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Résumé
La spéculation schellingienne s'efforce de penser un Dieu capable de commencer, mais elle ne respecte pas assez l'absoluité
divine dans la mesure où elle conçoit la possibilité du temps _ interstice entre l'éternité et la «création dans le temps» _ moins
comme l'expression d'une liberté déjà plénière que comme un moyen pour Dieu de devenir lui-même.
Abstract
Schelling's speculation endeavours to think a God capable of starting, but does not sufficiently respect the divine absoluteness
to the extent that it conceives the possibility of time _ an interval between eternity and «creation in time» _ less as the
expression of an already complete freedom than as a means for God to become himself. (Transl. by J. Dudley).
Brito Emilio. Création et temps dans la philosophie de Schelling. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome
84, n°63, 1986. pp. 362-384;
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1986_num_84_63_6418
1 J. G. Fichte, Die Anweisung zum seligen Leben, in Sàmtliche Werke (éd. par I. H.
Fichte), V, 479.
2 Cf. A. Schopenhauer, Sàmtliche Werke (éd. par J. Frauenstâdt), Leipzig, 1888,
II, 481 A; 665 s; 693; V, 65 s; 131.
3 Cf. G. Vergauwen, Absolute undendliche Freiheit. Schellings Lehre von Schôpfung
und Fall, Fribourg (Suisse), 1975; E. Brito, La création «ex nihilo» selon Schelling, in
Ephemerides Theologicae Lovanienses, 60 (1984), 298-324; Le motif de la création selon
Schelling, in Revue Théologique de Louvain, 16 (1985), 139-162. Le cas de Schelling n'est pas
tout à fait isolé; pour K. Jaspers, par exemple, très sévère pourtant envers notre auteur, la
pensée de la création est «von entscheidender Bedeutung fur das Bewusstsein unseres
eigenen Wesens» (Philosophie und Welt, Munich, 1952, 145). Sur le rapport de Jaspers à
Schelling, cf. son livre Schelling. Grosse und Verhângnis, Munich, 1955.
4 Faut-il opposer la vitalité du Créateur biblique et la notion grecque de
l'immutabilité divine? De plusieurs côtés on a critiqué l'hellénisation de la notion révélée de
Dieu, son adultération par des représentations païennes incompatibles avec le Dieu de
l'histoire. Cf. H. KONG, Incarnation de Dieu, Paris, 1973, 539-573, 640-649, 655-663;
J. Moltmann, Le Dieu crucifié, Paris, 1974, 103-104. Pour certains théologiens, d'autre
part, la doctrine de l'éternité du monde permettrait de mieux dialoguer avec le matérialisme
dialectique que la thèse traditionnelle du commencement temporel de la création (cf. J.
Création et temps dans la philosophie de Schelling 363
I. Éternité et devenir
Feiner et L. Vischer (éd.), Neues Glaubensbuch, Fribourg, 19732, 427, 432). D'autres,
enfin, estiment que la doctrine classique de la conservatio implique le danger de vouloir
contraindre Dieu à entrer dans notre Jederzeitigkeit, et de le réduire ainsi à un concept
«disponible» pour éclairer l'énigme de notre existence (cf. O. Weber, Grundlagen der
Dogmatik I, Neukirchen, 1955, 556 s).
5 Cf. W. Gent, Die Kategorien des Raumes und der Zeit bei F. W. J. Schelling, in
Zeitschrift f. philos. Forschung, 8 (1954), 353-377; F. KUMMEL, Ûber den Begriff der Zeit,
Tubingen, 1962, 44-86.
6 C'était du moins l'avis de K. Jaspers (Schellings Grosse und sein Verhângnis, in
Studia Philosophica, 14, 1954, 12-50, spec. 22).
7 Cf. F.W.J. Schelling, Sàmtliche Werke, Stuttgart et Augsbourg, Cotta, 1856-
1861, VII 433 (toutes les citations des Werke de Schelling dans notre article se rapportent à
cette édition et porteront simplement mention du numéro du tome, en chiffres romains, et
de la pagination); Schelling, Oeuvres métaphysiques (trad, par J.-F. Courtine et E.
Martineau), Paris, 1980, 213.
8 Cf. W. Kasper, Dos Absolute in der Geschichte, Mayence, 1965, 77-78.
9 VII 359; F.W. Schelling, Recherches sur la liberté humaine (trad. M. Richir),
Paris, 1977, 106. Cf. le commentaire de Heidegger sur le «Dieu en devenir» (Schellings
Abhandlung ûber das Wesen der menschlichen Freiheit, Tubingen, 1971, 131 s, 135 s).
10 VIII 62.
364 Emilio Brito
état d'involution11. Dieu, insistent les Recherches, est une vie et non
point simplement un être. Or toute vie a un destin, elle est assujettie au
devenir. D'autre part, le même écrit ajoute que Dieu s'est soumis
librement à ce destin; la supériorité de Dieu à l'égard du devenir semble
reconnue: «Certes dans l'être il n'y a pas de devenir; en celui-ci bien
plutôt l'être lui-même est-il reposé comme éternité» 12. Toutefois, conclut
Schelling, dans Feffectuation par opposition il y a nécessairement un
devenir13.
Le souci de Schelling est légitime: penser le Dieu vivant de la
Bible14. Mais en parlant d'une actualisation, d'un développement, d'une
personnalisation de Dieu15, notre auteur semble supprimer
l'immutabilité divine. H. Fuhrmans a essayé de montrer, cependant, que
Schelling n'affirme pas un devenir de Dieu à travers le monde, mais tout
au plus un devenir prémondain, non pas temporel mais seulement
logique16. D'après W. Kasper, les différentes versions des Weltalter
manifestent l'effort acharné de Schelling pour concilier l'éternité et le
temps, l'absoluité et le devenir. Mais la méthode employée resterait
prisonnière de l'idéalisme, d'où l'échec de l'uvre17. Fuhrmans aurait
raison, selon Kasper, d'affirmer que Schelling évite un devenir temporel
de Dieu à travers la Création; mais la conception d'un devenir divin
prétemporel n'aurait pas été dépassée : l'Absolu n'est pas vraiment saisi dans
sa pleine absoluité18. Pour mesurer le bien-fondé de ces affirmations,
tournons-nous vers les textes.
Les Weltalter veulent décrire l'histoire des développements de
YUrwesen depuis son premier état encore enveloppé19. VUrfassung I
11 VIII 78.
12 VII 403; Schelling, Oeuvres métaphysiques, 185.
13 Cf. X. Tilliette, Schelling et l'idée d'éternité, in Archivio di Filosofia 1 (1959),
157-181, spéc. 170-174.
14 Cf. W. Kasper, op. cit., 191-193.
15 VII 404, 431, 395; Schelling, Oeuvres métaphysiques, 185, 212, 177.
16 H. Fuhrmans, Schellings Philosophie der Weltalter, Dûsseldorf, 1954, 220 s; du
même auteur: Das Gott-Welt-Verhâltnis in Schellings positiver Philosophie, in F. Kaulbach
et J. Ritter (éd.), Kritik und Metaphysik (H. Heimsoeth zum achtzigsten Geburtstag),
Berlin, 1966, 196-211, spéc. 197-199.
17 W. Kasper, op. cit., 82.
18 Ibid., 84.
19 F. W. J. Schelling, Die Weltalter. Fragmente. In den Urfassungen von 1811 und
1813 (cité: Urfassungen), éd. par M. Schrôter, Munich, Beck, 1946, 10, 47-48. Dans les
Weltalter, Schelling «a tenté la révocation de l'éternel anhistorique et la conception d'une
éternité métahistorique ... L'importance décisive de cette novation spéculative peut se
mesurer au total renversement de perspectives qu'elle provoque. L'éternel n'est plus
représentable comme l'absolue pénurie d'histoire ... Au contraire, toute histoire de l'esprit
Création et temps dans la philosophie de Schelling 365
est pur Esprit, Acte pur, en qui il n'y a rien qui soit en puissance33. On
pourrait objecter que si l'état de contradiction précède le Dieu étant,
Dieu n'est pas l'étant de toute éternité. Mais Schelling répond que Dieu
n'a jamais eu à devenir étant, puisqu'il l'était de toute éternité; la scission
a toujours déjà eu lieu34. Le werdender Gott, qui semblait effleurer
encore la spéculation des Conférences de Stuttgart, paraît désormais
écarté sans équivoque. La réponse à la question «Comment l'Absolu
peut-il sortir de lui-même?»35, ne doit absolument pas impliquer,
observe Schelling, que dans l'être-étant, Dieu aurait cessé d'être le supra-
étant en soi-même. En Dieu il n'y a ni changement ni transformation 36.
Dans la divinité pure, il n'y a pas de devenir37. Dans la création, Dieu
n'engage pas son essence indemne du devenir mais seulement son
comportement. On peut considérer comme manquées toutes les
tentatives de réponse qui admettent une sorte de mouvement en Dieu lui-même,
serait-ce même un mouvement éternel. Ce n'est pas dans soi par un
mouvement en lui-même , mais par rapport à un autre que Dieu peut
devenir (éternellement) un étant38. Les théologiens ne sont pas loin de la
vérité lorsqu'ils affirment que Dieu est la cause immobile du premier
soubassement de tout ce qui diffère de lui, non pas par un mouvement
extérieur mais par sa simple volonté. Cette théorie doit néanmoins être
améliorée, estime Schelling, car si la volonté en question est éternelle, on
ne voit pas comment elle peut être distincte de la divinité elle-même; et si,
au contraire, elle n'est pas éternelle, on admet une genèse dans l'éternité.
Il faut donc affirmer que Dieu, en vertu précisément de sa pureté, pose
immédiatement et sans aucun mouvement, l'Autre, un peu comme
l'électricité d'un signe donne naissance à celle de signe contraire39.
Dans ce contexte, Schelling évoque le texte de l'Exode sur la
révélation du Nom divin. Voici comment notre auteur traduit ce nom
intraduisible : Je suis qui j'ai été, J'ai été qui je serai, Je serai qui je suis.
Dieu doit être conçu comme un devenir-conscient éternel. La conscience
de l'éternité ne se conçoit pas sans la distinction des extases du temps. Or
cette distinction, l'Éternel ne la trouve pas en lui-même, mais seulement
jene 'Armut nicht, die der Grund' unseres 'Strebens', unserer 'Unruhe' ist. 'Das gôttliche
Leben ist, gerade weil es die Fûlle des Lebens ist, die vôllige Ruhe'. Dennoch ist dièse Ruhe
nicht starr, sondern 'ewige Bewegheit' ...» (H.U. von Balthasar, Theodramatik, t. 4,
Einsiedeln, 1983, 67).
57 C'est la thèse de Pierre Lombard, Thomas d'Aquin, Gilles de Rome et Duns Scot.
58 Cf. D.F. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, t. 1, Tubingen, 1840, 649, 659;
W. Kasper, op. cit., 218. Par contre, saint Bonaventure est d'avis que, bien que l'aide de la
Révélation soit nécessaire pour reconnaître la création au sens strict, une fois cette
connaissance acquise, la simple raison devrait admettre que le monde a eu un
commencement temporel. Cf. P. Mondreganes, De impossibilitate aetemae creationis mundi ad
mentem s. Bonaventurae, in Collectanea Franciscana 5 (1935), 529-570.
59 VI 270.
60 VI 271; cf. IV 167, note 1.
61 IV 135. Cf. W. Kasper, op. cit., 246 s.
62 VII 428; trad. Courtine et Martineau, 209. Cf. W. Kasper, op. cit., 251 s.
63 Cf. W. Wieland, op. cit., 14 s.
370 Emilio Brito
64 Urfassungen, 14-15.
65 Ibid., 11. Cf. X. Tilliette, Schelling et l'idée d'éternité, in Archivio di Filosofia, 1
(1959), 157-181, spéc. 178-179.
66 Urfassungen, 76-78.
67 Ibid., 78-79; cf. VII 431; trad. Courtine et Martineau, 212. Cf. W. Wieland,
op. cit., 91.
68 Urfassungen, 80-82. Cf. W. Wieland, op. cit., 92.
69 Op. cit., 255.
Création et temps dans la philosophie de Schelling 371
89 Dans ce sens, on peut dire, avec un bon connaisseur de Schelling, que «la création
n'est pas 'dans' le temps du monde, mais don du monde temporel à l'être-de-don qu'elle
crée intemporellement» (Cl. Bruaire, L'être et l'esprit, 149).
90 Ici la théorie de Schelling nous paraît plus différenciée que celle de Barth, car pour
ce dernier, avant le temps il n'y a que l'éternité divine.
91 XIII 308.
92 La création «est de l'éternel mais non 'éternelle' si l'on entend bien 'ab aeterno9
comme l'origine immédiate qu'est le Don, et non comme la correspondance privée de
sens d'une cause indéfinie au monde naturel 'sans commencement'» (Cl. Bruaire, L'être
et l'esprit, 149).
93 XIII 309. Cf. W. Kasper, op. cit., 264. Pour K. Barth, l'idée d'une création
n'ayant pas eu lieu dans le temps aurait un sens légitime, dans la mesure où elle désignerait
le décret éternel de création. Sur ce point, sa doctrine nous paraît coïncider avec celle de
Schelling. Barth considère également que la réalisation de ce décret ne peut pas être
éternelle, car elle fonde un événement créé. Mais il semble insinuer que l'action créatrice a
lieu dans le temps (cf. H. Bouillard, op. cit., t. 2, 176), ce que Schelling, plus nuancé,
refuse : le vouloir du commencement n'est pas temporel. Rappelons, d'autre part, que ce
vouloir, d'après Schelling, n'est pas non plus éternel. Par conséquent, lorsque Cl. Bruaire
déclare: «l'acte créateur n'est pas plus continué qu'instantané, il est éternel, intemporel»
(L'être et l'esprit, 149), il s'écarte de la position schellingienne (si par «acte créateur» il
entend, comme il le semble, l'acte réel qui exécute la décision de créer, et non pas le décret
de créer le monde).
94 Cf. W. Kasper, op. cit.. 261,264.
Création et temps dans la philosophie de Schelling 375
liberté divine déjà plénière, que comme un moyen pour Dieu de devenir
lui-même. C'est là que le bât blesse.
La thèse du commencement temporel de la création n'exclut
évidemment pas l'idée de creatio continua105. D'après Schelling, le monde ne
pourrait pas subsister sans l'action permanente de la puissance
démiurgique; la conservation du monde est une création continuée106. Sur ce
point, la position de notre auteur coïncide à première vue avec celle de
saint Thomas: c'est à tout moment, et toujours dans l'actualité du
présent, que la créature reçoit son être de Dieu, quelle que soit sa durée;
la création est coextensive à la durée des êtres et du monde. Mais tout en
admettant la notion de création continuée, Schelling (comme Barth le
fera après lui) entend d'abord par création l'action du Dieu qui a créé le
monde au commencement. Cette action, qui établit l'entrée historique
des choses dans la réalité, est un événement. Nous pensons que cette
manière de voir est légitime. La création n'est pas seulement la relation
permanente de la créature à la Source de son être, mais une action au sens
fort, un ouvrage de Dieu. Entendue au sens passif, c'est-à-dire dans la
créature, la création n'est qu'une relation de la créature au Créateur
comme au principe de son être 107. Mais du côté de Dieu, elle est un acte,
une révélation, un engagement108. La doctrine scolastique de la
«création continuée» respecte la transcendance du Créateur par rapport à son
uvre mais, accentuée unilatéralement, elle tendrait à estomper la
nouveauté du commencement et à devenir statique. Elle peut être
heureusement complétée, croyons-nous, par la conception dynamique de
l'action créatrice élaborée, non sans défaillances, par Schelling109.
Complétée et non abolie, car la création peut être conçue comme passage
ou devenir, sans qu'elle se borne cependant au commencement.
110 Élaborée par les Pères de l'Église en opposition à l'idée grecque de l'éternité de la
matière, la doctrine de la «création continuée» a été développée par les subtiles spéculations
scolastiques sur le concursus divinus. Cette doctrine montre son importance à l'époque
moderne également, face à l'élaboration d'une vision mécaniste et déiste du monde (cf.
L. Scheffczyk, Einfûhrung ..., 56). De son côté, la doctrine de la «création simultanée»,
qu'on trouve notamment chez Clément d'Alexandrie et chez Augustin (et vers laquelle
penche Thomas d'Aquin dans son Commentaire des Sentences), tout en refusant la thèse de
la matière incréée, supprime néanmoins la réalité des «jours» de la création. Elle prépare
ainsi le terrain à la dévalorisation des réprésentations bibliques chez les déistes. Bref, dans
leurs prolongements historiques, la doctrine de la «création continuée» et celle de la
«création simultanée» tendent à devenir incompatibles. Il y a, par contre, une affinité
certaine entre «création continuée» et «création successive» (et entre celle-ci et l'idée
d'évolution).
111 Cf. L. Scheffczyk, Création et Providence, Paris, 1967, 199-200, 225-228. Cl.
Bruaire observe que la «simultanéité» désigne le temps pour l'espace (cf. L'être et l'esprit,
Paris, 1983, 149-150).
112 Dans les Collationes in Hexaemeron. Cf. G. Bonafede, Nota sull'Hexameron di
S. Bonaventura, in Italia Franciscana, 26 (1957), 66-71, 139-163.
113 Sur ce point encore, la théologie de Barth ne semble pas sans affinité avec celle de
Schelling. Cf. Kirchliche Dogmatik 111/ 1, 253.
114 VIII 309; trad., 145.
115 VIII 310; trad., 147.
116 Urfassungen, 243; VIII 332; trad, 174. La vie «désertique» de la terre est quelque
chose d'intermédiaire entre la création qui eut lieu au commencement et celle qui la suivit.
D'après Schelling, la Genèse distingue nettement la toute première création (désignée par
Création et temps dans la philosophie de Schelling 379
bara') et la suivante (la création par la parole). Le mot bara' ne peut désigner, selon lui, que
la création non libre, inconsciente, chaotique (VIII 333; trad., 176).
117 Urfassungen, 243-245.
118 Les astres, produits de la création chaotique, sont, d'après notre auteur, les
uvres de Dieu in sensu eminenti;.\es plantes et les animaux procèdent d'une volonté «plus
douce». Cf. F. W. J. Schelling, Initia Philosophiae Universae, 163. Cf. VII 429; XII 582.
119 X 308-309.
"o x 312-315.
121 X 324-325.
122 X 326.
123 X 348.
124 X 365 s, 376.
380 Emilio Brito
125 X 377.
126 XIII 286. Cf. E. Brito, Le motif de la création selon Schelling, in Revue
Théologique de Louvain, 16 (1985), 139-162.
127 XIII 288-289.
128 Cf. Thomas d'Aquin, S. Th., la, q. 103, a. 1. Cf. S. Decloux, op. cit., 111-115.
129 Le mouvement ne peut être déclenché que par le pouvoir-être, et la troisième
figure ne peut se rétablir dans son être originaire que si la deuxième ramène l'être contraire
à son en-soi. Cf. XIII 213-214, 278-279, 284-285.
130 Cf. L. Scheffczyk, Einfûhrung ..., 56-57.
131 Cf. W. Kasper, op. cit., 181 s, 287 s, 369 s.
Création et temps dans la philosophie de Schelling 381
semble pas que Schelling ait suivi les travaux de Lamarck139. Mais, dès le
début, la Nature est pour notre auteur un devenir, une activité infinie, un
processus formateur140. Tout est en mouvement, tout est devenu. La
Nature est une incessante métamorphose, parce qu'elle cherche à
rassembler en- un commun produit toutes les actions individuelles. En
parcourant tant de formes, la Nature comme produit semble obéir à un idéal
présent à la Nature créatrice, et les formes traversées apparaissent
comme les différentes étapes de développement d'une seule organisation
l'armature d'un processus d'ensemble qui est fait d'une succession orientée d'interactions;
ce procès successif est en définitive de l'ordre d'une histoire. La figure du monde est
toujours en train d'émerger (cf. J. Ladrière, L'articulation du sens, t. 2, Paris, 1984, 294).
Cet événement se finalise progressivement; il fait apparaître un ordre où la téléologie
l'emporte de plus en plus sur le mécanisme. La production du monde n'est pas un simple
déploiement de virtualités; elle implique à la fois le lien avec ce qui précède et l'altérité:
l'originalité de déterminations nouvelles (ibid., 298-299). Une reprise spéculative des
données scientifiques en harmonie avec la visée de la foi chrétienne devrait, observe J.
Ladrière, «tenter de saisir la relation créatrice dans la pulsation même du cosmos, c'est-à-
dire de lire le devenir universel, dans son actualité concrète de chaque instant, en tant que
terme d'une relation posante et constituante qui le relie à une source subsistante ... Cette
source devra apparaître comme pure créativité et la création comme cette relation qui, en
posant le monde dans sa réalité et son actualité dynamique, comme vouloir-être, lui donne
d'être, dans les modalités concrètes de sa manifestation progressive, participation à cette
créativité originaire et, par là, révélation partielle, selon sa mesure, de son essence» (ibid.,
306). (Le théologien pourrait sans doute préciser qu'il s'agit ici d'une creatio continua, «die
freilich nicht nur Bestehendes erhâlt, sondern an ihn auch Neues ansetzt bzw. es zu Neuem
umschafft», L. Scheffczyk, Einfûhrung ..., 61 ; loin d'être comprise de manière purement
statique, la notion de «création continuée» s'enrichit de la sorte d'un élément dynamique.)
Dans la formulation de Ladrière, cette démarche s'inspire explicitement de Thomas
d'Aquin et de Blondel (J. Ladrière, op. cit., 29 s, 303-305; signalons en passant que
Blondel préparant L'Action a été mis sur la voie de Schelling par Delbos; cf. X. Tilliette,
Schelling, t. 2, 335). Elle pourrait peut-être intégrer également sans trop de peine la
spéculation schellingienne sur la créativité du vouloir divin et le procès graduel d'un monde
expansif, mais profondément marqué de contingence. (Nous n'oublions cependant pas que
le théisme de Schelling se distingue de la métaphysique chrétienne traditionnelle dans la
mesure où il repose sur un principe non pas de participation mais d'explication; la création
est comprise comme auto-réalisation de la plénitude divine; cf. E. Coreth, Die Ernte des
Schellingjahres, in Zeitschrift f. Kath. Theol, 78, 1956, 334-351, spéc. 340.)
139 Cf. III 63c; X. Tilliette, Schelling, t. 1, 166, note 43; d'après D. von
Engelhardt, «der Entwicklungszusammenhang der Naturerscheinungen darf nich realgene-
tisch verstanden werden, Schelling ist nicht ein friiher Darwinist» (Prinzipien und Ziele der
Naturphilosophie Schellings, in L. Hasler (éd.), Schelling. Seine Bedeutung fur eine
Philosophie der Natur und der Geschichte, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1981, 77-98, 79).
140 Cf. W. Metzger, Die Epochen der Schellingschen Philosophie, Heidelberg, 191 1,
92 s. Pour cet auteur, Schelling appartient (avec Herder et Goethe) à la série «der
phantasievollen 'Vorlâufer' des modernen biologischen Evolutionismus» (ibid., 94-95; cf.
95, note 3).
Création et temps dans la philosophie de Schelling 383
Conclusion