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Compte rendu

Ouvrage recensé :

Sens et expression, John Searle, 1982, Trad. et préf. de Joëlle Proust. Coll. « Le sens
commun », Paris, Minuit, 248 p.

par Danielle Forget


Revue québécoise de linguistique, vol. 13, n° 1, 1983, p. 231-238.

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SENS E T E X P R E S S I O N
John Searle, 1982, Trad, et préf. de Joëlle Proust.
Coll. "Le sens commun", Paris, Minuit, 248 pages.
Danielle Forget

Ce livre est l a traduction d e Expression and Meaning pu-

blié en 1979 e t r e g r o u p e différents essais de Searle sur l e s

développements de l a théorie des a c t e s de langage. Certains

ont été publiés antérieurement (entre 1975 e t 1979) e t sont

bien connus des p h i l o s o p h e s e t des l i n g u i s t e s ; d'autres éveil-

lent notre intérêt c a r i l s présentent des sujets constituant

un champ d'investigation récent pour l a théorie. A l'excep-

tion de l'essai s u r l e sens littéral ( p a r u dans Langue fran-

çaise» 1 9 7 9 , n° 4 2 ) , l e s a u t r e s n'ont jamais, à notre connais-

sance, été publiés en français. Dans l'ordre d'apparition,

ces études portent pour titre: "Taxinomie des a c t e s illocu-

toires", "Les a c t e s de langage indirects", "Le statut logique

du discours de l a fiction", "La métaphore", "Le sens litté-

ral", "Le référentiel et l ' a t t r i b u t i f " . Puis vient l e chapi-

tre conclusion: "Les a c t e s de langage et l a linguistique


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d'aujourd'hui".

L'aspect l e plus original et l e plus intéressant de ce

livre concerne ce que Joëlle Proust, dans sa préface fort é-

clairante, a appelé l e " d i s c o u r s second", qui sert de support

théorique aux t y p e s de d i s c o u r s analysés e t assure l a cohéren-

ce du r e c u e i l . En effet, à part l e premier chapitre et le

chapitre c o n c l u s i o n , l e s a u t r e s possèdent e n commun l'étude

d'énoncés q u i ne peuvent être interprétés uniquement â partir

de leur sens littéral ou sérieux, ou a p p o r t e n t une contribu-

tion théorique au d i s c o u r s second. Le sens marqué dans l a

phrase diffère du sens que l e locuteur a l'intention de donner

à son énonciation. C'est ce d e r n i e r q u i est fondamental ou

"primaire" e t q u i assure l e succès de 1'énonciation. Searle

tente de m o n t r e r qu'une analyse des a c t e s indirects, de l a

fiction, de l a m é t a p h o r e , de l a référence, doit prendre en

considération l e sens primaire même s ' i l n'est pas marqué dans

la phrase.

Au premier chapitre, avant d'exposer sa classification

des actes de langage, l'auteur critique celle proposée p a r

Austin (1962); i ll u i r e p r o c h e de confondre l e s verbes illocu-

toires, q u i sont particuliers à chaque langue, et l e s actes

illocutoires, e t de ne faire reposer sa c l a s s i f i c a t i o n sur au-

cun critère clairement identifiable, Searle, quant à l u i ,

fonde l a différence entre l e s actes s u r une d o u z a i n e de carac-


SENS E T EXPRESSION 233

téristiques dont les principales sont l e but illocutoire (cor-

respondant aux c o n d i t i o n s essentielles de chaque acte), l a d i -

rection d'ajustement (visant soit à rendre l e contenu proposi-

tionnel conforme au monde, soit l e monde conforme au contenu

propositionnel), et l a condition de sincérité (c'est-à-dire

les états psychologiques exprimés comme l a croyance, l'inten-

tion, l a volonté, l e plaisir). Elles l u i permettent d'isoler

cinq grands types d'actes illocutoires : les assertifs, les

directifs, les promissifs, les expressifs e t l e s déclations.

Le chapitre I I traite des énoncés comportant un a c t e de

langage i n d i r e c t , c'est-à-dire des énoncés dans lesquels le

locuteur a l ' i n t e n t i o n de d i r e plus que ce q u ' i l ne d i t effec-

tivement. En plus de l ' i n t e n t i o n secondaire, qui est celle

marquée dans l a phrase, i l y a une intention primaire, celle

réellement visée e t q u i permet d'accomplir l e deuxième acte,

l'acte indirect. On peut ainsi adresser une demande par l'in-

termédiaire d'une q u e s t i o n , par exemple: Qu'est-ce q u i permet

à l'auditeur de faire l e s inférences nécessaires et d'identi-

fier l'acte i n d i r e c t visé? Selon Searle, c e s inférences se

font systématiquement au moyen des p r i n c i p e s généraux de l a

conversation, de l'information factuelle "d'arrière-plan" e t

des principes de l a théorie des a c t e s de langage.

Le discours de fiction e s t un d i s c o u r s n o n sérieux en ce

sens que l'auteur "n'adhère pas sérieusement" à l'idée expri-


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mée et n'est pas tenu de p r o u v e r sa véracité. Le d i s c o u r s de

fiction e s t constitué des mêmes actes que l e discours litté-

ral, cependant des conventions extra-linguistiques - dont l a

nature et l e fonctionnement ne sont pas précisés - permet-

traient au d i s c o u r s de fiction de p a s s e r outre aux règles q u i

relient l e s actes illocutoires e t l e monde. C'est ainsi que

se produit l'accomplissement "feint" d'un a c t e illocutoire:

le sens, l e s règles sémantiques de l'acte ne sont pas modifiés

mais l e locuteur, en revanche, n'a pas à assumer l e s engage-

ments normalement reliés à l'acte. S i l e récit de fiction

n'est pas repérable p a r des marques linguistiques, i l serait

identifiable par l e s intentions illocutoires de son auteur.

Selon Searle, "c'est à l ' a u t e u r de décider s i c'est ou n o n de

la fiction".

L'auteur s'interroge, au c h a p i t r e IV, sur l e fonctionne-

ment de l a métaphore. Qu'est-ce qui fait que l'auditeur re-

connaît à l'énoncé un sens métaphorique au lieu de l u i confé-

rer uniquement l e sens littéral? I l existerait des stratégies

d'interprétation à partir desquelles l'auditeur dépasserait l e

sens littéral, fourni p a r sa compétence linguistique, l e s con-

ditions d'énonciation e t l e s i n f o r m a t i o n s d'arrière-plan, con-

sidérerait toutes les valeurs p o s s i b l e s de 1'énonciation, et

sélectionnerait parmi celles-ci l e sens métaphorique réel de

1'énonciation. Interprétée littéralement, l a phrase e s t dé-

fectueuse: voilà un des p r i n c i p e s qui incitent l'auteur à


SENS E T EXPRESSION 235

rechercher un sens autre que l e sens littéral. Tout en c r i t i -

quant l a thèse comparatiste, S e a r l e admet que le principe de

ressemblance joue u n rôle important dans l e rapprochement de

deux termes ("Sophie" e t "glaçon" dans "Sophie e s t un glaçon",

p. 127): c ' e s t en faisant a p p e l à sa c o n n a i s s a n c e des objets

et du monde que l ' i n t e r l o c u t e u r confère un sens possible à l a

prédication métaphorique.

Les énoncés, q u ' i l s aient une v a l e u r assertive, incitati-

ve comme "Ferme l a porte" ( p . 1 7 9 ) , ou a u t r e , ne possèdent des

conditions de vérité ou d'obéissance que r e l a t i v e m e n t à un en-

semble d'informations d'arrière-plan. Plus précisément, i l

existerait une situation courante, attendue, pour laquelle l e

sens littéral s'applique clairement (ici, concernant l a forme

normale des p o r t e s , l e geste de fermer, etc.), ce q u i c o n d u i t

Searle à rejeter l a thèse selon laquelle l e sens littéral se-

rait l e sens qu'a l a p h r a s e quand elle e s t hors contexte.

Dans ce c h a p i t r e V, l'auteur émet l'hypothèse "qu'il n'existe

pas de d i s t i n c t i o n rigoureuse entre l a compétence linguistique

du locuteur e t sa c o n n a i s s a n c e du monde" (p. 186). La dépen-

dance contextuelle interviendrait non seulement pour le sens

de 1'énonciation mais aussi pour l e sens littéral.

I l arrive que l e locuteur emploie une description erro-

née pour désigner un o b j e t . L'énoncé " l emeurtrier de Dupont

est f o u " ( p . 189) peut constituer une a f f i r m a t i o n vraie même


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si aucun i n d i v i d u ne satisfait à l a description donnée. La

référence s'effectue véritablement par l'acte primaire, r e -

présentant d'autres propriétés de l'objet (exemple: l'homme

que j e te montre du d o i g t ) que c e l l e s exprimées par l'aspect

secondaire ("lemeurtrier de D u p o n t " ) . Ainsi dans toute énon-

ciation, l e locuteur a l'intention de se référer prioritaire-

ment à l'objet par l'aspect primaire, sous-jacent à l'aspect

secondaire donné p a r l e sens de l a phrase. C'est de cette f a -

çon que Searle reformule l'emploi référentiel de Donnellan

(1966), alors que l ' e m p l o i "attributif" serait celui où l'as-

pect primaire est fourni directement par l a description. En

général, lorsqu'il veut se référer à un o b j e t , le locuteur

choisit, pour construire s o n énonciation, u n des m u l t i p l e s as-

pects par lesquels i l est possible d'identifier l'objet. La

solution apportée par Searle est d'autant plus plausible

qu'elle se vérifie à l'aide d'un critère linguistique, le dis-

cours rapporté.

Finalement au chapitre V I I , l'auteur considère l e traite-

ment apporté p a r l'hypothèse performative de Ross (1970) e t

par l'hypothèse des p o s t u l a t s conversationnels de G o r d o n e t

Lakoff (1971) au phénomène des a c t e s de langage. I l leur r e -

proche de présenter des c o m p l i c a t i o n s inutiles pour l a gram-

maire e t , en p l u s , d'être dénuées de p o u v o i r explicatif.

C'est dans ce c h a p i t r e que Searle expose et critique des hypo-


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T
thèses proprement linguistiques. Malheureusement, i l s agit

de solutions déjà fort connues e t discutées, au moment où cet-

te critique de Searle nous arrive.

En c o n c l u s i o n , Sens e t Expression constitue un livre mar-

quant pour l a théorie des a c t e s de langage car i lfait état

de l a contribution de Searle à s o n développement depuis l'ou-

vrage majeur qu'il nous a légué e n 1 9 7 2 , Les actes de langage.

En tenant compte des éléments non marqués dans l a phrase, no-

tamment des i n f o r m a t i o n s d'arrière-plan, l a problématique des

actes délaisse l e champ sémantique pour faire une p l a c e de

plus en p l u s grande à l a pragmatique. En conséquence, l e pro-

jet d'intégration des a c t e s de langage à l a grammaire, que ré-

affirme Searle (p. 236), est loin d'être conclu.

Danielle Forget
Université de Montréal
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REFERENCES

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