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AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

L’APPROCHE CHINOISE
DE LA NÉGOCIATION
Stratégies et stratagèmes
PAR GUY-OLIVIER FAURE
Université de la Sorbonne, Paris V
China - Europe International Business School, Shanghaï

« On ne doit pas cuisiner


du fromage de soja dans
une marmite à poisson »
souligne la sagesse populaire
chinoise. Négocier avec des
Chinois relève pourtant souvent,
pour les Occidentaux,
de cette alchimie très particulière
dans laquelle incertitudes
et incompréhensions
occupent une place
parfois démesurée.
Cela tient au fait que
le négociateur chinois
assied sa démarche
sur un ensemble d'hypothèses
radicalement différentes
de celles sur lesquelles
repose l'approche
de ses interlocuteurs
D.R.

occidentaux.
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ANNALES DES MINES - JUIN 1999
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

Les rapports entre la Chine et le reste du Webber, 1989]. Des négociations longues et com-
monde ont pris une extension considérable depuis plexes concernant, par exemple, des transferts de
la mise en œuvre de la politique d’ouverture issue technologie, la création de joint ventures associant
du programme des quatre modernisations. La entreprise chinoise et étrangère dans une activité
croissance chinoise se maintient à un taux souvent commune de production, sont ainsi relatées et ana-
proche de 10 % par an, et ce pays attire plus d’in- lysées dans le but d’expliquer différents événe-
vestissements étrangers que n’importe quel autre ments intervenus dans le cours sinueux du proces-
pays au monde. Transferts de technologie, création sus ainsi que le résultat final ;
de joint ventures, installation de filiales étrangères - des études à visée plus cognitive présentant les
sur le territoire chinois, prises de participation dans principales caractéristiques du négociateur chinois
des entreprises et des groupes industriels chinois telles qu'elles ressortent d'observations et d'expé-
en sont les principales manifestations. riences de terrain [Faure, 1995b ; Knutsson,
Toutes ces transactions impliquent des 1985 ; Lavin, 1994 ; Wang, 1981 ; Weiss et
négociations, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un Stripp, 1985]. Sa conception de la négociation
processus d’ajustement souvent long, complexe, et ainsi que le degré de coopération qu’il y associe
ponctué d’imprévus. Négocier avec des Chinois sont explicités. Des caractéristiques psychologiques
donne lieu à une alchimie très particulière dans et culturelles, ainsi que des valeurs, sont mises en
laquelle incertitudes et incompréhensions occupent évidence comme autant de facteurs susceptibles
une place parfois démesurée. Cela tient au fait que d’éclairer certaines dimensions de la personnalité
le négociateur chinois assied sa démarche sur un du négociateur chinois. La culture « néo-mercanti-
ensemble d'hypothèses radicalement différentes de liste » chinoise est opposée à l’approche néoclas-
celles sur lesquelles repose l'approche de ses inter- sique occidentale, dans laquelle tout gain ne se fait
locuteurs occidentaux. pas au dépens de l’autre partie. Le souci d’évite-
Une telle disjonction entraîne des réac- ment de l’incertitude, le sentiment d’obligation
tions teintées de doute et de méfiance. L’étranger a envers le groupe et la famille, le respect de la hié-
le sentiment d’être confronté à un interlocuteur rarchie et celui de l’autorité que confère l‘âge
agissant de manière indirecte, masquée, et dans la influent considérablement sur les comportements
plus grande opacité. Ce recours chinois au mode sociaux ;
allusif / métaphorique dans le cadre de buts soi- - des descriptions analytiques des techniques et des
gneusement dissimulés, génère une impression stratagèmes les plus fréquemment utilisés par les
d’impuissance voire d’irréalité, mettant le négocia- négociateurs chinois sont également proposées
teur étranger dans la situation d’un pêcheur qui [Adler, Brahm, Graham, 1992 ; Banthin et Stelzer,
s’efforcerait d’attraper le reflet de la lune dans un 1988 ; Kazuo, 1979 ; Pye, 1982 ; Pye, 1986 ;
étang. Stewart et Keown, 1989 ; Wilhelm, 1994 ;
Un certain nombre de travaux ont été Warrington et Mc Call, 1983]. Ceux-ci sont décrits
réalisés sur le thème de la négociation avec les comme posant plus de questions que leurs homo-
Chinois, dans le but de projeter un éclairage sur ce logues occidentaux, enclins à l’adoption d’attitudes Il ne saurait y avoir
qu'elle a de singulier. Ces travaux, essentiellement ultra-nationalistes, ayant volontiers recours à des d’affaires solides et
durables en Chine
d'origine anglo-saxonne, peuvent être regroupés tactiques visant à déstabiliser la partie opposée, en
si elles ne sont
en cinq catégories : quête des « fautes » qu’auraient pu commettre les confortées par une
- ceux de nature descriptive visant à illustrer et à interlocuteurs ainsi que leurs points faibles selon relation personnelle
expliciter le comportement des négociateurs chi- les principes maoïstes de la stratégie. Faire appel à qui sera le garant de
nois [Blackman, 1997 ; Boarman, 1974 ; Chen, des principes n’est qu’un moyen de se doter leur menée à bonne
1993 ; Deslandres et Deschandol, 1986 ; Faure et d’armes pour pilonner ensuite les positions de fin et de leur stabilité.
Chen, 1997 ; Galard, 1986 ; Lubman, 1983 ; de l’autre partie. Il en va de
Mente, 1989 ; Plasseraud, 1986 ; Seligman, même en ce qui concerne
1989 ; Tung, 1982]. Ces travaux montrent, par le recours au précédent.
exemple, les tactiques auxquelles ils ont le plus sou- Dans l’application des
vent recours, les principales préoccupations qui accords, l’emphase est
gouvernent leurs conduites, la manière dont ils davantage portée sur la
sont susceptibles de réagir devant un événement morale et l’équité que sur
particulier. Les comportements sont également dif- le respect de principes juri-
férenciés selon la génération à laquelle appartient diques. Enfin, il ne saurait
le négociateur, sa région d’origine et sa formation y avoir d’affaires solides et
professionnelle. Le caractère compétitif de la plu- durables en Chine si elles
part des tactiques utilisées est fréquemment souli- ne sont confortées par une
gné ; relation personnelle qui
- des études de cas relatant des négociations consi- sera le garant de leur
dérées comme particulièrement typiques de cet menée à bonne fin et de
D.R.

exercice [Chen et Faure, 1995 ; Faure, 1998, leur stabilité.


Faure, 1999b ; Hakam et Chan, 1990 ; Mann, - enfin, des développe-
1989 ; Shapiro, Behrman, Fisher, Powell, 1991 ; ments sur certains aspects
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GÉRER ET COMPRENDRE
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

particuliers de la négociation avec des Chinois, tels d'accéder à cette vision dynamique, évaluative et
que le système d'obligations mutuelles, les impéra- relativement inconsciente qui organise l'action du
tifs concernant la face, le rôle du réseau relation- négociateur chinois. Cependant, la nécessité
nel, la gestion du temps, le rôle de l’harmonie, les d'avancer dans ce domaine s'impose et les éléments
tactiques pour « faire honte », la vengeance, les de réponse qui suivent tentent de pallier ces
aspects relationnels [Brunner, Chen, Sun, Wu, manques.
1989 ; Brunner et Wang, 1988 ; Campbell, 1989 ;
Chen et Faure, 1995 ; De Paw, 1981 ; Faure,
1999a ; Frankenstein, 1986 ; Jehn et Weldon,
1997 ; Kirkbride et Tang, 1980 ; Kirkbride, Tang, UNE COMBINATOIRE COMPLEXE
Westwood, 1991 ; Murray, 1983 ; Redding,
1980 ; Solomon, 1987 ; Wall, 1993 ; Weldon et
al. 1996]. La conception chinoise du temps est, par
exemple, définie comme polychronique (l’individu Le style de négociation chinois a été
conduit plusieurs activités en même temps), non caractérisé comme essentiellement distributif, tout
linéaire, répétitive et essentiellement de nature en comportant des aspects intégratifs [Weiss et
réactive. La conception dominante de la négociation Stripp, 1985, p.12]. Cette observation, pour fon-
est relationnelle plutôt que substantielle, le premier dée qu'elle soit dans les catégories analytiques
aspect étant une condition sine qua non de la satis- anglo-saxonnes, véhicule une limite évidente. Elle
faction du second. Lors de l’apparition d’un conflit, tend à réduire et à déformer en même temps l'ob-
les attitudes privilégiées sont l’action indirecte ou la jet dont elle est sensée rendre compte. En outre,
passivité. Les préoccupations de face font partie les concepts auxquels elle fait référence ne sont pas
des enjeux dont les coûts de résolution sont les plus appropriés à la saisie de ce qu'est la vision chinoise
élevés, notamment lors de blocages. de la négociation ni des conduites qu'elle est sus-
Il existe un petit nombre d'essais rendant ceptible d'engendrer. Pour appréhender celle-ci de
compte de la culture chinoise ancienne, de ses com- façon pertinente, il faut penser l'activité de négo-
posantes confucéenne et taoïste, et de leurs pos- ciation à partir de catégories issues du terrain et
sibles incidences sur les comportements actuels exprimables dans un langage commun par la partie
[Audrey, 1974 ; Boorman, 1972 ; Kircher, 1991 ; chinoise comme par la partie occidentale.
Lin, 1997 ; Ping et Bloodworth, 1972 ; Shenkar et L’une des difficultés fondamentales à
Ronen, 1987 ; Senger, 1992 ; Yang, 1957]. Le penser et conceptualiser la négociation tient à la
rôle occupé par la mémoire historique ou encore non superposition des paradigmes utilisés. La
l’emphase portée sur des vertus telles que la démarche intellectuelle occidentale est de nature
patience, le souci du maintien de l’harmonie, le res- analytique tandis que son homologue chinoise est
pect dû à l’autorité hiérarchique ou sur les obliga- de nature holiste. Le Français, par exemple, s’ef-
tions sociales sont particulièrement soulignés. force, selon un principe cartésien, de segmenter
L’influence exercée par le « guanxi », sorte de l’objet de la discussion en sous-ensembles, en sous-
réseau informel auquel appartient chaque individu, groupes de points à négocier. Cette méthode per-
les contraintes familiales pesant sur lui éclairent met d’éclater les problèmes trop complexes en uni-
nombre de conduites dans les entreprises considé- tés plus restreintes plus faciles à saisir intellectuel-
rées, autrement, comme inexplicables. lement et, par voie de conséquence, plus faciles à
En revanche, il n'existe aucun travail résoudre. Le négociateur chinois, lui, tend à adop-
empirique et systématique portant sur l'articula- ter une approche globalisante. Il appréhende
tion entre la conception chinoise de la négociation d’abord l’ensemble et n’en traite les différents élé-
et l'action directement observable. Or la question ments qu’en relation avec cet ensemble. En outre,
portant sur la vision chinoise de la nature du jeu qui il ne sépare pas l’objet de la discussion du contexte
est pratiqué lors d'une négociation est véritable- dans lequel il s’inscrit. Le contraste présenté par
ment la question fondamentale qui gouverne ces deux méthodes rend extrêmement malaisée
toutes les autres. Cette vision est l'une des causes toute élaboration conceptuelle commune. Ici enco-
génératrices des comportements observés car elle re l’interculturel renvoie à des enjeux qui dépassent
est le référentiel qui donne son sens à l'action. largement l’ordre du langage.
Mettre à jour cette vision, découvrir les principes Taoïsme et confucianisme fonctionnent
qui organisent le regard de l'autre, c'est disposer au niveau des valeurs comme les deux pôles anta-
d'une clé permettant de comprendre et d'expliquer gonistes et complémentaires de la pensée chinoise
les conduites qu'elle suscite. A quel jeu joue-t-on et des pratiques qu’elle génère [Lin, 1997]. Le
quand on est Chinois et que l'on négocie avec des taoïsme exprime un équilibre dynamique dont le
étrangers ? Quelles sont les métaphores qui per- désordre est tempéré par la construction confu-
mettent de saisir et d'expliciter cette conception ? céenne. Dans le même temps, c’est la poésie du
La discrétion de la littérature scientifique taoïsme et sa puissance d’innovation qui rendent
sur ce point n'est pas sans rapport avec la difficul- supportable la rigueur et l’idéalisme moral confu-
té de la question. Il est particulièrement malaisé céen.

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AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

L’activité de
négociation est conçue
comme une lutte dans
le cadre d’un conflit
d’intérêt.
L’interlocuteur, défini
comme un adversaire,
est passible de
jugements de valeurs
qui peuvent être
connotés très
négativement
et, par voie de
conséquence, donner
une grande liberté
d’action à son égard.

LE CONFUCIANISME

Davantage philosophie sociale que


religion, la pensée de Confucius est une voie
destinée à mettre un terme aux désordres, à la

D. R.
violence et aux conflits dans la Chine ancienne.
L’ordre, la paix et l’harmonie seront rétablis si La négociation dans son acception chinoi-
l’on étend à la société toute entière les principes se traditionnelle est une activité limitée à un
régissant les rapports entre les membres d’une nombre très restreint de domaines. En effet, dans
même famille. Les droits et les devoirs de cha- la société confucéenne, une hiérarchie prédétermi-
cun doivent être définis en fonction de son sta- née fixait les relations d’autorité entre ses diffé-
tut et de sa position par rapport aux autres, rents composants. Seules les situations dans les-
supprimant ainsi toute occasion de confronta- quelles les parties en présence apparaissaient de
tion. Ce n’est pas l’individu lui-même qui fait statut égal - telles le commerce et la guerre - don-
sens mais la totalité dans laquelle il est inséré. naient lieu au développement d’une activité de
Cinq relations dites « cardinales » négociation.
illustrent l’application de ces principes : les rela- Si le confucianisme est d’essence conser-
tions entre le souverain et ses sujets, entre père vatrice, le taoïsme, autre source importante de la
et fils, entre le frère aîné et le cadet, entre mari culture chinoise, est porteur d’une authentique
et femme, entre amis d’âge différent. Dans ce dynamique. Il fournit les moyens de l’action dans
dernier cas, c’est l’âge, par la sagesse qui y est des situations complexes à partir d’un cadre de
associée, qui assigne l’ordre des préséances. pensée intégrant des contraires. En cela, il s’avère
C’est l’éducation qui constitue le vec- beaucoup plus favorable au développement des
teur de transmission de ces principes de hiérar- pratiques de négociation.
chie et d’harmonie. La culture et l’art (calligra- L’acception chinoise contemporaine com-
phie, peinture, musique, poésie) sont des voies bine deux types très différents d'exercices, la guer-
d’expression et d’entretien des vertus qui font re de mouvement qui opère sur un registre tac-
l’homme civilisé. A ce titre, l’art ne relève pas tique d'essence conflictuelle et la recherche com-
seulement d’un jugement esthétique mais recèle mune qui renvoie à une démarche conjointe de type
en lui une activité d’ordre moral. La calligraphie, exploratoire à visée cognitive. La première est la
forme la plus élevée de l’expression visuelle, plus facilement observable. C’est celle à laquelle la
communique le subtil et l’indicible de la person- plupart des négociateurs étrangers se trouvent
nalité profonde de son auteur. confrontés à plus ou moins bref délai. Elle est illus-
A partir de la dynastie Han (deuxième trée par une série d’actions parfois très spectacu-
siècle avant notre ère), le confucianisme impré- laires dont le but est d’affaiblir suffisamment la
gna toutes les couches de la société chinoise. position de l’autre pour l’amener à réduire ses pré-
Récemment, le deux mille quatre cent cinquan- tentions et faire prévaloir ses propres intérêts.
tième anniversaire du maître a été célébré dans La seconde, la recherche commune, est
toute la Chine. La bureaucratie chinoise, avec une sorte de voyage dans l’inconnu, orienté vers la
son principe hiérarchique, ses rangs, ses privi- construction d’un équilibre conjoint. Les termes de
lèges, doit probablement davantage à l’héritage cet équilibre sont élaborés ensemble et doivent être
confucéen qu’au modèle soviétique. assemblés comme les éléments d’un navire qui
serait ensuite lancé à l’épreuve des flots. Il s’agit là

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GÉRER ET COMPRENDRE
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d’un exercice coopératif par essence mais infini-


ment plus complexe à gérer que ne l’est la guerre
LE TAOÏSME de mouvement.
Les négociations à motivation mixte,
Fondée vers l’année 604 de notre ère coopérative et compétitive, telles que l’achat/vente
par Laozi, à qui l’on attribue la rédaction du Tao ou le transfert de technologie, peuvent donner lieu
Te King, elle est la seule religion d’origine chi- à l’apparition de l’une ou l’autre de ces deux
noise. Son concept central, le « Tao », ne peut approches ou encore les voir se succéder l’une à
être ni perçu, ni imaginé et encore moins expri- l’autre. Les négociations de nature plus coopéra-
mé par des mots. tives, telles que la création de joint- ventures, ne
C’est un chemin dans l’univers, le pou- sont pas pour autant exemptes de conflits et intè-
voir de la nature, des règles de conduite pour grent également ces deux types d’exercices selon
rester en harmonie avec l’ordre naturel. une dominante dépendant du contexte, des parties
L’univers est gouverné par deux prin- en présence, des intentions réelles des acteurs ainsi
cipes, le yin et le yang, c’est-à-dire le masculin que de la perception que chacun a de l’autre.
et le féminin, le clair et l’obscur, le chaud et le
froid, etc. L’unité s’inscrit dans la dualité des
forces qui se complémentent tout en paraissant
s’opposer. LA GUERRE DE MOUVEMENT
La dominance d’une force n’exclut
jamais l’autre. Simplicité, authenticité et discipli-
ne personnelle contribuent à l’entrée dans la
voie du Tao. A l’inverse du confucianisme, le L'activité de négociation est conçue
taoïsme rehausse les valeurs d’autonomie per- comme une lutte dans le cadre d'un conflit d'inté-
sonnelle. rêt. L'interlocuteur est défini comme un adversai-
La doctrine initiale a donné naissance re. Il est passible de jugements de valeurs qui peu-
à trois formes d’expression. L’une, philoso- vent être connotés très négativement et, par voie
phique et qui affirme la possibilité d’accorder sa de conséquence, donner une grande liberté d'action
vie avec l’harmonie universelle en fondant celle- à son égard, voire une absence manifeste de scru-
ci sur les principes de celle-là. La vertu consiste pules sur les moyens employés pour parvenir à ses
alors à savoir s’adapter. fins.
L’autre est d’ordre ésotérique et pose La ruse occupe une place centrale dans
que le pouvoir qui régit l’univers est de nature cette activité car, non seulement elle n’est pas
psychique. Chacun peut accéder à une parcelle connotée négativement, mais elle est l’expression
de ce pouvoir en recourant à des techniques d’une véritable philosophie de l’existence [Lin,
particulières, telles que la méditation. 1997, p. 69]. Être rusé, c’est faire preuve d’habi-
La troisième propose des activités à leté, d’ingéniosité, d’intelligence, de créativité.
caractère résolument pratique en traitant de C’est assurer la revanche du faible sur le fort, c’est
divination, de médecine, de magie, d’exorcisme. témoigner de sa capacité à réussir dans un contex-
Cette forme de croyance a connu une te difficile, au service d’une cause qui pourra tout
diffusion très large dans toutes les couches de la justifier.
population chinoise. Très récemment, de nom- La négociation est un jeu à la Sun Zi (un
breux temples répartis dans toute la Chine ont conseiller en stratégie militaire dans la Chine des
repris leur activité. Royaumes Combattants, il y a 25 siècles), c’est-à-
La géomancie (feng shui) connaît un dire une savante orchestration de stratagèmes des-
essor tout particulier comme moyen de décision tinés à affaiblir l'adversaire, l'induire en erreur, le
en matière de choix d’un lieu de construction, piéger et progressivement le réduire à merci. Pour
d’orientation d’un immeuble, d’une maison, Sun Zi, le stratège « s'approche de l'objectif par
d’une usine, d’une tombe ou encore de choix des voies détournées. En choisissant un itinéraire
d’une date de commencement des travaux et tortueux et lointain, il peut parcourir mille li sans
d’inauguration. rencontrer d'opposition ».
Cette discipline postule que la terre
est parcourue par des flux qui s’entrecroisent,
se combinent ou se neutralisent.
Cette respiration cosmique corres- L’organisation du combat
pond aux souffles du dragon qu’il s’agit d’aus-
culter afin d’identifier des lieux et des directions
propices.
Les tactiques utilisées sont extrêmement
nombreuses et variées dans leur inspiration. Il
s'agit, par exemple, de s'assurer du contrôle du

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AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

contribue à le mettre en difficulté. Jouer sur le fait


qu'il est redevable à l'égard des Chinois, qu'il ne
doit pas montrer d'ingratitude au regard de ce qu'il
a antérieurement reçu, c'est « emprunter un
cadavre pour le retour de l'âme », faire renaître
quelque chose du passé pour servir un objectif du
présent.
Le respect d'un principe logique dit de
non-contradiction, attribut ordinaire des « diables
étrangers », n'a pas cours dans la structuration de
l'argumentaire accompagnant les demandes chi-
D. R.

noises [Lavin, 1994]. Le critère ordonnateur n'est


pas la rigueur logique de la démonstration mais la
satisfaction d'intérêts composites et non présen-
tables en tant que tels.
Tous les propos tenus sont consignés par
écrit par la partie chinoise. Ainsi, tout ce qui a été
terrain car l'avantage est à celui qui organise la dit sera un jour versé au bilan, rien ne sera oublié.
négociation et en maîtrise les facteurs contextuels. En revanche, toute déclaration chinoise non réfutée
Il peut s'avérer particulièrement efficace de couper par la partie adverse sera considérée comme vali-
l'autre de ses bases c’est-à-dire, dans la langue clas- dée de fait et accroîtra d'autant la position de débi-
sique, « d’attirer le tigre de la montagne vers la teur de cette dernière.
plaine », situation qui est typiquement celle de
l'étranger venant négocier en Chine. Il s'agit aussi
de priver l'autre d'une partie de ses moyens en
l'enserrant dans des usages et des rituels, en pla- Les stratagèmes classiques
çant la négociation dans un cadre où l'on peut mon-
trer sa puissance. C'est, en effet, grâce à ses griffes
et à ses crocs que le tigre peut soumettre le chien.
Ainsi « à force d’être limé, un pilon en fer finit par Impressionner, faire peur, montrer sa
ne plus être plus gros qu’une aiguille ». détermination vis-à-vis de l'étranger, s'inscrit dans
Mettre l'autre en position de demandeur, le registre des techniques coercitives. C'est, en l'oc-
c'est l'enfermer dans un rôle qui fut celui des tri- currence, « tuer la poule pour intimider le singe »,
butaires dans la Chine traditionnelle, lorsqu'ils c’est-à-dire tirer un coup de semonce destiné à
venaient accomplir leurs devoirs et apporter des ramener l'autre à la « raison ».
offrandes au Fils du ciel. Le tribut d'alors est rem- La division du camp adverse en jouant
placé par la technologie et le négociateur, en tant sur d'éventuels désaccords entre les différents
que demandeur, se doit de faire les premières membres de la délégation étrangère doit être pro-
concessions. Dans tous les cas, le rôle de l’étranger voquée, renforcée et exploitée. Il s'agit de semer la
n’est conçu que comme devant être mis au service discorde et de « profiter de l'incendie pour com-
de la Chine. mettre un vol », c’est-à-dire, ici, pour obtenir un a-
L'assimilation du négociateur de l'autre vantage indu.
partie à un « tigre », c’est-à-dire à un carnassier Générer la confusion pour utiliser à son
perçu comme puissant et impitoyable, conduit à profit la situation ainsi faite, ajouter à l'opacité du
concevoir la négociation comme un combat dans contexte, peut conduire à obtenir des gains inespé-
lequel il faut conjuguer force et ruse pour défaire rés. Il s'agit là d'une pratique ancestrale consistant
l'autre et l'amener à réduire ses prétentions. Une à « troubler l'eau pour prendre les poissons ».
telle représentation autorise des actes « d’autodé- La fausse concession, ici « jeter une
fense » implacables qu'il serait illégitime de mettre brique pour gagner un morceau de jade », fait par-
en oeuvre si l'étranger n'était perçu que comme tie de l'arsenal des tactiques de « bonne guerre ».
une « volaille à plumer », c'est-à-dire une victime Il s'agit de donner à l'autre quelque chose qui est
seulement coupable de sa propre naïveté. de peu de valeur pour soi en jouant sur son igno-
L'atteinte au moral est une tactique qui rance. Il n'est pas inhabituel de rechercher les
contribue à affaiblir ce dernier, à le faire douter, à points faibles de l'adversaire afin de les exploiter.
diminuer sa combativité. Il s'agit, selon la formule Ainsi les échéances auxquelles un négociateur peut
classique, de « retirer les bûches sous le être soumis ou encore les enjeux pesant sur lui en
chaudron », c’est-à-dire de tarir la source d'énergie termes de carrière peuvent contribuer à affaiblir
qui anime l'autre. considérablement sa position. Rendre l'autre plus
Culpabiliser l'étranger, lui rappeler des vulnérable peut être également obtenu en créant
« erreurs du passé » dont on lui attribue la res- une concurrence, réelle ou feinte, avec d'autres
ponsabilité ou que l'on fait porter à son pays, offreurs sur le marché.

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GÉRER ET COMPRENDRE
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX
D.R.

Dans les gains


respectifs obtenus au
jeu de Gô, chacun
trouve sa part mais
selon un principe de
non-équivalence dont
la réalisation justifie
l’extraordinaire
quantité de moyens
mis en œuvre.

La guerre de mouvement s'ordonne Les tactiques de laminage visent à rabais-


autour de tactiques de harcèlement, de déstabilisa- ser les prétentions de l'autre partie en faisant des
tion, d'épuisement et de laminage. Le harcèlement contre-offres à des niveaux très inférieurs, en
consiste à submerger la partie adverse sous un affectant l'indifférence sur l'obtention de l'accord
déluge de questions et, ainsi, lui faire perdre ses final (« la Chine a vécu 5 000 ans sans votre tech-
points de repère. Déstabiliser l'autre peut s'obtenir nologie, elle peut encore attendre un peu ») ou
en gérant le processus de négociation sur un mode encore en faisant traîner les négociations indéfini-
continu, sans aspérités manifestes et en ponctuant ment afin que le doute s'insinue et fasse son
occasionnellement celui-ci d'explosions brutales, oeuvre.
apparemment incompréhensibles, ou encore d'ab- Lorsqu'une concession s'avère indispen-
sences délibérées et inexplicables. Le goût quasi sable pour parvenir à un accord, il s'agit d'aller jus-
obsessionnel du Chinois pour le secret et la dissi- qu'aux limites extrêmes de la discussion et de ne
mulation d'information rend d'autant plus difficile consentir à la faire que si c'est l'existence même de
l'identification des causes de ce type de crises. la négociation qui est en jeu. Ainsi, il n'est pas
Dans les tactiques d'épuisement, c'est la exceptionnel de voir, par exemple, des accords
lassitude physique et psychologique de l'autre qui signés à l'aéroport même, au moment où les négo-
est recherchée en se battant, par exemple, avec la ciateurs étrangers, rentrant dans leur pays, allaient
dernière énergie sur le moindre détail, en posant franchir les premiers contrôles de police. Les stra-
sempiternellement les mêmes questions et en lais- tégies de négociation dites « au bord du gouffre »
sant l'autre se vider de ses arguments. sont autant d'exercices funambulesques pour les-

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AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

quels les Chinois témoignent d'une virtuosité


exceptionnelle. Lorsqu'il n'est pas nécessaire de
côtoyer les extrêmes pour parvenir à un accord, il LA RECHERCHE COMMUNE
s'agira alors d'exploiter le caractère coopératif de
la situation pour exiger des concessions de derniè-
re minute. La négociation internationale peut être
Le changement de terrain d'affrontement conçue, du côté chinois, comme un face à face
fait également partie de la panoplie des techniques entre « civilisés » et « barbares ». Entre « civili-
classiques. Il s'agit de rechercher un terrain plus sés », les interactions sont régies par des codes
favorable que celui sur lequel la discussion s'était i- strictement définis car c'est la conformité au rituel
nitialement engagée. Ainsi, le terrain politique ou qui fait le civilisé. En revanche, la présence du «
politico-historique, pour incongru qu'il puisse barbare » comme interlocuteur autorise à son
paraître dans une négociation commerciale, est un endroit, l'usage d'un registre plus étendu et de
lieu où, forts des avanies et humiliations subies au nombreux coups deviennent permis.
19e siècle (traités inégaux, destruction du Palais La maîtrise technologique ne suffit pas à
d'été), les Chinois déploient des arguments polé- sortir de la catégorie des barbares. Elle ne confère
miques avec une aisance incomparable. qu'une supériorité circonscrite à un seul niveau de
En outre, il faut être circonspect à l'égard la réalité sociétale et, de plus, à caractère provisoi-
du risque encouru. Il est d'une prudence élémen- re. Lorsque l'interlocuteur, par sa connaissance du

D.R.
taire de « ne pas agacer les moustaches du tigre contexte, sa familiarité avec la culture chinoise et
lorsqu'il dort » si l'on ne veut pas s'exposer au pire. sa maîtrise des bonnes manières, est assimilé à la
En d'autres termes, une stratégie ne peut être catégorie des « civilisés » et intégré dans un
viable que si elle est en rapport avec les moyens « guanxi » c’est-à-dire un réseau de personnes soli-
dont on dispose. La mise en oeuvre, par exemple, daires, il est alors partie prenante d'un autre jeu
de techniques de grignotage dans la négociation basé sur une logique très différente, celle qui gou-
permet, à la longue, des gains sans risque excessif. verne une quête en commun. Il s'agit de négocier
Il suffit de mettre en place un processus, apparem- la construction du problème plutôt que sa résolu-
ment indolore, d'obtention de mini-concessions en tion. Ce faisant, on sort de la logique de défiance
continu. propre au Chinois comme attitude initiale dans une
relation avec un interlocuteur inconnu. Cette
seconde conception indique un chemin, une orien-
tation à l'action, un état d'esprit. Elle pourrait être
Guerre et jeu de Gô considérée comme héritée du taoïsme, dans la
mesure où elle vise à construire un équilibre entre
les divers éléments du jeu, à établir une harmonie
stabilisatrice dans cette rencontre incertaine qu'est
La métaphore de la guerre comme illus- la négociation.
tration de l'activité de négociation dans la culture
chinoise voit sa pertinence limitée à un certain
nombre d'actions concrètes et de stratégies du type
de celles explicitées ci-dessus. A l'image du jeu Déductions et décodage
d'échecs, la guerre vise à vaincre l'autre, à le sou-
mettre, à le détruire. Il s'agit de concentrer des
moyens afin d'abattre l'adversaire et parvenir ainsi
à une victoire totale. Le moyen de cette recherche commune
Dans le cas chinois, la guerre de mouve- est une activité rituellement contrôlée, aux limites
ment est davantage inspirée du jeu de Gô que du formelles balisées et où opèrent les outils subtils de
jeu d'échecs tel qu'il est pratiqué en Occident. la perception et du décodage, à l'image de l'établis-
L'objectif final n'y est pas de vaincre mais de mar- sement du diagnostic médical dans la Chine tradi-
quer un avantage sur l'autre, en l'occurrence de tionnelle, appuyé sur des perceptions extrêmement
comptabiliser plus de points. Les manoeuvres pour ténues. Le pouls était, en ce temps là, le seul indi-
y parvenir consistent à organiser des chaînes, à cateur accessible et le praticien, formé à distinguer
créer des aires d'influence, à contrôler des terri- entre neuf pouls de nature différente devait à par-
toires, à constituer des anneaux d'encerclement. tir de cette source unique tout déduire de l'état du
Cette activité, qui a les apparences d'un jeu machia- malade. Le décodage implique un savoir-faire non
vélique, obéit en réalité à une logique sensiblement moins exigeant et dans la pratique duquel toute
différente, celle de l'ajustement préjudiciel. Dans erreur peut avoir des conséquences graves.
les gains respectifs obtenus, chacun trouve sa part L’exercice est de nature complexe, à l’instar de la
mais selon un principe de non-équivalence dont la distinction entre les vingt-sept types différents de
réalisation justifie l'extraordinaire quantité de sourires qui ont été recensés dans l’opéra pékinois :
moyens mis en oeuvre. sourire d’admiration, de tristesse, de colère, de

43
GÉRER ET COMPRENDRE
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

soulagement, de jalousie, de remords, de dissimu- loyauté ne peut être établie qu'à ce prix. En outre,
lation, d’arrogance, etc. Pour être en phase avec le la mise en oeuvre du principe confucéen d'harmo-
cours des événements, il s’agit d’identifier le sens nie requiert la recherche d'un état d'équilibre par a-
dont il est réellement le vecteur. De la même justements successifs excluant la révélation d'oppo-
manière, la recherche commune requiert quatre sitions d'intérêt. Information et positions des
types d'action : observer, écouter, demander, sen- acteurs ne pouvant être explicitées, sous peine de
tir, tout en sachant que le maintien de l’harmonie contrevenir à ces règles fondamentales, la fixation
implique d’éviter autant que faire se peut de de cet état d'équilibre correspondant en Occident à
demander. C'est à partir des données ainsi ce que l'on appelle un accord, devient un exercice
recueillies que l'interaction va se développer. particulièrement long et laborieux. Deviner les
Dans l'optique chinoise, cette discussion besoins de l’autre et devancer leur satisfaction fait
n'est pas assimilable à un débat au sens occidental alors partie des convenances sociales en vigueur
du terme mais à des échanges, plutôt destinés à dans ce type de contexte. Il ne faut pas que l’inter-
faire avancer le problème qu'à promouvoir sa locuteur ait à les exprimer, même de façon détour-
propre position. Il s'agit non pas d'optimiser sa née, car c’est sa face qui serait en jeu. Ainsi que le
performance sur un itinéraire déjà tracé mais de souligne la sagesse populaire, « les êtres humains
construire la route à prendre. La voie pour y par- redoutent de perdre la face comme les arbres
venir consiste à « parler peu et éviter de prendre redoutent de perdre leur écorce ».
position » car l’absence d’excès est la vertu du sage Le négociateur chinois applique, ce fai-
[Jullien, 1991]. sant, un principe d’efficacité qui consiste à se « glis-
Cette activité ne peut être appréhendée ser dans le cours continu, oscillant et fluide, des é-
dans les termes d'un jeu à somme nulle car elle ne vénements » [Jullien, 1992]. A l’apparent détache-
s'exerce pas selon une logique répartitive. C'est la ment intérieur, répondent des manifestations sen-
partie « discussion » de la transcription du concept sibles et contrôlées. Il s’agit d’utiliser la dynamique
chinois de négociation « Tan Pan », littéralement du processus d’une façon quasi passive afin de ne
« discussion et jugement » [Faure, 1995]. La par- pas compromettre l’équilibre existant. Le taoïste se
tie « jugement », génératrice de conflit, est une place « au centre de l’anneau et laisse les choses
composante essentielle de la pensée chinoise s’accomplir spontanément » [Kaltenmark, 1965].
[Granet, 1934], laquelle est non pas orientée vers Dans une telle situation, l'apprentissage
la connaissance mais vers la sagesse et assigne une joue un rôle tout à fait essentiel. Il contribue non
direction normative aux conduites. Ceci se traduit seulement à permettre de mieux connaître l'inter-
dans tous les actes de la vie chinoise, y compris locuteur ainsi que sa culture mais à acquérir tout
dans l'urbanisme des villes, l'orientation des bâti- un ensemble de significations nouvelles qui pren-
ments ou celle des tombes et doit ainsi concourir à dront progressivement place dans une configura-
un certain ordre de l'univers. Ici, l'aspect « juge- tion cognitive inédite. A cet égard, des informa-
ment » est en quelque sorte neutralisé, dans la tions sur l’autre, son rôle, son passé, ses centres
mesure où, s'il y a des valeurs en jeu, elles sont d’intérêts, son entreprise, son mode de fonction-
partagées par les parties en présence, selon la règle nement, sa conception de l’économie, du marché et
confucéenne qui implique que « sans principes de ses rapports avec ses partenaires, ses fournis-
communs, il est inutile de discuter » [Confucius, seurs, ses clients, constituent autant de pierres
XL, 40]. L'activité d'élaboration en commun satis- apportées à l'édifice en construction.
fait à cet impératif chinois séculaire, selon lequel il L'esprit de conciliation, qui domine dans
faut siniser la nouveauté pour la rendre acceptable cette approche, conduit à l'application d'un princi-
[Chen Yan, 1989]. pe d'équité, celui d'une symétrie tempérée par l'in-
égalité des besoins qu'elle est sensée satisfaire.
Dans un contrat de joint-venture, par exemple, l'in-
vestisseur étranger introduit une clause de sauve-
La règle de l’implicite garde en cas de décision politique susceptible de
nuire gravement à ses intérêts, telle que la natio-
nalisation de tous les actifs détenus par les étran-
gers. La partie chinoise suggère la même insertion
La recherche commune, exploration dans dans l'hypothèse d'une mesure identique prise par
l'incertain à partir de valeurs partagées, est une le gouvernement étranger, même si l'on voit mal
activité de longue haleine qui fait naître beaucoup comment il pourrait saisir un bien sur un territoire
d'impatience chez les négociateurs occidentaux, sur lequel il n'exerce pas de souveraineté.
parfois une incompréhension manifeste sinon un L'harmonie se gère aussi dans le symbolique.
doute lancinant. Le caractère, en apparence inter- L'approche cognitive chinoise tend à
minable, de cette entreprise tient à sa nature l'appréhension globale et simultanée de l'ensemble
même, c’est-à-dire à l'approche cognitive dévelop- des éléments situationnels. En cela, elle s'oppose
pée par le négociateur chinois plutôt qu’au peu de radicalement à la tradition analytique occidentale.
valeur que ce dernier accorderait au temps. La Cette conception holiste d'un objet complexe sup-

44
ANNALES DES MINES - JUIN 1999
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

pose un très long travail d'inventaire avant de pas- organique entre sources d'influence [Needham,
ser à l'action proprement dite. La notion chinoise 1974]. Ainsi, la démarche déductive à l'occidentale
du temps, considéré le plus souvent comme une perd beaucoup de son utilité et le problème posé
ressource assez largement disponible, ajoute enco- aux négociateurs devient la découverte d'un mode
re à la durée du processus puisque celle-ci n'est de raisonnement compatible avec les deux cultures.
pas considérée comme un inconvénient. En outre, A cet égard - et à l'encontre des cultures natio-
la politesse veut que l'on ne manifeste pas ouver- nales - la culture professionnelle peut jouer un rôle
tement son impatience car ce serait perdre le déterminant dans la construction commune car elle
contrôle sur soi-même et ainsi abandonner un peu fournit immédiatement un langage et des réfé-
de sa face sociale. rences communes. C'est de la pertinence de cette
« La bienveillance du ciel vaut moins construction dans sa définition des fins poursuivies
qu’une terre fertile, une terre fertile vaut moins et des valeurs mises en avant que dépendra l'effi-
que l’harmonie entre les hommes » proclamait cacité de l'exercice même de la négociation et le
Mencius. Ce souci de préservation de l'harmonie caractère durable de l'accord.
conduit selon le principe de « keqi hua », à n'avoir
recours qu'aux approches et à la communication
indirectes. Dans la Chine traditionnelle, seuls les
démons étaient sensés se déplacer en ligne droite.
Si le jeu indirect évite tout risque de confrontation
ouverte, il induit deux effets secondaires : l'allon-
gement du processus ainsi qu'une plus grande opa-
cité des signaux recueillis.
Enfin et surtout, c'est par sa nature
même que cette recherche commune tend à se

D.R.
pérenniser singulièrement car il ne s'agit plus, en
effet, d'échanger, par exemple, des concessions à
partir de règles d'équivalence établies mais de
construire une sorte de puzzle, c’est-à-dire une
figure inconnue, à partir de morceaux dont un cer-
tain nombre sont manquants et qu'il conviendra
par conséquent d’inventer. C'est l'esquisse de cette
configuration, qu'il faudra ensuite stabiliser, qui LES CONSÉQUENCES ULTIMES
constitue le véritable objet de cette quête.

Par son caractère spectaculaire et éprou-


Une logique culturalisée vant, la guerre de mouvement est la partie la plus
visible, la plus concrète et la plus facilement acces-
sible dans la configuration globale de la négocia-
tion. Dans les descriptions, c'est à elle qu'il est le
C'est un jeu métaphorique qu'il s'agit de plus souvent fait référence. En revanche, la
construire et dont il faut, chemin faisant, définir les recherche commune est une démarche en filigrane
principes de fonctionnement. Les Américains ten- qui ne dit jamais son nom. Si l'une des parties la
dent à concevoir la négociation comme un jeu de désignait en tant que telle, elle s'exposerait. Elle se
compétition, les Français comme un exercice de déduit simplement à partir d'un certain nombre
logique démonstrative, les Latino-américains d'indicateurs, qui en sont les signes extérieurs. Le
comme un rapport socio-émotionnel. La combina- temps joue un rôle essentiel dans la découverte des
toire culturelle résultant de l'interaction entre la mécanismes régissant les apparences. « Un puits ne
partie chinoise et la partie étrangère se doit, fût - se creuse pas d’un coup de pioche, un dragon ne se
ce dans l'inconscient des acteurs, de produire par i- peint pas d’un trait de pinceau » affirme la sagesse
térations successives une métaphore appropriée à populaire. Il faut prendre le temps de la découver-
la réalité. te, celui de l’intériorisation, puis celui de la prépa-
L'approche est malaisée et complexe car ration à l’action. Dans l’optique chinoise, il n’y a pas
les démarches culturelles fondamentales sont sou- d’affaire d’importance qui soit envisageable sans
vent antagonistes. Le Chinois part de la totalité une relation de qualité pour la fonder. Là aussi c’est
pour aller vers la partie ainsi que le montre, par le temps qui est le principal pourvoyeur, par l’ap-
exemple, la rédaction de l'adresse sur une envelop- prentissage qu’il permet.
pe, alors que le Français prend exactement l'itiné- La conception chinoise de la négociation
raire inverse. La causalité dans la culture chinoise intègre de façon alternative ou combinée ces deux
n'est pas d'ordre logique ou mécaniste mais de types d'exercices : l'un, centré sur l’appropriation
l'ordre du réseau des connexions, du jeu interactif, des gains, la guerre de mouvement ; l'autre, sur la

45
GÉRER ET COMPRENDRE
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

recherche commune. Chacune de ces deux


démarches peut exister sans l’autre. Dans ce cas, BIBLIOGRAPHIE
on a affaire à une assez forte homogénéité de l’ap-
proche qui, même si elle demeure complexe, n’est ADLER, N., BRAHM, R., GRAHAM, J. « Strategy
Implementation : A Comparison of Face-to-face Negotiations in
pas fondée sur plusieurs dimensions. Ainsi, la guer- the People's Republic of China and the United States ».
re de mouvement prévaudra dans les situations Strategic Management Journal, Vol.13, 1992.
d’achat ou de vente, les transferts de technologie
ou encore dans les opérations ponctuelles. En AUDREY, F. La Chine, 25 ans, 25 siècles. Paris, Seuil, 1974.
revanche, la recherche commune prédominera plus BANTHIN J. ; STELZER L. « Opening China : negotiation stra-
facilement, sans que cela soit pour autant une tegies when East meets West ». The Mid-Atlantic Journal of
règle, dans le cadre d’une création de joint-venture Business, 25, 2-3, dec. 1988.
ou d’une définition de stratégie de marché. Il est un
BLACKMAN C. Negotiating China., Australia, Allen & Unwin, 1997.
nombre important de circonstances dans lesquelles
les deux démarches apparaîtront de manière BOARMAN, P.(ed.) Trade with China. New York, Praeger, 1974.
séquentielle et, parfois, même, combinée.
Un proverbe d’usage courant stipule un BOND, M. (ed.) The Psychology of the Chinese People. Hong
ordre dans la chronologie des actes ; « les civilités Kong, Oxford University Press, 1986.
d’abord, l’armée ensuite ». Ainsi, le plus souvent, BOORMAN, S.A. Gô et Mao. Paris, Seuil, 1972.
et notamment s’il s’agit de négociations destinées à
se répéter dans le temps, le Chinois tentera une BRUNNER, J. et WANG, Y. « Chinese Negotiating and the
approche de type recherche commune. Pour peu Concept of Face ». Journal of International Consumer
Marketing, 1, 1988.
que son homologue étranger ne le réalise pas, soit
parce qu’il est pressé, soit parce qu’il s’avère inca- BRUNNER, J., CHEN, J., SUN, C., ZHOU, N. « The role of
pable de décoder les messages, soit encore parce Guanxi in negotiations in the Pacific Basin ». Journal of Global
qu’il doute des intentions profondes de l’autre, la Marketing, vol. 3, 2, 1989.
négociation pourra très rapidement basculer sur CAMPBELL, N. A strategic guide to equity joint ventures.
l’autre logique. Oxford, Pergamon Press,1989.
Parfois, les deux méthodes apparaissent
quasi simultanément dans la phase initiale, qui est CHEN M. « Tricks of the China trade ». The China Business
Review, vol.20, n° 2, 1993.
celle du tâtonnement. La première transforme par-
fois de manière drastique le visage de la seconde. CHEN YAN « Validité des conduites à tenir en milieu étranger ».
Si l'interlocuteur étranger interprète la phase d’ap- Intercultures, n° 8, Déc. 1989- Janv. 1990.
propriation avec son foisonnement de tactiques
antagonistes comme l'expression de la nature pro- CHEN, D. et FAURE, G.O. « When Chinese companies nego-
tiate with their government ». Organization Studies, Vol.16,
fonde de la négociation, on ne peut aboutir qu'au 1, 1995.
conflit comme fondement induit de l'action. En
revanche, s'il distingue entre ces deux types d'acti- (CONFUCIUS) Les entretiens de Confucius (trad. RYCKMANS).
vités « la douceur de la tourterelle et la sagesse du Paris, Gallimard, 1987.
serpent » [Lin, 1997, 73], il lui devient possible DE PAW, J. U.S.- Chinese Trade Negotiations. New, York,
d’éviter de basculer dans le registre conflictuel sans Praeger, 1981.
l'avoir réellement voulu. Le négociateur n’a plus
besoin « d’avaler du fiel de tigre » pour atteindre De MENTE, B. Chinese etiquette and ethics in business.
Lincolnwood, Illinois, NTC Business Books, 1989.
un certain degré d’efficacité. Ainsi que le souligne
la sagesse populaire, « on ne doit pas cuisiner du DESLANDRES, V. et DESCHANDOL, J.M. Droit et pratique des
fromage de soja dans une marmite à poisson ». investissements français en Chine Populaire. Paris, Editeur
Percevoir clairement l’existence des deux International Development, 1986.
logiques est une condition pour la conduite à bonne FAURE, G.O. « Conflict formulation : going beyond culture-
fin de toute action. C'est dans la confusion géné- bound views » in BUNKER B.et RUBIN J.Z. (eds) Conflict, co-o-
rique entre ces deux types d’exercices que gît l'une peration, and justice. San Francisco, Jossey- Bass, 1995a.
des raisons majeures pour lesquelles nombre de
négociations sino-étrangères achoppent ou bien FAURE, G.O. « Nonverbal negotiation in China ». Negotiation
Journal, vol. 11, n° 1, 1995b.
laissent les négociateurs sur des impressions
pénibles comme s’ils étaient, en quelque sorte, pri- FAURE G.O. « The Cultural Dimension of Negotiation : The
sonniers d’un univers d’escaliers ne menant nulle Chinese Case », Group Decision and Negotiation. Kluwer
part. A l'origine de cette trajectoire dans l'opacité Academic Publishers, vol. 9, n° 3, 1999a.
et le non-dit, l'absence de coïncidence entre FAURE G.O. « Joint Ventures in China and their Negotiation » .
registre chinois et registre occidental est, beaucoup In KREMENYUK V. and SJÖSTEDT G., International Economic
plus que les intentions malignes prêtées aux Negotiation, Edward Elgar publisher, 1999b.
acteurs, à l'origine de ces difficultés.
FAURE G.O. et CHEN D. « Chinese Negotiators : profiles and
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• 1997.

46
ANNALES DES MINES - JUIN 1999
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

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47
GÉRER ET COMPRENDRE
AUTRES TEMPS, AUTRES LIEUX

« La bienveillance du
ciel vaut moins qu’une
terre fertile, une terre
fertile vaut moins que
l’harmonie entre
les hommes »
proclamait Mencius
pour qui le souci
de préservation de
l’harmonie conduisait
à n’avoir recours
qu’aux approches
et à la communication
indirectes.

D.R.
MÉTHODOLOGIE

Les matériaux de base de cette étude industriels, les transferts de technologie ainsi que
sont issus : les accords concernant la création de joint-ven-
• d'entretiens en profondeur réalisés auprès de tures.
négociateurs occidentaux et chinois (50 entre- La plupart de ces négociations, dans lesquelles nous
tiens). La présence d'occidentaux dans la popula- avons pu être impliqué comme acteur, conseil ou
tion enquêtée s'explique par le fait que les négocia- observateur, se sont déroulés en Chine (Pékin,
teurs chinois ne traitent pas spontanément de Shanghai, Kunming, Xian, Tianjin, Lanzhou,
l'analyse de leurs pratiques. La présence de Chinois Chengde, Hangzhou et Chengdu). Certaines se sont
se justifie, elle, par le fait que les négociateurs occi- également tenues à Paris. L’ensemble de ce travail
dentaux utilisent des catégories peu appropriées à de terrain s’est étendu sur cinq années.
la saisie de ce qui n'est pas occidental [Faure, Le non recours au questionnaire s’ex-
1995a]. Ces entretiens d’une durée de 1h30 à 5 plique par deux raisons de nature très différentes :
heures se sont déroulés en une à trois séances • la première tient à l’objet même de l’étude qui
selon les circonstances et la disponibilité du négo- n’est pas de nature statistique, puisqu’il s’agit de
ciateur. Ils ont été réalisés à Pékin et à Shanghai ; mettre en évidence des conceptions et des logiques
• d'observations de négociations in vivo. Les négo- d’action et ce, dans une optique exploratoire qui
ciations ainsi étudiées, au nombre de trente, appar- exclut l’usage de catégories prédéterminées ;
tiennent le plus souvent à la catégorie des négocia- • la seconde tient au contexte chinois lui-même qui
tions longues et complexes, à motivation mixte, ne favorise pas l’obtention de réponses écrites
donnant un aperçu assez complet de tout ce qui authentiques : souci de plaire, politesse, méfiance
peut advenir dans un processus de ce type, telles font que l’on ne peut escompter recueillir de cette
que celles portant sur la fourniture d'équipements façon des informations substantielles et fiables.
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ANNALES DES MINES - JUIN 1999

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