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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Contrôle externe et gouvernance des collectivités


territoriales marocaines
Par :

Aziz BOUZEGGOU
Doctorant en Comptabilité Management et Audit, université Mohammed premier Oujda

Zouhir AJAIR
Doctorant en Comptabilité Management et Audit, université Mohammed premier Oujda

Résumé :

Cet article combine de manière complémentaire une démarche qualitative basée sur des
entretiens semi directifs et une approche quantitative réalisée par l’administration d’un
questionnaire en face à face pour répondre principalement à la problématique suivante : Comment
le contrôle externe des collectivités territoriales marocaines pourrait-t-il contribuer effectivement à
l’amélioration de leur gouvernance ?

Mots clés :

Contrôle externe, gouvernance, collectivité territoriale.

Abstract :
This article complementarily combines a qualitative approach based on semi-structured
interviews and a quantitative approach carried out by administering a questionnaire to meet face to
face mainly the following problem: How external control of Moroccan local to contribute to the

improvement of their governance?

Keywords:
External control, governance, local authority.
Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Les collectivités territoriales (désormais CT) sont des personnes morales de droit public
distinctes de l'État, dont l’action revêt une importance significative dans notre pays. Au titre de
l’année 2013, les recettes de ces entités, atteignant 31,8 milliards DH, représentent en effet 3,64 %
du PIB national alors que les dépenses ordinaires se sont établies à 19,9 milliards DH soit 2,28 %
du PIB. Quant à l’investissement, d’un montant de 11 milliards DH contre 45,3 milliards DH pour
l’Etat (soit une contribution de 19 %), il a représenté 1,26 % du PIB.
Cette situation est confortée avec l’adoption de la nouvelle Constitution de juillet 2011 qui
constitue un apport important dans la dynamique du processus de décentralisation au Maroc. Les
modifications sont importantes et traduisent la volonté de l’Etat d’élargir les compétences des
conseils communaux, de revisiter la construction de l’édifice administratif dans son ensemble et de
poser les bases d’une nouvelle gouvernance locale qui fait de la CT le levier du progrès
économique, culturel et social (Articles 135, 136, 137, 139, 140, 146, 147 et 154).
Il apparaît ainsi que les pouvoirs publics, après avoir posé les bases d’une nouvelle
gouvernance locale depuis 2011, ont besoin de faire le point. Alors que le projet de régionalisation
avancée est en pleine réflexion aujourd’hui, il leur est nécessaire aussi d’impliquer le système de
contrôle externe dans cette évolution pour donner aux décideurs locaux les moyens de remplir leurs
missions sociales et économiques et ce, en disposant notamment d’outils capables tout à la fois
d’éclairer leurs choix politiques et de leur permettre de respecter les impératifs de transparence et de
responsabilisation issus des règles de démocratie locale.
C’est dans ce contexte d’évolution rapide des gestions locales et notamment celles des
grandes CT qu’il nous semble utile de nous interroger sur ce que pourrait devenir le contrôle
externe en partant des acquis de la décentralisation et en tenant compte de ces nouveaux enjeux de
gouvernance issus des dernières réformes. Une telle question nous conduit à définir notre postulat
de travail comme suit :

Les CT marocaines ont un besoin impérieux d’un contrôle externe qui pourrait leur
permettre de répondre pleinement aux nouvelles exigences de leur gouvernance

Afin de pouvoir produire donc des actions susceptibles d'améliorer la pratique, nous allons
tout d’abord s’appuyer sur les rapports publiés par la Cour des Comptes et interroger plusieurs élus
et cadres communaux. Ceci nous a permis de relever un certain nombre de dysfonctionnements
récurrents et de mieux connaître les attentes des gestionnaires locaux concernant la thématique
faisant l’objet du travail. Nous nous proposons aussi de présenter, dans le cadre d’une réforme plus
large, des solutions techniques et pratiques relatives à la mise en place d’un véritable contrôle

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externe permettant l’amélioration de la gestion publique et la mise en œuvre d’une bonne


gouvernance.
1. Le contrôle externe en place, un contrôle appelé à se développer pour l’amélioration de la
gouvernance des CT
Dans un premier temps, nous nous interrogeons sur la pertinence des outils de contrôle
externe imposés par la loi et les règlements en vigueur. Dans un second temps, nous engageons une
réflexion sur les voies d’amélioration de ces outils.
1.1. Une contribution limitée des contrôles externes en place à la gouvernance des CT
Le contrôle externe des collectivités territoriales au Maroc est assuré par divers organes
tels que le comptable public, les Cours Régionales des Comptes (CRC), l’Inspection Générale de
l’Administration Territoriale (IGAT), l’Inspection Générale des Finances (IGF), la Trésorerie
Générale du Royaume (TGR), etc. Ces différents contrôles peuvent être regroupés en trois
catégories : contrôle de régularité, contrôle juridictionnel et contrôle de légalité. La figure 1 ci-
dessous présente une synthèse des différentes structures de contrôle, des acteurs et de leurs missions
respectives au niveau communal.
Figure 1 - Les principaux contrôles externes actuels dans les collectivités territoriales au Maroc

Ministère des finances

IGF TGR
Gouverneurs Contrôle
régularité

posteriori
Contrôle
Ministère de l’intérieur

et Walis Hiérarchique
de

de régularité
à

Contrôle à
légalité budgétaire

Ordonnateur communal
Les Cours Régionales des Comptes (CRC)

Contrôle
Contrôle juridictionnel
à priori Budget
I.G.A.T

Exécution Comptable
Contrôle de la public
gestion
Compte Contrôle de
administrative administratif régularité
, technique et (budgétaire et de
comptable. validité)
Contrôle budgétaire
Contrôle de gestion

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Source : Elaborée par nos soins

Plusieurs critiques peuvent être formulées à l'endroit de ces contrôles. Cependant, nous ne
nous intéresserons1 dans ce qui suit qu'aux deux principaux contrôles comptables proprement dits.
Ainsi, nous verrons d’abord les limites du contrôle pluriannuel des Cours Régionales des Comptes
(1.1.1) avant d’analyser, en second lieu, les carences du contrôle pratiqué par le comptable public
(1.1.2).
1.1.1. Limites et perspectives d’évolution des contrôles pratiqués par les Cours Régionales
des Comptes (C.R.C)
Créées par la loi n° 62-99 formant code des juridictions financières, les C.R.C, présentes
dans neuf régions marocaines, sont « chargées d’assurer le contrôle des comptes et de la gestion des
régions et des autres collectivités territoriales et de leurs groupements » (Art. 149, Constitution
2011). Leurs interventions peuvent être catégorisées en trois types de missions chacune reflète une
logique de contrôle spécifique (figure 2) :

Figure 2 - Types des contrôles exercés par les Cours Régionales des Comptes

Les Cours Régionales des Comptes

- Contrôle de gestion Contrôle juridictionnel


- Contrôle budgétaire

L’ordonnateur Le comptable public

Source : Elaborée par nos soins


Ces contrôles opérés par les C.R.C. sont censés garantir la régularité et assurer des
éclairages externes sur les gestions communales. Mais, certaines limites révèlent que cette
intervention est d’une fiabilité incertaine. Dans ce qui suit, nous verrons d’abord leurs principales
insuffisances avant de présenter en synthèse la perspective d’évolution proposée.
1.1.1.1. Un contrôle lacunaire et non pertinent

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Pour ne pas alourdir cette analyse, nous avons écarté le contrôle de l’autorité locale pour sa simplicité (un contrôle
de légalité) et les autres contrôles pour l’absence de leur spécificité aux collectivités territoriales.
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Le contrôle exercé par les C.R.C au Maroc est largement calqué sur le système français,
basé sur le contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes, considéré, lui-même, par
plusieurs chercheurs tels que Wathelet (2000, p. 73), Lande (2002, p. 14), Carassus (2003, p. 13),
Rananjason-Ralaza (2008, p. 140), comme non pertinent et lacunaire. Ces limites peuvent être
soulevées à plusieurs niveaux :
 Le contrôle budgétaire exercé par ces chambres est un contrôle ponctuel réalisé
seulement sur demande du représentant de l’Etat. Le tableau 1 suivant présente les statistiques
relatives aux affaires instruites par les C.R.C. de 2003 à 2013.

Tableau 1 - Evolution des affaires instruites par les C.R.C dans le cadre du contrôle budgétaire
Exercices des demandes d’avis
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Communes
0 3 4 4 3 6 17 19 05
urbaines
Communes
8 21 22 10 21 35 70 62 37
rurales
Source : Elaboré à partir des rapports de la Cour des Comptes (2005, 2006, 2007, 2008,
2009, 2010, 2011, 2012, 2013)

Au-delà de cette saisine limitée, ce contrôle peut être ressenti par les élus comme vexatoire,
gênant vis-à-vis de son conseil, voire de son électoral. En outre, le rôle de ces juridictions au Maroc
se limite à l’expression de leur avis concernant le compte administratif rejeté (art. 143, loi n° 62-
99). En somme, cette intervention reste consultative et pédagogique et ne prend pas force
exécutoire comme le confirme l’article 144 (Ibid.) qui met en exergue la possibilité donnée au
Ministre de l’intérieur, au Wali ou au Gouverneur de prendre une décision motivée non conforme à
celui de la Cour Régionale.
 Le contrôle de gestion exercé est pluriannuel et très espacé dans le temps. Faute de
disposer de moyens conséquents, les C.R.C. ne contrôlent réellement qu’un nombre limité des
comptes des collectivités territoriales. Le tableau 2 ci-après illustre ce décalage temporel important
existant entre les faits et la période d’une nouvelle intervention pour l’ensemble des communes
auditées dans le rapport annuel 2006.

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Tableau 2 - Le rythme des contrôles de la gestion des collectivités territoriales auditées par les
C.R.C en 2006

Période de dernier audit juridictionnel opéré


2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
C.U Kénitra Oui Non Oui Non Non Non Non Oui
C.U Rabat Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.U Sidi Kacem Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R d'Oulmès Oui Non Non Non Non Non Non Non
Les communes auditées en 2006

C.U Sefrou Oui Non Non Non Non Non Non Oui
C.R Ait Sebâa Jrouf Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.U Asilah Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R Bghaghza Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R Lâaouamra Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.U Inezgane Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.U Bouznika Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.U Youssoufia Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R Guisser Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R EL Gantour Oui Non Non Non Non Non Non Non
C.R Ahl Angad Oui Non Non Non Non Non Non Non
Source : Elaboré à partir des rapports de la Cour des Comptes 2006, 2007, 2008, 2009,
2010, 2011, 2012 et 2013.

Cette insuffisance de l’exercice annuel des missions d’audit légal constitue la principale
critique du mode actuel d’intervention de ces juridictions. La pertinence de ces contrôles mal
supportés par les élus est, aussi, remise en cause dans la mesure où les C. R.C. se sont actuellement,
pour l’essentiel, cantonnées dans l’appréciation, non de la qualité mais de la seule régularité des
gestions locales. Au total, comme le précise Wathelet (2000, pp. 234-235), ces audits des magistrats
vont, faute de temps, à l’essentiel et tendent à négliger la revue globale et la revue générale de
l’organisme au profit de la vérification aléatoire d’un maximum d’opérations et ne vont pas toujours
jusqu’à diagnostiquer ensuite au profit des gestionnaires locaux, après une revue approfondie des
procédures en cause, les faiblesses de ces dernières qui sont la source des anomalies récurrentes.
1.1.1.2. Des moyens humains insuffisants

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Les limites des contrôles juridictionnels peuvent être expliquées aussi par le manque des
moyens humains mis à la disposition de la Cour des Comptes pour faire face à ses multiples
attributions. En effet, au titre de l’exercice 2013 (Cours des comptes, 2015, p. 343), le nombre des
magistrats et fonctionnaires est de 540 personnes. Le nombre de magistrats est de 353 dont 41
auditeurs, soit 65.37 % du personnel total. Pour ce qui est du corps administratif, l’effectif est de
187 dont 8 sont détachés auprès d’autres administrations. A titre comparatif, il convient de noter,
qu’en France, et en 2013, les effectifs des magistrats de la cour et des chambres régionales étaient
les suivants :
Tableau 3 - Personnel des juridictions financières en France
Année 2013
Effectif total de la Cour des Comptes 726
Effectif total des chambres régionales et territoriales des comptes 972
Effectif total 1698
Source : Cour des Comptes Française (2014, pp. 64-66)
Cet effectif dérisoire du personnel des cours régionales au Maroc, comparé à l’énormité de
la masse des comptes à contrôler annuellement, parait limité et ne peut satisfaire leurs besoins en
matière de contrôle juridictionnel et de contrôle de gestion. Une telle situation entraîne une lenteur
remarquable dans le travail. En effet, depuis leur création, ces cours enregistrent des retards dans la
communication des rapports. Or la loi est claire dans ce cas. L’article 100 du code des juridictions
financières stipule que « le rapport annuel de la Cour est présenté à Sa Majesté le Roi par le premier
président avant la fin de l’année budgétaire qui suit celle à laquelle il se rapporte ; il est publié au «
Bulletin officiel ». (Art. 100, la loi n°. 62-99). Le tableau 4 met en évidence ces retards de
publications des rapports annuels pour la période allant de 2008 à 2013 :

Tableau 4 - Les retards de publication des rapports par la Cour des Comptes

Exercices 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Date de 22 mars 7 avril 5 avril 10 janvier 6 février 1 Avril


publication 2010 2011 2012 2013 2014 2015
Source : Elaboré par nos soins
Ainsi ce défaut de moyens humains constitue un frein majeur à l'effectivité du contrôle
exercé par les C.R.C. Dès lors, leur examen ne contribue qu’en partie à stopper des dérives en cours
et à exercer des véritables audits de performance dans la mesure où ces derniers sont fort coûteux en
temps.
Pour conclure sur ce point, nous ajoutons que la lecture succincte des expériences
étrangères d’audit et de contrôle de la gestion locale conduit à mettre en évidence deux tendances

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majeures : un modèle continental où le contrôle est essentiellement juridictionnel et un modèle


anglo-saxon regroupant la plupart des pays qui prônent l’application stricte des méthodes du privé à
l’administration publique. Les principales caractéristiques de ces deux modèles sont récapitulées
dans le tableau 5 ci-dessous.

Tableau 5 - Présentation comparative des modèles de contrôle juridictionnel « continental » et


d’audit externe « anglo-saxon »
Modèle continental Modèle anglo-saxon
Royaume- Etats-
France Belgique Espagne Canada
Uni Unis
Niveau de conformité
< 50 % 55 % < conformité < 65 % > 70 % < 50 %
avec les IPSAS
Cour des
Organismes

de contrôle
d’audit ou

Comptes * * *
Auditeurs
privés ou * * *
publics
Contrôle de
ou de contrôle
Types d’audit

gestion * * *
Audit
* * *
financier
Audit de
* * *
performance
Logique administrative et Logique budgétaire, financière
Logique dominante
juridictionnelle et patrimoniale
Des contrôles fiables assurant
Des contrôles pluriannuels
Conclusion des missions proches de l’audit
insuffisants
des entreprises privées
Source : Inspiré de Scheid (1994) et Khrouz et Brusca (2007)
Dans le modèle de contrôle externe « continental »2, les contrôles sont effectués par une
chambre juridictionnelle des comptes ou une autorité similaire qui « procède d'une part au jugement
des comptes, c'est-à-dire s'assure a posteriori de l'application des règles de la comptabilité publique
par les comptables locaux et déclare éventuellement des gestions de fait avec les conséquences que
cela implique ; d'autre part, elle examine la gestion et porte donc des appréciations sur la situation
financière ou sur l'adéquation des moyens utilisés aux fins recherchées » (Demeestère, 1996, p. 97).
Ces contrôles redondants connaissent, plus spécifiquement en France comme le remarque Carassus
(2003, p. 22), des insuffisances dont l’origine peut être trouvée dans un manque de moyens
disponibles, une périodicité de contrôle trop importante, des méthodes de collecte des éléments
probants trop exhaustives, des critères hétérogènes de comparaison, etc.

2
Les pays influencés par ce modèle sont, entre autres, la France, la République Fédérale d’Allemagne, l’Autriche,
l’Espagne, la République d’Irlande, la Suisse et le Portugal.
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Dans le deuxième modèle de contrôle externe « anglo-saxon », où il n’y a pas de cour des
comptes, l’audit est une pratique, comme le précise Lande (1994a, p. 17), largement reconnue par
l’ensemble des collectivités locales. Partiellement fondée sur la conception suivie par les entreprises
privées, cette approche « anglo-saxonne » de l’audit public utilise, comme le souligne Carassus
(2002, p. 117), sa logique, ses méthodes, sa démarche, ainsi qu’une partie de ses critères de
références. Les pays influencés par ce modèle sont, entre autres, les Pays-Bas, les Etats-Unis, le
Canada et le Royaume-Uni (avec des restrictions pour l’Irlande du Nord).
Cette brève comparaison nous permet alors de situer le mode de contrôle externe appliqué
au Maroc dans le modèle continental. Toutefois, les critiques adressées à ce modèle (Carassus,
2001, p. 4) et les réformes comptables envisagées dans la plupart de ces Etats (Khrouz et Brusca,
2007, p. 63) nous conduisent à envisager la perspective anglo-saxonne comme pierre angulaire3 de
l’amélioration des contrôles actuels au Maroc. Les insuffisances marquant les techniques de
contrôle externe en place peuvent alors être atténuées par le développement d’un audit annuel
préalable à l’arrêt des comptes et des budgets locaux. Cette nouvelle orientation conceptuelle, qui
occupe une place importante dans les projets des réformes inspirées par le New Public
Management, constituerait un moyen de légitimation et de responsabilisation des gestionnaires
communaux qui leur permettrait d’une part, comme le précise Wathelet (2000), « d’arrêter
définitivement des comptes régaliens, sincères et fidèles sur la base d’une expertise externe
reconnue leur donnant une assurance raisonnable qu’ils le sont » (Ibid. p. 228), et d’autre part, selon
Lande (1994b), « d’évaluer la qualité de la gestion [...], tout en étant un outil d’amélioration de cette
gestion en donnant les raisons des contre-performances » (Ibid. p. 9).
1.1.2. Insuffisances et perspectives d’évolution des contrôles concomitants pratiqués par le
comptable publique
En l’état actuel, ce système de contrôle4 souffre de quelques lacunes qui sont surtout liées
au principe de séparation institutionnelle5 entre comptable et ordonnateur.
1.1.2.2. Limites liées au bicéphalisme de la comptabilité locale marocaine
Le bicéphalisme de la comptabilité communale fait du comptable public le premier
contrôleur externe des opérations de dépenses et de recettes de la CT. Toutefois, malgré que ce

3
Carassus (2001, p. 18) précise que ce modèle d’audit externe anglo-saxon constitue, en comparaison au modèle
continental du contrôle externe, un moyen pertinent de réponse à une obligation de reddition des comptes
indispensable au renforcement de la démocratie locale.
4
Il s’agit d’un contrôle de régularité des dépenses et des recettes communales. A cet effet, le comptable public
exerce en matière de dépenses (Art. 55, Décret n°. 2-09-441) un contrôle budgétaire au stade de l’engagement et un
contrôle de validité de la dépense au stade de paiement. En matière de recettes, il est tenu d’exercer au préalable un
contrôle de la régularité « de la perception et de l’imputation ainsi que la vérification des pièces justificatives » (Art.
32, Ibid.).
5
Le règlement comptable des collectivités territoriales au Maroc stipule que « la fonction d’ordonnateur d’une
collectivité locale ou d’un groupement est incompatible avec celle de comptable public » (Art. 4, Décret n°. 2-09-441).
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principe de séparation puisse avoir « le mérite de permettre un échange permanent entre la


collectivité et le comptable » (Jamet, 2004, p. 27), il est, en effet, comme le remarque Saïdj (1993),
« l’objet de critiques de plus en plus fréquentes, à la mesure du discrédit croissant qui semble
frapper les règles de comptabilité publique et qu’accroissent encore les perspectives, réelles ou
supposées, d’une « privatisation » de la gestion publique » (Ibid. p. 64). Ce dernier auteur explique
opportunément que « la première série de critiques, la plus connue, a trait à la lenteur, à la
complexité et, parfois, à l’archaïsme des opérations sur deniers publics, avec leur cortège d’effets
pervers, à la fois pour les gestionnaires, les créanciers, les contribuables et, en fin de compte,
l’ensemble de la collectivité […] ce défaut […] tient d’avantage, d’une part à la complexité et à la
lourdeur de la réglementation à faire appliquer (c’est probablement l’aspect le plus préoccupant du
problème), d’autre part à l’insuffisance ou à l’archaïsme des moyens humains, financiers et
techniques encore ou longtemps mis en œuvre dans certains secteurs de la comptabilité publique »
(Ibid. p. 67). Il ajoute que ce principe « ferait prévaloir des considérations de régularité sur le souci
d’efficacité et conduirait à un contrôle formaliste, voir tatillon, susceptible, notamment,
d’empêcher, sous prétexte de droit, des opérations d’intérêt général » (Ibid. p. 68). Wathelet (2000)
considère que cette séparation conduit « à un statu quo peu satisfaisant en termes de contrôle et de
gestion. Elle freine la mise en place, voire parfois cautionne dans les collectivités locales l’absence
prolongée d’un système de contrôle financier complet, autonome et efficace, intégré dans leur
système général de contrôle […] Enfin, elle est onéreuse puisqu’elle se traduit de plus en plus par la
redondance des contrôles des teneurs de comptes internes et des comptables publics externes du
Trésor » (Ibid. p. 214).
En somme, les imperfections de ce principe entrainent des lacunes dans le contrôle externe
exercé par le comptable public sur l’ordonnateur. Ceci s’explique généralement par l'éternel conflit
« efficacité-régularité » devant lequel le législateur a préféré privilégier la sécurité des fonds publics
au détriment d'une réalisation simplifiée et rapide des opérations de dépenses et de recettes. Les
rapports de la Cour des Comptes décèlent plusieurs dérives qui se manifestent dans son application.
C’est ce que nous allons essayer de clarifier dans l’axe suivant.
1.1.2.3. Quelques carences pratiques de l’application du principe
Ce contrôle externe de la comptabilité budgétaire de l’ordonnateur connaît certaines
insuffisances et même des blocages. Le comptable public ne peut, avec cette séparation, assurer un
contrôle de régularité pertinent car il ne dispose d’aucun pouvoir de vérification sur place pour
connaitre la réalité des dépenses et des recettes, et surtout, car il ne peut procéder à un audit de
système de contrôle interne qui peut être considéré comme un facteur primordial à l’efficacité de
son intervention.

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Il apparaît ainsi que les vérifications de régularité à priori du comptable public restent
lacunaires pour valoir certification budgétaire et patrimoniale. Le rapport de la Cour des Comptes
2011 révèle plusieurs types de ces anomalies relatives à l’engagement des dépenses et leur validité
(voir tableau 6 ci-après).
Tableau 6 - Exemples des carences du contrôle de régularité des dépenses relevées dans le rapport
de la Cour des Comptes 2011
Communes Type de contrôle budgétaire manqué
CU de Zaïo Indisponibilité des crédits (Cour des comptes, 2013, p. 425)
CR de Laghdira Fausse imputation budgétaire (Ibid. p. 555)
CU de Nador
Inexactitude des calculs de liquidation (Ibid. p. 212 et p. 381)
CU de Martil
CU de Bajaad Paiement de dépense sans engagement préalable (Ibid. p. 537, p.
CR Laghdira 538 et p. 553)
CU de Bajaad Absence de justification du service fait (Ibid. p. 537)
CU de Safi
Mandatement injustifié d’une dépense (Ibid. p. 54, p. 57 et p. 494)
CU de Sidi Allal El Bahraoui
Source : Elaboré à partir du Rapport annuel de la Cour des Comptes 2011.
Aussi il est utile d’ajouter que l’essentiel de la comptabilité locale actuelle au Maroc est
une comptabilité de caisse qui pourrait se prêter bien à une séparation institutionnelle entre
ordonnateur et comptable, surtout en cas de développement d’une culture d’autocontrôle dans les
CT. Or, les nouveautés apportées par le règlement comptable du 3 janvier 2010 vont changer la
donne. En effet, ce dernier institue une comptabilité générale en partie double qui sera tenue
conformément à un plan comptable obéissant aux principes du code général de normalisation
comptable (Art. 106, décret n°. 2-09-441). Cette tendance entrainera des tâches supplémentaires qui
ne peuvent être effectuées que par un comptable placé au cœur du système de gestion de la CT et
ayant une vision globale et transversale de la chaîne comptable. Ainsi, il serait souhaitable de placer
le comptable public au sein des grandes CT pour supprimer la redondance et développer un système
de contrôle financier unifié et efficace. Cela semble approprié dans la mesure où ce sacro-saint
principe structurant et irradiant de l’édifice comptable communal au Maroc n’a pas été utilisé,
comme le souligne Saïdj (2011), « par les pays développés économiquement (sans, que l’on sache,
la fraude aux deniers publics y soit plus grande et la performance plus faible qu’en France), ou bien
ait été abandonné car il ne paraissait plus adapté aux nécessités d’une gestion publique de haut
niveau, désormais sécurisés par d’autres moyens que ceux que l’on était obligé d’employer en
France au XIXe siècle et que l’on est encore obligé (à raison) d’employer dans certains pays où la
culture administrative et les moyens techniques sont moins développés » (Ibid. p. 51).
Ce changement de vision conduirait ce comptable à devenir, comme l’explique Wathelet
(2000, p. 194), l’alter ego de son prédécesseur du Trésor en terme de rigueur dans l’exercice du
contrôle de la régularité. Mais à la différence de ce dernier, son appartenance à la collectivité
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territoriale lui permettrait d’intérioriser les contraintes de gestion et de bien connaitre les tenants et
aboutissants des différents dossiers délicats.
2. Evaluation empirique des réformes souhaitables du système de contrôle externe des CT au
Maroc
Nous présentons tout d’abord globalement la méthodologie de l’étude empirique pour,
finalement aborder notre réflexion sur les différentes actions proposées pour relever le défi de
l’amélioration de la gouvernance de nos CT.
2.1. Une vision globale de l’étude empirique
La méthodologie retenue combine de manière complémentaire une démarche qualitative
basée sur des entretiens semi directifs et une approche quantitative réalisée par l’administration
d’un questionnaire en face à face (figure 3 ci-dessous).

Figure 3 - Une méthodologie mixte de la recherche

Approche théorique Approche empirique

Etape confirmatoire centrale


(2)

Enquête Enquête
Revue de littérature qualitative quantitative
(Entretiens avec (Questionnaire)
saturation)

(1)
Etape d’exploration préliminaire

Source : Elaborée par nos soins

2.1.1. La collecte des données par l’enquête quantitative


L’étude quantitative s’appuie sur un échantillon constitué par des fractions échantillonnales
tirées de façon aléatoire par catégorie de commune et strate de population, dans des proportions
identiques à celles qui existent dans la population de référence (tableau 7 ci-dessous) codifiée et
rendue anonyme pour des soucis de confidentialité.

Tableau 7 - Répartition de la population mère par type de commune


Fréquence Pourcentage Pourcentage valide Pourcentage cumulé
Commune rurale 1282 85,3 85,3 85,3
Valide
Commune urbaine 221 14,7 14,7 100,0
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Total 1503 100,0 100,0


Source : Elaboré à partir du logiciel SPSS 22
Au total, nous avons sélectionné 90 CT dont 77 communes rurales et 13 communes
urbaines. La ventilation de notre échantillon par type de commune se décline de la manière
suivante :

Tableau 8 - Répartition de l’échantillon de l’étude par type de commune


Fréquence Pourcentage Pourcentage valide Pourcentage cumulé
Commune rurale 74 85,1 86,0 86,0
Valide
Commune urbaine 12 13,8 14,0 100,0
Total 86 98,9 100,0
Source : Elaboré à partir du logiciel SPSS 22
Par ailleurs, la collecte des informations a été menée au moyen d’un questionnaire
administré de façon guidée soit par nous-mêmes (55 questionnaires), soit par des fonctionnaires
locaux (35 questionnaires) sur une période allant du 1er juin 2013 au 30 novembre 2014 (tableau 9).
Tableau 9 - Récapitulatif des résultats par type d’enquêteur
Type commune
Régions concernées %
CR CU
Taza-Al hoceima-Taounate 10 2 13,4
55 questionnaires

Fès-Boulemane 9 1 11,1
Par nous-mêmes

Oriental 11 3 15,6
Tanger-Tetouan 11 1 13,4
Rabat-Salé-Zemmour-Zaer 7 0 7,8
Total des enquêtes réalisées 48 7 61,3
Questionnaire non exploitable à cause de l’incohérence des réponses 1
Questionnaires exploitables 47 7 60
Meknès-Tafilalet 4 0 4,4
Oued Ed-Dahab-Lagouira 1 0 1,1
Souss-Massa-Draa 3 1 4,4
Par fonctionnaires locaux

Chaouia-Ouardigha 6 0 6,7
35 questionnaires

Laayoune-Boujdour-Sakia-El-Hamra 2 0 2,2
Tadla-Azilal 7 0 7,8
Gharb-Chrarda-Beni Hssen 1 1 2,2
Doukkala-Abda 3 0 3,3
Grand Casablanca 2 0 2,2
Marrakech-Tensift-Al Haouz 0 2 2,2
Guelmim-Esmara 0 2 2,2
Total des enquêtes réalisées 29 6 38,7
Questionnaires mal remplis et non exploitables 2 1
Questionnaires exploitables 27 5 35,6
Nombre total des questionnaires exploitables 86 95,6
Le tableau 9 fait apparaitre que le nombre total des questionnaires exploitables est
satisfaisant (86 questionnaires, soit 95,6 % des enquêtes réalisées). Par conséquent, les analyses qui
vont être faites, portent sur les données de ces 86 questionnaires validés.

2.1.2. La collecte des données par l’enquête qualitative exploratoire


12
Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Dans le cadre de cette étude qualitative, nous avons favorisé l’échantillonnage délibéré qui
permet de compléter et d’enrichir nos constats de départ. Nous avons débuté, ainsi, notre stratégie
d’échantillonnage en présélectionnant au niveau de chacun des six groupes définis dans notre
population mère (Cf. tableau 7. supra) trois communes qui correspondaient aux deux critères de
sélection définis6. Puis, nous avons contacté par téléphone les seize gestionnaires des unités
retenues pour leur rappeler les attentes de l’étude et leur préciser qu’ils avaient été choisis comme
faisant partie des cas typiques à explorer. Au total, six communes urbaines et rurales ont été
sélectionnées (tableau 10 ci-dessous).

Tableau 10 - Principales données descriptives des huit cas étudiés.


Programme Populatio Budget annuel de
CT Région
gouvernance n totale 2014 en KDH
CR11 GLM 4447 Inférieur à 10000 Taza-Al Hoceima-Taounate
CR47 GLM 16464 Entre 10000 et 40000 Taza-Al Hoceima-Taounate
CR76 PGL 27478 Entre 10000 et 40000 Doukkala-Abda
CU82 GLM 12645 Entre 10000 et 40000 Taza-Al hoceima-Taounate
CU87 PGL 68674 Entre 40001 et 1000000 Marrakech-Tensift-Al Haouz
CU89 PGL 797719 Supérieur à 1000000 Marrakech-Tensift-Al Haouz
Pratiquement, nous avons organisé une série de six entretiens semi-directifs centrés
(ESDC) sur une période de 2 mois, entre janvier 2013 et mars 2013, avant la construction du
questionnaire de l’enquête quantitatif principal. Ces entretiens ont fait l’objet d’une prise de notes
afin de mettre en évidence les éléments clefs du discours de l’interviewé. Leur durée varie entre 40
minutes et 1 heure environ comme il est décrit dans le tableau 11 ci-dessous.

Tableau 11 - Caractéristiques des entretiens exploratoires réalisés


Communes Interlocuteurs Durée de l’entretien
Entretien 1 Com11 Membre du bureau communal 40 minutes
Entretien 2 Com47 Président de la commune 1 heure
Entretien 3 Com76 Secrétaire général 50 minutes
Entretien 4 Com82 Président de la commune 50 minutes
Entretien 5 Com87 Membre du bureau communal 40 minutes
Entretien 6 Com89 Membre du bureau communal 45 minutes
Par ailleurs, l’analyse qualitative a été réalisée en deux temps. Une analyse verticale intra-
texte qui permet de voir comment le répondant a abordé l’ensemble des questions définies dans le
guide. Puis, une analyse horizontale des corpus qui permettra de mettre en exergue les constances et
les régularités. Ceci conduit donc, comme le précise Manita (2008, p. 199), à rechercher une
cohérence globale au niveau du corpus de données produit par l’ensemble des interlocuteurs.

6
Dans notre processus d’échantillonnage, nous avons essayé d’assurer une représentativité des communes de
différentes tailles (sur la base du critère de la population totale) et de mettre l’accent sur les communes qui ont
bénéficié d’un programme de bonne gouvernance de la direction générale des collectivités locales.
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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

2.2. Interprétation et discussion des résultats


Cette partie présente deux propositions bien accueillies par les élus : l’institution des audits
légaux et le décloisonnement de la séparation comptable-ordonnateur.
2.2.1. Nécessité d’instituer des audits légaux des comptes et des budgets
Les items du questionnaire relatifs à cette thématique visaient à évaluer la réceptivité des
gestionnaires communaux à une éventuelle institution d’un audit annuel et l’intérêt particulier qu’ils
portent à chacune de ses grandes catégories. Le tableau 12 ci-dessous résume les résultats
descriptifs issus de l’enquête quantitative.

Tableau 12 - Les niveaux d’accord moyen avec la proposition d’institution de l’audit annuel
Groupes de communes par strate de
population
Items
moins de 7500 à 25001 à plus de
de 7500 25000 100000 100000
L’engagement d’un audit annuel des budgets et des
1.69 2.78 3.5 5
comptes avant leur vote par l’assemblée délibérante
Assurer la légitimation de la gestion 2.35 2.7 4.12 4
Minimiser les risques liés à la gestion communale 3.92 4.36 4.62 5
Chercher l’économie, l’efficience et l’efficacité de
2.46 3.78 4.5 5
l’organisation communale
Développement des outils d’évaluation de la
1.73 2.28 3.87 3.5
qualité des choix politiques

Il ressort de cet enquête, que les gestionnaires des moyennes (de 7500 à 100000 habitants)
et des grandes communes (plus de 100000) ont exprimé leur intérêt particulier à l’institution des
audits avant leur vote par les assemblées délibérantes (un niveau d’accord moyen supérieur à la note
moyenne de 2.5). Ils apparaissent favorables aux audits financiers et de performance, puisque leur
niveau d’accord moyen est largement supérieur à la note moyenne. En outre, ces conclusions
peuvent être retrouvées aussi dans l’analyse qualitative. Ce sont les motivations politiques et
managériales qui sont le plus souvent évoquées par les interviewés (encadré 1 ci-après).

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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Encadré 1 - Discours des gestionnaires des communes importantes relatifs à l’institution d’un audit
des comptes locaux
« On a des comptes à rendre […] L’intervention d’un auditeur externe pourrait rassurer les
contribuables que nos comptes sont sains » (président de la CR 2)
« Il pourrait être vraiment utile d’avoir un œil extérieur d’aide à la gestion locale » (secrétaire
général de la CR 3)
« L’auditeur pourrait nous apporter beaucoup […] Par son statut indépendant et le référentiel utilisé,
il donnerait une certaine légitimité à nos choix politiques » (président de la CU 1)
« Les conclusions de l’audit pourraient être un document de référence pour pouvoir corriger les
dysfonctionnements éventuels » (membre de bureau communal de la CU 2).

Au contraire, les gestionnaires des communes de petite taille (dont le nombre d’habitants
est inférieur à 7500) ne sont pas favorables, globalement, au développement d’un audit financier
légal annuel des comptes locaux ou de performance (un niveau d’accord moyen inférieur à la note
moyenne de 2.5). La taille de la commune semble donc un facteur déterminant dans les réponses
des personnes interviewées (encadré 2).
Encadré 2 - Discours des gestionnaires des communes de petite taille relatifs à l’institution
d’un audit des comptes locaux
« Je ne vois pas aussi pourquoi je financerais un audit légal pour pallier les limites des contrôles
étatiques déjà en place » (membre du bureau communal de la CR 1)
« Mais je serai d’accord si l’état affecte des moyens supplémentaires pour l’engagement d’un
auditeur externe » (membre du bureau communal de la CR 1)

Cette réceptivité des acteurs locaux justifierait, au moins dans un premier temps pour les
CT les plus importantes, le développement d’un audit financier annuel des comptes et d’un audit de
performance qui pourraient atténuer les insuffisances des contrôles actuels et dynamiser le contrôle
politique et la démocratie locale. Une telle évolution serait indispensable notamment avec la
nouvelle constitution de 2011 qui souligne dans son premier article que « le régime constitutionnel
du Royaume est fondé sur […] les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la
responsabilité et la reddition des comptes » (Constitution 2011).
Toutefois, la voie d’évolution proposée soulève plusieurs questions techniques qui
devraient être approfondies par un groupe d’experts, avant de faire l’objet des expérimentations
avec les CT volontaires. Le tableau 13 ci-après résume les principales actions recommandées
relatives aux grandes composantes de cet audit, ses objectifs, sa nature, sa périodicité et le type
d’auditeur.
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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Tableau 13 - Quelques recommandations relatives aux deux types d’audit envisagés


Audit financier sur l’ensemble de la commune et de Audit de performance sur les
ses satellites programmes menés par la CT
Audit des comptes Audit de Audit de Audit Audit
Composantes
financiers conformité contrôle interne d’efficience d’efficacité
Exprimer une Vérifier la Alléger les Examen des Examen des
opinion sur la conformité contrôles ou les procédures résultats et leur
Objectifs fidélité des aux exigences focaliser sur et pratiques comparaison
documents légales et certains mises en avec les
comptables réglementaires domaines œuvre prévisions
Nature Obligatoire Volontaire
Type - Auditeur privé pour les grandes CT
d’auditeur - Chambres régionales des comptes ou Comptable du trésor pour les petites CT
Périodicité annuelle variable

Source : Inspiré de Lande (1994a, 1994b, 1994c) et résultats de nos enquêtes empiriques
Dans le même sens, une réforme qui donnerait lieu à des pratiques de reporting communal
unifiées (un rapport d’audit financier, un rapport d’audit de performance et leurs versions abrégées),
aussi bien dans la présentation que dans le contenu, serait, donc, hautement accueillie par les
gestionnaires locaux. En effet, l’institutionnalisation de ces reporting pourrait garantir une reddition
informationnelle satisfaisante si le législateur réglemente leurs normes de confection, leur audit
légal préalable par un expert indépendant, et exige leur approbation par l’assemblée délibérante en
même temps que les comptes locaux annuels pour toutes les CT notamment celles d’une certaine
importance.

2.2.2. Décloisonner la séparation ordonnateur-comptable


Dans l’enquête quantitative, la question relative à cette proposition cherchait à déterminer
l’intérêt porté par les gestionnaires locaux à un éventuel rapprochement institutionnel du comptable
public auprès de son ordonnateur (tableau 14 ci-après). Seuls 37.2 % des personnes interrogées
estiment que cette question est opportune, les gestionnaires des grandes CT y étant plus favorables
(des niveaux d’accord moyen supérieurs à la note moyenne de 2.5 pour les communes de plus de
25000 habitants) que ceux des communes moins importantes (des niveaux d’accord moyen
inférieurs à la note moyenne de 2.5 pour les communes de moins de 25000 habitants).

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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

Tableau 14 - Niveaux d’accord moyen avec la proposition d’aménagement de la séparation


ordonnateur-comptable
Groupes de communes par strate de
population
Items
moins de 7500 25001 à plus de
de 7500 à 25000 100000 100000
Un comptable interne à la CT ayant une vision
1.54 1.8 3.62 3.5
globale et transversale de la chaîne comptable.

Nous avons repéré aussi ces constats dans les propos des dirigeants interviewés (encadré
3).

Encadré 3 - Discours des acteurs locaux relatifs à la proposition d’aménagement de la séparation


ordonnateur-comptable

« Vraiment je me sens un peu gêné de vous avouer que le contrôle formaliste du comptable du
Trésor conduit, de temps en temps, à entraver, pour des considérations de régularité, le bon
déroulement d’une opération d’intérêt général pour la commune » (membre de bureau communal
de la CU 3)
« Je pense que le rôle du comptable public doit nécessairement évoluer […] Face aux enjeux qu’on
a discutés, il serait primordial de passer d’une logique de simple teneur de comptes à une logique
d’expert en comptes locaux » (membre de bureau communal de la CU 2)
« Oui cette solution me paraît plus adaptée aux nécessités d’une gestion saine et performante »
(président de la CU 1)
« Il est vrai que la séparation ordonnateur-comptable crée des lenteurs et, souvent, des
incompréhensions avec nos collègues de la trésorerie, Mais, je dois le dire, ce principe français est
une règle essentielle en comptabilité publique » (secrétaire général de la CR 3)

Au regard de ces résultats et pour répondre aux enjeux d’une bonne gouvernance, il serait
souhaitable, au moins dans un premier temps pour les grandes CT7, de décloisonner la séparation et
offrir une vision unitaire de la fonction comptable communale8. Cela semble essentiel aujourd’hui
pour supprimer la redondance comptable soulignée plus haut et faire fonctionner efficacement le

7
Pour les petites communes qui n’ont pas les moyens nécessaires pour se passer du comptable externe, plusieurs
solutions pourraient être envisagées : maintenir, à titre transitoire, le système en place ; partager avec d’autres
communes un comptable relevant d’un groupement communal ; augmenter les ressources de de fonctionnement
pour recruter un comptable interne.
8
La mise en œuvre de cette solution remettrait en cause radicalement le système comptable en place. Seule une
volonté ferme de l’Etat pourrait stimuler un tel changement (pressions coercitives).
17
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système de contrôle interne dans l’optique de la certification des comptes, de consolidation et de


développement d’une comptabilité patrimoniale et fonctionnelle.
Par ailleurs, le renforcement du contrôle interne, notamment du contrôle interne comptable,
apparaît comme un pilier majeur pour relever le défi opérationnel de la mise en place de cette
nouvelle entité. La majorité des gestionnaires communaux, qui sont très favorables au
développement de ce dispositif (tableau 15 ci-dessous), font valoir de manière significative leur
volonté « d’améliorer et de sécuriser l’efficacité des procédures » (président de la CU 1),
« d’assurer la transparence et la qualité des comptes » (membre de bureau communal de la CU 3),
« de maîtriser les risques » (secrétaire général de la CR 3) et « de créer une cellule d’audit »
(membre de bureau communal de la CU 3).

Tableau 15 - Niveaux d’accord moyen avec la proposition de renforcement du contrôle interne

Groupes de communes par strate de


population
Items
moins de 7500 25001 à plus de
de 7500 à 25000 100000 100000
Le développement du contrôle interne pour relever
3.04 4.32 4.5 4.5
rapidement le défi opérationnel de cette proposition

En conclusion, il est à préciser que ce travail avait pour ambition principale de répondre à
la question suivante : Comment le contrôle externe des CT marocaines pourrait-il contribuer à
l’amélioration de leur gouvernance ?
Dans l’ensemble, la réflexion engagée conduirait à imaginer un système de contrôle
externe porteur pour la modernisation des gestions locales et tourné vers la performance. Un tel
système, comme le synthétise le tableau 16 ci-dessous, repose sur la mise en place des trois
propositions soulevées plus haut : l’institution des audits légaux des comptes et des budgets, la
production des rapports annuels et le décloisonnement de la séparation comptable-ordonnateur afin
d’offrir une vision unitaire de la fonction comptable communale.

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Tableau 16 - Récapitulatif des propositions finales de la recherche

Propositions CT de grande taille CT de petite taille


 
Audit financier annuel des comptes et
1 CRC ou comptables du
un audit de performance Auditeurs privés
trésor
Rapports annuels normalisés, audités et  
2 approuvés par l’assemblée délibérante Rapports globaux et Rapports
communale versions abrégées globaux

Maintenir le système en
Décloisonner la séparation ordonnateur-
place ; partager avec
3 comptable public et développer le 
d’autres communes un
contrôle interne
comptable relevant d’un
groupement communal

Globalement, il semblerait aujourd’hui que cette palette d’outils proposés fasse de plus en
plus l’objet d’un consensus des acteurs locaux et même d’un encouragement de l’Etat. Sa mise en
œuvre soit de manière contrainte, soit de manière purement volontariste permettrait ainsi l’entrée de
la démarche de la transparence et de la performance dans la gestion locale et les discussions des
enjeux de nos communes.

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Revue Interdisciplinaire Vol1, n°1

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