bâle III) sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018. Alors
que les nouvelles normes de ce dispositif prudentiel éta-
blissent des niveaux de fonds propres réglementaires plus
importants, l’un des principaux effets de ses mesures
sur l’activité pourrait se traduire par une contraction de
l’offre de crédit bancaire, ce qui fait craindre un impact
négatif sur la rentabilité des banques.
La situation décrite ci-dessus amène à poser la ques-
tion de recherche suivante : Comment la connaissance
des déterminants de la rentabilité des banques togo-
laises influence-t-elle, leur stratégie ? L’objectif de cette
Source : Auteur, élaboré à partir des bilans des banques publiés par la BCEAO.
recherche est d’identifier les facteurs qui influencent
significativement la rentabilité des banques togolaises
en vue de proposer la stratégie et les actions adéquates 2017). Quelques travaux concluent que la taille du conseil
à leurs dirigeants. d’administration a une corrélation positive avec la renta-
Pour la suite de cet article, l’évolution des rentabilités bilité de la banque (Salim, Arjomandi et Seufert, 2016).
économique, financière et du ratio de la marge nette Les études destinées à rechercher le lien entre la régle-
d’intérêt des banques togolaises sera au prime abord, mentation et la rentabilité ont conclu à l’absence d’im-
présentée sur la période de l’étude (Cf. Graphique 1). pact (Agoraki et Tsamis, 2017), à un effet positif (Swamy,
Sera ensuite abordée la revue de la littérature puis les don- 2018) et à un impact négatif, à partir d’un certain seuil
nées et méthodologies de la recherche dont les résultats (capital réglementaire à partir de 30 % des actifs pondé-
seront présentés et discutés. Enfin la conclusion débou- rés) (Ozili, 2017). Cette étude n’a déterminé ni le capi-
chera sur les principales préconisations. tal minimum requis pour les banques non cotées, ni
le capital maximum à partir duquel les banques cotées
II. REVUE DE LA LITTÉRATURE sont négativement impactées. Soulignant ce fait, l’auteur
suggère que des études ultérieures puissent traiter ces
1. La littérature récente aspects du sujet. Il estime également qu’il sera opportun
L’analyse des travaux publiés sur les trois dernières que des études soient menées pour chaque pays afin de
années permet de mettre en évidence, les grandes ques- déterminer les seuils optimaux adéquats.
tions qui se posent aujourd’hui, les grandes réponses Le constat relatif à la rareté des études portant sur la ren-
généralement apportées et les questions auxquelles des tabilité des banques africaines est fait par certains auteurs
réponses ne sont pas données. Pour ce faire, un échan- (Adalessossi et Erdoğan, 2019) et mérite l’attention.
tillon de quinze articles sélectionnés sur les cinq conti-
nents a été examiné. 2. Le débat académique
Plusieurs études montrent que la rentabilité des banques Les trois principaux courants de pensée représentés
a une corrélation positive significative avec leur taille par les approches de la rentabilité économique, finan-
(Adelopo, Lloydking et Tauringana, 2018) et leurs capi- cière et le ratio de la marge nette d’intérêts présentent
taux propres (Rodean et Baltes, 2016). Les variables de des arguments qui justifient leur positionnement. Les
liquidité, le coefficient d’exploitation, les revenus non partisans de la rentabilité économique estiment que
financiers, ont également un lien positif avec la rentabi- cette mesure reflète mieux le niveau du résultat dégagé
lité (Rodean et Baltes, 2016) comme pour le taux d’infla- par la banque contrairement à la rentabilité des fonds
tion et la croissance du produit intérieur brut (Menicucci propres qui reflète le rendement vu du côté des action-
et Paolucci, 2016). naires. Le ratio de la marge nette d’intérêt qui mesure
Les recherches relatives à l’impact de la gouvernance la rentabilité du cœur même de l’activité bancaire n’est
trouvent que la taille du conseil d’administration, la pas privilégié par le plus grand nombre de chercheurs
présence d’administrateurs étrangers et le cumul de la estimant qu’elle ne donne qu’une vue parcellaire de la
fonction de directeur général avec celle de président du rentabilité de la banque. Bien que les autres courants
conseil d’administration ont des effets négatifs sur la relèvent le fait que la rentabilité économique intègre des
rentabilité. Par contre, le niveau d’endettement, l’exis- actifs improductifs, ce courant est le plus dominant.
tence d’un comité de rémunération et de nomination sont Plusieurs travaux ont conclu à une relation positive et
positivement associés à la rentabilité (Sbai et Meghouar, statistiquement significative entre la taille et la rentabi-

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 7


ADAPTATION DES STRUCTURES

lité économique (Bourke, 1989; Ali et Puah, 2019). Par III. DONNÉES ET MÉTHODOLOGIE
contre d’autres chercheurs trouvent que la taille n’est Les données sont celles publiées par la Banque Centrale
pas une source d’économie des coûts et estiment que des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). L'échantillon
les grandes banques en arrivent plutôt à des situations de cette étude basée sur les données de panel, est composé
d’inefficacité d’échelle (Rouabah, 2006). de huit banques commerciales (sur les treize que compte
Contrairement à la théorie, des études empiriques ont le Togo) dont les états financiers sont disponibles sans
montré que les capitaux propres stimulent la rentabilité discontinuité sur la période de 2006 à 2017. En effet, les
des banques (Abreu et Mendes, 2002). Il en est de même cinq banques non prises en compte ont commencé leur
des charges d’exploitation bancaire dont la théorie éco- activité au Togo, il y a moins de douze ans.
nomique insiste sur l’effet négatif sur la rentabilité. Or, L’analyse des données est faite suivant la méthode des
plusieurs études empiriques révèlent un effet positif, moments généralisée (Generalized method of moments – GMM).
expliqué par le fait que les charges d’exploitation (non Le cadre adopté est similaire à celui appliqué sur les
oisives) contribuent à la productivité des banques et banques tunisiennes (Naceur, 2003), européennes (God-
donc à l’amélioration de leur rentabilité (Naceur, 2003). dard, Molyneux et Wilson, 2004), grecques (P. P. Athana-
Les effets positifs des crédits bancaires sur la rentabilité soglou, Brissimis et Delis, 2005) et de l’UEMOA (Adales-
des banques sont largement partagés par les chercheurs, sossi et Erdogan, 2019). Le modèle linéaire général[4] se
ce qui confirme les prédictions de la théorie économique présente comme suit :
(Bashir, 2001; Naceur, 2003; Ali et Puah, 2019). Les résul-
tats de certains travaux attirent toutefois, l’attention sur
le fait que le développement de l’activité de crédit peut
ralentir la rentabilité bancaire s’il n’est pas accompagné
d’une politique adéquate de recherche de ressources des-
tinées à financer ces crédits (Bashir, 2001).
Le degré de concurrence exerce sur la rentabilité ban-
caire des effets diversement appréciés. Certains auteurs
tout en reconnaissant la pression négative de la concur-
rence sur la rentabilité, trouvent qu’elle a un impact
positif sur les bénéfices qui progressent (Perera, Skully
et Chaudhry, 2013). IV. RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Concernant la réglementation, quelques-uns ne trouvent
aucun impact (Agoraki et Tsamis 2017), d’autres 1. Analyse statistique descriptive
démontrent un impact fort (Ozili, 2017; Swamy, 2018) Les graphiques 2 et 3 montrent la relation entre les
sur la rentabilité. Une étude réalisée entre 2005 et 2011 variables indépendantes et la rentabilité économique.
sur les grandes banques de six pays européens a mon- L’analyse économétrique qui suivra permettra d’appré-
tré que la régulation et la supervision bancaire avaient cier la portée des relations (significatives et non).
un impact positif sur la rentabilité des banques de la
France, de l’Allemagne et de la Grande Bretagne. Par
contre l’impact est négatif pour les banques d’Italie, de [4] La littérature a généralement conclu  que la forme fonctionnelle appropriée
la Grèce et de l’Espagne (Bouheni, 2013). pour le test est une fonction linéaire bien qu'il y ait des opinions dissidentes.
Court (1979) a étudié cette question et a conclu que les fonctions linéaires
produisent des résultats meilleurs à toute autre forme de fonction.

Tableau 1
Abréviations des variables dépendantes (1 à 3) et indépendantes (4 à 15)
N/R SIGLE Définition N/R SIGLE Définition
1 NIM Net Interest Margin 9 LiAR Liquidy Assets Ratio
2 ROE Return On Equity 10 NIR Cost to Income Ratio
3 ROA Return On Assets 11 NAR Cost to Assets Ratio
4 SHER Shareholders Equity Ratio 12 NPAR Non Performing Assets Ratio
5 LiDR Liquid Deposit Ratio 13 LOGSIZE Logarithm of Size
6 LAR Loan to Assets Ratio 14 BCR Bank Concentration Ratio
7 LDR Loan to Deposit Ratio 15 GDPG Gross Domestic Product Growth
8 NIIR Non Interest Income Ratio

8 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


GRAPH. 2. VARIABLES À RELATION POSITIVE AVEC ROA GRAPH. 3. VARIABLES À RELATION NÉGATIVE AVEC ROA

Source : Auteur,

2. Résultats économétriques
Les Tableaux 2 et 3 présentent les résultats économétriques et leur discussion.
Tableau 2.
Résultats GMM first difference ROA, ROE, NIM
Modèle 1 : ROA (Return On Assets) Modèle 2 (ROE Return On Equity) Modèle 3 NIM (Net Interest Margin)
Variables
Coef t.stat Prob Coef t.stat Prob Coef t.stat Prob
ROA(-1) , ROE(-1), NIM(-1) 0.088 2.574 0.020** 26.25 1.755 0.083*** 0.027 2.685 0.006*
SHER (Shareholders Equity Ratio) 0.3568 5.349 0.000* 2.062 -0.442 0.6597 0.007 0.1940 0.8467
LiAR ( Liquid Assets Ratio) -0.4612 -0,883 0.000* 2.543 1.5170 0.1335 -0.122 -2.00 0.0496**
LiDR (Liquid Deposit Ratio) 0.26 4.904 0.000* 25.246 1.899 0.0614 0.016 0.413 0.6808
LAR (Loan to Assets Ratio) 0.931 6.042 0.000* -18.10614 -1.9491 0.0550 0.075 0.669 0.5054
LDR (Loan to Deposit Ratio) 0.6989 -5,37 0.000* -2.121639 -1.640 0.1050 -0.0457 -0.5276 0.5995
NIR (Cost to Income Ratio) -0.065 -4.025 0.000* 5.712 1.642 0.104 -0.0054 -1.894 0.0625***
NIIR (Non Interest Income Ratio) 0.187 5.668 0.000* -3.90 -1.047 0.298 -0.041 -2.899 0.0051*
NAR (Cost to Assets Ratio) -0.262 --2.13 0.035** -8.15 -1.5 0.117 0.039 2.304 0.0244**
NPAR (Non Performing Assets Ratio) -00.07 2.103 0.038* -1.4 -1.05 0.292 0.0 2.98 0.0040*
LOGSIZE (Logarithm of Size) -0.008 -0.747 0.457 5.4 0.93 0.351 0.002 0.628 0.5316
BCR (Bank Concentration Ratio) -0.003 -0.120 0.9043 -0.045 -0.280 0.779 -0.009 -0.636 0.5270
CROISSANCE DU PIB 0.0032 0.942 0.348 26.25 1.755 0.083 -0.003 -1.735 0.0873***
INFLATION
J-statistic 50.025 55.8 64,56
Bon Bon Bon
Prob(J-statistic)1 0.432 0.234 0.557
Johansen condition Bon Pas bon Bon
Arellano-Bond Serial Correlation Test
AR(1)2 0.000 < 0,05 Bon 0.000 < 0,05 Bon 0.000 < 0,05 Bon
AR(2) 3
0.4987 > 0, 05 Bon 0.017 > 0,05 Pas Bon 0.557 > 0,05 Bon
Décision Accepté Rejeté Accepté
Observation 96 96 96
Source : Auteur
Les notes «* », «**» et «***» traduisent une signification statistique respective aux niveaux 1 %, 5 % et 10 %.
(1) Test de suridentification des restrictions dans l’estimation du modèle dynamique GMM.
(2) Test d’Arellano-Bond indique que l’auto covariance moyenne dans les résidus d’ordre 1 est égale à 0 (H0 : pas d’autocorrélation).
(3) Test d’Arellano-Bond selon lequel l’autocovariance moyenne dans les résidus de l’ordre 2 est égale à 0 (H0 : pas d’autocorrélation).

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 9


ADAPTATION DES STRUCTURES

Tableau 3

Synthèse des résultats économétriques et discussions


No SIGLE Définition Formule Résultats
1 NIM Net Interest Marge nette d’intérêt / ((total bilan Variable retenue: En plus de la variable dépendante retardée, 5 autres variables
Margin n-1 + total bilan n) / 2) sont significatives : « ratio de capitaux propres (SHER) », « ratio des actifs liquides
sur dépôts (LiDR) », « ratio coût sur revenu (NIR) », « ratio revenus non finan-
ciers sur coût (NIIR) », « ratio coût sur actif (NAR) ». BCR, CPI & GDPG sont non
significatifs.
2 ROE Return On Equity (Résultat net n) / ((fonds propres n-1 Variable rejetée
+ fonds propres n) / 2)
3 ROA Return On Assets (Résultat net n) / ((total bilan n-1 Variable retenue : Discussion : Auteurs ayant obtenu des
+ total bilan n)/2) Ci-après, les résultats résultats identiques (i) ou contraires (C)
SIGLE Définition Formule Effet Effets réels
attendu
+/ - Significatif
(Hypothèse)
(Oui ou non)
1 SHER Shareholders Capitaux propres / Total actif + + Oui Résultat conforme à ceux de Atha-
Equity Ratio nasoglou, Brissimis et Delis, 2005;
Athanasoglou, Delis et Staikouras, 2006;
Ben Naceur et Goaied, 2008; Flamini,
Schumacher et McDonald, 2009) => (i)
2 LiDR Liquid Deposit Actifs liquides / Total dépôts + + Oui Résultat identique à ceux de Adalessosssi
Ratio et Erdoğan (2019) sur les banques de
l’UEMOA => (i)
3 LAR Loan to Assets Prêts / Total actifs + + Oui Même conclusion que (Almumani, 2013 ;
Ratio Bourke, 1989; Cerci, Kandir et Onal,
2012; Munyambonera, 2013; Kosmidou,
Tanna et Pasiouras, 2005) => (i)
4 LDR Loan to Deposit Prêts / Dépôts + + Oui Résultat identique à ceux de Adalessosssi
Ratio et Erdoğan (2019) => (i)
5 NIIR Non Interest Revenus non financiers / Revenus + + Oui Résultat identique à ceux de Adalessossi
Income Ratio et Erdoğan (2019) => (i)
6 LiAR Liquidy Assets Actifs liquides / Total actifs - - Oui Résultat conforme à la théorie éco-
Ratio nomique qui suggère une corrélation
négative => (i)
7 NIR Cost to Income Coûts (charges non financières) / - - Oui Cohérence avec la théorie et des études
Ratio total revenus empiriques (Almumani, 2013; Bourke,
1989; Cerci, Kandir et Onal, 2012;
Munyambonera, 2013; Kosmidou, Tanna
et Pasiouras, 2005) => (i)
8 NAR Cost to Assets Coûts (charges non financières) / - - Oui Résultat en phase avec plusieurs études
Ratio total actifs dont celle de Adalessossi et Erdoğan
(2019) => (i)
9 NPAR Non Performing Actifs Improductifs / Total actifs - - Oui Même résultat que Lee (2012);
Assets Ratio Macit (2012); Ongore et Kusa (2013);
Trujillo-Ponce (2013) => (i)
10 LOG- Logarithm Logarithme de la taille +/- - Non Résultat contraire aux études de Flamini
SIZE of Size et al. (2009) ; Athanasoglou et al. (2006)
=> (C)
11 BCR Bank Concen- Total des actifs bancaires / total + - Non Résultat contraire à celui trouvé par
tration Ratio des actifs du secteur Adalessossi et Erdoğan (2019) => (C)
12 GDPG Gross Domestic Croissance du PIB + + Non Résultat identique à celui de (Turgutlu,
Product Growth 2014) => (i)

10 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


V. CONCLUSION ET PRÉCONISATIONS miques (taux d’inflation, croissance du PIB) n’exercent
Les résultats des recherches révèlent que la rentabilité pas d’influence significative sur la rentabilité des
des banques togolaises est significativement influencée banques togolaises.
par les neuf facteurs internes ci-après : ratios des fonds L’identification des facteurs qui impactent significati-
propres, des dépôts liquides, des crédits sur actifs, des vement la rentabilité des banques sert à définir la stra-
emplois sur ressources, des produits non financiers sur tégie et les actions idoines dont le déploiement per-
total produits, d’actifs liquides, des charges sur actifs mettra de relever le défi de la rentabilité même dans
liquides, coefficient d’exploitation, des créances dou- un environnement de forte concurrence et de durcis-
teuses et litigieuses. Les cinq premières variables ont sement de la réglementation bancaire. Ainsi, les prin-
positivement impacté la rentabilité alors que les quatre cipales préconisations issues de cette démarche sont
dernières l’ont impactée négativement. résumées dans le tableau 4. n
Les facteurs spécifiques au secteur bancaire togolais
(concentration), tout comme les facteurs macroécono-

Tableau 4

Principales préconisations
Rang Préconisations Type Coût* Impact** Score
1 Suppression des charges improductives Action 5 5 25
2 Usage des outils stratégiques d’analyse, PESTEL et TOWS Action 5 4 20
3 Mobilisation prioritaire de ressources non ou faiblement Action 5 5 25
rémunérées
4 Déploiement de produits digitaux générateurs Action 2 4 8
de commissions et sources de mobilisation de ressources
non rémunérées
5 Développement de la banque de détail Action 2 5 10
6 Renforcement des fonds propres Ressource 4 4 16
7 Segmentation plus détaillée du portefeuille clients Action 2 5 10
8 Titrisation une part du portefeuille crédit Action 3 4 12
9 Mise en place de la « technique de rentabilité Ressource 3 5 15
de la nouvelle production » et du « RAROC »
10 Acquisition d’un outil moderne d’analyse de risque Ressource 2 4 8
de crédit (Application Moody’S,…)
Source : Auteur
* Échelle de 1 (Coût élevé) à 5 (Coût faible).
** Échelle: de 1 (Impact faible/rentabilité) à 5 (Impact fort/rentabilité).

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12 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Se transformer ou disparaître

Les banques ont tous les atouts


pour devenir rentables
et pérennes dans le temps
La banque, en ce début du XXIe siècle, connaît le plus gros bouleversement de
son histoire. L’ensemble de ses métiers sont engagés dans des transformations
radicales. À la différence du passé, il ne s’agit pas seulement de changement
de pratiques ou de l’arrivée de nouveaux outils techniques mais c’est bien
l’ensemble de ses fondamentaux qui sont remis en question. Pourtant,
Damien
Basez en s’appuyant sur la révolution numérique en cours, des leviers stratégiques
Mastère Spécialisé sont à utiliser pour redevenir attractif dans la durée.
Senior Management
Bancaire Promotion
2018-2019

L
CFPB École e monde n’est pas « en train de changer », il de rentabilité mérite quelques explications. Il faut
supérieure « a changé ». La banque de détail vivra sous d’abord bien distinguer la question des taux d’intérêt
de la banque contraintes et protections tant qu’elle assumera et celle du digital pour conduire notre réflexion sur la
ESSEC Business les trois quarts du financement de l’économie. profitabilité.
School Des alternatives sont possibles techniquement, avec Deux éléments très nouveaux se conjuguent aujourd’hui,
une désintermédiation généralisée et l’accès de tous mais ne sont pourtant absolument pas liés. D’un côté,
au marché, mais avec les risques induits de crises et de se trouve la courbe de taux d’intérêt très plate, qui
faillites. Loin d’être le cas en France, ce scénario reste abîme fortement la rentabilité de nos banques de détail.
évidemment toujours une éventualité. Comme l’exprimait Rémy Weber, président du direc-
toire de La Banque Postale : « Tous les soirs, nous replaçons
RUPTURE CONJONCTURELLE ET STRUCTURELLE 15 milliards de liquidité à la BCE. Je commence donc chaque
À ce jour, deux types de ruptures consécutives à la journée de mauvaise humeur, car il nous faut travailler pour
révolution technologique sont intéressants à analyser : rattraper ce qu’on a perdu pendant la nuit[1]. »
– la première vient de l’apparition de nouveaux acteurs De l’autre côté, il faut désormais composer avec l’om-
comme les Fintechs ou les GAFA venant directement niscience du digital et ses effets structurels sur le résul-
nous concurrencer sur des segments rentables de notre tat et l’organisation de nos établissements.
chaîne de valeur ; Répondre uniquement par le digital à des questions
– la seconde est la possible évolution vers un modèle de taux d’intérêt, en pensant que la faiblesse des taux
de banque en ligne, dite « néo-banque », largement change structurellement le modèle, serait une hypocri-
portée par l’émergence du smartphone. sie. À un instant T, les taux d’intérêt ne changent pas
Ce nouveau paradigme pousse certains analystes à nous
qualifier de « Kodak de demain » ou de la « prochaine sidé- [1] Thibaut Madelin, « Taux négatifs : Villeroy de Galhau vole au secours des
rurgie du XXIe siècle ». Ce sujet de disparition et de perte banques », Les Échos, 26 février 2019.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB |septembre 2019 13


ADAPTATION DES STRUCTURES

le modèle en soi mais dégrade conjoncturellement la Grâce à l’innovation et au mobile, chacun a aujourd’hui
rentabilité, ce qui est très différent. « sa banque dans la poche ». Les applications bancaires
Dès lors, cette réflexion nous oblige à revenir aux fon- sont parmi les trois plus consultées, derrière les réseaux
damentaux : quelles sont les clés de succès d’une rela- sociaux et la météo. LCL doit assurément capitaliser sur
tion bancaire à l’aune de cette transformation numé- la sienne, déjà élue, mais également en faire un point
rique majeure ? Nous devons être capables de muter de départ dans le but de créer des nouvelles offres via
pour devenir une banque urbaine de référence pour des plateformes.
les prochaines années ; s’appuyer sur notre ADN qui De plus, l’orientation vers le self care et le digital sup-
porte une profonde culture de la transformation depuis prime les tâches répétitives, chronophages et coûteuses.
sa création en 1863. Cette banque était déjà « dans les En conséquence, le temps productif de nos commer-
villes, dans les coins de rue » dès sa création. Nous avons ciaux s’amplifie, entraînant de fait, un accroissement
su construire notre histoire au fil des années, pour de la productivité. Notre PNB va augmenter par notre
aujourd’hui assumer un positionnement urbain et haut capacité à mieux conseiller et servir les clients en répon-
de gamme, appartenant à un groupe mutualiste solide dant tout simplement à leurs besoins.
financièrement qui permet des économies d’échelles. Enfin, le digital est une opportunité pour nous, car il
Notre business model à l’instar de tous les autres établis- est en mesure d’améliorer le modèle relationnel. L’in-
sements bancaires a été chahuté ces dernières années telligence artificielle et le big data, de plus en plus inté-
pour des raisons connues. Dans un monde qui n’a jamais grés, permettent une bien meilleure compréhension
autant bougé, nous pouvons très clairement décider de de l’ensemble des attentes. On peut ici clairement par-
décliner, uniquement survivre ou de devenir la banque ler de productivité commerciale intelligente, avec des
urbaine la plus attractive de la Place. J’ai pris un pari sur clients beaucoup plus satisfaits car contactés pour des
cette dernière option et me suis appuyé pour cela sur le sujets qui concernent leurs vrais besoins.
positionnement réaffirmé de la marque « son ADN urbain,
son ancrage au cœur des villes, au coin de la rue ». DEVENIR UNE BANQUE DES PROJETS DE VIE
L’ensemble de mes recherches m’ont démontré la perti- Depuis une décennie, les modes de relation avec les
nence de nous positionner sur les grands axes suivants. réseaux bancaires ont évolué : physique, e-mail, télé-
phone, chat, visio et autres. Ils ne suppriment cepen-
UNE BANQUE OUVERTE AUTOUR DE LA VILLE dant pas le besoin de conseillers bancaires, notamment
Poursuivre son engagement dans sa stratégie de leader- pour accompagner les projets de vie.
ship des banques urbaines devient un élément incon- Les clients sont aujourd’hui plus exigeants, car ils
tournable pour repositionner notre marque et trouver peuvent avoir de nombreuses informations en navi-
de nouveaux relais de croissance. C’est pour nous un guant, en s’informant, en comparant. Augmenter la
facteur important d’avoir dans notre établissement une qualité du conseil et la praticité sont deux facteurs
clientèle urbaine, en développement, plus riche que la importants de succès. Deux axes le permettent, le digi-
moyenne nationale, avec des implantations physiques tal lui-même et la formation.
de qualité, dont les deux tiers du chiffre d’affaires sont Notre business model s’attache à assurer la même facilité
produits sur l’axe Paris-Lyon-Marseille. que les « néo-banques » mais sans pour autant prati-
Ce positionnement est un élément puissant pour renfor- quer des services à tarif aussi bas. Dès lors, il nous faut
cer notre cohérence et notre singularité. Il nous oblige nous différencier par un service, un conseil de qualité
à repenser plus largement encore notre manière de rai- pour contrer des concurrents, certes légitimes mais qui
sonner car LCL s’est vraisemblablement attaqué au plus ne disposent pas de conseillers. Nous disposons d’un
difficile. Il est également nécessaire d’affirmer notre avantage comparatif certain, à la condition d’optimiser
orientation avec des preuves tangibles. Réussir à faire deux éléments. Le premier, continuer à investir pour
naître la confiance, trouver des marqueurs forts vont être aussi agile et performant que les banques en ligne
être les clés de notre succès de demain. sur le quotidien, notamment sur l’aspect transaction-
nel. Le deuxième, s’assurer de produire des conseils
LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE COMME LEVIER de qualité, dont la valeur ajoutée admettra une rému-
DE RENTABILITÉ nération. En somme, réussir à travailler « côte à côte »
La digitalisation a modifié la donne pour plusieurs rai- du client plutôt que « face à face ».
sons. D’abord, pour l’ensemble des réductions de coûts La solution idéale réside plus que jamais sur notre capa-
qu’elle est capable d’engendrer notamment dans les back- cité à créer des offres différenciantes. Nous avançons
office et tous les autres services à faible valeur ajoutée. avec l’objectif de passer à un système de solutions plutôt

14 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


qu’uniquement orienté produit, optimisant ainsi nos dit pas ce que l’on fait, les autres pensent que l’on ne fait rien ».
parcours clients sur les grands moments de vie por- Puis créer un choc de simplification, faciliter tout ce
teurs de sens. Notre ambition assumée : réussir à être qui est possible de l’être, d’abord pour nos clients mais
déjà très bon sur notre cœur de métier puis ensuite, aussi en tout ce qui concerne l’organisation dans son
se lancer dans de nouvelles offres. ensemble. Arrêter de penser que l’on est indispensable
et sans cesse se demander si ce que je fais aujourd’hui
UNE MONTÉE EN COMPÉTENCE HUMAINE aura encore de la valeur demain.
La réponse stratégique est de pousser une dynamique Se montrer très moderne dans notre manière d’appré-
collective en accompagnement de la révolution numé- hender les nouveaux enjeux sociétaux qui amènent plus
rique, prouver notre capacité à aligner l’organisation, à de satisfaction des collaborateurs, plus d’affaires, plus
apprendre de nouvelles compétences, en somme déve- d’attractivité et donc de la rentabilité.
lopper le capital humain. L’un des principaux moyens Devenir l’une des banques les plus en avance en termes
de réaliser des affaires sur notre marché, est de porter de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
notre modèle relationnel à son paroxysme, préalable Proposer une plus grande part de télétravail dans les
indispensable pour être capable de proposer toutes agences bancaires, continuer au travers de ce que fait
nos offres hors transactionnelles. aussi le groupe de favoriser par tous les moyens l’inclu-
Mes recommandations sur la montée en compétence sion bancaire. Se montrer novateur en créant des faci-
des collaborateurs sont les suivantes : tout d’abord réflé- lités pour les « intrapreneurs », conserver des talents,
chir à former de manière beaucoup plus importante construire des projets innovants et rentables. Challen-
sur le savoir-être pour continuer à être différenciant. ger de manière bienveillante les décisions de la direc-
Aujourd’hui, nous dépensons beaucoup pour la for- tion générale au travers de shadow comex.
mation, dont 80 % sur l’évolution réglementaire. Des Pour donner le cap du changement, il faut avoir en tête
investissements conséquents sur la montée en compé- et être fier de la culture de l’entreprise. Être capable
tence des hommes et sur la formation constituent deux de prendre ce virage, porter les valeurs de l’établisse-
clés de succès majeurs pour contrer le risque d’ubéri- ment, voilà l’enjeu majeur, in fine de cette transfor-
sation. Cela doit aussi se traduire par une vraie recon- mation culturelle.
naissance et un accompagnement des managers, qui, Mais il nous faut aussi conserver notre intégrité sur
pivot de cette transformation peuvent d’un côté assu- nos denrées les plus précieuses, les données de nos
rer ses fondamentaux vitaux, servir le client, donner clients ; continuer à rechercher partout de la valeur
le sens, décliner les valeurs, et de l’autre, à la condi- dans tous les moments de vie ; et réussir à être à la
tion d’avoir beaucoup plus d’autonomie, former leurs fois une banque augmentée sans passer uniquement
équipes, décider au plus proche du terrain, donc déve- par le digital.
lopper le business. Cette réussite ne peut être efficace
qu’avec un accompagnement salarial important, une DEUX BANQUES…
politique de fidélisation des talents et de recherche Ma conviction finale est qu’il y aura deux banques :
d’attractivité, en se donnant les moyens d’avoir de vrai – une banque des clients qui ne vont plus en agence, en
leader à ses postes. formant nos conseillers au téléphone, aux mails pour
répondre aux besoins clients d’avoir des retours rapides ;
UNE TRANSFORMATION CULTURELLE – une deuxième, qui bénéficiera de notre réseau phy-
POUR ASSURER NOTRE PÉRENNITÉ sique pour multiplier les RDV à valeur ajoutée et plus
De toutes mes recherches, c’est ce virage qui a été le rentables.
plus souligné. L’imbrication entre nos succès futurs Au niveau du nombre, peut-être que le sens de l’histoire
avec la décomplexification de nos organisations dans nous amènera à passer de 1 875 agences aujourd’hui à
son ensemble est devenue une obligation de résultats. moins de 1 000, uniquement présentes dans les centres-
Elle est essentielle parce qu’en plus de nous permettre villes. Peut-être que les 18 000 collaborateurs que nous
de conserver des talents, elle est directement liée à la sommes aujourd’hui seront moins nombreux, peut-
diffusion des décisions prises. Nous la percevons sous être faudra-t-il revoir les rémunérations pour conser-
plusieurs prismes. ver nos pépites… Une chose est certaine, LCL a tous
D’abord, être capable de mettre en lumière les pratiques les atouts en sa possession pour devenir dans les pro-
innovantes de notre réseau dans un monde de com- chaines années, en s’appuyant sur son ADN de trans-
munication, pour donner envie aux autres d’agir et de formation, la banque urbaine de référence, la plus ren-
faire pareil, en partant d’un postulat simple « Si l’on ne table et attractive de la Place ! n

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB |septembre 2019 15


ADAPTATION DES STRUCTURES

Carrière professionnelle

Conseiller bancaire :
quel avenir dans les banques
de réseau ?

Les évolutions technologiques ont bousculé les attentes et les comportements


des consommateurs. La digitalisation a fait émerger de nouveaux acteurs bancaires,
encouragés par de nouvelles directives européennes. Alors, dans un tel contexte,
comment faire évoluer l’organisation et le métier de conseiller bancaire ?

Laurent

A
Cadart u cours des vingt dernières années, le monde ouvrage Le Pouvoir de la confiance[1], sur quatre fondements :
Mastère Spécialisé
bancaire a subi trois chocs : – l’intégrité (accord entre les paroles et les actes) ;
Senior Management
Bancaire, Promotion – le premier est lié aux crises financières ; – l’intention (servir des intérêts mutuels) ;
2018-2019 – le deuxième est la réponse faite à ces crises – les capacités (les moyens mis en œuvre) ;
CFPB École avec le durcissement de la réglementation ; – et les résultats (accomplir ce que l’autre attend de nous).
supérieure – et le dernier est révélé par la transformation digitale Les banques traditionnelles font face aujourd’hui à deux
de la banque de notre société. phénomènes. Une baisse de la fréquentation des agences
ESSEC Business Ces nouvelles technologies ont modifié les habitudes et une baisse sensible de l’activité des conseillers en face-
School de consommation et les attentes des clients, mais elles à-face. D’autre part, l’attrition des portefeuilles touche les
ont aussi permis à de nouveaux acteurs « banque 100 % établissements, certains plus que d’autres, au regard de la
digitale » d’investir le marché, dans un monde bancaire composition plutôt vieillissante des portefeuilles. Ces nom-
en quête de rentabilité. En effet, la politique de taux bas breux éléments montrent l’obligation d’évoluer vers un
menée par la Banque Centrale Européenne impacte le modèle où le client est placé au centre des préoccupations.
PNB (Produit net bancaire) et indirectement le coeffi-
cient d’exploitation du système bancaire. VERS LE REMPLACEMENT
Les études menées sur les attentes, confortées par les DES PLATEFORMES À DISTANCE
sondages, démontrent que nos clients recherchent, chez Offrir une expérience simple et « sans couture » à nos
leur conseiller bancaire, de l’accompagnement (pour les clients est un enjeu essentiel pour nos réseaux. La ges-
soutenir dans des moments de vie forts), de la disponi- tion de la relation doit être placée au plus proche du
bilité et de l’accessibilité, un conseil personnalisé, avec client, dans l’agence ou le groupement d’agences, et
un juste tarif pratiqué et une qualité de service irrépro- gérée par un « conseiller relation » chargé d’accueillir
chable. Le conseiller reste un acteur essentiel qui apporte et de prendre en charge les clients des portefeuilles.
au client, la sécurité et la confiance dans son établisse-
ment. La confiance est le facteur qui change tout dans [1] Stephen Covey, homme d’affaires et conférencier américain, professeur
à l’université d’État de l’Utah, auteur de nombreux ouvrages, notamment Le
la relation. Elle repose, selon Stephen Covey dans son Pouvoir de la confiance, Éditions First, 2008.

16 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Tous les moyens d’accès à la banque (mail, téléphone, de la connaissance client et de stocker l’ensemble des
réseaux sociaux, physique) devront alors converger contrats entièrement dématérialisés. L’accessibilité
vers cet interlocuteur spécialisé, en remplacement des des conseillers pourra être renforcée par la possibilité
plateformes à distance. Cette nouvelle organisation offerte aux clients de prendre directement rendez-vous
nécessite l’adaptation des outils, la frontalisation des dans l’agenda de son conseiller via son espace person-
outils de gestion est nécessaire. Une segmentation nalisé de la banque en ligne.
fine de la clientèle permettra de dédier un interlocu- Pour s’assurer de répondre aux attentes des clients et
teur compétent pour la clientèle en attente de conseils dans un souci d’amélioration continue, chaque contact
plus pointus avec une vraie valeur ajoutée. La création sera évalué par une enquête de satisfaction selon une
de pôles d’expertises (immobilier, retraite, fiscalité…) cotation simple type « 5 étoiles ».
viendra « augmenter » les capacités des conseillers à Mettons-nous en mouvement et le métier de conseil-
prodiguer des conseils sur des domaines spécialisés. ler aura un avenir. Adapter notre organisation est une
La création d’un dossier numérisé, partagé entre le nécessité pour proposer un modèle où technologie et
client et la banque, permettra de simplifier les tâches humain s’allient, au service de la satisfaction et de la
administratives, d’assurer la conformité réglementaire relation client. n

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 17


ADAPTATION DES STRUCTURES

La Banque Postale sur le marché des professionnels

Une nouvelle proposition,


entre digital et humain,
au service de l’entrepreneuriat

Quelle stratégie « océan bleu* » adopter


pour marquer sa différence sur le marché
des professionnels, en réponse à l’évolution
des clients et de leurs attentes ?

Carine Férey

L
Mastère Spécialisé
Senior Management es établissements bancaires sont confrontés à la relever le défi pour accompagner la trajectoire de déve-
Bancaire Promotion
baisse de leur rentabilité sur le marché des parti- loppement fixé.
2018-2019
culiers. Ils se tournent donc de plus en plus vers le Pour adapter sa stratégie de développement, face à la
CFPB École secteur des professionnels, qui apparaît comme un concurrence accrue, il est essentiel de commencer par
supérieure
de la banque véritable levier de croissance. Parallèlement, les banques comprendre qui sont les professionnels d’aujourd’hui
sont aujourd’hui chahutées par des nouveaux acteurs. et de demain, ainsi que l’évolution de leurs comporte-
ESSEC Business
School Ceux-ci surfent sur les nouvelles technologies pour offrir ments et attentes. L’analyse des opportunités offertes par
des services bancaires basiques, à bas coûts, et une expé- les nouvelles technologies, dont l’utilisation de l’Intelli-
rience client alliant simplicité et rapidité, couplée avec des gence artificielle, doit être confrontée à la place de l’hu-
services non ban­caires destinés à simplifier la vie des clients. main dans la nouvelle relation de confiance réclamée par
La Banque Postale peut s’appuyer sur sa capacité de les professionnels. Ainsi, l’ensemble des éléments étu-
transformation, la force du groupe, son réseau phy- diés permettront d’extraire les facteurs clés de succès de
sique et ses conseillers spécialisés pour se démarquer la nouvelle proposition de valeur de La Banque Postale,
et renforcer son positionnement stratégique au service banque et citoyenne, afin de la positionner comme un
des clients professionnels. acteur majeur du développement et du dynamisme de
Reste à organiser la synergie et la cohérence de l’offre l’entrepreneuriat en France.
face aux attentes hybrides de ce segment de clientèle,
lui-même en pleine mutation, qui plébiscite autonomie LES PROFESSIONNELS, CE MARCHÉ EN MUTATION
et rapidité via le digital et un accompagnement person- ET EN FORTE CROISSANCE
nalisé sur-mesure, via une expérience client basée sur Avec 3,7 millions de professionnels, ce marché repré-
* W. Chan Kim
et  R. Mauborgne, la confiance et la relation humaine. sente un réel potentiel de développement pour l’écosys-
Stratégie Océan
bleu : comment créer
La Banque des Professionnels est l’un des quatre pro- tème bancaire. La création d’entreprises augmente chaque
de nouveaux espaces jets majeurs inscrits dans le plan stratégique du Groupe année, portée majoritairement par les immatriculations
stratégiques, Pearson,
2015. La Poste à l’horizon 2023. La Banque Postale doit ainsi

18 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


0100011101
1110101001
1011101110
de micro-entrepreneurs et d’entreprises individuelles[1].
1. LE CHOIX DE CARRIÈRE DES FRANÇAIS
L’évolution de la société, du monde du travail et les incita-
tions gouvernementales[2] impactent les aspirations pro-
fessionnelles des Français, qui pour moitié, se déclarent
prêts à devenir entrepreneurs (voir Schéma 1). Boosté par
les jeunes générations en quête de flexibilité et de liberté,
le travail indépendant est également en plein essor.
Les études et interviews menées auprès des profession-
Entrepreneur 49%
nels font apparaître une transformation des attentes vis- Travailler à son compte 27% La carrière la plus
à-vis des banques. En effet, au-delà des services bancaires intéressante pour près
d’un Français sur deux
de paiement et d’encaissement, les néo-professionnels Avoir sa propre entreprise 22%
font éclore de nouveaux besoins en termes d’accompa- Si le résultat était prévisible
pour les intentionnistes,
gnement à la création d’entreprises, de facilitation d’ou- Être salarié dans une PME 17% créateurs et entrepreneurs
verture de comptes bancaires et d’appui en matière de Être salarié dans (67 %), ce choix de carrière
gestion financière et comptable. Nous observons ainsi une grande entreprise 17% est également retenu par les
personnes se situant hors
une mutation des demandes, impliquant un revirement Être salarié dans
la fonction publique 17% de la chaîne entrepreneuriale
nécessaire d’une logique de produits et services vers un (42 %).
usage de services plus larges liés aux moments clés de la Source : Données issues du site de l’Agence France Entrepreneur devenue
vie d’une entreprise (voir Schéma 2). BPI Création au 1er janvier 2019.

[1] En 2018, 40 % des immatriculations ont eu lieu sous le statut


d’auto-entrepreneur.
[2] Ministère de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics,
« Loi PACTE : mesures de simplification de la création d’entreprise », 2018.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 19


ADAPTATION DES STRUCTURES

Parallèlement, nous constatons une hybridation de la bancaires, des tableaux de bord et des ponts avec la fac-
relation banquier/professionnel, s’appuyant de plus en turation, les notes de frais et la comptabilité. Toutefois,
plus sur la dualité du phygital. En parallèle d’une appé- ces néo-banques sont freinées dans leur croissance par
tence pour une relation principalement digitale, liée leur objectif de rentabilité et une profondeur d’offres
à une demande de simplification, via une expérience encore trop faible en matière de relation conseils et
client mobile et en temps réel sur les services de gestion de financement, attendus par ces segments de clients.
de compte, les professionnels plébiscitent une relation
client de qualité et un accompagnement personnalisé LA BANQUE POSTALE ENTRE MIMÉTISME
aux moments vitaux de leur parcours professionnel. Ils ET DIFFÉRENCIATION
se déclarent, de surcroît, sensibles à la valeur délivrée Face à ces acteurs, La Banque Postale a l’opportunité
et aux nouveaux modèles de tarification à l’usage ou au d’apporter la preuve que digital et humain ne sont pas
forfait personnalisé. deux notions opposées mais complémentaires. En accé-
lérant sa transformation digitale et omnicanal d’une
UNE RÉPONSE DU SECTEUR BANCAIRE part, en se démarquant par son offre de services d’autre
ESSENTIELLEMENT TECHNOLOGIQUE part, et surtout en capitalisant sur sa force de vente
Depuis les années 2000, de nouveaux acteurs appa- dédiée, elle sera en mesure de proposer sur le marché
raissent et érodent les parts de marché des banques tra- des professionnels une approche différente, sociétale
ditionnelles. Pour répondre aux besoins d’autonomie et et humaine de la relation client, que la concurrence n’a
d’instantanéité des professionnels, les pure-players pro- pas su apporter jusqu’alors.
posent ainsi des services de banque à distance. Le succès du lancement de Ma French Bank, la banque
Les néo-banques 100 % digitales quant à elles, comblent digitale de La Banque Postale pour les Professionnels est
le vide laissé par les banques et couplent une offre ban- conditionné par le respect d’une promesse client simple,
caire élémentaire low-cost, avec des services annexes des- basée sur les valeurs de citoyenneté de La Banque Pos-
tinés à simplifier la vie des entrepreneurs et indépen- tale et positionnée pour capter de nouveaux clients via
dants, comme par exemple un agrégateur de comptes un enrôlement facilité et rapide. Elle servira également

2. LE PANORAMA DES BESOINS SELON LE CYCLE DE VIE DE L’ACTIVITÉ

GÉRER MON BUSINES


S

Virements
Financement
SS moyen/long terme

INE VE
US Prélèvements L
O
B

PP

Crowdfundind
N
O

ER
M
R

Solutions d’encaissement
E

ON
CR

Financement à court (TPE, Smartphones…)


BU

Accélération
AN

terme
SIN

e-commerce
ES

Ouverture de compte Cartes


S

100% digitale PFM

Financement Paiements Merchant


Aide à la création Agrégateur
& découverts & encaissements Analytics
micro entreprise
Tableau Offre comptable Analyse
de bord (facturation/fiscalité) de marché
Gestion du compte
en selfcare en ligne Comptes pro Aide à la gestion administrative & comptable
et services additionnels

Source : Ma French Bank, document interne, janvier 2018.

20 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


de vitrine pour moderniser l’image du groupe et rajeu- 3. LA COMPLÉMENTARITÉ DE L’OFFRE ET LA COHÉRENCE DES CANAUX
nir la clientèle. La réussite de la transformation digitale
de La Banque Postale dépend donc des leviers qu’elle
saura activer pour créer de la valeur pour les clients, les
collaborateurs et l’entreprise.

UNE OFFRE DIFFÉRENCIANTE, QUI S’APPUIE


SUR LA COMPLÉMENTARITÉ DES CANAUX
Le succès de la proposition de valeur de la Banque Pos-
tale est conditionné à l’équilibre d’une relation digitale
et d’interactions physiques, combiné à une étendue
d’offre de produits et de services adaptée aux clients.
C’est en s’appuyant sur les centres d’expertise, la force du
réseau physique d’agences et la présence de conseillers
dédiés qu’elle pourra apporter une réponse cohérente aux
demandes de dualité « phygitale » des professionnels.
La qualité de la relation client basée sur la proximité, la
confiance et la légitimité, sera l’élément démarquant.
Source : Illustration Carine Férey, mars 2019.
De plus, l’étendue de la gamme incluant le financement
aux entreprises peut lui permettre d’accompagner les
clients professionnels sur le long terme, et de les conser-
ver une fois le stade de TPE dépassé. adaptation significative des parcours de formation,
La force des offres du Groupe La Poste est un autre atout permettant une compréhension plus fine des clients et
sur lequel miser pour faire la différence. En élargis- de leurs besoins, les conseillers auront les moyens et
sant les domaines adressés, par le biais de partenariats la légitimité d’endosser un rôle de partenaire conseil
externes, La Banque Postale offrira toute la palette des allant au-delà du domaine bancaire. Ces compétences
prestations nécessaires à la croissance et à la pérennité alliées à une sphère d’autonomie et de responsabilité,
de ces clients professionnels, sur des domaines non et des outils de travail modernes et agiles, seront les
bancaires tels que juridique, fiscal, financier, marke- garants de la capacité des conseillers à créer une rela-
ting ou encore commercial. tion de confiance.
L’offre de la Banque devant évoluer vers plus de services
ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT EN INTERNE sur des sujets non bancaires, tels que la création d’entre-
ET INVESTIR SUR LES CONSEILLERS prise, l’aide à la gestion ou le développement de l’acti-
Une satisfaction améliorée des clients professionnels vité, le conseiller professionnel de demain doit devenir
ne saurait exister que par l’accompagnement en interne un partenaire, un aiguilleur, un « relationneur », met-
de la transformation du rôle des conseillers profession- tant tout en œuvre pour accompagner son client sur le
nels et les moyens qui leur seront donnés, par le jeu de chemin de la pérennité de son activité. Le sens donné au
la symétrie des attentions[3]. Ainsi, la formation dispen- changement et l’accompagnement du développement
sée, le développement de l’implication des acteurs se des compétences seront les éléments déterminants de
conjuguent avec un management approprié au quotidien, la transformation en interne.
porteur de sens. L’accompagnement des conseillers est
une vraie plus-value en termes de développement des ACCÉLÉRER LA TRANSFORMATION DIGITALE
compétences. De la qualité de la formation dépendra En conclusion, les clients professionnels, d’aujourd’hui
également le niveau d’autonomie des conseillers et leur et de demain, plébiscitent tant la technologie que la rela-
satisfaction, et par le jeu de la symétrie des relations, la tion humaine, de proximité ou à distance. En réponse,
satisfaction de leurs clients[4], dans un cycle vertueux. La Banque Postale doit accélérer sa transformation digi-
En capitalisant sur la richesse de l’humain et par une tale tant externe qu’interne tout en capitalisant sur ses
forces vives et ses valeurs basées sur l’Humain. C’est
à ces conditions que La Banque Postale, via une vraie
[3] Dans la théorie de la symétrie des attentions, popularisée par l’Académie
du Service, il est donné du Marketing des services la définition suivante : proposition de valeur différente en termes de services
« Le marketing des services, c’est prendre soin de nos équipes pour qu’elles prennent bancaire et non bancaire, et d’accompagnement humain
soin de nos clients » (B. Meyronin, 2011).
[4] Xavier Pavie et M O’Keeffe, « Service Innovation in Direct Banking : au service du développement des clients, sera un acteur
Leveraging the Customer Experience », 2012. majeur du dynamisme entrepreneurial français. n

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 21


ADAPTATION DES STRUCTURES

L'agence bancaire de demain dans une logique omnicanale

Réinventer notre métier


afin de garder le maillage
de notre territoire

Le monde bancaire vit une transformation sans précèdent : tsunami réglementaire,


concurrence protéiforme, marges contraintes, baisse de la fréquentation des agences
physiques par les clients. Pour maintenir notre implantation, nos conseillers doivent apprendre
à travailler différemment en ayant en permanence une logique omnicanale et notre concept
d’agence bancaire se doit d’évoluer.
Alina
Ochinciuc

D
Mastère Spécialisé
Senior Management ans les années à venir ce qui fera la différence cipales questions auxquelles nous devons répondre
Bancaire, Promotion entre les établissements bancaires est la force dans les années à venir sont :
2018-2019 de l’humain et sa capacité à s’adapter en utili- – comment transformer nos conseillers en vendeurs
CFPB École sant tous les moyens à sa disposition afin de connectés ?
supérieure maximiser la satisfaction de nos clients. – comment réaffirmer le rôle de l’humain au centre
de la banque
de notre modèle et comment renforcer le rôle de nos
ESSEC Business LA STRATÉGIE DU CRÉDIT AGRICOLE agences physiques ?
School
CENTRE LOIRE – quelle est la valeur ajoutée du Crédit Agricole Centre
A contrario, d’autres établissements bancaires, le Crédit Loire perçue par le client ?
Agricole Centre Loire a choisi de maintenir l’implantation – quel pilotage commercial et quelle impulsion mana-
de nombreuses agences sur le territoire malgré une forte gériale pour mettre au centre le client et favoriser la
baisse des flux en agence. Fin 2010, le projet d’entreprise transversalité et la complémentarité des différents
du Groupe Crédit Agricole a eu comme ambition de deve- canaux et des équipes de spécialistes autour du client ?
nir une référence des banques multicanales de proximité, – comment se différencier de la concurrence et des
en mettant en place un nouveau modèle de distribution nouveaux acteurs ?
qui conjugue le 100 % multicanal et le 100 % humain. Le
nouveau « Projet client » du groupe réaffirme le rôle de LA TRANSFORMATION DU MONDE BANCAIRE
l’humain en tant qu’empreinte de notre différenciation. Pour répondre à notre problématique, il faut com-
Compte tenu de ces choix stratégiques, et afin de mencer par comprendre les raisons de la transforma-
maintenir notre rentabilité dans un environnement tion que nous sommes en train de vivre. L’évolution
de plus en plus concurrentiel et évolutif, nos conseil- du système bancaire, l’évolution des attentes de nos
lers doivent apprendre à travailler différemment en collaborateurs, ainsi que l’évolution des attentes de
ayant en permanence une logique omnicanale, notre nos clients et leur façon de rentrer en contact avec
concept d’agence bancaire se doit d’évoluer. Les prin- leur banque sont des éléments déterminants.

22 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


1. LES NOUVEAUX MODES DE CONSOMMATION

Source : Observatoire des métiers de la banque, « Étude nouvelles compétences, transformation des métiers à horizon 2025 : réussir l’accompagnement au changement », 2018.

La société continue de se transformer, à côté du « Une grande partie


smartphone et du big data apparaissent la blockchain
et l’intelligence artificielle. La réglementation nous
des fonctions
impose d’être de plus en plus transparents avec nos de back-office disparaîtra
clients et vient supprimer des poches de PNB depuis
longtemps acquises pour les banques. La conquête
au profit des fonctions
de nouveaux clients est de plus en plus compliquée de middle-office,
et se fait souvent par le prêt habitat qui reste un pro-
duit d’appel à faible marge, voir à marge négative. les fonctions commerciales
En parallèle de ces évolutions, les attentes des consom- seront “augmentées”
par l’intelligence artificielle. »
mateurs évoluent – personnalisation, joignabilité,
réactivité – font partie des exigences nouvelles (voir
Figure 1). Pour pouvoir y répondre, les banques se
réorganisent, de gros investissements sont faits dans
le Big Data, l’intelligence artificielle, ou a minima des
RPA[1] et des chatbots sont conçus pour assister nos
conseillers. LA TRANSFORMATION DES MÉTIERS
Au-delà des transformations digitales et des nou- BANCAIRES
veaux concurrents, les principes même de la finance, À l’horizon 2025, les métiers de la banque évolueront
la notion de tiers de confiance, la notion de risque, la fortement. Une grande partie des fonctions de back-
réglementation, sont en train d’évoluer. office disparaîtra au profit des fonctions de middle-office,
les fonctions commerciales seront « augmentées »
par l’intelligence artificielle. Les profils recherchés
[1] Robotic Process Automation. seront des profils atypiques capables de s’adapter à

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 23


ADAPTATION DES STRUCTURES

2. LES ATTENTES DE LA GÉNÉRATION Y

Source : Observatoire des métiers de la banque, « Étude nouvelles compétences, transformation des métiers à horizon 2025 : réussir l’accompagnement au changement », 2018.

un monde bancaire en perpétuelle évolution. L’essor vie professionnelle est très important. 92 % d’entre
du digital est une opportunité pour les banques uni- eux refusent les résultats comme seul indicateur de
verselles de proximité de capitaliser sur les innova- performance. Les critères qualitatifs sont tout aussi
tions technologiques pour renouveler leur modèle importants. Le corps managérial devra adapter son
et augmenter leur rentabilité. D’après une étude de style de management ainsi que sa façon de piloter ces
équipes (voir Figure 2).

DES INTERACTIONS NOUVELLES


« Lorsqu’ils se déplacent ENTRE LE CLIENT ET SON CONSEILLER
En parallèle, la fréquentation des agences continue à
dans nos points de vente, baisser : «  20 % des Français déclarent fréquenter plusieurs
nos clients sont très sensibles fois par mois leur agence en 2016, contre 62 % en 2007 »,
mais les contacts avec la banque n’ont jamais été si
à l’accueil qui leur est nombreux. Nous estimons à environ 170 contacts
réservé. L’agence n’est rien par an avec sa banque entre les RDV physiques, les
échanges téléphoniques et les mails.
sans ses conseillers. » Les contacts avec le conseiller représentent unique-
ment 7 % des contacts, dont la moitié à distance et
11 % si on rajoute les contacts avec le personnel de
l’accueil. Le canal des Centres de Relation Clientèle
l’observatoire des métiers de la banque, les « personnes est, quant à lui, très peu utilisé (moins de 2 % des
âgées aujourd’hui entre 20 et 35 ans constitueront 50 % des contacts). Les contacts humains ne représentent
travailleurs en 2020 ». Cette génération est née avec plus que 15 % des contacts et pour être efficaces, les
Internet et est marquée par les nouvelles technologies ; conseillers doivent maîtriser autant le rendez-vous
le fonctionnement en réseau est plus valorisé que le physique que les rendez-vous à distance.
fonctionnement hiérarchique, l’équilibre vie privée Même si les Français gardent un attachement fort à

24 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


3. MODES DE CONTACT AVEC LA BANQUE
Aujourd’hui, quel est votre mode de contact principal avec :

leur agence bancaire, 85 % des interactions s’effec- « La banque dispose d’une multitude
de sources de données sur
tuent désormais en digital, ce qui oblige les établis-
sements bancaires à remodeler leur réseau d’agences
(voir Figure 3). ses clients. Si ces données
étaient peu exploitées auparavant,
Ceci renforce la stratégie des banques de détail d’in-
vestir dans la transformation de leur distribution à
l’aide du digital afin de rendre possibles les opéra- les banques se penchent sur ce sujet
afin de fidéliser leurs clients. »
tions simples à distance et concentrer les interactions
humaines aux opérations à valeur ajoutée. Un modèle
de banque omnicanale performant devrait faciliter le
parcours client afin de passer d’un canal à l’autre de
manière fluide et s’orienter vers son canal préféré en
fonction de son besoin.
12 caractéristiques, j’en identifie 6 qui seront indis-
QU’ATTENDENT NOS CLIENTS ? pensables à notre conseiller bancaire.
Lorsqu’ils se déplacent dans nos points de vente,
nos clients sont très sensibles à l’accueil qui leur est 1. « Le vendeur connecté émerveille le client et lui fait vivre une
réservé. L’agence n’est rien sans ses conseillers, leur expérience d’achat unique et inoubliable. » Le changement
sens de l’accueil, leur sourire et leur capacité d’écou- de comportement des clients avec une communication
ter et résoudre les problématiques. libre sur la toile autour de son expérience d’achat, a
Dans son livre, Le Vendeur connecté, Benoît Mahé[2] augmenté le pouvoir du consommateur et nous a ame-
recueille 12 caractéristiques nécessaires aux vendeurs nés à changer la façon de mesurer la satisfaction client.
pour réussir dans le monde de demain. Parmi ces Toutes les banques sont passées d’un suivi de la satis-
faction client en note moyenne, à un suivi de l’Indice de
[2] B. Mahé (2018), Le Vendeur connecté : coaching et relation client à l’ère de
Recommandation Client (IRE) qui permet de mesurer
l’omnicanal, Maxima-Laurent du Mesnil. l’écart entre les clients qui sont promoteurs et les clients

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 25


ADAPTATION DES STRUCTURES

qui sont détracteurs. Pour les fidéliser, il ne s’agit plus prendre la majorité des décisions à son niveau ou
de les empêcher de partir, mais de les engager à nous avec son manager direct.
recommander et à augmenter la notoriété de la marque. L’empathie et l’intelligence situationnelle sont des
qualités essentielles, qui l’aideront à créer une rela-
2. « Le vendeur connecté assume qu’il est la pierre angulaire tion de qualité avec son client.
de la stratégie omnicanale et phygitale. » Malgré les évo-
lutions des dernières années, la tendance n’est pas à 6. Dans la banque de demain, les compétences com-
la disparition de l’humain dans le commerce, mais portementales prendront le dessus sur les compé-
à la transformation de son rôle. Quand un client se tences techniques. Le profil requis sera une personne
déplace en boutique, il ne vient plus pour ses opéra- adaptable, capable d’apprendre et doté d’un sens inné
tions simples mais pour l’échange qu’il peut avoir avec du service client.
son conseiller. Si « la chimie n’opère pas à la rencontre de
la personne, les autres canaux ne serviront à rien[3] ». LES CLÉS DU SUCCÈS
DE LA STRATÉGIE OMNICANALE
3. « Le vendeur est connecté aux outils numériques en maga- Les clés du succès de la stratégie omnicanale sont :
sins » (tablettes, kiosques, smartphone…). » Depuis – inculquer la culture du service pour maximiser la
plusieurs années, la tablette s’est imposée comme satisfaction client ;
outil dans le cadre des rendez-vous clients et en tant – faire évoluer les méthodes de formation : stop au
qu’outil d’aide à la vente partagée avec les clients. e-learning, bienvenue au adaptative learning ;
Pour y arriver, un pilotage rapproché des équipes a – accélérer les investissements technologiques pour
été nécessaire et ce suivi s’impose à chaque nouvelle une hyperpersonnalisation de la relation client ;
fonctionnalité pour lever les freins des commerciaux. – repenser nos processus internes et les adapter en
Son intégration dans la « cérémonie de vente » doit continu pour maximiser l’IRE de nos collaborateurs ;
se faire naturellement, la tablette ne doit pas devenir – faire évoluer notre pilotage commercial en partant
une barrière physique entre le conseiller et le client. du client et non pas du conseiller ;
– ne pas empiler la technologie ;
4. « Le vendeur connecté sait convertir le big data en small – apprendre à partager le client ;
data… en human data. » La banque dispose d’une – ne pas opposer humain et digital, mais plutôt
multitude de sources de données sur ses clients. Si mettre le digital au service de l’humain pour mieux
ces données étaient peu exploitées auparavant, les servir son client.
banques se penchent sur ce sujet afin de fidéliser leurs
clients. La personnalisation de la relation client ne EN CONCLUSION
peut se faire que par l’exploitation de cette donnée, Pour garder le maillage de notre territoire, tout en tra-
mise à disposition du conseiller sous une forme simple vaillant dans une logique omnicanale et en maximi-
et compréhensible. Pour obtenir l’effet escompté, le sant la satisfaction client, nous devons capitaliser sur
conseiller doit utiliser ces informations avec intelli- nos valeurs : l’humain, la proximité, le service client.
gence dans le cadre de ses interactions avec le client. Lorsqu’on mesure les éléments les plus déterminants
Toute cette mine d’or ne sert à rien si elle n’est pas dans la relation d’un client avec sa banque, la qualité
alimentée et actualisée en continu par nos conseillers des relations humaines occupe la première place. Un
(ex. les hobbies d’un client et surtout ses projets) et client est beaucoup plus attaché à son conseiller qu’à
si elle n’est pas utilisée au bon moment. sa banque, car c’est bien le conseiller qui incarne les
valeurs du Crédit Agricole Centre Loire auprès des
5. « Le vendeur connecté se sent autonome et reconnu : cela le clients. « Les meilleures banques seront celles qui parvien-
rend crédible et responsable aux yeux du client. » Pour que dront à combiner, au sein de parcours clients réinventés, la
nos conseillers soit crédibles devant les clients, ils réactivité et l’efficacité du digital avec une qualité relation-
doivent se sentir autonomes dans leur activité et assu- nelle, humaine supérieure  »[4]. n
mer les décisions qu’ils donnent au client. Le mana-
ger doit être capable de fixer des objectifs « smart »,
motivants et atteignables par la force de vente. En
parallèle, les délégations doivent lui permettre de
[4] P. Dessertine, J.-B. Mateu et Le cercle Turgot (2018), Les Banques face à leur
[3]  Ibid. avenir proche : les banques, miroirs d’un nouveau monde, Eyrolles.

26 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Banque de détail

Rentabiliser un réseau
d’agences sans toucher
à l’emploi est possible !
De nombreuses banques multiplient les annonces de réduction d’effectifs et de fermetures
d’agences. Pourtant, une autre voie est possible grâce à une refonte du parcours client
intégrant le digital, mais également la conquête de clients dans le cadre d’un réseau
physique d’agences qui optimise les marges de manœuvre dégagées en termes d’emploi
par l’utilisation des nouveaux outils numériques et l’innovation organisationnelle.
Arnaud
Pinatel

D
e nombreuses banques multiplient les annonces
CESB Master
Spécialisé Senior de réduction d’effectifs et de fermetures d’agences.
Management, Pourtant, une autre voie est possible grâce à une
Promotion refonte du parcours client intégrant le digital,
2018-2019
mais également la conquête de clients dans le cadre
CFPB École d’un réseau physique d’agences qui optimise les marges
supérieure de manœuvre dégagées en termes d’emploi par l’utili-
de la banque
sation des nouveaux outils numériques et l’innovation
ESSEC Business organisationnelle.
School Les banques de détail, confrontées à une problématique
de rentabilité et à l’arrivée de nouveaux acteurs sont à
la croisée des chemins. Le nombre de salariés ne cesse
de baisser, lentement, mais sûrement depuis plusieurs
années[1]. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Des solu-
tions peuvent être mises en œuvre pour continuer à
développer la base clients afin de faire face à l’érosion
des marges.
Les concepts d’inbound marketing, de coopétition et de
« L’inbound marketing
conduite du changement permettent d’envisager les consiste à attirer le prospect
modifications profondes à mettre en œuvre dans le
modèle de conquête de nouveaux clients afin de l’adap-
par du contenu ciblé et de
ter aux nouvelles attentes. qualité, diffusé en accès
libre par l’intermédiaire
[1] Communiqué FBF du 20 juin 2019 : « 362 800 personnes travaillent dans d’un site internet, référencé
correctement par les moteurs
les banques adhérant à la Fédération bancaire française (FBF) sur le territoire français.
Bien qu’en baisse tendancielle des effectifs – inférieure à 1 % par an en moyenne

de recherche. »
– depuis 2011, le secteur bancaire reste l'un des principaux employeurs privés en France
(1,9 % de l'emploi salarié privé). »

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 27


ADAPTATION DES STRUCTURES

1. EXEMPLE DE COOPÉTITION La coopétition, quant à elle, est la mise en œuvre d’une


coopération entre deux entreprises concurrentes. Il existe
Cooperation différents types de coopétitions. Elle peut être horizon-
Coopetition tale quand la coopération s’opère sur un même produit,
ou sur un même type de clients ; verticale lorsque le
Firm A concurrent devient client ou fournisseur ; ou double (à
la fois verticale et horizontale), par exemple dans l’in-
Firm A Firm B Firm B
dustrie spatiale. Différents exemples de coopétitions
existent. Une coopétition interne permet à un même
Horizontal marked-oriented Vertical marked-oriented
groupe de faire travailler ensemble des services ou des
coopetition coopetition marques, qui normalement sont en compétition. Une
coopétition commerciale met en commun des forces de
Source : Coopétition horizontale et coopétition verticale (Chiambaretto, et al. 2017)
vente de deux entreprises concurrentes pour remporter
des marchés et vendre des solutions co-construites ou
des produits complémentaires. La plupart du temps, il
INBOUND MARKETING ET COOPÉTITION s’agit de mettre en commun des moyens pour réduire
Tout d’abord, le développement de la base clients peut les coûts ou développer le volume d’affaires.
s’inspirer de l’inbound marketing, ou marketing entrant. Ces solutions ne peuvent être envisagées sans une
C’est une stratégie marketing rendue possible par la méthode de mise en œuvre rigoureuse, basée sur le
digitalisation de l’économie. Elle consiste à attirer le concept de conduite du changement. La conduite du
prospect par du contenu ciblé et de qualité, diffusé en changement, entendue comme l’accompagnement de
accès libre par l’intermédiaire d’un site internet, réfé- la transition entre une manière de faire obsolète et une
rencé correctement par les moteurs de recherche. Cette méthode de travail cible, repose sur une phase de dia-
stratégie de communication prend en compte l’auto- gnostic, parfois longue. Celle-ci doit permettre, dans
nomie accrue du consommateur rendue possible par une démarche la plus collaborative possible, de poser
le flux d’informations à sa disposition et transforme le bon diagnostic et de préparer les acteurs au change-
profondément le rôle du commercial de terrain dans ment. L’organisation pourra ensuite s’appuyer sur ce
le parcours client. travail préparatoire pour former les équipes, commu-
niquer et procéder aux changements. Des personnes
relais, des cadres de terrain généralement, sont essen-
2. LES CYCLES DE CONDUITE DU CHANGEMENT tielles à la diffusion et à la bonne adoption des nouvelles
pratiques par l’ensemble des équipes.
PAGNEMENT DU C
CCOM HA
NG
D’A
E EM MUTUALISATION DES FONCTIONS
CL EN
CY T ET PILOTAGE COMMUN
Axe En matière d’inbound marketing, l’exemple à suivre est
Communication
Boursorama Banque. En autonomie, par petits pas suc-
cessifs, cette banque en ligne amène le client à ouvrir un
compte à partir d’un portail d’informations financières
Axe Études Axe
d’impacts et Formation
particulièrement bien référencé. Le commercial n’a plus
accompagnement Diagnostic de rôle de développement de portefeuille et n’apparaît
du que pour des opérations à valeur ajoutée nécessitant une
changement
présence humaine. Cependant, cette stratégie, très effi-
cace pour ouvrir de nouveaux clients, ne permet pas de
les activer suffisamment pour les rentabiliser. Elle doit
Axe Gestion
Axe Gestion des donc s’accompagner d’autres techniques commerciales.
des hommes et
transformations
des résistances C’est dans cette optique que la mise en pratique d’une
coopétition commerciale entre le Crédit Mutuel d’Ile
de France et le CIC a été mise en œuvre : l’ensemble
T des fonctions supports sont mutualisées, que ce soit
CY EN
CLE GEM les engagements, l’organisation, la direction générale,
DE PIL AN
OTAGE DU CH
les ressources humaines… Cependant, CIC et Crédit
Source : D. Autissier et J.-M. Moutot, Méthode de conduite du changement
– Diagnostic, accompagnement, performance, Dunod, 4e éd., 2016. Mutuel gardent leur culture, leur marque, leur réseau

28 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


et donc leur image auprès de la clientèle : pilotage com-
mun ne veut pas dire fusion ou même rapprochement.
« Le commercial n’a plus de rôle
Le poste charnière de responsable de secteur est au de développement de portefeuille
cœur de l’organisation. Celui-ci a pour rôle d’animer
les agences d’une zone géographique, quelle que soit la
et n’apparaît que pour des opérations
marque. Il est donc l’interface entre le support commun à valeur ajoutée nécessitant
et les deux réseaux. Ce pilotage commun a permis des
gains de productivité substantiels, notamment au CIC,
une présence humaine. »
et a contribué à la diffusion d’une culture de développe-
ment durable des réseaux physiques en optimisant les
charges de support en découlant.
C’est ainsi qu’une banque de détail peut aujourd’hui
adapter la stratégie inbound marketing en utilisant son
site internet comme un portail d’entrée pour le consom- un rôle clé à jouer. Accompagnateur, facilitateur du
mateur afin d’augmenter la base clients. Il doit pou- changement et coach des directeurs d’agence, il aura à
voir y trouver du contenu de qualité en accès libre. Ce susciter l’adhésion et à modifier son management pour
contenu, qui vise à l’attirer, devra l’amener à ouvrir un faciliter la prise d’initiatives et l’adoption des bonnes
compte directement en ligne, de manière simple, sans pratiques en local.
l’aide d’un conseiller. Chaque client ouvert en ligne, Ainsi, une stratégie digitale assumée autour de l’inbound
chaque prospect identifié pourra alors être affecté à un marketing permettra de développer la base clients. La
commercial de terrain, en proximité dans une agence, transformation du parcours client opérée responsa-
dont l’objectif sera d’activer la relation et d’équiper, par bilisera le commercial sur la gestion et l’activation de
le conseil et l’accompagnement physique, ce nouveau son portefeuille et libèrera des marges de manœuvres
relais de croissance. en termes d’emplois pour innover dans la conquête
physique de nouveaux clients. Utiliser les méthodes
UN RÔLE DE COMMERCIAL TRANSFORMÉ de conduite du changement permettra également
La mise en œuvre d’une stratégie d’inbound marketing de faciliter le succès. Et c’est ainsi qu’une banque de
transformera le rôle du commercial. Il n’aura plus à détail en France, peut aujourd’hui réussir à augmen-
mettre en œuvre des opérations de démarchage tradi- ter significativement sa base clients pour développer
tionnelles aux résultats mitigés pour développer son son PNB et donc sa rentabilité sans toucher, ni à son
portefeuille. Le temps ainsi gagné sera consacré à ren- réseau d’agences, ni à ses effectifs. n
forcer la taille des portefeuilles clients et va donc libé-
rer des marges de manœuvre importantes en termes
d’emplois. Ces marges de manœuvre devront être uti- Bibliographie
lisées pour continuer à développer la base clients sur
des relations les plus actives possibles. C’est ainsi D. Autissier, E. Métais-Wiersch & K. Johnsson (2018),
qu’une agence de développement pourra être créée Du changement à la transformation, Dunod.
dans une démarche de coopétition commerciale interne G.B. Dagnino, F. Le Roy et S. Yami (2007), « La Dynamique
entre agences d’un même réseau. Il s’agira d’innover des stratégies de coopétition », Revue française de gestion, juillet,
dans la conquête de clients physiques, au profit des pp. 87-98.
agences, tout en utilisant ces marges de manœuvre C. Gallic & R. Marrone (2018), Le Grand Livre du Marketing Digital,
en termes d’emplois pour créer des postes de chargés Dunod.
de relations publiques, afin que la banque redevienne W. C. Kim & R. Mauborgne (2010), Stratégie océan bleu : comment
un acteur de la vie locale, comme le sont les assureurs créer de nouveaux espaces stratégiques, Pearson Education.
ou les comptables.
E. Pellegrin-Boucher (2010), La Coopétition : enjeux
et stratégies, Lavoisier-Hermes Sciences.
RIGUEUR DANS LA CONDUITE DU CHANGEMENT
Toutes ces transformations ne seront possibles qu’avec S. Richou (2017), Coopétition en action – 10 leviers
pour élaborer et deployer votre stratégie, Dunod.
l’aide d’une méthode de conduite du changement rigou-
reuse. Il faudra alors veiller à ce que le directeur soit G. Szapiro (2015), L'Inbound Marketing selon la stratégie du Sherpa,
réellement autonome et responsable, afin qu’il soit le Éd. J.-M. Laffont.
meilleur relais possible de la stratégie mise en place S. Truphème (2016), L’Inbound marketing. Attirer, conquérir et
par la banque. Le middle management aura également enchanter le client à l'ère du digital, Dunod.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 29


DONNER DU SENS

Stratégie bancaire

La Responsabilité sociétale
des entreprises (RSE)
peut-elle constituer le socle
d’un nouveau business model   ?
Si la prise en compte des enjeux de RSE a été tardive dans les banques dans un contexte
post-crise, elle peut devenir le fondement d’une stratégie nouvelle, construite sur
une éducation financière plus poussée, une expérience client exclusivement basée
sur le conseil et la transparence, et une meilleure acculturation des conseillers à cette notion.

Vincent

L
Bagnis e combat de Greta Thunberg en Suède comme prises et la Responsabilité sociétale des entreprises, qui
celui des gilets jaunes en France sont l’expression est la plus proche traduction du terme Corporate Social
Mastère Spécialisé
Senior Management de la volonté d’une meilleure prise en compte des Responsability. Pour les Anglo-Saxons, le mot « social » a
Bancaire, Promotion attentes (économiques, sociales ou environne- une portée bien plus large qu'en français. Il renvoie à la
2018-2019 mentales) des citoyens. 78 % des personnes interrogées responsabilité de l’entreprise envers la société dans son
CFPB École dans un sondage Viavoice de 2015[1] indiquent que si ensemble, contrairement au mot français qui ne se rap-
supérieure elles étaient seules décisionnaires, elles accorderaient porte qu’aux rapports sociaux internes de l’entreprise.
de la banque une place importante aux questions de responsabilité Ainsi le terme « sociétal » désigne les responsabilités de
ESSEC Business sociétale dans leur entreprise. Elles sont même 85 % à l’entreprise à l’égard de ses multiples parties prenantes
School vouloir s’investir plus dans les démarches RSE de leurs (employés, actionnaires, clients, fournisseurs, etc.) et
entreprises. En quête de différenciation – dans un uni- bien au-delà « des simples relations employeurs/employés  »[2].
vers d’autant plus concurrentiel que les néo-banques La responsabilité sociétale des entreprises peut alors se
s’attaquent au marché – et souhaitant redorer une image définir comme « la manière dont les entreprises gèrent leurs acti-
ternie par la crise économique de 2008 dont elles sont vités en vue d’avoir un impact positif sur la société, ce qui couvre
tenues pour responsables, il semble que la RSE puisse à la fois des enjeux environnementaux, sociaux et éthiques  »[3].
permettre aux banques de se démarquer.
LA RSE, UN CONCEPT PAS SI MODERNE
VOUS AVEZ DIT RSE ? Alors que l’on pense souvent que le concept de Res-
Une simple recherche de cet acronyme sur le moteur de ponsabilité sociétale des entreprises (RSE) est une
recherche Google fait ressortir plus de 46 300 000 résul- émergence de la toute fin du XXe siècle, il n’en est rien.
tats et renvoie majoritairement vers quatre notions : le
développement durable, la Responsabilité sociale et
[2] F. Dejean et J-P. Gond (2004), « La responsabilité sociétale des entreprises :
environnementale, la Responsabilité sociale des entre- enjeux stratégiques et méthodologies de recherche », Finance Contrôle Stratégie,
vol. 7, n° 1, mars, pp. 5-31.
[3] M. Becker, « Definitions of Corporate Social Responsibility
[1] Sondage Viavoice « Salariés et entreprises responsables », pour Mindded, – What is CSR ? » : http://mallenbaker.net/article/clear-reflection/
Ekodev et Des enjeux et des hommes. definitions-of-corporate-social-responsibility-what-is-csr.

30 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


En France, la RSE prend ses racines dans la notion de entreprises ». Dans les années 1980, une nouvelle vision
« paternalisme » développée dès la fin des années 1750 de l’entreprise émerge. Dans leurs travaux, R. Edward
chez les physiocrates, concept qui évoluera avec la révo- Freeman (1984) et Archie B. Carroll (1999) démontrent
lution industrielle et qui s’enrichira de la démarche de que l’entreprise est responsable devant l’ensemble de
la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ses parties prenantes. Cela conduit Archie B. Carroll
(SEIN). À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, on à modéliser et répartir les obligations des entreprises
parle de « paternalisme industriel », qui peut être consi- envers la société en quatre catégories[5] : les « respon-
déré comme la première illustration de la prise de sabilités économiques » et les « responsabilités légales » qui
conscience, par les patrons, que leurs usines et eux- sont « exigées par la société » ; les « responsabilités éthiques »
mêmes portent une responsabilité envers la société. qui sont « attendues par la société » et les « responsabilités
Aux États-Unis, la démarche RSE se structure avec la philanthropiques » qui sont « désirées par la société ». Au
grande entreprise de l’après-Seconde Guerre mondiale. final, on ne s’interroge plus vraiment sur le fait de
La vision partagée de l’époque est celle réaffirmée en savoir si l’entreprise porte ou non une responsabilité,
1970 par Milton Friedman, pour qui « il y a une et seu- mais plutôt envers qui elle la porte.
lement une seule responsabilité du monde des affaires : utili-
ser ses ressources et les engager dans des activités destinées à QUEL CATALYSEUR DE LA RSE ?
accroître le profit »[4]. Howard Bowen, considéré comme L’apparition de la notion de développement durable
le père fondateur de la RSE, avait ouvert une nouvelle dans le rapport des Nations unies de 1987 intitulé
voie dès 1953, en considérant l’entreprise comme un « Notre avenir à tous », que les initiés appellent « rapport
acteur social investi d’une mission envers la société tout Brundtland », va jouer un rôle de relais en France. Les
entière, ce qui impose aux dirigeants d’encadrer leurs entreprises, sous l’impulsion de toutes les parties pre-
actions. Il est le premier à conceptualiser non plus la nantes de l’époque (les politiques, les organisations
« Responsabilité sociale » mais la « Responsabilité sociétale des non gouvernementales, la société civile) vont progres-

[4] M. Friedman (1970), « The Social Responsibility of Business is to Increase its [5] A.B. Carroll (1979), « A Three Dimensional Conceptual Model of Corporate
Profits », The New York Times Magazine. Performance », Academy of Management Review, vol. 4, n° 4, pp. 497-505.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 31


DONNER DU SENS

sivement mettre en place des actions notamment afin devient un enjeu primordial. On voit alors fleurir, en
de limiter leur impact environnemental (protocole interne, codes de conduite et autres codes éthiques,
de Kyoto, charte de l’environnement, 17 objectifs de tandis que vis-à-vis de leur environnement extérieur,
Développement…). Il faut toutefois attendre les années les banques doivent se montrer irréprochables que
1990 pour constater, en France, une accélération de la ce soit en matière déontologique ou environnemen-
mise en place de politique RSE au sein tale. La RSE se révèle un moyen efficace pour
de toutes les entreprises, sans elles d’améliorer leur réputation. Un autre
pour autant pouvoir identi- enjeu, tout aussi structurant pour les
fier de réel catalyseur. Il banques traditionnelles, est leur
convient alors de s’in- besoin de développer leur parc
terroger sur ce qui a de clients. Les établissements
conduit les grandes bancaires connaissent en effet
entreprises à adop- de fortes tensions sur leurs
ter une démarche revenus, liées notamment
RSE. Paul DiMag- au contexte de taux bas
gio et Walter dans lequel ils se trouvent
Powell, avec leur depuis maintenant plu-
ouvrage de 1983 sieurs années et auquel ils
intitulé The Iron devront vraisemblablement
Cage Revisited : Ins- s’habituer. Face à cette baisse
titutional Isomor- de leur Produit net bancaire,
ue phism and Collective ils cherchent alors, d’une part,
Rationality in Organiza- à développer leur volume d’af-
tional Fields, nous offrent faires avec leurs clients acquis et,
un éclairage structurant. Le d’autre part, à conquérir de nouvelles
développement de la thématique relations. Dans cette quête, les banques se
RSE au sein des entreprises serait, heurtent à une concurrence exacerbée par l’arri-
selon eux, le fait du développement de normes, de la vée des néo-banques et autres FinTechs. On notera que la
mise en place d’un cadre légal et d’un phénomène de concurrence au sein du secteur bancaire est restée pen-
mimétisme des entreprises. Une homogénéisation dant longtemps très limitée. Une explication vient de
des organisations qu’ils appellent « isomorphisme ins- l’hyper-réglementation du secteur qui agissait comme
titutionnel  »[6]. une forte barrière à l’entrée. La révolution numérique,
le développement du digital et, paradoxalement, les der-
UNE PRISE EN COMPTE TARDIVE nières évolutions réglementaires (DSP2[7] et RGPD[8]),
PAR LES BANQUES en desserrant l’étau, vont inverser la tendance et accé-
Pourquoi les banques ont-elles encore plus tardé à lérer l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché.
s’emparer de la problématique du développement res- La question plus globale est de savoir comment une
ponsable ? D’abord parce qu’en tant qu’industrie de banque traditionnelle peut se démarquer de ses concur-
services très peu consommatrice de ressources natu- rents, en ne misant pas uniquement sur les nouveaux
relles, elles n’ont pas été les premières ciblées par la modes de distribution de ses produits. Nous sommes là
société civile. D’autre part, du fait de l’importance de confrontés à un dilemme : celui de choisir entre mimé-
la régulation du secteur qui, en les protégeant de la tisme et différenciation. Alors que les établissements
concurrence, les a, tout du moins au départ, éloignées cherchent à se distinguer, notamment au travers des
des questions de RSE. innovations, ils adoptent pour autant des comporte-
La crise financière de 2008 va alors jouer un rôle d’ac- ments grégaires et ne font que suivre les mêmes ten-
célérateur en révélant au secteur l’importance de la res- dances, plutôt que réellement se différencier.
ponsabilité éthique des banques, que ce soit dans leur
choix d’investissement, de financement ou de mana-
gement. La défense de leur image et de leur réputation [7] La Directive des Services de Paiement 2 du 27 novembre 2017 : https://eur-
lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1527155500723&uri=CELEX%3A320
18R0389.
[8] Le Règlement général pour la protection des données du 27 avril 2016 a
[6] P.J. Di Maggio et W.W. Powell (1983). « The Iron Cage Revisited : Institutional pour vocation d’encadrer la récolte, le traitement et la gestion des données
Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American personnelles et numériques dans l'Union européenne : https://eur-lex.europa.
Sociological Review, pp. 147-160. eu/legal-content/FR/TXT

32 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


UN PARTENARIAT BANQUES-ÉTAT POUR UNE tés régulièrement à l’aide de scripts, qui, s’ils donnent
ÉDUCATION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE DE TOUS l’impression à première vue que les collaborateurs sont
Même si la situation tend à s’améliorer, le secteur ban- infantilisés, permettent de donner du cadre, une cohésion
caire conserve une image dégradée. La crise de 2008, d’ensemble et ainsi une uniformité. Le meilleur joueur de
dont les banques sont largement tenues pour respon- tennis, quand bien même numéro 1, ne continue-t-il pas
sable, les affaires Kerviel et l’amende de BNP Paribas aux quotidiennement à répéter des coups droits et des revers,
États-Unis, pour ne citer qu’elles, ont laissé des traces alors qu’il ne disputera jamais deux matchs à l’identique.
auprès du grand public. Il n’est pas rare d’entendre que Enfin, les ressources humaines, aux côtés des managers,
les banques ne sont que des « pompes à fric » et qu’elles distillent au sein de l’entreprise la culture compétences.
« n’ont que faire de leurs clients ». Alors même que le panel Portée à tous les niveaux de l’entreprise, une démarche
interrogé dans le cadre de ces travaux reconnaît una- exclusivement axée sur le conseil permettra aux clients de
nimement un caractère incontournable aux banques trouver dans son banquier, non plus un vendeur de crédit
(certains pouvant le regretter), peu de personnes en ou de produit d’épargne, mais le véritable partenaire de
connaissent le fonctionnement. Pour autant, ils consi- son bien-être économique.
dèrent les banques comme légitimes pour apporter une
expertise. Ils attendent d’elles un rôle d’accompagnant, FINI LE TEMPS DU GREENWASHING,
d’éducateur (au sens de professeur) à la gestion budgé- PLACE AUX ACTES
taire aussi bien à destination des personnes fragiles, Outre la sécurité, les consommateurs attendent de
des plus jeunes que de tous, pour améliorer la gestion leur banque de la transparence. À l’ère du digital, une
de son budget. réponse pourrait passer par le développement d’une
Sans écarter les abus et les fautes qui ont pu être com- application grâce à laquelle, en un clic, le client (ou le
mis, il semble tout aussi absurde de nier le rôle positif prospect) obtiendrait instantanément les caractéris-
que jouent les banques au quotidien. C’est pourquoi il tiques du produit souscrit (ou envisagé), des avis com-
semble pertinent de nouer un partenariat entre l’État et paratifs établis par d’autres consommateurs, les nota-
les banques, afin de donner à tous les Français un socle tions des agences extra-financières, un comparatif avec
de connaissance minimal en économie et de leur per- les produits concurrents, et surtout une visibilité sur ce
mettre de comprendre le fonctionnement du système à quoi sert concrètement son argent. Pour autant, il ne
bancaire dans lequel ils vivent. Il ne s’agit bien entendu faut pas oublier l’interne. Il est tout aussi primordial
pas de faire du prosélytisme ou de la démagogie. Il s’agit d’acculturer l’ensemble des collaborateurs à la notion
simplement de permettre à chacun de pouvoir être cri- de RSE que de communiquer auprès de ses clients. Ceci
tique en connaissance de cause. peut passer par la nomination de « RSE Officers » dont la
mission serait à la fois d’évangéliser leurs collègues, à
DEVENIR ADVISE CENTRIC tous les niveaux, mais aussi de coordonner des actions
C’est la qualité du conseil, l’expertise dispensée, qui per- locales qui donneraient corps à la théorie. Une option
mettront aux banques de se différencier les unes des autres. pourrait par exemple être de lancer un « Solidarity Day »
Toutes les forces de l’entreprise doivent converger vers annuel. Le même jour, l’ensemble des collaborateurs
le seul objectif de procurer une expérience client exclu- seraient invités à participer à l’action RSE de son choix,
sivement basée sur le conseil. C’est d’ailleurs ce que les aux côtés d’associations partenaires de la banque. Les
consommateurs expriment, aussi bien en 2017 dans une réseaux sociaux permettraient de communiquer sur
étude du cabinet Deloitte[9] que dans les entretiens réalisés les actions concrètes mises en place et assureraient le
dans le cadre de ces travaux. La posture conseil peut faire bouche-à-oreille attendu, comme seul vecteur de com-
la différence, à la seule condition qu'elle soit adoptée par munication en la matière.
l’ensemble de l’entreprise. À défaut, elle pourrait alors
n’être perçue que comme un artifice. Ainsi, la Direction ET (APRÈS) DEMAIN ?
générale doit décliner ses ambitions commerciales sur Qu’elle prenne la forme d’assistant personnel, d’en-
un temps plus long que la seule année ; les managers et les ceinte connectée, de robot ou autre chatbot, l’Intelli-
collaborateurs doivent être accompagnés dans la transi- gence artificielle (IA) est de plus en plus intégrée dans
tion du modèle de vente, notamment par des formations nos vies. Son développement soulève, comme pour
comportementales via des écoles de la posture. Cela doit toute évolution technologique, de nombreuses ques-
passer concrètement par des jeux de rôle poussés et répé- tions, notamment en matière d’éthique. On peut alors,
légitimement, s’interroger sur les nouvelles responsa-
[9]  Deloitte (2017), « Qu’attend vraiment un client de sa banque ? » : https://
bilités que l’IA va faire porter aux entreprises. Un sujet
blog.deloitte.fr/qu-attend-vraiment-un-client-de-sa-banque/. pour une prochaine thèse… n

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 33


DONNER DU SENS

Le rôle éthique des établissements bancaires

Participer au développement
d’économies durables
pour bâtir un avenir meilleur

Les établissements bancaires traditionnels ont le pouvoir de création


monétaire et assument le rôle de facilitateur et connecteur entre les différents
acteurs économiques. Comment peuvent-ils se développer en assumant
leurs responsabilités et leur rôle économique central pour répondre aux besoins
sociétaux et aux attentes des citoyens en quête d’une société plus éthique ? 
Caroline
Fournier

L
Mastère spécialisé
’éthique regroupe un ensemble de règles destinées à la fin du siècle. Ainsi, le profit réalisé par les clients,
Senior Management
Bancaire, Promotion au bien vivre ensemble et à la justice sociale. La longtemps considéré comme suffisant à donner du sens,
2018-2019 répartition des richesses en est donc un domaine montre désormais ses limites et ne semble plus suffi-
CFPB École de réflexion majeur. sant pour satisfaire à la pérennisation du modèle. Nous
supérieure Sans compter le pouvoir considérable généré par la déten- avons assisté à une décorrélation des objectifs recher-
de la banque tion de données sur ses clients dans l’ère digitale, les chés entre les actionnaires, le management, et la société
ESSEC Business établissements bancaires traditionnels jouent un rôle clé civile. Pour retrouver cet alignement, les banques doivent
School dans nos sociétés par les financements qu’ils accordent. désormais faire des choix plus sélectifs sur la contri-
Ils exercent aussi une puissance supranationale en par- bution positive à l’évolution de la société et de l’envi-
ticipant au financement de la dette des États. Le déve- ronnement des projets qu’elles financent et se montrer
loppement économique d’un pays est ainsi directement transparentes quant à la manière dont leurs produits et
corrélé à son niveau de bancarisation. services créent de la valeur.
L’enjeu du financement des entreprises à impact positif,
ACCOMPAGNER ET FINANCER DES PROJETS c’est-à-dire dont l’activité est économiquement efficace,
À IMPACT POSITIF écologiquement tolérable et/ou socialement équitable,
Ainsi, les banques ont le pouvoir d’accompagner ou non est complexe car ces entreprises répondent rarement
un agent dans ses projets et son développement écono- aux critères d’octroi classiques du fait de leur profil de
mique en fonction du risque de non-remboursement risques spécifiques (croissance lente, rentabilité des
perçu et de la rentabilité de l’opération. Néanmoins, capitaux faible, créances de qualité moyenne…). L’en-
ces deux critères ne sont plus suffisants et il est désor- trepreneuriat social priorise le développement d’une
mais indispensable d’y ajouter des critères sociaux et économie durable et la lutte contre l’exclusion au détri-
environnementaux. Nous pouvons souligner que 2 500 ment du profit personnel. Il développe ainsi des solu-
milliards de dollars d’actifs financiers pourraient être tions innovantes et engagées pour de nombreux pro-
perdus si le réchauffement climatique dépasse les 2,5° blèmes économiques, sociaux et environnementaux

34 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


tels que l’insertion professionnelle, l’accès aux soins, ETHIQUE BANCAIRE
les énergies, le logement, le recyclage, l’éducation…
Notons que depuis 2000, l’emploi privé dans l’écono- Un rôle multidimensionnel
mie sociale et solidaire (ESS) a progressé de 24 % contre
4,5 % hors ESS (baromètre de l’entrepreneuriat social
Hébergement
par Mouves). Il est primordial, et de la responsabilité et réseautage
Financer la recherche
des établissements bancaires de soutenir et accompa- sur le climat Former
gner les entrepreneurs dans leur déploiement à travers et la préservation les jeunes
des solutions adaptées à leurs besoins. Ils répondront de la planète générations
en même temps aux attentes des consomm’acteurs[1]
dont l’influence ne cesse de croître.
Plusieurs offres significatives sont ainsi développées
Qualité
pour accompagner ces entrepreneurs et faire émerger de l’offre
des nouveaux profils de créateurs d’entreprises : jeunes, et du conseil
Soutien
femmes, populations défavorisées… Les établissements à l’entrepreneuriat
bancaires traditionnels, considérés comme les sachants, féminin
mettent en place des dispositifs d’accompagnement
pour les entrepreneurs comme le mécénat de compé-
tences, une offre riche et adaptée à leurs besoins spéci-
Être les premiers Inclusion
fiques, l’animation de réseaux d’entraide, tout comme
clients financière
de nombreux partenariats. de nos clients

ÉCLAIRER LES CHOIX D’INVESTISSEMENT


Par leur fonction d’intermédiaire en investissement, les
banques doivent aussi assurer un rôle didactique pour
accompagner les clients épargnants vers une meilleure
appréhension de l’impact de leurs choix d’investissements, « Le profit réalisé par les clients,
et rappeler aux entreprises qu’on ne gagne pas dans un longtemps considéré comme
monde qui perd. L’éthique doit être un enjeu majeur pour
les épargnants qui ont besoin des établissements financiers suffisant à donner du sens, montre
pour comprendre et mesurer cet aspect. Investir revient à désormais ses limites et ne semble
financer l’économie, et bien choisir ses investissements
équivaut à indiquer aux entreprises ce que l’on estime prio- plus suffisant pour satisfaire
ritaire pour façonner l’économie et la société de demain. à la pérennisation du modèle. »
La volonté d’inclure une certaine éthique dans la finance
s’est traduite par le développement de l’investissement
socialement responsable, qui favorise l’exercice de la
responsabilité de l’investisseur et valorise les béné-
fices liés aux questions environnementales, sociales et
de gouvernance. En 2018, la finance durable a enregis- lopper des grilles d’analyse ambitieuses, à la fois plus
tré une croissance de 11 % en France. Novetic recense larges et plus précises que celles que nous connaissons
ainsi 488 fonds « durables », dont 50 % sont labelisés actuellement, qui intégreront le souci de relations véri-
ISR[2]. Il existe une indéniable adéquation entre l’hori- tablement éthiques avec l’ensemble des partenaires de
zon d’investissement long et le temps dont ont besoin l’entreprise dans laquelle il est envisagé d’investir. La
les entreprises pour créer de la valeur pérenne. C’est question centrale est de savoir comment l’entreprise
pourquoi aux États-Unis, les deux tiers des fonds ISR assume ses responsabilités envers les différentes com-
sont gérés par les fonds de pensions. munautés humaines.
Par ailleurs, pour favoriser l’essor qualitatif de l’éthique Le rôle éthique des établissements bancaires est mul-
dans la finance, il est désormais nécessaire de déve- tidimensionnel et ne se limite pas à l’orientation des
capitaux vers les entreprises socialement et environne-
mentalement responsables.
[1] Consommateur qui se montre plus sensible aux caractéristiques
responsables, éthiques et équitables des produits et services offerts.
Les établissements bancaires doivent également faire
[2] Source : Novetic, 11 juillet 2019. valoir leur droit de vote lors des assemblées générales

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 35


DONNER DU SENS

d’actionnaires. C’est l’occasion pour les gestionnaires de pour le recrutement, la formation, la gestion des car-
fonds ISR d’exercer un pouvoir de contrôle et d’amélio- rières, la diversité, les possibilités de reconversion,
ration de la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’adaptabilité des postes, le dialogue social, les condi-
ils investissent. Ils peuvent ainsi influencer les décisions tions de travail, le respect de la vie privée… Il est éga-
vers plus d’éthique et de développement durable tout lement indispensable de contribuer mondialement à
en profitant des effets positifs sur la valeur des titres et l’élimination de toutes les formes de discriminations
donc valoriser les placements des épargnants. et de travail forcé. Le management de proximité se doit
également d’aider les salariés à trouver le sens de leur
PRÉSERVER L’INTÉRÊT DES CLIENTS action dans l’entreprise en communiquant sur la vision
Envers les clients, la responsabilité des banques repose à long terme. Statistiquement, l’innovation et la produc-
sur la qualité éthique et la sécurité des produits propo- tivité augmentent lorsque les employés sont en accord
sés, ainsi que sur l’exhaustivité et la transparence des avec la stratégie. Les entreprises bénéficient ainsi de
informations communiquées. Un conseil en investisse- l’implication de leurs collaborateurs qui deviennent
ment de qualité repose sur trois piliers que sont la proxi- des ambassadeurs et des clients potentiels.
mité, la proactivité, et l’aptitude à réaliser une gestion
financière de qualité dans le respect du profil de risque DES OBJECTIFS DE GESTION INTERNE
du souscripteur. Le respect de la primauté des intérêts ET DE GOUVERNANCE
du client n’est plus à citer tant il est évident. Ainsi, pour Mise à part la consommation d’énergie, l’impact envi-
s’assurer de l’aspect responsable de l’offre créée, il faut ronnemental des activités bancaires est faible. Le rôle
régulièrement s’interroger sur les solutions attendues éthique des établissements dans ce domaine ne se
limite donc pas à l’impact de la banque elle-même,
mais repose sur les orientations d’investissement réa-
lisées. Il convient de prévenir la pollution, de réduire
« Les banques doivent aussi la production de déchets, de protéger les ressources

assurer un rôle didactique
naturelles et de préserver la biodiversité.
La gouvernance désigne la manière dont la prise de
pour accompagner les clients épargnants décision est organisée dans l’entreprise. Cette notion

vers une meilleure appréhension de


inclut l’attitude globale de l’entreprise envers les pré-
occupations éthiques, la transparence de la rémuné-
l’impact de leurs choix d’investissements. » ration des cadres dirigeants et l’intégration de critères
extra-financiers dans ses processus de décision.

CRÉER DE LA VALEUR PARTAGÉE


par les clients finaux, mesurer les impacts directs de Une action concrète de la part des établissements ban-
l’offre et en évaluer les conséquences indirectes. caires traditionnels est indispensable. Ils disposent de
L’inclusion financière constitue également une respon- moyens considérables ainsi que du pouvoir d’allocation
sabilité éthique des banques pour enrayer l’exclusion des des capitaux. Ils doivent donc favoriser le changement
populations pauvres du circuit bancaire traditionnel grâce au profit d’entreprises à impact positif et financer les
à des produits et services financiers à faible coût comme besoins pour les défis mondiaux comme locaux. Par
le microcrédit. Selon une étude de la Banque Mondiale, ailleurs, la rentabilité des investissements responsables
les 38 % les plus pauvres de la population adulte n'utili- progresse avec la demande et représente l’opportunité
seraient aucun service financier professionnel. pour les banques de créer de la valeur partagée. Elles
peuvent ainsi accroître leurs bénéfices en se montrant
VIS-À-VIS DES SALARIÉS éthiques et en témoignant de leur objet premier de servir
La responsabilité éthique de toute entreprise se démontre l’économie et la société. Nos challengers, banques en
également par son exemplarité auprès des salariés. Les ligne et néo-banques, l’ont bien intégré et foisonnent
établissements bancaires traditionnels comptent parmi de concepts alliant autonomie, préservation de la pla-
les plus importants employeurs de France avec approxi- nète, co-création et partage. n
mativement 370 000 collaborateurs[3]. La dimension
sociale renvoie à la gestion des ressources humaines

[3] 362 800 personnes travaillent dans les banques adhérant à la Fédération
bancaire française (FBF) sur le territoire français (source : Site FBF juin 2019)

36 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Développement durable

Concilier business et impact


positif dans la banque
pour un futur meilleur

À l’heure des grands défis pour la société, les banques souhaitent,


au travers de leurs stratégies, concilier business et impact positif
pour un avenir meilleur. L’État ne peut pas tout et les banques doivent
être des acteurs utiles et engagés dans les transformations actuelles.
Dans quelle mesure la banque peut-elle allier performance et contribution
Scander
Thabet à l’intérêt commun de la société ?
Mastère Spécialisé

C
Senior Management
Bancaire, Promotion onfrontées à la transition énergétique, au dérègle- le financement du logement. Nous avons également
2018-2019 ment climatique, à la digitalisation, les banques 37 209 agences bancaires, 56 649 distributeurs automa-
CFPB École et les grandes entreprises prennent un virage tiques et il a été assuré en 2017 pas moins de 22 milliards
supérieure important dans leurs stratégies et agissent en d’opérations de paiements. Selon l’Observatoire de la
de la banque
prenant en compte les enjeux de la société dans son microfinance, 99 % des Français ont un compte ban-
ESSEC Business ensemble, car les États ne peuvent pas tout faire. Dans caire. Sur le terrain financier, les banques représentent
School leurs décisions, les banques doivent agir en tant qu’ac- une contribution de 2,1 % de la valeur ajoutée totale en
teurs responsables de la société. Toutefois seront-elles France. La banque est bien un acteur majeur de la vie
capables de devenir des leaders de l’impact positif tout économique française. Alors en quoi la banque a-t-elle
en restant des leaders économiques ? besoin de se poser la question de son impact ?
La banque est une entreprise spéciale, car elle a une
UN ACTEUR MAJEUR DE LA VIE ÉCONOMIQUE capacité à contraindre d’une part et à accompagner
Si l’on doit parler d’impact, rappelons d’abord qu’en d’autre part. En effet, le banquier peut décider qu’il ne
termes d’utilité à la communauté, les banques emploient souhaite plus financer les entreprises ayant un lien avec
366 200 collaborateurs en France. En 2017, le secteur le charbon d’un côté, et de l’autre, il peut mettre sur la
bancaire a réalisé 42 200 embauches, dont les deux tiers table 155 milliards d’euros (exemple de la banque BNP
en CDI et 61 % recrutés au statut cadre. Selon l’OCDE, Paribas) de financement en faveur de la transition éner-
la banque est l’un des six principaux atouts de l’écono- gétique et des secteurs considérés comme contribuant
mie française ; 60 % du financement de l’économie pro- directement aux objectifs de développement durable
vient en effet de banques, contre 30 % de l’autre côté de des Nations unies. C’est cette opportunité de position-
l’Atlantique. Les crédits aux entreprises ont représenté nement que la banque doit exploiter pour à la fois agir
965 milliards d’euros à fin 2017, et les crédits aux ménages sur l’avenir de la société et ses préoccupations et conti-
1 160 milliards d’euros dont 954 milliards d’euros pour nuer à jouer son rôle de financement de l’économie

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 37


DONNER DU SENS

LA THÉORIE DE SIMON SINEK prendre en compte dans leur décision : les actionnaires.
R. Edward Freeman[3] a développé une théorie révolu-
Le cercle d’or permet de prioriser les trois grandes tionnaire de la stratégie d’entreprise permettant aux
questions à se poser avant d’engager toute action : managers une vision plus ouverte sur la société dans son
« pourquoi ?, « comment ? », « quoi ? » ensemble et plus objective sur la réflexion à mener par
les entreprises dans la poursuite de leur activité com-
merciale. L’idée principale est que l’entreprise, et plus
particulièrement la banque, a plusieurs interactions
internes et externes à son organisation. Ces « organi-
sations » sont toutes aussi concernées par les décisions
prises par l’entreprise et doivent être intégrées dans la
réflexion du manager tout autant que l’actionnaire qui
Why? devient dans ce modèle une partie prenante comme une
autre. Désormais, l’intérêt des différentes parties pre-
nantes doit être pris en compte au-delà de l’unique intérêt
How?
de la finance qui devra faire avec une réflexion plus large
qu’une vision de profit. Dans sa prise de décision pour
What?
avoir le meilleur impact possible, la banque doit négo-
cier avec les parties prenantes le meilleur choix possible.
Les parties prenantes représentent ici les actionnaires
qui partagent donc leur rôle, même si, sans être naïf,
leur pression reste importante surtout dans une banque,
les parties prenantes internes que sont les salariés en
quête de sens et d’équilibre professionnel et privé, et les
syndicats acteur engagé pour les salariés de l’entreprise,
réelle au travers de projets responsables et ambitieux les partenaires opérationnels qui sont les clients, four-
dans un monde qui change et pour un avenir meilleur. nisseurs, sous-traitants et partenaires économiques, la
communauté sociale qui désigne les services publics,
DEVENIR UN LEADER DE L’IMPACT POSITIF les médias, les ONG, les associations, la communauté
La banque est aussi cet organisme dont 84 % des Fran- environnante et la société civile dans son ensemble et
çais sont satisfaits mais auquel seulement 64 % font pour finir, l’environnement naturel qui est un élément
confiance[1]. Ceci s’explique en partie par la crise de 2008, déterminant dans les décisions des entreprises au travers
pour laquelle les banquiers sont tenus pour responsable. des conséquences de leurs actions sur l’environnement,
Les scandales qui ont suivi ensuite n’arrangent pas non le climat et sur la planète. La banque construit son profit
plus l’image de la banque. La banque est aussi, depuis avec toutes ces pressions sociales et environnementales.
toujours, le symbole du capitalisme dur, avec comme La responsabilité sociale et environnementale (RSE)
seule motivation la recherche du profit à tout prix. Le est intégrée dans la stratégie, le greenwashing est révolu.
leadership économique est reconnu, mais la banque doit
se réconcilier avec la société pour devenir le tiers de COMMENCER PAR SE DEMANDER POURQUOI ?
confiance recherchant le bien commun pour aboutir à La banque souhaite ainsi devenir ce leader inspirant agis-
ses profits. Les Français ont besoin davantage d’enga- sant pour le bien collectif et un avenir meilleur. C’est selon
gement pour faire confiance à leur banque, de plus de cette philosophie que la banque BNP Paribas a intégré à
services ; les clients veulent du « positive banking ». son Comex une direction de l’engagement en 2017, une
La banque cherche donc à devenir un leader de l’impact décision majeure qui montre l’importance que la banque
positif et s’inspire de nombreuses théories. La première souhaite donner à cette démarche. L’entreprise compte ins-
est que l’entreprise ne peut pas avoir une vision focali- pirer plutôt que « manipuler » au sens de Simon Sinek[4],
sée uniquement sous le prisme des actionnaires. Dans par des prix, des produits ou des promotions, etc. Simon
l’approche classique propre à Milton Friedman[2], les Sinek, dans son ouvrage Commencer par pourquoi [5], a déve-
managers d’entreprises voient une seule partie prenante à
[3] Philosophe et universitaire américain, connu pour ses travaux sur la théorie
des parties prenantes.
[1] Étude Relations banques et clients – 8e édition Deloitte [4] Conférencier britannique, auteur de livres sur le management et la motivation.
[2] Économiste américain (1912-2006), Prix Nobel d’économie 1976 [5] Éditions Performance, 2014.

38 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


loppé le concept du cercle d’or (voir Schéma), ce dernier pour réussir à agir pour le bien commun. Clients, colla-
montre que nous pouvons aller beaucoup plus loin si nous borateurs et étudiants en font tous un critère majeur de
nous souvenons de tout commencer en nous demandant fidélité et de conquête. Les entreprises voient en nous
toujours « Pourquoi ». Il révèle de quelle façon les entre- un accompagnateur idéal pour le devoir de responsabi-
prises leaders ont été capables d’inspirer à des personnes lité. Les banques doivent cependant porter une attention
de passer à l’action plutôt que de les manipuler pour particulière à la nouvelle génération, qui a une sensibi-
qu’elles agissent. Cette façon de faire permet non seule- lité supérieure sur la question d’impact des entreprises.
ment de ne plus manipuler, mais également de dévelop- C’est à la fois un critère de choix d’employeur, de choix
per le leadership, la culture d’entreprise et la fidélisation de consommation et de choix d’investissement. C’est
aussi bien des clients que des collaborateurs. une population engagée qu’il faudra intégrer dans la
Cette nouvelle stratégie coïncide aussi avec la loi PACTE réflexion de leur avenir meilleur.
et le rapport Notat Senard. Les auteurs ont la conviction
que l’entreprise a une raison d’être et qu’elle doit contri- L’ACTEUR SUR QUI COMPTER
buer à l’intérêt collectif, partant du principe que le rôle La banque pour devenir leader dans la responsabilité
de l’entreprise est différent de la recherche de l’intérêt
général mais que les attentes sont croissantes à l’égard
des entreprises concernant les défis environnemen-
taux et sociaux. L’entreprise doit prendre conscience « Le banquier peut décider
qu’il ne souhaite plus financer
de l’impact de son activité sur les parties prenantes et
la gouvernance d’entreprise doit prendre en compte le
sujet dans sa stratégie et définir sa raison d’être. Cette les entreprises ayant un lien
avec le charbon d’un côté,
raison d’être est la clé à venir, pour aboutir à la récon-
ciliation des banques avec la société. Elle devra être le
guide d’une banque actrice engagée au quotidien, aussi et de l’autre, il peut mettre
sur la table 155  milliards
bien dans le quartier où elle est implantée que dans la
stratégie générale.
d’euros de financement
UNE PRÉOCCUPATION PARTAGÉE
Cette préoccupation d’impact positif est le sujet de beau- en faveur de la transition
coup d’entreprises. Nous avons regardé le cas de Car- énergétique. »
refour, avec son ambition de devenir le leader mondial
de la transition alimentaire avec Act for Food, un des
4 piliers de sa nouvelle stratégie. Nous avons également
rencontré un collaborateur de chez Total, une entreprise devra dans un premier temps inscrire sa raison d’être
qui, quoiqu’elle fasse, a un impact sur la société et sur co-construite avec ses collaborateurs dans ses statuts ;
l’environnement, mais qui par contrainte des banques elle devra également objectiver la capacité de ses mana-
a été amenée à modifier son approche projet, en créant gers à agir pour un avenir meilleur, tout en créant une
des métiers d’ingénieurs d’impact chargés d'évaluer et réelle culture d’entreprise intégrant les collaborateurs.
corriger l’impact d’un nouveau projet sur les parties pre- Établir un circuit court de l’engagement dans les ter-
nantes. Dans sa lettre de janvier 2019, Larry Fink, P-DG ritoires permettra d’avoir un impact aussi bien sur les
de Blackrock, plus grand gestionnaire d’actifs de la pla- clients que sur les collaborateurs et l’entreprise, en conci-
nète, exhorte également les entreprises à exprimer une liant culture de l’impact et commerce dans son secteur.
raison d’être face aux défis majeurs de la société ; c’est Pour finir, la clientèle d’entreprise est en demande de
le signe que même le plus grand actionnaire du monde services en la matière ; nous pouvons rapidement venir
incite à concilier business et impact positif et que ces en prestation de service auprès cette population et lui
préoccupations sont également celles des actionnaires, apporter notre savoir-faire et notre carnet d’adresses.
qui voient un risque à ce qu’une entreprise ne prenne La banque est certainement l’acteur sur qui compter face
pas partie à tous ces enjeux. aux défis actuels. C’est le moment pour nous d’être au
Selon un sondage effectué auprès de collaborateurs, de service d’une société qui n’a pas su toujours percevoir
clients, d’étudiants et de chefs d’entreprise, la banque nos valeurs engagées au service de la société. n
n’est pas considérée actuellement comme un leader de la
RSE, mais elle est estimée comme ayant tous les atouts

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 39


DONNER DU SENS

Management
Faire converger enjeux des banques
et aspirations des salariés
Les banques doivent faire face à des enjeux fils d’entrepreneurs qui ont besoin de relever des défis et
d’atteindre des objectifs, souvent les jeunes qui ne veulent
majeurs financiers et réglementaires et adapter plus subir le travail.
– l’expérience salarié et la qualité de vie au travail. Après
leur stratégie en conséquence. Cette adaptation la notion d’expérience client, c’est l’expérience salarié qui
doit aussi se faire sur le plan managérial vis-à- est recherchée et son bien-être. L’environnement (l’am-
biance, l’esprit d’équipe, la flexibilité) reste un élément
vis des équipes et des facteurs de motivation. de motivation pour les salariés ;
Thomas – le management collaboratif. L’une des principales pré-

N
Belotti os organisations ont évolué, passant du taylo- occupations relevées dans nos organisations est la verti-
Mastère Spécialisé risme[1] à l'ohnisme[2], pour tendre vers l’entre- calité et le fonctionnement exclusivement top down. Alors
Senior Management prise dite libérée… ou pas ! Le monde bancaire, que Vineet Nayar[3] est persuadé que « le bas représente une
Bancaire, Promotion dans ses relations externes (avec les clients), a lui énorme opportunité inexploitée ».
2018-2019 aussi évolué puisque nous sommes passés d’une rela-
CFPB École tion statique et captive à une relation choisie et challen- LES SOLUTIONS
supérieure gée, tout en adaptant les canaux de distribution (l’ère Pour satisfaire ces besoins, trois principales pistes de
de la banque
du phygital). Les rapports internes (avec les salariés) réflexion ont émergé :
ESSEC Business ont également évolué, d’un management des tâches à un – l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle :
School
management des neurones, où l’exigence managériale développement du temps partiel, télétravail, flexibilité
des salariés est plus forte. Enfin, les banques sont face des horaires, crèches d’entreprise et la prise en compte
à des enjeux financiers, réglementaires, RH, technolo- d’une distance ou temps maximum entre lieu de travail
giques, organisationnels… qu’il faut aussi surmonter. et domicile ;
S’il semble difficile d’avoir un impact sur certains aspects – le management où, notamment, les décisions concernant
tels que les taux, la pression réglementaire, une réflexion les rétributions financières doivent être laissées au N+1
peut être menée sur la motivation des salariés. sans interférence du N+2. Il s’agit également de doter les
La littérature et les interviews auprès de professionnels managers d’un budget permettant d’organiser des moments
ont permis d’identifier les facteurs de motivation, cer- de convivialité dans le but de créer de la complicité entre
tains étant satisfaits et d’autres non. les membres d’une équipe, qui, au-delà de la cohésion,
permettra de mieux consolider l’équipe en faisant appel
LES FACTEURS DE MOTIVATION aux émotions. Enfin, il conviendrait de développer le feed-
Parmi les facteurs de motivation satisfaits, nous retrou- back à double sens, c’est-à-dire permettre aux collabora-
vons notamment l’autonomie et la responsabilisation, teurs de s’exprimer lors des entretiens annuels sur leurs
le développement des compétences, la valorisation, la attentes vis-à-vis de leur manager ;
confiance et le droit à l’erreur. – l’intrapreneuriat, en permettant à chacun d’entreprendre
D’autres facteurs de motivation restent non satisfaits : au sein et pour son entreprise, en allouant du temps et un
– la réalisation de soi et l’accomplissement. Ce besoin budget à ceux souhaitant développer une nouvelle idée.
d’accomplissement de soi est surtout visible chez les pro- Ces idées ne sont pas exhaustives et une réflexion régu-
lière sur les facteurs de motivation doit être menée afin
[1] Du nom de l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915), que les établissements bancaires puissent adapter leur
le taylorisme désigne une forme d'organisation scientifique du travail fondée management et compter sur la mobilisation des salariés. n
sur la parcellisation du travail et la standardisation des outils pour obtenir un
rendement maximum dans le cadre d'une organisation.
[2] Inventé par l'ingénieur japonais Taiichi Ono, l’ohnisme ou toyotisme est une
forme d'organisation du travail fondée sur une plus grande responsabilisation
des travailleurs, qui voient leurs tâches enrichies, deviennent polyvalents et [3] Homme d’affaires indien, expert des technologies de l’information et du
doivent s'impliquer dans leur équipe. management, auteur de  Les Employés d’abord, les clients ensuite, Ed. Diateino, 2011.

40 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Relation clients
Les émotions seront au cœur
de l’expérience client,
malgré les technologies
Face aux services innovants des nouveaux acteurs, gonflés d’intelligence artificielle
et de robotique, la banque de détail doit améliorer la qualité de la relation client.
Dans ce contexte, comment trouver un équilibre entre l’efficacité des technologies,
l’empathie, l’émotion et la capacité à résoudre des problèmes complexes de l’humain ?

L
’origine des activités bancaires remonte à une histoire américaine, on dénombre plus d’ingénieurs que chez
Mickaël
très ancienne… Cependant les banques ne sont pas Twitter. Le monde entier est devenu technologique,
Blanchard immortelles comme nous l’avons vu lors de la crise y compris celui de la finance. Cette numérisation de
Mastère Spécialisé des subprime de 2008. Elles sont en quasi-mono- l’activité et un contexte réglementaire tolérant ont
Senior Management pole sur leur secteur d’activité. Mais dans un environne- incité des start-up à s’engouffrer dans l’industrie ban-
Bancaire, Promotion
ment économique incertain et de taux d’intérêt bas, les caire. Des FinTechs et néo-banques attaquent donc les
2018-2019
rentabilités souffrent. Les banques traditionnelles doivent banques par tous les côtés[1]. Elles créent de la valeur
CFPB École donc évoluer, également poussées par la révolution digi- dans le domaine du paiement, du crédit ou du conseil
supérieure tale. Tout l’enjeu pour elles sera de se transformer, tandis financier. Cependant, aujourd’hui, le plus grand dan-
de la banque que leur modèle continue de fonctionner. ger provient sûrement des géants de la tech (GAFAM[2])
ESSEC Business qui, après avoir bouleversé l’univers des médias, de la
School UNE CONCURRENCE NOUVELLE D’ACTEURS distribution, du tourisme ou des transports, semblent
FINANCIERS
« Nous sommes une entreprise technologique », a déclaré Lloyd
[1] R. Bouyala (2018), La Révolution FinTech : acte 2, RB Édition.
Blankfein, le dirigeant de la banque d’affaires Goldman [2] GAFAM est l'acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook,
Sachs. En effet, parmi les collaborateurs de la banque Amazon et Microsoft.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 41


L’EXPÉRIENCE CLIENT

avoir trouvé un nouveau terrain de jeu dans la finance[3]. DES ÉVOLUTIONS SOCIÉTALES MAJEURES
Elles ont pour elles une grande puissance financière et À VENIR
une très forte audience. Depuis une dizaine d’années, le comportement du consom-
Cette disruption des services financiers est rapide et mateur s’est transformé très rapidement. Il devient de
violente. Les banques sont donc très exposées car ces plus en plus urbain et technologiquement connecté.
nouveaux acteurs attirent les clients par la viralité et les Dans ce contexte, plusieurs tendances se dégagent :
réseaux sociaux en se reposant sur des principes simples – un besoin de transparence : les entreprises doivent se
de gratuité, de haute valeur de produit, de grande sensi- préparer à devoir rendre des comptes sur la composi-
bilité au design et d’une expérience client élevée. tion des produits et les tarifs pratiqués ;
À côté, les banques sont chères, leur proposition de – l’instantanéité et l’hyper personnalisation seront
valeur reste floue avec un design pas encore au niveau la norme. Les nouvelles générations demandent des
et un manque de confiance dans l’image de marque. produits et des services parfaitement adaptés à leurs
Elles sont donc prises en tenaille entre les GAFAM et les besoins ;
FinTechs mais elles capitalisent sur leurs points forts : la – la valeur sera désormais placée dans l’usage des pro-
régulation, la confiance des clients dans la protection duits. L’essor de l’économie collaborative en est la preuve ;
de leurs données personnelles et la masse d’informa- – le marché des seniors sera en plein boom et consti-
tions clients qu’elles détiennent. tuera un marché d’avenir pour les banques ;
– le phygital mis en place dans les points de vente phy-
LA MAÎTRISE TECHNOLOGIQUE, UN ENJEU MAJEUR siques afin de faciliter le processus d’achat est une véri-
La frontière entre tous ces acteurs s’estompe progres- table tendance aujourd’hui ;
sivement et il existe un monde d’opportunités pour les – enfin, la raréfaction des moments d’échanges entre
banques à se transformer. Pour cela elles doivent mon- une entreprise et ses clients bouleverse la façon de
ter en puissance sur la maîtrise des dernières techno- s’adresser à ces derniers et augmente les enjeux de
logies de rupture comme l’intelligence artificielle ou la l’expérience client.
blockchain. Ces innovations envahissent nos sociétés à Dans un contexte de transformation numérique, l’un
une vitesse incroyable. des rôles principaux des individus en entreprise sera
d’offrir des réponses typiquement humaines, prenant
en compte le contexte émotionnel.

« Les expressions faciales LES ÉMOTIONS AU CŒUR DE L’EXPÉRIENCE CLIENT


constituent une source L’économie de l’expérience consiste à créer de la valeur
en permettant au client de vivre quelque chose de fort
essentielle d’informations et de mémorable. Cette nouvelle offre expérientielle

sur l’état émotionnel renforce la spécificité de la marque en allant bien au-


delà de la notion de service. De nombreuses recherches
du client. » ont montré que l’expérience sensorielle ou émotion-
nelle influencerait l’intention d’achat et la fidélité des
consommateurs.
Pour faire vivre des moments inoubliables, il faut
Les applications à venir pour le secteur financier sont comprendre ce que sont les émotions et les processus
multiples : simplifier et personnaliser l'expérience entrant en jeu[4]. Tout d’abord, une émotion est toujours
client, une meilleure gestion des risques, la détection déclenchée par une situation spécifique. Ensuite, cet
des fraudes ou des économies d’échelle grâce à l’au- évènement est évalué par l’individu puis va déclencher
tomatisation de certaines tâches répétitives. Donc, une réaction de l’organisme. Cela s’exprime par une
aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour expression motrice dans le visage, la voix ou la posture
un développement rapide de ces technologies dans mais aussi par la réaction du système nerveux sympa-
le secteur financier. Le rôle de l’humain va probable- thique comme une accélération de la respiration ou du
ment diminuer mais devra évoluer vers de l’expertise, rythme cardiaque.
de l’écoute et du service additionnel. La recherche a montré un lien entre la capacité à recon-
naître les expressions faciales émotionnelles et les com-
pétences sociales. La communication émotionnelle
[3]  J-H. Lorenzi (2018), « Les géants de la tech vont-ils remettre en cause les
banques traditionnelles ? », Revue Banque n° 821, pp. 40-41. [4] P. Philippot (2011), Émotion et psychothérapie, Mardaga, 2e édition.

42 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


passe avant tout par le non verbal. Ainsi, les expres- 1. LA COLÈRE
sions faciales constituent une source essentielle d’in-
formation sur l’état émotionnel du client. Cette capa- On remarque Les sourcils ont
également que tendance à se
cité peut s’améliorer toute au long de la vie grâce à un à l’extrémité de rejoindre, ils sont
entraînement. Pour cela, Pierre Philippot a développé la partie intérieure froncés, plissés
l’outil libre d’accès FaceTales[5] destiné à améliorer ses des sourcils, quelques (rides entre les
rides se forment sourcils). De plus,
capacités de décodage des expressions faciales. Ainsi, comme ceci / \ leur partie intérieure
les collaborateurs pourront mieux identifier et gérer ou encore est abaissée
leurs propres émotions mais aussi celles des autres et atteigent ainsi légèrement ce qui a
(voir Schéma 1). le milieu du front. pour effet de réduire
une partie du champ
Ces exercices permettent d’améliorer les relations inter- de vision.
personnelles et de faire preuve d’empathie pour autrui.
Quant à la bouche, La paupière
Ces compétences nous semblent essentielles dans les
elle reste fermée recouvre une
métiers de la relation bancaire. Du chargé d’accueil, au mais assez serrée. partie de l’œil.
conseiller en passant par le directeur d’agence, chacun
Source : P. Philippot (2011), Émotion et psychothérapie, Mardaga.
reçoit des clients tout au long de la journée, dans un état
émotionnel particulier, influençant les prises de déci-
sion et l’attitude à mettre en œuvre.
L’émotion et la raison sont intimement liées. Il n’y a
pas, comme le pensait Descartes, la raison d’un côté
et l’émotion de l’autre. En réalité, c’est le même cir- au contexte de la vie au travail. Il se décline autour cinq
cuit qui est activé. Même si on a longtemps ancré dans compétences principales :
notre mémoire collective l’idée de l’homo economicus, – la conscience de soi et la capacité à comprendre ses
un être rationnel prenant des décisions rationnelles, la émotions ;
science a montré le rôle des émotions dans nos prises – la maîtrise de soi ;
de décisions. Le neuroscientifique Antonio Damasio[6] – la motivation interne à poursuivre ses propres objectifs ;
va le démontrer à partir du célèbre cas de Phineas Cage, – l’empathie ;
ouvrier des chemins de fer américain. Au XIXe siècle, il a – les aptitudes sociales.
survécu après qu’une barre à mine lui ait transpercé une Les études ont montré que ces capacités sont bien plus
grande partie du cortex cérébral frontal. À la suite de cet essentielles que les compétences cognitives dans le monde
accident, Cage a complètement modifié sa personnalité. du travail. Ces dernières sont évidemment essentielles
Alors qu’il avait conservé ses capacités cognitives, il est mais, dans la perspective d’évolution de carrière ou de
devenu asocial, incohérent et dénoué de toute émotion leadership, ce sont les compétences à interagir avec les
dans ses décisions de vie. autres qu’il faut améliorer. Les plus grands leaders d’au-
jourd’hui possèdent ces compétences. D’ailleurs, dans
DÉVELOPPER SON INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE son rapport de 2017 sur l’avenir du Travail, le Forum
POUR DOPER SES PERFORMANCES Économique Mondial a identifié dix compétences clés
COMMERCIALES qui feront la différence demain. L’intelligence émotion-
Avant de prendre une décision importante, il est impor- nelle arrive en sixième position.
tant de connaître, de maîtriser et réguler ses émotions.
C’est difficile mais cela peut s’apprendre en développant
son intelligence émotionnelle. L’intelligence émotion-
nelle est la manière dont nous gérons nos relations avec
les autres. Pour les psychologues Salovey et Mayer (1990),
il s’agit de « l’habilité à percevoir et à exprimer les émo-
tions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre
« De nombreuses recherches
et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les ont montré que l’expérience
émotions chez soi et chez les autres ». Ce concept sera
popularisé par Daniel Goleman[7] en 1995 en l’adaptant
sensorielle ou émotionnelle
influencerait l’intention
[5] https://sites.uclouvain.be/ipsp/recherche/projets/FaceTales/. d’achat et la fidélité
des consommateurs. »
[6] A. Damasio (1995), L'Erreur de Descartes, Odile Jacob.
[7] D. Goleman (1997), L'intelligence émotionnelle, Robert Laffont.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 43


L’EXPÉRIENCE CLIENT

2. LOI DE YERKES ET DODSON

La relation entre performance et stress

Stress optimal

Bon stress Mauvais stress


Niveau de performance

(stimulation) (pertubation émotionnelle)

Zone
de Pression
réalisation
Fatigue
Anxiété
Satisfaction Resistance
Fatigue Performance
Épuisement
Créativité
Ennui Progression Perte de contrôle
Confiance
Inactivité Panique
Initiative
Sommeil Burn out
Dépression
Absence Excès
de stress de stress

Niveau de stress

DÉPLOYER LA MÉDITATION C’est la relation entre la performance et le stress. Cette


DE PLEINE CONSCIENCE EN ENTREPRISE loi dispose que bien qu’une augmentation du niveau de
Un des moyens d’améliorer son intelligence émo- stress puisse avoir des effets positifs sur la performance,
tionnelle est la pratique de la méditation de pleine ce bénéfice n’est valable que jusqu’à un certain point.
conscience (ou mindfulness en anglais). Notre monde Des niveaux élevés d’anxiété peuvent en effet perturber
est un monde d’accélération. Nous avons peu de temps fortement la performance et les ressources mentales.
pour reposer notre esprit. Notre cerveau est un muscle Le défi est alors de rester dans une zone optimale de
et ce muscle a besoin de repos et d’oxygène. La médi- stress grâce à la méditation de pleine conscience. D’un
tation en pleine conscience est une forme de médita- point de vue pratique, elle est le plus souvent dispensée
tion qui consiste à se focaliser sur l’instant présent, en groupes, selon des protocoles assez codifiés com-
sur ses sensations internes et perceptions, sans juge- portant huit séances de deux heures environ, suivant
ment, sans attente particulière. Cette pratique permet un rythme hebdomadaire.
une connaissance de soi plus fine mais aussi de trouver Chaque collaborateur doit se sentir engagé pour déli-
plus de justesse dans nos prises de décision. La pratique vrer une haute qualité de service. La méditation sera
de la pleine conscience est accueillie par un nombre un puissant levier de développement de l’intelligence
croissant d’entreprises en France, à une époque où la émotionnelle, fondamentale dans la performance per-
connexion permanente via les outils digitaux laisse de sonnelle et collective. Sa prise en compte dans une poli-
moins en moins de moments de répit. Notamment, la tique centrée expérience client donnera aux banques
loi de Yerkes et Dodson[8] sur la performance est sou- un avantage concurrentiel. n
vent citée pour expliquer le burn out (voir Schéma 2).

[8] Développée en 1908 par les psychologues Robert Yerkes et John Dilligham
Dodson.

44 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Marketing du risque

Tirer profit des indicateurs


de risque au bénéfice
de l’activité commerciale
Le taux d’attrition désigne la tendance à la baisse du nombre de clients. Enjeu majeur
pour la banque des particuliers, il mesure non seulement la fidélité et la satisfaction
des clients, mais aussi la pérennité de l’activité. La prévention de cette attrition, appelée
« churn marketing », pourrait s’appuyer sur le pilotage du risque en agence bancaire.

Murielle

L
Michon
’analyse du client via les données risque exigées vs être alerté d’une opportunité commerciale. Ainsi, le
Mastère Spécialisé par les instances réglementaires pourrait être un risque et le marketing deviennent complémentaires.
Senior Management outil pertinent pour le marketing. En analysant L’un et l’autre enrichissent l’expérience client, élément
Bancaire, Promotion
le comportement clients dans la durée, les don- majeur dans le choix d’un réseau bancaire.
2018-2019
nées deviennent prédictives de la relation du client avec
CFPB École sa banque et permettent d’affiner la stratégie commer- LES ENJEUX LIÉS À L’OUVERTURE
supérieure ciale. Leur utilisation permettrait de se projeter sur un DU COMPTE COURANT
de  la banque
événement futur à forte probabilité de réalisation, pou- L’environnement bancaire est en pleine mutation. La
ESSEC Business vant non seulement être source d’actions commerciales digitalisation, la réglementation impactent fortement la
School pour la banque, mais aussi créer des alertes pour le client rentabilité des grandes banques universelles en favori-
en amont d’un risque ou d’une opportunité, liés à une sant l’arrivée de nouveaux concurrents et en édictant de
modification de son environnement. nouvelles normes prudentielles. Au sein de cet écosys-
Le pilotage de ces données prédictives pourrait optimiser tème, la capacité d’attraction de nouveaux clients n’est
le diptyque risque-rentabilité, tant pour la banque que pas identique d’une banque à l’autre. Les banques tra-
pour le client : côté banque, se prémunir de la fermeture ditionnelles se caractérisent par une faiblesse d’attrac-
de comptes vs améliorer la profitabilité d’un compte ; côté tion alors que les nouveaux acteurs attirent la clientèle
client, être alerté du coût d’un comportement bancaire via des offres promotionnelles très avantageuses. Les
nouveaux acteurs souhaitent asseoir leur croissance
sur des ouvertures de compte en proposant une offre
Méthodologie courte, simple, lisible, gratuite, sans agence et sans
conseiller dédié. Les banques en ligne et les néo-banques
Pour conduire cette étude, des observations d’entretiens clients ont été effectuées représentent aujourd’hui plus de 22 % des ouvertures
dans plusieurs agences bancaires de la même enseigne. En complément à ces obser- de compte, les situant au global en première position
vations ont été réalisées soixante interviews de clients, de conseillers et de mana- devant le Crédit Agricole[1]. Plusieurs acteurs évoluent
gers. L’étude qualitative s’est conclue par l’organisation de deux ateliers de design
négativement par rapport à 2016 : La Banque Postale, les
thinking.
Caisses d’Épargne et la Société générale. C’est un défi
Parallèlement à cette collecte de données terrain, une recherche documentaire a été
majeur pour les banques de détail qui sont confrontées
effectuée pour s’enrichir de réflexions sur le risque, l’expérience client, les motivations
des collaborateurs et pour mieux appréhender le marché des comptes courants.
[1] Source : Direction Études et Veille, La Banque Postale.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 45


L’EXPÉRIENCE CLIENT

« Un des points de vigilance bancaire fait l’objet de nombreuses études aux calculs de
plus en plus sophistiqués intégrant la probabilité de l’oc-
est la qualité des données saisies currence d’un événement. Un des points de vigilance est
dans le système d’information la qualité des données saisies dans le système d’informa-
tion qui nourrissent les algorithmes conçus par les Data
qui nourrissent les algorithmes Scientists. Selon la précision et la véracité des informations
conçus par les Data Scientists. » collectées, le calcul de la probabilité de défaut sera proche
de la réalité et de la situation financière du client. Du fait
de cet enjeu de la qualité de la donnée, le niveau de risque
est non seulement de la responsabilité de la direction des
à la remise en cause du modèle relationnel traditionnel risques, mais aussi de celle des directeurs opérationnels.
basé sur l’ouverture des comptes en agence. L’ouverture Chacun à son niveau doit avoir conscience des risques
des comptes courants dans la banque de détail est fon- engendrés par son activité. La connaissance client lors
damentale pour la pérennité de son activité. Le compte de l’ouverture d’un compte et le respect du KYC imposé
courant est à la base de l’entrée en relation et définit la par la 4e directive européenne sont les fondamentaux du
notion de banque principale. Il est pourvoyeur de PNB début de toute relation commerciale.
via les commissions, la souscription de produits ban-
caires complémentaires, et tous les autres événements UNE NOUVELLE APPROCHE COMMERCIALE
de la vie d’un compte. Mais il est aussi porteur de risque. Concernant la vente de produits, le marketing mix tradi-
tionnel se définit par 4 P : le Prix, le Produit, la Publicité
GESTION DU RISQUE ET QUALITÉ et la Place (le mode de distribution). Dans le milieu ban-
DES DONNÉES caire, ce mix est peu différenciant : le prix et le produit
Le Comité de Bâle définit le risque bancaire comme l’as- sont quasi identiques d’une marque à l’autre, la publicité
sociation de deux éléments : un aléa et une perte poten- est réglementée et le mode de distribution reste l’agence
tielle. C’est cette perte potentielle qui constitue tout l’enjeu ou internet. Avec le mix des services, Xavier Pavie[2] men-
du risque. Les différentes réglementations prudentielles tionne l’ajout de trois nouveaux P : le Process, le Person-
Bâle I, II, III, ont renforcé le pilotage des risques au fil des nel et les Preuves matérielles (preuves que la promesse
crises systémiques qui ont jalonné l’histoire du système a été tenue). Le personnel et le physical evidence (preuves
bancaire international. Elles imposent aux banques une matérielles) sont primordiaux pour un service réussi,
gestion très pointue de leurs risques en leur demandant pour qu’il puisse se passer au bon moment et au bon
de les identifier, de les quantifier, de les piloter et de les endroit avec la bonne personne. La servicisation est le
couvrir avec un niveau de provisions suffisant pour garan- concept le plus adapté pour définir au mieux le marketing
tir la solvabilité de leurs établissements. Avec l’évolution contemporain des services, et donc celui de la banque.
des statistiques et la complexité de l’économie, le risque Ce néologisme indique le passage de la fourniture d’un
produit à une logique de prestation de services.
Cela pourrait être un nouveau moteur de croissance, en
1. LA PYRAMIDE DE GARTNER proposant de répondre aux attentes des clients par la créa-
tion de services autour du produit et par la personnalisa-
tion de la relation. Au-delà du produit qu’est une ouver-
ture de compte courant, le client souhaite rencontrer une
personne compétente et disponible avec laquelle il peut
échanger sur le financement de projets, sur le risque d’une
Make me
better, safer, or situation ou d’une opération. Un client choisit son ban-
more powerful. quier selon l’expérience vécue lors d’entretiens de vente
Provide what I need réguliers renforçant la confiance et l’envie de continuer
without me asking. dans le temps la relation établie lors du premier rendez-
Resolve my needs vous, le besoin ultime du client étant « Make me better, safer
when I ask. or more powerful : Rendez-moi meilleur, plus sûr ou plus puissant ».
Solve your problem when I ask. Sous forme de pyramide, le cabinet Gartner propose cinq
phases dans les attentes des clients, de la plus primaire,
Furnish information I can use.

Source : Gartner, 2018. [2] Professeur à l’ESSEC Business School, directeur du centre i-Magination,
chercheur associé à l’Institut de recherches philosophiques.

46 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


« se renseigner », à la plus sophistiquée, « se réaliser » (voir
Schéma 1). Ce besoin client de vivre une expérience réus-
« La servicisation est le concept
sie demande des compétences holistiques, pour aborder le plus adapté pour définir au mieux
le client dans sa globalité. Elle est fondamentalement liée
aux comportements des collaborateurs.
le marketing contemporain des services,
et donc celui de la banque.
L’EXPÉRIENCE CLIENT À L’OUVERTURE
D’UN COMPTE COURANT
Ce néologisme indique le passage de
Lors des interviews, les clients nous ont appris que la fourniture d’un produit à une logique
l’offre des néo-banques ne répond que partiellement à
leurs besoins bancaires car ils souhaitent connaître leur
de prestation de services. »
banquier intuitu personae. Les clients qui ont clôturé leurs
comptes nous ont fait part de leur mécontentement lié au tifier son comportement avant la décision de fermer
manque de contact avec leur conseiller ou l’impossibilité son compte. Dix-huit mois avant de partir, les clients
de le joindre rapidement. Ils ont regretté une absence de détiennent en moyenne 3,3 produits, environ 2,5 pro-
suivi de leurs dossiers dans le temps et le manque d’effi- duits à M-2, et 2 produits à M-1. Nous avons noté que le
cacité dans la résolution de leurs problèmes quotidiens. compte courant est le dernier produit que l’on clôture,
Parallèlement, les managers identifient régulièrement ce avec 90 % des clients partis qui le détiennent encore un
manque de qualité. Les conseillers financiers indiquent mois avant de partir. Ces données de déséquipement
ne pas disposer de temps suffisant pour assurer le suivi progressif sont des données prédictives d’un départ
de leurs clients. Ces difficultés peuvent générer un cer- définitif. Elles nous enseignent les tendances lourdes
tain malaise chez des collaborateurs, fragilisant leur dans le comportement client, qui pourraient être utilisées
motivation. Le professeur de psychologie Victor Vroom comme signaux alerteurs. En identifiant les données clés
écrit en 1964 que la motivation d’un individu est liée à prédictives du comportement client et en sécurisant les
trois facteurs (voir Schéma 2) : l’expectation, l’instru- moments clés de la vie d’un client, le conseiller affinerait
mentalité et la valence. Il lie la motivation aux attentes son analyse et lui proposerait un service plus pertinent et
(la valence) et à la capacité à les réaliser (expectation et donc plus convaincant. Le client serait alors plus enclin
instrumentalité). Lors de l’accueil d’un nouveau client
souhaitant ouvrir un compte courant, peut-on consi- 2. LA THÉORIE DE VIE DE VROOM
dérer aujourd’hui que le conseiller bancaire est motivé
Théorie V.I.E. de Victor Vroom
pour maximiser l’expérience client ? A-t-il les moyens
de le faire (l’instrumentalité) ? S’en sent-il capable (l’ex- Expectation Instrumentalité Valence
pectation) ? Que va-t-il obtenir pour sa performance Quelles sont Que vais-je obtenir Quelle valeur
mes chances
X X
(la valence) ? Est-il managé dans ce sens ? L’absence de par ma performance ? accorder aux avantages
de réussite ?
cohérence entre ces facteurs est préjudiciable au main- obtenus ?
tien d’une bonne qualité de l’expérience client, élément
fondamental des attentes de la clientèle bancaire. C’est Niveau de motivation
bien la relation basée sur des compétences cognitives
qui va être l’élément différenciant. Les cahiers de l'innovation par Jean-Pierre Leac, avril 2015.
3. DESIGN THINKING
IDENTIFIER LES DONNÉES PRÉDICTIVES Learning about Brainstorming Returning to your original
Les observations in situ du design thinking nous ont apporté the audience for whom and coming up user group and testing
un éclairage sur la relation client/conseiller. Cela nous a you are designing with creative solutions your ideas for feedback
permis, par des itérations successives, de proposer une
nouvelle réflexion conduite au sein d’ateliers pluridis-
ciplinaires. Cette méthode appelle à l’intelligence col- EMPATHY DEFINE IDEATE PROTOTYPE TEST
lective et remet l’humain au centre des observations et
des décisions. Elle est au service de l’innovation, incré-
mentale, typique au secteur des services. Redefining and focusing Building a representation
En complément à ces observations qualitatives, une your question based on your of one or more of your ideas
étude des données a analysé le processus de fermeture insights from the empathy stage to show to others
des comptes. En étudiant le moment à partir duquel le Source : Les cahiers de l'innovation par Jean-Pierre Leac, avril 2015.
client commence à se déséquiper, il est possible d’iden-

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 47


L’EXPÉRIENCE CLIENT

Bibliographie à conserver ses comptes bancaires et à recommander


la qualité des services bancaires auprès de prescrip-
teurs. Cette nouvelle approche, que nous appelons le
M. Aldana, « Le guide ultime pour organiser marketing du risque, garantirait une expérience client
un atelier de design thinking » : http://www.klap.io/ originale et différenciante vis-à-vis des concurrents. Il
comment-organiser-un-atelier-de-design-thinking/. donnerait aux conseillers bancaires (people) des outils
P. Bernard, « Gartner : la pyramide de l’expérience client ». (physical evidence) pour améliorer les services autour du
Consulté le 16 février 2019. http://cestpasmonidee.blogspot. compte courant, grâce à une approche centralisée sur
com/2018/08/gartner-la-pyramide-de-lexperience.html.

J. Bet, A. Di Marzo et T. Quesnel, « Banque de détail :


un double enjeu de pilotage actif et sélectif de l’attrition et de

« Ces données de
l’acquisition », 31 mars 2015, Revue Banque n° 784 : http://
www.revue-banque.fr/banque-detail-assurance/article/

déséquipement progressif
banque-detail-un-double-enjeu-pilotage-actif-selec.

sont des données prédictives


D. Cuny, « Un Français sur 4 prêt à changer de banque
dans l’année  », La Tribune, consulté le 22 décembre 2018.
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-
finance/un-francais-sur-4-pret-a-changer-de-banque-dans- d’un départ définitif.
l-annee-767955.html.
Elles nous enseignent
P. Dessertine, J.-B. Mateu et Le cercle Turgot, Les Banques
face à leur avenir proche : les banques, miroirs d’un nouveau les tendances lourdes
monde, Eyrolles, 2018 : http://bibliotheque.revue-banque.fr/
catalog/book/docid/88856485. dans le comportement client,
F. Douetteau, « Churn marketing : prédire et gérer l'attrition qui pourraient être utilisées
ou la perte de clients », Marketing Professionnel e-magazine
(blog), 17 mai 2017 : http://www.marketing-professionnel.fr/ comme signaux alerteurs. »
tribune-libre/churn-marketing-predire-gerer-attrition-perte-
clients-201705.html.

G. Du Toit et M. Burns, « Evolving the Customer Experience


in Banking  », Bain, 20 novembre 2017 : https://www.bain. la gestion du risque (connaissance clients, rendez-vous
com/insights/evolving-the-customer-experience-in-banking/. réguliers, alertes, décisions, etc.).
Jérôme Lecœur, « Le Design thinking : une méthode Ces exigences d’un suivi prédictif nécessitent, pour la
au service de l’innovation », NovoLaB (blog), 9 mars 2017 : mise en œuvre opérationnelle, un management différent
http ://www.novolab.info/design-thinking-methode-innover/. et de nouveaux outils de pilotage. Les groupes pluridis-
C. Kharoubi et P. Thomas, Analyse du risque de crédit ciplinaires ont émis l’hypothèse d’intégrer des indica-
– Banque & Marchés, RB édition, 2e éd. 2016. teurs permettant d’évaluer et de suivre les résultats qua-
litatifs de l’expérience client dans les plans d’actions
KPMG et AFRC, Étude « Les champions français
de l’expérience client ». commerciaux, dans les objectifs des agences et dans
les modes de rémunération des conseillers bancaires.
B. Meyronin, Manager l’innovation par le service : un levier Le marketing du risque assurerait ainsi une symétrie
pour sortir de la crise, Presses universitaires de Grenoble,
2012.
entre les attentes des clients, les valeurs de l’entreprise
et les motivations des conseillers.
B. Meyronin et C. Ditandy, Du management au marketing des La suite de cette étude nécessiterait d’approfondir les
services : améliorer la relation client, développer une véritable études qualitatives et de concevoir un prototype dans
culture de service, Dunod, 2011.
la continuité de la méthode du design thinking. Décloi-
X. Pavie, L’Innovation à l’épreuve de la philosophie : sonner les différents services d’une banque grâce à une
le choix d’un avenir humainement durable ?, PUF, 2018. approche basée sur la donnée prédictive serait la solu-
M. Thévenet, Manager en temps de crise, Eyrolles, 2009. tion pour favoriser l’expérience client et ainsi se doter
d’outils performants pour contrer le churn, l’attrition
V.H. Vroom et E.L. Deci, Management and Motivations, des portefeuilles, via une collaboration étroite entre le
Penguin Books, 1970.
risque et le marketing. n

48 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Une agence bancaire humaine et digitale

Le triple choc pour


un design organisationnel
agile de l’agence
Richard
Rodrigues La digitalisation de l’activité bancaire semble impliquer une réduction
Mastère Spécialisé inéluctable du nombre d’agences. Elles doivent alors repenser en profondeur
Senior Management
Bancaire, Promotion leur organisation… ou disparaître. Quelle stratégie mettre en place
2018-2019
CFPB École
pour renforcer l’agilité du design organisationnel des agences bancaires ?
supérieure
de la banque
Les agences physiques des banques de détail se trouvent notamment à cause de l’usage des outils digitaux et
ESSEC Business à un moment important de leur histoire ; les évolutions d’un niveau d’attente plus élevé de la part des clients.
School
macroéconomiques, technologiques, marketing et Cette transformation de la relation client nécessite de
Directeur de groupe sociétales obligent à repenser le modèle des agences. repenser le management de l’agence, en s’orientant vers
d’agences Il faut parvenir à concevoir un design organisationnel davantage d’horizontalité et de dématérialisation. Un
LCL plus agile face à un parcours client plus complexe, modèle d’agence bancaire plus agile passe aussi par

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 49


L’EXPÉRIENCE CLIENT

1. L’AGENCE COMME CHEF D’ORCHESTRE DU PARCOURS CLIENT La mise en place de ce nouveau design organisationnel
de l’agence passe donc par un triple choc : choc des
Avant la visite en agence structures, choc des métiers, choc du management[3].

Banque en ligne LE CHOC DES STRUCTURES :


UNE AGENCE AFFINITAIRE
Divers L’idée d’agence d’affinitaire consiste à transformer
Autres banques Clients hétérogènes
outils digitaux l’agence bancaire en un endroit structurant du lieu de
et attrition forte
vie qui participe à la cohésion d’une communauté locale
et autour duquel tout le monde peut se retrouver. De ce
Pendant la visite en agence point de vue, l’agence affinitaire peut se comparer à une
épicerie ou au bar-tabac qui anime la vie d’un quartier.
Digital en agence Proximité physique Confort en agence Cette approche permet également de réaffirmer la cen-
tralité de l’agence.
Une « banque affinitaire » se démarque alors par ce qui
Management Conseiller comme
horizontal GRH digitalisée ne se vend pas. Elle développe ainsi une stratégie axée
ambassadeur
de la marque sur le client et non sur le produit. Au-delà de leur cœur
de métier, les conseillers pourraient être amenés à assu-
rer des services dits « de proximité » pour les habitants
Après la visite en agence du quartier : dépôt des colis, renouvellement d’abonne-
ment de transport, etc. Le développement d’une « banque
Clients fidélisés et expérience positive affinitaire » peut aussi se traduire par une modulation
des horaires des agences en fonction des modes de vie
locaux et du rythme de l’activité du territoire.
Activité sur site de la banque Retour en agence
L’agence affinitaire se singularise également par une
autre gestion de son espace, pour se transformer en
Physique Digital un lieu multiservice pour les habitants des alentours.
L’idée consiste notamment à en faire des tiers lieux.
L’offre pourrait ainsi intéresser les micro-entrepreneurs
libéraux travaillant à domicile et souvent en quête d’un
espace de co-working, dans des villes où les espaces de
travail de qualité demeurent difficiles d’accès.
un espace physique repensé avec un marketing expé-
rientiel et sensoriel basé sur l’idée d’urbanité, c’est-à- LE CHOC DES MÉTIERS :
dire une forme de proximité renouvelée avec le client. UNE AUTONOMIE DES PERSONNELS
L’objectif consiste alors à faire de l’agence un « chef Le fonctionnement des agences bancaires doit reposer
d’orchestre » de l’intégralité du parcours client, c’est- sur une approche souple et plus locale dans la gestion
à-dire avant, pendant et après la visite en agence, par des ressources humaines.
une alliance du physique et du digital, donc par du Pour différentes raisons[4], les particularités du design
« phygital » (voir Schéma 1)[1]. organisationnel des agences tendent à freiner la montée
L’amélioration du design organisationnel passe aussi en compétences des managers de proximité. Tout d’abord,
par un autre positionnement de l’agence au sein du le nombre de strates hiérarchiques ne leur permettent
réseau de la banque. Il s’agit d’avoir une approche pas de travailler en équipe, compétence première pour
« glocale[2] » : d’un côté, le développement de l’agence les managers de proximité. Ensuite, ces derniers souffrent
se trouve en cohérence avec les priorités stratégiques d’une mauvaise mobilité professionnelle interne. Enfin, il
de la banque au niveau global, national ou internatio- existe un décalage de profils. Les managers de proximité ont
nal ; de l'autre côté, l’agence ne doit pas apparaître des profils techniques ou de contrôle, alors que le mana-
comme hors-sol pour répondre au mieux aux spécifi- gement intermédiaire nécessite plutôt des compétences
cités locales des besoins de la clientèle. communicationnelles et organisationnelles.

[1] Patricia Rossi et Nina Krey (2017), Marketing Transformation: Marketing Practice [3] Michel Mathieu (2014), Nouvelles banques – Les banques ne seront plus jamais
in an Ever Changing World, Springer. les mêmes, Éd. Débats publics.
[2] Jacques Lendrevie et Julien Lévy (2014), Mercator, Dunod. [4] Bernard Roman et Alain Tchibozo (2017), Transformer la banque, Dunod.

50 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Dans une agence avec un design organisationnel repensé, 2. REPENSER L’AGENCE BANCAIRE
le management intermédiaire assure l’interface directe entre
la direction générale et les acteurs du terrain. Il est le lien
fonctionnel et géographique entre la logique de réseau Choc des structures
bancaire nationale et celle de la relation client basée Une agence affinitaire intégrée à la vie du territoire
sur une proximité locale. Cela implique une meilleure
formation ou information des managers intermédiaires Une agence comme tiers lieu multiservice
pour pouvoir adopter un tel positionnement. Cet effort
Une agence comme chef d’orchestre du parcours client omnicanal
concerne aussi les conseillers. En effet, aujourd’hui les
conseillers commerciaux sont des « généralistes » ; l’idée
est d’en faire des spécialistes pour qu’ils remplissent
pleinement leur rôle d’« ambassadeurs de la marque ».
Une gestion des ressources humaines plus localisée per- Choc des métiers Choc de management
mettrait de mettre un terme à la logique de cooptation L’agence comme
Un manager intermédiaire
qui prévaut actuellement et favoriserait une diversité renforcé plateforme de participation
de profils plus en adéquation avec les réalités locales.
Des initiatives managériales
Il serait également nécessaire de renforcer les compé- Une GRH plus localisée
horizontales favorisant
tences digitales au niveau régional ou inférieur pour l’innovation
Une expertise digitale
accompagner les conseillers et les autres collaborateurs en agence Une expérience collaborateur
dans l’appropriation du digital et pour choisir les outils plus axée sur les valeurs
adaptés à la réalité locale de l’agence. Puisque la banque et l’engagement
devient réceptrice et productrice de données, les ser-
vices d’un Data Scientist semblent également impérieux.

LE CHOC DE MANAGEMENT : La réussite de ce type d’initiative nécessite préalable-


LE DÉCLOISONNEMENT HIÉRARCHIQUE ment une expérience collaborateur de qualité au sein
Un design organisationnel de l’agence reposant sur un des agences bancaires. Il faut ainsi avoir une adhésion
management plus vertical et sur une certaine autonomie forte et sincère du collaborateur aux valeurs de l’agence
d’action et d’initiative locales implique une évolution sur laquelle repose la culture d’entreprise. En d’autres
vers une logique de plateforme de participation. termes, la personnalité du collaborateur doit correspondre
Pour une agence bancaire, cela peut prendre la forme à l’ADN de la marque. Sans cela, il est difficile d’avoir un
d’une plateforme participative « open innovation » à des- fonctionnement participatif, collaboratif et horizontal,
tination des clients prospects et collaborateurs sur tous lequel nécessite un fort engagement du collaborateur.
les sujets de l’entreprise, par exemple l’amélioration des
services ou l’élaboration de nouveaux produits. Ainsi, EN PERSPECTIVE
il semble possible de s’inspirer de l’entreprise Engie Il n’existe pas de fatalité à fermer les agences des banques
qui a créé une plateforme ouverte à tous, sur laquelle de détail. Le design organisationnel de l’agence de demain
il est possible de déposer un projet dans cinq grands s’appuie sur le digital, mais repose davantage sur la rela-
domaines sélectionnés qui feront l’objet d’une mise en tion humaine et sur la capacité des individus à changer
œuvre par la suite. L’agence ne devient plus seulement et à s’adapter, et surtout à être en interaction avec leur
le lieu où le client écoute les propositions du conseil- environnement (voir Schéma 2). Ainsi, le modèle de la
ler, mais également celui où ce dernier intègre les pro- banque de détail s’oriente vers celui d’une agence qui
positions du client. valorise davantage le client, l’expertise que les caracté-
Le choc de management des agences bancaires passe aussi ristiques d’un produit ou d’un service. L’agence bancaire
par des modes de prise de décision plus flexibles, plus de demain devient plus inclusive en intégrant davantage
horizontaux et favorisant les idées innovantes. Différents les collaborateurs sur le terrain et les avis des clients.
dispositifs (design thinking, Scrum, challenges innovations, Il s’agit d’une certaine façon de proposer une banque
cercle de qualité…) déjà mis en place dans des entreprises de l’après-crise de 2008, crise qui a rendu le client plus
innovantes peuvent servir d’exemples. En général, il s’agit exigeant et plus méfiant ; à savoir une banque 100 %
de petites équipes de quatre à cinq personnes qui font des digitale, 100 % humaine[5]. n
brainstormings réguliers, plus ou moins encadrés, pour
améliorer le fonctionnement interne de l’entreprise et/ou
proposer des produits innovants. [5] Michel Mathieu (2014), Nouvelles banques…, préc.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 51


L’EXPÉRIENCE CLIENT

Conformité

Les réglementations au profit


de l’activité commerciale
de la banque de détail
Ces dernières années, en raison d’un fort accroissement des textes réglementaires
et des sanctions financières qui en ont découlé, les banques ont été fortement impactées par
l’activité de conformité. La situation étant dorénavant plus stable, tout l’enjeu consiste à intégrer
ces directives réglementaires tout en favorisant le développement de l’activité commerciale.

El Abidine

D
Amrane epuis la crise financière de 2008, de nombreuses certaines ont davantage marqué le paysage bancaire.
Mastère Spécialisé réglementations ont fait leur apparition pour On retiendra la digitalisation favorisée par l’apparition
Senior Management assurer et renforcer la stabilité des marchés d’Internet, la technologie Blockchain et sa cryptomon-
Bancaire, Promotion
financiers. Afin de respecter ces nouvelles règles, naie, les API (Application Programming Interface) fortement
2018-2019
les autorités de contrôle, représentées notamment par utilisées par les FinTechs, ou bien encore l’intelligence
CFPB École
l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) artificielle dont aucun établissement bancaire ne sau-
supérieure
de la banque et l’AMF (Autorité des marchés financiers), ont infligé rait désormais se passer.
de multiples sanctions financières. Face à ce renforce- Ces évolutions technologiques ont donc bousculé
ESSEC Business
School ment réglementaire, les banques se sont réorganisées les habitudes des banques mais également celles des
et chaque collaborateur a dû être mis à contribution. La consommateurs. Ces derniers font désormais preuve
fonction conformité a ainsi pris une place centrale dans de plus d’autonomie et d’exigence à l’égard des éta-
un environnement économique difficile où les priori- blissements financiers. Ils n’hésitent plus à les quitter
tés étaient orientées vers le développement de l’activité au profit de banques en lignes et néo-banques qui pré-
commerciale. sentent des modèles de consommation plus adaptés et
des tarifs préférentiels. Un phénomène accentué par les
UN ENVIRONNEMENT EN PROFONDE réseaux sociaux devenus influents dans le monde de la
ET PERPÉTUELLE MUTATION consommation et qui n’ont pas épargné les banques.
Au lendemain de la crise, le modèle des banques dont Ces nouvelles réglementations se sont donc révélées de
la pérennité n’avait jamais été ébranlée jusqu’ici, était leur côté menaçantes puisqu’elles pouvaient conduire à
remis en cause. Les politiques prenaient le sujet en main des sanctions financières, à la cessation d’activité voire
avec la création de nouvelles normes internationales et à des sanctions pénales. Elles ont ainsi conditionné
européennes. Les banques qui se considéraient intou- l’activité de la banque de détail et celle de ses collabo-
chables furent bien surprises de se voir ainsi sanction- rateurs. Parmi celles qui furent le plus contraignantes,
nées. Face à une position des autorités de contrôle très on retrouve la directive européenne concernant la lutte
claire, elles ont été contraintes d’investir, de s’organiser contre le blanchiment et le financement de terrorisme,
et de structurer leur activité de conformité. FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) ou bien encore
Ce travail a été réalisé dans un contexte de transforma- l’AEOI (Automatic Exchange Of Information). Ces dernières
tion technologique sans précédent. Parmi toutes ces ont notamment incité les banques à avoir une meilleure
évolutions technologiques qui ont touché la société, connaissance de la situation de leurs clients ainsi qu’une

52 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


surveillance rapprochée de leurs opérations. Cela repré- 1. LES CONTRÔLES DANS LES ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES
sente une masse de travail conséquente lorsqu’on sait
qu’il faut compter 555 agences pour 1 million d’habi- Conseil d’administration
tants et que 22 milliards d’opérations de paiement ont Direction générale

Fonction indépendante
été réalisées en 2017[1].

Contrôle périodique
Pour faire face à ces nouvelles obligations, les établisse-
ments bancaires se sont dotés de moyens humains plus Audit
conséquents. Tandis que les équipes étaient en train de interne
se constituer, il fallait trouver une nouvelle organisa-
Contrôles
tion. La tendance générale dans les entreprises voulait de 3e niveau
que les contrôles permanents de premier niveau soient
• Piloter le contrôle
assurés par les conseillers et managers en agence. Les
Fonctions dédiées
interne
fonctions dédiées à la conformité venant alors en relais • Analyser l’exposition Conformité • Appliquer la politique
aux risques ; Contrôle interne
pour contrôler les incidents déclarés par le réseau (voir de gestion des risques
Contrôle permanent

• Préconiser
validée par le Conseil
Schéma 1). des plans
d’administration
d’amélioration Contrôles
de 2e niveau
MÉTHODES ET REGARDS CROISÉS DES ACTEURS
• Analyser • Définir et sensibiliser
Directeurs et pilotes de processus
L’activité de conformité devenant l’affaire de tous, il les plans les acteurs ;
(Juridique, SI, conformité, finance,
a fallu alors s’interroger sur les moyens utilisés pour d’amélioration qualité, risques, correspondants • Piloter la mise
la mettre en application et sur la façon dont elle était du contrôle interne contrôle interne) en place
opérationnelle
pratiquée au quotidien. Parmi les corps de métiers les • Déclarer Managers et opérationnels de la banque des plans
les incidents d’amélioration
plus impactés, trois d’entre eux nous ont fait part de • Évaluer Contrôles
de 1er niveau
leurs ressentis : les risques Mettre en oeuvre
les plans
– les conseillers commerciaux considèrent la confor- d’amélioration
mité comme une activité contraignante avec des outils et
des procédures non adaptés conduisant à une mauvaise
approche du client et une détérioration de leur relation ;
– les chargés de conformité indiquent avoir des difficul- l’idée est de pouvoir aboutir à la livraison d’un projet
tés à stabiliser une activité, lesquels tirent leurs sources qui soit le plus en adéquation avec les besoins des uti-
de réglementations évoluant plus rapidement ; lisateurs. Une méthode qui reste néanmoins difficile à
– enfin, les chefs de projet rencontre des difficultés à mettre en place en raison du manque de disponibilité
maîtriser les projets de conformité, bien souvent trai- des participants qui occupent d’autres fonctions en
tés séparément par les services opérationnels, ce qui ne parallèle. Selon Tim Brown, « le design thinking per-
permet pas d’homogénéiser les procédures et de maî- met de bâtir des idées à fort contenu émotionnel tout en demeu-
triser les évolutions réglementaires. rant fonctionnelles  »[2]. Ce ne sont pas les émotions qui
De leur côté, les clients ont le sentiment de devoir s’ex- manquent dans un environnement devenu compliqué.
pliquer davantage quant à l’utilisation de leurs comptes. Il devient alors important pour les banques de mobi-
Pour eux, les banques donnent l’impression de réaliser liser l’ensemble de leurs acteurs autour d’un objectif
des démarches personnelles sous couvert de la législa- commun, même si les intérêts personnels peuvent
tion. De plus, ils considèrent que les procédures ban- rendre la tâche compliquée.
caires sont lourdes et désorganisées. Ils déplorent par En réalité, tous les organismes financiers subissent
exemple le fait d’adresser à plusieurs reprises des justifi- de façon quasi similaire cette recrudescence de la
catifs voire de les communiquer simplement. Pour eux, réglementation. Il n’y a pas de réelle distinction dans
certaines institutions comme les banques et les finances le choix des stratégies adoptées. La compétition est
publiques pourraient échanger directement entre elles. essentiellement menée sur le front de la technologie,
Afin d’essayer de répondre à ces problématiques, les plus particulièrement celui de l’intelligence artificielle,
banques se sont orientées vers de nouvelles méthodes avec certaines entreprises plus ou moins avancées sur
de travaux tels que la méthode Agile et le design thin- le sujet. Leurs objectifs communs étant d’optimiser leur
king. La méthode Agile veut que l’on s’appuie davan- efficacité opérationnelle et de diminuer leurs coûts.
tage sur les personnes provenant de domaines variés. En attendant, les autorités de contrôle continuent d’af-
Sur la base d’un développement itératif et incrémental, ficher leurs priorités chaque année. L’ACPR sera parti-

[1] Source : Fédération bancaire française. [2] T. Brown (2010), L’Esprit Design, Pearson France.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 53


L’EXPÉRIENCE CLIENT

2. CRÉER UN ESPACE COLLABORATIF DIGITAL Aussi, le RGPD (Règlement général sur la protection
des données) assure de belles promesses pour faciliter
le développement de l’activité commerciale. Il contraint
Espace les organismes à structurer les données recueillies auprès
fidélisation Espace
collaboratif des clients permettant ainsi un meilleur traitement opé-
d’échange rationnel. Cette nouvelle réglementation permet égale-
avec le conseiller
ment avec l’accord du client, le transfert des données
entre différents organismes. C’est une réelle opportunité
pour les banques de mieux identifier le comportement
de leurs clients et de mener des actions commerciales
à forte valeur ajoutée.
Espace
Espace avec Les enjeux d’appropriation de la réglementation par les
personnel
des offres banques peuvent finalement être regroupés en quatre
de dépôt
commerciales
des documents parties. La connaissance du client permise par des outils
personnalisées
privés
performants permettant le recueil d’informations, l’ana-
Espace Espace
lyse des comportements et la détermination de profils.
commercial client Un modèle de distribution utilisant tous les canaux de
distributions possibles sur la base d’un référentiel client
commun où toutes les informations et les actions seraient
annexées. Un parcours client davantage, voir intégrale-
ment, dématérialisé. Un modèle de relation plus digitalisé
culièrement attentive aux risques de crédits en raison mais qui doit permettre de maintenir le contact humain.
d’une évolution du taux de créances douteuses, ainsi La création d’un espace collaboratif digital (voir Schéma 2)
qu’aux risques informatiques et de cybersécurité car serait alors la solution à envisager, c’est-à-dire un outil
les banques sont plus que jamais exposées. Enfin, elle fonctionnant sur la base d’une plateforme accessible par
se concentrera sur les risques multidimensionnels que les collaborateurs de la banque et les clients depuis tout
représente par exemple le Brexit. De son côté, l’AMF objet connecté (ordinateurs, tablettes, portables…). Il
sera vigilante quant aux conseils en investissement déli- permettrait, selon le même concept qu’un réseau social,
vrés sur des produits non régulés et à la conformité de l’échange immédiat d’informations, d’offres com-
la gestion sous mandat. merciales, de documentation et de justificatifs entre le
conseiller et son client. Doté de l’intelligence artificielle,
LES PERSPECTIVES DE CHANGEMENT il conduirait à une meilleure efficacité opérationnelle de
L’une des premières solutions consisterait à faire évo- traitement des informations : lecture des documents et
luer la méthode Agile telle qu’elle est appliquée de nos enrichissements automatisés de la base de données.
jours. Bien qu’utilisée par la majorité des établissements Toujours grâce à cette technologie, le conseiller aurait
bancaires, aucun ne présente réellement un programme une meilleure connaissance des attentes de son client
axé sur les conditions de l’utilisateur (élément fonda- (analyse des comportements en lien avec la gestion des
mental de cette méthode). Il s’agirait ainsi de proposer données). Il permettrait également aux personnes de
un programme incluant de vraies méthodes de détec- mieux consommer la banque (transmission d’offres et
tion des individus, permettant un management matriciel, de documentations ciblées).
des objectifs réadaptés et une rémunération adéquate.
La qualité d’intervention des participants serait amélio- TRAVAIL COLLABORATIF ET INTELLIGENCE
rée et les projets délivrés de bonne facture. COLLECTIVE
La réussite de l’appropriation des réglementations au Les appréhensions à l’égard de ces nouvelles réglemen-
profit de l’activité commerciale réside également dans tations sont différentes mais toute résistance serait inu-
l’intervention du Compliance Officer. Longtemps, les tile. L’impact est trop fort pour être maîtrisé avec les
banques ont choisi d’être le plus en adéquation possible outils dont disposent actuellement les banques. Sur la
aux dépens des intérêts du client. Étant désormais en base d’un travail collaboratif, il faudra s’adapter très
ordre de marche, elles doivent intégrer dans leurs pro- rapidement tout en préservant l’intérêt du client. La
positions commerciales, des démarches de conformité quête d’innovations permise par l’intelligence collective
fluides et transparentes pour le consommateur. C’est à devient alors primordiale. C’est dans ces conditions que
ce niveau, que l’appui apporté par le chargé de confor- certaines banques pourront se démarquer des autres et
mité jouerait un rôle crucial. ainsi développer leur activité commerciale.n

54 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Mutualisme

Le modèle des banques


coopératives, un atout
pour la clientèle ETI ?
Leader de la clientèle de particuliers, de professionnels et de PME en France,
les banques coopératives cherchent depuis quelques années à se développer
auprès de nouvelles cibles comme les ETI. Mais cette stratégie peut bouleverser
le modèle du mutualisme et l’aider à innover.

L
Axel Cathala ’« ubérisation de l’économie » et les « taux bas » du système financier français ont stimulé la concurrence.
entraineraient la chute du secteur bancaire fran- Les banques coopératives ont alors fait preuve de dyna-
CESB Mastère
Spécialisé Senior
çais selon certains analystes. Nombreux sont les misme en gagnant des parts de marché et en devenant
Management, spécialistes qui qualifient la banque de « Kodak leader de la clientèle de particuliers, de professionnels
Promotion de demain », ou encore de « la prochaine sidérurgie ». Les et de PME (petites moyennes entreprises) en France.
2018-2019 banques françaises ne disposeraient pas des atouts Elles ont aussi fortement contribué au bouleversement
CFPB École pour faire face à ce bouleversement. Revenu, organisa- du paysage bancaire français avec la reprise du Crédit
supérieure tion, métier, tout va être modifié dans un avenir proche Lyonnais par le Crédit Agricole, et du CIC par le Crédit
de la banque
pour ce secteur d’activité et peu restent optimistes sur Mutuel (Alliance Fédérale). Leur modèle a évolué et est
ESSEC Business la capacité des banques françaises à rebondir face à la aujourd’hui une réussite à la lecture de leurs rapports
School
révolution digitale et à la politique des taux d’intérêts financiers mais il leur faut désormais trouver des nou-
bas. Ce constat doit faire preuve de discernement. Il velles pistes de croissance, là où elles ne sont pas ou
est tout d’abord essentiel de distinguer la question du peu présentes. C’est notamment le cas des Entreprises
digital de celle des taux d’intérêt, la conjonction de ces de taille intermédiaire (ETI).
deux phénomènes ne veut pas dire qu’ils soient liés. Il
convient également de souligner que les métiers des BANQUES COOPÉRATIVES ET ETI :
banques sont nombreux et ne sont pas sensibles de la UNE RESSEMBLANCE QUI LES ÉLOIGNE…
même façon à l’ubérisation de l’économie. Enfin, trop Le constat est unanime, les entreprises françaises pour-
peu d’analyses distinguent les deux modèles bancaires raient exporter et innover davantage si le pays comportait
français présents sur notre territoire : les banques com- un plus grand nombre d’entreprises de taille intermé-
merciales détenues par des actionnaires et les banques diaire[1]. Les ETI recouvrent toutes les entreprises qui
coopératives détenues par des sociétaires. Une banque remplissent au moins l’un des trois critères suivants[2] :
coopérative n’est pas à la recherche de profit pour ses – le chiffre d’affaires se situe entre 50 millions et 1,5 mil-
investisseurs. Son objectif principal est de répondre aux liard d’euros ;
besoins de la communauté de sociétaires sur le long – le total du bilan se situe entre 43 millions et 2 mil-
terme. Ce modèle, souvent apprécié mais incompris et liards d’euros ;
encore méconnu, se distingue des banques commerciales. – le nombre de salariés se situe entre 250 à 4 999 salariés.
Depuis les années 1980, les banques coopératives sont
entrées dans une période de mutation liée aux évolutions [1] Le Lab de BPI, ETI Enquête 2018.
de l’environnement économique mondial. Les réformes [2] Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2034.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 55


LA BANQ UE MUTUALISTE ET COOPÉRATIVE

Ces ETI deviennent stratégiques pour la France. Leur les banques commerciales possédaient. Les banques
nombre est en croissance de 26% depuis 10 ans (voir mutualistes cherchent donc à revisiter depuis 10 ans leur
Schéma 1), signe d’une transformation du tissu éco- stratégie pour répondre aux exigences des ETI mais elles
nomique français. C’est aussi une clientèle rentable le font pour l’heure sur le modèle des grandes banques
qui consomme encore de nombreuses offres bancaires, commerciales et tombent dans « un océan rouge » où
même si le phénome de désintermédiation s’amplifie. concurrence et guerre des prix sont le quotidien. Leur
Ces entreprises sont des acteurs économiques incontour- positionnement sur cette clientèle reste secondaire et le
nables des territoires et créateurs d’emplois mais elles PNB dégagé insuffisant. Le mimétisme sur les banques
restent absentes de la clientèle des banques coopératives. commerciales doit être oublié. C’est par leur spécificité
Pourtant les banques coopératives sont également des bancaire, leur point commun avec les ETI comme leur
ETI par leur taille et des acteurs ancrés profondément taille mais aussi par les valeurs du mutualisme que les
sur leur territoire. Leurs similitudes devraient être une banques coopératives peuvent s’affirmer sur ce mar-
force, elles semblent pourtant les éloigner mais pour- ché et devenir leader. La conquête des ETI passera par
quoi ? Les valeurs du mutualisme sont-elles compatibles une coopération efficace et durable avec l’ensemble des
avec cette cible ? Certains sondages démontrent un acteurs des banques coopératives : salariés, directions,
attachement au modèle coopératif de la part des Fran- caisses régionales d’une même enseigne, filiales et ETI-
çais mais ces mêmes sondages démontrent aussi que le Sociétaires. Bien plus qu’une cible, les ETI sont un atout
modèle coopératif est incompris. Les banques coopé- stratégique pour la transformation des banques coopé-
ratives, pour beaucoup, ne font aucune différence avec ratives en favorisant leur mutation.
une banque commerciale, le titre « Mutualiste tu parles ! »
fut déjà utilisé par de nombreux auteurs pour fustiger DU MIMÉTISME AU MUTUALISME
leur comportement, plus particulièrement lors de la La solution est peut-être dans le simple fait d’expliquer
crise financière de 2008. Aujourd’hui, peu de collabo- le mutualisme car il est un modèle réactif, efficace, adap-
rateurs, dirigeants et clients-sociétaires sont sensibili- table, un modèle responsabilisant ses clients, basé sur
sés au mutualisme. Pourtant, il y a fort à parier que le la confiance plus que sur des ratios financiers, en syn-
mutualisme peut aider les établissements coopératifs à thèse : un modèle simplement fondé sur l’humain. Depuis
fidéliser les acteurs en donnant du sens à leurs actions. quelques années, les acteurs des banques coopératives se
Pour ce faire, le mutualisme doit être expliqué auprès mobilisent pour faire ressortir les valeurs du mutualisme
tous. Renouer avec ses valeurs et son organisation peut afin que ce ne soit pas uniquement un modèle inscrit dans
servir la clientèle ETI. Mais il faut également que les ses statuts. Mais une fois compris, le mutualisme doit être
banques mutualistes reviennent à leurs fondamentaux défendu, partagé puis vendu. Oui, vendre le mutualisme
en commençant par la coopération. revient à vendre ce que les autres n’ont pas. Mais vendre
ne veut pas dire simplement par les chargés d’affaires
UN ESPRIT COOPÉRATIF RETROUVÉ entreprises auprès de leurs clients ; il doit être vendu
MAIS INSUFFISANT par tous, par l’ensemble des acteurs des établissements
Le mot coopératif, provient du latin « cooperati », signi- coopératifs : salariés, directions et sociétaires. Vendre
fiant « avec » et « operari » signifiant « opérer ». Opérer
avec tous est donc inscrit dans les titres de ces établis-
1. LE MARCHÉ DES ETI EN FRANCE
sements bancaires spécifiques. Seulement faire coo-
pérer les salariés d’une même caisse régionale n’est Évolution en nombre d’ETI
pas simple, d’une même enseigne est parfois difficile
et d’un modèle hybride peut paraitre impossible. Si à 5 800
5 576
cela nous rajoutons deux autres catégories d’acteurs 5 322
4 959
qui sont les sociétaires et la direction, ce défi semble
4 510
insurmontable. Mais, bien au contraire, ce défi peut
se relever, plus encore, il s’impose dans ce contexte
économique et sociétal. Aujourd’hui, les banques coo-
pératives mutualisent leurs moyens sur des sujets pré-
cis comme l’international ou la prévention du risque.
Dans un premier temps menacé par la mondialisation,
les banques mutualistes font désormais le choix de la
coopération, et cela fonctionne. En coopérant, elles
ont rattrapé en grande partie l’avance technique que 2007 2009 2013 2016 2018

56 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB |septembre 2019


2. LE MODÈLE MUTUALISTE

Implication
Formation Communiquer
de la direction Intégrer les
Formation auprès de davantage
Cibler de la banque ETI dans la
des tous les Coopérer et autrement
les ETI coopérative démocratie
sociétaires salariés sur sur le
auprès de de la banque
le mutualisme mutualisme
cette clientèle

Objectifs attendus Objectifs Objectifs Objectifs attendus


> Sociétaires : ambassadeurs attendus attendus > Sentiment d’appartenance pour les ETI
de l’établissement > Centraliser > Simplicité > Sentiment de reconnaissance pour cette cible
> Formation des salariés pour mieux ce qui doit l’être : > Efficacité > Fidélité
servir ses clients-sociétaires mutualisation du > Rentabilité
risque, international, > Force d’innovation/anticiper l’avenir
et mieux les fidéliser
investissement > Anticiper l’avenir
dans l’offre digital
> Stopper les
conflits d’intérêt par
un organe central
neutre

une histoire en partageant ses valeurs, c’est permettre à à cette communauté démocratique aux valeurs nobles,
chacun de s’identifier et plus encore de donner les sen- utiles pour tous et respectées. Il est temps de mobiliser
timents d’appartenance et de reconnaissance auxquels l’ensemble des spécificités de ces institutions au service
toutes les théories marketing font référence (Pyramide de leur développement économique et social en mettant
de Maslow) et sur lesquels les ETI attendent les établis- en place des éléments simples fondés sur leur modèle
sements mutualistes. (voir Schéma 2).
Depuis la déréglementation du marché bancaire, le
mutualisme a suivi les évolutions de son secteur sans PARTAGER LA MÊME IDENTITÉ
les anticiper. Aujourd’hui, dans un contexte d’inno- Nous sommes à l’aube d’une profonde mutation pour
vation mondiale où les comportements et les repères le secteur bancaire. Le mutualisme possède les moyens
sont bouleversés, où l’éthique et l’image deviennent d’innover par son modèle. La cible des ETI est une prio-
plus importantes qu’un risque de contrepartie et où le rité car c’est une clientèle rentable, en forte croissance
poids réglementaire devient de plus en plus lourd, le et attachée à son territoire. Plus encore, les banques
rythme des mutations s’accélère et met en cause bon coopératives apportent un triptyque recherché par
nombre de stratégies. La conquête des ETI ne passera cette clientèle encore méconnue : empathie par leur
donc pas par un nouveau plan stratégique fondé sur la taille commune, reconnaissance par la proximité de
technologie, la taille ou encore une offre spécialisée. leur direction et sentiment d’appartenance grâce à leur
Au contraire, le mutualisme se doit de saisir cette occa- fonctionnement démocratique. Cibler les ETI force les
sion pour asseoir sa position de leader sur sa clientèle acteurs des banques coopératives à se connaître, à se
mais aussi au profit de ses non clients : les ETI. Il s’agit comprendre et à coopérer ensemble. Les ETI peuvent
bien de déployer une nouvelle stratégie fondée non bouleverser le modèle du mutualisme et l’aider à inno-
pas sur le mot banque mais bien sur le mot coopératif. ver. Les établissements mutualistes doivent désormais
Aujourd’hui tout le monde veut agir, la puissance des mobiliser toutes les parties prenantes pour être mieux
réseaux sociaux le démontre. Certes, les positions et les comprises et contribuer davantage au développement
enjeux sont très souvent différents mais l’objectif lui est des ETI de leurs territoires. Bien plus qu’un mot, le
commun : s’identifier, se reconnaître, puis appartenir mutualisme est une identité. n

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 57


LA BANQ UE MUTUALISTE ET COOPÉRATIVE

Stratégie

La banque mutualiste a-t-elle


encore un avenir ?
L’organisation décentralisée des groupes mutualistes et la proximité de leurs instances
de gouvernance avec leur territoire et leurs clients restent un atout à l’heure du digital.

S
’il est un point commun à tous les établisse- produits, de nouvelles communications. Le rôle des
ments bancaires, c’est la nécessité de créer de la administrateurs ne s’arrête pas là, ils portent les mes-
Didier valeur ajoutée. Plus il y a de valeur ajoutée, plus sages, la stratégie de la banque, ses valeurs. Les élus
Chavagnac la rentabilité est potentiellement élevée. La ren- sont facilitateurs dans l’appréhension du territoire car
tabilité est un élément incontournable afin de pouvoir imprégnés de la vie locale. Pour conserver cette force
Mastère Spécialisé
Senior Management
faire face aux obligations de renforcement des fonds et répondre aux exigences imposées par les autorités
Bancaire, Promotion propres demandés dans le cadre de la réglementation de tutelle, le rôle de la banque est de les accompagner,
2018-2019 et notamment des textes bâlois. Mais en fonction de de les former à l’environnement financier, et aux évo-
CFPB École la nature de l’établissement, l’affectation des résultats lutions réglementaires.
Supérieure sera différente : versement de dividendes pour les uns
de la banque afin d’assurer la satisfaction des actionnaires, pour les LES FACTEURS DE RÉUSSITE
ESSEC Business autres participer activement à la redistribution dans La banque doit conjuguer le meilleur de l’humain et le
School l’économie locale pour favoriser l’investissement sur meilleur du digital, le second au service du premier et
son territoire et rendre des comptes à ses sociétaires. non l’inverse. L’intelligence artificielle notamment est
un moyen pour gagner du temps sur des opérations à
LA DIFFÉRENCE D’ÊTRE MUTUALISTE faible valeur ajoutée. Les conseillers peuvent ainsi béné-
La différence d’être mutualiste se retrouve dans les ori- ficier de ce gain pour le consacrer aux projets de leurs
gines du mouvement, les pères fondateurs en sont Raif- clients et mieux les accompagner. L’excellence relation-
feisen et Schulze-Delitzsch[1]. Le principe est simple : nelle doit être au cœur des débats, car la recherche de
permettre aux personnes ne pouvant de par leur profes- la satisfaction des besoins du client est un facteur dif-
sion avoir accès au crédit à en bénéficier via l’association férenciant. En outre, dans une société en accélération
de particuliers et d’entreprises qui collectivement vont constante, les décisions doivent pouvoir se prendre au
garantir le prêt. En quelque sorte un circuit court basé plus près du terrain. L’organisation doit donc être décen-
sur des relations humaines et une bonne connaissance tralisée pour plus de réactivité. Ces facteurs sont autant
de son environnement. d’éléments nécessaires à la pérennisation du modèle de
la banque régionale de proximité.
LES ÉLUS, UNE FORCE POUR LA BANQUE Lors des dernières crises financières la banque mutua-
Chaque caisse locale a un Conseil d’administration dont liste a montré sa fiabilité. Classée régulièrement sur le
une partie des membres est élue par les clients socié- podium de la relation client, elle est reconnue et appré-
taires pour les représenter. Ils constituent une force ciée du grand public. Elle répond au besoin de proximité,
pour la banque car ils permettent d’obtenir le ressenti de dimension humaine et trouve son autonomie dans la
des clients en direct, de tester auprès d’eux de nouveaux « chaleur ajoutée » qu’elle propose a contrario par exemple
des banques en ligne. Pour autant, la banque mutualiste
[1] Hermann Schulze-Delitzsch a été le fondateur en 1850 de la première banque pour durer doit se renouveler sans cesse pour faire face
coopérative à l’origine des banques populaires. Friedrich Wilhelm Raiffeisen
a créé dans les années 1870 la Fédération de crédit de Rhénanie, ancêtre des
aux nouveaux arrivants du marché, GAFA, Pure Player
réseaux de crédit agricole. mais aussi à ses concurrents directs. n

58 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Une expérience client différenciante

La relation client bancaire


augmentée grâce
à l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) contribuera à une croissance du PIB mondial de 14 % d’ici 2030*.
Elle induit des gains de productivité et une hausse de la demande des consommateurs,
grâce à la commercialisation de services très personnalisés. L’IA propose d’aller au-delà
du prédictif et de se positionner dans une démarche prescriptive du comportement du client.
L’enjeu est dans cette évolution. Cela en fait une formidable opportunité d’amélioration
Sonia
Fauchois de la relation client pour la banque de détail.
Mastère Spécialisé
Senior Management

L
Bancaire, Promotion
2018-2019 a banque de détail est confrontée à de grandes – il est complexe, car il a un double besoin : il demande
CFPB École mutations : des taux bas qui amenuisent les marges, à être autonome sur des demandes simples et, en même
supérieure une forte pression réglementaire, la digitalisation temps, il souhaite avoir un conseiller de la relation
de la banque des relations et la concurrence de nouveaux acteurs client efficace et empathique, dans les moments clés
agiles : FinTech, GAFAMI américains et BATX chinoises[1]. qui lui sont propres.
ESSEC Business L’écosystème bancaire est positionné au centre d’une La personnalisation de la relation génère de la fidélité
School bataille des données, chaque institution cherchant à mais nécessite un équilibre entre contact humain et
recueillir les données générées par les consommateurs. contact numérique. Cet équilibre garantit une expé-
La structuration de cet immense potentiel de données rience client dynamisée, distinctive et économique-
permettra de gagner en pertinence sur les nouveaux ser- ment valorisée.
vices à proposer. La banque qui détiendra et utilisera les L’IA est de fait un outil pertinent qui s’intègre par-
données de façon hyperpertinente offrira l’expérience faitement dans les démarches phygitales : en effet,
client la plus différenciante. cette technologie renforce le lien avec le client en lui
proposant le service adéquat et prépare le « next best
LES USAGES DES CLIENTS NÉCESSITENT moment ». L’IA permet une adaptation à l’usage : le
L’UTILISATION DE L’IA bon produit au bon moment et à travers le bon canal,
Le client d’aujourd’hui trois grandes caractéristiques : la « next best action ».
– il est exigeant : il souhaite des réponses rapides et des Les opportunités sont nombreuses dans le domaine
offres de qualité ; il se renseigne avant de consommer, bancaire : pour le marketing avec l’anticipation de l’at-
notamment les avis en ligne pour les millenials (20 % de trition, pour le commercial avec le soutien à l’exper-
la population) ; tise du conseiller, pour la gestion des risques et de la
– il est engagé : il est influencé par les actions sociales conformité en repérant les signaux faibles et en amé-
et environnementales de l’entreprise, il s’intéresse au liorant l’identification du client (KYC), pour la perfor-
développement de l’économie collaborative et aux fonc- mance économique en améliorant les process internes.
tionnements en communauté ; Toutefois, les technologies n’en sont qu’à leur début,
les casques de télépathie, les chatbots vocaux autonomes,
* Source : cabinet [1] GAFAMI (originaires des États-Unis) : Google, Apple, Facebook, Amazon,
les objets connectés prêts à prendre des rendez-vous,
d’audit PwC 2018. Microsoft et IBM ; BATX (originaires de Chine) : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi. sont encore loin d’être généralisables.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 59


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

LA BANQUE DE DÉTAIL PRIORISE UNE STRATÉGIE data centric que la banque obtiendra des données intéres-
OFFENSIVE POUR CRÉER DE LA VALEUR santes pour personnaliser l’interaction client, et conduira
L’utilisation de l’IA dans le but d’optimiser la relation client le client à la recommander.
commence par la définition d’une stratégie customer centric, Comment sensibiliser les collaborateurs et créer un réflexe
qui génère une expérience client différenciante. Le comité data centric pour se différencier ?
exécutif de la banque est l’élément moteur de cette nou- Il s’agit dans un premier temps de mettre en place une
velle stratégie et le centre de la structure de gouvernance. « Lab factory », une équipe pluridisciplinaire transverse,
Par ailleurs, avoir une attitude ouverte sur les opportu- qui cassera les silos de la banque, et aura pour objectif
nités des marchés permet de rebondir sur l’open banking, de privilégier l’expérience client. Avec des ambassadeurs
suite à la mise en place de la seconde directive Services dans les directions régionales. La Lab Factory sera à l’ini-
de paiement (DSP2). Des plateformes multiservices avec tiative de partenariats avec des entreprises spécialisées
différents partenaires seront ainsi mises en place. Il est et notamment avec les FinTechs, à intégrer dans les incu-
primordial pour la banque d’être au centre de cette mar- bateurs que les banques de détail françaises mettent en
ketplace et de conserver la primauté de la relation client. place (Platform 58 de La Banque Postale, Village by CA
Cette création de valeur pour la banque nécessite un plan du Crédit Agricole…). Ces partenariats sont utiles pour
d’investissement conséquent. L’investissement dans un apprendre à mieux utiliser les données clients et à infu-
programme d’IA atteint entre 4 et 8 % du PNB[2]. Le retour ser la culture numérique auprès des salariés.
sur investissement attendu concerne le temps relation- La relation client augmentée grâce à l’IA déclenche aussi
nel supplémentaire (estimation +10 %), l’accessibilité des interactions en intelligence collective et favorise l’as-
(100 %), la rapidité de traitement des demandes clients sociation des clients à la réflexion sur les offres, grâce au
(gain estimé de 30 %). L’ambition en taux de recomman- design thinking. C’est dans cette démarche de co-construc-
dation doit être d’atteindre le Net Promotor Score (NPS) tion, au moment de la conception et du design de l’offre,
du meilleur prestataire de services du marché, soit 60 que sont décidées les technologies d’IA à utiliser. Élément
actuellement pour les meilleures plateformes (Amazon). de différenciation, c’est alors le client qui propose à la
Enfin, le comité exécutif de la banque, via son Chief Data banque des solutions.
Officer, est responsable de l’utilisation de l’IA, de l’impact Enfin, les indicateurs NPS (Net Promoter Score), CES (Custo-
de chaque octet manipulé. Ainsi, utiliser l’IA comme mer Effort Score), taux d’attrition, mesureront les améliora-
outil pour une nouvelle relation client, est conditionné tions en termes de satisfaction client, auprès de chaque
à la mise en place de principes de responsabilité : antici- segment de clientèle, y compris les plus fragiles. Le taux
per les risques de biais des algorithmes et de non-trans- de conversion sera utilisé pour mesurer les ventes suite
parence des décisions. à contact humain et suite à contact avec un bot.
La banque a une responsabilité dans le recueil des don-
LA BANQUE DE DÉTAIL PROPOSE UN MODÈLE nées : elle veillera à ne pas avoir une démarche de capta-
DE RELATION CLIENT AUGMENTÉE tion frénétique des données, mais à s’inscrire dans une
Afin d’anticiper les besoins des clients, d’être plus réac- approche éthique et responsable : l’hyperpertinence plu-
tif, et d’être pro actif pour éviter l’attrition, il convient de tôt que l’hyperpersonnalisation.
recueillir des données exploitables. Cela se traduit par la
mise en place d’un data management, fondation de l’orga- DÉVELOPPER L’EXPÉRIENCE COLLABORATEUR
nisation autour de la donnée. En effet, les clients et les Le nouveau modèle de relation client est pertinent grâce à
données générées sont à considérer comme un actif de l’équilibre entre l’humain et le digital. Le conseiller spé-
la banque. Cette prise de conscience est fondamentale et cialiste de la relation client est augmenté par la machine
doit être portée auprès de tous les salariés. C’est en étant qui lui apporte l’expertise technique et lui libère du temps
relationnel. Cette interaction entre l’homme et l’IA sou-
met la banque à des enjeux d’accompagnement des col-
[2] Les banques investissent des montants toujours plus importants dans la refonte
de leur système d’information (Information Technology – IT), ce qui intègre les laborateurs, y compris ceux qui ne passeront pas le cap
investissements en nouvelles technologies IA. Dernièrement, BNP Paribas a annoncé de la transformation.
investir 6 milliards d’euros sur l’année pour la refonte de son IT (source : Interview de
J.-L. Bonnafé, « Notre budget IT dépasse les 6 milliards d’euros à l’année », Les Échos, Afin de créer un cadre de confiance dans l’adoption de
10 mai 2019), ce qui représente 14 % de son PNB annuel. La Banque Postale a quant à l’IA et réussir la conduite du changement, il est primordial
elle investi 1 milliard d’euros sur 5 ans pour faire évoluer son système d’information de s’assurer de l’adhésion et de l’évolution des managers.
(source : « La Banque Postale lance sa révolution informatique », Les Échos, 10 mars
2015), soit 3,6 % de son PNB par an, de même que le Crédit Agricole, qui a engagé Le manager devient réellement un coach et une ressource
le même montant sur 3 ans (source : « Le Crédit Agricole investit 1 milliard d’euros pour son équipe. Il encourage les initiatives et l’émer-
pour transformer son SI et offrir à ses clients la meilleure expérience du marché »,
Site Groupe Crédit Agricole, 30 mars 2019), soit quasiment 2 % de son PNB (sources
gence de pratiques innovantes. Le manager passe du « com-
PNB : communiqué de presse des banques 2018). ment » au « pourquoi ». L’arrivée de l’IA dans la banque

60 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


permet de renouveler les pratiques managériales : place LA BANQUE APPORTEUSE DE SOLUTIONS
au manager augmenté par l’IA. La lab Factory, relayée par
les directeurs de la transformation des directions régio-
nales et par les ambassadeurs, est un soutien pour les
managers. Les partenaires sociaux sont également un relais
de communication.
L’IA libère le conseiller de la relation client des tâches sans
valeur ajoutée ; il a plus de temps pour suivre son porte-
feuille ; son métier évolue. Il est ainsi nécessaire de réa-
liser la projection des métiers de la relation client à 5-10
ans et la définition précise des compétences à maîtriser.
C’est la mise en place d’une Gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences (GPEC) qui aille au-delà de
la simple revue de personnel et qui génère les formations
adéquates. De façon pratique, ce sont les compétences Source : Pierre Metge, Crédit Agricole et Sonia Fauchois, « Open banking et Bank as a platform »,
cours CFPB stratégie bancaire, 2018.
comportementales, les soft skills, qui seront développées
en premier lieu. C’est le message diffusé par Jack Ma,
le P-DG du géant du web Alibaba et ancien enseignant,
lors de ses conférences sur l’IA et le monde de demain. proposer de nouveaux services[3] : elles doivent en profiter
Par ailleurs, l’attention portée au salarié est le pendant pour garder la primauté de la relation client.
interne de l’attention portée au client : cette symétrie des Cela se traduit par une double stratégie : garder une pré-
attentions permet à la banque une double excellence, celle sence territoriale minimale pour conserver une relation de
de l’expérience client et celle de l’expérience collaborateur. proximité et répondre ainsi aux besoins d’une partie des
Pour développer l’engagement des collaborateurs, la usages des clients. Et en parallèle, devenir une plateforme
banque systématisera le « Travailler autrement », en se multiservices numérique et collaborative, où le client est
fondant sur l’agilité et les approches itératives dans le autonome et a accès à différents services liés dans un pre-
travail. Et notamment les méthodes de test and learn où mier temps à son besoin bancaire initial (voir Schéma).
le collaborateur porte son projet de l’idée jusqu’à l’expé- Le conseiller de la relation client reste l’élément cen-
rimentation. tral de l’organisation, mais son métier évoluera et il
La banque a une responsabilité sur l’utilité au travail de deviendra un conseiller augmenté. Avec un manager
ses collaborateurs et engage une réflexion sur le devenir augmenté, pour une relation client augmentée et sur-
des métiers qui n’existeront plus demain ou qui évolue- tout hyperpertinente. n
ront beaucoup. Certaines entreprises de services réflé-
chissent à mettre en place des entraîneurs de bots, des
[3] Revue Banque n° 826, décembre 2018.
analystes de l’expérience client, ou mettent en place des
passerelles vers d’autres métiers comme la Fédération
Belge de Banque qui propose des passerelles vers les sec- Bibliographie
teurs de la santé et de la logistique.
ACPR (2018), Document de réflexion « Intelligence artificielle : enjeux pour le secteur
LA NOUVELLE MISSION DE LA BANQUE financier », décembre.
DE DÉTAIL : APPORTEUSE DE SOLUTIONS Cnam (2018), « Le manager augmenté par l’Intelligence artificielle », MOOC de Cécile
AU QUOTIDIEN Dejoux, avril.
La décision de lancer une nouvelle stratégie consumer O. Ezratty (2018), Les Usages de l’intelligence artificielle, Edition 2018, novembre.
centric est primordiale. Elle permettra de répondre au J.-G. Ganascia (2017), Le Mythe de la Singularité : faut-il craindre l'intelligence artificielle,
besoin du client exigeant, engagé, autonome et ayant des Seuil.
besoins d’accompagnement. Il faut ensuite organiser la S. Mallard (2018), Disruption : intelligence artificielle, fin du salariat, humanité augmentée,
gouvernance, débloquer les budgets, projeter les com- Dunod.
pétences nécessaires et accompagner les collaborateurs. Observatoire des métiers de la banque et HTS Consulting (2018), Etude sur les métiers de
La banque ne peut pas se passer de l’IA : l’IA est un outil la banque, « Nouvelles compétences, transformation des métiers à horizon 2025 : réussir
d’adaptation à la nouvelle donne de la relation client et l'accompagnement au changement », décembre.
répond aux besoins du consommateur ; elle donne du X. Pavie (2018), L'Innovation à l'épreuve de la philosophie, PUF.
temps relationnel supplémentaire aux collaborateurs. J. Pine & J. Gilmore (1999), The Experience Economy: Work is Theater and Every Business a
Les Français considèrent les banques légitimes pour leur Stage, Harvard Business Press.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 61


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

Marketing bancaire

Face à la révolution
numérique, la segmentation
bancaire n’est pas morte
Comme beaucoup d’autres secteurs, le marketing bancaire se voit
fortement bousculé par une révolution numérique. Face à ce nouveau
paradigme, quel est le devenir de la segmentation ?

Sébastien

B
Haméon
ousculée par le numérique, contrainte par le Ensuite, il conforte un phénomène de darwinisme des
Mastère Spécialisé
Senior Management
réglementaire, la banque de détail voit le com- marques (voir Schéma). Les banques traditionnelles se
Bancaire, Promotion portement de ses clients évoluer. Le marketing situent dans le cœur de marché, immobilisées entre le
2018-2019 bancaire est en pleine mutation, avec, à sa base, low cost (représenté par les néo-banques et leurs ser-
CFPB École une segmentation en pleine incertitude. vices gratuits) et les services premium des banques
Supérieure Le secteur bancaire subit aujourd’hui trois chocs : haut de gamme ou privées.
de la banque – réglementaire : après un vent de déréglementation, la La solution n’est pas de faire une course au prix, car elle
ESSEC Business crise de 2007 a provoqué l’effet inverse ; est perdue d’avance. Mais de mettre en avant la valeur
School – technologique, avec une révolution numérique qui fait ajoutée. Pour éviter l’attrition, le renforcement de la seg-
naître de nouveaux acteurs. Après l’essor des banques mentation apportera une réponse en créant une réelle
en ligne, ce sont désormais les FinTechs qui boule- expérience personnalisée et en mettant le bon conseil-
versent le paysage ; ler face aux bons clients. Ceci permettra au conseiller
– comportemental : hyperconnectés, plus autonomes, de gagner en efficacité commerciale et à la banque de
les clients sont moins dépendants des conseillers. Plus renforcer la valeur ajoutée de la relation (physique ou
infidèles, ils recherchent une réelle plus-value dans une digitale). Surtout, le client sera assuré d’avoir le bon
relation individualisée. D’ailleurs, l’attachement aux interlocuteur, au bon moment, avec les bonnes com-
banques traditionnelles s’efface avec les nouvelles géné- pétences par le bon canal.
rations. Le mode de contact évolue également : le smart-
phone s’impose comme l’outil de communication princi- DE LA BANQUE POUR TOUS
pal. Les banques sont contraintes de revoir leur modèle À LA BANQUE POUR CHACUN
et leur relation client, en adoptant une posture digitale. Historiquement, le marketing est défini comme la créa-
Le nouveau paradigme qui découle de ces trois chocs tion de valeur conjointe entre le client et l’entreprise[1].
bouscule le marché à deux niveaux. Il crée un phéno- « La pierre angulaire »[2] du marketing ? La segmenta-
mène de banalisation de l’offre bancaire. Le marché
est inondé d’offres (la prolifération) et les services [1] Michel Badoc, professeur émérite au groupe HEC, expert en stratégie
d'entreprise et en marketing, auteur de nombreux ouvrages dans ce domaine.
proposés sont plus élaborés par le biais du digital et [2] Paul Millier, professeur de marketing et de management à l’EMLyon Business
moins chers, pour ne pas dire gratuits (la surenchère). School, responsable du Mastère spécialisé en management de la technologie et de

62 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


LA BANALISATION ET LE DARWINISME DES MARQUES

1 2 3 4. Segmentation 6 7

Love brands

Premium
« La course au prix
est perdue d’avance.
Il faut de la transparence
Darwinisme sur le prix proposé
et mettre en avant
la valeur ajoutée. »
Cœur de marché Pierre Metge

Banalisation Prolifération Surenchère

Low Cost

Quelle segmentation bancaire face à la révolution numérique ? - Sébastien Hameon

Source ; Xerfi, Jérôme Barthélemy, ESSEC, « Quelle riposte stratégique face à la banalisation de votre offre ? »,
Stratégie & Management 2017 - Nicolas Riou, Le Consommateur digital : les nouvelles approches pour le séduire, Eyrolles, 2017.

tion. Se distingue la segmentation d’ordre stratégique


(une vision long terme avec une différenciation nette aux
« Une segmentation stratégique
yeux des clients, de l’entreprise et des collaborateurs) de se base sur des critères
la segmentation opérationnelle (une vision court terme
pour délivrer un service précis à une catégorie de clients
sociodémographiques, l’orientation 
à un moment donné). Une segmentation stratégique se relationnelle des clients et sur les
base sur des critères sociodémographiques, l’orientation
relationnelle des clients et sur les produits ou services
produits ou services délivrés. »
délivrés. La vigilance est de mise pour que les segments
soient cohérents, exploitables et ne pas tomber dans
l’hyperpersonnalisation. Le secteur bancaire, riche de compétences adaptées et une offre personnalisée. Ces
ses données clients, a ici l’opportunité de s’adapter par segmentations sont à faire vivre régulièrement pour
une segmentation adaptée. accompagner le client tout au long de sa vie.
La solution est de « démoyenniser » la relation pour ces- Le modèle de la « nouvelle » banque se cherche encore
ser de s’adresser au client selon une moyenne, en créant entre la banque 100 % digitale et un mix digital-
une segmentation stratégique basée sur un double filtre humain, en passant par une assistance gérée par une
en amont de toute relation. IA. Nous pouvons supposer que la solution se trou-
Le premier filtre se fera « par l’usage » en déterminant vera dans la convergence des trois. La difficulté sera
quelle interaction le client souhaite avoir avec sa banque et de remettre l’humain au centre des préoccupations.
par quel canal (mail, téléphone, rendez-vous physique…). Là où la banque traditionnelle était une banque pour
L’idée est d’identifier très rapidement les attentes du tous, elle doit désormais se digitaliser pour devenir
client et ainsi adapter l’interlocuteur et éventuellement phygitale et une banque pour chacun[3]. La solution
l’offre. Le second filtre sera selon le « potentiel », en se passe par la segmentation pour redéfinir la clientèle
basant sur les revenus, le patrimoine, entre autres cri- ciblée et l’approche à adopter. n
tères. L’objectif est de proposer un conseiller avec des
[3] Yves Eonnet, « les nouveaux services bancaires seront individualisés »,
l’innovation. Le Revenu, 2018.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 63


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

La blockchain dans le refinancement bancaire


des entreprises

Enjeux, opportunités
et limites pour les placements
privés (Euro PP)
La technologie de rupture blockchain [B.3], révolutionnant le secteur bancaire
avec les FinTech*, change les règles du jeu en obligeant la Banque à la modernisation
accélérée de ses offres et dispositions de service [B.1]. Dans cet environnement
nouveau, il s’agit pour la Banque de concrétiser une vision en étant ouverte
et en favorisant la créativité afin d’accélérer l’innovation de rupture [B.4] [B.8].
Christine Cet article** donne un éclairage sur les cas d’usage de la blockchain en finance
Mahamba
de marchés et son intégration dans les processus métiers [B.21]***.
Mastère Spécialisé
Senior Management
Bancaire

L
– Promotion
2018-2019 a blockchain[1] bouleverse l’économie par de nouvelles LE CONSTAT ET LES DÉFIS
CFPB École règles et concurrences dans l’écosystème bancaire ; La technologie de rupture blockchain [B.3], révolutionnant
Supérieure les FinTech[2] influencent l’évolution législative et le secteur bancaire avec les FinTech (l’expression, combi-
de la Banque des marchés, obligeant les acteurs traditionnels à nant les termes « finance » et « technologie », désigne une
ESSEC Business moderniser leurs offres et dispositions de service [B.2]. startup innovante qui utilise la technologie pour repen-
School En effet, la Banque se trouve face à des défis inédits et doit ser les services financiers ou bancaires afin de rendre la
absolument se réinventer [B.13] [B.27]… En quoi et com- finance plus simple et plus accessible, en proposant des
ment, la blockchain, technologie de rupture, lui permet-elle offres de meilleure qualité et à moindre coût), change les
d’améliorer ses activités financières, et plus spécifique- règles du jeu en obligeant la Banque à la modernisation
* Pour exemple, voici
ment son dispositif de refinancement des Entreprises accélérée de ses offres et dispositions de service[4][B.1].
un rapport de situation : de taille intermédiaire (ETI) [B.10] [B.16] ? En apportant En effet, le secteur bancaire étant en pleine transforma-
Fintech100 : Leading
Global Fintech davantage de transparence, de rapidité et de confiance tion, entre nouvelles règles et nouveaux rapports à la
Innovators 2018 (https://
h2.vc/wp-content/
[B.5]. En effet, la « plateformisation BtoB » optimise les technologie, les attentes des clients évoluent et de nou-
uploads/2018/11/ processus et améliore les revenus associés (ici l’exemple veaux acteurs font leur apparition. Dans cet environne-
Fintech100-2018-
Report_Final_22-11- des produits Euro PP[3]) [B.19], mais cela au prix d’une ment nouveau, il s’agit pour la Banque de concrétiser
18sm.pdf).
** Synthèse de ma
mutation du rôle d’arrangeur/intermédiaire bancaire… une vision en étant ouverte et en favorisant la créativité
thèse professionnelle afin d’accélérer l’innovation de rupture [B.4] [B.8]. Cet
du MS SMB
(« L’innovation article donne un éclairage sur les cas d’usage de la block-
blockchain dans le
refinancement bancaire chain en finance de marchés et son intégration dans les
des entreprises : [1] La blockchain est une technologie de stockage et de transmission processus métiers [B.21]. Plus précisément il se propose
enjeux, opportunités d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de
et limites pour les contrôle (source : Blockchain France).
placements privés
(Euro PP). » [2] France FinTech se présentant comme l’équipe de France de la FinTech
*** Les références entre
(https://francefintech.org). [4] L’ubérisation s’inscrit dans le cadre de l’économie collaborative, basée
crochets renvoient à [3] Euro Private Placement est une opération de financement à moyen ou long sur des plateformes numériques, en s’affranchissant des règles du business
l’encadré Bibliographie. terme entre une entreprise, cotée ou non, et un nombre limité d’investisseurs. traditionnel (www.uberisation.org).

64 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


1. Législation mode projets agiles) de l’opportunité de développement
des affaires et, malgré quelques limites liées à l’immaturité
Un cadre réglementaire strict, structurant et évolutif technologique (et aussi culturelle), en décrivant brièvement
les bénéfices potentiels de cette innovation prometteuse.
Partout dans le monde, la réglementation évolue et s’adapte. En témoignent les lois, Ainsi, élaborée grâce à une enquête de terrain accompagnée
décrets et règles encadrant la finance et les plateformes depuis une décennie, la d’un recueil documentaire attentif, l’étude nous permet
France fait figure de pionnière en mettant en place un cadre réglementaire avec d’appréhender les opportunités associées tout en identi-
l’adoption des ordonnances n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse fiant les obstacles restant à surmonter, tant du point de vue
visant à émettre des bons de caisse via la blockchain (les Minibons) et n° 2017-1674 technique que juridique[8]. C’est aussi l’occasion d’une cla-
du 8 décembre 2017 relative à l’émission et à la cession de titre ; s'ajoute la législation rification sur le futur de la fonction d’intermédiaire (inter-
n° 2016-1691 du 16 décembre 2016 (dans la Loi Sapin 2) autorisant l’adaptation de la médiation/désintermédiation) [B.32], du paradoxe d’une
législation concernant la livraison d’instruments financiers (cf. l’Autorité de contrôle plateformisation sans tiers de confiance car le réalisme
prudentiel et de résolution (ACPR), l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Banque impose de reconnaître qu’outre la qualité des solutions
Nationale de France (BNF)…). déployées, l’enjeu prioritaire restera la confiance accordée
Concernant l’aspect technologique, le Projet[1] de règlement sur les relations entre pla- par nos clients pour les servir au meilleur prix, s’agissant des
teformes et utilisateurs professionnels[2] a franchi une nouvelle étape dans le processus uns, et pour le maximum d’intérêts concernant les autres
législatif. Le 6 décembre 2018, la Commission du marché intérieur et de la protection [B.27] ! Dans notre cas d’usage, les « 3P » de l’organisation
des consommateurs (IMCO) du Parlement européen a adopté le rapport de la députée sont déterminés par les personnes (expertises pratiques),
européenne Christel Schaldemose. Ensuite, le 13 février 2019, un accord politique a été les procédures (qualité du processus) et les programmes
trouvé entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commis- (niveau de performances techniques). Ainsi l’enjeu de
sion européenne sur un texte de compromis du règlement P2B[3]. Ainsi la Commission gouvernance opérationnelle et de management d’activités
européenne fixe de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité pour les est de construire une plateforme performante de coopé-
plateformes en ligne (« Fairness in platform-to-business relations  »)[4]. ration basée sur cette infrastructure de confiance pour un
meilleur pilotage informationnel, décisionnel et opération-
nel [B.6]. Afin d’offrir à la Banque un nouvel élan néces-
[1] www.fevad.com/le-projet-de-reglement-sur-les-relations-entre-plateformes-et-utilisateurs-
professionnels-plateform-to-business-ou-p2b-franchit-une-nouvelle-etape/ saire vers plus de modernité[9] et de synergies profitables
[2] Les pratiques de commerce interentreprises (plateform to business ou P2B) dont le but était d’identifier et durables (par la contribution à la croissance des revenus
les problèmes à résoudre et les frictions potentielles dans les relations inter-entreprises.
[3] https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6090-2019-INIT/en/pdf.
du négoce, la réduction de la durée du montage et des frais
[4] https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/initiatives/ares-2017-5222469_en. de gestion des transactions, la transparence sur le cycle de
vie du financement, etc.). Pour ce faire (cf. Figure 1), il est
primordial d’avoir un pilotage habile et une gestion effi-
d’évaluer l’opportunité de transformation de la Banque
de financement et d’investissement (BFI) afin d’amélio-

« Un système blockchain ne s’achète


rer puis d’augmenter son activité de « grande clientèle »,
notamment pour assurer la robustesse, la résilience et la
sûreté du management du dispositif de refinancement des pas en tant que tel, mais il se construit
entreprises (ETI[5]) [B.15] [B.17] [B.18].
et vit grâce à une équipe technico-
LES PROBLÉMATIQUES ET CAS D’USAGE fonctionnelle complémentaire
DE L’ÉTUDE
Après une synthèse réglementaire (les enjeux de la régula- fonctionnant en mode projet (agile). »
tion des plateformes numériques[6] sont à la fois sociétaux,
économiques et concurrentiels) [B.14], un panorama sur cace permettant de mieux anticiper les risques et détecter
la réalité sectorielle de la blockchain et les initiatives dans les opportunités, pour gagner en performance par la digi-
l’écosystème[7] [B.12] [B.33], une proposition de valeur talisation des informations et l’automatisation des tâches :
concluante est présentée dans l’étude en recommandant 1. préparation (phase 1) du financement avec les parties
les méthodes utiles pour une mise en œuvre efficace (en prenantes ;
2. contractualisation (phase 2) et réalisation (phase 3) de
l’opération ;
[5] www.cci-paris-idf.fr/informations-territoriales/ile-de-france/actualites/ 3. exécution (phase 4) de la solution jusqu’à son terme.
financement-des-eti-le-recours-aux-placements-prives-se-developpe-ile-de-france.
[6] La mission d’information commune : Rapport d’information sur les chaînes de
blocs (blockchains), présidé par Aubert Julien, piloté par L. de la Raudière et J.-M. [8] Par l’étude des différents environnements (politique, économique, réglementaire
Mis, 12 décembre 2018, www. assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i1501.asp. et technologique) et l’analyse des moteurs et freins structurels associés.
[7] L’étude montre que certains « écosystèmes » sont plus à même que d’autres [9] «  Si tu fais toujours ce que tu as l’habitude de faire, tu récolteras ce que tu as toujours
à promouvoir l’apparition de l’innovation de rupture et sa diffusion. récolté », Albert Einstein.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 65


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

2. Questionnement préalable – les transactions effectuées par les membres du réseau


sont regroupées dans un bloc ;
Mise en œuvre d’une blockchain – les blocs sont validés par les nœuds du réseau (mineurs)
pour les placements privés EuroPP à l’aide d’outils et de méthodes cryptographiques ;
– la validation par consensus via un algorithme (Proof Of
Chacun a besoin de répondre à quelques questions structurantes sur le système Work rétribué en cryptomonnaies) ;
à concevoir, par exemple : – après validation le bloc est horodaté et ajouté à la chaîne
• « Dans quel environnement technico-culturel s’insère-t-il ? » ; de blocs puis partagé à l’ensemble des nœuds du réseau ;
• « Aura-t-il des interactions avec d’autres systèmes d’information (SI) ? » ; – toute transaction validée sera accessible par tout le réseau.
• « À qui appartiendra-t-il ? ». Alors, pour la modernisation de l’activité de refinancement,
Au vu de la disposition des parties prenantes, les coopérants Euro PP, il faut savoir les critères prioritaires généraux sont : l’accessibilité aux
« qui paiera quoi et qui continuera de payer pour le fonctionnement  », car il s’agit informations permettra aux intervenants des échanges
ici d’identifier des solutions pratiques et efficaces pour un système cible rentable rapides et efficaces, la fiabilité des opérations garantie par
dans l'activité de refinancement des ETI. la confidentialité et la responsabilité des acteurs, et la tra-
çabilité des évolutions contractuelles assurée par la péren-
nité et la disponibilité des données [B.29]. En synthèse (des
Ainsi les principes et règles caractérisant les « coopérations résultats), les gains à attendre du nouveau dispositif sont :
Euro PP » constituent un « système » avec ses interdépen- – l’amélioration du contrôle de l’ensemble de la chaîne de
dances, ses synergies et ses interférences. D’où la néces- valeur Euro PP ;
sité de prévoir une gouvernance opérationnelle adaptée – la simplification des procédures de montage ;
car un système blockchain ne s’achète pas en tant que tel, – la diminution du risque opérationnel et des erreurs
mais il se construit et vit grâce à une équipe technico-fonc- humaines ;
tionnelle complémentaire fonctionnant en mode projet – l’accélération du traitement et de la diffusion de l’infor-
(agile) [B.20]. En conséquence, une mise en œuvre réus- mation contractuelle ;
sie pourra s’appuyer sur une approche originale et efficace – la pérennisation du stockage et de la traçabilité des don-
comme celle développée par Clayton M. Christensen et nées d’affaires.
Anthony Ulwick : le « Jobs To Be Done » [B.9], qui formalise En conséquence, les principaux bénéfices opérationnels
la démarche de l’utilisateur autour du résultat attendu et résultants de la « blockchainisation » du dispositif Euro PP sont :
de la solution envisagée. – la fiabilisation et la modernisation des pratiques ;
– la simplification des échanges de documentation entre
les parties-prenantes ;
– l’accélération des flux ;
« Ce dispositif Euro PP renouvelé – la réduction du délai de mise en place du financement,
permettra également de développer – et l’automatisation du suivi et de l’exécution des clauses
de l’opération.
un écosystème d’affaires Basiquement, l’automatisation d’une partie des opéra-
du refinancement ETI autour tions de collecte d’informations, de mises à jour et de
sécurisation des données génèrent des gains de producti-
de la Banque comme firme pivot. » vité. Or il s’agit d’aller au-delà, de passer de la contrainte
réglementaire à l’avantage concurrentiel. De plus, les
nouveaux outils à créer permettront d’élaborer de nou-
velles méthodes de vente sur les marchés des produits
L’OPPORTUNITÉ ET LES PERSPECTIVES ASSOCIÉES financiers et solutions bancaires [B.34]. En effet, la
À l’évidence, la question n’est plus « comment mobiliser cette mise en œuvre de la blockchain représente bien davantage
nouvelle technologie pour sauver notre activité actuelle ? » mais plu- qu’une simple installation d’outillage technique [B.30].
tôt « comment tirer parti de la rupture pour bâtir l’activité Ce dispositif Euro PP renouvelé (cf. Figure 2) permettra
du futur ? » [B.7] [B.28]. Ainsi le cœur du sujet blockchain[10] également de développer un écosystème d’affaires du
énoncé n’est pas que technique, mais surtout fonction- refinancement ETI autour de la Banque comme firme
nel dont voici résumés les principes fondamentaux [B.1] : pivot, pour l’innovation collaborative et la coopétition
– un registre infalsifiable et décentralisé ;   (comme selon l’idée de James Moore en 1996[11]). Le
– un réseau pair à pair public ou privé ; constat final est que la digitalisation via le « système

[11] J. Moore (1996), The Death of Competition – Leadership and Strategy in the Age of
[10] www.blockchaintechnologies.com/blockchain-technology/. Business Ecosystem, Harper Business, New York.

66 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


FIGURE 1

Le processus général du refinancement Euro PP

Préparation Contractualisation Réalisation Exécution

Accessibilité Infalsifiabilité Fiabilité Traçabilité


Rapidité Authenticité Validité Pérennité
Efficacité Confidentialité Responsabilité Disponibilité

Source : Auteure

FIGURE 2

Schéma simplifié du dispositif coopératif et de la plateforme blockchain


Produit (P)
N N
Nœud principal (X)
UNIFICATION
X1 X2

Dispositif
N coopératif N N N

P1 P2
N

N N Xn

PLATEFORME N N
Blockchain Pn

CENTRALISATION
N

N Infrastructure réseau

N1 N2 … Nn
Nœud (N) DISTRIBUTION Source : Auteure.

de blocs » permet réellement d’optimiser les processus bâtir davantage de passerelles et d’échanges, dynami-
opérationnels et administratifs d’émission et de gestion ser les interactions et faire naître les idées.
des placements privés de dette[12] [B.23], notamment
grâce aux smart contracts [B.11] [B.35]. Néanmoins cer- DE L’INTERMÉDIATION À LA SUPERVISION
tains « écosystèmes » sont plus à même que d’autres à Pour finir d’un point de vue méthodologique, après avoir
promouvoir l’apparition de l’innovation de rupture et identifié les enjeux auxquels les banques traditionnelles
sa diffusion ; en externe, il faut s’inspirer des bonnes sont confrontées aujourd’hui, il s’agit aussi de s’inspi-
pratiques et des modèles exemplaires. En interne, il faut rer d’acteurs bancaires ou d’autres industries qui ont déjà
inciter les effectifs à partager leurs idées, en favorisant avancé dans leur transformation digitale. L’objectif est
la discussion pour créer une dynamique propice pour double car, d’une part il est important d’appréhender les
prérequis et opportunités pour mettre en place de nouveaux
modèles bancaires et, d’autre part, de donner des pistes de
[12] www.optionfinance.fr/dossiers/observatoire/observatoire-des-euro-pp-
de-cms-francis-lefebvre-avocats.html ; www.euro-privateplacement.com/
réflexion pour réinventer le modèle bancaire traditionnel
index_fr.htm. par la mise en œuvre d’une blockchain privée en coopéra-

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 67


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

tion avec les principaux partenaires du marché financier défi de modernisation, une vision prospective, des savoir-
cible[13] (cf. ubérisation). faire complémentaires (en interne comme en externe) et
En outre, l’étude identifie des outils performants et permet du courage managérial seront essentiels… Le bilan d’étude
la sélection de méthodes adaptées au contexte individuel, est donc favorable à une mise en œuvre d’une blockchain
aux besoins particuliers et aux contraintes spécifiques de privée des Euro PP (plateforme BtoB) dont voici les prin-
chacun pour s’engager et réussir ces projets bancaires de cipaux bénéfices : modernisation des pratiques (pour créer
transformation digitale[14] [B.22]. Donc il s’agira pour la de la croissance par davantage de valeur d’expertise), sim-
Banque, suite à un Proof of Concept (POC) selon les règles de plification des échanges et accélération des flux (étendre
l’art [B.25], de bâtir un dispositif fonctionnel unifié usant et capter du business sur le portefeuille ETI), augmenta-
d’une plateforme logicielle partagée (référentiel Euro PP tion des revenus (faire plus par transversalité et faire mieux
ou d’autres produits) réalisée avec un système distribué en profondeur). Comme étudié ici, l’impact et le rôle des
(blockchain privée) sur une infrastructure technique répartie nouvelles technologies dans la société en général et pour
entre les acteurs habilités et coopérants (cf. Figure 2). En les entreprises en particulier façonnent et orientent l’évo-
définitive, l’exigence de disruption fera muter le modèle lution des usages individuels (personnes) et des pratiques
de l’intermédiation structurelle vers celui de la supervision collectives (organisations). L’enjeu de gouvernance opéra-
de dispositif(s) de coopérations : en développant l’écosys- tionnelle et de management d’activités est de construire une
tème d’affaires du refinancement ETI autour de la Banque plateforme performante de coopération basée sur cette
(comme firme pivot), entre innovation collaborative et coo- infrastructure de confiance pour un meilleur pilotage
pétition [B.26]. Et, comme dans tout écosystème naissant, informationnel, décisionnel et opérationnel des investis-
le leader et la plateforme pivot ne sont pas préalablement sements de refinancement ; offrant à la Banque un nouvel
identifiés… C’est donc bien une formidable opportunité élan nécessaire vers plus de modernité, de synergies et de
de (re)positionnement organique (par leadership interne) profits durables. La blockchain a été créée dans l’esprit de
pour la Banque [B.24]. supprimer les intermédiaires financiers, mais elle permet
aussi de les introduire là où ils n’étaient pas présents. Dans
LE BILAN D’UNE (R)ÉVOLUTION À RÉUSSIR un contexte de foisonnement technologique prometteur,
L’objectif ici a été d’expliquer, évaluer puis montrer l’op- avec la data au cœur des modèles digitaux, cette innova-
portunité offerte par la blockchain de moderniser le dispo- tion permet d’élargir l’offre, développer des nouveaux
sitif coopératif de refinancement (ETI) de la Banque, afin modèles de revenus et conquérir de nouveaux marchés[15].
d’optimiser ses processus opérationnels et administra- Ainsi constaté, il y a une multiplication d’initiatives et de
tifs d’émission et de gestion de placements privés (Euro prises de participation dans la FinTech. La Banque (dans sa
PP), pour une prise de leadership dans l’écosystème en vue branche BFI) doit évidemment exploiter ces opportunités
d’une croissance rapide de l’activité [B.31]. En somme, pour survivre et prospérer dans la prochaine ère des services
tout cela montre en quoi et comment les « technologies financiers pour les entreprises. Enfin, FinTech et banques
blockchain » peuvent simplifier, réinventer et désintermé- sont concurrentes mais (encore) aussi complémentaires
dier les métiers de la finance, en apportant transparence, car elles complètent leurs offres pour mieux l’adapter aux
rapidité et moindres coûts (plateformisation rationnalisant besoins de leurs clients... En définitive, il semble bien que
les moyens et mutualisant les efforts). Pour réussir un tel l’avenir de la finance passe par la FinTech... et vice versa. n

[13] Ce dispositif, ou type de structure, permet de mutualiser la gestion [15] Traitant notamment des modalités de la formation des prix et
administrative et les infrastructures et donc, de réduire le coût de revient pour le du fonctionnement des échanges sur les marchés, la « théorie microstructurelle
service en question ainsi que les formalités pour le client. des marchés financiers » (selon Albert S. Kyle en 1985) permet de comprendre
[14] www.observatoire-metiers-banque.fr/f/onglet6/sf/1df38a192c4baacf/ l’impact des règles et modes du dispositif ainsi modernisé, particulièrement
Les-acteurs-du-systeme-bancaire. dans la production de la valeur fournie au marché.

3. Bibliographie et références
Ouvrages [B.3] J.-G. Dumas, P. Lafourcade, A. Tichit et S. [B.5] L. Leloup (2017), Blockchain : la
Varrette (2018), Les Blockchains en 50 ques- révolution de la confiance, Eyrolles.
[B.1] Blockchain France Associés (2016),
tions – Comprendre le fonctionnement et les
La Blockchain décryptée – Les clefs [B.6] P. Rodriguez (2017), La Révolution
enjeux de cette technologie innovante, Dunod.
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[B.4] K. Kelly (2017), The Inevitable : à qui donnerez-vous votre confiance ?,
[B.2] M. Della Chiesa, F. Hiault, C. Tequi
Understanding the 12 Technological Forces Dunod, mars.
(avec la contribution de N. Bouzou et T. Gress)
That Will Shape Our Future, Penguin Books,
(2018), Blockchain – Vers de nouvelles [B.7] P. Silberzahn et S. Ben Mahmoud-
juin.
chaînes de valeur, Prospectives Accuracy, juin. Jouini (2016), Clayton M. Christensen

68 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


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[B.8] D. Tapscott et A. Tapscott (2016), [B.19] Groupe de travail Paris EUROPLACE
DG du Pôle de compétitivité mondial Finance
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Innovation, et M.-A. Barbat-Layani, DG de
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la FBF (> 200 participants à travers 60
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[B.20] F. Lau, L. Friscour et P. Laurens-Frings réunions de décembre 2017 à avril 2018)[7].
[B.9] A.W. Ulwick (2016), Jobs to Be Done : (2018), « Blockchain : passer de la théorie à la
 Articles
Theory to Practice, IDEA BITE PRESS, pratique dans les grandes entreprises », CIGREF
octobre. Publication, octobre. [B.28] A. Anaya (2018), « La blockchain,
un outil aux vastes horizons qui offre de
(*) J. Moore (1996), The Death of Compe- [B.21] S. Rasulam et N. Morteau (2017),
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n° 1452, lundi 5 mars.
of Business Ecosystem, Harper Business, dans la banque et l’assurance », XERFI, avril.
New York. [B.29] P. Bouchard (2018), « Comment
[B.22] É. Rossignol et X. Laurent (2017),
bénéficier de la technologie blockchain pour
Études « La blockchain, un levier de digitalisation
transformer les métiers de la banque ? »,
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prises au cœur de l'économie française », Septembre, pp. 36-39.
Industrielles, août.
division Enquêtes thématiques et études
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transversales, INSEE, 15 mars. [B.23] The Boston Consulting Group (BCG) et
du fantasme vers quelles réalités »,
Linklaters (2017), « Identifier les obstacles de
[B.11] N. Beaudemoulin, D. Warzee Entreprendre, 3 octobre.
marché et réglementaires au développement
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du placement privé de dette dans l’UE », [B.31] M. Hoffstetter (2018), « Quelle place
smart contracts : des technologies de la
Commission européenne, avril[4]. pour les banques dans le financement de
confiance ?  », Annales des Mines – Réalités
l’économie de demain ? », Bilan (Suisse),
Industrielles, août. (*) La mission d’information commune : Rapport
24 septembre.
d’information sur les chaînes de blocs (block-
[B.12] P. Bougnoux, T. Bureau, B. Raninie,
chains), présidé par J. Aubert, piloté par L. de la [B.32] Y. Ullmo (2007), « Intermédiation,
E. Solesse et T. Verbiest (2017), avril,
Raudière et J.-M. Mis, 12 décembre 2018[5]. intermédiaires financiers et marché », Revue
« Baromètre de la Blockchain », Largillière
d’économie financière, 89, pp. 23-38 ;
Finance –TNP.
 Livres blancs initialement publié dans la Revue d’économie
[B.13] G. Denoyel et Le Lab BPI France politique, 1998, pp. 639-654[8].
[B.24] Groupe travail Fintech (2017),
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« Les impacts des réseaux distribués et
les Fintechs acteurs de la révolution numé-  Conférences
de la technologie blockchain dans les activités
rique dans la finance », BPI France, 27 juin.
de marché », Paris Europlace, octobre. [B.33] R. Foult et J. Maldonato (2017),
[B.14] DG Trésor (2017), « Consultation « La blockchain – Panorama des technolo-
[B.25] MEDEF et BCG (The Boston Consulting
publique sur le projet de réformes législative gies existantes », Deloitte.
Group) (2016), « La blockchain – Soyez
et réglementaire, relatif à la Blockchain »,
curieux ! Comprendre et expérimenter », avril. [B.34] Les amphis AFTI, juin 2018,
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« Le Post Marché face aux nouvelles
[B.26] G. Buffet (2016), « Comprendre la
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« Étude Banque de France, Financement du crédit syndiqué » et « Blockchain :
[B.27] J. Toledano et Rapporteur L. Janin
des entreprises », BDF, décembre. la révolution dans le cash management,
(2018), « Les enjeux des blockchains »,
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[B.17] « Entreprises et PME leur finan- Rapport du groupe de travail France Stratégie,
cement : première priorité stratégique juin[6].
des banques françaises », juin 2019[2].
[3] https://www.institutmontaigne.org/
publications/eti-taille-intermediaire-gros-potentiel.
[4] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/180216-
study-private-placements-summary_fr.pdf. [7] www.mpg-partners.com/wp-content/
[1] https://fr.slideshare.net/Bpifrance/ [5] www. assemblee-nationale.fr/15/rap-info/ uploads/2019/03/Livre-Blanc-IA-et-Technologies-
bpifrance-ambition-eti-2020-juin-2014. i1501.asp. Quantiques-FINANCE-INNOVATION.pdf.
[2] www.fbf.fr/fr/files/A92JFJ/Entreprises%20 [6] www.strategie.gouv.fr/publications/ [8] www.persee.fr/doc/
et%20PME%20-%20Juin%202019.pdf. enjeux-blockchains. ecofi_0987-3368_2007_num_89_3_4282.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 69


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

Nouvelles technologies et création de valeur

Vers un nouveau business


model pour la banque
de détail
Taux bas, pressions réglementaires, concurrentielles, technologiques,
la rentabilité de la banque de détail en France est fortement malmenée.
La technologie peut-elle permettre de renouer avec la rentabilité en générant
de nouvelles sources de revenus ? Quel business model cela induit-il ?

L
a montée en puissance du digital, l’évolution des leur service de banque à distance pour leurs opéra-
Alexis attentes des clients et une concurrence toujours tions les plus simples. La fréquentation des agences
Mainka plus vive ont obligé les établissements à revoir diminue et les établissements commencent, à partir
Mastère Spécialisé leur façon de travailler. À cela s’ajoutent de nou- de 2010, à ajuster leur réseau. Mais si cet ajustement
Senior Management velles mesures pour gérer la crise financière de 2008, semble inéluctable, il est très progressif et beau-
Bancaire Promotion
avec la mise en place d’une réglementation toujours coup moins rapide que chez nos voisins européens.
2018-2019
plus contraignante et coûteuse[1] pour les banques, La raison en est une exception française, les clients
CFPB École doublée d’une politique monétaire de relance très veulent de l’autonomie mais pas tout le temps et pas
supérieure accommodante qui place la France dans une période pour toutes les opérations. L’accès à l’information
de la banque de taux historiquement et durablement bas. immédiatement et à tout moment rend les clients
ESSEC Business De plus, de nouvelles réglementations européennes ont plus exigeants, plus impatients et plus informés.
School vu le jour (DSP 1 et 2 en particulier), dont l’objectif est Nous sommes entrés, depuis quelques années, dans
de stimuler la concurrence sur les moyens de paiement, l’ère du AnyTime, AnyWhere, Any Device (consommer
afin de faire baisser les prix pour les consommateurs. n’importe quand, n’importe où, et par n’importe quel
Ces dernières favorisent l’arrivée de nouveaux acteurs moyen). Ce phénomène est encore plus prégnant en
sur un marché déjà mature et à la croissance très faible. fonction des générations avec l’exemple des millenials
mais cette tendance, entre, dans un champ plus large,
LA TECHNOLOGIE ENGENDRE celui des IKWIWAIWIN, comprenez « I Know What I
LES CHANGEMENTS DE COMPORTEMENT Want And I Want It Now ». Ce concept, cher au scienti-
Les évolutions technologiques ont contribué très for- fique Joël de Rosnay[2], présente l’intérêt d’être « évo-
tement aux changements d’habitudes et des comporte- lutif » et de ne pas être cantonné à une génération.
ments des clients. L’arrivée d’Internet dans les foyers au Nous avons tous en nous une part de IKWIWAIWIN
début des années 2000, puis des premiers smartphones plus ou moins prononcée. On pourrait presque par-
en 2006 et surtout « du » smartphone d’Apple (l’Iphone) ler d’indice d’IKWIWAIWIN.
en juin 2007, va donner un véritable coup d’accéléra-
teur (+ 50% d’utilisation d’Internet entre 2006 et 2007) UNE CRISE DE LA VALEUR PERÇUE
à l’utilisation d’Internet et des services de la banque Le prix des services est aussi un point de crispation
à distance. On parle alors de banque mobile. Depuis pour les clients. Le fait qu’une opération soit automa-
2014, le smartphone a supplanté l’ordinateur pour navi- tisée lui fait perdre toute valeur aux yeux des clients et
guer sur Internet, et plus de 80 % des clients utilisent
[2] Vidéo Accenture, « L’avenir de l’entreprise numérique par Joël de Rosnay »,
[1] Source : FBF, Bilan 2018. juillet 2013.

70 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


la mise en place de tarifications devient alors presque Pour répondre aux nouveaux besoins de leurs clients
« illégitime ». Ce phénomène est largement accentué les banques doivent travailler sur trois axes :
par l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, rendue – la relation clients, en fluidifiant encore davantage le
possible par la réglementation. Ils instaurent l’idée parcours client dans l’esprit d’un parcours sans couture
que le service de banque peut être pratiqué différem- entre le digital et le réseau physique (le « phygital ») ;
ment et quasiment gratuitement. – les systèmes d’information, qui doivent être moderni-
sés pour intégrer les dernières innovations plébiscitées
UNE SEULE VALEUR : LE CLIENT par les clients et déjà proposées par les néo-banques ;
Afin de réussir leur transformation, les banques doivent – la diversification, qui est de loin le levier le plus effi-
partir de la principale valeur qu’elles possèdent : les
clients. Il est donc fondamental de construire une stra-
tégie de développement autour des besoins des clients. « Le fait qu’une opération
Encore faut-il pouvoir les identifier. Ces besoins sont
multiples et pas toujours exprimés, néanmoins des
soit automatisée lui fait perdre
études montrent que les clients sont sensibles aux pro- toute valeur aux yeux des clients
positions de leur banque y compris sur des produits
non financiers (voir Graphique en page suivante). Tou-
et la mise en place de tarifications
tefois, s’ils ont confiance dans leur banque, ils n’en devient alors presque “illégitime” ».
sont pas pleinement satisfaits.
La satisfaction des clients repose sur deux notions : la
promesse et la valeur perçue. La promesse est ce que cace pour générer des revenus supplémentaires. Les
le client perçoit de ce qu’il est en droit d’attendre de clients sont prêts pour cela, mais la mise en place doit
sa banque, au même titre que les attentes du consom- être cohérente et s’intégrer dans la stratégie globale
mateur sont différentes selon qu’il se rend dans un de l’établissement.
fast-food ou dans un restaurant gastronomique. Plus Sur tous ces aspects, les nouvelles technologies jouent
la promesse est élevée, plus elle est difficile à tenir. un rôle primordial. Elles rendent possible la mise en
La valeur perçue correspond à la valeur d’un produit place d’organisations « agiles » et le fonctionnement
ou d’un service perçue par le client. Elle peut être très expérimental en mode « test and learn ». L’open banking
différente du coût réel, et c’est souvent le cas dans la ouvre la voie à une sous-traitance technologique plus
banque où la valeur d’une opération réalisée par un efficiente et intégrée. Parallèlement, le Big Data et l’in-
robot est perçue comme inférieure à celle réalisée par telligence artificielle présagent de possibilités encore
un humain. peu exploitées.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 71


TECHNOLOGIES, IA ET DIGITAL

LES ATTENTES DES FRANÇAIS EN MATIÈRE DE SERVICES DÉLIVRÉS PAR LES BANQUES

Le top 3 des services les plus plébiscités s’articule autour de l’assistance à des moments clés de la vie, sollicitant aussi bien la proximité de
l’agence que la position de référent du conseiller bancaire, la mise en relation avec un juriste capable de conseiller dans le cadre de litiges,
sinistres ou stockage de données.
En %

75

52 52
49 48 48
43
39 39 39 38
35 34
32 31
28
Litiges juridiques

Sinistres

Déménagement

Numérisation

Décès

Achat véhicule

Aides sociales

Référencement prestataires

Conservation de données

Déclaration d'impôts

Frais de santé

Relais colis

Procédures administratives

Billetterie

Conservation jeu de clefs


Stockage données

Source : « Banque de crédit : ce qu'attendent les Français en matière de services bancaires (étude de Stanwell Consulting, 2013).

LES PISTES DE TRANSFORMATION NÉCESSAIRE MAIS PAS SUFFISANT


Une première piste de transformation est celle du conseil- Finalement la technologie et les innovations peuvent
ler « augmenté » par ces technologies, qui lui permet- être source de création de valeur directe (un nouveau
tront, d’une part d’être assisté afin de gagner du temps produit implique une nouvelle facturation) à condition
commercial, et d’autre part d’anticiper les besoins de ses d’être exclusives, au moins un temps, pour être à l’abri
clients afin d’être toujours plus proactif. L’objectif étant de la concurrence. Mais les banques traditionnelles ont
d’augmenter la qualité du conseil et de se concentrer sur rarement la primauté des innovations. Cette spécificité
la vente de produits à forte valeur ajoutée. revient souvent aux nouveaux acteurs plus agiles qui
La seconde piste est l’utilisation de la banque comme servent alors d’aiguillon pour la recherche.
un tiers de confiance pour tous les actes de la vie cou- En revanche, la technologie est créatrice de valeur indi-
rante Ainsi une banque pourra gérer, pour son client, recte lorsqu’elle sert la digitalisation des process et per-
des pans entiers de sa vie comme par exemple, un pro- met d’accompagner le client dans la réalisation d’opé-
jet immobilier. La banque pourra proposer de recher- rations simples sans interaction humaine. Cela permet
cher le bien, faire le prêt, assurer le bien, organiser le aux conseillers « augmentés » d’avoir plus de temps pour
déménagement, etc. La réalisation de ces services pourra vendre des produits à forte valeur ajoutée. Mais pour que
être sous-traitée et l’établissement sera alors rémunéré cela soit efficace, il faut que l’outil digital fonctionne
comme un apporteur d’affaires. parfaitement, avec une ergonomie irréprochable.
Grâce au RGPD, la piste de la vente de données à des fins Selon Sébastien Guillo, directeur de la stratégie HSBC
commerciales peut désormais être envisagée. Un certain France, « les innovations à destination des clients sont néces-
nombre de clients sont prêts à cette idée en contrepar- saires pour créer une expérience différenciante, mais pas suffi-
tie d’avantages sur le fonctionnement de leur compte. santes pour générer des revenus significatifs ». n

72 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Entreprise libérée

Happy management :
une réponse plausible
dans le secteur bancaire ?

Le développement global des risques psychosociaux est devenu un réel sujet d’entreprise
impactant les coûts et l’attractivité. Le marché bancaire, challengé par la crise, est en pleine
transformation, ce qui génère également du stress. Dès lors, le bien-être au travail n’est plus
considéré comme un fantasme ou un outil de communication, mais bien comme une priorité,
gage de motivation et de performance. Le happy management peut-il être en ce sens
Romain
Lagrange une réponse aux maux du secteur bancaire ?
Mastère Spécialisé

L
Senior Management
Bancaire, Promotion es aspirations des salariés ont changé, dans un positifs du travail que nous connaissons, parallèlement
2018-2019 modèle managérial qui se veut de plus en plus au malheur et à la souffrance qui émaillent la sphère du
CFPB École
horizontal et participatif, mais qui reste encore travail ces dernières années. L’approche philosophique
Supérieure bien souvent centré sur des préceptes traditionnels définit le bonheur comme un état de satisfaction durable,
de la banque faisant écho aux conséquences économiques liées à la de plénitude, où l’individu se sent comblé dans un ou
ESSEC Business crise de 2008. La confiance, la transparence, la reconnais- plusieurs domaines de sa vie. Le bonheur est un état
School sance, le sens donné à son travail sont autant de valeurs et non pas un sentiment, comme peut l’être la joie. La
qui caractérisent de nouveaux modèles de management durabilité du bonheur indique également qu’il ne peut
centrés sur l’humain et son bien-être, tous deux gages refléter un plaisir éphémère ou un bref contentement.
de performance. Le management par le sourire, le mana- Il apparaît également que le bonheur ne peut avoir lieu
gement 3.0, le « bonheur au travail », l’entreprise « libé- sans un rapport à l’autre, sans le partage. Enfin, le bon-
rée », le management par l’enthousiasme, sont autant de heur est également vu comme une quête qui aide les
dénominations ayant cette caractéristique commune. La individus à avancer dans la vie. Il apparaît donc impos-
préservation du salarié trouve un écho démesuré, voire un sible que les individus ne soient pas en recherche du
réel business, avec la multiplication des coaches et autres bonheur, même si celui-ci reste un idéal inatteignable.
consultants du bien-être. Pour pouvoir réellement se Le bonheur est ainsi le fruit d’une représentation et doit
questionner sur la pertinence de ces nouveaux modèles être entretenu comme un projet en devenir (Cyrulnik,
et leur possible application par les managers au sein du 2002). Beaucoup de textes et recherches traitant du
secteur bancaire, il est important de pouvoir décoder les sujet mélangent indifféremment bonheur et bien-être.
études, recherches académiques et théories sur le sujet. Le bonheur se caractérise par un état de satisfaction
complète, stable et durable. La définition du bien-être
BONHEUR ET BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL évoque quant à elle davantage la satisfaction des besoins.
Le happy management fait directement allusion au manage- Le bonheur et le bien-être restent tout de même deux
ment par le bonheur. Bonheur, bien-être, plaisir, satisfac- notions assez proches dans leur rapport au travail : le
tion… autant de concepts qui peuvent qualifier les effets bonheur peut être au sens large lié à la qualité de vie ou

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 73


NOUVELLES FORMES DE MANAGEMENT ET RH

1. LES DÉTERMINANTS DU HAPPY MANAGEMENT

au bien-être et au sens plus restreint, il combine à la fois à diffuser au sein du management et sont les moyens
l’intensité, la durée et recouvre les domaines du plaisir assurant la motivation et l’engagement. Le travail n’est
ou de la satisfaction (Veenhoven, 2007). Le bien-être au pas uniquement la satisfaction d’un besoin pécuniaire
travail est également composé de relations sociales, de et les individus recherchent des relations sociales, du
volonté d’engagement personnel, de reconnaissance, sens et une motivation à entretenir pour pouvoir s’épa-
d’estime de soi (sentiment de compétence), et de sens nouir et donner plus. Le management a évolué positive-
donné à son travail par son épanouissement (Dagenais- ment en relation avec les aspirations des salariés. Il se
Desmarais et Privé, 2010, p. 71). fait plus horizontal, plus collaboratif, plus à l’écoute.
Cependant, cela ne suffit plus pour les collaborateurs
UNE MODÉLISATION NÉCESSAIRE qui subissent de nombreux « rétropédalages » mana-
Il convient de vérifier les théories existantes pour déter- gériaux en période de tension. Les managers sont égale-
miner si le happy management est le moyen d’accéder à ment souvent sursollicités et davantage formés au culte
ce bien-être mais également s’il peut être généralisable du chiffre plutôt qu’au culte de l’humain.
quelle que soit l’entreprise. À la lecture de plus d’une
soixantaine d’auteurs, nous pouvons réaliser une syn- LES ENTREPRISES LIBÉRÉES
thèse des déterminants du happy management en lien Certaines entreprises, appelées « entreprises libérées »,
direct avec la motivation, l’engagement et la perfor- ont réussi à se relever de façon spectaculaire en faisant
mance (voir Figure 1). Le happy management peut ainsi des valeurs du happy management leur leitmotiv, ennemi
être défini comme la volonté de placer le collaborateur du contrôle et libérateur du bien-être et de la créativité.
au centre de la stratégie de l’entreprise en s’assurant de Ces entreprises prônent l’autonomie des salariés, la
son bien-être, gage de sa motivation, de son épanouisse- réduction voire la suppression du management intermé-
ment, et de son envie de s’engager dans l’action en vue diaire, la confiance totale annihilant ainsi toute forme
d’atteindre des résultats espérés ou pressentis. de contrôle. L’entreprise libérée met clairement le sala-
L’autonomie, la confiance réciproque, la reconnais- rié au cœur de la stratégie en suivant notamment l’un
sance, le sens du travail, la transparence dans la com- des principes de la méthode Kaizen du Lean management
munication, l’écoute et le respect sont les valeurs clés qui repose sur le fait que les salariés doivent être direc-

74 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


tement impliqués dans la stratégie car ils sont mieux 2. LES VALEURS DE L’ENTREPRISE LIBÉRÉE
placés que les ingénieurs pour détecter les probléma-
tiques et défauts des processus de l’entreprise. Le sala-
rié doit donc être en mesure d’exprimer en toute liberté
les défaillances et gagner en autonomie.
Il existe trois idées constantes que l’on retrouve chez la
plupart des dirigeants de ces entreprises (Getz, 2012).
Il faut tout d’abord que l’entreprise ait une vision, un
objectif supérieur autre que celui de faire des profits.
Si les salariés adhèrent pleinement à cette vision, elle
sera gage d’engagement, de sens et d’une responsabi-
lité collective et individuelle. Il faut également créer un
« environnement de l’égalité intrinsèque ». Chaque salarié doit
trouver lui-même la solution aux problématiques ren-
contrées et il doit être encouragé et respecté à faire ces
Source : Brunella (2016).
remontées. Enfin, il faut un environnement « où chacun
peut s’autodiriger ». Il s’agit ici de renforcer la responsa-
bilisation et l’autonomie des salariés tout en suppri-
mant un maximum de contrôles coûteux en temps et
en argent, dans un esprit de confiance (voir Figure 2).
Le manager intermédiaire est également parfois sup-
primé. Le choix est tourné vers un pouvoir partagé où les
leaders sont cooptés par les membres de leurs équipes trice » en affirmant que la transformation est possible.
et savent qu’ils pourront revenir à tout moment à leur La contrainte est le temps, car la mise en œuvre de tels
place initiale. L’auto-organisation ne peut par contre pas préceptes est proportionnelle à la taille de l’entreprise.
exister si l’adhésion aux valeurs de l’entreprise ne fait Il considère cependant que ces entreprises peuvent se
pas consensus auprès de tous. L’intérêt, également, est transformer en appliquant le modèle lorsqu’elles créent
la constitution des équipes en unités organisationnelles de nouvelles business units. Cela laisse le temps de tester
indépendantes. Tout le monde se connaît, les échanges le modèle organisationnel et, si cela fonctionne, pou-
sont plus personnalisés et les décisions choisies ensemble voir le diffuser de service en service.
plus vite appliquées. Nous nous rapprochons beaucoup
dans ce cas du système de gouvernance de l’holacratie LA CULTURE BANCAIRE
(Robertson, 2007), où l’organisation n’est plus pyra- Les entreprises bancaires, qui sont aujourd’hui, pour
midale mais devient fractale et mise principalement sur la grande majorité, en pleine transformation, peuvent-
l’intelligence collective dans le processus de décision. elles s’inscrire dans cette démarche, compte tenu de leur
taille, de leur histoire managériale très bureaucratique
UN MODÈLE APPLICABLE et des contraintes grandissantes liées à la réglementa-
À TOUTES LES ENTREPRISES tion ? Les transformations liées à la crise de 2008 et à
L’approche des entreprises libérées déchaîne les pas- ses conséquences sur le bilan des banques ont permis
sions de certains auteurs tant l’innovation de l’approche la mise en œuvre, notamment, d’une réduction des
bouleverse les codes existants. L’une des questions qui strates de management, dans une optique de rappro-
peut venir à l’esprit à la lecture de ce modèle d’entreprise chement de la décision au plus près du client. Cette
libérée est de savoir s’il peut s’appliquer dans toutes les diminution des strates va dans le sens des préconisa-
entreprises, quelle que soit leur taille. Pour Jean-François tions des entreprises libérées, car elle permet de faire
Zobrist[1], il n’y a aucune limite à la taille des entreprises, gagner les managers de proximité en autonomie et en
car le système organisé autour d’unités indépendantes responsabilisation. On constate cependant que la culture
et autonomes peut être répliqué aisément. Pour Isaac du contrôle ne s’est pourtant pas encore réformée et
Getz[2], les grands groupes du CAC40 doivent d’abord apparaît encore à bien des endroits comme une injonc-
compter sur le principe de la « prophétie autoréalisa- tion contradictoire à l’autonomie et à la confiance. Les
banques disposent également d’un système de valeurs
[1] Ancien directeur général de la fonderie Favi, pionnier de l’entreprise libérée. et d’une culture d’entreprise aboutis, mais tous deux
[2] Isaac Getz est professeur à l'ESCP Europe et auteur de livres dans
les domaines du comportement, du leadership et de la transformation
défiés par la crise qui a davantage instauré une culture
organisationnelle. Il a théorisé la notion d’entreprise libérée. de l’urgence et du résultat.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 75


NOUVELLES FORMES DE MANAGEMENT ET RH

DISTORSION TERRAIN ET POLITIQUE 3. LES MOTS LES PLUS REDONDANTS


Les banques se concentrent sur des modèles managé-
riaux plus novateurs et en phase avec les aspirations des À la question posée : « Quels seraient les facteurs clés
collaborateurs et se rapprochant des déterminants du dans votre action managériale pour mettre en œuvre
happy management tels que nous les avons vus. La com- le bonheur au travail ? »
munication sur le sujet est foisonnante au sein des éta-
blissements mais, pour autant, elle ne semble pas encore
trouver un total écho auprès de tous les managers inter-
médiaires. Cette absence de relais pour en assurer la
généralisation révèle une réelle distorsion entre la poli-
tique prônée par l’entreprise et le ressenti en proximité.
Une enquête locale sur le bonheur au travail réalisée
auprès de 50 managers bancaires, révèle clairement cette
distorsion. Les managers interrogés ont spontanément
conscience de la nécessité d’orienter davantage la stra-
tégie de l’entreprise vers l’humain pour faire perdurer
l’engagement et la performance. Ils appliquent pour la
plupart les préceptes du happy management mais sont sou-
vent mal reconnus par un management supérieur souvent
plus intéressé par la rapidité des résultats et la multipli-
cation de contrôles discutables freinant toute initiative
d’autonomie et de créativité. Les managers souhaitent
ainsi être davantage accompagnés dans leur métier,
être formés et reconnus par un management qui prône
au plus haut niveau de l’entreprise un modèle managé-
rial positif unique (voir Figure 3).

UNE GÉNÉRALISATION POSSIBLE


En conséquence, le happy management est une réponse tout
à fait plausible dans le secteur bancaire. Les entreprises
du secteur disposent d’un terreau fertile à leur transfor-
mation managériale si elles parviennent notamment à d’un système de promotion fondé sur la performance à
redéfinir leur culture d’entreprise, dépasser leur culture un système fondé sur la compétence et le désir, en choi-
du contrôle permanent en ne le limitant qu’aux aspects sissant des managers qui veulent accompagner, donner
réglementaires et en centrant davantage leur stratégie envie, motiver des équipes au quotidien, plutôt que les
sur les collaborateurs de terrain qui sont les premiers meilleurs commerciaux. Ce passage peut s’opérer par
acteurs de leur performance économique. la réalisation d’assessment pour tous les managers, et pas
Il convient notamment de redéfinir les valeurs de l’en- seulement pour certains managers intermédiaires comme
treprise, souvent trop complexes, trop peu partagées et c’est souvent le cas jusqu’ici. Il faut également pouvoir
les remplacer par des valeurs claires recréant un senti- choisir les managers en fonction de leurs savoir-être et
ment d’appartenance perdu par les affres et les consé- leurs compétences humaines eu égard à ceux de l’équipe
quences économiques de la crise. Des valeurs nouvelles, qu’ils rejoignent.
choisies par les collaborateurs eux-mêmes pour qu’elles
fassent sens et redynamisent la confiance et l’engage- UNE NÉCESSITÉ
ment. Il est possible également d’appliquer le principe Le management par le bien-être est ainsi une nécessité
des unités organisationnelles, prôné par les entreprises dans une époque où les salariés devront se sentir suffi-
libérées, lors de la création de nouvelles business units, samment écoutés, adaptables et autonomes pour assu-
dans un premier temps, en valorisant, au sein d’équipes rer leur propre employabilité au sein d’un secteur où ces
à taille humaine, la limitation des contrôles et indica- compétences majeures seront la clé pour faire face aux
teurs pour faire une place belle à l’autonomie et au par- nouveaux défis à venir tel que celui de la digitalisation.
tage. Nous pourrions même mettre en place un système Une confiance partagée au quotidien entre les salariés,
managérial de cooptation. Le manager est choisi au sein les managers, et l’entreprise en général en assurera vrai-
de l’équipe et par l’équipe. Il convient aussi de passer semblablement le succès. n

76 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


Transformation managériale

Feedback et Speak Up
Culture : leviers d’implication
Frédéric
Mailhan
des salariés
Mastère Spécialisé
Senior Management
Bancaire, Promotion
Dans un modèle bancaire qui limite ou interdit les brevets, et dans un monde complexifié
2018-2019
à l’extrême, ne peut-on pas percevoir les idées et recommandations des collaborateurs
CFPB École
Supérieure comme une source de rentabilité inexploitée ? En allant plus loin, peut-on réellement
de la banque
ESSEC Business
envisager, dans la société ouverte d’aujourd’hui, de ne pas le faire ?
School

D
ans un monde bancaire en pleine transformation L’installation d’une culture de la parole libre, une Speak
(digitalisation, apparition de nouveaux acteurs, Up Culture, apparaît comme une solution pour dévelop-
changement des comportements clients), les per la rentabilité d’une banque de réseau, sans que cela
banques de réseau doivent réinventer leur modèle n’engage des investissements financiers importants,
commercial, mais aussi managérial, afin d’optimiser tout en permettant de mobiliser les salariés et d’antici-
l’implication des collaborateurs. per sur les futures évolutions sociétales.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 77


NOUVELLES FORMES DE MANAGEMENT ET RH

La notion de Speak Up Culture n’a étonnamment pas de consommateurs), un personnel désengagé dans une
traduction en français. Une notion approchante pourrait activité de service peut avoir des effets dévastateurs en
être celle de « parole libérée ». Le Speak Up se définit plus termes d’image.
exactement comme « évoquer des problèmes ou des préoccupa-
tions, soumettre des suggestions, apporter des idées et exprimer UN MONDE CHANGEANT
des opinions dans l’objectif de changer les choses et améliorer le Le monde s’est complexifié. Or il paraît évident que des
travail d’un groupe ou d’une organisation ». problèmes complexes nécessitent des compétences
variées. L’histoire des entreprises a créé une structure
POURQUOI hiérarchique pyramidale de nature plutôt rigide. Si l’ef-
La temporalité accélérée de ces dernières années a poussé ficacité de ce type de structure ne peut être niée dans un
la plupart des entreprises à repenser leurs modèles stra- environnement peu complexe, il semblerait que cette
tégiques et managériaux tout en gardant en ligne de mire pyramide tende à s’effondrer lorsque la complexité aug-
les quatre impératifs suivants : mente, partant du principe que, si intelligents soient-
– la rentabilité inhérente à toute entreprise commerciale ; ils, les dirigeants ne peuvent pas à eux seuls prendre la
– l’adaptation à un monde changeant ; mesure de cette complexité et tenter d’y apporter des
– l’anticipation sur les besoins de demain ; solutions. Le rythme d’apparition des problèmes n’est
– le développement d’une marque employeur forte per- plus le même qu’il y a une dizaine d’années encore.
mettant de capter les talents. Avant, les solutions apportées à ces problèmes avaient
une durée de vie suffisamment longue pour que certaines
personnes les conçoivent et que d’autres les appliquent.
Mais aujourd’hui la temporalité a changé, de nouveaux
problèmes apparaissent avant même que des solutions

« La notion de Speak Up Culture


aient été trouvées aux anciens. Cela nécessite de faire
preuve de toujours plus de créativité et de faire appel à
n’a étonnamment pas de traduction tous. On peut donc entendre les maximes de nombreux

en français. Une notion approchante


dirigeants d’entreprises libérées qui énoncent que celui
qui fait, sait. Que c’est celui qui est au plus proche du
pourrait être celle de “parole libérée”. » client qui peut avoir l’idée, qui peut déceler ce qui manque
au consommateur ou qui peut capter les signaux faibles,
annonciateurs de futurs changements. Ce qui a été par-
faitement résumé par Woody Morcott, l’ancien P-DG
de Dana Corporation : « Pourquoi avons-nous embauché
LA RENTABILITÉ 55 000 cerveaux si nous n’utilisons que trois d’entre eux ? ». En
La question de la rentabilité est d’autant plus d’actualité poussant à l’extrême, il serait dommage de commencer
pour des établissements bancaires où l’on recherche en à écouter ces collaborateurs seulement une fois qu’ils
permanence de nouveaux relais de croissance pour pal- sont partis, pour rejoindre la concurrence ou créer leur
lier la pression exercée sur les marges traditionnelles. propre société. Concernant l’évolution de la société, la
Car si tant d’entreprises se remettent aujourd’hui en nôtre est sans doute la première dans l’histoire à vou-
question, c’est moins à cause d’une prise de conscience loir chercher un sens au travail. Et il ne peut pas y avoir
philanthropique que d’une nécessité économique. de plaisir quand on ne sollicite plus l’intelligence ou la
Dans un monde de concurrence exacerbée et en per- créativité de l’individu, en le transformant en simple
pétuelle mutation, quelle entreprise pourrait ne pas exécutant. On assiste donc, en France comme ailleurs, à
profiter d’une solution peu coûteuse, permettant de une certaine forme de désengagement des salariés et sa
se démarquer dans son marché, en optimisant seule- cohorte de troubles psychosociaux. Simultanément, les
ment les ressources dont elle dispose déjà ? La notion réseaux sociaux envahissent la vie des consommateurs,
d’implication est importante dans le milieu bancaire, et donc du salarié aussi. Et cette vie extraprofessionnelle
particulièrement pour les activités de front office. lui permet d’interpeller le président de la République
Cela est d’autant plus vrai avec la notion d’expérience ou son chanteur préféré sur Twitter, de noter un restau-
client. Il y a fort à parier qu’un collaborateur démotivé rant ou de critiquer un hôtel sur TripAdvisor. Quand on
et désengagé sera peu à même de délivrer ce moment connaît ce monde-là, il peut paraître incompréhensible
d’échange unique. À l’heure des réseaux sociaux et de ne pas pouvoir s’adresser à son N+3 sans suivre tout
des NPS (système de notation de la satisfaction des un processus bureaucratique normé.

78 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


DEMAIN pour acheter ce qu'il désirait, à partir du moment où cela
Avec l’Intelligence artificielle, l’homme ne rivalisera avait un rapport avec le travail.
plus jamais avec la machine pour ce qui est des calculs
purs ou de la connaissance générale. De là naît une évi- DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE
dence : sa supériorité aujourd’hui, et pour quelque temps Des dispositifs existent déjà pour favoriser l’expression
encore, réside dans sa créativité. Ce qui doit donc être de nouvelles idées ou l’émergence d’une parole libérée
développé, encouragé, c’est cette créativité, et par là, le en entreprise. Mais ils peuvent être pollués par des élé-
sens critique. De même, l’intelligence émotionnelle doit ments sociétaux (remise en cause des institutions et de
être développée, car plus il y aura de machines, plus il l’entreprise) ou les éléments perturbateurs de l’entre-
faudra réaffirmer l’importance de la relation humaine. prise (la règle des 3  %[2] pour qui sont érigés nombre
de contrôles et de garde-fous qui vont venir brider les
LES RESSOURCES HUMAINES 97 % restants).
Quel que soit l’établissement, le constat est partagé et La sollicitation d’avis a une place essentielle dans la notion
factuel : les démissions sont devenues le premier motif de Speak Up Culture, partant du principe que tout salarié
de départ dans les banques, loin devant les départs à la ayant une conviction forte a autorité pour s’exprimer.
retraite. Il apparaît donc nécessaire de se démarquer de Parce qu’il faut savoir interroger ceux qui connaissent
la concurrence, de travailler, sur le fonds et sur la forme, le sujet et ceux qui devront vivre avec les conséquences
cette fameuse marque employeur. Avec une question de la décision.
primordiale en tête : quels collaborateurs souhaitons- Instaurer la parole en entreprise nécessite la mise en
nous ? Investis et forces de proposition ou désengagés ? place d’un environnement favorable qui peut s’articu-
La Speak Up Culture n’est pas une philosophie managé- ler autour de trois axes :
riale « Bisounours ». Premièrement parce que les entre- – la formation ;
prises n’en ont pas les moyens, et deuxièmement parce – une nouvelle culture ;
que ce n’est pas ce que les salariés recherchent. Il est – l’exemplarité à tous niveaux.
rare qu’un high potential choisisse sa future entreprise Elle appelle aussi à l’évolution vers de l’open management
parce que celle-ci dispose d’un baby-foot et d’une salle (créativité et co-construction), le développement des soft
de repos. Il choisira celle qui propose la rémunération skills (empathie, capacité à collaborer…) chez les mana-
la plus attractive, ou celle qui lui permettra d’exploiter gers et les collaborateurs, l’application d’un réel droit à
son potentiel et de donner du sens à son activité pro- l’erreur et la responsabilisation de chacun. Parce que
fessionnelle. l’adoption d’une Speak Up Culture offre, en plus de nou-
veaux droits, de nouveaux devoirs aux salariés. Ce n’est
INSPIRATIONS plus au seul manager d’être exemplaire, mais cette obli-
Un rapide retour sur quelques théories choisies permet gation s’impose dorénavant à tout le monde
de se rendre compte que les premiers étages de la pyra-
mide de Maslow sont souvent déjà acquis, avant même CONCLUSION
d’entrer dans la vie professionnelle, à l'idée que le taylo- La Speak Up Culture est simple dans son principe et com-
risme est bien souvent une théorie « historique » et que pliquée dans les freins qui peuvent exister encore. Cette
de nouvelles philosophies apparaissent, comme l’Iki- dichotomie rappelle la sentence qui veut qu’en termes de
gai japonais, ou renaissent, tel le Kaizen et sa notion management, tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais
d’amélioration continue. que personne ne le fait. Si le choix du Speak Up est fait,
Concernant les mises en pratique de nouveaux modèles il faut alors s’appuyer sur les vraies valeurs de l’entre-
managériaux dans d’autres activités que la banque, on prise et s’inscrire dans le long terme sans pour autant
s’aperçoit que les dirigeants concernés n’ont pas cherché trop promettre.
à motiver les collaborateurs, mais seulement à créer un Le monde est changeant, les évolutions à venir inquié-
environnement où les salariés se motivent eux-mêmes. tantes et les choix difficiles à effectuer. Mais ces mêmes
Avec parfois quelques techniques originales comme Jean- éléments rendent aussi cette époque passionnante et sur-
François Zobrist[1] qui a offert, à son arrivée à la tête de la tout débordante d’opportunités pour qui sait les saisir. n
société FAVI, un chèque de 500 francs à chaque employé

[1] La méthode FAVI développée par Jean-François Zobrist, ancien directeur [2] Règle selon laquelle des contraintes sont mises en œuvre pour l’ensemble
général de cette entreprise spécialisée dans la fonderie, repose sur le principe de des collaborateurs alors que le problème initial à résoudre ne concerne qu’une
la confiance envers les équipes de production et sur l’auto-organisation. partie très minoritaire des salariés.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 79


NOUVELLES FORMES DE MANAGEMENT ET RH

Développer l’engagement des collaborateurs


dans la banque de détail

Le levier de l’expérience
collaborateur
Le business model des banques de détail est challengé : le contexte
de taux, la réglementation, la concurrence exercent des contraintes fortes.
L’amélioration de l’expérience client a constitué une première ligne de défense.
Elle est une réponse efficace si elle est portée par des collaborateurs engagés.
Dès lors, la question de l’expérience collaborateur devient un enjeu stratégique.
Laurent

L
Peillon es banques de détail évoluent dans un environne- objectif principal : fidéliser leurs clients dans une pers-
Mastère Spécialisé ment contraint. Elles subissent une forte pression pective d’amélioration des profits. La chaîne de valeur
Senior Management
sur les marges, leurs perspectives de développement d’un service mise en évidence par James L. Heskett et
Bancaire, Promotion
2018-2019 sont limitées. Par ailleurs, leurs clients sont moins consorts[2] démontre les liens qui permettent de déve-
fidèles car encouragés à changer de partenaire bancaire. lopper les profits d’une entreprise de services en détail-
CFPB École
supérieure Dans un contexte concurrentiel renforcé par l’arrivée de lant le processus de création de la valeur dudit service.
de la banque nouveaux acteurs, les banques de détail ont donc pris On y apprend que l’élément de départ est la satisfaction
ESSEC Business l’option d’apporter un soin particulier à redessiner l’ex- des collaborateurs, indispensable au développement de
School périence client pour rendre le contact avec leur marque la satisfaction des clients. Cette satisfaction des collabo-
inoubliable. L’objectif est de fidéliser une clientèle en rateurs étant elle-même engendrée par ce qu’ils appellent
recherche d’une expérience sans couture marquée par la qualité de service interne. Ce terme désigne concrète-
une empreinte digitale forte, à l’image de celle offerte ment l’ensemble de l’expérience vécue par les collabo-
par de nombreuses enseignes par ailleurs. Ce contexte rateurs au travail. Dès lors, il apparaît que l’enjeu est de
implique des mutations profondes dans les établisse- s’attacher au développement de la satisfaction des col-
ments bancaires qui ne sont pas sans conséquences laborateurs en redessinant, à l’image de l’expérience
pour ceux chargés de l’incarner aux yeux des clients : client, leur expérience vécue au travail. Pour y parvenir,
leurs collaborateurs. Différentes études montrent d’un les banques doivent penser l’expérience collaborateur
côté une forte augmentation de leur stress, et dans le pour qu’elle soit la plus stimulante possible. L’expérience
même temps une tendance globale au désengagement client étant enrichie par l’intention dont fera preuve le
au travail. L’une d’elles, réalisée par l’institut GALLUP collaborateur dans l’exercice de ses missions, l’objectif
en France[1], met en lumière que seuls 6 % des salariés à rechercher doit être d’au moins préserver, si ce n’est
interrogés s’estiment engagés au travail ! Le coût annuel développer l’engagement au travail des employés. Une
de ce désengagement (absentéisme, turnover, accidents expérience client de qualité étant une expérience qui se
du travail) y est d’ailleurs estimé à 97 milliards d’euros. dirige et s’organise, il doit en aller de même s’agissant de
l’expérience collaborateur en développant une stratégie
L’ENGAGEMENT DES COLLABORATEURS de management de l’expérience vécue au travail.
Les banques de détail qui entreprennent des démarches
d’amélioration de l’expérience client poursuivent un
[2] James L. Heskett et al., « Putting the Service-Profit Chain to Work », Harvard
[1] State of the Global Workplace, Gallup, 2018. Business Review, 1994.

80 Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019


IDENTIFIER LES LEVIERS D’UN PLUS FORT ressenties. Il est donc intéressant d’établir une palette
ENGAGEMENT AU TRAVAIL des expériences structurantes qui devront faire l’objet
L’engagement d’un collaborateur se mesure au degré de d’un soin particulier pour qu’elles soient engageantes.
qualité avec lequel il délivre les prestations en lien avec On parle ici des parcours d’intégration (embauche ou
ses missions. Il ne s’agit pas tellement de sa satisfaction, mobilité), des rencontres avec le manager (entretiens
ou encore de sa motivation, ni même de son épanouis- d’accompagnement, d’évaluation annuelle, de feed-backs),
sement au travail. Gilles Verrier propose une définition mais également des entretiens de carrière ou encore des
de l’engagement en parlant « de l’intention consciente avec mises en œuvre des différents plans de transformation.
laquelle le collaborateur s’attache à donner le meilleur de lui-
même, faire preuve d’intelligence des situations, mobiliser ses QUELLES INITIATIVES PRIORITAIRES EN FAVEUR
capacités  »[3]. Cette proposition prend un sens tout par- D’UNE EXPÉRIENCE COLLABORATEUR
ticulier dans une banque où la qualité de service, tant ENGAGEANTE ?
dans sa dimension relationnelle que technique est fon- En la matière, plusieurs entreprises de services ont
damentale. L’engagement au travail n’ayant rien de sys- entrepris des démarches avec des résultats probants.
tématique, il faut donc s’intéresser aux leviers qui vont Un exemple se rapproche du contexte dans lequel évo-
le favoriser. Dans cette perspective, on peut distinguer luent les banques que nous avons évoqué précédemment.
deux catégories d’engagement : l’engagement à l’entre- Alors que ce qui était visible de la relation employeur-
prise, qui révèle le degré du sentiment d’appartenance, employé d’Orange à l’orée des années 2010 était une
et l’engagement au travail, qui traduit le degré d’enga- vague de suicides parmi ses collaborateurs, elle est
gement dans l’exercice de la mission confiée. devenue une entreprise où il fait bon travailler et pour
Une étude réalisée en janvier 2019 auprès d’un panel laquelle les résultats économiques sont au rendez-vous.
représentatif de collaborateurs en banque de détail a per- Corinne Samama révèle dans son livre[5] l’acte fondateur
mis d’extérioriser les principales attentes des répondants de ce changement. Le P-DG, Stéphane Richard, accepte
en matière de levier d’engagement au travail en lien avec en 2015 la proposition d’une collaboratrice de créer un
les expériences qu’ils vivent au quotidien. On peut y dis- incubateur d’intra-preneurs fonctionnant en mode « test
tinguer des attentes fonctionnelles (qualité des locaux, and learn », pour redéfinir l’expérience collaborateur.
fiabilité des outils informatiques…) et des attentes émo- S’ensuivent différentes initiatives en faveur de l’optimi-
tionnelles (besoin de reconnaissance, liberté d’initiative, sation de « points de contact favorables avec l’entreprise tout au
relation au manager direct), en miroir à l’approche de l’ex- long de leur parcours professionnel », en se concentrant sur la
périence client développée par Carbone et Haeckel[4]. Il connaissance du salarié, son parcours professionnel, le
en ressort que des attentes fonctionnelles non assouvies traitement de ses irritants quotidiens.
sont de possibles facteurs de désengagement et doivent
donc être prises en considération. En revanche, s’il s’agit INITIER LA DÉMARCHE
de chercher des « boosters » d’engagement, la satisfaction Dans l’environnement bancaire qui nous intéresse, des
des attentes émotionnelles représente le levier le plus initiatives prioritaires doivent être menées pour inver-
efficace. La relation au manager direct, à ce titre, y prend ser la tendance en matière d’engagement au travail. Les
une place majeure. transformations successives se traduisent par une perte
L’étude de la construction du processus émotionnel tel de repères sur les carrières aux yeux de collaborateurs
qu’exprimé par le professeur Sally Planap, permet de très majoritairement qualifiés, et pour une large partie
traduire l’importance des expériences vécues dans la attirés par les parcours de développement de compé-
construction des émotions dont certaines ont des impacts tences qu’offre une banque. Pour commencer, il faut
plus durables, et à ce titre doivent donc faire l’objet d’une initier la démarche qui doit être portée par le dirigeant
attention particulière. Ainsi quand on pose la question et engagée par la direction des ressources humaines. Il
ouverte de citer un évènement impactant vécu dans l’en- s’agit d’y d’installer une équipe dédiée qui travaillera de
treprise, les réponses données évoquent des moments façon transversale avec les différents domaines de la DRH
forts de la relation avec leur manager direct, les plans de (transformation RH, développement des compétences,
transformation de l’entreprise… Ces moments ne sont pas staffing et carrières…). À partir d’un bilan de la situation,
nécessairement récents, ce qui pose bien la question de et après avoir réfléchi à la question suivante : « pourquoi et
l’impact plus ou moins fort dans le temps des émotions pour quoi travailler pour cet établissement ? », de façon à poser
les bases d’une nouvelle relation employeur-employé,

[3] Gilles Verrier, Développer l’engagement, RH Info, 2017.


[4] L.P. Carbone et S.H. Haeckel. « Engineering Customer Experiences », [5] Corinne Samama, L’expérience collaborateur : faites de vos employés les premiers
Marketing Management, janvier 1994. fans de votre entreprise !, Diateino, 2017.

Revue Banque | Numéro Spécial CFPB | septembre 2019 81


NOUVELLES FORMES DE MANAGEMENT ET RH

DESIGN THINKING DE L’EXPÉRIENCE COLLABORATEUR

Data
Communication Métier concerné
Retail
Entreprise
Opérations TESTER
RH Banque privée Éprouver
la solution
DÉCOUVRIR et l’améliorer
le parcours
IT
Collaborateurs
MAQUETTER
Construire
un prototype

DÉFINIR
CRÉER
Le besoin
Dessiner
collaborateur
le parcours
et l’objectif

la démarche doit s’inspirer de l’approche utilisée en des documents incontournables : contrat de travail,
matière d’expérience client au profit d’une refonte de code de conduite, guides de bonnes pratiques… Cet
l’expérience collaborateur. Pour y parvenir, il est néces- outil digital, qui peut prendre la forme d’une applica-
saire de repenser les parcours collaborateurs existants tion pour smartphone, appuiera efficacement l’approche
en utilisant l’approche du design thinking. De même, humaine indispensable à ces parcours d’intégration.
chaque changement dans l’entreprise amené à impac- Par ailleurs, les transformations successives se tra-
ter l’expérience collaborateur devra recevoir un label duisent par une perte de repères sur les carrières aux
expérience collaborateur by design délivré par l’équipe yeux de collaborateurs très majoritairement qualifiés,
Expérience Collaborateur. et pour une large partie attirés par les parcours de déve-
Par ailleurs et en cohérence avec les attentes exprimées loppement de compétences qu’offre une banque. Pour
par les collaborateurs, la culture managériale doit être y remédier, il est nécessaire d’organiser un mapping des
au centre des réflexions. L’action du manager de proxi- compétences maîtrisées et à développer pour appuyer
mité est déterminante dans la qualité de l’expérience les gestionnaires de carrière dans leur travail de coa-
vécue. L’approche proposée par la « symétrie des atten- ching carrière auprès des collaborateurs, et orienter la
tions  », à diffuser dans le cadre d’une approche managé- stratégie de formation. De cette façon, il sera possible
riale top-down, et qui propose de pratiquer les attitudes de redonner la visibilité attendue sur les parcours de
en symétrie avec les collaborateurs, à l’image de celles compétences.
attendues auprès des clients, se positionne comme un
principe managérial adapté. AGIR DANS LA DURÉE
Pour finir, une stratégie consistant à façonner l’expé-
LE DESIGN DES MOMENTS STRUCTURANTS rience collaborateur suppose une mesure en continu.
En ce qui concerne les moments structurants, deux D’abord par des enquêtes personnalisées qui pour-
volets doivent être prioritaires. D’abord, il s’agit de favo- ront aller jusqu’à l’évaluation de l’action du manager
riser l’intégration par une nouvelle approche de l’on- dans les moments clefs de la vie des collaborateurs,
boarding, dans le cadre de l’embauche ou des mobilités mais également pour faciliter la remontée des irritants
professionnelles. Ces moments sont jalonnés d’étapes quotidiens et leur correction. Corinne Samama résume
clefs qui conditionnent le sentiment d’intégration et cette approche de la manière suivante : « Si le client achète
d’appartenance. Il est possible de s’assurer de la réus- la promesse de l’entreprise avec de l’argent, le collaborateur
site de ses étapes en s’appuyant sur un outil digitalisé l’achète avec une autre monnaie qui s’appelle l’engagement. »
accessible depuis le smartphone du collaborateur et du Il est donc incontournable pour les banques de repen-
manager pour permettre de suivre les différentes étapes ser l’expérience de leurs collaborateurs pour la rendre
du parcours et rendre facilement accessibles l’ensemble stimulante et engageante. n

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