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Comment pouvons-nous expliquer la différence entre les œuvres d’art et les objets ordinaires qui

ne sont pas considérés comme des créations artistiques mais qui sont identiques aux œuvres en
question? Est-il possible de justifier cette différence sans avoir recours à l’idée artistique derrière
une œuvre? Dans ce texte, je présenterai la signification de l’interprétation et de l’identification
artistique selon Arthur C. Danto, ainsi que la conception de l’art qu’il défend à l’aide de ceux-ci.
Celle-ci ce résume comme suit :

« […] ensuite, je soutenais qu’une chose peu être une œuvre d’art seulement si elle incarne sa
signification. » (Danto, 2003, p.20)

Selon Danto, ce qui nous permet de distinguer une œuvre d’art d’un objet simple du monde réel
ou d’une autre œuvre d’art est le pouvoir de l’interprétation. Dans son utilisation générale, c’est
une opération de transformation métaphysique qui possède comme « fonction » d’extrapoler
l’œuvre d’art qui est transposée sur le matériel brut du monde sensoriel :

« En effet, l’art est le levier qui extrait les objets du monde réel pour les élever au monde de l’art,
ou ils sont dotés d’attributs souvent inattendus. » (Danto, 1993, p.63)

Ce processus d’élévation jusqu’à ce qu’il appelle le monde de l’art est l’application concrète de
l’interprétation selon lui. En d’autres mots, ce sont celles-ci qui caractérisent et définissent les
œuvres d’art auxquelles nous sommes confronté. Nous arrivons donc ici au premier problème
concernant l’interprétation pour Danto, celui de l’interprétation correcte versus l’interprétation
incorrecte d’une œuvre d’art. En admettant que l’interprétation elle seule délimite une œuvre,
n’admettons-nous pas aussi du même coup qu’il existe une interprétation correcte concernant
cette création artistique? Est-il possible de trouver l’interprétation déterminée d’une création
artistique?

L’existence d’une signification entourant n’importe quelle œuvre d’art cède la place à la
possibilité d’interprétation déterminée encore plus réelle, car s’il n’existait pas de dualité entre
l’interprétation correcte/incorrecte, toutes les interprétations d’une œuvre deviendraient
indéterminées. Cette indétermination de l’œuvre s’étendrait par la suite au niveau de l’identité
artistique de l’artiste se retrouvant derrière la dite oeuvre, ce qui poserait un problème. Donc s’il
existe un fait pertinent quant à la signification d’une œuvre, que serait-il? Quel fait rendrait
l’interprétation et l’identité d’une œuvre déterminée? Danto nous dit que c’est la signification
que l’artiste a conféré à son œuvre ou l’intention :

« Je pense que nous ne commettrions pas d’erreur fondamentale en admettant que l’interprétation
correcte de l’objet-comme-œuvre d’art soit celle qui coïncide au plus près de l’interprétation de
l’artiste lui-même. » (Danto, 1993, p.69)

Quand l’interprétation d’une œuvre est concernée, Danto nous dit qu’une œuvre possède un sens
déterminé régi par les intentions de l’artiste. Par exemple, si un artiste peint un tableau
extrêmement sombre suite à un épisode de sa vie remplie d’émotions de douleurs et de tristesse,
ce tableau spécifique possède un sens déterminé et guidé par ses émotions. C’est une façon
unique de communiquer les émotions sinistres ressenties au moment de la conception de l’œuvre.
Si par la suite, un inconnu venait suggérer que selon lui, l’intention de l’artiste derrière cette
œuvre était de communiquer des émotions gaies et réconfortantes, il est raisonnable, selon
Danto, de déterminer que l’interprétation de l’inconnu est ici erronée et ne reflète aucunement
l’intention de l’artiste. En d’autres termes, l’artiste agit comme locuteur et dispose d’une autorité
universelle sur la signification de son œuvre :

« L’interprétation n’est pas extérieure à l’œuvre : œuvre et interprétation font irruption ensemble
dans la conscience esthétique. De même que l’interprétation est inséparable de l’œuvre, elle est
inséparable de l’artiste si elle est son œuvre. » (Danto, 1993, p.70)

Conséquement, l’interprétation personnelle de tous et chacun doit se rapprocher le plus possible


de celle de l’artiste derrière l’œuvre si nous voulons que celle-ci représente de façon correcte et
identifie de façon juste l’œuvre en question. C’est bien sûr cette affirmation qu’a faite Danto qui
nous permet de plonger un peu plus dans la conception de l’art qu’il défend.

Selon lui, la conception moderne de l’art qui prétend que chaque œuvre agit comme un miroir,
permettant à tout le monde qui confronte une pièce artistique d’y voir ce qu’il veut, est la façon
incorrecte d’agiter la naissance d’une interprétation. Ce qu’il appelle la « théorie de
l’interprétation infinie » est au final une méthode utilisée pour valider chaque interprétation
unique d’une œuvre dépendamment de qui l’oppose. Par contre, dissocier l’interprétation ou
l’intention originale de l’œuvre de l’artiste revient selon lui à fractionner l’union qui existe entre
l’œuvre et l’artiste. C’est de s’en remettre à une coïncidence pour tenter d’expliquer une œuvre
plutôt que d’essayer de déchiffrer les intentions premières que porte celle-ci. Est-il alors
réellement pensable d’identifier une œuvre sans retourner vers sa signification réelle et de
l’intention de son artiste? La relation entre le concept même de ce qu’est une œuvre d’art et son
interprétation postule que :

« […] donc, pour parler crûment, que tout compte fait l’interprétation n’est pas infinie. » (Danto,
1993, p.69)

Pour finir, Danto présente sont point beaucoup plus clairement en articulant sa forte
considération envers les artistes et leurs œuvres. Le simple fait qu’il est possible d’imaginer que,
sous des circonstances différentes, un artiste aurait pu être influencé à concevoir une œuvre d’art
complètement différente est un argument qui, selon lui, est assez solide pour supporter son point.
Par exemple, admettons qu’un artiste peint un tableau au courant du 18ème siècle. Toute sa vie, cet
artiste grandit et vécut en Europe sans jamais voyager, dans des conditions assez luxueuses et
une jeunesse sans incident. Si nous imaginons ce qu’il peint dans ces conditions, il nous serait
difficile de proposer que si nous changions tous les détails de sa vie, il peigne la même chose.
Simplement changer le siècle duquel il provient ou les expériences de jeunesse qu’il a vécues, il
est fort probable que celui-ci aurait peint quelque chose de complètement différent :

« Les interprétations possibles sont limitées par la situation de l’artiste dans le monde, par
l’époque et l’endroit auxquels il vécut, par le genre d’expériences qu’il a pu faire. » (Danto,
1993, p.71)

Pour Danto, c’est ça l’interprétation correcte. C’est la vérité qui se trouve derrière non seulement
l’œuvre elle-même mais, l’artiste ainsi que la relation invisible qui se trouve entre les deux.
L’interprétation à laquelle nous devrions aspirer est compréhensive et reflète cette unité. Ce n’est
pas une interprétation personnelle parmi tant d’autres qui reflète ma vision de l’œuvre mais,
l’interprétation réfléchie et correcte de l’œuvre par rapport à son artiste. À la fin de la journée, la
conception de l’art qu’il défend part de l’interprétation unique que fait l’artiste de son œuvre,
comme une vérité inflexible naissante de l’existence individuelle et unique de celui-ci.
Bibliographie :

Danto, Arthur, L’assujettissement philosophique de l’art, Paris, Seuil, 1993 (anglais : 1986).
[Contient notamment : « L’appréciation et l’interprétation des œuvres d’art » et «
L’interprétation profonde »].

« L’appréciation et l’interprétation des œuvres d’art », p. 44-70.

Danto, Arthur, « Art et signification », in : La Madone du futur, Paris, Seuil, 2003, p. 17-34.

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