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LE MALEBRANCHISME DE FÉNELON.

OCCASIONNALISME ET VISION EN DIEU


Author(s): Jean-Christophe Bardout
Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 193, No. 2, FÉNELON (AVRIL
2003), pp. 151-172
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41099190
Accessed: 06-02-2019 10:16 UTC

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LE MALEBRANCHISME DE FÉNELON.
OCCASIONNALISME ET VISION EN DIEU

La question des rapports entre Malebranche et Fénelon semble


d autant plus complexe que 1 histoire ne donna jamais aux deu
hommes l'occasion d'une confrontation directe : entre eux, le déba
fut toujours oblique. Reste que, l'étude magistrale d'Henri Gouhie
l'a amplement montré, l'oratorien n'est peut-être pas étranger à
l'engagement de Fénelon en philosophie. Outre la célèbre Démons
tration de Vexistence de Dieu (ou, plus exactement, les deux text
distincts qui la composent), la carrière de Fénelon philosophe
marque par la rédaction, à l'instigation de Bossuet, d'une Réfuta-
tion du nouveau système du P. Malebranche sur la nature et la grâc
demeurée inédite jusqu'au début du XIXe siècle1. Quelque peu
occultée par l'imposante polémique qui, à partir de 1683, oppo
Malebranche à Antoine Arnauld, ce texte n'en constitue pas moin
l'une des discussions les plus lucides et complètes des principes du
« système » malebranchiste, mais peut-être aussi sa mise en ques-
tion la plus grave.
Selon Henri Gouhier, une divergence originaire et centrale se
laisse aisément repérer à propos de la conception métaphysique d
possible2. A un Dieu qui ne peut produire que le meilleur des mon

1. Ce texte, vraisemblablement rédigé à la fin de 1687, est publié pour l


première fois au tome III de l'édition dite de Versailles, en 1820. Nous cito
les Œuvres de Fénelon d'après l'édition de J. Le Brun, Paris, Gallimard, « L
Pléiade », t. 1, 1983, t. 2, 1997. Sauf indication contraire, nos références ren
voient au tome 2 qui contient les textes d'une teneur plus philosophique. Nou
citons les Œuvres de Malebranche d'après les Œuvres complètes (OC), Pari
Vrin-CNRS, sous la direction de A. Robinet, 1958 et s. Nous indiquons le tom
en romain, suivi de la page.
¿. Voir tenelon philosophe, raris, Vrin, 1977, chap. 1, § 2. Voir aussi
E. Scribano, « Fénelon contro Malebranche, sulla contingenza del mondo »,
Dal necessario al possibile, determinismo e libertà nel pensiero anglo-olandese del
XVir secolo, a cura di L. Simonutti, Angeli, 2001, p. 245-263.
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des possibles par les voies les plus simples,


radicalement libre de créer et nullement so
principe du meilleur1. Au Dieu qui soum
grâce à des lois générales, analogues à c
l'ensemble des phénomènes naturels, Fén
donnée de manière véritablement gratuite2.
concentre finalement sur la priorité qu'il c
ou tel attribut divin. Au Dieu dont la raiso
fection première, au point d'en exténuer la l
puissance, Fénelon oppose un Dieu dont la
feste dans l'exercice inconditionné d'une
intrinsèquement incompréhensible et lib
déterminant3.
Ce différend en matière de théologie philosophique devait rebon-
dir quelque dix ans plus tard avec l'entrée en lice de Malebranche
au côté de Bossuet et des adversaires du pur amour4.
Mentionnons enfin l'épisode quelque peu embrouillé de la pré-
face non signée, ajoutée à l'insu de Fénelon à la seconde édition
(1713), de ce qui constitue aujourd'hui la première partie de la
Démonstration de V existence de Dieu, par le jésuite Tournemine5. En
un mot, l'histoire des relations intellectuelles du prêtre et de
l'archevêque serait celle d'une occasion manquee de dialogue, sur le
fond d'une hostilité décidée de Fénelon.

1. Pour la lecture et la critique fénelonienne du concept malebranchiste


d'ordre inviolable, voir notamment Réfutation (Réf.), chap. 2, p. 334 :
« L'ordre qui est la sagesse infiniment parfaite de Dieu lui propose toujours
l'ouvrage le plus parfait, et Dieu ne pourrait résister à l'ordre qui est sa sagesse
et sa perfection même sans cesser d'être infiniment parfait, et par conséquent
sans détruire sa propre essence. » Le monde est non seulement l'ouvrage le plus
parfait, mais l'unique ouvrage que Dieu puisse produire. « Reste donc qu'il n'y
a rien de possible au-delà de ce que Dieu a fait » (chap. 3, 342). L'ordre con-
traint identiquement Dieu à créer ce monde et à créer un monde (ibid., chap. 6,
352). Pour Fénelon, Malebranche contracte en une unique interrogation les
deux questions qui gouvernent la théodicée leibnizienne. Pour l'affirmation,
contre Malebranche, de la radicale liberté de Dieu, voir ibid., chap. 8, 360 et s.
2. Ré)., chap. 1, áál-ááz. L ordre ne peut devenir le principe de rai-
son dans la distribution des dons gratuits, sans compromettre l'idée même de
grâce.
3. Réf., chap. 4, 344. Démonstration de l existence de Dieu (DhD), 11, § 83,
656.
4. Voir, sur ce point, Y. de Montcheuil, Malebranche et le quiétisme, Paris,
Aubier, 1946. Le débat eut lieu entre Malebranche et François Lamy, sans
intervention directe de Fénelon.
5. Voir H. Gouhier, op. cit., chap. 3, § 1. On sait que fénelon ht retirer
cette préface dans laquelle le jésuite avait, sans le vouloir, compromis Male-
branche au côté des athées.

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Une lecture même rapide de la Réfuta


tefois l'étonnement : à l'opposé du dém
pris par Arnauld, le texte fénelonien f
caractère sélectif et soigneusement orien
archevêque s'oppose résolument à la
l'ordre et à ses conséquences liberticid
l'acte créateur (Réf., chap. 2 à 7), s'il r
malebranchiste de l'Incarnation (ibid.,
des volontés particulières en Dieu (ibid.
pressé de discuter les fondements noé
l'ordre, entendons la doctrine malebran
Dieu des idées », plus précisément des
constituent l'ordre1. Sur les 35 chapitr
pas un ne se centre explicitement sur
Dès l'abord, le texte de Fénelon pren
complexe dispositif polémique d' Arna
sion des aspects strictement noétiques
pensable préalable aux débats ultérieurs
L'étonnement se redouble - et fait na
ouvre l'actuelle seconde partie de la Dé
Dieu4, qui, après avoir implicitement
siennes de Dieu (chap. II) et réfuté S
chapitre IV une nouvelle preuve, tirée
vocabulaire et la démarche générale n
sien. Si le chapitre IV ne cite expliciteme

1. Nous laissons ici de côté des rapprochem


par H. Gouhier, comme l'utilisation féneloni
tion du « cogito » dans la seconde partie d
l'exégèse aux accents nettement malebranch
en Exode 3, 14 (ibid., § 65, 643).
2. Voir Réf., chap. 1. Concernant la long
Arnauld, voir D. Moreau, Deux cartésiens. La
Paris, Vrin, 1999. La prise de distance féne
ment dictée par un motif de prudence, ou d
préfère déclarer qu'il ne connaît pas Arnauld
des causes plus profondes, tenant à la natu
Fénelon.
3. Voir Arnauld, Des vraies et des fausses idées, et la Réponse de Male-
branche, OC VI, 18 et s.
4. On sait que la seconde partie fut rédigée la première, probablement
avant 1701 selon H. Gouhier, mais éditée la dernière, à titre posthume,
en 1718.
5. Cette indétermination volontaire des sources peut s'expliquer par
l'utilisation implicite, mais discrète, d'éléments malebranchistes.
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moins difficile d'en expliquer la teneur et


simple et banal retour à saint Augustin.
Quelle peut donc être la signification du silen
et d'un auteur qui ne pouvait, compte tenu d
ment polémiques, qu'être sensible aux difficult
branchiste de la connaissance, autant qu'à ses
théologiquement inquiétantes ?
Ne convient-il pas de réexaminer, sur la sugg
hier lui-même1, l'image reposante et figée
contours bien dessinés, opposant Fénelon, aug
Malebranche, philosophe fourvoyé dans les rê
physique outrée » ?
On peut immédiatement avancer deux hypo
1 / Fénelon n'attaque pas la vision en Dieu,
y voir que la simple reprise, plus ou moins ad
augustinienne de l'illumination par le Verbe.
de concentrer l'attaque sur les déviances ou le
manifestement incompatibles avec la libert
trice ou de la dispensation de la grâce, do
l'utilisation malebranchiste de l'ordre. L
branche se trouve ainsi à l'abri parce que
ment « augustinisable », moyennant quelqu
telle explication par la rémanence de l'augu
aucune garantie lorsque l'on veut rendre co
interne du traité fénelonien, de la nature du
et des « difficultés » abordées dans le chap
partie2.
2 / Nous lui préférerons donc une seconde hypothèse : la réfuta-
tion fénelonienne épargne la vision en Dieu malebranchiste, non pas
tant parce qu'elle serait susceptible d'un patronage augustinien,
mais parce qu'elle est comme telle soutenable, mieux encore parce
qu'il s'agit là d'une thèse soutenue et assumée par Fénelon, pour
son propre compte, au moins dans la seconde partie de la Démons-
tration. Si une telle hypothèse trouve à se confirmer, il apparaîtra

1. Rappelons que la lecture de Gouhier privilégie en Fénelon l'un des


représentants de l'augustinisme cartésianisé, selon la catégorie historiogra-
phique qu'il allait, un an après Fénelon philosophe, préciser dans Augustinisme
et cartésianisme au XVI T siècle, Paris, Vrin, 1978.
2. Nous verrons en effet que le chapitre 4 peut se lire comme un dialogue
serré avec Malebranche et comme une tentative pour apporter des solutions
aux problèmes laissés pendants par l'oratorien, tout en respectant scrupuleuse-
ment les réquisits de la propre doctrine de Fénelon.
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que l'affirmation de la vision en Dieu des


l'historiographie l'a longtemps soutenu, l
naire » Malebranche, mais une tentation
offerte à quiconque refuse à la fois la dé
cartésiennes envers l'esprit humain et
pirisme, y compris le « réalisme » sensibl
strictement augustinienne. Mais dans
malebranchiste engage une certaine comp
et plus spécialement la négation de toute i
étants finis homogènes ou non, nous n
simultanément la conception fénelonienn
lement de la causalité psychophysique, ne
confirmer notre hypothèse.
Incontestablement, l'on ne saurait déco
doctrine philosophique de la connaissance
Reste qu'en un texte au moins, à l'occasio
de l'existence de Dieu, notre auteur se po
la vérité, mais surtout de l'origine et de
chapitre 4 de la deuxième partie de la Dém
ment les § 49 à 61, propose une nouvel
l'analyse de certaines propriétés des i
l'existence d'une nature éternelle et néces
port ontique et épistémique des idées imm
un tel projet peut à la rigueur s'autoriser
nien dans la lignée de l'argumentation
libero arbitrio, reste que les caractères r
idées font irrésistiblement songer à l'aut
vérité, puis des Éclaircissements. Une t
échapper à un lecteur aussi perspicace
pages qu'il consacre à ce chapitre témoign
embarras quant à la nature ou la portée e
Si le nom de l'oratorien revient fréquemm
jusqu'à évoquer des rapprochements str
modes de l'intervention divine dans la connaissance sensible et
intellectuelle, ou dans la méditation de l'omniprésence divine3,

1. La première partie avait déjà interrogé le fondement de nos jugements


vrais et souligné le rôle des règles immuables (§ 54), la nature et l'universalité
de la raison (§ 55), et avait, en des termes nettement augustiniens, rappelé que
nous participons à la vérité éternelle elle-même (§ 58, 563), mais sans poser
explicitement le problème de l'origine de nos connaissances.
2. Op. cit., chap. 3, § 4.
3. Ibid., p. 156.
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l'historien se contente pourtant d'évoquer une


des deux auteurs.
Les rapprochements pointés par Gouhier proviennent-ils d'une
simple communauté lexicale sur le fond commun d'un augustinisme
implicite ? Convient-il au contraire d'aller plus loin et de voir dans
le texte fénelonien beaucoup plus qu'une adaptation d'Augustin,
mais une reprise conceptuellement assumée de la noétique male-
branchiste ? Afin de tester efficacement l'hypothèse d'une répéti-
tion fénelonienne de la vision en Dieu, repérons tout d'abord les
traits constitutifs et spécifiques de la doctrine malebranchiste.
À cette seule condition, il deviendra possible de relire notre
chapitre IV, et d'évaluer le type et la portée de la présence male-
branchiste.

/. Les sept décisions de Malebranche

Une première série de thèses caractéristiques gravite autour de


la conception de l'idée.
1 / Contre Descartes puis Arnauld, l'idée, objet transcendant et
immuable, est radicalement distinguée de l'esprit qui la perçoit.
Parlant de l'idée d'infini, Malebranche écrit : « Considérez qu'il
n'est pas possible qu'elle n'en [se. l'esprit] soit qu'une modification,
puisque l'infini ne peut être actuellement la modification de
quelque chose de fini. »l Cette distinction de l'idée archétype et de
sa perception par l'esprit fini fut âprement discutée au long des pre-
miers échanges entre Malebranche et Arnauld qui maintint jus-
qu'au bout la thèse de l'immanence de l'idée à l'esprit fini.
2 / Distincte de l'esprit, l'idée l'est tout autant de la chose
qu'elle représente. Alors que l'idée représente l'essence universelle
de la chose, l'existence singulière de celle-ci nous est à jamais
dérobée, puisque la manifestation de l'idée n'est nullement déter-
minée par la présence mondaine de la chose même. L'existence est
définitivement soustraite à la représentation eidétique : « Ce que je
vois en regardant votre chambre, je veux dire en tournant mes yeux
de tous côtés pour la considérer, sera toujours visible, quand même
votre chambre serait détruite, que dis- je ? quand même elle n'aurait
jamais été bâtie » (ibid., § VI, OC XII, 39). La chose même n'est
plus la raison suffisante de sa propre cognoscibilité.

1. Entretiens sur la métaphysique et sur la religion (EMR) I, § IX,


OC XII, 43.

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3 / Distinctes de l'esprit comme


s'identifie dès lors à un constituant de l'essence divine. Le mode
d'être de l'idée reçoit dès lors une triple qualification : elle est néces-
saire, éternelle et immuable1.
Plusieurs déterminations complémentaires de l'idée découlent
de cette nouvelle situation :

a) Celle-ci n'est plus, à l'instar d'une thèse cartésienne cons-


tante, une copie, ontiquement inférieure à la chose qu'elle repré-
sente ; elle se voit au contraire affectée d'un surcroît de réalité, au
regard de la chose dont elle est le modèle archétype2.
b) En conséquence, l'idée humainement connaissable s'identifie
à l'idée divine ; l'idée vue en Dieu implique le dévoilement immé-
diat d'une part de l'essence divine. « II est certain que l'esprit peut
voir ce qu'il y a dans Dieu qui représente les êtres créés, puisque
cela est très spirituel, très intelligible, et très présent à l'esprit »
(Recherche de la vérité (RV) III, II, VI, OC I, 437).
Un second groupe de thèses concerne cette fois la nature de
l'objet de la connaissance par idées.
4 / Après quelques hésitations dans les premières éditions de la
Recherche, l'idée vue en Dieu est toujours comprise comme univer-
selle. La connaissance des objets particuliers, au premier chef des
individus existants, requiert une modalité épistémique distincte, la
sensation, qui révèle l'existence invisible des étants du monde maté-
riel ou des autres esprits3.
5 / L'universalité et la divinité de l'idée impliquent immédiate-
ment ce que l'on peut appeler l'univocité du savoir intellectuel. Les
intellects finis appréhendent les mêmes contenus et par le même
medium cognitif que l'intellect divin. « Vous avez l'idée de l'espace
ou de l'étendue, d'un espace qui n'a pas de borne, cette idée est néces-
saire, éternelle, immuable, commune à tous les esprits, aux hommes,
aux anges, à Dieu lui-même » (EMR I, § VIII, OC XII, 42)4.
L'univocité des contenus se renforce de l'unicité du medium cognitif5.

1. On trouve à plusieurs reprises, dans un ordre variable, ce ternaire dans


le 1CT Entretien, notamment § VI, VIII et IX. Cf. EMR III, 8 IV, OC XII, 65.
2. « II est bien plus facile de démontrer la réalité des idées (...) que de
démontrer l'existence de ce monde matériel. (...) C'est que les idées ont une
existence éternelle et nécessaire, le monde corporel n'existe que parce qu'il a
plu à Dieu de le créer » (EMR I, 8 V, OC XII, 36-37).
3. Voir notamment RV III. IL VI. OC I. 445 : EMR I. V. OC XII. 37.
4. Voir encore, parmi de nombreux textes, RVYY,OC II, 169 ; EMR III,
8 III.
5. Voir notre ouvrage Malebranche et la métaphysique, Paris, PUF, 1999,
chap. 3, § 2. Cette univocité est, bien entendu, extensivement limitée à certains
objets, rapports de grandeurs et de perfections, essences des étants matériels ou
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Un troisième groupe de thèses concerne enfi


noétique à la conception occasionnaliste de
ment formulée au sixième livre de la Recher
déjà présupposée par les thèses du chapitr
partie du Uvre III.
6 / La vision en Dieu des idées appelle en ef
toute causalité efficiente des étants finis sur l'entendement. La
doctrine occasionnaliste de l'impuissance causale des étants créés
fait de l'esprit une substance radicalement passive, incapable de se
modifier elle-même, ou d'être immédiatement affectée par les cho-
ses. Dieu devient en conséquence la seule cause efficace des subs-
tances tout comme de leurs modifications, donc des perceptions
sensibles et intellectuelles. « Or rien ne peut agir immédiatement
dans l'esprit s'il ne lui est supérieur, rien ne le peut que Dieu seul,
car il n'y a que l'auteur de notre être qui en puisse changer les
modifications. Donc il est nécessaire que toutes nos idées se
trouvent dans la substance efficace de la Divinité qui seule est
intelligible et capable de nous éclairer que parce qu'elle seule
peut affecter des intelligences. »2 Cette impuissance causale du
créé implique, contre saint Augustin, que les sensations elles-
mêmes ne sauraient désormais être causées en l'âme par les objets,
et qu'elles ne sont pas davantage des qualités objectives, mais des
modalités subjectives, exclusivement dépendantes de la causalité
divine3.
7 / Evoquons enfin un corollaire à cet ensemble de thèses en sug-
gérant que la noétique malebranchiste impose une complète refonte
de la notion et de la portée de la science divine. Avec Malebranche,
la science divine fait son entrée en philosophie, non parce qu'elle
constituerait l'idéal d'un savoir parfait mais à jamais interdit, mais
parce qu'elle devient, à l'inverse, la condition de possibilité de la
connaissance humaine. Voyant en Dieu, nous participons dès lors,

étendue intelligible et nombres ; voir Xe Éclaircissement, OC III, 142. Voir


D. Moreau, « Vérités et rapports entre les idées », L'Enseignement philoso-
phique, 49-2, 1998, p. 7-20.
1. Voir plus spécialement RV VI, II, III.
2. RV III, II, VI, OC I, 442. On remarque que l'intelligibilité est elle-
même gouvernée par l'efficace de l'idée.
3. Cette prise de distance envers la noétique augustinienne est explicite-
ment marquée par Malebranche, dans la préface qu'il ajoute à la 3e édition des
Entretiens en 1696, OC XII, 11 et s. Voir déjà Réponse aux vraies et aux fausses
idées, OC VI, 67-69.
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Le malebranchisme de Fénelon 159

quoique de manière limitée, à l'acte pa


éternellement1.
Cet ensemble de décisions permet de prendre la mesure de ce
qui spécifie proprement la pensée de Malebranche dans la constel-
lation des augii s tinis me s, et distingue sa noétique de son lointain
ancêtre augustinien. Bornons-nous à rappeler ici quelques traits
saillants :
- En premier lieu, et contrairement à la version augustinienne
de l'illumination, l'archétype ou la raison éternelle n'est plus sim-
plement la règle qui préside au jugement rationnel en fondant sa
vérité, mais bel et bien l'objet immédiatement et directement
appréhendé par l'esprit humain. La lumière divine n'est plus sim-
plement condition de possibilité et fondement de tout jugement
vrai, mais l'objet unique visé par toute connaissance.
- En second lieu, alors que saint Augustin maintient un
concours causal de l'objet sensible et campe sur une position réa-
liste2, Malebranche, prolongeant la réduction cartésienne du sen-
sible à des qualités de l'âme et la réduction de la causalité à la figure
de l'efficience, concentre en Dieu toute efficace et suspend à celle-ci
l'ensemble des processus cognitifs. Ce faisant, la vision en Dieu ne
saurait apparaître comme la pure et simple greffe de la noétique
augustinienne sur une doctrine cartésienne de l'idée.
Munis de ces indications, il nous devient possible de relire le
chapitre IV du traité fénelonien en demandant si les décisions tou-
chant la nature, l'objet et la cause de la connaissance vérifient
l'ensemble de nos critères et si, en conséquence, l'archevêque de
Cambrai a pu être influencé par l'auteur même qu'il critiqua si
vigoureusement.

1. Voir notre étude « Science divine et philosophie selon Malebranche »,


Le contemplateur et les idées du néoplatonisme au XVI IP siècle, éd. par O. Boul-
nois et al., Paris, Vrin, 2002, p. 223-248. Les objets comme les modalités de la
science divine s'identifient tangentiellement au savoir universel commun à
tout entendement.
z. INotons que les augustimens médiévaux ont signihcativement maintenu
la notion d'une illumination sensible, même si cette dernière n'en constitue que
le degré le plus bas. Voir saint Bona venture : « La seconde lumière, dont la
clarté nous fait saisir les formes naturelles, est celle de la connaissance sensible
(lumen cognitionis sensitivae) » (De reductione artium ad theologiam (Les six
lumières de la connaissance humaine), trad. P. Michaud-Quantin, Paris, Édi-
tions franciscaines, p. 55) ; Itinerarium mentis in Deum, II, trad. H. Duméry,
Vrin, 6e éd., 1990.

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160 Jean-Christophe Bardout

II. Répétition fénelonienne

Le chapitre IV de la Démonstration part


nature des idées. Méditant le contraste entre la successi vité fluante
des pensées et l'immutabilité de leurs objets, Fénelon souligne la
contingence de l'esprit créé, au regard de l'immuable permanence
de l'idée nécessaire. A l'encontre de l'immanence cartésienne de
l'idée à la mens, Fénelon en marque la transcendance et distingue
soigneusement idée et perception de l'idée. Connaître par idées, c'est
toujours rejoindre et viser une réalité absolument extérieure à
l'esprit percevant : « Mes idées ne sont donc point moi, et je ne suis
point mes idées. »* Fénelon se trouve ainsi vérifier notre premier cri-
tère : les deux auteurs tiennent identiquement l'idée pour un objet
transcendant l'esprit qui la pense, et refuse pareillement les tenta-
tions innéistes2.

Cela entraîne immédiatement la position d'une seconde thèse


commune : si l'idée se distingue de l'esprit, elle ne s'identifie pas pour
autant à la chose qu'elle représente, et n'en provient d'aucune façon.
A l'instar de Malebranche, Fénelon refuse toute forme de causalité
des étants créés sur l'esprit. On peut ici remarquer, à la suite de Henri
Gouhier, que l'auteur de la Démonstration évoque la question de la
connaissance des choses existantes dans l'univers matériel, alors
même qu'il n'a pas encore établi démonstrativement leur existence3.
Ni produites par l'esprit, ni dérivées des choses mêmes, les idées
ne peuvent donc résider qu'en Dieu ; elles s'identifient dès lors aux

1. Voir D ED, § 49, 632. « Quand même je ne serais plus pour penser aux
essences des choses, leur vérité ne cesserait point d'être. Il serait toujours vrai
que le néant ne pense point, qu'une même chose ne peut tout ensemble être et
n'être pas. (...) Ces objets généraux sont immuables et toujours exposés à qui-
conque a des yeux. »
2. En termes proches de Malebranche, t enelon nous desapproprie de nous-
mêmes, nous ne sommes plus à nous-mêmes notre lumière ou notre raison :
« Elle n'est point nous-mêmes. Elle n'est point à nous, elle est infiniment au-
dessus de nous. Cependant, elle nous est si familière et si intime que nous la
trouvons toujours aussi près de nous que nous-mêmes » (DED, § 62, 641-642.
Cf. EMR III, § IV, OC XII, 65). Concernant le refus malebranchiste de
l'innéité, voir RV III, II, IV, OC I, 429.
3. « Four la nature étendue que j appelle corps, je sais bien que j en ai
l'idée, mais je doute encore s'il y a des corps réels dans la nature » (TED, § 54,
636-637) ; cf. § 59, 639, § 66, 643. Contrairement à la doctrine de la sixième
Méditation où la certitude de l'existence de la res extensa est acquise par
l'analyse du statut et de l'origine de la réalité objective de l'idée d'étendue en
nous (celle-ci ne peut venir que d'une réalité formelle qui la cause en notre
esprit), l'idée fénelonienne d'étendue est immédiatement dérivée de la considé-
ration de l'archétype qui préside à son éventuelle création.
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Le malebranchisme de Fénelon 161

idées divines, ce que déclare explicitem


ainsi notre troisième critère. « Tout ce q
abstraite est une idée, tout ce qui est idé
l'ai déjà reconnu. »x
Tout naturellement, nos deux auteur
ment aux idées éternité, nécessité et imm
donc à exister plus réellement que la
« Quoi donc, mes idées seront-elles Dieu
la divinité car elles sont universelles et immuables comme Dieu.
Elles subsistent très réellement. (...) Rien n'existe tant que ce qui
est universel et immuable » (ibid., § 50, 633). Cette commune ana-
lyse des caractères de l'idée permet à Fénelon, à l'instar du Male-
branche du second Entretien sur la métaphysique, d'articuler sa
preuve de l'existence de Dieu. Il s'agit en effet de reconnaître à
l'idée d'infini le privilège de ne pouvoir se distinguer réellement de
ce qu'elle représente. Réassumant les résultats de la Recherche et des
Entretiens malebranchistes, le § 57 du Traité fénelonien refuse
d'assujettir la manifestation de Dieu à sa représentation en une idée
conçue comme un simple mode de l'esprit fini. Seul Dieu lui-même
fonde sa propre apparition en se dévoilant immédiatement.
Nous parvenons à des conclusions semblables à propos de la
nature de l'objet de la connaissance intellectuelle. Dans la mesure
où l'esprit connaît immédiatement des idées assimilées à l'essence
divine elle-même, Dieu, entendu comme instance universelle de
représentation, devient le seul objet immédiat de l'acte d'intel-
lection. « II reste donc que toutes nos connaissances universelles,
que nous appelons consultation d'idées, ont Dieu même pour objet
immédiat » (ibid., § 56, 637-638)3.
La reprise fénelonienne de la thèse de l'univocité du savoir ne
fait plus, dès lors, aucune difficulté. Fénelon la répète avec ses
deux réquisits proprement malebranchistes : identité des objets
connus par tout entendement, unicité du medium cognitif. « Ces
degrés que Dieu voit distinctement en lui-même et qu'il voit éter-
nellement de la même manière, parce qu'ils sont immuables, sont
les modèles fixes de tout ce qu'il peut faire hors de lui. (...)
Voilà (...) les modèles immuables des ouvrages de Dieu qui sont les
idées que nous consultons pour être raisonnables » (§ 53, 635-636).

1. DED, § 50, 633. On remarque que Fénelon ne se contente pas d'affirmer


l'universalité de la vérité, mais bien l'unicité de l'idée connue.
2. On retrouve la triade malebranchiste au § 49 de la Démonstration.
ô. Concernant la signification de ce syntagme malebranchiste, voir
J.-C. Bardout, op. cit., chap. 2, § 3.
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162 Jean- Christophe Bardout

La rationalité finie se voit immédiatement in


divine et finalement universelle. Il ne s'agit pa
prendre ici que la raison finie participe de la
qu'idées divines et humaines en viennent à s'id
des essences universelles l'objet de la visée eid
féneloniennes vérifient ici les critères relatifs
connu.

Mais c'est sans nul doute l'analyse des relati


tique et la doctrine de la causalité qui nous autor
sions peut-être les plus inattendues, et permett
fois l'influence de la problématique malebranchis
cis de rupture de Fénelon avec F au gust mis me.
d'abord notre question.
Dans la pensée de Malebranche, les deux doctrin
ditionnellement sous les appellations de « vi
d' « occasionnalisme » nous paraissent étroiteme
dans le sillage de Descartes, Malebranche ma
connaissance requiert une cause efficiente, mais
leurs les étants finis ne peuvent exercer aucune
sur l'esprit pour se donner à connaître, Dieu seu
ment, les idées divines demeurent habilitées à c
les modifications requises. L'occasionnalisme
prendre comme la condition de possibilité de la v
même. Remarquons que la thèse de la vision en D
formulée, dans la Recherche de la vérité, après une
successivement toutes les autres formes d'explic
cognitif (innéisme, empirisme, auto-affection de
principe d'exclusion des diverses hypothèses rés
dans l'impossibilité pour les choses ou l'esprit lui
une quelconque affection en lui. La vision en Die
la reconnaissance de l'uni-causalité divine, dé
l'œuvre au livre III de la Recherche, avant même sa formulation
définitive dans le livre sixième. Or, si nous croyons pouvoir soute-
nir l'hypothèse d'une répétition fénelonienne de la « vision en

1. Bien qu'on ne puisse ici développer ce point, il apparaît que cette univo-
cità de la connaissance se redouble d'une doctrine de l'être aux tendances elles
aussi manifestement univocistes. Voir notamment La nature de l'homme
expliquée par les notions de Vette en général, 834 : « Ce principe posé, qu'est-ce
que la substance de Dieu ? C'est tout être. Qu'est-ce que la substance de la
créature ? C'est une portion de l'être. (...) L'être en tant que borné, voilà ce qui
distingue la créature d'avec Dieu. Les diverses mesures et bornes de l'être, voilà
ce qui distingue les créatures entre elles. Tout est pris dans l'être, comme plu-
sieurs habits seraient pris dans une même pièce d'étoffe. »
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Le malebranchisme de Fénelon 163

Dieu »*, au moins dans le chapitre IV


devrions en trouver une confirmation
relatives à la nature de la causalité dans la nature créée.

III. Fénelon fut-il occasionnaliste ?

Risquons une remarque préliminaire. Si la Réfutation s'en prend


à la notion malebranchiste de loi générale, plus spécialement dans la
mesure où celle-ci entraîne, dans l'esprit de Malebranche, la néga-
tion des volontés particulières en Dieu et donc de la Providence, le
texte semble admettre en revanche la négation occasionnaliste de la
causalité efficiente dans la nature créée. Il convient donc de disso-
cier l'occasionnalisme - ou tout au moins son moment négatif - en
lui-même recevable, et la négation des volontés particulières. « Je
suppose ce que veut l'auteur, et je montre qu'il n'en peut rien
conclure pour son opinion. Les créatures, dira-t-il, ne sont que des
causes occasionnelles ; il n'y a que Dieu dont la puissance et
l'opération soient véritables, je n'en disconviens pas. Allons plus
loin, Dieu qui est l'unique cause réelle de tout ce qui se fait agit
selon les lois générales qu'il a établies, je le suppose. »2 Le texte
admet donc - du moins est-ce une supposition recevable - les deux
thèses constitutives de l'occasionnalisme, dénégation aux étants
finis de la causalité efficiente et concentration de l'efficace en Dieu,
d'une part ; soumission de l'efficace divine à des lois générales mises
en œuvre par des causes occasionnelles (et donc non « réelles »),
d'autre part3.

1. On trouverait un énoncé explicite de la thèse au § 61 de la D ED, p. 641.


« Ainsi je vois Dieu en tout, ou, pour mieux dire, c'est en Dieu que je vois tou-
tes choses, car je ne connais rien, je ne distingue rien, et je ne m'assure de rien
que par mes idées. » On remarquera l'appropriation des idées, alors même qu'il
s'agit des idées divines. La connaissance de l'individuel requiert tout autant
l'intervention efficace de Dieu, quoique selon des modalités différentes. « Cette
connaissance même des individus, où Dieu n'est pas l'objet immédiat de ma
pensée, ne peut se faire qu'autant que Dieu donne à cette créature
l'intelligibilité, et à moi l'intelligence actuelle » (ibid.).
2. Réf., chap. 14, 388 ; nous soulignons. « Encore une fois, je suppose que
les créatures ne sont point des causes réelles, et je passe volontiers le nom
d'occasionnelles qui est indifférent » (ibid.).
ó. A qui demande pourquoi Dieu a établi les lois generales, Fénelon fait
cette réponse aux accents bien reconnaissables : « C'est pour cacher, sous le
voile du cours réglé et uniforme de la nature, son opération perpétuelle aux
yeux des hommes superbes et corrompus qui sont indignes de le connaître, pen-
dant qu'il donne d'un autre côté aux âmes pures et dociles de quoi l'admirer
dans tous ses ouvrages » (ibid., 389). Après Malebranche, Fénelon admire
le cours majestueux d'une puissance invisible mais réglée par des lois ;
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164 Jean- Christophe Bardout

Ces quelques textes autorisent donc une pre


Soucieux d'exalter la toute-puissance divine et
son autonomie et sa consistance1, le philosop
ses ultimes conséquences, la doctrine de la cr
est indissociablement l'unique cause effic
comme de leurs modifications, un état du m
être par soi la raison suffisante d'un autre éta
instant ayant sa création détachée et indépen
des instants précédents, il s'ensuit que l'état d
moment ne peut être une disposition réelle p
suivre ce premier. En un mot, les dispositions
être réelles que les causes. Puisque les inst
aucune liaison réelle, non seulement il ne s'ens
sera en mouvement dans l'instant B parce qu
se mouvait dans l'instant A, mais l'état de
tant A, quel qu'il puisse être, ne peut point êt
mouvoir mon corps ou qui en facilite le m
tant B. Ainsi, toutes ces créations successives
détachées les unes des autres, l'une n'influe e
sorte que Dieu ne saurait, ni dans l'ordre de la
de la grâce, régler son opération sur les dispos
tures » (ibid., 390)2. Si Fénelon ne formule pas
salité en termes strictement malebranchistes3
moins de reconnaître que le chapitre XIV de l
tous les ingrédients de ce que l'on peut app
physique, négation de l'efficience dans l'étan
puissance, et donc de la causalité divine, dé
activité causale au moyen de lois du mouvem
la causalité semble avoir été constante, pu
encore dans une lettre au R.P. Lamy, publiée

voir DED I, § 18, 523. La perfection divine éclate dan


puissance agissant sous le contrôle d'une sagesse ord
phénoménales, s'exprimant sous la forme de lois arbit
mais immuables et constantes en leur observation.
1. Le theme du néant de la creature devant Dieu, recurrent dans la spiri-
tualité fénelonienne (voir notamment LDS I, 707-709, DED, § 95, 664), trouve
ainsi sa justification métaphysique dans la dénégation de la causalité à la créa-
ture impuissante.
2. Voir DED, § 90, 661.
3. On ne trouve pas, chez lui, explicitement énoncée d une maniere systé-
matique l'articulation entre la cause occasionnelle et la puissance divine, sous
la forme des cinq grandes lois de l'occasionalisme généralisé à l'ensemble du
créé, naturel et surnaturel.
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Le malebranchisme de Fénelon 165

Nouvel athéisme renversé : « Les cor


autres une occasion de mouvement selo
puissance supérieure aux uns et aux au
et imparfait ne peut donner à un autre êt
fection qu'il n'a pas. »* Cette présomp
nalisme fénelonien trouve sa confirma
question de l'union de l'âme et du corp

Rappelons tout d'abord que l'auteur a


d'une distinction réelle des deux subst
l'homme. Toutefois, lorsqu'il réfléchit s
corps, Fénelon ne semble pas véritablem
nature du lien causal qui les unit. Fid
prendre à propos de la causalité dans l
récuser la thèse cartésienne d'une interaction réelle des deux substan-
ces. Le chapitre III de la première Lettre touchant divers sujets concer-
nant la religion et la métaphysique aborde explicitement la question de
la nature de la causalité psychophysique. L'hétérogénéité substan-
tielle du corps et de l'âme s'explicite immédiatement dans la négation
de leur interaction réelle. Prenant de nouveau ses distances avec la
lettre du cartésianisme, Fénelon rend compte de l'union âme-corps
dans les termes d'une correspondance ou d'une coïncidence entre les
modalités hétérogènes, dont le principe explicatif autant que la réa-
lité ontique résident dans « une puissance supérieure », assurant par
son activité causale l'unité et l'effectivité du composé humain.
Reprenant à son compte des formulations qui feraient davantage
songer à Louis de la Forge ou à Johannes Clauberg, Fénelon écrit :
« Si cette puissance a uni ensemble les deux natures qu'on nomme un
esprit et un corps qui sont si dissemblables, il faut que cette puissance
soit supérieure à ces deux natures, il faut qu'elle ait un empire absolu
et égal sur toutes les deux, il faut qu'elle contienne en soi toute la per-
fection de chacune d'elles, il faut qu'elle puisse les assujettir par sa
seule volonté à cette correspondance mutuelle des mouvements du
corps avec les pensées de l'âme, et les pensées de l'âme avec les mou-
vements du corps » (LDS, I, 705). Dans la mesure où les modifîca-

1. LDS I, p. 697. Il conviendrait d'analyser ici en détail les § 79 à 81 de la


première partie de la Démonstration, p. 582 et s., dans lesquels, à l'occasion de
la réfutation de la physique épicurienne, Fénelon montre qu'il faut nécessaire-
ment assigner une cause immatérielle aux mouvements matériels de l'univers.
On peut rapprocher la nature et le mouvement de cette démonstration du qua-
trième des Six discours sur le discernement de l'âme et du corps de Cordemoy
publiés en 1666.
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1 66 Jean- Christophe Bardout

tions sont des manières d'être des substances, D


des substances, est ipso facto « cause immédiate
leurs modifications : « Ce premier être est la cause
fications de ses créatures. L'opération suit l'êtr
philosophes. L'être qui est dépendant dans le fon
être que dépendant dans toutes ses opérations.
principal. L'auteur du fond de l'être l'est donc
modifications ou manières d'être des créatures
est la cause réelle et immédiate de toutes les co
naisons et mouvements de tous les corps d
l'occasion d'un corps qu'il a mû qu'il en meut un
tout créé, et c'est lui qui fait tout dans son ouvr
la modification des volontés, comme le mouvem
tion des corps. Dirons-nous qu'il est la cause
totale du mouvement de tous les corps et qu'il
cause réelle et immédiate du bon vouloir des volontés ? Cette modifi-
cation, la plus excellente de toutes, sera-t-elle la seule que Dieu ne
fera point dans son ouvrage et que l'ouvrage se donnera lui-même
avec indépendance ? » (DED, lre partie, chap. 2, § 65, 569-570)1. La
première partie de la Démonstration méditera de nouveau l'énigme de
l'homme, substance immatérielle qui meut une substance matérielle
inconnue. « Si au contraire l'esprit et le corps sont deux natures diffé-
rentes, quelle puissance supérieure à ces deux natures a pu les atta-
cher ensemble, sans que l'esprit y ait aucune part, ni qu'il sache com-
ment cette union s'est faite ? Qui est-ce qui commande ainsi avec cet
empire suprême aux esprits et aux corps, pour les tenir dans une cor-
respondance et dans une espèce de police si incompréhensible ? »
(ibid., § 45, 550). Reprenant les arguments (désormais classiques chez
les penseurs occasionnalistes) par l'ignorance de l'anatomie2, Fénelon
allègue que l'on ne peut faire ce qu'on ignore et, partant, que l'âme ne
peut mouvoir d'elle-même un corps dont elle ignore presque tout. Il
convient dès lors d'admirer l'empire de l'âme sur le corps qui lui est
uni. La puissance de Dieu, communiquant à la créature sa propre
efficace, assure ici au verbe intérieur de la volonté l'incomparable

1. Dieu n'est donc pas seulement « cause finale » de l'acte ultime du vou-
loir qui s'oriente à sa fin, mais il est cause efficiente du mouvement vers le bien
qui constitue la réalité de la motion volontaire ; voir Malebranche, Ier Éclaircis-
sement notamment.

2. Voir Malebranche, Méditations chrétiennes et métaphysiques, VI, §


OC X, 62 ; EMR VII, § y, OC XII, 154 ; voir Geulyncx, Metaphysica v
Quinta scientia, éd. Land, vol. II, p. 150, trad, franc., A. de Lattre, Ar
Geulincx, Paris, Minuit, 1970, p. 101 et s.
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Le malebranchisme de Fénelon 167

pouvoir d'un performatif : « Comme l'É


qui dit, après la création de l'univers : Qu
de même la seule parole intérieure de m
préparation, fait ce qu'elle dit. Je dis
intérieure, si simple et si momentanée qu
meut. »* Au terme de ces textes, il sem
thèse de la création continuée en un sen
puisque Dieu n'est pas seulement auteur
mais tout autant de l'union réelle.
Mais Fénelon va plus loin. Alors que les premiers occasionna-
listes n'avaient pas approfondi les conséquences noétiques de leur
position, Fénelon, fidèle à la logique de sa thèse, va développer une
véritable epistemologie de la singularité2.
Rappelons tout d'abord en quels termes l'auteur de la Démons-
tration pose le problème. Fénelon, ayant refusé à l'âme toute effi-
cace causale pour engendrer ses propres pensées, prolonge jusqu'en
son ultime conséquence le déni originaire de l'interaction des subs-
tances : puisque le corps extérieur ne peut produire (causer efficace-
ment) dans l'âme une quelconque sensation, puisque l'âme ne peut
pas davantage se modifier elle-même à l'occasion d'un ébranlement
sensoriel, l'on doit s'en remettre à l'efficace divine pour assurer aux
perceptions leur cause efficiente. Non seulement Dieu assure la sub-
sistance des substances qui composent l'homme, mais il est au
même titre la cause efficiente unique de toutes les modifications de
ces dernières, et donc des perceptions de l'âme. « Le même Dieu qui
me fait être me fait penser, car la pensée est mon être ; le même
Dieu qui me fait penser n'est pas seulement la cause qui produit ma
pensée, il en est encore l'objet immédiat ; il est tout ensemble infini-
ment intelligent et infiniment intelligible. Comme intelligence uni-
verselle il tire du néant toute actuelle intellection, comme infini-
ment intelligible, il est l'objet immédiat de toute intellection
actuelle » (ibid., § 50, 633)3. Sans reprendre explicitement à son

1. Ibid., § 46, 551. Le recours à la métaphore scrip turaire est ici révélateur,
et suggère qu'une même puissance crée l'univers et assure au composé humain
la réalité de son union en instituant une correspondance réglée entre les deux
séries de modifications en elles-mêmes incommensurables.
¿. h.n ce sens, il nous parait, sur ce dernier point, plus directement depen-
dant de Malebranche qui, le premier, prit nettement conscience des enjeux
épistémologiques de l'occasionalisme.
ó. « Uieu, en donnant l être dans chaque instant, donne aussi la maniere et
les circonstances de l'être » (DED, § 59, 639). Voir La nature de l'homme
expliquée par les simples notions de l'être en général, 854 : « Je sais bien qu'en un
sens toute pensée de mon âme est une passion à l'égard de Dieu, car toute
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168 Jean- Christophe Bardout

compte la doctrine malebranchiste de l'idé


conquiert néanmoins une position parfaiteme
faisant de Dieu la seule cause efficiente de l'être formel et du
contenu objectif de nos perceptions actuelles. « Ainsi tout se rap-
porte à lui, l'intelligence et l'intelligibilité sont comme l'être. Rien
n'est que par lui. Par conséquent, rien n'est intelligent ni intelligible
que par lui seul » (ibid., § 50, 633).
L'examen de la théorie fénelonienne de la connaissance des étants
singuliers manifeste simultanément l'étroite dépendance de la noé-
tique envers la métaphysique (et plus spécialement la conception de
la causalité), et la nature du dialogue sous-jacent avec la probléma-
tique malebranchiste du sentiment confus. Risquons une hypothèse.
On le sait, nous voyons, selon la doctrine constante de Malebranche,
les archétypes en Dieu, mais nous n'avons connaissance des indivi-
dus que par une « révélation naturelle » assurée par la sensation.
Cette doctrine malebranchiste manifeste une véritable aporie du
principe d'individuation, au double point de vue de la physique2 et
de la noétique3. Or il apparaît que Fénelon tient compte de la diffi-
culté inhérente à la position de Malebranche dans un contexte théo-
rique semblable, et tente d'y apporter une solution, sans pour autant
perdre de vue les principes fondamentaux de sa propre position.
Refusant de réduire la connaissance de l'individuel à un sentiment
indistinct et confus, le § 58 de la Démonstration postule l'intelligibilité
foncière de tout individu. Les présupposés quasi occasionnalistes de
sa position transparaissent jusque dans la façon de poser le pro-
blème : il est certes acquis désormais que Dieu seul est cause de
toutes nos pensées. Dès lors, pourquoi percevons-nous tel individu à
tel instant, plutôt que tel autre, en un instant différent ? « Dieu qui
me crée, et qui le crée aussi, lui donne une véritable et propre intelli-

pensée qu'elle a, c'est Dieu qui la lui donne. Mais en ce sens, toute action de
créature est une passion. » «(...) la pensée et la volonté sont toutes deux
l'action tranquille de l'esprit en lui-même. L'une considère simplement l'objet
qui ne fait rien sur elle. Il n'y a que Dieu qui agit en elle. L'autre sans sortir de
soi regarde l'obiet comme son bien » (ibid., 855).
1. Fénelon, en effet, ne s'interroge pas sur le type précis d'action que l'idée
exerce sur l'esprit. Cette remarque militerait en faveur de la datation que Gou-
hier propose pour la Démonstration - autrement dit, avant le virage de Male-
branche vers la doctrine de l'efficace de l'idée, formulée à partir de 1693.
2. A 1 instar du Malebranche de la Correspondance avec Dortous de Mai-
ran, Fénelon voit dans l'existence actuelle, et donc dans une détermination non
essentielle, le seul principe possible d'individuation ; D ED, § 60, 641 ; cf. La
nature de l'homme, 838-839.
3. Voir J.-C. Bardout, « Malebranche ou lindividuation perdue », Les
Études philosophiques, 1996-4, p. 489-506.
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Le malebranchisme de Fénelon 169

gibilité en même temps qu'il me donne


propre intelligence. Il ne nous en faut
rien concevoir au-delà. Si on me demande encore comment est-ce
qu'un être particulier peut être présent à mon esprit, et qui est-ce qui
détermine mon esprit à l'apercevoir plutôt qu'un autre être, je
réponds qu'il est vrai qu'après avoir conçu mon intelligence actuelle
et l'intelligibilité actuelle de cet individu, je me trouve encore indiffé-
rent à l'apercevoir plutôt qu'un autre, mais ce qui lève cette indiffé-
rence, c'est Dieu qui modifie ma pensée comme il lui plaît » (DED,
§ 58, 638-639). L'impuissance causale des corps implique que la rai-
son suffisante de la perception ne peut désormais résider dans ces
mêmes corps, mais en Dieu seul. La réponse de Fénelon permet
d'expliciter les présupposés qui gouvernaient déjà la question, et
l'esquisse de solution formulée dans le texte qu'on vient de lire. « La
puissance ne peut être déterminée par les objets puisque je les sup-
pose tous également intelligibles, par où le sera-t-elle donc ? Par elle-
même ? Nullement, car étant en chaque moment créée, elle se trouve
en chaque moment dans l'actuelle modification où Dieu la met par
cette création toujours actuelle. C'est donc le choix de Dieu qui la
modifie comme il lui plaît. Il la détermine à un objet particulier de sa
pensée, comme il détermine un corps à correspondre par sa dimen-
sion à une certaine superficie plutôt qu'à une autre » (DED, § 59,
639-640.) On peut faire ici plusieurs remarques :
1 / On retrouve ici le vocabulaire de la modification, mis au
point par Malebranche dans sa théorie de la sensation comme modi-
fication de l'âme.
2 / C'est dès lors Dieu qui détermine la puissance perceptive. La
raison de la perception sensible demeure le corps existant, alors que
Dieu seul en est la cause efficiente. Nous ne saurions en conséquence
accorder ici à Henri Gouhier que le schéma psychophysiologique
qui sous-tend la théorie fénelonienne de la perception demeure car-
tésien. Il incombe à Dieu, et à lui seul, d'assurer désormais la coïnci-
dence de notre univers perceptif et de l'univers matériel, invisible
parce qu'impuissant. Si la solution fénelonienne n'est pas immédia-
tement identifiable à la position malebranchiste (la genèse des per-
ceptions n'est pas explicitement soumise à un système de lois géné-
rales), reste que la Démonstration puise largement ses arguments au
fonds commun de l'occasionnalisme psychophysique.
Enfin, remarquons que, à l'instar de Malebranche, Fénelon parti-
cipe au mouvement qui tend à penser la science divine comme savoir
universel, comme fondement du savoir philosophique lui-même. Le
mouvement de l'argumentation du § 53 est à cet égard significatif :
Revue philosophique, n" 2/2003, p. 151 à p. 172

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170 Jean- Christophe Bardout

c'est à partir de ce que Dieu voit en lui-même q


du savoir humain : « Cela posé, je dis que Die
degrés de perfection en lui qui sont la règle et le
de natures possibles, qu'il est libre de tirer du
les immuables des ouvrages de Dieu qui son
consultons pour être raisonnables » (TED, § 5
Je proposerai donc trois conclusions.
1 / En premier lieu, la présence de Malebra
féneloniens ne se borne pas à de simples conv
l'influence plus ou moins inconsciente d'un a
gré la Réfutation du système, il convient d'in
nombre des sources probables de la pensée ph
lon. Toutefois, si le futur archevêque fut un a
n'en fut pas moins un contradicteur sélectif.
des thèses propres à toutes les figures de l'aug
dance de la raison universelle et immuable
Verbe), il n'en opère pas moins une reprise pr
acquis théoriques proprement malebranchiste
conceptuels qui permettent de les articuler.
Une relecture de la Démonstration qui en
éléments spécifiquement malebranchistes per
réévaluer la catégorie historiographique d'
pliquée aux philosophies de l'âge classiqu
branche, Bossuet et Fénelon furent tous augu
adversaires. Ce simple constat suggère que les
sations d'Augustin ne furent pas univoques d
L'on se dispute son autorité, mais on diverge s
Cette remarque trouverait sans nul doute un
dans une étude comparée de l'utilisation des te
teur de la grâce » dans la polémique entre Mal
Dans sa Réfutation, Fénelon intente plusieurs
procès en « hérésie » augustinienne1. Une hist
de l'utilisation d'Augustin dans les philosop
inviterait à décliner désormais l'augustinisme
marquant la probable insuffisance des catégo
cartésianisé, ou de cartésianisme augustinisé.
Allons plus loin : les pages qui précèdent es
gné, sur quelques exemples, les transformatio

1. Voir Réf., chap. Ill, 339, Vili, 360. Les chapitr


utilisent le De ordine contre la conception malebra
encore chap. XXI, 430.
Revue philosophique, n° 2/2003, p. 151 à p. 172

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Le malebranchisme de Fénelon 171

voire les trahisons que subit la pensé


exigences de la philosophie nouvelle. S
connaissance dans la première partie d
la conception de l'ordre font apparaîtr
« augustinisme accepté », la « nouve
Dieu » ou la conception de la causali
augustinisme pour le moins modifié e
malebranchistes1. Il conviendrait peut-
réalité complexe et mouvante que fut F
de la seconde moitié du XVIIe siècle, d
ou, du moins, les principes méthodolo
avait jadis mis en place pour évaluer le
sence cartésienne au sein du corpus m
corpus philosophique déterminé, ce typ
faire émerger une image contrastée, e
diverses modalités de la présence te
l'évêque d'Hippone.
2 / Nous croyons pouvoir interpréter
tration comme l'indice d'une reprise ou
ture précise de la noétique malebra
Dieu ».

Parfaitement au fait des difficultés inhérentes à la thèse qu'il


retravaille et reprend à son compte, Fénelon cherche même à dépas-
ser l'aporie de la connaissance des individus. Il s'inscrit, ce faisant,
dans un mouvement plus large et confirme que la vision en Dieu
demeure, en cette seconde moitié du XVIIe siècle, une solution
conceptuellement crédible, dès lors qu'on récuse simultanément
l'immanence de l'idée à l'esprit fini, et l'hypothèse d'une action cau-
sale réelle des objets sur la substance pensante3.

1. Mentionnons en outre la question de la connaissance de soi : Fénelon va


rompre avec l'introspection augustinienne qui retrouve dans la structure de
l'âme le reflet et l'image de la Trinité, et semble accepter sans réserve la doc-
trine malebranchiste de l'incognoscibilité de l'âme par elle-même. Voir DED, I,
§ 62, 567.
2. Voir F. Alquie, Le cartésianisme de Malebranche, Paris, Vrin, 1974.
3. La récente traduction de textes philosophiques d'Arnauld témoigne suf-
fisamment que la vision en Dieu ne fut pas une thèse propre au seul Male-
branche. Voir Antoine Arnauld, Textes philosophiques, édités par D. Moreau,
Paris, PUF, 2001, plus spécialement les indications données p. 34. On mention-
nera notamment F. Lamy et G. Huygens, cause occasionnelle de la rédaction
de la Dissertano bipartita par Arnauld en 1692. Nous pensons pour notre part
que la « vision en Dieu » constitue un peu plus qu'une « thématisation particu-
lière d'une thèse alors courante chez les augustiniens » (D. Moreau, op. cit.,
ibid.).
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172 Jean- Christophe Bardout

3 / Dans cette perspective, vision en Dieu


nous apparaissent en effet intrinsèquement lié
sens les deux expressions complémentaires d'
La causalité perdue prive l'étant fini des voie
et contraint l'esprit à éprouver jusqu'en so
force toute-puissante d'une véritable création
croyons pouvoir confirmer, à propos de Féne
lien organique entre ces deux thèses. Cette rep
conjonction malebranchiste témoigne que celle
du hasard, mais manifeste plutôt ce que nous
figure conceptuelle. Elle nous permet en outre
épistémologiques de la solution métaphysi
blème de la causalité. Parce qu'il continue d
sance intellectuelle ou sensible comme l'effet
Fénelon demeure apparemment cartésien, ma
cette même efficience aux étants créés, il fut
sionnaliste malgré lui. Il fut dès lors un témoin e
en mode mineur de l'une des inflexions majeu
cartésianisme ses contemporains, Spinoza, Ma

Jean-Christophe BARDO

Revue philosophique, n 2/2003, p. 151 à p. 172

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