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© MASSON Rev Neurol (Paris) 1999 ; 155 : 11, 929-934 929

Mémoire

Quatre mains « étranges » pour deux mains


après une lésion calleuse
S. Bakchine1, A. Slachevsky1,2, A. Tourbah1,3,4, I. Serres5, H. Abdelmounni5
1
Fédération de Neurologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
2
Service de Neurologie, Hôpital du Salvador, Santiago, Chili.
3
Service de Neuroradiologie, CHNO des Quinze-Vingts.
4
CJF, Pathologie de la Myéline, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
5
Service de Neurologie Marcel Kipfer, Centre Hospitalier Gilles de Corbeil.

RÉSUMÉ
Différents troubles du contrôle gestuel ont été décrits en conséquence de lésions calleuses, isolées ou associées à des lésions frontales
internes. Quatre d’entre eux ont suscité un intérêt particulier : la main étrangère, l’apraxie diagonistique, la main capricieuse (« way-ward
hand ») et l’apraxie calleuse. Certains auteurs justifient le maintien de ces différentes entités cliniques alors que d’autres proposent de les
regrouper soit en un syndrome unique (« alien hand »), soit en deux syndromes, la « main étrangère frontale » et la « main calleuse ».
Nous présentons l’observation d’un patient qui a présenté l’association rare de ces quatre entités cliniques. À cette occasion, nous rappe-
lons la sémiologie de chacune de ces entités et présentons les arguments en faveur du maintien de leur individualisation.

Four alien hands for two hands after a callosal lesion.


S. Bakchine, A. Slachevsky, A. Tourbah, I. Serres, H. Abdelmounni. Rev Neurol (Paris), 1999 ; 155 : 11, 929-934 .

SUMMARY
Callosal lesions, associated or not to internal frontal lesions, may produce different types of complex gestual behaviors. Four signs can
be identified, each of which has been generally reported separately: the “alien hand” sign, the “diagonistic apraxia”, the “wayward hand”
and the “callosal apraxia”. Some authors justify considering these signs as different entities, while others propose regrouping them either
in an unique syndrome — the “alien hand” — or as two syndromes — the “frontal alien hand” and the “callosal alien hand”. We present the
observation of a patient who presented with the four mentioned syndromes in association. In this context, we review the clinical features
of each of the four signs and the arguments supporting their individualization.

Les lésions calleuses, associées ou non à des lésions bablement du fait de leur caractère souvent transitoire
frontales internes, peuvent entraîner différents signes ou (Tanaka et al., 1996). Certains auteurs justifient le maintien
comportements gestuels complexes, généralement décrits de de ces différentes entités (Poncet et al., 1994), alors que
façon isolée. Certains comportements gestuels complexes d’autres proposent de les regrouper soit en un syndrome uni-
ont été individualisés sous forme d’identité syndromique, que, « l’alien hand » (Geschwind et al., 1995) , soit en deux
comme : la « dyspraxie ou apraxie diagonistique » (Brion et syndromes, « la main étrangère frontale » et « la main
Jedynak, 1972 ; Akelaïtis et al., 1942) et le signe de « la calleuse » (Feinberg et al., 1992).
main capricieuse » ou « way-ward hand » (Goldberg, 1987). Nous présentons un cas clinique dont l’intérêt est d’asso-
D’autres signes, comme le signe de la main étrangère (Brion cier ces quatre signes. L’évaluation neuropsychologique
et Jedynak, 1972) et l’apraxie calleuse (Bogen, 1995) ont été réalisée dans ce cas nous semble contribuer à une meilleure
rattachés au syndrome de dysconnexion calleuse. Mais cette compréhension du mécanisme de l’apraxie diagonistique.
terminologie n’est pas unanimement acceptée et recouvre À cette occasion, nous rappelons la sémiologie de chacune
selon les auteurs des faits cliniques différents. Le mécanisme de ces entités et présentons les arguments en faveur du
de ces signes et leurs lésions causales restent discutés, pro- maintien de leur individualisation.

Tirés à part : S. BAKCHINE, CentredeLangageetdeNeuropsychologie,FédérationdeNeurologie,HôpitaldelaPitié-Salpêtrière,47Bdde


l’Hôpital, 75013 Paris. Télécopie : 0142161965. E-mail : serge.bakchine@psl.ap-hop-paris.fr .

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CAS CLINIQUE (CAS N° 96205367) rable dans la vie quotidienne. Par exemple, lorsqu’il
essayait de déboucher une bouteille avec sa main droite, sa
Un homme âgé de 68 ans, droitier, a présenté dans les main gauche remettait le bouchon en place. Le patient rap-
heures qui ont suivi la mise à plat d’un faux anévrisme de portait aussi qu’il restait souvent bloqué par les portes :
l’artère fémorale droite, un accident ischémique cérébral lorsqu’il tentait d’en ouvrir une avec sa main droite, la main
qui s’est traduit par une paralysie faciale droite de type cen- gauche la repoussait. Ce comportement semblait survenir
tral et une hypoesthésie de l’hémicorps droit. Ses antécé- de façon aléatoire, sans qu’il soit possible d’identifier des
dents marquants étaient une hypertension artérielle et un circonstances déclenchantes particulières. Une fois le
diabète non insulinodépendant. À l’admission, la cons- comportement déclenché, le patient ne pouvait le contrôler
cience était normale et on notait une légère hypoesthésie de qu’en plaçant sa main gauche dans son dos. Ce comporte-
la main droite sans déficit moteur. L’examen des fonctions ment s’est progressivement estompé avec le temps, si bien
supérieures était considéré comme normal. L’IRM céré- que dix semaines après l’accident, le patient ne s’en plai-
brale en T2 a révélé des hypersignaux étendus du corps cal- gnait plus. Bien que ce trouble n’ait pas été observé pen-
leux, siégeant surtout dans sa moitié gauche et prédominant dant l’examen, la description très précise que le patient et
dans ses extrémités antérieure et postérieure (Fig. 1 et 2). son épouse en ont fourni, notamment celle de ses compo-
On observait aussi des hypersignaux bilatéraux de la subs- santes oppositionnistes, nous semble suffisante pour le rap-
tance blanche sous-corticale qui siégeaient surtout dans les porter à une apraxie diagonistique (Poncet et al., 1994).
régions frontales péri- et supraventriculaires, et une atteinte
hétérogène de la capsule interne gauche touchant surtout la ARGUMENT EN FAVEUR D’UNE « MAIN CAPRICIEUSE »
partie antérieure du bras antérieur et plus discrètement le Le patient relatait que sa main gauche pouvait parfois
bras postérieur. Le bilan étiologique a montré, en dehors prendre spontanément des objets en dehors de sa volonté.
des facteurs de risque vasculaires déjà cités, un anévrisme Mais, à la différence du comportement précédemment
du septum interauriculaire et de nombreuses plaques athé- décrit, ces mouvements ne s’opposaient à aucun moment à
romateuses de la portion horizontale de l’aorte (échogra- ceux de la main droite. Par exemple, lorsque le patient fai-
phie transœsophagienne). Dans les jours qui ont suivi cet sait sa toilette, il lui arrivait souvent de se trouver avec un
épisode, le patient s’est spontanément plaint de difficultés savon dans chaque main, ce qui lui causait un intense senti-
gestuelles. Il disait être gêné par le comportement de sa ment de perplexité. Durant l’examen, nous avons demandé
main gauche qui semblait ne pas lui obéir ou agir de façon au patient d’allumer une bougie en utilisant une boîte d’allu-
incohérente dans les gestes de la vie quotidienne. Il disait mettes. Le patient a commencé par sortir avec sa main droite
aussi douter de l’appartenance de sa main droite dans cer- une allumette de la boîte, puis sa main gauche a saisi spon-
taines situations. La persistance de ces plaintes a justifié tanément la bougie et le patient, très perplexe, fut incapable
une exploration neuropsychologique qui a été réalisée deux d’accomplir la consigne. Il lui a fallu une quinzaine d’essais
mois après l’accident cérébral. infructueux avant de pouvoir contrôler cette préhension,
poser la bougie, pouvoir gratter l’allumette et allumer la
bougie. Chaque préhension involontaire de la bougie était
ANALYSE NEUROPSYCHOLOGIQUE accompagnée du commentaire : « ça y est, elle recommence
L’analyse des données anamnestiques et de l’examen ont encore !… ». Dans le même temps, le patient pouvait
permis de regrouper les comportements gestuels anormaux décrire par oral correctement toutes les séquences des gestes
présentés par le patient en trois catégories : des perturba- nécessaires pour le succès de l’opération. Tant la description
tions du comportement de la main gauche, des signes de par le patient de ce comportement que ses caractéristiques
déconnexion calleuse et des perturbations perceptives de la observées lors de l’examen nous semblent correspondre à la
main droite. Pour la clarté de l’exposé, nous présentons ces définition d’une « main capricieuse ».
données en les regroupant selon les différents aspects syn- ARGUMENTS EN FAVEUR D’UNE DYSCONNEXION
dromiques dont nous justifierons l’individualisation dans la CALLEUSE : « APRAXIE CALLEUSE »
discussion.
À l’examen, nous avons observé que le patient manifes-
Comportement moteur de la main gauche tait une nette difficulté à réaliser sur commande verbale
des gestes transitifs figurés (sans objet réel) avec la main
Il nous semble pouvoir être rapporté à trois syndromes : gauche. Ces gestes étaient très maladroits, à peine esquis-
l’apraxie diagonistique ; la main capricieuse ; un syndrome sés, mais d’orientation toutefois correcte. Lorsqu’ils
de dysconnexion calleuse. étaient réalisés avec des objets réels, les gestes étaient de
meilleure qualité, bien que toujours maladroits. Les
ARGUMENTS EN FAVEUR mêmes gestes réalisés sur imitation avec la main gauche,
D’UNE APRAXIE DIAGONISTIQUE ou sur consigne orale, avec la main droite, étaient stricte-
Le patient relatait que lorsqu’il réalisait des gestes avec ment normaux. Le patient échouait fréquemment dans la
sa main droite, sa main gauche s’opposait à ceux-ci, empê- réalisation de gestes bimanuels avec objets réels, la main
chant leur bonne exécution et entraînant une gêne considé- gauche étant le plus souvent le facteur limitant. Ces éléments

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Fig. 1. – IRM céphalique, plan axial. 4 plans suc-


cessifs de bas en haut. Multiples hypersignaux de la
substance blanche de siège sous-cortical et péri-
ventriculaire. Hypersignal du corps calleux associé à
un hyposignal de la partie médiane du corps et du
splenium, latéralisé du côté gauche et témoignant
de lésions nécrotiques (séqu ences FLAIR).
MRI of the brain, axial plane. 4 successive planes
from the bottom to the top. Numerous hypersignals
localised in the subcortical and the periventricular
white matter and involving the corpus callosum.
Associated hyposignal of the left part of the body
and the splenium, corresponding to necrotic lesions
(FLAIR sequences).

Fig. 2. – IRM céphalique, plan coronal,


4 planssuccessifsd’avantenarrière.Mul-
tipleshypersignauxdelasubstanceblan-
chesous-corticaleetpériventriculaire,et
du corps calleux prédominant à gauche,
hypersignal hétérogène de la capsule
internegaucheprédominantdanslamoi-
tiéexternedubrasantérieur(coupespon-
dérées en T2).
MRI of the brain, frontal plane, 4 succes-
sive planes from the front to the back.
Numerous hypersignals localised in the
subcortical and the periventricular white
matter, and in the corpus callosum, princi-
pally in the left and heterogeneous signals
of the internal capsule, predominantly in
the external half of the anterior limb (T2
weighted images).

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sont caractéristiques d’une apraxie idéomotrice de la main Elle nous semble davantage correspondre au signe dit « de
gauche. Nous avons recherché, outre l’apraxie calleuse, la main étrangère ». Cette anomalie persistait encore 4 mois
d’autres signes de déconnexion. Le patient ne présentait après l’accident.
ni agraphie de la main gauche, ni anomie de la main gau-
che, ni apraxie constructive de la main droite. En revan-
che, au test d’écoute dichotique, le patient avait une DISCUSSION
extinction auditive massive de l’oreille gauche, comme
cela est classiquement décrit chez les patients ayant un Les comportements manuels anormaux observés lors des
hémisphère gauche dominant pour le langage. Il n’y a pas lésions calleuses ont reçu différentes appellations. Certains
eu d’étude en tachitoscopie permettant d’étudier l’exis- auteurs les regroupent en une seule entité. Ainsi Geschwind
tence d’une éventuelle anomie ou alexie visuelle gauche. et al., (1995), qui recouvrent ces différentes entités sous la
dénomination de main étrangère considèrent que le fait
Perturbations perceptives de la main droite sémiologique commun est le sentiment de non-appartenance
ou d’étrangeté. Feinberg et al., (1992), en revanche, identi-
Nous pensons légitime de regrouper les perturbations fient deux syndromes, la main étrangère calleuse (« callosal
observées chez le patient en deux entités syndromiques : alien hand ») et la main étrangère frontale (« frontal alien
une agnosie tactile associative et un syndrome de dys- hand »), qu’ils différencient dans cet ordre par l’absence ou la
connexion calleuse, manifestée par un signe de « la main présence d’un réflexe de préhension. L’analyse de la littéra-
étrangère ». Rappelons que le patient a présenté une ture montre toutefois qu’on décrit aussi sous le terme de
hypoesthésie inaugurale de l’hémicorps droit qui avait pres- « alien hand » d’autres entités cliniques, comportant des alté-
que totalement disparu le jour de l’examen neuropsycholo- rations gestuelles ou perceptives. En 1942, Akelaïtis et al.,
gique. Il ne persistait qu’une très discrète hypoesthésie (1942) ont introduit le terme d’apraxie diagonistique pour
tactile droite. décrire un comportement gestuel anormal de la main gauche
AGNOSIE TACTILE DROITE apparu chez deux patients épileptiques après une callosoto-
mie. Ces patients présentaient un net conflit intermanuel, la
Du fait de sa lésion calleuse, nous nous attendions à ce que
main gauche s’opposant aux actions entreprises par l’autre
le patient, dont l’hémisphère gauche était dominant pour le
main. Ce comportement avait été observé de façon transitoire
langage, présente une anomie tactile gauche. Or, de façon
(quelques semaines) et ces patients ne présentaient pas de
apparemment paradoxale, nous avons observé une anomie
réflexe de préhension. Barbizet et al., (1978) ont décrit une
tactile droite : le patient dénommait parfaitement 12 objets
apraxie diagonistique concernant l’une ou l’autre main en
qu’on lui donnait à palper avec sa main gauche, mais il
fonction de la tâche chez un patient avec un syndrome de
échouait pour 10 de ces mêmes objets, palpés avec sa main
Marchiava-Bignami, en l’absence de réflexe de préhension.
droite. Il décrivait sans erreur la forme globale des objets,
L’apraxie diagonistique a été aussi décrite sous d’autre noms
leur texture, leur température et leur poids, et était capable,
par une nouvelle palpation de la main droite, de retrouver comme le « alien hand sign » (Dolado et al., 1995) ou le
parmi d’autres l’objet précédemment palpé. En revanche, il « callosal alien hand » (Feinberg et al., 1992). Cependant, le
ne parvenait ni à dénommer ces objets, ni même à en expli- fait sémiologique le plus caractéristique reste la présence d’un
quer ou mimer l’usage. Ainsi, lorsqu’on lui a donné à palper conflit intermanuel. En effet, les mouvements de la main gau-
un marteau, il a pu dire que c’était un objet long, métallique, che s’opposent toujours aux actions en cours, soit durant le
froid et lourd, mais ne l’a pas reconnu. Ce comportement, qui déroulement de l’action, soit au décours de celle-ci, et cela
ne pouvait être expliqué par les séquelles minimes de même quand l’action est réalisée par un tiers (Poncet et al.,
l’hypoesthésie droite, nous semble être typique d’une agno- 1994). Le patient décrivait clairement cette composante oppo-
sie tactile droite associative (Nakamura et al., 1998). sitionniste dans les mouvement de sa main gauche que nous
avons regroupés sous l’étiquette d’apraxie diagonistique.
SIGNE DE LA MAIN ÉTRANGÈRE Comme observé chez le patient, l’apraxie diagonistique a sou-
Ce signe, appartenant au syndrome de dysconnexion cal- vent un caractère transitoire, et ne semble être déclenchée par
leuse, a été constaté par le patient lui-même, qui se plai- aucun facteur particulier, que ce soit la nature des gestes réa-
gnait de ne pouvoir reconnaître aucune de ses mains lisés ou le contexte psychoaffectif (Poncet et al., 1994).
comme sienne lorsqu’il les touchait sans les voir, par exem- En 1987, Goldberg a décrit chez huit patients présentant
ple sous les draps de son lit. Durant l’examen toutefois, ce des lésions ischémiques des régions frontales internes un
phénomène était plus régulièrement constaté lors de la pal- mouvement anormal de la main controlatérale à la lésion
pation aveugle de la main droite avec la main gauche. qu’il dénomma « way-ward hand », traduit en français par
Lorsqu’on plaçait sa main droite dans le dos, le patient ne « main capricieuse ». La main prenait des objets ou réalisait
pouvait distinguer celle-ci de la main de l’examinateur, tout des actes semi-propositionnels qui n’étaient pas initiés
en reconnaissant qu’il touchait une main. Cette perte de consciemment par le patient. À la différence de ce qui est
l’intégration du schéma corporel limitée à la main droite ne observé dans l’apraxie diagonistique, ces gestes ne s’oppo-
peut donc être expliquée par l’hypoesthésie séquellaire saient pas aux actes de l’autre main et ne survenaient pas en
minime de l’hémicorps droit, ni par un trouble agnosique. réponse aux actes de celle-ci. Le sentiment de non-apparte-

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nance concernait uniquement les mouvements, alors que les Les patients avec des lésions calleuses peuvent présenter
patients conservaient le sentiment de possession de leur main. d’importantes difficultés pour réaliser des gestes avec la
Les patients décrits par Goldberg présentaient toujours un main non dominante, surtout sous commande verbale, alors
réflexe de préhension. Toutefois, Pageot et al. (1997) ont que la réalisation des mêmes gestes avec la main dominante
récemment décrit un patient avec des mouvements anormaux est préservée. Cette apraxie, dénommée apraxie calleuse,
de la main gauche, compatibles avec une « main capri- peut avoir différents degrés de sévérité. Certains patients pré-
cieuse » sans observer de réflexe de préhension. Le patient sentent des apraxies idéomotrices, d’autres des apraxies idéa-
présentait des mouvements de la main droite caractérisés par toires ou simplement une déconnexion verbomotrice, avec
la préhension involontaire d’objets en absence de tout réflexe des perturbations des gestes uniquement sous commande
de préhension et sans que ces gestes ne soient déclenchés par verbale (Bogen, 1995). Le patient présentait sélectivement
un geste de la main droite, ni ne s’opposent à celle-ci. Tout d’importantes difficultés pour réaliser des gestes transitifs
en reconnaissant que c’était bien sa main qui réalisait ces ges- figurés avec sa main gauche, faisant évoquer une « apraxie
tes, le patient insistait pour dire qu’elle semblait agir en idéomotrice calleuse gauche ».
dehors de sa volonté. Ces faits sémiologiques nous ont per- Enfin, le patient présentait une agnosie associative tac-
tile de la main droite qui ne peut s’expliquer par une dys-
mis de différencier ce comportement de l’apraxie diagonisti-
connexion calleuse. En effet le déficit était restreint à la
que, aussi observée chez le patient. En outre, ils nous
main droite, le patient dénommait parfaitement les objets
semblent renforcer l’autonomie du syndrome de « la main palpés avec sa main gauche, et son langage était latéralisé
capricieuse » (Poncet et al., 1994). En 1972, Brion et Jedinak à gauche comme en témoignait la présence d’une extinction
ont décrit le signe de « la main étrangère » chez des patients à gauche au test d’écoute dichotique. Le patient ne pouvait
avec des tumeurs du corps calleux. Lorsque ces patients pal- ni dénommer l’objet qu’il palpait ni donner son usage, donc
paient à l’aveugle une main avec l’autre, ils reconnaissaient il n’avait pas accès au sens des objets palpés, tout en étant
qu’il s’agissait d’une main, mais n’admettaient pas qu’elle capable de reconnaître l’objet parmi d’autres. De ce fait, le
leur appartenait. Cette difficulté était observée pour chacune trouble ne peut être expliqué par une « aphasie tactile » et
des deux mains. Ces patients présentaient, en outre, différents peut correspondre, par définition, à une agnosie tactile
signes de déconnexion calleuse. Les auteurs n’ont toutefois « associative » (Tranel, 1991).
pas rapporté chez ces patients de signes d’apraxie diagonisti- Chez le patient, l’analyse sémiologique a permis de recon-
que ou de main capricieuse. En revanche, le patient présentait naître l’occurrence de trois syndromes différents (apraxie
en association à ces signes une « main étrangère droite » qui diagonistique, main capricieuse, syndrome de dysconnexion
ne pouvait être attribuée au seul déficit sensitif (voir paragra- calleuse manifestée par un signe de la main étrangère et une
phe « signe de la main étrangère ») ni à l’agnosie tactile. apraxie calleuse) concernant à des degrés divers ses deux

Tableau I. – Caractéristiques comparées des différents comportements gestuels anormaux (+ : présence constante, – : absence constante,
± : présence ou absence inconstante).
Compared characteristics of abnormal hand behaviours (+: constantly present, –: constantly absent, ±: not constantly present
or absent).

Signe de la main Main capricieuse Apraxie Apraxie calleuse


étrangère diagonistique

Sémiologie Perte de la sensation Gestes involontaires réali- Gestes involontaires réali- Incapacité à réaliser des
d’appartenance d’une main sés par une main, sans sés par une main aboutis- gestes manuels proposi-
palpée à l’aveugle caractère d’opposition avec sant à un conflit tionnels sur commande
par l’autre, en l’absence les gestes de l’autre main intermanuel verbale
de trouble sensitif
Main concernée gauche et/ou droite gauche et/ou droite gauche et/ou droite gauche
(pour un droitier)
Signes (+) (+) (+) (+)
de déconnexion
calleuse
Signe (–) (±) (–) (–)
de préhension
Conscience (±) (±) (+) (±)
Signes associés agraphie main gauche ± apraxie calleuse ±
Lésion Corps calleux Aire motrice supplémen- Corps calleux postérieur Corps calleux antérieur
taire controlatérale et corps
calleux

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mains. Bien que tous ces comportements gestuels puissent cale ne nous permettent pas d’imputer avec certitude
se caractériser par un sentiment d’aliénation des mains, ce l’agnosie tactile à un siège lésionnel spécifique.
seul fait ne rend pas intégralement compte de leurs particu-
larités sémiologiques. Il nous semble, au contraire, que ces
syndromes présentent des faits sémiologiques distincts qui RÉFÉRENCES
permettent de les individualiser, chacun comme une entité AKELAITIS A., RISTEEN W., HERREN R., VAN WAGENEN W. (1942). Stu-
clinique séparée (Tableau I). dies on the Corpus Callosum. III. A contribution to the study of
Les lésions responsables de ces différents syndromes res- dyspraxia and apraxia following following partial and complete
tent encore très discutées, notamment pour l’apraxie diago- section of the corpus callosum. Arch Neurol Psychiatry, 47: 971-
1008.
nistique (Poncet et al., 1994). L’étendue et le caractère BARBIZET J., DEGOS J.D., LEJEUNE A., LEROY A. (1978). Syndrome
diffus des lésions chez le patient ne nous permettent mal- de dysconnexion inter-hémisphérique avec dyspraxie diagonis-
heureusement pas d’établir de corrélation neuro-anatomi- tique au cours d’une maladie de Marchiafava-Bignami. Rev
que précise dans cette observation. Toutefois, les lésions du Neurol (Paris), 134: 781-9.
BOGEN J. (1995). The Callosal Syndromes In: K Heiman et E
corps calleux étaient très apparentes chez le patient, notam- Valenstein, Clinical Neuropsychological. Oxford University
ment dans ses extrémités antérieures et postérieures. Il pré- Press, Oxford, pp. 337-407.
sentait, en outre, une extinction auditive gauche massive, BRION S., JEDYNAK C.P. (1972). Troubles du transfert interhémis-
signe considéré comme la conséquence d’une déconnexion pherique (callosal disconnection). À propos de trois observa-
calleuse postérieure à laquelle récemment Tanaka et al., tions de tumeurs du corps calleux. Le signe de la main
étrangère. Rev Neurol (Paris), 126 : 257-66.
(1996) ont attribué un rôle important dans l’apparition de DOLADO A.M., CASTRILLO C., URRA D.G., Varela de Seijas E. (1995).
l’apraxie diagonistique, signe que présentait aussi le Alien hand sign or alien hand syndrome? J Neurology, Neuro-
patient. surg Psychiatry, 59: 100-1.
La main capricieuse a été attribuée par Goldberg (1987) ENDO K., MIYASAKA M., MAKISHITA H., YANAGISAWA N., SUGISHITA M.
(1992). Tactile agnosia and tactile aphasia: symptomatological
à une lésion du cortex prémoteur médian droit ou gauche, and anatomical differences. Cortex, 28: 445-69.
notamment de l’aire motrice supplémentaire. Goldberg FEINBERG T.E., SCHINDLER R.J., FLANAGAN N.G., HABER L.D. (1992).
postule que la main capricieuse correspondrait à une ten- Two alien hand syndromes. Neurology, 42: 19-24.
dance à explorer de façon non pertinente l’espace en GESCHWIND D.H., IACOBONI M., MEGA M.S., ZAIDEL D.W., CLOUGHESY
conséquence d’un dysfonctionnement du cortex frontal T., ZAIDEL E. (1995). Alien hand syndrome: interhemispheric
motor disconnection due to a lesion in the midbody of the corpus
médian controlatéral. Cependant, le patient avec une main callosum. Neurology, 45: 802-8.
capricieuse décrit par Pageot et al., (1997) ne présentait GOLDBERG G. (1987). From Intent to Action: Evolution and function
pas de lésion de l’aire motrice supplémentaire et les of the premotor systems of the frontal lobe In: E. Perecman, The
auteurs expliquaient ce comportement gestuel par un dys- frontal lobes revisited. IRBN Press, New York, pp. 273-306.
NAKAMURA J., ENDO K., SUMIDA T., HASEGAWA T. (1998). Bilaterale
fonctionnement du système prémoteur médian via une tactile agnosia: a case report. Cortex 34: 375-88.
atteinte des ganglions de la base. Le patient ne présentait PAGEOT N., NIGHOGHOSSIAN N., DEREX L., BASCOULERGUE Y., TROUI-
pas de lésion de l’aire motrice supplémentaire ; toutefois LIAS P. (1997). Activité motrice involontaire ou « Alien hand syn-
nous pouvons postuler que les nombreuses lésions de la drome » à l’issue d’une lésion ischemique respectant le cortex
substance blanche sous-corticale ont pu provoquer une frontal médian. Rev Neurol (Paris), 153 : 339-43.
PONCET M., ETCHARRY-BOUYX F., CECCALDI M. (1994). Dyspraxie
dysconnexion entre le cortex frontal médian et les gan- diagonistique et main capricieuse : Deux comportements ges-
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fois été décrite en rapport avec des lésions de la substance Solal, Marseille, pp. 148-59.
blanche sous-corticale, spécifiquement de la région du TANAKA Y., YOSHIDA A., KAWAHATA N., HASHIMOTO R., OBAYASHI T.
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gyrus angulaire (Endo et al., 1992). Une telle hypothèse lesion and possible underlying mechanism. Brain, 119: 859-73.
peut être évoquée chez le patient, bien que le nombre et TRANEL D. (1991). What has been rediscovered in “Rediscovering
l’étendue des lésions de la substance blanche sous-corti- tactile agnosia”? Mayo Clin Proc, 66: 210-4.

S. BAKCHINE et coll.

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