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INTRODUCTION A LA FINANCE

ISLAMIQUE

Par ABDOU DIAW, PhD

Support de Cours
2013

1
SOMMAIRE
1. INTRODUCTION.......................................... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2. LES PRINCIPES GENERAUX DE LA FINANCE ISLAMIQUE. .................... 8
2.1 LE PRINCIPE DE LA LIBERTE DE CONTRAT. ...........ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2.2 LE PRINCIPE DU CONSENTEMENT MUTUEL. ..........ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2.3 LA PROHIBITION DU RIBA ET LE CONCEPT DE 'IWAD.ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2.4 LA PROHIBITION DE GHARAR (INCERTITUDE). ......ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2.5 LA PROHIBITION DE MAYSIR (JEU DE HASARD). ...ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
2.6 LA PROHIBITION DES BIENS ILLICITES. .................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
Moudharabah. ...................................................................................................... 23
Moucharakah. ...................................................................................................... 23
Mourabahah......................................................................................................... 24
La vente salam. .................................................................................................... 24
Le contrat Istisna ou contrat relatif à un objet à manufacturer. ......................... 25
Al-Ijarah (location). ............................................................................................. 25
Wakalah (mandat). ............................................................................................... 25
Kafalah (garantie). .............................................................................................. 25
Wadiah (dépôt)..................................................................................................... 26
3. APERCU HISTORIQUE DE LA FINANCE ISLAMIQUE.ERREUR ! SIGNET NON
DEFINI.
4. LES INSTITUTIONS ET SERVICES FINANCIERS ISLAMIQUES. ........... 33
4.1 BANQUE ISLAMIQUE. .......................................................................................... 33
4.1.1 Compte courant / compte d'épargne. .......................................................... 35
4.1.2 Comptes d'investissement généraux. ........................................................... 35
4.1.3 Comptes à investissements spéciaux. .......................................................... 35
4.1.4 Financement des particuliers et du commerce. .......................................... 37
4.1.5 Investissement. ............................................................................................ 41
4.1.6 Services. ...................................................................................................... 42
4.2 TAKAFUL OU ASSURANCE ISLAMIQUE. ............................................................... 43
4.2.1 De la justification de l'assurance islamique. .............................................. 43
4.2.2 Les différents types de takaful. .................................................................... 46
4.2.3 Les différents modèles de takaful. ............................................................... 47
4.3 MARCHE ISLAMIQUE DES CAPITAUX. .................................................................. 49
4.3.1 Introduction................................................................................................. 49
4.3.2 Les Sukuk. ................................................................................................... 51
4.3.3 Les Fonds Communs de Placement Islamiques (FCPI). ............................ 53
4.4 LE CONSEIL DE LA CHARIAH POUR LA SUPERVISION. .......................................... 54
5. CONCLUSION. ..................................................................................................... 55
REFERENCES........................................................................................................... 57

2
‫بسم ﷲ الرحمن الرحيم‬

1. INTRODUCTION
Le bien-être socio-économique est incontestablement un objectif commun à tous les systèmes
sociaux à travers les âges. Le contenu à donner au terme "bien-être socio-économique" peut
différer d'un contexte à un autre ; cependant, dans les temps modernes, une certaine intersection
semble se réaliser relativement à certains objectifs d'ordre matériel ayant pour nom: l'éradication
de la pauvreté, la satisfaction des besoins élémentaires des membres de la société, le plein
emploi, la répartition équitable des richesses, la maîtrise de l'inflation, et la croissance durable.

Un sérieux obstacle à la réalisation de ces dits objectifs est, selon les économistes, la
rareté. La rareté est une situation qui découle du fait que les ressources disponibles sont limitées
alors que les désirs des humains sont illimités. Cette inadéquation entre les ressources
disponibles et les désirs implique la nécessité d'identifier les différentes utilisations possibles
afin de parvenir au choix le plus efficient et le plus équitable. Ainsi, efficience et équité dans
l'allocation et la distribution des rares ressources ont toujours été un thème central en sciences
économiques. Différentes définitions de ces termes ont été données. Cependant, on peut retenir
qu'une économie aura atteint l'efficience optimale lorsqu'elle parvient à utiliser le total potentiel
des ressources humaines et matérielles disponibles, de telle sorte qu'une quantité maximale de
biens et services demandés soit produite avec une croissance durable à long terme et un degré
raisonnable de stabilité économique. Dans le même ordre d'idées, l'équité optimale aura été
réalisée lorsque les biens et services produits sont distribués de sorte que les besoins de tous les
individus sont satisfaits de manière adéquate; dans ce cas les inégalités en revenus et richesses
reflètent des valeurs socialement acceptées sans pour autant inhiber la motivation pour le travail,
l'épargne, l'investissement et l'entreprise.1

Le souci d'atteindre l'efficience et l'équité dans la répartition des ressources, né de la


nécessité d'opérer des choix judicieux à cause de la relative rareté, donne naissance aux
problèmes fondamentaux d'économie: que faut-il produire? Comment produire? Pour qui
produire?

1
Chapra, (1991).

3
Etant donné les possibilités limitées dans la production, il incombe à la société de déterminer les
biens et services à produire ainsi que les quantités adéquates. Dans une économie de marché,
cette décision revient, en fin de compte, au consommateur.
Une fois la première question réglée, la question suivante consiste à déterminer la forme de
production la plus efficiente qui permette de produire les biens et services dont on a besoin et à
moindres coûts. La dernière question traite de la distribution des biens et services produits aux
différents membres de la société.
Où est la Finance dans tout cela?

Comme nous l'avons déjà mentionné, le deuxième problème économique est relatif à la
production. Cette production est rendue possible grâce à l'utilisation de facteurs tels que : le
travail; la terre, l'entreprenariat (la fonction d'organisation) et le capital. C'est dans le cadre du
système financier que l'offre et la demande du capital, sont considérées.

Généralement, un système financier est défini comme étant un ensemble de marchés,


d'institutions, de lois, de régulations et de techniques régissant le flux des fonds des agents
économiques à surplus vers ceux à déficits. Le transfert des fonds des agents à surplus (les
épargnants) vers les agents à déficit (investisseurs) se justifie par le fait que les épargnants ne
sont pas, en général, à même d'exploiter les opportunités d'investissement rentables.
Le transfert peut être direct ou indirect, et dans ce cas on parle d'intermédiation financière.

Dans un cadre de financement direct, l'épargnant transfère directement les fonds vers
l'investisseur. Cette forme de financement est considérée comme inefficace - si elle se déroule en
dehors des marchés financiers- du fait de possibles incompatibilités dans les besoins des deux
parties relativement à l'échéance et la taille des fonds, en plus des questions de risque découlant
de l'asymétrie de l'information. Par exemple, un investisseur peut avoir besoin d'un financement
de 10 millions d’euros pour une durée de 2 ans. Il pourrait être difficile pour lui de trouver un
épargnant disposant de cette somme et prêt à patienter tout le long de cette période! Aussi,
l'épargnant peut ne pas disposer d'informations critiques sur les qualités morales et
professionnelles de l'investisseur ce qui soulève les questions de choix pervers et de risque

4
moral2. Ces problèmes, entre autres, amènent les épargnants tout comme les investisseurs à
effectuer des recherches pour trouver le partenaire convenable. Ces recherches, non seulement
sont coûteuses, mais prennent du temps. Ainsi le financement, dans ce cadre, devient cher et
difficile à trouver, ce qui a pour conséquences : moins d'investissement dans l'économie, moins
de production et peu d'emplois…3

Le processus d'intermédiation financière permet de surmonter certaines des


incompatibilités observées entre les deux parties dans les préférences, l'échéance et la taille des
fonds. La séparation entre la décision d'épargner et celle d'investir, l'institutionnalisation de ce
processus, la mise en œuvre des techniques de gestion des portefeuilles et des risques, sont
quelques unes des raisons à la base de ce succès. Dans les pays développés, les agents à surplus
sont souvent de petits ménages qui épargnent des montants relativement faibles et à court terme,
tandis que les agents à déficit sont souvent des entreprises qui ont besoin de montants
relativement élevés pour des emplois à long terme. Les intermédiaires financiers éliminent ce
déséquilibre en collectant les petites épargnes et en les rassemblant pour les rendre compatibles
aux besoins des utilisateurs. De plus, les préférences en matière de risque entre les petits
épargnants et les grands utilisateurs de fonds sont différentes. Les petits épargnants ont, le plus
souvent, une aversion au risque et une préférence pour des placements plus sûrs tandis que les
utilisateurs emploient les fonds dans des projets à risques. Le rôle des intermédiaires est, une fois
encore, critique. Ils peuvent réduire substantiellement les risques en ayant recours aux techniques
de gestion des portefeuilles. Par ailleurs, les épargnants ne peuvent pas collecter d'une manière
efficiente des informations relatives aux opportunités d'investissements, ce qui est à la portée des
intermédiaires financiers.4

Il apparaît clairement que l'existence de l'intermédiation financière est nécessaire pour un


système financier efficient et ce dans n'importe quelle société. Cependant, les principes sur les
quels reposent l'intermédiation financière varient d'une société à une autre dû aux différences de
conception du monde des sociétés en question. Ainsi, dans la presque totalité des pays du

2
Ces deux termes, souvent utilisés en théorie financière, sont des conséquences de l’asymétrie de l’information. Le
choix pervers (adverse selection) le fait de choisir le ‘mauvais candidat’, alors que le risque moral (moral hazard)
est le fait qu’un ‘bon candidat’ se comporte de manière opportuniste après qu’il ait été déjà choisi.
3
Siddiqi, (2000).
4
Iqbal, M. et al. p.12.

5
monde, la pierre angulaire de la finance est l'intérêt, alors que celui-ci est sévèrement condamné
par la Chariah islamique. Cela constitue la principale raison d'être de la finance islamique.

Comme nous l'avons décrit plus haut, la rareté des ressources par rapport aux besoins
illimités des Hommes met ces derniers dans l'obligation d'opérer des choix. Choisir suppose
l'acquisition de connaissances pertinentes dans le domaine en question. Dans un cadre laïc, les
seules sources du savoir reconnues sont la raison et les sens; dans la perspective islamique, en
plus de ces deux sources, il y a la révélation qui jouit d'une autorité supérieure.

La religion islamique s'intéresse aux différentes activités des Hommes. C'est dans le souci
de rendre ces activités conformes à la volonté d'Allah- Le Très Haut- que la Chariah islamique a
été révélée. Ainsi, la Chariah peut être définie comme étant l'ensemble de "ce qui a été révélé et
descendu sur le Messager d'Allah Sallalaahu alayhi wasalam (SAW) comme commandements, ou
lois prescrites par le Coran et la Sunnah, concernant les dogmes, les activités et les actions des
personnes légalement responsables, que ce soit de façon péremptoire ou conjecturale"5

Sur la base d'une analyse minutieuse des textes, les savants musulmans ont conclu que le
principal objectif de la Chariah est la préservation de la Maslahah (bien, intérêt public,
bénéfice). Ils ont ainsi identifié cinq valeurs dont la sauvegarde est visée par la Chariah; Imam
al-Ghazali, un des premiers initiateurs de Maqasid al-Chariah (la théorie des objectifs de la
Chariah), soutient: "Le but de la Chariah lié à la créature humaine c'est la protection de la
religion, de la vie, de l'intellect, de la progéniture et des biens. Tout ce qui contribue à la
préservation de ces cinq fondamentaux est un Maslahah, et tout ce qui leur porte atteinte est un
Mafsadah (mal) dont la désapprobation devient un Maslahah".6

Comme il est apparu, la protection des biens est un objectif de la Chariah. Cette
protection peut être sous la forme d'encourager leur acquisition et leur développement de
manière licite et rationnelle; elle peut aussi prendre la forme d'interdiction de toute mauvaise
acquisition ou utilisation de ces biens. (2:275-280), (4: 5), (17: 26-27)…

5
Kharûfa, (2000).
6
Raissouni, (2001). Introduction aux Buts de la Shari'a, dans Les Sciences de la Shari'a pour Economistes. Jeddah:
IIRF

6
Dans ce qui suit nous tenterons de discuter les éléments essentiels de la théorie comme de
la pratique de la finance islamique. Dans la section 2, nous exposerons les principes généraux de
la finance islamique; cet exposé sera suivi par un aperçu historique de son développement, dans
la section 3. La discussion sur les institutions et services financiers islamiques constituera la
section 4. La conclusion formera la dernière partie de cette étude.

7
2. LES PRINCIPES GENERAUX DE LA FINANCE
ISLAMIQUE

Dans la perspective islamique, l'Homme est encouragé à mener des activités économiques
comme forme de gratitude envers Allah qui a mis à sa disposition toutes les ressources de la
terre. Cette liberté d'entreprise accordée par la Chariah, est restreinte par certains interdits qui
visent à assurer l'équité et l'équilibre dans les activités économiques. C'est ainsi que certains
versets insistent sur la nécessité de remplir les contrats, de mener les différentes transactions sur
la base d'un consentement mutuel et d'éviter toute forme de fraude, riba et jeux de hasard. Voici
quelques versets qui abordent certains principes que nous venons de mentionner:

"Ne voyez-vous pas qu'Allah vous a assujetti ce qui est dans les cieux et sur la terre ? Et
Il vous a comblés de Ses bienfaits apparents et cachés"7 (31:20).

"C'est Lui qui vous a soumis la terre : parcourez donc ses grandes étendues. Mangez de
ce qu'Il vous fournit. Vers Lui est la Résurrection" (67: 15).

"Puis quand la Salat est achevée, dispersez-vous sur la terre, et recherchez [quelque
effet] de la grâce d'Allah, et invoquez beaucoup Allah afin que vous réussissiez" (62:
10).

"Ô les croyants ! Remplissez fidèlement vos engagements" (5: 1).

"Ô les croyants ! Que les uns d'entre vous ne mangent pas les biens des autres
illégalement. Mais qu'il y ait du négoce (légal), entre vous, par consentement mutuel. Et
ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous" (4: 29).

"1. Malheur aux fraudeurs


2. qui, lorsqu'ils font mesurer pour eux-mêmes exigent la pleine mesure,
3. et qui lorsque eux-mêmes mesurent ou pèsent pour les autres, [leur] causent perte.

7
La traduction utilisée est celle du Professeur Muhammad Hamidullah (Rahimahullaah).

8
4. Ceux-là ne pensent-ils pas qu'ils seront ressuscités,
5. en un jour terrible,
6. le jour où les gens se tiendront debout devant le Seigneur de l'Univers ?" (83: 1-6).

Généralement, on peut affirmer qu'en finance islamique, les transactions sont basées sur des
contrats; la réalisation du consentement mutuel des parties concernées est un élément essentiel
pour la conclusion des contrats. Même si le principe de base est la liberté, pour les parties
concernées, de formuler les termes du contrat, il y a certaines normes majeures qu'elles sont
tenues d'observer impérativement. Ces normes ont pour nom: éviter le riba, éviter le gharar
(incertitude ou risque dans les termes du contrat), éviter le maysir (les jeux de hasard),…
Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons de discuter en détails ces normes.

2.1 Le Principe de la Liberté de Contrat

Dans le domaine des transactions toute chose qui n'est pas interdite par les sources
fondamentales de la Chariah est considérée comme légale et permise. Ce principe a été
clairement énoncé par l'éminent juriste musulman, Ibn Taymiyyah, qui a soutenu que les actes
des individus sont de deux types:
- les actes dévotionnels ('ibadaat) qui visent à promouvoir leur spiritualité;
- les coutumes ('aadaat) dont les hommes ont besoin pour le cours normal de la vie.
Une analyse attentive des sources de la Chariah révèle que les actes dévotionnels sont établis par
des injonctions explicites de la part du Législateur, tandis que pour les coutumes le principe est
de les considérer permises en l'absence d'une prohibition explicite.
Une implication de ce principe est que les agents économiques ne sont pas tenus de se limiter
aux traditionnels contrats endossés par les juristes pour mener à terme les différentes transactions
d’échange dont ils auraient besoin. Ils peuvent, au contraire, formuler le type de contrat qui
satisfasse leur besoin et introduire autant de termes qu'ils souhaitent pourvu que ces termes ne
violent pas des principes établis, en la matière, par la Chariah.

9
2.2. Le Principe du Consentement Mutuel

Le consentement mutuel des contractants est une condition nécessaire pour la validité d'un
contrat. Ce principe a été clairement établi aussi bien dans le Coran que dans la Sunnah.
Plus haut, nous avons déjà cité le verset (4: 29) dans lequel Allah considère un contrat dénué de
consentement mutuel équivalent à "manger les bien des autres illégalement". Dans le même
ordre d'idée, le Prophète (SAW) affirme, dans un hadith rapporté par Ibn Majah, que: "Un
contrat de vente n'est valide qu'en présence du consentement mutuel".
Ce principe implique que la conclusion d'un contrat suppose que les contractants ont librement
donné leur consentement sur la base de connaissance claire et certaine de l'objet du contrat ainsi
que des devoirs et droits résultant de la transaction. C'est ainsi qu'un consentement obtenu sous la
contrainte, la fraude, une dénaturation des faits ou par n'importe quel autre moyen illégal, rend le
contrat invalide. Pareillement, un contrat conclu en état d'ivresse ou par voie de plaisanterie ou
de méprise est aussi invalidé par la Chariah. Cela est dû au fait que dans tous les cas précités
l'élément de consentement libre ou l'intention réelle des contractants à conclure le contrat est
absent.

2.3. La Prohibition du Riba et le Concept de 'Iwad

Littéralement, riba signifie augmentation, croissance, surplus. Techniquement, la définition du


riba est donnée par plusieurs oulémas à travers l'histoire de l'islam. Il serait bon de signaler, dès
le début, que le Coran, comme cela a été le cas pour les autres interdits tels que le vin, l'adultère,
le vol, n'a pas donné de définition explicite au riba. Cela peut s'expliquer par le fait que les
pratiques que le Coran interdisait étaient connues par son audience directe, les Arabes. Le
Prophète (SAW) se chargeait, s'il y avait lieu, de donner les explications et les précisions
nécessaires. Ainsi, pour le cas du riba, le Prophète (SAW) a étendu le cadre d'application du
concept, comme nous allons le voir, pour qu'il couvre certains échanges commerciaux en vogue à
l'époque. C'est pourquoi cette forme de riba interdite par le Prophète (SAW) est communément
appelée, riba Sunnah ou riba al buyu' (échanges commerciaux) en opposition au riba al Quraan
ou riba ad duyuun (dettes). Une autre classification consiste à considérer le riba qui survient en

10
relation avec le temps, (riba an nasiiah), et l'autre qui est relatif à toute forme d'excès dans les
trocs concernant les objets mentionnés dans le hadith relatif au riba (riba al fadhl).

Riba a été abordé dans 4 différents passages du Coran. Une analyse des versets et de la
chronologie de la descente révèle que l’interdiction s’est faite de manière progressive. Ce qui
suggère, comme dans le cas du vin, que la pratique était très répandue dans les sociétés d'Arabie
d'alors, donnant lieu donc à une approche pédagogique dans le traitement de ce mal.

Dans Sourate Ar-Rum, révélée à la Mecque, le verset avait, pour le plus, un caractère
réprobateur en ce qu’il n’ y avait aucune interdiction explicite du riba :

"39. Tout ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens aux dépens des
biens d'autrui ne les accroît pas auprès d'Allah, mais ce que vous donnez comme
Zakat, tout en cherchant la Face d'Allah (Sa satisfaction)... Ceux-là verront [leurs
récompenses] multipliées ".

Dans le deuxième endroit où le riba est évoqué, Sourate An-Nissa, il a été mentionné comme
l'un des nombreux péchés commis par les juifs et qui leur a causé la malédiction divine comme
punition dans ce bas monde:

"160. C'est à cause des iniquités des Juifs que Nous leur avons rendu illicites les
bonnes nourritures qui leur étaient licites, et aussi à cause de ce qu'ils obstruent le
sentier d'Allah, (à eux-mêmes et) à beaucoup de monde,
161. et à cause de ce qu'ils prennent des intérêts usuraires - qui leur étaient pourtant
interdits - et parce qu'ils mangent illégalement les biens des gens. A ceux d'entre eux
qui sont mécréants Nous avons préparé un châtiment douloureux".
Ainsi l'islam n'est pas la première religion révélée à avoir interdit le riba, d'autres religions et
d'autres civilisations l'ont fait avant lui8.

8
Pour plus de détails, voir l'article de Bakar, M. D. Riba and Islamic Banking and Finance

11
La première interdiction explicite du riba est intervenue avec les versets dans sourate Ali-
Imran, où Allah (SWT) dit:
"130. ô les croyants ! Ne pratiquez pas l'usure en multipliant démesurément votre capital. Et
craignez Allah afin que vous réussissez !".
Ce verset est souvent utilisé comme argument pour prétendre que seul les taux "excessifs" sont
concernés par l'interdiction. Cependant, les versets de la Sourate Al-Baqarah, révélés plus tard,
déclarent illicite tout surplus sur le principal et condamnent de manière très sévère le riba et ceux
qui le pratiquent:

"275. Ceux qui mangent [pratiquent] de l'intérêt usuraire ne se tiennent (au jour du
Jugement dernier) que comme se tient celui que le toucher de Satan a bouleversé. Cela,
parce qu'ils disent : “Le commerce est tout à fait comme l'intérêt” Alors qu'Allah a
rendu licite le commerce, et illicite l'intérêt. Celui, donc, qui cesse dès que lui est venue
une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant; et son
affaire dépend d'Allah. Mais quiconque récidive... alors les voilà, les gens du Feu ! Ils y
demeureront éternellement.
276. Allah anéantit l'intérêt usuraire et fait fructifier les aumônes. Et Allah n'aime pas
le mécréant pécheur.
277. Ceux qui ont la foi, ont fait de bonnes œuvres, accompli la Salat et acquitté la
Zakat, auront certes leur récompense auprès de leur Seigneur. Pas de crainte pour eux,
et ils ne seront point affligés.
278. ô les croyants ! Craignez Allah; et renoncez au reliquat de l'intérêt usuraire, si vous
êtes croyants.
279. Et si vous ne le faites pas, alors recevez l'annonce d'une guerre de la part d'Allah et
de Son messager. Et si vous vous repentez, vous aurez vos capitaux. Vous ne léserez
personne, et vous ne serez point lésés.
280. A celui qui est dans la gêne, accordez un sursis jusqu'à ce qu'il soit dans l'aisance.
Mais il est mieux pour vous de faire remise de la dette par charité ! Si vous saviez !
281. Et craignez le jour où vous serez ramenés vers Allah. Alors chaque âme sera
pleinement rétribuée de ce qu'elle aura acquis. Et ils ne seront point lésés."

12
Selon Qatadah (Rahimahullaah), le riba pratiqué par les gens de la Jahiliyyah (la période
antéislamique en Arabie) survenait lorsqu'à l'échéance d'une dette résultant d'une transaction, le
débiteur étant incapable de payer, le créancier acceptait de différer le remboursement contre un
surplus sur le montant dû. Mudjahid (rahimahullaah), un autre taabi'i9 donne une autre forme de
riba pratiquée par les Arabes en précisant que le débiteur peut prendre l'initiative de donner un
surplus sur le principal en échange d'une rallonge du délai. Une conclusion de taille que nous
pourrons tirer des explications de ces deux illustres savants, est qu'il y a riba dès qu'il y a un
surplus contractuel sur le principal en échange d’un rallongement du délai de payement,
peu importe qui en prend l'initiative.

La Sunnah du Prophète (SAW) fournit certains compléments sur les parties impliquées aussi
bien que sur les formes du riba. Jabir ibn Abdillah radialaahu anhu (RA) rapporte que le
Messager d'Allah (SAW) a maudit l'usurier, le donneur (débiteur), le témoin et le greffier.
Il dit, ils sont tous pareils.10
Plus tard dans sa vie, le Prophète (SAW), interdit une autre forme de riba connue sous le nom
de riba al bouyu' ou riba des échanges commerciaux, stipulant des restrictions sur les échanges
de certains objets de même nature:
"Or pour or, argent pour argent, blé pour blé, orge pour orge, datte pour datte, sel
pour sel les quantités doivent être égales et l'échange doit se faire sur place;
quiconque augmente ou demande une augmentation pratique le riba, le preneur et
le donneur sont pareils dans cette situation"

Le riba al bouyu', comme il a été clarifié par le Hadith, concerne l'échange d'une
marchandise contre une autre de même espèce avec un surplus et/ou un délai dans la livraison de
l'une.
Par ailleurs, le riba al Quraan, relatif, en particulier, au riba an nasiiah, a fait l'objet
d'explications abondantes depuis l'aube de l'Islam, de la part des oulémas. Nous avons déjà vu les
définitions données par d'éminents taabiun de cette forme du riba.

9
Les taabi'un, c'est la génération qui a suivi celle des compagnons du Prophète (saw).
10
Sahih Muslim, hadith no: 1598.

13
Une analyse des différentes explications et définitions du riba mentionnées dans le Coran
nous permet de présenter ses caractéristiques fondamentales:

1- Il y avait un surplus contractuel payable sur le principal d'une dette.


2- La dette pouvait provenir d'une transaction de vente antérieure ou d'un prêt.
3- Le paiement du surplus pouvait se faire périodiquement alors que le principal était payé à
la date préfixée ou dans d'autres cas le surplus et le principal étaient payés ensemble.

Le grand savant de l'école malékite, Ibn Ruchd fait remarquer que tout prêt avec surplus fait
partie du riba de la Jahiliyyah interdit par le saint Coran sur lequel il y a l'unanimité des juristes
musulmans (Al-ijmaa’).
Dans les temps modernes, l'intérêt payé par les institutions financières n'est qu'une nouvelle
forme de riba. En effet, l'intérêt reçu ou payé par les institutions financières a les mêmes
caractéristiques que le riba an nassiiah. C'est pourquoi après avoir minutieusement étudié la
question des intérêts bancaires, l'Académie du Fiqh Islamique de l'Organisation de la Conférence
Islamique (OCI), la plus haute autorité spécialisée, a décidé dans sa résolution no 3 adoptée en
1985 que: " toute augmentation ou intérêt ajouté à la dette non remboursé à son échéance
pour insolvabilité du débiteur, contre la prorogation du délai ainsi que l'augmentation
(intérêt) sur le prêt dès le début du contrat, ces deux formes sont riba (intérêt usuraire)
interdit par la Chariah"11

Une analyse économique d'un système basé sur le riba ou l'intérêt, permet de révéler son
inefficacité et son iniquité12.
Comme nous l'avons vu plus haut, dans la société il y a, d'une part, ceux qui ont un excès de
fonds -des individus ou institutions- et qui désirent les placer de manière profitable. On les
qualifiera de financiers ou capitalistes. D'autre part, il y a ceux qui ont un déficit de fonds –des
individus ou institutions- et qui veulent investir. On les appellera investisseurs ou entrepreneurs.

11
Académie Islamique du Fiqh. (2000). Résolutions et Recommandations du Conseil de l'Académie Islamique du
Fiqh 1985-2000. Djeddah:IIRF.
12
Pour plus de détails, consulter Siddiqi (2004) et Pelissier, J. (2006). L’interdiction de l’intérêt résout-il les
contradictions du libéralisme économique. www.oumma.com.

14
Dans une situation où le financier est en même temps entrepreneur, il va, en principe, choisir
entre plusieurs projets possibles, le plus rentable. Dans ce cas, l'efficience dans l'allocation des
ressources aura été réalisée.
Dans un système à intérêt, l'investisseur qui obtient un financement est tenu de rembourser plus
tard le principal plus les intérêts. Peu importe le résultat économique de son investissement. De
même pour le financier ce qui importe, c'est le rendement de son capital et le degré d'assurance
de son remboursement. Ainsi entre plusieurs projets, le choix sera vraisemblablement porté sur le
projet dont le propriétaire a la possibilité de donner des garanties même si la rentabilité
économique est questionnable. C'est inefficace.

Il va sans dire que pareille attitude aura une conséquence évidente sur la distribution.
Théoriquement, dans ce système, seuls les entrepreneurs qui sont capables de présenter des
garanties aux financiers auront droit au financement. Les autres qui n'en ont pas, quelles que
soient la beauté de leurs idées et la pertinence de leurs projets, n’auront pas accès au
financement, en général. Les capitaux circuleront entre les seuls riches de la société. En outre,
l'investisseur -débiteur a l'obligation de repayer le principal plus les intérêts alors qu'il n'est pas
assuré de réaliser, dans son projet, un taux de rendement supérieur à celui de l'intérêt qu'il doit
payer, à cause des aléas qui entourent les activités d'investissement et de production. Si le projet
débouche sur une perte, l'investisseur court le risque de perdre les biens qu'il avait présentés
comme garantie pour obtenir le financement. Ainsi, on assiste à un transfert de la richesse des
producteurs réels vers ceux qui ne produisent pas et qui refusent de mettre à risque leur capital.
Ainsi le cercle des riches se restreint.

Comme résultat global dans le long terme, le fossé séparant les riches et les pauvres dans un
système de financement basé sur l’intérêt s’agrandit de jour en jour. Ce scénario est déjà visible
dans un pays comme les Etats Unis, qui est le leader du système capitaliste. Ainsi dans ce pays
en 2007, 85% des richesses privées étaient entre les mains de 20% de population laissant la
modique proportion de 15% de ces richesses à l’écrasante majorité des 80% de la population13.

13
William Domhoff, cité par Usmani (2009).

15
Dans un cadre islamique, on ne peut pas prétendre à une part de profit sans fournir d'effort
ou mettre son capital à risque, c'est le principe de 'iwad ou contre-valeur équivalent. Dans un
Hadith rapporté par Imam Ahmad, le Prophète (SAW) dit: "Al kharaaju biddhamaa" "Le droit au
profit va ensemble avec la responsabilité en cas de perte".
Ibn al-'Arabi, un juriste classique, affirme que: "Tout surplus qui ne correspond pas à un
'iwad ou contre-valeur équivalent est du riba"14 . Donc l'existence de 'iwad est une condition
nécessaire pour la licéité d'un profit dans une transaction, selon les principes de la Chariah.
Comme nous l'avons déjà vu ce concept peut prendre trois formes: kasb (travail /effort) et ghorm
(risque) et dhaman (responsabilité ou obligation). Le salaire perçu par un travailleur est
considéré licite, parce qu'il correspond à la valeur ajoutée à travers le service rendu. Ce service
rendu, sous une autre forme, justifie la licéité du bénéfice d’un commerçant. De même dans une
société à responsabilité limitée -dont les activités sont licites- le profit reçu par les actionnaires
sous forme de dividendes est aussi acceptable, dans la mesure où ils ont accepté d'assumer les
risques liés à l’activité de production, qui pourraient prendre la forme de la perte d'une part ou de
la totalité du capital.
Le Dhaman (responsabilité/obligation) est un justificatif de la marge bénéficiaire du
commerçant. En effet, le commerçant est tenu de garantir la marchandise vendue de sorte si
celle-ci s’avère défectueuse il est dans l’obligation remplacer ou de rembourser.
Ce principe de ‘Iwad est visible dans l'ensemble des contrats classiques approuvés par la
Chariah.

2.4. La Prohibition de Gharar (Incertitude)

Gharar est un terme arabe qui signifie incertitude, hasard ou ignorance. Techniquement, les
juristes musulmans ont donné plusieurs définitions à ce terme. Cependant, on peut retenir qu'il y
a gharar dans une transaction, lorsque l'un des contractants est désavantagé à cause d'une
ignorance sur le prix, sur l'article/service ou sur la date de livraison15. Quelques exemples
classiques de gharar sont la vente d'un oiseau dans le ciel ou d'un poisson dans la mer.

14
Ibn al-Arabi, cité par Rosly (2005). P. 30.
15
Mansuri, (2006). P. 94.

16
Il n'y a pas de mention explicite du terme gharar dans le Coran; cependant, des Hadiths
authentiques rapportent l'interdiction du Prophète (SAW) de transactions comportant gharar. Le
gharar constitue ainsi l'un des interdits majeurs de la Chariah dans le domaine des transactions.
Les juristes musulmans ont abondamment discuté ses différentes formes. Ibn Juzay, un juriste
Maliki, donne une liste de dix cas constitutifs du gharar qui est interdit:

- la difficulté de mettre l'objet de la vente à la disposition de l'acheteur. Par exemple, la


vente d'une bête perdue.
- Manque d'information concernant l'objet de la vente ou son prix. C'est le cas lorsque
quelqu'un dit: "Je te vends ce qui est sous la manche de mon habit"
- Manque d'information concernant les caractéristiques de l'objet de la vente. C'est le
cas dans une transaction où l'acheteur n'a pas vu l'article et le vendeur ne le lui a pas
décrit.
- Manque d'information concernant la quantité ou le prix. Exemple, lorsque le vendeur
dit : "Je vends l'article au prix prévalent aujourd'hui".
- Manque d'information relativement à la date d'exécution de la transaction. Cette
situation peut se produire quand l'exécution du contrat est subordonnée à la
réalisation d'un événement aléatoire. Par exemple, lorsque un vendeur offre de vendre
un objet à la mort d'une certaine personne.
- Deux ventes dans une même transaction. Cela pourrait être le cas d'une vente avec
deux prix différents: l'un pour un paiement comptant et l'autre pour crédit16.
- La vente d'un animal dont la survie est en question.
- Bay' al-hasat, c'est une vente dont le résultat dépend du lancer d'une pierre.
- Bay' al-munabadzah: c'est une vente qui est considérée conclue par le simple lancer
de l'article vers l'acheteur par le vendeur.
- Bay' al-mulamasah: c'est une situation où la vente est considérée comme conclue par
le simple toucher de l'article par l'acheteur sans l'avoir réellement examiné17.

16
Il serait bon de signaler que la majorité des juristes sont d'avis que si les contractants précisent dès le début lequel
des deux prix est adopté, la transaction est valable.
17
Ibn Juzay cité par Mansuri, (2006).p.94.

17
Comme on peut le remarquer dans toutes ces situations il y a une certaine ambiguïté dans
les termes de la transaction ou un déséquilibre dans les droits et obligations susceptible de
provoquer un litige entre les deux parties. Ainsi la Chariah juge-t-elle nécessaire d'interdire toute
forme d'incertitude donnant certains avantages à l'une des parties au détriment de l'autre.

Il est loisible d'admettre que l'Islam n'interdit pas toute forme d'incertitude dans les
transactions commerciales. En effet, lorsque l'incertitude concerne le résultat de l'activité
économique, elle est tolérée parce qu'étant intrinsèque à ces genres d'activités. Ainsi dans un
contrat d'investissement avec partage de profit et de perte, le financier ne peut pas demander à
l'entrepreneur de lui préciser le montant du profit à réaliser. Tout ce que l'entrepreneur peut faire
c'est de lui donner le rendement espéré. Cependant le rendement réel de l'investissement peut être
supérieur ou inférieur à ce taux indicatif donné par l'entrepreneur. Il y a donc une incertitude
dans ce contrat quant à l'issue de cette transaction, qui est tout de même permise. Ceci n'est pas
du gharar interdit, car le résultat de l'investissement va affecter dans le même sens les deux
parties. Maintenant si l'incertitude concerne les termes du contrat, sa structure, il y a du gharar
qui est interdit. Dans notre précédent exemple, si le capitaliste et le l'entrepreneur ne précisent
pas, dès le début, la proportion de l'éventuel profit qui revient à chacun d'entre eux et confient sa
détermination à l'une des parties à la fin du projet, il y a dans ce cas une incertitude qui est source
d'un potentiel litige18.

Selon Al-Dhareer (1997) un contrat est invalide lorsqu’il comporte du gharar avec, au moins une
des caractéristiques suivantes :
- Le gharar doit être excessif pour que le contrat soit annulé. Ainsi, dans une vente
présence d’une incertitude sur l’objet de la vente, que les contractants considèrent
mineure, n’invalide pas la transaction.
- Le gharar qui est interdit concerne les contrats d’échange mais pas les contrats
unilatéraux. C’est ainsi qu’il est permis de faire don d’un objet déterminé de manière
aléatoire alors que l’utilisation de cette procédure serait inacceptable s’il s’agissait
d’une vente, à de l’incertitude qui pourrait résulter sur un litige.

18
Rosly, (2005).

18
- Pour que le gharar rende le contrat invalide, il doit concerner la partie principale de la
transaction et non ce qui est juste subsidiaire. Par exemple, il n’est pas permis de
vendre séparément un animal qui est encore dans le ventre de sa mère. Cependant, il
est acceptable de vendre un animal et son fœtus ensemble.

Une conséquence de l'application du principe de l'interdiction du gharar aux transactions


modernes est la prohibition de l'assurance commerciale conventionnelle.
L'assurance commerciale conventionnelle est un contrat par lequel l'assureur s'engage, en
contrepartie d'une prime, à verser une indemnité, soit à l'assuré qui a souscrit le contrat, soit aux
tiers désignés par ce dernier, en cas de réalisation d'un (de) risque(s) déterminé(s)19.
La majorité des juristes musulmans contemporains sont d'avis que cette forme d'assurance n'est
pas valable du point de vue de la Chariah à cause des éléments de gharar dans le contrat.
En achetant la police d'assurance, l'assuré ne sait pas exactement s'il va recevoir ou non
quelque chose en contrepartie de la prime payée, et quel serait le montant.
Par exemple, si un individu X achète une police d'assurance pour sa voiture, il se trouve
généralement devant deux scénarios. Dans le premier scénario, sa voiture ne rencontre aucun
accident durant l'année, par conséquent il ne va rien recevoir de son assureur en contrepartie de
sa prime.
D'autre part, si un accident se produit, l'assureur est tenu de lui verser une indemnité qui est
plusieurs fois plus grande que la prime versée. Toutes ces deux situations sont incertaines au
début du contrat. De même le montant de l'indemnité à payer par l'assureur en cas d'accident est
ignoré, à priori, par les deux parties. Tous ces éléments dans l'assurance commerciale
conventionnelle constituent des éléments de gharar qui la rendent inacceptable du point de vue
de la Chariah, du moins pour cette majorité des juristes.

Cependant, ce n'est pas le principe d'assurance comme outil de gestion des risques, qui
est remis en cause. C'est plutôt la forme adoptée qui l'est. Ainsi, il y a des formes alternatives
d'assurance conformes à la Chariah qui sont proposées et pratiquées dans différents endroits du
monde.

19
Saadallah, (2001). Principes d'Assurance Islamique, dans Les Sciences de la Shariah pour Economistes.

19
2.5 La Prohibition de Maysir (Jeu de Hasard)

Littéralement, maysir signifie obtenir facilement quelque chose ou acquérir un profit sans avoir
travaillé pour cela. Maysir inclut toute forme d'acquisition d'argent ou de biens qui dépend
seulement de la chance. Le maysir est interdit de manière catégorique par le Coran, en ces
termes:

"Ô les croyants ! Le vin, maysir (le jeu de hasard), les pierres dressées, les flèches de
divination ne sont qu'une abomination, œuvre du Diable. Écartez-vous en, afin que vous
réussissiez.
Le Diable ne veut que jeter parmi vous, à travers le vin et le jeu de hasard, l'inimité et la
haine, et vous détourner d'invoquer Allah et de la Salat. Allez-vous donc y mettre fin ?"
(5: 90-91).

Comme il a été mentionné par le verset, le jeu de hasard est une source d'inimité entre les
gens. Cela est dû à sa structure de jeu à somme nulle. Cela signifie que dans ce genre de
transaction les deux contractants ne peuvent pas réaliser simultanément un profit; ce que l'un
gagne est exactement ce que l'autre perd. Aucune valeur ajoutée n'est créée! C’est des types de
transactions qui ne créent pas de richesse, ils constituent plutôt des mécanismes de transfert de
richesse.

Naturellement, l'application de ce principe aux transactions contemporaines implique


l'interdiction de toutes les formes de jeu de hasard et de loterie.

Dans les marchés financiers, certains produits dérivés ont cette structure de jeu à somme
nulle, selon beaucoup de savants musulmans contemporains. Un des produits dérivés qui est
décrié sur la base de sa similarité avec le maysir est le contrat d'option. Un contrat d'option
donne le droit, et non l'obligation d'acheter ou de vendre un actif à une date dans le futur et à un
prix fixés au moment du contrat. Il peut être soit une option d'achat (call option), soit une option
de vente (put option). Un call option donne le droit à l'acheteur d'acheter un nombre déterminé

20
d'actifs à un prix déterminé (prix d'exercice), avant ou à une date déterminée. Un put option
donne le droit à l'acheteur de vendre un nombre déterminé d'actifs à un prix déterminé, avant ou
à une date déterminée20.

Comme il apparaît dans la définition, les intérêts du vendeur et de l'acheteur sont


opposés. Par exemple, dans le cas d'un call option, le détenteur de cette option a le droit
d'acheter les actifs à une date déterminée dans le futur. S'il y a une augmentation du prix des
actifs en question, dépassant le prix d'exercice, il réalise un gain tandis que le vendeur subit une
perte. Le contraire de cette situation se produit lors que les prix descendent en deçà du prix
d'exercice.

Une telle structure des produits dérivés favorise la pratique de la spéculation qui est
devenue monnaie courante dans les marchés financiers. Même si leur raison d'être était de
constituer des instruments de gestion des risques, il demeure que dans la plupart des cas ces
instruments sont détournés des objectifs pour lesquels ils ont été inventés. Le récent scandale à la
Société Générale et le cas des CDS (Credit Default Swap) dans la crise des suprimes en sont une
preuve patente.

2.6. La Prohibition des Biens Illicites

Selon la loi islamique le bien qui est l'objet du contrat peut être une marchandise, un service, ou
un usufruit. Cependant pour que le contrat soit valide, l'objet du contrat doit être licite. C'est
ainsi des choses telles que le vin, le porc, les jeux de hasard, etc…ne peuvent pas être l'objet d'un
contrat puisque la Chariah interdit au musulman d'acquérir ou de transférer pareilles choses dans
le cadre d'une transaction.

Tous ces principes énoncés plus haut, sont pris en charge dans le cadre d'un contrat valide selon
les principes de la Chariah. En plus de rendre manifeste la volonté des contractants, un contrat

20
Lahlou, (2001). Les Règles Islamiques Des Marchés Financiers, dans Les Sciences De La Shariah Pour Les
Economistes.

21
constitue un élément de référence en cas de litige. La Chariah dont l'objectif principal est la
réalisation du maslahah, a formulé certaines normes que doit respecter tout contrat pour être
valable. Ces normes peuvent être sous la forme de piliers ou de conditions.

La majorité des fuqahas sont d'avis qu'un contrat doit nécessairement comporter trois
piliers pour être valable:

- l'offre et l'acceptation.
- Les contractants.
- L'objet du contrat et la considération (prix).

L'offre et l'acceptation sont d'une importance primordiale en ce qu'elles constituent la


manifestation du consentement mutuel qui est nécessaire pour la conclusion d'un contrat. C'est
pourquoi l'offre et l'acceptation doivent être exprimées de telle sorte que l'intention des deux
parties soit claire.

Les contractants doivent avoir la capacité légale d'entrer dans un contrat. Dans le cadre
de la Chariah cela signifie qu'ils doivent être majeurs et sains d'esprit.

Quant à l'objet du contrat, il doit être débarrassé de tout élément de gharar comme nous
l'avons déjà évoqué plus haut. En particulier, il doit être déterminé de manière précise et le
vendeur doit être capable de le livrer à l'acheteur. Une autre condition que doit vérifier l'objet est
la licéité. En effet, la Chariah interdit au musulman de posséder ou de transférer une
marchandise ou un service haram (illicite).21.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, les individus ont le droit de formuler les
termes du contrat qui satisfassent leurs besoins en matière de transactions tant que les principes
énoncés par la Chariah sont respectés. Cependant, il y a un nombre de contrats classiques
approuvés dans le cadre islamique et qui constituent les instruments de base utilisés en finance

21
Pour une discussion détaillée de ces principes, consulter les ouvrages sur la loi islamique du contrat, tel que al-
fiqhul islami wa adillatouhou du Professeur Wahabah Zuhayli.

22
islamique moderne. Nous les présentons brièvement dans cette partie, avant de revenir plus en
détail sur leurs aspects pratiques en finance, dans la section 4.

Moudharabah22
Le moudharabah est une forme de partenariat dans lequel une partie, appelé rabbul maal,
fournit le capital et l'autre, appelé moudharib, fournit le "travail". Le capital est alors utilisé pour
faire du business. La gestion du business est totalement laissée entre les mains du moudharib.
Les profits nets sont partagés entre les deux parties suivant des proportions agréées d'avance,
alors qu'une perte est à la charge du capital. Le moudharib de son côté aura perdu son effort et
son temps. Cependant, si la perte est due à une négligence du moudharib, il en sera tenu
responsable.
Le moudharabah est dit restreint (moudharabah moukhayyadah) lorsque le rabbul maal précise
au moudharib les types d'activités à mener. En l'absence de cette restriction, on parle de
moudharabah mutlakhah.

L'intérêt du moudharabah réside dans le fait qu'il associe deux facteurs importants de
toute activité économique, à savoir: le capital et le travail. Il peut arriver qu'un détenteur de
capital soit très limité en matière de gestion de projets. De même les concepteurs des bons
projets n'ont pas généralement les moyens financiers nécessaires à leur exécution. Le
moudharabah permet la rencontre de ces deux éléments, qui pourrait être bénéfique à toutes les
deux parties.

Moucharakah
Le moucharakah est la participation de deux ou plusieurs parties au capital d'un même business.
Chaque partenaire a le droit d'intervenir directement dans la gestion du business. Les bénéfices
nets seront partagés suivant des proportions agréées d'avance et les pertes seront supportées
proportionnellement à la contribution de chaque partie au capital.

22
Ces contrats sont traités de manière détaillée dans Introduction Aux Techniques Islamiques de Financement,
publié par Institut Islamique de recherche et de Formation, Djeddah.

23
Mourabahah
Le terme mourabahah est dérivé du mot ribh qui signifie en arabe bénéfice. Le mourabahah
désigne un contrat de vente au prix de revient majoré d'une marge bénéficiaire. Comme c'est une
vente basée sur la confiance, le vendeur doit déclarer à l'acheteur le prix d'achat et les charges
additionnelles. Des variantes de mourabahah sont al-mourabahah lil aamiri bil- chira, al-bay' al
muajjal.
Le paiement peut se faire au comptant comme au crédit. De même la somme due peut être payée
globalement ou par tranches.

La vente salam
Salam est un contrat de vente dans lequel le prix est payé au comptant alors que la livraison de la
marchandise est différée. Compte tenu du risque de défaut qui est particulièrement élevé dans
salam, le contrat comporte des conditions additionnelles qui visent à protéger les droits de la
partie la plus exposée:

- Les caractéristiques de la marchandise ainsi que la date de livraison doivent être


déterminées de manière précise;
- La marchandise doit être disponible dans le marché à la date fixée pour la livraison.
Cette condition est importante particulièrement dans le cas où le vendeur cultive lui
même la marchandise.
- L'acheteur a le droit de réceptionner la marchandise ou de la rejeter s'il trouve ses
caractéristiques non-conformes à ce qu'il avait spécifié au préalable.

Il serait bon de préciser qu'à l'arrivée de l'Islam, les arabes pratiquaient une forme de salam, mais
Le Prophète (SAW) apporta certaines modifications pour la rendre plus équitable.

24
Le contrat Istisna ou contrat relatif à un objet à manufacturer
Istisna est un contrat où un acheteur demande à un artisan ou un industriel de lui fabriquer un
certain produit. Contrairement au salam, le paiement peut se faire de manière progressive et par
tranches.

Salam et Istisna sont considérés par la majorité des fuqahas comme une exception à une
règle dans le droit commercial musulman stipulant la nécessité de l'existence de l'objet du
contrat au moment de sa conclusion. Cela peut être expliqué par leur potentiel à stimuler la
production aussi bien dans le secteur agricole que dans celui de l'industrie et de l'artisanat. Ce
sont des contrats qui comportent des bénéfices pour tous les contractants. Ainsi dans le cas de
salam, le paiement en avance permettrait au cultivateur d'acheter des semences et de vivre à
l'aise dans cette période de soudure. D'autre part, le prix salam étant, en principe, plus bas que le
prix en gros, l'acheteur est en position de réaliser des profits intéressants!

Al-Ijarah (location)
Al-Ijarah ou location est un contrat d'utilisation de l'usufruit d'un objet licite pour un équivalent
payé en échange. Donc en Ijarah, l'objet du contrat est l'usufruit qui est transféré d'une partie à
une autre, alors que dans un contrat de vente, c'est la propriété de l'objet qui est transférée.

Wakalah (mandat)
Wakalah est un contrat de délégation de pouvoir. En vertu de ce contrat, une personne appelée
Wakil (mandataire ou agent) agit à la place d'une autre, appelée Aciil (mandant ou principal)
dans un domaine où une délégation est permise.

Kafalah (garantie)
Kafalah est un contrat qui consiste en l'addition d'une responsabilité à une autre par rapport à
une obligation. En d'autres termes, la responsabilité du garant est jointe à celle du débiteur pour
le paiement de la dette. La Kafalah suppose donc l'existence de quatre éléments: le garant, le
créancier, le débiteur et la créance.

25
Wadiah (dépôt)
La Wadiah est une autorisation donnée à une personne pour garder la propriété d'une autre en
explicites ou implicites termes. En principe, la Wadiah est un contrat de confiance; cela implique
que celui qui reçoit le dépôt n'est pas obligé de garantir l'objet déposé chez lui. Ainsi, en cas de
perte qui n'est pas le résultat d'une négligence de sa part, il n'est pas tenu de payer une
compensation.

La liste que de contrats que nous venons d'énumérer n'est, en aucun cas, exhaustive. Elle
nous permet de nous familiariser avec les termes fréquemment utilisés en finance islamique
moderne pour désigner certains montages financiers. Avant de discuter certains de ces montages,
nous présentons dans la section suivante un aperçu historique de la finance islamique.

26
3. APERCU HISTORIQUE DE LA FINANCE ISLAMIQUE

Comme nous l'avons déjà évoqué, la finance islamique traite de l'offre et de la demande de
capital selon les principes de la Chariah. Ce processus peut être direct ou passer à travers un
intermédiaire comme une banque commerciale. Dans les temps modernes, la pratique
institutionnalisée de la finance islamique a vu le jour dans la seconde moitié du siècle précédent.
Cependant, à travers l'histoire de l'Islam le processus de transfert des fonds des agents à surplus
vers ceux à déficit s'effectuait de différentes manières sur la base des contrats classiques.

A l'avènement de l'Islam, la Mecque était déjà établie comme un grand centre


commercial. Cette position était favorisée par l'envergure religieuse de la cité. En effet, malgré
leurs nombreuses déviations par rapport à la voie du prophète Ibrahim (SAW), les polythéistes
arabes continuaient toujours d'effectuer le pèlerinage vers la Kaaba. Ce grand rassemblement
était naturellement une occasion de faire du business. Toujours dans le cadre de leurs activités
commerciales, les Quraychites effectuaient leurs fameux voyages en hiver au Yémen et en été au
Cham (Syrie), comme nous le décrit le Coran dans la Sourate 106 (Qouraich). La mobilisation
des fonds se faisait principalement à travers 3 instruments: le moudharabah, le moucharakah et
le prêt à riba.

Lorsque les musulmans de la Mecque émigrèrent à Médine, ils trouvèrent là-bas une
communauté d'agriculteurs. Le contrat Salam, qui est un moyen de transfert de fonds, était déjà
connu dans cette localité. Cependant le Prophète (SAW) dut apporter certaines modifications
pour le rendre plus équitable et moins risqué. Par ailleurs, la communauté juive de la Médine
était forte de 3 tribus. Leur inclination à pratiquer le riba était connue, comme l'atteste la les
versets sur le riba dans la Sourate 4 (An-Nisaa) cités plus haut.

L'islam endossa, donc après certaines modifications, des contrats qui étaient en vigueur
dans la Jahiliyah tout en rejetant le riba. Son caractère injuste n'était pas compatible avec les
valeurs et principes prônés par la Chariah en matière de transactions. Les activités économiques
dans le cadre de ce nouveau système financier sans riba, n'avaient pas décliné; tout au contraire,
elles avaient connu une expansion sans précédent. C'est ainsi que le dynamisme des activités

27
commerciales des musulmans avait atteint des contrées aussi reculées que le Maroc et l'Espagne,
à l'ouest, l'Inde et la Chine, à l'est. L'étendue de l'influence du commerce des musulmans est
attestée par les documents historiques disponibles mais aussi par les pièces de monnaie du
septième au onzième siècle trouvées dans plusieurs parties du monde musulman d'antan. Ces
pièces ont également été trouvées dans différentes parties de la Russie, en Finlande, en Suède, en
Norvège, dans les Iles Britanniques et en Islande23.

En vérité, pour réaliser cette prospérité commerciale, les musulmans ne s'étaient pas
contentés de bannir le riba et de modifier certains contrats qui étaient en pratique dans la
Jahiliyah. Ils avaient, ainsi, initié un mouvement d'innovation visant à satisfaire les besoins
financiers qui devenaient de plus en plus complexes au fil du temps.

A l'aube de l'histoire islamique, les Sarrafs et les djahabidhah s'acquittaient de certaines


fonctions assurées de nos jours par les banques modernes. C'est eux qui vérifiaient l'authenticité
des pièces de monnaie qui étaient fabriquées alors sur la base de métaux précieux. Ils mettaient
aussi ces pièces de monnaie dans des sacs scellés de tailles différentes contenant des montants
spécifiques. Cela avait l'avantage de décharger les gens de la peine de les compter à chaque fois
qu'un paiement était fait. Ils émettaient aussi des billets à ordre, des lettres de crédit, des sukuk
facilitant ainsi le bon fonctionnement du système de paiement. En plus de cela, ils assuraient la
fonction d'intermédiaires financiers en mobilisant les fonds des épargnants pour les rendre
ensuite disponibles aux producteurs et aux commerçants, principalement sur la base
moudharabah et moucharakah.24

On pourrait se poser légitimement la question de savoir comment ces agents ont pu


réussir à assumer avec succès ces fonctions cruciales à ces moments reculés de l'histoire?
Plusieurs raisons peuvent être avancées comme éléments explicatifs.

Premièrement, ces agents travaillaient dans des communautés qui étaient beaucoup plus
petites que celles du monde moderne où évoluent les banques. Dans une certaine mesure, il y

23
Kamers, J.H. cité par Chapra, U. (1997), dans Vers un Système Monétaire Juste. Jeddah: IIRF.
24
Chapra, U. et Ahmad, H. (2002). P.19. et Chachi, A. (2005).

28
avait une connaissance mutuelle entre les différents acteurs de la vie économique ce qui était de
nature à influer positivement sur la confiance mutuelle. De plus, chaque acteur était censé éviter
tout cas de fraude qui, non seulement, pourrait porter atteinte à son honneur et à celui de sa tribu,
mais aussi fermerait des perspectives de faire business avec les autres.

Deuxièmement, même si, durant ces périodes, les règles de la Chariah n'étaient pas
appliquées dans leur totalité, l'influence des valeurs et principes islamiques était forte. En effet,
le Coran comme la Sunnah recommandent le respect des contrats, la transparence, l'équité et
l'entre aide dans les transactions, et interdisent, dans le même temps, la fraude, la trahison et tout
acte contraire à la morale.

A cela s'ajoutait, un système judiciaire indépendant, qui jouissait de la confiance des


populations. Les Qadis ou juges veillaient au respect des termes des contrats, par les différentes
parties. Ainsi justice était rendue à moindre coût en terme de temps et d'argent.25

Troisièmement, cette période était celle de l'ouverture de la communauté musulmane à


d'autres civilisations. Les musulmans empruntaient des autres, modifiaient, adaptaient les
éléments qu'ils considéraient utiles. Il était clair pour eux que dans le domaine des transactions,
la porte de l'innovation devait rester ouverte tant qu'il y avait respect des principes de la Chariah.

Puis cette période de développement dans le monde musulman fut suivie par une phase
de déclin dans presque tous les domaines, politique, social et culturel. La porte de l'ijtihad fut
prétendument fermée, et les musulmans passèrent d'une position de conquérants à celle de
conquis. Les Européens, qui colonisaient l'essentiel des pays musulmans, implantaient leurs
modèles politique, culturel et économique. Cela marquait le début des banques à intérêts dans les
localités musulmanes.

Siddiqi (2004) soutient qu'au début, les populations musulmanes étaient très réticentes à
traiter avec ces banques usuraires. Cependant, la situation n'a pas tardé à changer. En effet, le
commerce extérieur, en particulier, nécessitait des services que seules ces banques offraient.

25
Ibid.

29
Beaucoup d'oulémas, assaillis par des questions sur le statut légal d'avoir des relations
commerciales avec les banques, commençaient à s'inquiéter du fait que tout le commerce,
intérieur comme extérieur, risquerait d'être contrôlé par des non musulmans si la position de la
Chariah sur le riba n'était pas reconsidérée. Ainsi, au début du XXième, des savants comme
Cheikh Rachid Rida, qui citait souvent son maître, le Mufti Mouhammad Abdoh, enclenchèrent
le mouvement de 'légalisation' de l'intérêt bancaire en Egypte. En Inde, qui incluait alors le
Pakistan et le Bangladesh, c'était Cheikh Ahmad Khan qui dirigeait le mouvement de
'légalisation'. La motivation de ces tenants de la 'légalisation' de l'intérêt bancaire semblait être de
deux ordres: permettre au musulman moyen de garder en lieu sûr son épargne avec un rendement
un tant soit peu acceptable mais aussi permettre aux hommes d'affaires musulmans de
développer leur business qui devenait de plus en plus dépendant des institutions bancaires. En
outre, il a été constaté que l'intérêt était payé par de riches banques, ce qui lui enlèverait tout
caractère immoral (injustice) qui serait le rationnel de son interdiction.
Siddiqi (2004) fait remarquer qu'une analyse de ces premiers écrits 'légalisant' intérêt
permet de conclure que leur préoccupation première fut de régler des problèmes conjoncturels et
non de comprendre l'intention du Législateur en prohibant le riba. Ce qui constitue une entorse à
la démarche prônée par la Chariah, qui préconise une profonde maîtrise du texte en plus d'une
compréhension claire du contexte, pour émettre un fatwa crédible sur une question donnée.
Ainsi, l'écrasante majorité des oulémas, comme les populations, continuaient de voir en ces
intérêts payés ou reçus par les banques une forme du riba interdit par le Coran. Etant donné le
rôle crucial d'intermédiation financière dans le monde moderne, des savants musulmans avaient
considéré nécessaire de développer une alternative au système bancaire basé sur l'intérêt,
conforme aux principes de la Chariah.

Les premières initiatives pratiques, allant dans ce sens, virent le jour dans les années 50 et
60 du siècle précédent, au Pakistan avec une banque sans intérêt à Karachi, en Malaisie avec
Tabung Haji et en Egypte avec Mit Ghamr. De ces 3 expériences, seul le Tabung Haji a réussi à
survivre et à se développer. Si l'échec de la banque pakistanaise était attribuable à des problèmes
de gestion, l'expérience de Mit Ghamr fut intéressante. En effet, de 1963, date de sa création à
1967 date de sa fermeture pour des raisons politiques, par le régime de Gamal Abdel Nasser, le
nombre des épargnants est passé de 17 560 à 251 152, ce qui témoignait du succès de cette

30
institution financière auprès des populations. Comme l'avait expliqué son initiateur, El-Naggar,
la banque avait principalement trois rôles: premièrement, se positionner comme un intermédiaire
efficace entre l'offre et la demande de capital. Deuxièmement, jouer le rôle d'un centre
éducationnel pour la promotion de l'efficacité économique, l'épargne et les habitudes bancaires.
Troisièmement, mettre en place un facteur dynamique pour mobiliser le capital dormant,
réduisant ainsi la thésaurisation et les problèmes de formation du capital26. Ainsi, la banque était
parvenue à mobiliser les capitaux dormants d'une bonne partie des musulmans égyptiens, avec
des rendements intéressants, conformément aux règles de la Chariah.
Tabung Haji, la doyenne des institutions financières islamiques, peut être considérée
comme un exemple de réussite. Etablie en 1963, cette institution avait comme objectifs:
- de permettre aux musulmans Malais d'épargner progressivement dans le but de
supporter leurs dépenses durant le hajj (pèlerinage à la Mecque) ;
- de permettre aux musulmans Malais de participer effectivement, à travers leurs
épargnes, aux activités d'investissement qui sont permises par l'Islam ;
- et de protéger leurs intérêts et assurer le bien être des pèlerins durant le pèlerinage en
offrant des services variés27.

Avec 1283 membres au début de ses opérations en 1963, le Tabung Haji compte aujourd'hui plus
de 4 millions d'adhérents avec des dépôts dépassant $ 2 milliard.

Cependant, les années 70 constituent un tournant décisif dans le développement de la


finance islamique. En effet, la Banque Islamique de Développement a été établie en 1975, pour
l'intérêt des pays et communautés musulmans en stimulant le financement du commerce et du
développement sans riba. Dans la même année, Dubaï Islamic Bank, considérée comme la
première banque commerciale islamique, vit le jour. En 1979, la première compagnie d'assurance
islamique ou takaful fut établie. Et depuis cette date, le nombre des institutions financières
islamiques ne cesse de croître à travers le monde.
Le développement de la finance islamique prend, principalement deux formes. D'une
part, il y a des pays qui ont décidé d'abolir l'intérêt de leur système financier et de mettre sur pied

26
Chachi, (2005).
27
Idem.

31
un système conforme aux principes de l'Islam; c'est le cas du Pakistan, de l'Iran et de Soudan.
D'autre part, la plupart des pays adoptent un système où coexistent les institutions financières
conventionnelles et celles islamiques. Comme exemples, on peut citer, la Malaisie, Bahrayn, les
Emirats Arabes Unis, l’Angleterre, etc.… . Il faut signaler que dans ces pays, il y a des
institutions qui sont entièrement spécialisées à offrir des services financiers islamiques, tandis
que d'autres sont des guichets ouverts par des banques conventionnelles dans le but d'offrir à leur
clientèle des services financiers islamiques. On estime aujourd'hui les institutions offrant des
services financiers islamiques à plus 500 institutions, avec des actifs de plus de $ 1 trillion, avec
un taux de croissance annuel de plus de 14%28.
Ce bref aperçu montre que même si la reformulation de la finance islamique est relativement
récente, le respect de ces principes a toujours été de mise à travers l'histoire de l'islam.
Il est vrai qu'il y a aujourd'hui un écart antre la théorie de la finance islamique et sa pratique. Cet
écart pourrait être expliqué par plusieurs facteurs tels que le déficit en ressources humaines bien
formées en sciences religieuses et en finance, l'absence de cadre réglementaire approprié, une
faible conscientisation des clients potentiels, etc.
Cependant, on peut légitimement penser que la finance islamique est un projet en évolution et
qu'elle n'a pas encore pris sa forme définitive. Au fil du temps, elle est passée d'un projet
ridiculisé à une alternative crédible capable de satisfaire les besoins financiers de ses clients.
Cette crédibilité a été renforcée par sa relative stabilité durant la présente crise financière qui a
balayé à son passage des géants de la finance conventionnelle.
Aujourd'hui, avec les efforts d'organisations telles que l'AAOIFI (Accounting and Auditing
Organization for Islamic Financial Institutions) et le IFSB (International Financial Services
Board,) une certaine forme de standardisation et d’harmonisation de la pratique est en train de se
réaliser. Toutefois, ces efforts n'auront les résultats escomptés s'ils ne sont pas accompagnés par
une volonté politique des gouvernants, un changement de 'mentalité' des institutions et une
conscientisation des populations.

28
GIFF (2010). Islamic Finance opportunities: Country and business guide. Prepared by Kuwait Finance House
Ltd.

32
4. LES INSTITUTIONS ET SERVICES FINANCIERS
ISLAMIQUES

Comme nous l'avons expliqué plus haut, le développement récent d'institutions financières
islamiques modernes est justifié par l'existence de pratiques dans le système financier classique
qui violent certains principes de la Chariah. Ainsi, ces institutions financières islamiques
proposent des produits et services alternatifs à ceux décriés dans la finance conventionnelle.
Dans ce qui suit nous allons passer en revue les opérations des banques commerciales
islamiques, celles des takafuls ou assurances islamiques et celles menées dans les marchés des
capitaux. Il serait bon de signaler que l'exposé, étant juste une introduction, sera plutôt descriptif
et ne discutera pas les questions à controverses dans les opérations des institutions islamiques.
Pareille discussion pourrait être trouvée dans certaines références indiquées dans le texte ou à la
fin de cette étude.

4.1 Banque Islamique

La plus importante activité des banques commerciales classiques est la collecte de fonds, sous
forme de dépôts, et leur utilisation sous forme de financement, sur la base de l'intérêt. Même s'il
est possible d'identifier à l'actif de ces banques d'autres activités qui n'impliquent pas l'intérêt, il
demeure que la taille des activités à intérêt est suffisamment grande pour être tolérable dans un
cadre islamique.
En théorie, le modèle de banque islamique proposé par certains promoteurs de l'économie
islamique est le modèle de moudharabah à 'deux niveaux' (two-tier mudharabah).
Avec le moudharabah à deux niveaux la banque mobilise les fonds et finance les entrepreneurs
principalement sur la base de moudharabah. Sur le côté des passifs, la banque joue le rôle de
moudharib alors que les déposants sont les rabbul-maal tandis que sur le côté des actifs la
banque est le rabbul-maal et les entrepreneurs sont les moudharib. Comme les principes du
moudharabah sont appliqués, les profits réalisés par les entrepreneurs sont partagés d'abord entre
eux et la banque selon un ratio prédéterminé, la banque à son tour partage sa part avec les
déposants. Si un ou des entrepreneurs subissent une perte qui n'est pas due à une négligence,

33
alors elle sera déduite du capital, donc supportée en fin de compte par les déposants et les fonds
propres de la banque. On pourra signaler que dans ce modèle les déposants peuvent ouvrir des
comptes courants, mais dans ce cas ils n'auront pas droit au profit et leur fonds seront garantis et
payables sur demande.
Même si ce modèle est de nature à encourager l'investissement en facilitant l'accès au capital, il
est loisible de remarquer qu'il est très risqué surtout dans une situation d'asymétrie de
l'information. Par ailleurs, ce modèle ne semble pas accorder une grande importance au
financement de certains besoins des consommateurs (achat de maison, de voiture, etc.) qui n'est
pas compatible avec le contrat de moudharabah, cela pourrait expliquer pourquoi ce modèle n'est
pas populaire en pratique. De plus en plus, les banques islamiques ont recours, dans leurs
différentes opérations, à des instruments qui ont certaines similarités avec les produits des
banques classiques. Voici un bilan typique d'une banque islamique:

Actifs Passifs
Financement des particuliers, de Compte courant/Compte d'épargne
l’entreprise et du commerce Qard hassan
Mourabahah Wadiah
Ijarah
Istisna
Salam Comptes d'investissement généraux
Investissements Moudharabah mutlaqah
Moudharabah
Mousharakah
Services Sukuk
Wakalah
Capital
Kafalah
Réserves
Fonds propres

Table 1: bilan type d'une banque islamique.

34
Dans les lignes qui suivent nous présentons les différents produits énumérés dans la table 129.

4.1.1 Compte courant / compte d'épargne


Même si certaines banques font la distinction entre compte courant et compte d'épargne, il
demeure que la différence est minime. Cela est dû au fait que dans les deux cas, les fonds du
déposant sont garantis, mais celui-ci n'a droit à aucun rendement sur les fonds. En plus, les
services offerts aux détenteurs de ces comptes sont presque les mêmes.
Les concepts utilisés pour ces deux comptes varient d'une région à une autre; mais les plus
populaires sont le Qard hassan et le Wadiah-wad-dhaman. Ainsi, le client donne l'autorisation à
la banque d'utiliser ses fonds à ses propres risques; le profit généré par l'utilisation appartient à la
banque qui assume entièrement toute perte. Le client a le droit de retirer ses fonds à tout moment
Il est fréquent que la banque verse dans le compte du client une part du profit, à sa totale
discrétion; c'est le hibah (don).

4.1.2 Comptes d'investissement généraux


Ces comptes sont établis sur la base du concept de moudharabah; par conséquent, le principe de
partage des bénéfices et des pertes s'applique. Il y a différents termes qui sont proposés aux
déposants; ainsi, le taux de rendement d'un dépôt dépend du terme et de la rentabilité des
investissements entrepris par la banque. Comme les types d'investissement à entreprendre sont
laissés à la discrétion de la banque, on dit alors que c'est un compte d'investissement général basé
sur le concept de moudharabah moutlaqah.
La figure 1 illustre le fonctionnement de ce compte.

4.1.3 Comptes à investissements spéciaux


Ces comptes sont similaires aux comptes d'investissement discutés plus haut, avec la différence
que le déposant indique les investissements dans lesquels ces fonds devront être employés. Le
ratio de partage des bénéfices peut aussi être l'objet de négociation individuelle entre la banque et
le client. Le concept utilisé est le moudharabah mouqayyadah.
29
Pour plus de détails, voir Obaidullah (2005).

35
Banque
islamique Déposants /Rabbul-maal
/moudharib

X%
Y%

X +Y =100

Financement /
Investissement

Perte Bénéfice

Figure 1: la structure du compte d'investissement moudharabah

Les activités:
1- Les déposants ouvrent des comptes et entrent dans un contrat de moudharabah avec la
banque.
2- La banque, en sa qualité de moudharib, emploie les fonds dans des activités de
financement et d'investissement.
3- S'il y a perte, elle sera supportée par les fonds.
4- S'il y a bénéfice, il sera partagé entre les déposants et la banque selon un ratio
prédéterminé (x % et y %, respectivement).

36
En plus de ces dépôts, l'autre source de fonds pour la banque est le capital injecté par les
actionnaires qui sont les propriétaires ultimes de la banque.
Ces fonds collectés sont investis dans différentes sources génératrices de revenus qui permettent
à la banque de faire face à ses dépenses et de 'récompenser' les fournisseurs de capital. Quelques
sources génératrices de revenus pour la banque sont discutées dans les paragraphes qui suivent.

4 .1.4 Financement des particuliers et du commerce


Le financement des particuliers occupe une place importante dans les actifs d'une banque
commerciale islamique. En général, la transaction se fait comme suit : un client identifie une
marchandise dont il a besoin; il approche la banque et négocie les modalités de paiement; la
banque achète la marchandise et la revend au client avec une marge bénéficiaire. Dans ce
contexte le client peut être un ménage ou une entreprise; par ce biais le client peut acquérir des
actifs tels que: une villa, une voiture, une machine, un équipement, etc.
Figure 2 ci-dessous montre la structure d'une transaction basée sur mourabahah ou Ijarah.

Banque islamique
2

Fournisseur
Client 3
6

5
4

Figure 2: la structure d'une transaction basée sur mourabahah.

37
Activités:
1- Le client identifie une voiture qu'il veut acheter et qu'il ne peut pas se payer cash.
2- Le client approche la banque et discute avec elle des modalités de la transaction.
3- La banque achète la voiture et paie cash le prix P au fournisseur.
4- La voiture est délivrée à la banque.
5- La banque revend la voiture au client au prix P + une marge M.
6- Le client paie le montant dû par tranches.

La même structure pourrait être utilisée pour financer l'achat d'une maison déjà construite.
Comme dans ce dernier cas, le prix est souvent plus élevé, le terme devient plus long.
Par ailleurs, ces mêmes besoins des particuliers pourraient être financés par le biais de Ijarah al-
muntahiyah bit-tamlik qui est une location suivie d'un transfert de la propriété au client à la fin
du terme sous forme de don ou en échange d'un prix symbolique. La période de l'Ijarah est faite
de sorte qu'elle ne sera pas très différente de la vie économique de l'actif; ainsi les tranches
payées durant la période permettraient à la banque de recouvrer ses fonds. Il serait important de
signaler qu'avec le contrat Ijarah, la propriété reste celle de la banque durant toute la période de
location; par conséquent, les frais de maintenance majeure sont à sa charge. Cet élément rend ce
produit moins intéressant et plus difficile à gérer pour la banque.
La banque peut aussi entrer dans un contrat de Istisna pour financer la construction de maisons
ou d'infrastructures. Comme la banque ne dispose pas d'unités en mesure de d'exécuter ces
genres de projet, elle est obligée d'entrer dans un autre contrat avec un entrepreneur pour faire le
travail. La banque réalise son profit sur la différence du prix payé à l'entrepreneur et celui reçu
du client. La structure de ce genre de transaction est illustrée dans la figure 3.

38
2 Banque islamique

Entrepreneur
6 3

5
Client 4

Figure 3: la structure d'une transaction avec Istisna

Activités:
1- Le client désire se faire construire un building, par exemple.
2- Le client approche la banque et négocie avec elle les termes du contrat de construction.
3- La banque entre en contact avec un entrepreneur et discute avec lui les modalités de
construction et le montant du prix P à payer.
4- L'entrepreneur délivre le building à la banque.
5- La banque, à son tour, délivre le building au client.
6- Le client paie le prix P + une marge M.

La banque peut aussi financer des producteurs de certaines marchandises sur la base du contrat
Salam. Avec ce scénario, la banque verse la somme à payer aux producteurs bien avant la récolte
des produits. En général, le prix payé est bien plus bas que celui du marché. A la récolte, les
marchandises sont délivrées à la banque qui se chargera de leur revente. Pour éviter certains
risques liés au contrat Salam, la banque peut d'abord discuter avec les futurs acheteurs de la
marchandise avant d'entrer en contact avec les producteurs. La figure 4 ci-dessous décrit les
activités qui pourraient être impliquées dans un contrat Salam.

39
Banque islamique

Producteur
De la
1 marchandise M
3
Commerçants
Ou utilisateurs
de M 4
2

Figure 4: la structure de financement par Salam

Activités:
1- La banque discute avec un producteur d'une marchandise M de la quantité, la date et
l'endroit de la livraison et du prix; le prix est payé cash.
2- Plus tard, à la récolte, le producteur livre la marchandise à la banque.
3- La banque revend la marchandise à des commerçants ou autres utilisateurs à un prix
supérieur au prix d'achat.
4- Le payement est fait cash ou par tranches.

Ces différents produits mentionnés plus haut constituent les sources de revenus les plus
importantes pour les banques commerciales islamiques; leur proportion dans le portefeuille des
actifs atteint parfois 90 %. Ce fait pourrait être expliqué par le fait qu'avec ces produits les
banques se trouvent, d'une certaine manière, en face du risque de crédit qu'elles sont plus

40
habilitées à gérer. Cependant, on pourra remarquer qu'il y a d'autres risques spécifiques à ces
produits qui rendent leur gestion plus délicate.
Certaines banques islamiques consentent des prêts bénévoles, sur la base de Qard hassan, pour
aider certains de leurs clients à faire face à certaines urgences. Comme ce produit ne génère pas
de revenus, son utilisation est plutôt limitée.

4.1.5 Investissement
L'investissement est une autre activité principale de la banque islamique qui peut se faire soit par
le biais du moudharabah ou du moucharakah. Même si ces modes de financement ne
représentent présentement qu'une petite portion des activités des banques islamiques, il demeure
que leur potentiel est énorme pour stimuler l'investissement dans des projets productifs
générateurs d'emplois.
Avec le moudharabah, la banque, après une attentive étude de faisabilité, peut financer un projet
proposé par un entrepreneur pour une durée déterminée. Dans ce cas, la banque joue le rôle de
rabbul-maal, celui qui fournit le capital, et l'entrepreneur est le moudharib. La gestion du projet
est à la charge exclusive de l'entrepreneur, qui est tenu de mener les activités selon les règles
d'éthique et de bonne conduite. Les profits réalisés à l'issue des opérations seront partagés
suivant un ratio prédéterminé, alors que les pertes seront supportées par le capital, si elles ne sont
pas dues à une négligence de la part de l'entrepreneur. La structure de la transaction est similaire
à celle présentée dans la figure 1, avec la différence que dans cette transaction c'est la banque qui
joue le rôle de rabbul-maal et le client celui du moudharib.
Le concept de moucharakah permet à la banque de participer à une entreprise ou un projet dont
les initiateurs ont un certain capital. La banque et ses partenaires discutent des modalités du
partenariat; en particulier, le management du projet ou de l'entreprise et le ratio de partage des
profits. En cas de perte les principes de moucharakah stipulent son partage suivant la
contribution au capital.
Un produit dérivé du moucharakah qui devient de plus en plus populaire est le moucharakah
moutanaqiçah ou moucharakah décroissant. Ce produit permet à une banque et son client
d'entrer dans un partenariat pour entreprendre un projet avec l'objectif de permettre au client de
posséder entièrement le projet après une certaine période; pour ce faire, le client doit acheter
périodiquement les actions de la banque jusqu'à leur extinction. Par exemple, une banque et son

41
client décident d'acheter un taxi avec comme pourcentage de participation de 80 % et de 20 %
pour la banque et le client respectivement. Les profits générés par le taxi seront partagés
périodiquement suivant un ratio fixé d'avance par les deux parties. Après la première année, le
client achète 10 % d'actions de la banque; sa part devient ainsi 30 % contre 70 % pour la banque.
En continuant ce processus, le client finit par acheter toutes actions de la banque et se retrouve
seul propriétaire du taxi. Pour sa part, la banque aura recouvré son capital initial, plus un profit à
travers la vente de ses actions et ses parts dans les revenus distribués périodiquement.
Il est évident cependant que ces modes de financement impliquent un degré élevé de risque
moral; cela explique en part le faible taux de leur application par les banques islamiques.

4.1.6 Services
Dans les temps modernes beaucoup de transactions commerciales deviennent de plus en plus
dépendantes de l'implication du secteur bancaire. La lettre de crédit comme la lettre de garantie
sont devenues des instruments utilisés fréquemment dans le domaine du commerce. Ces
documents peuvent être établis par la banque sur la base d'honoraires ce qui les rendent moins
controversés du point de vue de la Chariah. Les banques islamiques utilisent souvent les
concepts de wakalah et de kafalah pour émettre la lettre de crédit et de garantie.
L'émission d'une lettre de crédit par une banque islamique, qui agit dans ce cas comme un wakil
(agent) peut se faire selon les étapes suivantes:
- Le client informe la banque de son besoin d'une lettre de crédit et introduit une
demande dans ce sens.
- Le client désigne la banque comme son wakil pour les besoins de la transaction.
- La banque demande au client de placer un dépôt qui pourrait atteindre le montant du
prix total des marchandises à importer; le dépôt est fait selon le concept de wadiah.
- La banque émet la lettre de crédit et paie l'autre banque représentant la contrepartie de
la transaction. Les documents en question sont alors remis au client;
- Le client paie une somme d'argent sous forme de commission à la banque pour les
services rendus en tant que wakil.

Si avec la lettre de crédit, la banque paie pour le client ; avec la lettre de garantie, la banque
pourrait ne pas engager de paiement, étant donné que l'obligation est contingente au défaut de

42
paiement du client. En d'autres termes, la lettre de garantie permet d'établir un climat de
confiance entre les parties dans une transaction où elles pourraient ne pas se connaître. La
somme payée par la banque en cas de défaut, est un prêt en faveur du client; comme dans un
cadre islamique, un prêt ne doit pas générer de profit, la banque n'a pas le droit de demander une
commission pour ce prêt; cela équivaudrait au riba. Tout ce que la banque pourrait faire c'est de
demander une commission pour les coûts enregistrés en offrant ce service.

4.2 Takaful ou Assurance Islamique

L'être humain est exposé dans ses activités quotidiennes à différents types de risque qui peuvent
prendre la forme d'un accident, d'un incendie, ou simplement d'une mort 'prématurée'. La
réalisation d'un de ces risques pourrait entraîner des pertes ou des obligations qu'il n'est pas en
mesure de supporter seul. Etant donné l'aversion naturelle de l'être humain envers le risque, la
solution de l'assurance a été trouvée basée sur le principe de l'agrégation des risques encourus par
un très grand nombre de personnes. En effet, la probabilité de réalisation d'un risque donné est
plus variable pour une seule personne que pour un groupe de personnes. Plus le groupe est grand,
plus la probabilité est stable. C'est la loi des grands nombres bien connue en théorie des
probabilités. Ainsi, si un grand nombre de personnes faisant face à un certain risque se
regroupent, ils pourront, sur la base de l'expérience passée, prévoir avec un degré élevé de
confiance, la perte qu'ils auraient éventuellement à subir. L'agrégation des risques opère ainsi
comme un moyen de transformer l'incertitude individuelle en quasi-certitude collective. Elle est
le fondement et l'essence de l'assurance moderne30.

4.2.1 De la justification de l'assurance islamique


En finance conventionnelle, on peut identifier deux formes d'assurance: l'assurance mutuelle et
l'assurance commerciale. L'assurance mutuelle est un contrat par lequel une partie s'engage
solidairement avec d'autres parties à couvrir les pertes éventuelles occasionnées par la réalisation
de risques convenus d'avance. Tandis que l'assurance commerciale est un contrat par lequel
30
Saadallah (2001).

43
l'assureur, s'engage, en contrepartie d'une prime, à verser une indemnité déterminée, soit à
l'assuré qui a souscrit le contrat, soit aux tiers désignés par ce dernier, en cas de réalisation d'un
(de) risque(s) déterminé(s).31
Cependant, comme nous l'avons mentionné plus haut, l'assurance commerciale, qui est la plus
répandue, est considérée comme incompatible avec les règles de la Chariah par la majorité des
oulémas contemporains, notamment à cause de la présence d'éléments de riba, et gharar
(incertitude).
Nous avons déjà discuté l'élément de gharar plus haut et montré que son volume dans ce genre
de contrat d'échange est intolérable du point de la Chariah.
Le riba est impliqué dans l'assurance conventionnelle lors des opérations d'investissement. En
effet dans beaucoup de situations, la compagnie d'assurance investit dans des instruments qui
paient l'intérêt ou dans des business dont les activités sont condamnées par la Chariah.
C'est pourquoi, l'Académie du Fiqh Islamique de l'Organisation de la Conférence Islamique
(OCI) basée à Djedda a stipulé dans sa Résolution no 9 (9/2) adoptée en 1985 "Que la formule de
contrat d'assurance commerciale à versements fixés utilisées par les compagnies d'assurance
commerciale comporte un grand risque (gharar) de nature à l'invalider. En conséquence, un tel
contrat est prohibé du point de vue de la Chari'a'.
L'alternative à ce contrat est le contrat d'assurance mutuelle qui est conforme aux principes
régissant les transactions islamiques et est fondée sur le principe de la charité de la coopération.
Il en est de même pour la réassurance établie sur la base de l'assurance mutuelle."32
Dans sa dernière partie, la résolution endosse le contrat d'assurance mutuelle qui est basée sur la
charité et la coopération connue de nos jours sous le nom de takaful. Le concept de takaful n'est
pas inconnu dans l'histoire de l'islam; en effet, le Prophète (SAW) endossa des pratiques qui
étaient en cours parmi les Arabes, dans la période antéislamique, telle que 'Aqilah (tribu ou
proches parents). Ainsi, en cas de calamité naturelle, chacun était tenu de contribuer jusqu'à ce
que le désastre soit soulagé. Aussi en cas de meurtre involontaire, c'est aux membres du 'Aqilah
qu'il incombait de payer le prix du sang.

31
Idem
32
Académie Islamique du Fiqh (2000).

44
Cette institution d'aide mutuelle, a été étendue au domaine commercial durant le second siècle de
l'islam, où des caravaniers musulmans convenaient de contribuer dans un fonds établi pour venir
en aide à tout membre du groupe victime d'une mésaventure ou d'un vol durant le voyage33.
De nos jours, avoir une assurance pour une institution est devenu une exigence réglementaire ou
simplement une nécessité du business dans lequel on est impliqué.
Avoir une assurance vie ou son équivalent, takaful – famille n'est pas contraire à la piété. C'est
simplement un moyen de mettre en sécurité sa descendance en parant à certaines éventualités, et
cela est conforme au conseil du Prophète (SAW) à Saad ibn Abi Waqqas (RA): " C'est mieux de
laisser tes descendants riches que de les laisser pauvres demandant de l'aide aux autres".

Donc, ce sont ces principes de partage de responsabilité, de solidarité et de bénéfice commun qui
sous-tendent le système de takaful. Par conséquent, les participants -détenteurs de police
d'assurance- ne transfèrent pas le risque à l'opérateur de la compagnie d'assurance mais c'est eux-
mêmes qui l'assument et se le partagent. Pour ce faire, la prime est versée en titre de contribution
ou donation (tabarru') pour assister ceux qui en auront besoin dans le groupe; comme le tabarru'
est un contrat unilatéral, la présence d'un élément de gharar ne le rend pas invalide. Par ailleurs,
le contrat liant le gérant de la compagnie d'assurance aux participants peut être un contrat
wakalah ou un contrat moudharabah. Avec le contrat de wakalah, le gérant reçoit des honoraires
en échange de son travail, alors que son revenu dans le contexte du contrat moudharabah est un
pourcentage dans le profit réalisé à travers les activités d'investissement.
Récemment, il a été suggéré l'utilisation de l'institution waqf comme soubassement du système
takaful. En islam, le waqf est un acte charité qui consiste à transférer de manière permanente la
possession d'un bien à Allah tout en dédiant son usufruit à des actions de charité ou humanitaires
reconnues par la Chariah. Les bénéficiaires de ces actions peuvent être les membres de la
communauté en général ou un groupe spécifique, tel que les membres de la famille du donneur;
le waqf est ainsi une entité séparée capable d'accepter ou de transférer la possession. Dans le
système takaful, les bénéficiaires du waqf sont les participants qui paient les contributions34.

33
Ayub, M. (2007). Understanding Islamic Finance. Singapore: John Wiley & Sons. p.419-421.
34
Idem.

45
4.2.2 Les différents types de takaful
De manière générale, il y a deux types de takaful: le takaful général et le takaful famille.
Le takaful général est l'équivalent de l'assurance générale; c'est un contrat avec une police à court
terme où les participants paient une contribution et le gérant opérateur prend en charge la gestion
du risque. Les contributions payées par les participants sont créditées au fond takaful général,
elles sont ensuite investies dans des business compatibles avec les principes de la Chariah et les
profits générés sont versés dans le fonds. Il y a différentes catégories de takaful général, telles
que takaful automobile, takaful marin, takaful feu, etc. 35
Le takaful famille est l'équivalent de l'assurance vie; c'est un contrat de police à long terme. Son
objectif est de protéger les héritiers du bénéficiaire de l'assuré contre certains risques qui
pourraient se produire dans le futur. Le takaful famille est composé de deux types de comptes : le
Compte du Participant et le Compte Spécial du Participant. Les fonds dans le Compte du
Participant constituent une épargne des participants que l'opérateur est chargé d'investir dans des
activités génératrices de profits. Tandis que les fonds dans le Compte Spécial du Participant sont
collectés sur la base de tabarru' (donation) ; ils sont utilisés pour payer les réclamations des
participants en cas de réalisation du risque assuré selon les termes de la police. Il est bon de
signaler que la plus grande part de la prime payée par le participant est versée dans le Compte du
Participant.
Si une réclamation est faite durant la période de validité de la police (par exemple en cas de
décès du participant), les bénéficiaires, qui sont généralement les héritiers, ont droit à la somme
déposée par le participant dans le Compte du Participant ainsi que sa part dans les profits
générés, en plus un montant tiré du Compte Spécial du Participant leur sera versé conformément
aux termes de la police.
Si par contre, il n'y a pas de réclamation faite durant la période de validité de la police, le
participant n'a droit qu’à la somme déposée dans le Compte du Participant ainsi que de sa part
dans les profits générés. La raison est, ce qui a été versé dans le Compte Spécial du Participant,
l'était sur la base de tabarru' par conséquent il ne peut plus être repris. En principe, le surplus de
ce compte devrait être donné comme charité ou utilisé dans des actions d'utilité publique36.

35
Billah, M.M. (2007). Takaful Funds: an overview. Published in Islamic Finance New, Vol. 3, Issue 38.
36
Idem.

46
4.2.3 Les différents modèles de takaful
Généralement, il y a deux modèles qui sont pratiqués : le modèle basé sur le wakalah et celui
basé sur le moudharabah; récemment un modèle basé sur la waqf a été aussi promu.
Avec un modèle wakalah, pratiqué généralement au Moyen-Orient, le gérant agit comme un
wakil pour les participants en échange d'honoraires fixés sous forme d'un pourcentage de la
contribution des participants (par exemple 25 %); ces honoraires incluent les frais de gestion de
la compagnie de takaful. La différence entre les souscriptions et paiement de réclamations est
appelée UWS (Underwriting Surplus) si elle est positive, et UWL (Underwriting Loss) si elle est
négative. Le UWL revient de droit aux participants qui pourraient solliciter un prêt bénévole de
la part du gérant pour faire face au UWL.
Le modèle moudharabah est pratiqué dans la région Asie Pacifique. Dans ce schéma, le gérant
ne reçoit pas un salaire fixe; son revenu provient plutôt de sa part dans le profit réalisé à travers
l'investissement des contributions qu'il entreprend en sa qualité de moudharib selon les règles de
moudharabah, en plus de sa part dans le UWS. Le problème avec ce modèle est que selon les
règles de la Chariah, une somme donnée sur la base de tabarru' n'est pas éligible pour être le
capital dans un contrat de moudharabah. En outre, le gérant – moudharib partage seulement le
profit issu du UWS mais n'assume pas les pertes, s'il y a UWL; c'est une autre violation des
principes de moudharabah.37
Le modèle basé sur le waqf constitue, en réalité, une combinaison de waqf, wakalah et
moudharabah comme l'illustre la figure 5 suivante.

Activités:
1- Les actionnaires établissent un waqf en vue d'en faire une institution de takaful; les
participants contribuent au Fond de waqf; une part de cette contribution est sous forme de
donation et l'autre une épargne.
2- 30 % des fonds sont alloués aux honoraires du gérant (wakil), incluant toutes les
dépenses de gestion, alors que les 70% sont investis de manière compatible à la Chariah.

37
Ayub (2007).p.242.

47
3- L'investissement est basé sur le moudharabah, et dans cet exemple, le ratio de partage est
de 60% pour le Fonds et 40% pour le gérant / opérateur.
4- Le bénéfice/perte attribuable aux actionnaires est la différence entre les honoraires et la
part du gérant dans le profit de moudharabah d'une part et, d'autre part, les dépenses de
gestion de la compagnie.
5- Les coûts opérationnels comme retakaful (réassurance) ou les réclamations sont
supportées par la partie-donation de la contribution des participants. En tant que
bénéficiaires du waqf, les participants ont droit au UWS, en plus de leur épargne et des
profits générés.

Les honoraires de
La part de Les Bénéfice
l’opérateur du
Compagnie la dépenses /perte
takaful Pour les
Compagnie De gestion Attribuable
dépenses
Dans le de La aux
Administratives
profit compagnie actionnaires
30%

40%
La donation Le partage des
initiale des Profit sur la base
Actionnaires pour de moudharabah
Créer le fond
De waqf Investisseme
Profit de
nt
Par le Fond
l’investissement
waqf

60%

Les coûts La part des


Le Fonds de Participants
Waqf 70% Opérationnels
de Takaful/ dans
Participants retakaful Le surplus

Contribution
le Fonds
Payée par les
De Waqf Surplus
participants

Figure 5: Le flux des activités dans un Waqf modèle


(Reproduite de Ayub (2007) avec modifications)

48
Il apparaît de ce bref exposé que le takaful présente des opportunités intéressantes pour la
concrétisation de concepts de solidarité et de coopération pour les personnes et les entreprises.
Le principe de partage des risques et celui d'investir dans des business acceptables par la Chariah
constituent aussi des éléments attractifs pour les non musulmans qui cherchent de
l'investissement éthique.

4.3 Marché Islamique des Capitaux

4.3.1 Introduction
Le rôle du marché des capitaux dans un système financier est d'une importance primordiale. En
effet, le marché des capitaux facilite le financement pour le long terme des gouvernements et des
entreprises, en mettant en commun les fonds de plusieurs investisseurs. En plus de son rôle de
mobilisateur de fonds pour le long terme, un marché des capitaux efficient permet aussi une
allocation efficace des ressources, une augmentation de la liquidité dans les marchés financiers,
une détermination transparente des prix des titres financiers et une construction de portefeuilles
bien diversifiés. Un marché des capitaux est composé d'un marché primaire et d'un marché
secondaire. Le marché primaire est là où les titres financiers sont émis et vendus pour la
première fois. Une fois émis dans le marché primaire, les ventes et achats subséquents des titres
financiers sont opérés dans le marché secondaire. De manière générale, les instruments financiers
échangés dans les marchés des capitaux conventionnels sont : les obligations, les actions et les
produits dérivés38.
Une obligation est un titre financier qui permet à l'entité émettrice d'emprunter des fonds
payables majorés pour le détenteur sur une période déterminée. Ces obligations peuvent être
émises par des entités gouvernementales ou privées.

38
Iqbal, Z. and Mirakhor, A. (2007). Introduction to Islamic Finance: Theory & Practice. Singapore: John Wiley &
Sons. p.171.

49
L'action représente une réclamation résiduelle que l'entreprise émettrice est tenue de payer au
détenteur sur la base de ses revenus, s'il y en a. Généralement, les actionnaires ont un droit de
regard sur la gestion de la société à travers leur droit de vote durant l'assemblée annuelle des
actionnaires. Les actionnaires sont donc les propriétaires de la société, et en cas de banqueroute,
leurs réclamations sont résiduelles et ne sont considérées qu'après celles des prêteurs de la
société.
Un produit dérivé est un instrument dont la valeur dépend d'un actif sous-jacent; son détenteur a
soit le devoir soit le droit d'acheter ou de vendre l'actif sous-jacent à une date dans le futur. Ce
sont des instruments qui résultent du processus d'innovation financière, conçus pour la gestion
des risques.
Il est clair que les fonctions assurées par le marché des capitaux dans l'économie sont aussi
désirables dans un cadre islamique. Cependant, certains titres financiers de même que certaines
pratiques en cours dans les marchés financiers classiques ne sont pas en conformité avec
certaines règles de la Chariah.
Les obligations sont basées sur l'intérêt qui fait objet d'interdiction dans un cadre islamique. De
même, la majorité des juristes musulmans contemporains sont d'avis que les produits dérivés
violent certaines règles de la Chariah en matière de transaction, ce qui les rend illicites. Les
actions sont, en principe, acceptables sous réserve de certaines conditions que nous allons bientôt
discuter.
Par ailleurs, le compte de marge, la vente de dettes, la vente à découvert, la spéculation sont des
pratiques qui posent beaucoup de problèmes du point de vue de la loi commerciale islamique.
Dans le but de guider les investisseurs musulmans par rapport à leur investissement dans les
marchés des capitaux, les juristes et économistes musulmans ont développé des critères de
sélection de titres financiers qui ne soient pas en contradiction avec les principes islamiques. Ce
travail est facilité par le récent développement fulgurant d'instruments appelés sukuk, fruit
d'innovation dans le marché des capitaux islamique. Dans les lignes qui suivent, nous allons
présenter les sukuk avant de discuter les critères de sélection d'actions conformes aux normes de
la Chariah qui est extrêmement utile particulièrement pour les Fonds Communs de Placement
(FCP).

50
4.3.2 Les Sukuk
Dans les années 80 et 90, des efforts ont été déployés pour développer des titres financiers
conformes aux principes de la Chariah; cependant, ces efforts n'ont pas connu le succès
escompté. Ce n'est qu'au début de ce millénaire que le marché des sukuk a connu un essor
formidable avec l'émission par les gouvernements et les entreprises de centaines de sukuk basés
sur des concepts aussi variés que le Ijarah, le moudharabah, le moucharakah, le salam, le Istisna
etc. A la fin du mois de décembre 2012, l’encours des Sukuk était de $ 243 milliard avec un
taux de croissance moyen annuel de plus de 57%. La demande de Sukuk pour 2017, est estimée
à $ 900 Milliard39. Les marchés les plus actifs sont: Kuala Lumpur, Manama, Dubaï, Londres,
Luxembourg, …
Avec l'interdiction de l'intérêt, les titres financiers comme les obligations ne peuvent pas être
émises dans un cadre islamique; cependant, si le rendement du titre est lié à la performance d'un
actif réel sous-jacent, alors il devient acceptable. Un sukuk est généralement un titre financier
représentant une propriété proportionnelle du détenteur dans un actif réel ou un projet sur une
période déterminée.
Divers types de contrats peuvent exister entre l'entité initiatrice du projet ou vendeuse de l'actif et
les détenteurs de sukuk. Un montage simplifié d'un sukuk peut être schématisé comme suit :

39
RAM (2013). Sukuk focus. Malaysia. Voir le site : www.ram.com.my

51
3
L’entité 4
Initiatrice
SPV
Le projet
1 complété
2

Le projet 5
Sukuk

Les investisseurs
/détenteurs
De sukuk

Figure 6: exemple d'une structure simplifiée de sukuk.

Activités:
Dans le but de mener une transaction impliquant un sukuk, l'entité initiatrice établit un SPV
(Special Purpose Vehicle), une personne légale, destinée à jouer des rôles bien définis dans la
transaction.
1- Dans cet exemple, l'entité initiatrice souhaite acquérir des fonds pour financer un projet
générateur de revenus (exemples: immeuble, aéroport, etc.). Elle vend au SPV le droit
d'opérer et de collecter les revenus du projet une fois complété pour une durée déterminée
(exemple: 15 ans) à un prix déterminé (exemple: 10 milliards FCFA).
2- Pour collecter le montant désiré, le SPV émet et vend la quantité de sukuk nécessaire
(exemple: 1000 000 sukuk à 10 000 FCFA l'unité).
3- Les recettes tirées de la vente des sukuk sont versées à l'entité initiatrice.
4- Une fois le projet complété, le SPV opère collecte périodiquement les revenus générés
par le projet complété.
5- Après avoir déduit les dépenses, le SPV verse le profit aux détenteurs de sukuk.
52
Les sukuk présentent des potentiels intéressants pour les gouvernements qui souhaitent financer
des projets d'infrastructures ou autres projets de développement. Les sukuk peuvent être aussi
utilisés par les entreprises pour étendre leurs activités ou simplement entreprendre de nouveaux
projets; ils peuvent être également pour les institutions financières des instruments de gestion de
liquidité et du déséquilibre des échéances entre actifs et passifs. Par ailleurs, le marché des sukuk
offre aux investisseurs musulmans des opportunités d'investissements profitables conformes aux
normes de la Chariah.
Une caractéristique intéressante des sukuk est qu'ils créent une connexion entre le secteur
financier et le secteur réel de l'économie, en ce sens qu'il n'est pas possible d'émettre des sukuk
s'ils ne sont pas adossés à un actif réel ou une activité productive. Avec cette caractéristique les
activités dans les marchés financiers reflètent celles dans l'économie réelle; ainsi les espaces pour
les activités spéculatives, responsables en partie des bulles, se trouvent drastiquement réduits.

4.3.3 Les Fonds Communs de Placement Islamiques (FCPI)


En finance classique, les FCP sont des portefeuilles de titres financiers tels que les actions, les
obligations et les instruments du marché monétaire, gérés par des professionnels selon une
stratégie d'investissement déterminée. Une action de FCP représente une part de propriété de
l'ensemble du portefeuille. La prohibition de l'intérêt dans un cadre islamique ferme la porte à
l'investissement dans les obligations et les instruments du marché monétaire qui sont contenus
dans l'essentiel des FCP; d'où la nécessité d'offrir des alternatives pour les investisseurs
musulmans, dont l'une réside dans les Fonds Communs de Placement Islamiques (FCPI). Les
FCPI excluent de leur portefeuille tous les instruments qui paient l'intérêt, et les produits dérivés,
ce qui les amène à investir particulièrement dans les sukuk et les actions. Cependant, toutes les
actions ne sont pas éligibles à cause de certaines restrictions de la Chariah en matière de
transaction. Ainsi, en dehors des sociétés dont les activités sont illicites, il y a d'autres critères
qui sont considérés tels que la proportion de l'intérêt dans le revenu, la proportion des créances
dans les actifs et la quantité de dette par rapport aux actifs. La considération de ces critères est
justifiée par la position de l'islam par rapport à l'intérêt, la vente de dettes et la vente d'actifs
monétaires ou liquides.

53
Le statut légal de l'intérêt a été déjà discuté plus haut. Ainsi même si une société mène des
activités licites mais une importante portion de ses revenus est constituée d'intérêts, elle devient
inéligible. De plus si elle est endettée, cela implique qu'elle paie de l'intérêt à ses créditeurs; c'est
aussi un problème du point de vue de la Chariah.
Par ailleurs, la position endossée par la majorité des juristes musulmans est qu'une dette ne peut
être vendue que contre sa valeur faciale; cette règle s'applique aussi aux actifs monétaires
liquides; par conséquent si une entreprise détient une quantité importante de ces genres d'actifs
alors son éligibilité devient difficilement justifiable.
C'est donc au bout d'un filtrage qualitatif et quantitatif que les actions, qui sont acceptables selon
les règles de la Chariah, sont sélectionnées.
Le filtrage qualitatif permet juste d'éliminer toutes les actions d'entreprises engagées dans des
activités interdites par l'islam. Cela est le cas de productions d'alcool, de casinos, de banques et
d'assurances classiques, etc.
Comme il extrêmement rare de trouver une entreprise qui réunirait tous les autres critères
évoqués plus haut, des institutions regroupant des oulémas ont établi certains "seuils" que ne
doivent pas dépasser les ratios mesurant la portion de l'intérêt dans les revenus, l'endettement et
la liquidité, pour ne pas fermer totalement les opportunités d'investissement aux musulmans
soucieux d'adhérer aux principes de la Chariah.

4.4 Le Conseil de la Chariah pour la Supervision

Une des caractéristiques distinctives de la gouvernance des institutions financières islamiques est
la présence d'un conseil de la Chariah pour la supervision. Ce conseil est composé de juristes
musulmans avec des connaissances en banque et finance qui supervisent les opérations de
l'institution pour s'assurer de leur conformité avec les règles de la Chariah. Ainsi, avant qu'un
produit soit lancé dans le marché, il doit être revu et approuvé par le conseil. L'avis de ce conseil
est crucial pour gagner la confiance du public par rapport à un produit ou un service. Les
membres de cet organe pourraient aussi donner des conseils à la direction sur les types
d'investissement, l'utilisation des revenus illicites et affaires relatives au zakah.

54
5. CONCLUSION

Dans cette étude introductive nous avons présenté les principes généraux sur les quels repose la
finance islamique telle qu'elle a été formulée dans les temps modernes et leurs mise en pratique
par des institutions financières dans le but de présenter des alternatives aux musulmans soucieux
de se conformer aux enseignements de la Chariah en matière de transactions financières. Nous
avons montré que même si cette reformulation est relativement récente, le respect de ces
principes a toujours été de mise à travers l'histoire de l'islam.
Il est vrai qu'il y a aujourd'hui un écart antre la théorie de la finance islamique et sa pratique. Cet
écart pourrait être expliqué par plusieurs facteurs tels que le déficit en ressources humaines bien
formées en sciences religieuses et en finance, l'absence de cadre réglementaire approprié, une
faible conscientisation des clients potentiels, etc.
Cependant, on peut légitimement penser que la finance islamique est un projet en évolution et
qu'elle n'a pas encore pris sa forme définitive. Au fil du temps, elle est passée d'un projet
ridiculisé à une alternative crédible capable de satisfaire les besoins financiers de ses clients.
Cette crédibilité a été renforcée par sa relative stabilité durant la présente crise financière qui a
balayé à son passage des géants de la finance conventionnelle.
Aujourd'hui, avec les efforts d'organisations telles que l'AAOIFI (Accounting and Auditing
Organization for Islamic Financial Institutions) et le IFSB (International Financial Services
Board,) une certaine forme de standardisation et d’harmonisation de la pratique est en train de se
réaliser. Toutefois, ces efforts n'auront les résultats escomptés s'ils ne sont pas accompagnés par
une volonté politique des gouvernants, un changement de 'mentalité' des institutions et une
conscientisation des populations.

En Afrique francophone, en général, et au Sénégal, en particulier, la finance islamique n'a pas


encore connu le même développement que dans les autres pays à majorité musulmane. Pourtant,
il y a des opportunités intéressantes qui vont du financement de besoins légitimes de
consommateurs, au financement des projets d'infrastructures en passant par le financement de
petites et moyennes entreprises (PME).

55
L'histoire récente montre le rôle déterminant que pourraient jouer les PME, non seulement dans
la lutte contre la pauvreté, mais surtout dans le développement de l'économie. Au Sénégal, aussi
l'essor du secteur des PME serait, sans nul doute, de nature à aider le pays à avancer vers la
réalisation du développement économique. Nous avons montré plus haut que la finance
islamique est plus efficace que la finance classique quant à l'encouragement de l'entrepreneurship
qui, en principe, est à la base de la croissance des PME.
Par ailleurs, la violation de certains principes de la Chariah dans les opérations bancaires
classiques exclue beaucoup de musulmans, soucieux de se conformer aux normes de leur
religion, des services bancaires. Cette frange de la population pourrait être de taille non
négligeable, ce qui la rend un marché exclusif à finance islamique qu'il sied d'exploiter.
En tant que pays sous-développé, le Sénégal a une faible notation de crédit, ce qui a un impact
négatif sur les capacités du pays à lever des fonds sur le plan international, particulièrement en
ces moments de crise où il y a une contraction de liquidités. L'apport de la finance islamique
dans ce domaine particulier pourrait être double : d'abord comme les modes de financement
compatibles à la Chariah sont liés à des actifs réels ou projets, la notation du pays en question est
dès lors d'une importance secondaire. Ensuite, cette même caractéristique rend difficile toute
velléité de détournement ; ainsi les fonds seront utilisés dans les projets pour lesquels ils étaient
levés, au grand bonheur des populations concernées.
Enfin, il serait pertinent de souligner que le système financier islamique est un maillon du
système économique islamique ; par conséquent les objectifs de développement et de justice
sociale tels que conçus dans un cadre islamique ne pourraient être atteints si les autres éléments
du système ne sont pas en place. Plus important, ce système ne saurait produire les résultats
escomptés, si les agents ne sont pas imbus des valeurs de la religion islamique.

56
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