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La relation entre Chariclée et Andromède, de copie à modèle, est un peu plus complexe si

l’on se réfère à l’histoire des images et de leur pouvoir. La description par Persinna de la
manière dont son enfant a été conçue montre en effet qu’elle avait les yeux fixés sur la
représentation d’Andromède, blanche de peau certes, mais aussi nue. Le pouvoir des
images1 de David Freedberg montre que dans l’histoire de l’art, la représentation de belles
femmes nues produit sur les spectateurs une forme d’excitation, avec une composante
sexuelle, le plus souvent masquée sous le jugement esthétique. Le premier exemple qu’il
donne (p. 23 du livre) du pouvoir des images, qualifié d’invraisemblable, est justement celui
de l’effet Andromède, sans l’approfondir. Il cite ensuite l’exemple du tyran Denys évoqué par
Saint Augustin :
Étant difforme, il ne voulait pas engendre d’enfants à sa ressemblance. Lorsqu’il couchait
avec sa femme, il plaçait devant elle une très belle image, afin que par le désir devant
cette beauté, par l’imprégnation, pour ainsi dire, elle pût effectivement la transmettre à
sa progéniture.
Freedberg commente ensuite en disant avec un érudit du XVIe s. qu’il faut « réserver les
objets lascifs aux pièces intimes […] car leur vue est propre à susciter l’excitation et
l’engendrement de beaux enfants … ».
La lettre de Persinna évoque très indirectement le désir d’enfant du roi et d’elle-même, mais
très explicitement qu’elle sentit avoir conçu, et très clairement que l’Andromède de l’image
était nue. Il me semble que la page de Freedberg, en face de la Vénus d’Urbin de Titien et de
la Vénus de Giorgione (p.22), suggère que cette image a entraîné le désir des époux. De fait,
le goût des peintres et de leur public pour la représentation du beau corps nu enchaîné à son
rocher paraît relever d’une excitation comparable 2. Si la lettre de Persinna exprime de
manière implicite cette forme de plaisir –que l’on appelle esthétique sous le couvert des
bienséances–, son originalité consiste dans le fait qu’il s’agit du plaisir féminin. En somme,
Chariclée, fille du regard sur un tableau, est le produit du désir amoureux de ses parents, en
particulier de sa mère, désir provoqué par la vue d’Andromède nue sur un tableau.

1
David Freedberg, Le pouvoir des images, Paris, Gérard Monfort éditeur, 1998 (éd. orig. The
Power of Images. Studies in the history and theory of response, The University of Chicago,
1989).
2
Le catalogue publié par Jean-Claude Boyer en 1990 pour une exposition du Louvre autour
de l’Andromède de Mignard constitue encore à ma connaissance la meilleure étude sur ce
thème.

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