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Cours Sciences Po Mohammedia VERSION A PERFECTIONNER
Cours Sciences Po Mohammedia VERSION A PERFECTIONNER
Semestre I
Introduction générale
Comment établir la différence entre ces savoirs spontanés et plus ou moins partagés et les
résultats des recherches menées par les politistes sur les objets politiques ?
La science politique a développé des outils d’enquête et d’analyse, donc des méthodes1, que le présent
cours se propose de présenter de manière claire et synthétique. Ces outils se présentent comme une
contribution à l’éclairage des phénomènes politiques contemporains. L’approche consistera donc à
associer la théorie et l’empirie en mobilisant conjointement des outils analytiques abstraits et des
éléments empiriques tirés de l’observation des faits.
1
Gérald Bronner, La pensée extrême, PUF, 2016, p. 24.
2
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
L’objectif de ce module d’introduction à la science politique est donc de fournir, à travers 5 chapitres,
les clés qui facilitent la compréhension des faits et phénomènes politiques, en passant notamment par
la définition des notions fondamentales, la clarification des concepts, la présentation des théories
explicatives relatives au fonctionnement de l’État, ainsi que les problématiques, logiques et
dynamiques propres au pouvoir, aux acteurs et aux systèmes politiques, à la légitimité, à la
participation politique, à la démocratie, etc.
Il convient toutefois de préciser que la science politique n’est pas un enseignement ayant la prétention
de préparer les étudiants à poursuivre une carrière dans la politique. L’engagement politique et le
militantisme partisan relèvent d’un choix personnel qui ne s’enseigne pas à l’université. Nombre de
militants politiques ayant choisi d’adhérer volontairement aux partis politiques n’ont jamais été à
l’école. La vocation de l’homme politique obéit à des logiques qui ne sont pas toujours compatibles
avec celle de l’homme de science et de vérité. Nous y reviendrons avec Max Weber (Le savant et le
politique).
Ce cours met la focale, dans le premier chapitre, intitulé « L’Edification historique de la science
politique » sur la question de l’ancienneté de la réflexion sur les faits et phénomènes politiques
avant la consécration académique de la science qui s’est constituée autour de l’objet ainsi que
des questions liées à son autonomie et à son rayonnement.
Le second chapitre intitulé « La science politique comme discipline scientifique », clarifie, pour
éviter toute confusion, ce qu’est la science politique ; la question de sa scientificité, ses objets, son
intérêt ; il s’intéresse, également, aux méthodes, postures et pistes qui s’offrent à l’analyse
politique en dépit des obstacles et difficultés de terrain.
Le chapitre III qui a pour titre : « Régimes et systèmes politiques », sera consacré à l’examen
notamment de la nature des régimes et systèmes politiques à travers les conceptions classiques
de la démocratie, les théories alternatives de la démocratie et l’analyse des régimes totalitaires
et autoritaires.
Le chapitre IV qui s’intitule : « Les acteurs politiques » s’interrogera sur les caractéristiques, le
rôle et les modalités de fonctionnement des différents acteurs de la vie politique que sont
principalement les partis politiques, les groupes de pression, les médias et les élites.
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Module : Introduction à la science politique
Le chapitre V aborde enfin les notions de culture et de socialisation politique pour mieux
restituer les instances et mécanismes d’inculcation et de reproduction des valeurs, des
représentations et des apprentissages primaires et secondaires qui ne sont pas pour autant figés.
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Module : Introduction à la science politique
En revanche, durant le Moyen Âge, la science politique a cédé la place à la théologie, jusqu’à ce que
Nicolas Machiavel, Alexis de Tocqueville, Montesquieu, John Lock, Jean Jacques Rousseau, Jhon
Stuart Mill, restaurent ce champ de recherche à travers leurs écrits qui traite essentiellement des sujets
tels que l’Etat, le pouvoir politique, ainsi les des individus et les institutions qui s’en chargent.
Néanmoins, avant le XXe s., la « science politique » a toujours consisté en une pensée politique, en
une pensée des idées et de l’organisation politiques, davantage qu’en une véritable science, c’est-à-
dire davantage qu’en un ensemble de travaux objectifs et empiriques à vocation descriptive et
explicative. Avant cette date, la science politique faisait partie de la philosophie politique.
Du coup, la connaissance scientifique produite durant des siècles était davantage axée sur ce que doit
être le régime politique et sur le mode de gouvernement, au lieu d’être axé sur leur réalité telle qu’elle
est.
Cette vision finaliste et moralisante de la politique avait longtemps entravé toute évolution de la
connaissance politique vers une science politique basée sur la neutralité axiologique de
l’expérimentation et de l’observation et autonome de la religion, de la philosophie et de la morale. En
fait, cela ne lui était possible qu’avec l’avènement de la sociologie positiviste d’Auguste compte
(1798–1857) et d’Emile Durkheim (1858 – 1917) à la fin du 19eme siècle, ainsi qu’avec le
développement de la sociologie cognitive (compréhensive ou sociologie de la connaissance) dont Max
Weber (1864-1920), Alfrède Schutz (1899-1959) sont les pionniers au début du XXème siècle.
5
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Module : Introduction à la science politique
La Grèce antique est largement à l’origine de ce que nous appelons la politique c’est-à-dire un espace
commun de la décision collective. À partir du Ve siècle avant J-C, les grecs développent l’idée que la
politique ne relève pas seulement de l’action mais aussi du savoir, de la réflexion qui prend le nom de
philosophie. À l’origine, ce fut surtout la philosophie, qui alimentèrent la réflexion sur la politique.
Les penseurs classiques nous lèguent ainsi une réflexion politique considérable centrée sur la question
du meilleur régime. Dès ce stade, les approches diffèrent nettement.
I. Platon
L’œuvre de Platon (427-346) constitue la première tentative d’une réflexion systématique sur le
pouvoir politique. Ce thème constitue l’objet central de trois exposés, écrits par le philosophe à l’âge
de la maturité : La République, Le Politique et Les Lois. Il est aussi un observateur attentif de la
démocratie athénienne. Il assiste à l’effondrement de celle-ci suite à la guerre du Péloponnèse (404), à
sa restauration, puis à sa lente dégradation tout au long du IV s.
Issu d’une illustre famille aristocratique, Platon éprouve une franche hostilité à l’égard du régime
démocratique et, pour cette raison, ne se voit confier aucune responsabilité dans la cité. Les écrits
politiques platoniciens ne visent pas, en effet, à influer concrètement sur la confection des lois
athéniennes. Ils prennent place dans une réflexion générale sur les conditions idéales de réalisation du
bien, de la morale et de la vérité2.
Dans La République, Platon entreprend pour la première fois de définir les traits d’une Cité idéale.
Son objectif n’est pas de réformer la démocratie athénienne. Il est seulement d’exposer les fondements
d’une société imaginaire où régnerait la justice.. L’ouvrage est divisé en dix « livres » retraçant des
dialogues imaginaires entre philosophes. Socrate en est le principal animateur. Il y incarne la
sagesse et le savoir. C’est par sa bouche que Platon livre une description détaillée de la Cité parfaite
2
Nay, O. (2016), Histoire des idées politiques, la pensée politique occidentale de l’Antiquité à nos jours, 2 Edition,
Armand Colin, pp. 78-79.
6
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Module : Introduction à la science politique
(II-VI) qui finit par une réflexion sur l’éducation et les qualités personnelles des gouvernants
(VII)3.
Conformément à sa vision de la justice, Platon est convaincu que l’organisation sociale idéale doit
chercher à répartir les charges et les pouvoirs en fonction des capacités de chacun. Il imagine pour cela
une Cité fortement hiérarchisée. Elle serait divisée en trois groupes distincts, chacun étant chargé d’une
fonction bien déterminée. Il apparaît normal à Platon de confier le gouvernement aux citoyens les plus
vertueux, les « gardiens », qui possèdent à la fois la connaissance et l’aptitude au commandement.
Rigoureusement sélectionnés à la suite d’un long apprentissage, ils constituent l’élite des « meilleurs
» (aristoï). Ils se consacrent exclusivement au bien de la collectivité4.
Afin d’écarter toutes les ambitions personnelles, les gardiens vivent en communauté et ne possèdent
aucun bien personnel. Dépouillés de toute richesse, ils ne courent ainsi pas le risque d’être corrompus.
Ils n’ont de surcroît pas droit à une vie de famille : ils peuvent certes se marier entre eux, mais leurs
enfants sont élevés à part dans le cadre de la cité. Privés des responsabilités familiales, ils ont pour
seul objectif le bonheur de tous (Gouvernement des philosophes).
Les gardiens sont assistés par des « gardiens auxiliaires ». Ils forment une classe de guerriers.
Bénéficiant d’un entraînement physique intense, ils se consacrent entièrement à la défense de la Cité
contre les agressions extérieures.
Enfin, la classe la plus nombreuse, le peuple, est composée des paysans, des marins, des artisans et des
commerçants. Exerçant exclusivement des fonctions économiques, ils peuvent concentrer toutes les
richesses car, ne disposant d’aucun pouvoir, ils ne pourront les mettre à profit pour pervertir la société5.
Pour Platon, la cité parfaite est une société aristocratique dans laquelle les meilleurs, les plus vertueux,
ceux qui accèdent à la raison, commandent les êtres guidés par les émotions et les désirs. Fortement
hiérarchisée, cette Cité ne risque pas toutefois de se corrompre dans la mesure où la minorité des
gouvernants est censée renoncer à tous les avantages individuels et se consacrer entièrement au bien
des autres6.
3
Ibid, p. 81.
4
Nemo, Ph. (2007), Histoires des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Age, Paris, PUF, pp.117-186.
5
Ibid, pp.117-186.
6
Ibidem.
7
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Module : Introduction à la science politique
La pensée politique de Platon ne se limite pas à la présentation de la cité idéale. Observateur du déclin
des institutions athéniennes (défaite contre Sparte, procès de Socrate, tensions entre riches et pauvres,
corruption des élites, instabilité de la loi), Platon a également jeté dans ses œuvres un regard critique
sur l’organisation du pouvoir. Profondément pessimiste, convaincu de la décadence des cités, il a été
le premier à tenter de dresser une typologie des formes de gouvernement et d’en condamner les
expressions les plus dégradées, avant d’évoluer vers une approche plus réaliste de la politique.
Dès La République, Platon soutient l’hypothèse d’une dégénérescence continue du modèle de la Cité
grecque.
La Première constitution, la timocratie est un régime fondé sur l’honneur : ceux qui gouvernent
bénéficient d’une grande estime et d’une dignité exemplaire aux yeux du plus grand nombre. Inscrite
dans une société hiérarchisée, divisée en trois castes (guerriers, prêtres, producteurs), elle constitue
déjà une forme imparfaite de gouvernement dans la mesure où la connaissance philosophique n’y
inspire pas les décisions politiques. La description de la timocratie correspond en fait assez précisément
aux constitutions des Cités de Sparte et de la Crète que Platon admirait pour leur stabilité7.
Comme la timocratie, l’oligarchie est un gouvernement du petit nombre. Mais à la légitimité de la
vertu s’est substituée celle de la richesse. C’est le gouvernement où « les riches commandent, et le
pauvre ne participe point au pouvoir », nous dit Platon. La passion pour le gain devient le fait marquant.
L’accès aux charges publiques, n’est ouvert qu’à ceux qui ont la fortune. Ceux qui sont aux
commandes, ne sont pas forcément les meilleurs. Autre défaut de l’oligarchie qui concourt à la ruine
de la Cité est, d’après Platon, le fait que ses gouvernants mélangent charge publiques et affairisme
(agriculture, commerce). La hiérarchie n’est plus fondée sur la considération portée aux chefs, mais
sur la fortune. L’oligarchie est, aux yeux de Platon, doublement dangereuse.
Dans un tel régime, les pauvres, subissant un pouvoir qui les ignore, ne peuvent à terme que se
révolter et exiger une constitution qu’ils contrôlent. C’est dans ce contexte de crise du régime
oligarchique qu’est née la démocratie.
Pour Platon si les institutions démocratiques posent le principe d’une large participation, elles sont
loin d’être le régime de tous. Elles sont bien plus le régime des miséreux contre les classes fortunées.
Elles sont incapables, pour cette raison, de maintenir l’unité et la paix dans la cité. Ensuite, la
7
Nay, O. (2016), Histoire des idées politiques, la pensée politique occidentale de l’Antiquité à nos jours, op.cit., pp. 85-
90.
8
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Module : Introduction à la science politique
démocratie ne peut que déboucher sur l’injustice, car en recherchant l’égalité de tous et la liberté de
chacun, elle ne respecte pas la nécessaire spécialisation des individus et des groupes.
Enfin, le principal tort de la constitution démocratique résulte de son mode de sélection des dirigeants
: le tirage au sort. Celui-ci promeut l’incompétence. Au total, le gouvernement du peuple est pour
Platon un régime décadent. Derrière les apparences trompeuses de l’égalité, il soumet la politique à
l’appréciation aveugle d’une masse de citoyens incultes, esclaves de leurs passions et de leurs intérêts
immédiats.8
La dégradation naturelle du régime démocratique conduit à la tyrannie.
Incapable de se gouverner par l’ecclesia, (L’Ecclésia ou ekklesia en grec ancien est l’Assemblée
du peuple citoyen dans de nombreuses polis antiques et notamment dans la cité d’Athènes)
soumis au désordre lié à la dispute et à la corruption qu’entraîne l’achat des votes, le peuple se cherche
inévitablement des chefs capables de restaurer l’ordre et la stabilité. Ainsi, en se donnant un protecteur,
la masse contribue elle-même à son propre asservissement : un seul homme y gouverne à sa guise, au
gré de ses caprices, niant délibérément tous les principes et les règles commandées par la sagesse et la
vertu. Si elle bénéficie initialement du soutien populaire, la tyrannie se mue rapidement en un
despotisme où la violence est érigée en instrument de gouvernement. Le peuple, qui croyait retrouver
sa liberté, devient esclave du maître qu’il s’est donné.
Au total, dans le schéma platonicien, la succession des constitutions prend la forme d’un processus
lent et continu de déclin9.
II- Aristote
8
Ibid, pp.85-90.
9
Ibid, pp.85-90.
9
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Module : Introduction à la science politique
L’œuvre d’Aristote (v. 384-322) présente des innovations capitales par rapport à la philosophie
platonicienne. Alors que cette dernière recourt encore volontiers à la contemplation et à la méditation,
l’aristotélisme pose définitivement les principes de la pensée philosophique rationnelle. Sa démarche
repose fondamentalement sur l’examen analytique, la démonstration logique et le raisonnement
sociologique dans l’observation de la vie de la cité10.
L’approche d’Aristote se fonde non sur la contemplation comme chez Platon, ou la déduction comme
chez Socrate, mais sur l’observation. L’approche positive11 commence avec Aristote.
La philosophie aristotélicienne adresse une critique sévère à l’idéalisme platonicien considéré comme
trop éloigné des réalités humaines. Elle ne croit notamment pas à l’existence d’un monde
immuable des « Idées » qui, comme le pense Platon, serait supérieur au « monde sensible » des
hommes et de la nature. Elle est aussi une pensée « positive » (ou réaliste) dans la mesure où c’est par
le biais de l’observation et de la comparaison qu’elle cherche à comprendre le monde, puis à identifier
des solutions susceptibles d’améliorer la vie humaine. L’œuvre d’Aristote pose à cet égard les
bases de la science politique. Mais elle est aussi une théorie normative puisqu’elle cherche à
identifier les critères d’une vie sociale et politique moralement acceptable12.
Il faudra revenir à un passage dans « La Métaphysique » d’Aristote pour comprendre son approche
qu’on pourrait appeler : «l’intelligence du réel ». Son souci est de chercher les causes premières de
toute chose. A cela il s’oppose aux « théologues » qu’on pourrait assimiler de nos jours aux
idéologues « soucieux, dit Aristote, de ce qui pouvait entrainer leur propre convictions ».
Nous sommes dans une approche nouvelle où l’homme n’est pas le réceptacle d’une vérité révélée,
C’est dans cet esprit qu’il faut lire « L’Ethique à Nicomaque ». Ouvrage fondamental qui prépare à
celui ardu, mais fondateur de la science politique « la Politique ».
Ethique et politique sont liés chez Aristote, il ne peut concevoir de politique sans éthique. C’est
d’ailleurs pour cela qu’il était dit que « l’Ethique à Nicomaque » est le prélude au « Politique ». A la
10
Nay, O. (2016), Histoire des idées politiques, la pensée politique occidentale de l’Antiquité à nos jours, op.cit., pp. 90-
91.
11
Positivisme : « Système d'Auguste Comte, qui considère que toutes les activités philosophiques et scientifiques ne
doivent s'effectuer que dans le seul cadre de l'analyse des faits réels vérifiés par l'expérience et que l'esprit humain peut
formuler les lois et les rapports qui s'établissent entre les phénomènes et ne peut aller au-delà ». (Larousse)
12
Ibid, p.92.
10
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Module : Introduction à la science politique
fin du premier chapitre consacré à la justice, le bonheur, l’amitié, la tempérance, il se pose la question
sur les règles générales qui devraient présider à l’éducation des gouvernants comme des gouvernés.
A la base de la réflexion d’Aristote, il y a la Cité, Polis, qui est le couronnement normal et naturel de
l’homme. Elle est naturelle car elle est le prolongement nécessaire des autres communautés
primordiales, la famille et le village. À la façon d’organes séparés de leur corps, les familles ne
peuvent se suffire à elles-mêmes, pas plus que les villages. Ces groupements naturels sont certes des
lieux essentiels à la vie sociale. Ils ne s’épanouissent néanmoins pleinement que dans le cadre de la
cité, seule communauté à disposer d’une véritable autonomie (autarkeia). À ce titre, Aristote refuse de
voir dans la Polis le résultat d’une association volontaire. On retient la fameuse expression
d’Aristote, l’homme est un animal politique, zoon politocon, pas dans le sens qu’on voudrait lui donner
aujourd’hui, mais comme un être qui ne peut s’épanouir que dans la communauté. Cette propension
naturelle de l’Homme de vivre en communauté est conditionnée par une considération éthique, la
recherche du bien. L’homme ne peut se satisfaire par le simple fait de vivre en société. Il doit dans
cette entreprise chercher le bien. La politique chez Aristote est une activité morale13.
Le critère de typologie adopté chez Aristote est le nombre des détenteurs du Pouvoir 14. Quand
c’est une seule personne qui détient le Pouvoir, il s’agit de Monarchie, si elle est exercée dans l’intérêt
de la communauté, c’est alors, la Royauté, si elle est pervertie pour l’intérêt d’une seule personne, elle
devient tyrannie.
13
Ibid, p.91
14
Ibid, pp.92.
11
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Module : Introduction à la science politique
Si le Pouvoir est détenu par une minorité dans le sens du bien de la communauté, alors le régime est
appelé aristocratie, s’il est perverti dans l’intérêt d’une minorité de riche, il devient oligarchie.
Quand le pouvoir est détenu par le grand nombre, au profit de l’intérêt général, il est appelé politie ou
démocratie modérée, si par contre, le pouvoir est exercé par les pauvres au bénéfice des pauvres
seulement, il devient démocratie extrême, qui est autant mauvaise que la tyrannie ou l’oligarchie15.
15
Ibid, pp.94-95.
12
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Module : Introduction à la science politique
Si Rome avait la prééminence militaire, elle plia sur le plan des idées au rayonnement grec. Il est vrai
que Rome a enrichi ce patrimoine, par la pratique de la chose publique (Res Publica) et par un dispositif
juridique qui a inspiré les réformateurs de la Renaissance et les philosophes des Lumières. On a choisi
de nous pencher sur une réflexion qui a opéré une synthèse des différentes formes analysées par
Aristote. Le maître de cette réflexion aura influencé Montesquieu dans sa célèbre thèse de la séparation
des pouvoirs16. Il s’agit de Polybe.
Ce Grec romanisé, né vers 200 A.C. est convaincu que l’on ne peut expliquer la grandeur d’une
civilisation en retraçant simplement les exploits de ses grands personnages, il fait le choix, pour
justifier la supériorité de Rome, de décrire minutieusement le fonctionnement de la République. Il
parvient ainsi à combiner adroitement l’étude comparée des « constitutions » dont Aristote a été
l’initiateur avec la réflexion sur la décadence historique inspirée de Platon17.
A cet égard, il expliquait la supériorité de Rome dans sa Constitution qui était la synthèse de toutes les
formes analysées par Aristote. Polybe présente la République romaine comme un régime original tirant
sa puissance exceptionnelle du subtil équilibre édifié entre ses institutions. Reprenant la typologie
classique des constitutions (monarchie, aristocratie, démocratie), il montre que la République a su
réaliser une combinaison vertueuse des différentes constitutions : le pouvoir des deux consuls romains
renvoie au modèle de la monarchie, celui du sénat à l’aristocratie et la représentation politique accordée
au populus romanus à la démocratie. Ainsi, le meilleur régime est pour Polybe celui qui parvient à
assurer l’équilibre des différents pouvoirs de façon à ce que chacun ait besoin du soutien des autres et
qu’aucun ne puisse imposer seul sa volonté. Là est la condition pour que la constitution ne dégénère
pas vers l’omnipotence d’un pouvoir et pour que la concorde soit maintenue entre les plus riches et les
plus démunis. On le voit, les Histoires de Polybe réactualisent l’idée grecque de la « constitution mixte
16
Deux auteurs sont à l’origine de l’expression théorique du principe de séparation des pouvoirs : l’Anglais John Locke et
le Français Montesquieu. Le premier a formulé sa conception dans l’Essai sur le gouvernement civil paru en 1690 ; le
second dans l’Esprit des lois paru en 1748. Pour Montesquieu, qui a développé la pensée de John Locke.
Le principe développé par Montesquieu est simple : lorsque les pouvoirs de l'Etat sont concentrés entre les mains d’une
seule personne ou d'une même institution, la liberté des individus est menacée, parce que « c'est une expérience éternelle
que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Par conséquent, pour préserver cette liberté contre le despotisme
naturel du pouvoir, il faut lui fixer des limites. C'est au sein même du pouvoir politique que Montesquieu détermine les
éléments d'un contre-pouvoir : « ... Il faut, par la disposition des choses, que le pouvoir arrête le pouvoir. ». C.à.d. il existe
trois pouvoirs séparés le législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les applique de manière générale et le judiciaire qui les
applique de manière particulière. Chacun de ses trois pouvoirs doit être confié à un organe distinct et indépendant des deux
autres.
17
Nemo, Ph. (2007), Histoires des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Age, op.cit., p.427.
13
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Module : Introduction à la science politique
» : la vertu du modèle romain réside dans l’harmonie qu’il parvient à réaliser entre des pouvoirs
dissemblables mais nécessairement solidaires. C’est lui qui permet d’expliquer l’exceptionnelle force
de Rome, bien avant les exploits réalisés par ses armées18.
2- La théorie de l’anacyclosis
Le régime républicain est gage de stabilité et de puissance. Mais il ne parvient pas, selon Polybe, à se
reproduire naturellement. Un processus de dégénérescence est présent dans toutes les formes de
gouvernement. S’inspirant de la philosophie de l’histoire platonicienne, il élabore la théorie dite de
l’anacyclosis. Celle-ci rapporte la décadence des constitutions à une succession de cycles historiques.
La forme brute, élémentaire, du pouvoir est la Monarchie approuvée par les gouvernés et réglée par
la justice. Mais celle-ci ne peut que dégénérer en Tyrannie dès lors que le roi profite de son pouvoir
pour se livrer à combler ses désirs personnels. La tyrannie est alors renversée par les meilleurs citoyens
qui fondent une Aristocratie vertueuse, mais qui ne peut que se détériorer par la corruption des
dirigeants et leur désintérêt pour la justice commune. La vie politique se dégrade à nouveau et sombre
dans l’Oligarchie où tous les abus profitent à la minorité gouvernante. Le peuple, soumis et opprimé,
est alors incité à prendre le pouvoir et fonder une Démocratie soucieuse d’accorder à chacun des droits
civiques. Mais le peuple n’est jamais raisonnable et les passions de la foule l’emportent vite sur les
droits formels. Le régime sombre alors dans une Ochlocratie, qui n’est autre chose que le règne de la
populace. Celle-ci engendre le désordre et la violence. Pour rétablir la concorde, le peuple n’a dès lors
d’autre choix que de se donner un monarque dont la vertu est exemplaire. Le cycle de décadence est
alors parcouru. Il peut se reproduire à nouveau19.
Chez Polybe, la sagesse commande de sortir de ce cycle. Si la dégénérescence s’inscrit dans la logique
des choses, ou dans l’évolution des systèmes, il est possible d’y échapper par une thérapie appropriée
qui est justement le système mixte. Il faut savoir mélanger les éléments royaux, aristocratiques et
démocratiques, de façon à combiner le pouvoir d’un seul, celui de plusieurs et celui du grand nombre,
car s’est ainsi qu’on peut échapper aux « germes funestes » que contient tout système, pour un système
équilibré en mesurde d’assurer la stabilité, à l’image de la République romaine.
18
Nay, O. (2016), Histoire des idées politiques, la pensée politique occidentale de l’Antiquité à nos jours, op.cit., p.114.
19
Ibid, p.114.
14
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Module : Introduction à la science politique
D’autres auteurs de moindre importance vont prolonger cette démarche en particulier sous la
République romaine (Cicéron…). Cependant cette forme de raisonnement et de réflexion va
disparaître après la chute de Rome.
La période du Moyen Âge, qui s’étend de la fin du V s. (dislocation de l’Empire romain d’Occident)
au XIV s. (apparition des premières formes de l’État moderne), a pendant longtemps été perçue comme
une phase de déclin civilisationnel. Au début du XX s., les historiens considéraient encore l’ensemble
de la période comme un âge sombre miné par la violence, les guerres, les invasions barbares, les
superstitions et le dogmatisme religieux. L’histoire médiévale contemporaine a permis de relativiser
ce jugement. De nombreux auteurs ont montré qu’il était réducteur de considérer le Moyen Âge comme
une longue parenthèse entre les sociétés civiques de l’Antiquité et les États modernes, et sur le plan
des idées, comme un vaste désert intellectuel entre deux périodes de très grande activité culturelle.
Sur le plan des idées, le Moyen Âge est marqué en tout premier lieu par l’expansion extraordinaire de
la religion chrétienne. Dans la phase historique de « christianisation » de l’Occident (VI -XI s.), le
politique perd progressivement son autonomie et ne se définit qu’en rapport avec la religion.
À la fin du XI s., la société médiévale entre dans une période de renouveau intellectuel et moral sans
précédent, marquée par la redécouverte de la philosophie et l’essor de la pensée juridique, nouveaux
défis posés à la théologie. Durant cette période d’intense renouvellement, savants et clercs découvrent
de nouveaux savoirs qui leur permettent de réinterroger la conception chrétienne de l’univers, tantôt
pour l’enrichir, tantôt pour l’amender. Ainsi, en moins de deux siècles, la théologie n’apparaît plus
comme la source unique et incontestable de la réflexion sur l’homme et la société. Elle doit compter
désormais avec des savoirs « profanes » (le droit, la philosophie, les arts libéraux) qui imposent des
idées nouvelles et des formes de raisonnement plus rationnelles. C’est dans ce contexte général de
transformation de la pensée que l’on peut comprendre l’essor des premières doctrines politiques qui
mettront à mal l’interprétation chrétienne de la justice et du pouvoir20.
20
Nemo., Ph. (2007), Histoires des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Age, op.cit., pp.843-1013.
15
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Module : Introduction à la science politique
Les œuvres des penseurs grecs sur la politique sont perdues et il faudra attendre le XIIIe siècle pour
qu’on les redécouvre grâce à la civilisation arabe (Thomas d’Aquin…). Ce sera le point de départ
d’une Renaissance de la pensée politique.
À partir de la Renaissance, les penseurs modernes se séparent de cette chape de plomb éthique et
largement théologique surplombant le politique. Des auteurs comme Nicolas Machiavel (1469-1527)
vont réaliser une véritable révolution en affirmant que la politique est indépendante de la morale et de
la religion et qu’elle doit être analysée en elle-même. La réflexion devient essentiellement logique,
qu’elle emprunte la voie réaliste comme chez Machiavel ou la voie idéaliste comme chez Kant. Cela
signifie que la réflexion politique peut être menée selon deux voies différentes :
• la première se centre sur les conditions logiques de fonctionnement d’une société ; elle
interroge les « conditions de possibilité » d’une notion (la démocratie, l’État, la représentation…)
comme le dit Kant. À ce premier courant, nous devons de grandes réalisations comme les notions
d’État, de droits de l’homme, de libertés, de représentation, d’individu…
• la seconde voie renonce au devoir-être pour interroger ce qui est. Dans la droite ligne du
réalisme de Machiavel, de l’empirisme de Hume prolongé par la philosophie écossaise, ce courant
introduit plusieurs catégories centrales de la pensée moderne comme celle de société civile, de
l’opinion publique…
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la philosophie politique domine complètement la science politique.
Elle continue d’être importante pendant le siècle suivant mais est de plus en plus marginalisée au profit
d’autres disciplines.
La seconde moitié du XIXe siècle est marquée par la prétention à l’instauration d’une science pure et
parfaite à travers des courants théoriques comme le scientisme ou le positivisme. Cette revendication
aujourd’hui relativisée continue de jouer un rôle important dans certaines approches des phénomènes
politiques (par exemple, la théorie des jeux très en vogue aux États-Unis, la sociologie de Pierre
Bourdieu en France…). Le père de la sociologie politique, Max Weber, qui lui-même consacra
beaucoup au travail philosophique, traduisit cette revendication à l’objectivité scientifique en
16
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Module : Introduction à la science politique
formulant le principe de « neutralité axiologique » qui implique une certaine distance voire une
indifférence à l’égard des valeurs.
Dès la seconde moitié du XIXe siècle et plus encore par la suite, on reproche donc à la philosophie
politique d’être une réflexion trop subjective et de délaisser l’examen clinique des faits politiques
et sociaux. Deux critiques majeures seront développées :
• d’une part, la philosophie politique serait trop spéculative : elle serait donc une réflexion
purement abstraite déconnectée de l’expérience empirique ;
• d’autre part, la philosophie politique serait trop prescriptive : elle se polariserait trop sur
ce qui doit être en délaissant ce qui est. Elle verserait donc trop vers la querelle de doctrines où
chacune légitime un certain ordre social et politique.
En réalité, l’apport de la philosophie politique à la science politique est considérable ; il est même
double :
• D’un côté, la philosophie politique a permis d’acquérir les conditions de développement d’un
savoir spécialisé sur la politique. On peut citer 3 conditions fondamentales nécessaires mais pas
suffisantes :
• la séparation de la politique et de l’économie : elle est acquise dès la fin du XVIIIe siècle et
notamment avec Adam Smith.
• la séparation de l’État et de la société civile qui est acquise avec Hegel dans la première moitié
du XIXe siècle.
17
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• D’un autre côté, la philosophie politique contribue fortement à formuler les problèmes, à
élaborer des hypothèses qui seront reprises par d’autres. Ces dernières décennies, on lui doit plusieurs
percées majeures comme l’invention du concept de totalitarisme, des éclaircissements majeurs sur la
démocratie, sur la nature du pouvoir, sur l’évolution du facteur religieux…
La philosophie politique est aujourd’hui peu prisée ; elle est souvent marginalisée en dépit de ces
apports considérables. L’enjeu contemporain est de réconcilier sociologie et philosophie ce qui
implique que ni l’une ni l’autre ne revendique une hégémonie.
En guise de conclusion, on peut dire que la première caractéristique de cette histoire, c'est l’ancienneté
de la réflexion sur les phénomènes politiques. Toute l'histoire intellectuelle de l'Occident est, par
exemple, jalonnée, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, par des œuvres qui sont consacrées à l'analyse
des phénomènes politiques, depuis Platon et Aristote jusqu'à Tocqueville, en passant par Machiavel et
Montesquieu, pour ne citer que quelques noms parmi les plus célèbres. Mais, si cette ancienneté de la
réflexion politique est une des richesses de la discipline, c'est aussi un de ses handicaps, car les
orientations de cette réflexion ont freiné le développement de la connaissance scientifique des
phénomènes politiques. Et ceci, parce que la réflexion traditionnelle sur les réalités politiques a
longtemps été une réflexion de type normatif, s'intéressant moins à ce qui est qu'à ce qui doit être. Or,
le développement d'une approche scientifique suppose le renoncement à cette attitude normative au
profit d'une attitude positive devant la réalité étudiée, c'est-à-dire une attitude écartant les jugements
moraux pour s'en tenir à l'observation et à l'explication des faits. Ainsi, le premier handicap de la
science politique a été la difficulté qui a été la sienne pour acquérir et affirmer son autonomie par
rapport aux orientations normatives de la philosophie politique, et, aujourd'hui encore, les politologues
sont souvent soupçonnés de dissimuler sous leurs analyses d'apparence scientifique des préférences
idéologiques ou partisanes. De ce fait, si la réflexion sur les phénomènes politiques est ancienne, la
science politique est au contraire une science jeune. En effet, même si certains aspects des œuvres des
grands philosophes politiques comme Machiavel, Montesquieu ou Tocqueville annoncent, par la place
qu'ils font à l'observation de la réalité, la perspective scientifique que l'on vient d'évoquer, il faut en
fait attendre la fin du XIX* siècle pour voir la science politique se constituer en discipline autonome
par rapport à la philosophie21. Cette évolution s'est alors produite essentiellement aux États-Unis, avec
21
Favre, P. (1985), « Histoire de la science politique » dans M. Grawitz et J. Leca, éd., Traité de Science Politique, Paris,
PUF.
18
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la création dans plusieurs universités de départements de science politique et avec la fondation en 1903
de l'Association américaine de science politique.
19
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Dans une première approche, la science politique peut être définie comme la discipline qui a pour
objectif l'étude scientifique des phénomènes politiques. Cette définition est apparemment simple, mais,
si on l'examine de plus près, on constate qu'elle est beaucoup moins claire qu'il n'y paraît et qu'elle
soulève toute une série de questions. C'est ainsi que la première incertitude apparaît lorsqu'on
s'interroge sur ce qu'est un phénomène politique. On s'aperçoit alors que le mot apparemment banal
de politique n'a pas une signification aussi évidente qu'on pourrait le penser. Il suffit, par exemple, de
faire varier l'article précédant le mot politique pour constater des glissements de sens qui révèlent la
polysémie de ce terme. Ainsi se révèle une première incertitude qui concerne la définition de l'objet
de la science politique.
En second lieu, le terme de « science » appliqué à la connaissance des phénomènes politiques est
parfois contesté, si bien que c'est alors l'existence de la science politique en tant que discipline «
scientifique » qui se trouve mise en question. Il faut dire que cette interrogation s'explique d'autant
plus que le développement du discours scientifique sur les phénomènes politiques se heurte à un certain
nombre d'obstacles et qu'un certain nombre de tentations menacent le spécialiste de science politique
et sont susceptibles de compromettre le caractère scientifique de son travail.
20
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Module : Introduction à la science politique
I- Définition de la science
Les définitions du concept de science sont d'ailleurs elles-mêmes assez variées. C'est ainsi que le
classique Vocabulaire technique et critique de la philosophie de Lalande définit une science comme :
« Un ensemble de connaissances et de recherches ayant un degré suffisant de généralité et
susceptibles d'amener les hommes qui s'y consacrent à des conclusions concordantes qui ne
résultent ni de conventions arbitraires, ni des goûts et des intérêts individuels qui leur sont
communs, mais de relations objectives qu'on découvre graduellement et que l'on confirme par des
méthodes de vérification définies »22.
En s'inspirant de cette approche, tout en tenant compte d'un certain nombre d'autres réflexions
épistémologiques, notamment sur le statut particulier des sciences humaines, on retiendra ici la
définition suivante : « La Connaissance scientifique est une représentation causale et objective de la
Réalité »23.
Avant de nous interroger sur les notions de causalité et d’objectivité, observons que définir la
22
Loubet del Bayle, J.-L. (1991). De la science politique. Politique, (20), 95–127. https://doi.org/10.7202/040700ar
23
21
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A- La causalité
Un des premiers aspects de la démarche scientifique se résume en effet dans la phrase suivante : « Tout
fait à une cause » ; c.à.d. tout fait à des antécédents qui nous permettent de le comprendre et de le
reproduire au moins dans nos pensées. Cela ne veut pas dire que toutes les causes soient scientifiques
La causalité transcendante situe la cause du phénomène considéré en dehors du monde sensible ; ainsi
le coronavirus est la manifestation de la colère du Dieu. La démarche scientifique refuse évidemment
cette causalité.
La causalité pour être scientifique doit relier un phénomène réel à un autre phénomène réel de telle
façon que cette liaison permette de comprendre l’action de la cause sur l’effet, de telle façon que l’on
puisse, au moins en pensée, reproduire l’effet en partant de la cause.
B- L’objectivité
L’objectivité se conquière et se construit par décentrements successifs du sujet par rapport à un
domaine de recherche délimité sur lequel l’accord des esprits est possible. Peut-on imaginer des
conditions dans lesquelles le scientifique peut garder une position « neutre » à l’égard de son
objet d’étude ?
Pour Durkheim, l’objectivité des faits sociaux est une condition essentielle à l’application des
méthodes positives. La première règle et la plus fondamentale est de considérer les faits sociaux
22
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comme des choses24. Cette règle implique deux exigences essentielles : Ecarter les prénotions
considérées comme un obstacle (épistémologique) à la connaissance scientifique. Et définir de façon
objective les phénomènes sociaux étudiés.
Durkheim affirme que les prénotions constituent un voile qui s’interpose entre les phénomènes sociaux
et le savant. Ce voile lui masque la réalité. Les images utilisées par lui (voile, masque, « sortes de
fantômes qui nous défigurent le véritable aspect des choses ») expriment une conception négative qu’il
se fait de la Connaissance Commune (CC)25. Les Sciences de la nature se sont développées en
écartant les idées que les gens se font des phénomènes naturels. La physique, par exemple, a pour objet
les corps tels qu’ils existent ; elle définit la chaleur par la dilatation des corps et non par l’impression
que les gens ont du chaud. Un chercheur doit se débarrasser des prénotions afin de traiter des
phénomènes tels qu’ils sont dans la réalité et non pas tels qu’ils sont représentés par les gens. Pour
Durkheim, cette règle est une application du doute méthodologique de Descartes. Il faut que le
chercheur « s’interdise l’emploi des notions qui se sont formées en dehors de la science et pour des
besoins qui n’ont rien de scientifiques. » (Durkheim) Il doit se débarrasser des prénotions, « sortes de
24
Durkheim [l’idée et la chose] « Est chose, en effet, tout ce qui est donné, tout ce qui s'offre ou, plutôt, s'impose à
l'observation. Traiter des phénomènes comme des choses, c'est les traiter en qualité de data qui constituent le point de
départ de la science. Les phénomènes sociaux présentent incontestablement ce caractère (Durkheim, les règles de la
méthode sociologique).
25
Les phénomènes sociaux sont l’objet de la connaissance commune (CC) (prénotions, préjugés, lieux communs, sens
commun, bon sens…) avant qu’ils soient l’objet des sciences sociales.
Les traits de la CC :
a. Accessibilité : La CC est accessible et ouverte à tous.
b. Evidence : La CC présente la société comme un monde familier. Sa force est qu’elle est établie sur le mode de
l’évidence, du naturel. Ceci apparaît souvent dans les propositions de bon sens, dans les adages, les proverbes, qui souvent
résument la CC : « Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans un même panier ». Il faut cependant noter que l’évidence n’est
pas un trait des phénomènes sociaux, mais un trait que la CC leur confère.
c. Sens pratique : Selon E. Durkheim, les prénotions sont des représentations collectives, des idées schématiques et
sommaires utilisées par les gens dans leur vie quotidienne. Elles ont pour fonction de mettre les actions sociales des gens
en harmonie avec le monde qui les entoure. Elles sont formées par la pratique et pour elle.
d. Absence de méthode : L’accès à la CC se fait sans méthode et de façon informelle. On peut comprendre, à cet égard,
la différence entre la CC et la connaissance scientifique en les comparant avec deux types d’apprentissage de la langue.
Dans le cas d’une langue étrangère, l’enseignant suit une démarche, un plan progressif selon les capacités de l’apprenant ;
les règles de grammaire, la morphologie (formes des verbes par exemple), la syntaxe etc., sont explicitées. Par contre,
l’apprentissage d’une langue maternelle, se fait sur le tas, sans méthode… Je n’ai pas besoin de connaître la grammaire de
ma langue maternelle pour la parler. Inversement, un étranger peut avoir une maîtrise théorique de ma langue maternelle
sans en avoir nécessairement une maîtrise pratique.
23
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fantômes, qui nous défigurent le véritable aspect des choses et que nous prenons pourtant pour les
choses elles-mêmes »
L’ignorance méthodique est un corollaire de la règle précédente (traiter les faits sociaux comme des
choses). Selon ce principe, le chercheur doit faire comme s’il ignorait tout de l’objet étudié. Il doit
avoir comme principe d’observation : « j’en sais encore rien ». Il doit faire table rase des idées qui
risquent de déformer son approche de l’objet. L’ignorance méthodique doit impliquer une rupture avec
la CC, avec la connaissance spontanée.
Les faits sociaux sont objectifs car ils sont extérieurs aux individus
L’objectivité des faits sociaux est affirmée en montrant que la société est une totalité irréductible à ses
parties, c’est-à-dire qu’elle est indépendante des individus, qu’elle n’est pas la somme des individus
qui la composent. Le fait social est un fait émergeant car il n’a pas pour fondement les individus. En
montrant le primat de la société sur l’individu, Durkheim a essayé de démontrer le caractère naturel et
objectif des phénomènes sociaux.
Les faits sociaux sont objectifs car ils sont extérieurs aux individus, et parce qu’ils sont extérieurs aux
individus, ils peuvent être traités comme des choses. Des faits sociaux comme les normes, les
habitudes, la langue, les croyances etc., existent en dehors des individus car ils leur préexistent et leur
survivent.
Que signifie le fait d’éviter la formulation de jugements de valeur dans les résultats de recherche
?
La Neutralité axiologique est une posture méthodologique que le sociologue Max Weber a proposé
dans « Le Savant et le politique », qui vise à ce que le chercheur prenne conscience de ses
propres valeurs lors de son travail scientifique, afin de réduire le plus possibles les biais que ses
propres jugements de valeur pourraient causer.
24
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Le critère de démarcation entre science et non-science est établi par Popper au sens de « critère de
scientificité d’une théorie ». Dans une première approche, il « réside dans la possibilité de l’invalider,
de la réfuter ou encore de la tester »26. Si selon Popper, une théorie n’a pas la possibilité d’être réfutée
par des données empiriques, donc mise en échec par l’expérience, elle ne peut pas prétendre au statut
de théorie scientifique.
Popper recherche un vrai critère de démarcation : la falsifiabilité, c’est-à-dire la possible réfutation par
l’expérience d’un système de la science empirique. La falsifiabilité permettrait donc de démarquer la
science des systèmes de pensée idéologiques ou philosophiques. Selon Popper, est non-falsifiable un
système porteur de vérité. Jacques-Michel Béchet souligne le fait que Popper se situe sur un axe
réfutabilité (ou falsifiabilité) – réfutation :
« La démarche poppérienne se présente selon une ligne temporelle qui commence invariablement par
la réfutabilité puis se continue (éventuellement) par la réfutation. La réfutabilité est première
chronologiquement par rapport à la réfutation puisqu’elle fonde la ‘vraie science’ constituée du corpus
des énoncés scientifiques ; c’est seulement dans un deuxième temps que l’énoncé scientifique passe
au crible de la réfutation » 27.
En d’autres termes, il faut que le système soit réfutable ou falsifiable 28 pour faire partie du corpus de
la science, et dans un second temps seulement, on regarde si on peut le réfuter actuellement. On peut
de fait mettre en avant le fait que la falsifiabilité implique que la falsification soit réalisée dans certains
cas, la limite concrète de la théorie venant d’un cas effectif où elle s’avère donner des résultats faux.
26
Popper Karl R., Conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique (1963), traduction de Michelle-Irène
et Marc B. de Launay, Payot, Genève, 2006, p.65.
27
Béchet Jacques-Michel, Le critère de démarcation de Karl R. Popper et son applicabilité, Thèse de l’Université Paul
Valéry, Montpellier, 2013, p.126.
28
La science est une activité « falsifiable » : les théories que l’on croit les mieux assises ne sont, en réalité, que des
hypothèses ou des conjectures qui seront un jour réfutées ou falsifiées par le jeu de nouvelles découvertes. En d’autres
termes, une théorie n’est pas vraie en elle-même. Elle est estimée vraie à un moment donné par la majorité de la
communauté scientifique. Mais cette croyance peut s’effondrer. La science est également, selon Popper, frappée par
l’indétermination : L’univers n’est pas un univers clos, fini que l’on peut totalement maîtriser avec une certitude absolue ;
il est, au contraire, un monde infini, ouvert mais aussi irrésolu, indéterminé.
25
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Module : Introduction à la science politique
Popper considère qu’une théorie demeure en place tant qu’on n’a pas pu l’infirmer dans le cadre de
tests, ce n’est pas pour autant qu’elle reflète la vérité vraie, c’est qu’on n’a pas pu la réfuter. La
relativisation de la réfutation à la réfutabilité des énoncés scientifiques est fondamentale.29.
Jacques-Michel Bechet conclut sur la réfutabilité de la manière suivante : « La réfutabilité est première
chronologiquement par rapport à la réfutation puisqu’elle fonde la vraie science constituée du corpus
des énoncés scientifiques ; c’est seulement dans un deuxième temps que l’énoncé scientifique passe
au crible de la réfutation. La réfutabilité, en envisageant les relations logiques et techniques existant
entre les énoncés de base avec la théorie, est aussi une étape qui prépare le passage à la pratique, et en
ce sens on peut dire que la réfutabilité fonde la réfutation. Cet acte de fondement, s’il s’appuie sur la
logique, est à la fois principiel et conventionnel et constitue, s’il en est, le point faible de
l’épistémologie poppérienne »30.
Dans le même ordre d’idées, Thomas Kuhn, élève de Popper, affirme qu’à un moment donné de
l’histoire, il existe toujours une théorie générale dominante que Kuhn appelle un « paradigme »31.
Durant cette domination, l’activité scientifique est « normale » : le travail consiste à élargir la théorie
jusqu’à rencontrer des insuffisances, des expériences contradictoires. L’accumulation de ces
exceptions conduit à une phase de crise : celle-ci débute par une étape d’incertitude qui est très
stimulante et engendre une phase créatrice ou l’on formule plusieurs théories générales alternatives. Il
en ressort une révolution scientifique qui conduit à la victoire d’une théorie qui devient le nouveau
paradigme.
29
Popper Karl R., Les deux problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance (1932), traduction française de
Christian Bonnet, Paris, Hermann, 1999, p.409.
30
Ibid, p.126.
31
ÉPISTÉMOL. Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique
donnée, qui fonde les types d'explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science
donnée. (P. Jacob, L'Empirisme logique, Paris, éd. de Minuit, 1980, p.27).
26
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Module : Introduction à la science politique
32
Janvier Onana, Initiation à la science politique, L’Harmattan, 2009, p. 17.
33
Michel Hastings, Aborder la science politique, Paris, Seuil, 1994, p. 4.
34
Jean-Claude Ricci, Histoire des idées politiques, 4e édition, Dalloz, 2018, p. 1.
27
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Module : Introduction à la science politique
35
Monique Canto-Sperber, « Pouvoir et information : la fin de l’innocence », in Jean Birnbaum (dir.), Où est le pouvoir ?
Paris, Gallimard, 2016, pp. 148-149.
36
François Guizot, Des moyens de gouvernement, Paris, Belin, 1987, p. 19.
37
Le pouvoir à caractère rationnel, qui repose sur la croyance de tous les citoyens en la légalité (la conformité au Droit)
des décisions et des ordres dictés par ses détenteurs. Dans ce cas, on parle d’un pouvoir institutionnalisé et légale, c’est à
dire qui s’exerce en vertu de sa conformité avec les lois et les normes des institutions politiques. les détenteurs du pouvoirs
28
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Module : Introduction à la science politique
que l’État permet et prescrit cette violence légitime. Toutefois, les formes rebelles d’action politique
rappellent la fragilité des mécanismes institutionnels et culturels censés pacifier l’espace public. Leur
présence invite par là même la science politique à s’intéresser aux différentes modalités de gestion de
la violence ».
Toutefois, l’ordre politique n’est pas incompatible avec la liberté du citoyen. Aux yeux de la
philosophie, le phénomène humain se donne d’abord dans la vie politique. Le politique se présente
comme l’ordre indispensable et essentiel à la liberté, à la prospérité, à l’intégrité et à la dignité de
l’homme. En fonction des contextes, suivant les époques, les enjeux et défis, chaque société entreprend
de construire l’ordre nécessaire à sa conservation. Quel citoyen construire, instruire et pour quelle
société ?
2- La Politique
Le féminin « la politique » renvoie à la face obscure, machiavélique de la politique, des manœuvrés,
manipulations et ambitions. Donc la part détestable de la politique. La politique est donc perçue comme
un espace de conflits et de combats né de la volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir ; un espace
de divisions, un lieu de manœuvres, de ruses et de tactiques, qui explique en partie son image
dévalorisée.
Le mot féminin (la politique) renvoie, donc, à un ensemble d’activités et à un espace spécifique de
compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir : la vie politique. Max Weber définit ainsi la
politique comme « l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influer sur
la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même État.
En gros, souligne-t-il, cette définition correspond à l’usage courant du terme » (Le savant et le
politique, 1959). A cet égard, Pour Julien Freund : « Dire d’une chose qu’elle est politique, c’est dire
n’ont dans ce cas aucun rapport avec le lieu du pouvoir. Le lieu du pouvoir politique se trouve dans les institutions et non
dans les personnes qui l’exercent. Le pouvoir à caractère traditionnel : qui repose sur la soumission des sujets à la
sainteté et aux traditions sociologique et religieuses qui font de lui une chose sacrée et mystique qui inspire la peur et le
respect de la part de ceux qui le subissent. L’obéissance des sujets à ceux qui détiennent le pouvoir est dictée par des règles
sacrées transmises de génération en génération. Celui qui détient le pouvoir n’est pas un supérieur de ceux qui obéissent
mais simplement un seigneur dont le pouvoir est personnel, et qui est entouré de serviteurs et de sujets. Le pouvoir à
caractère charismatique : qui se base sur la soumission totale quasi sacrée au chef charismatique dont les vertus, la valeur,
l’héroïsme et le courage dépasse ceux de ses semblables. L’obéissance des citoyens est garantie grâce aux qualités
personnelles du chef et non à un quelconques ordre légale ou institutionnel. Le chef charismatique constitue de ce fait le
lieu même du pouvoir politique. Il communique ses ordres et ses décisions à son peuple en dehors des institutions politiques,
puisque ces dernières ne peuvent prétendre à aucune légitimité en dehors de sa personne. Ce type de pouvoir est souvent
un pouvoir personnifié et personnalisé dans et par la personne du chef.
29
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
qu’elle est polémique. (…) Somme toute, ce n’est pas la lutte qui engendre la politique, mais au
contraire, la politique porte en elle le conflit qui peut, dans les cas extrêmes, dégénérer en guerre »38.
Le mot « politique » est un mot polysémique, c’est-à-dire qui renvoie à plusieurs sens.
Le mot « politique » renvoie à plusieurs sens à la fois :
- aux luttes pour la conquête du pouvoir (la compétition politique) ;
- à l’exercice du pouvoir (la politique du gouvernement) ;
- aux décisions et aux actes destinés à traduire et à mettre en œuvre les programmes gouvernementaux
(les politiques publiques) ;
- aux cadres intellectuels et institutionnels à l’intérieur desquels les uns et les autres se déploient (le
régime politique) ;
- aux interactions et échanges entre les acteurs constitutifs du système politique.
38
Julien Freund, L’essence du politique, Paris, Dalloz, 2004.
39
Edgar Morin, Enseigner à vivre, Actes Sud, 2014.
30
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Module : Introduction à la science politique
- on l’utilise aussi pour désigner le professionnel de la politique, celui qui exerce une fonction politique
: homme ou femme politique ;
- on l’utilise enfin pour désigner les savoirs constitués à propos des phénomènes politiques : science
politique, philosophie politique, théorie politique, sociologie politique, etc.
A ce stade, force est de constater que la langue anglaise semble avancer la meilleure et la plus
pertinente formulation du concept de la politique, en ce sens qu’elle distingue entre trois niveaux
d’analyse bien différents l’un de l’autre : Politics ; Policies et Policy.
A. The Politics, désigne enfin la compétition et les conflits entre les individus et les
groupes qui se développent pour contrôler le pouvoir décisionnel et orienter les
décisions prises40.
B. The Policies : Les politiques, c’est à dire toutes les orientations et les actions
publiques (de l’Etat)41.
C. The Policy : Qui est d’abord, un ensemble de choix collectifs liant des acteurs
sociaux soumis à la règle de "l'appartenance obligatoire” ; ensuite elle un Etat qui
monopolise la violence légitime et une identité liant les acteurs sociaux, en leur
fournissant une identification de soi et du monde et en leur justifiant leur vivre
ensemble. C’est à dire le système politique42.
40
Loubet del Bayle, J.-L. (1991). De la science politique. Politique, (20), 95–127. https://doi.org/10.7202/040700ar
41
Cour du professeur Abdelhamid Benkhatta Introduction à la Science Politique, FSJES- Agdal, Année, Universitaire
2020-2021
42
Ibid,
31
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
43
Ibidem, pp.17-19.
44
Définitions tirées du Cour du professeur Abdelhamid Benkhatta Introduction à la Science Politique, FSJES- Agdal,
Année Universitaire 2020-2021.
32
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
e. David Easton pour sa part croit pouvoir dépasser les difficultés liées à la définition de l
De manière générale, on peut avancer que la science politique contemporaine avait pu construire
son identité disciplinaire et son autonomie scientifique à partir de trois concepts fondamentaux
qui sont : L’Etat, le pouvoir, et les rapports sociaux de domination et de subordination qui en
découlent.
En particulier, cet effort s’est traduit par une controverse devenue classique entre tenants de la
science politique comme « science de l’Etat » et tenants de la science politique comme « science
du pouvoir », une controverse dont on ne peut pas ne pas rappeler les termes, même si l’on considère
qu’elle ne permet pas de parvenir à une solution pleinement satisfaisante.
33
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
Comme on l’a noté précédemment, la signification du terme politique est ambiguë et, suivant l’article
dont on le fait précéder, le mot ne désigne plus exactement la même chose : « Une » politique ne
désigne pas exactement la même réalité que «la » politique, et « la » politique ne désigne pas le
même objet que « le » politique. Cette difficulté à définir l’objet de la science politique fut, par
exemple, illustrée en 1948 lorsqu’une conférence d’experts réunis par I’UNESCO pour discuter de
cette question n’aboutit qu’à une définition énumérative distinguant quatre champs d’investigation :
les théories et les idées politiques, les institutions politiques, les partis, les groupes de pression
et l’opinion publique, et les relations internationales.
Si cette solution énumérative est révélatrice, il faut néanmoins souligner que des tentatives ont été
faites pour donner de la politique une définition plus conceptuelle. En particulier, cet effort s’est
traduit par une controverse devenue classique entre tenants de la science politique comme « science
de l’Etat » et tenants de la science politique comme « science du pouvoir », une controverse dont on
ne peut pas ne pas rappeler les termes, même si l’on considère qu’elle ne permet pas de parvenir à
une solution pleinement satisfaisante.
34
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
45
Arnauld Leclerc, Introduction à la science politique, Leçon 4 : L'Etat : comment le définir, pp.1-16.
35
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Module : Introduction à la science politique
De ce texte fut retenue l’idée que l’État en général se définit par le monopole de la violence légitime.
Cette définition mérite d’être analysée sous deux angles : d’abord, un angle statique explicitant les
termes utilisés ; ensuite, un angle dynamique analysant ses différentes formes historiques et situant ce
concept dans l’œuvre de Weber.
a- Concept d’État
Le « monopole de la violence »
46
Max Weber, Économie et société, tome 1, chp 1, § 17, p 97.
36
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
La « violence légitime »
D’abord, Weber considère qu’une analyse scientifique doit être neutre ce qui impose de distinguer les
jugements de valeurs des jugements de fait. De là, il découle que la violence ne doit pas être envisagée
comme valeur (bien ou mal) mais comme un fait : les gouvernants utilisent la violence (la contrainte).
Mais pour cela, ils ont besoin du consentement des gouvernés. Comment cette légitimité est-elle
acquise ? Nous entrons alors dans la très célèbre distinction des trois types de légitimité qui sont aussi
trois formes de domination :
47
Ibid
37
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
48
Ibid, p.73.
38
Professeur : M. Hassan DANANE
Module : Introduction à la science politique
Un État est délimité par des frontières internationalement reconnues. La notion de frontière est récente
et n’est apparue qu’avec la généralisation des États. En pratiques, les frontières sont reconnues par des
accords bilatéraux ou multilatéraux enregistrés aux Nations Unies. La délimitation spatiale ou
géographique permet de circonscrire une zone d’application des normes de la puissance publique. En
apparence simple, ce premier critère pose plusieurs difficultés :
• Existe-t-il des territoires sans État ?
Historiquement, il a existé des « territoires sans maître » qui recouvraient les terres vierges.
Aujourd’hui cette question ne se pose plus guère que pour l’Arctique qui, par traité, a été réparti entre
5 États selon la technique du quartier d’orange (USA, ex-URSS, Canada, Danemark, Norvège). Pour
l’Antarctique, le traité de Washington du 1er décembre 1959 retient le principe d’une zone
internationale démilitarisée à vocation scientifique.
• Quelles sont juridiquement les limites territoriales d’un État ?
Du point de vue du droit essentiellement international, les limites territoriales d’un État sont : les
frontières terrestres correspondant aux limites naturelles ou artificielles reconnues par les traités
internationaux. L’État est également propriétaire de son sous-sol même si vous avez un titre de
propriété privée. L’État exerce également sa souveraineté sur l’espace aérien lequel se limite à l’espace
atmosphérique. Mais la convention de Chicago du 7 décembre 1944 autorise le survol des avions en
temps de paix sur tous les territoires nationaux. Les frontières maritimes sont, elles, les plus complexes.
Dans ce domaine, la règle a toujours été de considérer la haute mer comme une res nullius ou une res
communis. La limite des eaux territoriales était traditionnellement fixée à 3 milles marins
correspondant à une portée de canon. La pression des États côtiers du « tiers monde » a conduit a
repoussé cette limite à 12 milles nautiques avec la possibilité d’opérer des contrôle douanier, sanitaires,
fiscaux sur une zone de 12 milles au-delà de la limite précédente. Surtout la convention internationale
de 1959 a consacré l’existence de zones économiques allant jusqu’à 200 milles des côtes notamment
sous la pression des États exploitant du pétrole Off-shore.
b. Une population
L’ensemble des individus assujettis au droit de l’État constitue sa population. Juridiquement, en effet,
les individus mais aussi les personnes morales, les navires et les avions sont rattachés à un État à
l’exception du cas limite des apatrides.
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• Les résidents sont toutes les personnes habitant sur le territoire de l’État que ce
soit temporairement ou durablement. Normalement, les nationaux en constituent
l’écrasante majorité. Mais les populations étrangères peuvent constituer des
minorités nombreuses et donc des sources de déstabilisation d’un pays.
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d’autres termes, l’effectivité de la norme dépend ultimement du recours éventuel à la violence. C’est
cette garantie contre le refus d’obéissance qui distingue le droit de la morale ou l’éthique. Mais ce
pouvoir doit aussi être institutionnalisé, organisé. Cela implique deux choses : d’une part, les
gouvernants n’agissent pas en leur nom et selon leur volonté mais en vertu d’une entité abstraite qu’ils
représentent ; d’autre part, ils agissent par le jeu de procédures et de règles manifestant l’existence
d’un cadre juridique, d’un ordre où les compétences sont réparties et les normes hiérarchisées.
• Le critère ultime de la reconnaissance : légitimité ou effectivité ?
L’autorité politique n’est commune que lorsqu’elle est reconnue à la fois au plan interne par les
citoyens et au plan externe par les États composant la communauté internationale. Mais sur quelle base
s’effectue la reconnaissance notamment au plan international ? Sur ce terrain, deux écoles s’affrontent.
L’école idéaliste met l’accent sur la légitimité et le caractère démocratique d’un gouvernement. Elle
trouva une première expression avec la « doctrine Tobar » du nom d’un ministre des affaires étrangères
de l’Équateur qui proposa en 1907 de ne reconnaître un gouvernement issu d’une révolution qu’une
fois qu’il fut confirmé par des élections libres et régulières.
L’école réaliste, au contraire, met l’accent sur l’effectivité du gouvernement, sa pérennité. Au
demeurant, il existe une sorte de course à la reconnaissance qui peut être une spirale dès lors qu’un
nouveau gouvernement émerge et qu’il reçoit des soutiens. Une expression de cette école fut la «
doctrine Estrada » du nom d’un ministre mexicain des affaires étrangères dans les années 1930 qui
récusa la doctrine Tobar. Depuis une vingtaine d’années, les pressions s’intensifient pour le retour à
l’honneur du critère de légitimité plutôt que celui d’effectivité.
a. La personnalité juridique
L’une des caractéristiques majeures de l’État est d’être un organisme structuré. De ce fait, l’action
d’individus va être rapportée à la collectivité dans son ensemble, à la communauté juridiquement
organisée. Ainsi la signature d’un traité par le Chef du gouvernement engage l’État. D’une manière
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générale, les agents de l’État lorsqu’ils agissent dans le cadre des fonctions qui leurs sont conférées,
s’effacent en tant qu’individus au profit d’une entité abstraite. En ce sens, Léon Duguit pouvait
affirmer : « je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale ». La personnalité morale et juridique
n’est donc pas le décalque d’un individu physique mais plutôt une construction théorique acceptée et
ancrée qui produit des effets considérables. Elle signifie qu’une communauté humaine spécifique et
unifiée par une autorité politique se reconnaît comme sujet collectif ; en d’autres termes, il devient
possible de référer des actions, des propos mais aussi des droits et obligations à cette entité prise
isolément. Le pouvoir cesse d’être la propriété de son détenteur pour devenir une fonction, une
magistrature détachée de toute personne l’exerçant. C’est le sens de l’adage français « Le roi est mort,
vive le roi » et de la formule de Bossuet « O princes, vous mourrez mais votre État est immortel ».
Autonomisation également par rapport aux sujets individuels c’est-à-dire aux mandants sur lequel le
pouvoir repose
Tout d’abord, la notion de personne morale permet de concevoir la pérennité de l’État en dépit du fait
que ses attributs peuvent changer et se renouveler : son territoire peut bouger ou être envahi ; sa
population peut être modifiée dans sa composition à l’issue de phénomènes migratoires ou juridiques
; son autorité politique commune peut être renouvelée et ses titulaires changés. Pourtant un traité
international engagera l’État au-delà du gouvernement qui a apposé sa signature ; les engagements
financiers engageront l’État même si le ministre des finances change.
Ensuite, cette théorie de la personnalité morale permet de résoudre le problème des acteurs de la société
internationale. D’un côté, seules des personnes morales et juridiques sont admises sur la scène
internationale. D’un autre côté, ces personnes auront les mêmes attributs et seront donc traitées de
manière égalitaire en dépit de leur extrême variété et inégalité tant au niveau de leur territoire, de leur
population que de l’effectivité de leur gouvernement c’est-à-dire de la reconnaissance plus ou moins
grande de l’existence d’une autorité politique commune. Grâce à la personnalité morale et juridique,
toutes les sociétés sont considérées comme des centres de droits et d’obligation.
b. La souveraineté
La souveraineté constitue, premièrement, une réponse à la question de l’ordre juridique. Ce dernier se
caractérise par une pyramide de normes auxquelles les actes et les décisions doivent se conformer.
Mais que peut-être le sommet de la pyramide ? En amont, il faut donc une compétence originelle qui
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pose les règles premières, une « compétence de compétence » comme l’appelaient les juristes
allemands du XIXe siècle. Cette compétence revient, dans les sociétés modernes, au souverain qu’est
le peuple lequel l’exerce par le biais du pouvoir constituant.
Deuxièmement, elle constitue une réponse à la question des règles du jeu dans les relations
internationales. La société internationale se caractérise, en effet, par des inégalités considérables
notamment des inégalités de puissance. La souveraineté vient en partie gommer cette donnée en
refusant d’officialiser les rapports de forces et les inégalités. En tant qu’il est souverain, chaque État
est mis sur le même pied qu’un autre. Il est aussi considéré comme indépendant. La souveraineté pose
donc l’égalité juridique et l’indépendance des États sur la scène internationale afin de stabiliser les
relations entre États.
Ceci étant, cette approche centrée sur la notion d'État, et sur son corollaire juridique la théorie de la
souveraineté, a fait l'objet d'un certain nombre de critiques. Tout d'abord, sa précision reste relative,
car les frontières de l'État ne sont pas évidentes, particulièrement dans une période qui voit s'étendre
les activités et les interventions de l'État dans la vie sociale. D'autre part, et surtout, on reproche à cette
définition de conduire à une vision restrictive du politique en privilégiant ses aspects juridiques et
institutionnels au détriment de ses dimensions sociologiques, en oubliant qu'avant d'être des
phénomènes juridiques les phénomènes politiques entrent dans la catégorie plus générale des
phénomènes sociaux.
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Module : Introduction à la science politique
49
Loubet del Bayle, J.-L. (1991). De la science politique. Politique, (20), 95–127. https://doi.org/10.7202/040700ar
50
Dahl, R. (1973), L'analyse politique contemporaine. Paris, Fayard, p. 28.
51
Guy Rocher, Droit, Pouvoir et Domination, Bibliothèque virtuelle de l’UQAC, 1986, p. 15-16.
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Module : Introduction à la science politique
d’interprétation des sociologues ou le choix des dimensions prises en compte dans l’analyse, mais le
fait que deux objets ou deux réalités ontologiques distinctes sont désignées par un même mot, un même
concept. Ce dualisme des perspectives sur le pouvoir est un fait reconnu dans la littérature
sociologique. Ce constat est affirmé par Giddens lorsqu’il avance que : « Parmi les nombreuses
interprétations du pouvoir en théorie sociale et politique, dira Giddens, deux grandes positions se
dégagent. L’une affirme que le pouvoir doit être conceptualisé comme la capacité d’un acteur de
réaliser sa volonté aux dépens de celle d’autres personnes qui pourraient lui résister – c’est le type de
définition employée par Weber parmi beaucoup d’autres auteurs. L’autre soutient que le pouvoir doit
être considéré comme une propriété de la société : le concept de pouvoir de Parsons, par exemple,
appartient à cette deuxième catégorie »52.
52
Anthony Giddens dans Frédéri c Sawicki, Le pouvoir 1. Science politique, sociologie, histoire, Paris : Berlin-Sud, 1994,
p. 78. On retrouve aussi ce constat chez Rocher : « Mais nous avons vu plus haut que cette utilisation du terme [le pouvoir
politique] a été contestée par les politicologues qui ont voulu mettre en lumière la pluralité des pouvoirs dans la société
moderne. Parler du pouvoir pour désigner l'État, c'est exclure du discours sur le pouvoir toutes les autres machines à pouvoir
hors de l'État. Il y a là déjà une importante distinction, dont on peut dire qu'elle implique deux visions très différentes de
la société moderne, entraînant des conséquences scientifiques considérables. Selon que l'on définit le pouvoir de la première
ou de la seconde manière, le champ d'étude du pouvoir se restreint ou s'étend » (1986, p. 7-8).
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Cette perspective prend place dans une conception fonctionnaliste du pouvoir et mettent l'accent sur la
capacité d'un système à réaliser ses buts ainsi que sur l'aptitude d'une unité du système à participer à
la réalisation de ces buts. Gamson57, par exemple, conçoit le pouvoir comme étant « la capacité d'un
système d'utiliser ou de mobiliser des ressources pour contribuer à l'élaboration des biens collectifs
». T. Parsons58, pour sa part, a défini le pouvoir comme suit : « Le pouvoir est une capacité générale
qui permet d'assurer que les unités d'un système d'organisation collective satisfont certaines
obligations, lorsque ces dernières sont légitimes eu égard aux buts collectifs, et lorsque, en cas de
refus, on peut s'attendre à l'application de sanctions négatives tangibles, quelle que soit d'ailleurs la
modalité retenue pour infliger ces sanctions ».
53
Talcott Parsons, Sociétés. Essai sur leur évolution comparée, Paris : Dunod, 1973.
54
Duverger, Maurice, Introduction à la politique, Paris : Gallimard, 1964.
55
Selon Burdeau, « la fonction du pouvoir est de créer du droit » (Traité de science politique, tome 1, Présentation de
l’univers politique, volume II Le pouvoir politique, Paris : Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1949, p. 197.
56
Le Léviathan de Hobbes ou Le Prince de Machiavel, en passant aussi par L’esprit des lois de Montesquieu et Le contrat
social de Rousseau entre autres exemples.
57
W. Gamson, Power and Discontent, Illinois, Dorsey, 1968.
58
T. Parsons, « On the Concept of Political Power », in T. Parsons, Politics and Social Structure, New York, 1969.
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multiples institutions sociales contribuent tout autant que les institutions politiques à la production
des normes collectives »59.
Tous les auteurs, se situant dans la tradition « wébérienne » ont mis l'accent sur l'aspect relationnel du
pouvoir : ils partent d'un concept de pouvoir commun qui implique la possibilité pour certains individus
et groupes d'agir sur d'autres individus ou groupes ; Pour Max Weber « Le pouvoir est la probabilité
pour un acteur d'être en mesure d'imposer sa volonté dans le cadre d'une relation sociale, malgré les
résistances éventuelles, et quel que soit le fondement sur lequel repose cette probabilité»60. R. A.
Dahl, de son côté, nous propose cette définition : « Mon idée intuitive du pouvoir est la suivante : A
exerce du pouvoir sur B dans la mesure où il peut obtenir que B fasse quelque chose que B n'aurait
pas fait sans l'intervention de A »61. Quant à J. French et B. Raven, ils considèrent que « le pouvoir est
la capacité potentielle dont dispose un groupe ou une personne pour en influencer une autre dans un
système donné »62.
Par-delà ces divergences, nous retiendrons néanmoins que par rapport aux approches fonctionnalistes
du pouvoir, les conceptions relationnelles présentent un double mérite. D'abord, considérer le pouvoir
comme une relation revient à admettre que les individus ou groupes ne disposent de pouvoir (ou en
sont démunis) que par rapport à d'autres individus ou groupes. En d'autres termes, ce sont les autres
qui donneront un sens au pouvoir de l'individu (ou du groupe) et qui le rendront pertinent dans une
relation sociale donnée. Ensuite, cette approche relationnelle met l'accent sur le fait que, en dépit de la
nature asymétrique du pouvoir \ la réciprocité d'influence n'est pas complètement exclue. Cette
réciprocité d'influence peut revêtir de nombreuses modalités, chacune des théories sur le pouvoir
privilégiant plus ou moins l'une ou l'autre. C'est à partir de ces modalités que nous avons distingué
deux catégories de théories.
Sans entrer dans le détail de ces théories ', rappelons-en seulement les éléments pertinents par rapport
au problème de la résistance d’alter en tant que modalité de la réciprocité d'influence. D. Cartwright
définit le pouvoir d'ego sur alter comme la force maximum induite par ego sur alter moins la force
59
Sawicki, Frédéric, Le pouvoir 1. Science politique, sociologie, histoire, Paris : Berlin-Sud, 1994, p. 209.
60
Max Weber, The Theory of Social and Economie Organization, Chicago, 1947, p. 152.
61
R. A. Dahl, « On the concept of power », Behavioural Science, 1957.
62
J. R. French et B. Raven, « The bases of Social Power », in D. Cartwright et A. Zander, Group Dynamics: Research and
Theory (2e éd.), Londres 1960, p. 609. 4
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maximum de résistance qu'alter y oppose. L'intensité de la résistance déployée par alter pour se
soustraire à l'influence d'ego, pourra par conséquent être cernée en comparant le comportement d'alter,
lorsqu’ego s'évertue à le surveiller, au comportement d'alter quand ego n'exerce aucune surveillance
sur lui63. J. French et B. Raven de leur côté ont opéré une classification des relations de pouvoir en
fonction des motivations en jeu, de l'ampleur de la surveillance exigée et de l'intensité des forces de
résistance. Ils déclarent que le pouvoir fondé sur la coercition 10, se traduisant par la surveillance du
subalterne et le recours à des sanctions négatives, entraîne des forces de résistance supérieures de la
part d'alter64. Pour ces auteurs, il ne convient de parler de pouvoir que dans la mesure où ego maîtrise
la résistance d'alter. Mais alors que pour Cartwright la résistance d'alter constitue la conséquence
inéluctable de l'exercice du pouvoir de la part d'ego, French et Raven traitent le pouvoir à la fois comme
le produit de l'injonction d'ego et de la résistance d'alter.
Par-delà les possibilités de résistance de la part d'alter, il existe des situations où la réciprocité de la
relation apparaît encore davantage, à travers l'échange de ressources rares entre individus (ou groupes)
à l'intérieur d'un système. De façon générale, les théories de l'échange des ressources considèrent qu'à
partir du moment où existe une distribution inégalitaire des ressources, ceux qui en sont dépourvus, se
trouvent en situation d'infériorité par rapport à ceux qui en disposent. Dans ce cas, ces derniers sont
alors en mesure de transformer leur surplus de ressources en pouvoir, en concédant certaines ressources
à ceux qui en sont dénués, en contrepartie d'un changement de comportement de la part d'alter allant
dans le sens désiré par ego. Parmi les théories de l'échange, nous retiendrons d'abord celle de P. Blau.
Pour Blau, ego a du pouvoir sur alter, lorsqu’alter dépend d'ego de façon permanente pour obtenir un
bien qui lui paraît indispensable, qu'il n'est guère en mesure de trouver ailleurs, et qu'il ne peut
contraindre ego à lui céder65. L'approche de P. Blau nous paraît intéressante de trois points de vue66.
D'abord, elle spécifie que les relations de pouvoir ont pour fondement la distribution inégalitaire des
ressources, ce qui peut entraîner l'échange direct de ressources rares entre ego et alter ; ce qui permet
encore de faire peser la menace sur alter ou de lui infliger une punition. Deuxièmement, Blau considère
63
D.' Cartwright, « A Field Theoretical Conception of Power », in D. Cartwright, Stu¬ dies in Social Power, Michigan,
1959, p. 194.
64
J. French et B. Raven, « The Basis of Social Power », in Cartwright, Studies in Social Power, Michigan, 1959, pp. 150-
167.
65
P. Blau, Exchange and Power in Social Life, New York 1964, p. 1 17.
66
Ibid
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que le pouvoir d'ego est fonction certes, du degré de dépendance d'alter eu égard à la distribution des
ressources rares, mais d'ajouter que le pouvoir d'ego varie également selon le degré de substituabilité
de la ressource rare, c'est-à-dire selon les possibilités ouvertes à alter de trouver ailleurs qu'auprès d'ego
les ressources pertinentes qui lui sont nécessaires. Hickson et alii67 ont développé la théorie de
l'échange social de Blau en complétant la notion de « substituabilité » par celle de « centralité » et de
« maîtrise de l'incertitude ». Prenant appui sur le travail de Lawrence et Lorsch68 et sur le concept de
contingence de M. Crozier69, ils considèrent qu'un sous-groupe a du pouvoir dans la mesure où il est
capable de maîtriser une source d'incertitude par rapport à l'organisation, où il remplit un rôle central,
et où il est difficilement remplaçable. Mais étant donné que par exemple tous les départements d'une
organisation sont, à des degrés divers, à la fois remplaçables et centraux, ils estiment tout compte fait
que la distribution du pouvoir organisationnel est fondée essentiellement sur la capacité d'un sous-
groupe à maîtriser l'incertitude. Cependant le seul contrôle des ressources à l'intérieur d'un système ne
constitue pas à proprement parler du pouvoir dans la perspective des théories de l'échange : encore
faut-il que les ressources dont dispose ego soient souhaitées, nécessaires et pertinentes par rapport à
alter. De plus, la seule connaissance de la distribution des ressources ne représente qu'un indicateur
grossier des relations de pouvoir dans l'organisation : en effet, ego peut très bien disposer de ressources
pertinentes par rapport à alter sans pour autant les utiliser, que ce soit sous une forme directe ou sous
la menace. Ce dernier point pose alors le problème des raisons pour lesquelles les ressources n'ont pas
été mobilisées par ego, et en dernière instance celui de la perception même qu'ont les acteurs de leurs
propres sources de pouvoir et de celles des autres. Ainsi, la théorie de l'échange social se plaçant dans
le cadre actionnaliste qui privilégie l'étude du comportement des acteurs contingent à la distribution
des ressources d'un système, se doit d'élucider les trois éléments suivants : la pertinence des ressources
d'ego et de celles d'alter, la perception qu'ils ont de ces ressources (la connaissance des ressources à
leur disposition et les effets attendus de leur utilisation sur leurs comportements respectifs) et la façon
dont s'opère le passage à la mobilisation effective des ressources.
Les deux approches qui viennent d'être évoquées se heurtent donc à des objections d'une portée
non négligeable. D'ailleurs, ces objections sont tellement fondées que les tenants des thèses
67
D. J. Hickson, C. Hinings, R. Schneck, N. Pennings, « A Strategic Contingency Theory of Intraorganizational Power »,
Administrative Science Quarterly, vol. 16. 1971, p. 219-22.
68
P. Lawrence et J. Lorsch, Organizations and Environment, Cambridge, 1967.
69
M. Crozier, Le Phénomène bureaucratique, Paris, 1964.
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antagonistes ont été obligés d'en tenir compte et d'amender la radicalité de leurs positions. Ainsi,
Marcel Prélot, tout en maintenant sa référence à l'État, a été conduit à préciser que la science
politique doit s'étendre à la connaissance de «tout l'État», dans ses diverses formes et dans ses
diverses composantes, juridiques certes, mais aussi sociologiques. Il ajoute en outre que la
science politique ne saurait négliger l'étude de ce qui a précédé l'État — les «phénomènes
préétatiques» — l'étude de ce qui peut dans certains cas le remplacer — les «phénomènes
paraétatiques» — et enfin l'étude de ce qui peut éventuellement le dépasser — les «phénomènes
supraétatiques»70.
De même, les tenants de la science politique comme science des phénomènes de pouvoir
admettent que les formes les plus perfectionnées et les plus complexes de pouvoir se situent dans
le cadre de l'organisation étatique. Ainsi Maurice Duverger constate-t-il « que ceux qui
définissent la politique comme la science du pouvoir en général reconnaissent qu'il atteint dans
l'État sa forme la plus achevée, son organisation la plus complète et qu'on doit surtout l'étudier
dans ce cadre; dans les autres sociétés humaines, il reste embryonnaire»71.
70
M. Prélot, op. cit., p. 97-100.
71
Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, pp. 15-16.
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