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Le dialysat échangeur thermique 

: son utilité en
pratique clinique
duter.unistra.fr/8

Mise à jour le : 27 août 2016, par Thierry HANNEDOUCHE, Temps de lecture estimé : 13 min.
L’épuration extracorporelle par hémodialyse ou hémofiltration fait appel à des processus
physicochimiques de diffusion et de convection.
En raison des anomalies biochimiques propres à l’état urémique, l’attention a été longtemps
focalisée sur la composition ionique du dialysat.

Cependant la membrane d’hémodialyse à l’interface sang-dialysat constitue également un


échangeur thermodynamique susceptible d’influencer de façon importante la régulation de
nombreux systèmes physiologiques chez les dialysés, en particulier la régulation cardiovasculaire
immédiate.
Dans cet article seront évoqués d’une part la régulation de la thermogénèse chez le sujet dialysé,
puis l’influence des différentes modalités d’épuration extrarénale sur les échanges thermiques et la
régulation cardiovasculaire pendant la séance.

1 - Régulation de la température corporelle chez le sujet normal et le


dialysé
Chez le sujet sain schématiquement la température corporelle est la résultante de la production
d’énergie calorique par le métabolisme et de la déperdition de chaleur au niveau de la surface
corporelle. La température centrale est régulée physiologiquement autours de 37 ° avec des limites
extrêmement étroites de 0,2° entre le seuil de réponse au chaud (sudation et vasodilatation) et le
seuil de réponse au froid (vasoconstriction). Au dela de ce seuil l’augmentation ou la diminution de
la température corporelle centrale induit des adaptations physiologiques très puissantes destinées
à normaliser la température. En cas d’élévation de la température centrale, la sudation est le
premier phénomène intervenant pour augmenter les pertes caloriques, suivie par la vasodilatation
cutanée permettant de redistribuer le débit sanguin depuis le volume circulant sanguin central vers
la circulation périphérique, ceci facilitant les échanges thermiques et la dissipation de chaleur dans
l’environnement. Inversement en cas de diminution de la température centrale, le premier
phénomène de régulation est la vasoconstriction qui redistribue le volume circulant vers la
profondeur de l’organisme et limite les échanges thermiques avec l’environnement. Si la
température continue à diminuer la thermogenèse est stimulée, sans frisson initialement puis
accompagnée de frissons

Les variations de la température corporelle affectent fortement les systèmes de régulation


physiologique cardiovasculaire.

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Lors de l’augmentation de la température centrale, se produit une vasodilatation (diminution de la
résistance vasculaire périphérique totale) avec une augmentation importante du débit cardiaque et
d’une baisse de la pression artérielle d’environ 5 mmHg. Cette vasodilatation est médiée par un
facteur inconnu provenant des glandes sudoripares. Les modifications circulatoires ne sont pas
identiques dans tous les territoires de l’organisme et par exemple, le débit sanguin cutané
augmente de façon très importante (le débit cutané peut augmenter de quelques centaines de
ml/min. à plusieurs litres/min. soit environ 30% du débit cardiaque total). Inversement le volume
sanguin central d’une part et le débit splanchnique et rénal d’autre part diminuent.
La vasoconstriction au froid prédomine dans des shunts artério-veineux localisés essentiellement
dans les extrémités digitales des mains et des pieds, et placés sous l’influence de récepteurs
adrénergiques

Chez le sujet dialysé, et probablement chez le sujet urémique en général, la régulation de la


température centrale est altérée si bien que ces individus présentent en moyenne une température
inférieure à celle de sujets non urémiques. Dans une cohorte de 122 malades, 22 % des individus ont
une température corporelle centrale inférieure à 36° et 38 % une température inférieure à 36°5. Le
mécanisme de cette dysrégulation thermique chez l’urémique est totalement inconnu mais il est
probablement d’origine centrale. Les modifications de température centrale ne sont pas corrélées
avec l’âge, la durée en dialyse, la présence ou non d’un diabète, le taux d’hémoglobine, la créatinine,
l’urée, l’albumine et le KT/V.

Chez le sujet urémique dialysé la température est de plus modifiée par la séance d’épuration
extracorporelle qui assure un gain net d’énergie calorique dans le dialyseur via le contact sang-
dialysat et également par la production d’énergie calorique dépendant du contact entre la
membrane artificielle et le sang.
Les échanges de température et plus précisément la balance énergétique, c’est-à-dire la perte ou le
gain d’énergie calorique au cours de la séance de dialyse sont influencés par plusieurs facteurs dont
notamment le gradient de température entre le dialysat et le sang du malade, le débit sanguin et la
densité du sang et enfin les pertes environnementales qui dépendent elles-mêmes de la
température de l’environnement et surtout de la longueur de la ligne veineuse. D’une façon
générale, on peut considérer que la température de la ligne artérielle représente de façon très
précise la température centrale en l’absence de recirculation.

2 - Température corporelle et hémodynamique perdialytique


Au cours de la séance d’épuration extracorporelle, la conjonction d’une déplétion volémique liée à
l’ultrafiltration et d’une augmentation de température centrale liée au contact sang dialysat et à la
génération d’énergie calorique par l’interface sang membrane va donc favoriser les conditions
hémodynamiques propices à l’hypotension.

La situation peut être résumée de la façon suivante : l’ultrafiltration diminue le volume plasmatique,
ce qui aboutit à une vasoconstriction diffuse, une réduction du débit sanguin cutané de surface et
donc des pertes de chaleur et finalement une augmentation de la température centrale ; celle-ci est
par ailleurs directement augmentée par le transfert d’énergie calorique depuis le dialysat et le
contact avec la membrane. Lorsque la température corporelle s’élève, les mécanismes de régulation
sont mis en jeu pour augmenter le débit sanguin de surface au détriment de la volémie centrale. La
baisse de la volémie centrale et la vasodilatation de surface, conséquence à la fois de l’ultrafiltration
et de l’augmentation de température corporelle sont responsables de la diminution du retour
veineux et de la chute tensionnelle dans cette situation.

Cette influence importante des transferts d’énergie thermique sur la stabilité hémodynamique
pendant la séance avait été reconnue déjà depuis 1982 par Maggiore et son groupe. Celui-ci avait
ainsi montré qu’une température dialysat de 38° induisait une chute de 27 % de la pression artérielle

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moyenne après 4 heures d’hémodialyse conventionnelle ainsi qu’une augmentation de 30 % de la
fréquence cardiaque alors que chez les même individus, une dialyse assurée avec un dialysat de 35°
n’entraînait qu’une variation de - 8 % de la pression artérielle moyenne et une augmentation de
14 % de la fréquence cardiaque. Ces constatations ont été largement reproduites depuis par
plusieurs groupes.
Inversement chez des patients hémodynamiquement instables pendant la séance ou faisant de
nombreuses chutes tensionnelles, la diminution de la température du dialysat permet de réduire la
fréquence des hypotensions symptomatiques et d’augmenter la pression artérielle moyenne
pendant et en fin de séance. D’autres effets favorables sont attribués à l’hémodialyse hypotherme
notamment une augmentation de la contractilité cardiaque, elle même peut être liée à une
stimulation adrénergique. L’hémodialyse hypotherme semble tout particulièrement efficace et
intéressante chez les patients ayant une temperature spontanément basse, peut être tout
simplement parce que le gradient thermique est plus important lorsqu’ils sont soumis à une dialyse
à température habituelle (37,5°C)

La disponibilité récente de systèmes permettant de contrôler très précisément les transferts


d’énergie pendant la séance d’hémodialyse constitue un progrès important, à visée
physiopathologique d’abord pour comprendre les mécanismes de transfert d’énergie pendant les
séances d’épuration extracorporelle, et à visée thérapeutique ensuite pour réguler finement les
échanges thermiques pendant la séance. Par exemple, le module BTM développé par la société
Fresenius permet de mesurer très précisement la température centrale du malade (ligne artérielle),
la température de réinjection (ligne veineuse) et de quantifier la quantité d’énergie thermique
délivrée ou soustraite au malade. Ce module permet également de modifier ou de compenser les
transfert thermiques au malade ce qui permet d’assurer des circulations extracorporelles au niveau
de température centrale souhaitée.

3 - Comparaison des échanges thermiques selon les différentes modalités


d’épuration extrarénale et leur influence sur la stabilité hémodynamique
Depuis de nombreuses années, les techniques d’ultrafiltration isolée séquentielle ou
d’hémofiltration ont été utilisées pour améliorer la tolérance hémodynamique perdialytique chez
des malades instables.
Compte tenu de l’importance des échanges thermiques sur la stabilité hémodynamique pendant la
séance on peut se demander (1) si les différentes modalités d’épuration extrarénale (ultrafilration
isolée, hémofiltration, hémodialyse conventionnelle ou hémodialyse-ultrafiltration) ont une
influence comparable sur ces échanges thermiques et (2) si les différences de transfert thermique
peuvent intervenir dans la spécificité des modifications hémodynamiques de ces différentes
modalités.

Lorsque l’on compare l’hémodialyse à l’ultrafiltration isolée, l’hémodialyse conventionnelle avec un


dialysat à 37,5°C induit un réchauffement de la température corporelle centrale de 0,7°C après 3
heures d’hémodialyse (ligne artérielle ou température centrale) alors que la température de
réinjection (ligne veineuse) reste stable proche de 36°C. L’ultrafiltration isolée n’induit qu’un
réchauffement plus modeste de la température centrale + 0,4°C après 3 heures d’ultrafiltration
isolée, la température de réinjection (ligne veineuse) restant inchangée 3 heures après le début de
la séance à 33,5°C environ. Il faut abaisser la température du dialysat à environ 34,8°C pour obtenir
un profil énergétique calorique similaire à celui de l’ultrafiltration isolée.

Les paramètres hémodynamiques évoluent différemment pendant la séance soit d’ultrafiltration,


soit d’hémodialyse. La pression artérielle moyenne décroît lors de l’hémodialyse à 37,5°C alors
qu’elle augmente lors de l’ultrafiltration isolée. Ceci corresponds à une chute de la résistance
vasculaire périphérique totale au cours de l’hémodialyse alors que celle-ci augmente au cours de
l’ultrafiltration isolée. Le débit cardiaque diminue légèrement au cours de l’ultrafiltration isolée

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alors qu’il reste stable pendant l’hémodialyse à 37,5°C, le tonus veineux augmente au cours de
l’ultrafiltration isolée alors qu’il diminue au cours de l’hémodialyse à 37,5°C 1.
Ces différences hémodynamiques sont expliquées principalement par les différences de bilan
thermique entre ces 2 modalités d’épuration extrarénale. En effet, l’hémodialyse réglée pour
obtenir un bilan énergétique apparié à celui de l’ultrafiltration isolée génère un profil
hémodynamique quasi-identique à celui de l’ultrafiltration isolée malgré de petites différences des
variations d’osmolalité (stable par définition au cours de l’ultrafiltration isolée à 300 mOsmol/kg
d’eau alors qu’elle diminue à 285 - 290 mOsm/kg au cours de l’hémodialyse). Ceci indique que les
variations de transfert d’énergie représentent le facteur essentiel rendant compte des différences
hémodynamiques entre l’hémodialyse et la l’ultrafiltration isolée.

Lorsque l’on compare l’hémodialyse à l’hémofiltration, on peut mettre en évidence également des
variations de transfert et de bilan thermique entre ces 2 modalités d’épuration extrarénale. Dans
des conditions d’expérimentation analogues à celles précédemment décrites, l’hémofiltration avec
un liquide de substitution à 36°C provoque une augmentation minime de la température centrale de
+ 0.1°C (ligne artérielle) après 3 heures d’hémofiltration, la température de réinjection réelle (ligne
veineuse) n’étant que de 34°C. Il faut augmenter la température du liquide de réinjection jusqu’à
39°C au cours de l’hémofiltration isolée pour reproduire les modifications de température et de
bilan thermique d’une hémodialyse à 37,5°C 2.
En terme de stabilité hémodynamique, l’hémofiltration à 36° augmente la pression artérielle après 3
heures de séance, la fréquence cardiaque est inchangée, de même que le tonus veineux. La
résistance vasculaire de l’avant-bras augmente témoignant d’une vasoconstriction musculo-cutanée,
l’ensemble de ces modifications étant différentes de celles observées avec l’hémodialyse-
ultrafiltration conventionnelle. Cependant lorsque la température du liquide de réinjection est
augmentée jusqu’à 39°C, reproduisant la balance énergétique d’une ultrafiltration-hémodialyse à
37,5°C, les modifications hémodynamiques sont alors totalement similaires à celles de l’hémodialyse
conventionnelle. Ceci montre que les spécificités hémodynamiques de l’hémofiltration sont
essentiellement liées aux différences de balance thermique entre les 2 modalités d’épuration
extrarénale.

Bien qu’une balance énergétique négative (dialyse hypotherme) améliore de façon certaine la
stabilité hémodynamique au cours de l’épuration extra-rénale, le recours systématique à cette
forme de traitement préventif des hypotensions perdialytiques ne peut être pour l’instant
recommandé en l’absence d’informations sur les conséquences de ces manœuvres sur les
circulations privilégiées, en particulier coronaires et des extrémités. L’on ne dispose pas
actuellement de donnée concernant les variations du débit sanguin coronaire et distal lors des
manipulations de la température centrale. Il est certainement prudent dans l’immédiat de ne pas
diminuer de façon trop marquée la température centrale chez des coronariens et les artéritiques
avérés. Une dialyse isotherme (sans gain ni soustraction de chaleur) est efficace et semble par
contre parfaitement bien tolérée. Il faut noter également que la mesure de la température sur la
plupart des générateurs d’hémodialyse reste encore approximative et ne permet pas d’ajuster
précisement la température centrale finale du malade.

Une autre question posée par les variations de redistribution circulatoire en fonction du bilan
thermique concerne la qualité de l’épuration extrarénale. En particulier, la vasoconstriction cutanée
induite par une dialyse hypotherme peut-elle modifier le pool de distribution de l’urée et sa
soustraction par l’épuration extrarénale ? Ce point a été spécifiquement étudié par le groupe de
Levin à New-York 3. Ce groupe a comparé l’influence d’une hémodialyse isotherme à une dialyse
légèrement hypotherme (- 0,2 °C versus + 0,3°C de température centrale). Alors que ces
modifications de la balance énergétique sont responsables des variations hémodynamiques
attendues, le rebond d’urée postdialyse et le KT/V effectif ne sont pas significativement affectés
par les variations de la balance énergétique.

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En conclusion, le bilan thermique au cours de la séance d’épuration extra-rénale contribue
fortement à la régulation de l’hémodynamique perdialytique. Au cours d’une séance d’hémodialyse
avec une température standard de dialysat à 37 - 38°C, le transfert d’énergie au patient augmente et
contribue à l’instabilité hémodynamique perdialytique. L’augmentation de la température centrale
dans cette circonstance est essentiellement liée à la vasoconstriction cutanée, favorisée par
l’ultrafiltration et d’autre part un bilan thermique extracorporel positif. En raison de variabilités
interindividuelles de la température prédialytique, la charge thermique est très variable et
incontrôlée au cours de la séance d’hémodialyse. Une balance thermique contrôlée nécessite une
adaptation individuelle de la température du dialysat lors de chaque séance.

Références
1. van der Sande FM, Gladziwa U, Kooman JP, Bocker G, Leunissen KM. Energy transfer is the single
most important factor for the difference in vascular response between isolated ultrafiltration and
hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2000 ;11(8):1512-7.

2. van Kuijk WH, Hillion D, Savoiu C, Leunissen KM. Critical role of the extracorporeal blood
temperature in the hemodynamic response during hemofiltration. J Am Soc Nephrol 1997 ;8(6):949-
55.

3. Kaufman A, Morris A, Lavarias V, et al. Effects of controlled blood cooling on hemodynamic


stability and urea kinetics during high-efficiencey hemodialysis. J Am Soc Nephrol 1998 ;9:877-883.

1. van der Sande FM, Gladziwa U, Kooman JP, Bocker G, Leunissen KM. Energy transfer is the single
most important factor for the difference in vascular response between isolated ultrafiltration and
hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2000 ;11(8):1512-7.

2. van Kuijk WH, Hillion D, Savoiu C, Leunissen KM. Critical role of the extracorporeal blood
temperature in the hemodynamic response during hemofiltration. J Am Soc Nephrol 1997 ;8(6):949-
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3. Kaufman A, Morris A, Lavarias V, et al. Effects of controlled blood cooling on hemodynamic


stability and urea kinetics during high-efficiencey hemodialysis. J Am Soc Nephrol 1998 ;9:877-883.

1. van der Sande FM, Gladziwa U, Kooman JP, Bocker G, Leunissen KM. Energy transfer is the single
most important factor for the difference in vascular response between isolated ultrafiltration and
hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2000 ;11(8):1512-7.

2. van Kuijk WH, Hillion D, Savoiu C, Leunissen KM. Critical role of the extracorporeal blood
temperature in the hemodynamic response during hemofiltration. J Am Soc Nephrol 1997 ;8(6):949-
55.

3. Kaufman A, Morris A, Lavarias V, et al. Effects of controlled blood cooling on hemodynamic


stability and urea kinetics during high-efficiencey hemodialysis. J Am Soc Nephrol 1998 ;9:877-883.

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