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MONTAIGNE écrit dans Les

Essais (II, 10) que Rabelais


est un auteur
« simplement (1) plaisant ».
Partagez-vous ce jugement
à propos de l’œuvre
étudiée Gargantua ?

(1) Avec simplicité

Dissertation de fin de séquence sur


RABELAIS, Gargantua (1534)
séquence: la littérature d’idées
parcours: rire et savoir
Introduction : contextualisation & rappel du
sujet
Montaigne et Rabelais, bien que le second fût d’une génération plus
jeune, ont beaucoup de choses en commun : humanistes, érudits, fins
lecteurs et traducteurs de textes anciens, croyant aux vertus de
l’éducation.
Comme Rabelais, le philosophe Montaigne s’intéresse aux croyances,
et aux jugements ; dans le chapitre Des livres, il revient sur les écritsd e
son temps, « les modernes » comme il dit, distribuant bons ou mauvais
points aux uns et aux autres. Pour Rabelais son intérêt est relativement
limité et il lui reconnaît le talent d’être « simplement (comprendre:
avec simplicité) plaisant ». Rabelais est-il réductible à cet avis
rapidement brossé?
Problématisation => plan
• Être plaisant veut-il dire que Gargantua plait, emporte les suffrages?
Mais alors, peut-il être du goût de tous les lecteurs? Le plaisir de
lecture est-il acquis? N’y a-t-il pas dans Gargantua matière aussi à
dissuader le lecteur?
• Plaire, est-ce divertir? Distraire revient-il à exclure le sérieux et la
profondeur pour n’être que facilité?
• Cet agrément est-il un préalable à l’éveil culturel et intellectuel,
autrement dit un moyen de la formation critique du lecteur ou bien
faut-il y voir l’aboutissement, c’est-à-dire la fin du projet réformateur
rabelaisien?
Gargantua, un roman plaisant
• Nombre d’épisodes, relances et péripéties: 58 chapitres = séquençage marqué qui rend compte du rythme
soutenu des aventures de Gargantua et ses compagnons.
• Variété des enjeux, thèmes et intrigues: l’enfance de Gargantua dans une famille joyeuse et harmonieuse,
puis la formation (chap. 11-25) avec les Sophistes (Holoferne qui lui fait réciter « par cœur et à l’envers », puis
avec ses maitres Eudémon et Ponocrates) puis la guerre contre Picrochole, avec ses alliés et amis (Frère Jean,
Gymnaste) jusqu’à la victoire et le rêve d’une nouvelle société utopique (chap.54, les Thélémites).
• De quoi appâter le lecteur et le rendre actif, toute une dimension ludique et herméneutique dans le roman :
l’effort de décryptage demandé par l’énigme finale (chap. 58) ou déjà par le prologue et la double analogie
avec les Silènes et Socrate.
• Dimension optimiste et réconfortante : principe fondamental de la « joie » (« joyeusement » adverbe
récurrent dans le roman) . Le roman débute par l’adage « rire est le propre de l’homme » et se conclut par :
« on banquette joyeusement, et en faisant grande chère. »
• Fonction incitative du plaisir et de la facilité. La légèreté et le rire gras peuvent amener le lecteur à la
réflexion : ainsi, dans le chap. 23 sur l’éducation (sujet aride, notion relative et mettant en jeu aussi la notion
philosophique de liberté), avant d’en arriver à l’énumération des sources antiques exigeantes, le texte passe
par une narration entraînante (rituel matinal du jeune Gargantua) et par du comique de répétition couplé à
celui de situation, comme lorsque Rabelais mêle les scènes d’apprentissage aux moments plus triviaux, de
digestion ou défécation : c’est ainsi entre l’imploration de Dieu et la leçon d’astronomie, que Rabelais ménage
une pause inattendue et récréative : « Puis allait aux lieux secrets faire excrétion des digestions naturelles. »
Un agrément dissuasif dans Gargantua?
• Certains aspects du roman peuvent dissuader les lecteurs, y compris dans l’expression hédoniste, parfois
outrancière; dès le début du roman, non sans provocation, Rabelais s’adresse aux lecteurs par l’apostrophe
« Buveurs très illustres et vous, vérolés très précieux », c’est-à-dire par les excès de la boisson et de la
débauche.
• Le roman peut se révéler choquant, ne rechignant pas aux évocations scatologiques, et en particulier au
début du roman: Gargamelle qui mange des tripes au chap.4, la braguette au chap.8, les surnoms donnés
au sexe de l’adolescent Gargantua au chap.11, « l’invention du torchecul », chap. 14. Dans le premier
quart du roman, les lecteurs les plus prudes seront peut-être déjà dissuadés de poursuivre la lecture.
• D’un tout autre ordre est le découragement que peut inspirer à certains lecteurs la difficulté du roman, qui
exige de ses lecteurs beaucoup au plan culturel émerge dès le prologue qui abonde en références
savantes: « comme dit Platon au livre II de la République » et « comme le dit Galien au livre 3 Des Facultés
naturelles et IIe de L'Usage des parties du corps ». Au chap. 23 l’énumération des auteurs antiques (« Pline,
Athénée, Dioscorides, Julius Polux, Galien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodores, Aristote, Elien et
d'autres ») aura achevé de mettre les lecteurs face à leur inculture.
• Tous les lecteurs vont-ils enfin accepter la part frustrante du roman qui se clôture sur une énigme
(« énigme en prophétie », chap. 58) dont on n’a pas la solution, ou du moins pour laquelle on n’obtient
qu’une solution difficilement acceptable, à savoir celle, expéditive, donnée par Frère Jean après des pages
et des pages de spéculations élaborées : « Et y ravassez, vous et tout le monde ainsi que voudrez : de ma
part je n'y pense autre sens enclos qu'une description du jeu de paume sous obscures paroles. »
Le plaisir comme fin de Gargantua
• La « joie », omniprésente, structure mais fait aussi signifier le récit. Dans le chapitre 12 (chevaux factices), la
déambulation des personnages dans les escaliers du château matérialise le cheminement intellectuel du
lecteur dans cet extrait aux allures de fable. L’aspect ludique n’est donc pas un hasard, ni même une diversion;
au contraire, il participe d’une méthode de questionnement, tout le chapitre se donnant des allures de
dialogue platonicien (entre l’enfant et les invités au château). Au chapitre précédent, le rythme de vie « à
savoir à boire, manger, et dormir : à manger, dormir, et boire : à dormir, boire, et manger. », l’accumulation
verbale, dans toutes les combinaisons possibles pour juxtaposer les trois termes ne veut pas signifier la
répétition mais au contraire, par la subtile variation, le plaisir qu’il y a à revenir, sans lassitude, à ces trois
actions primordiales. Le plaisir cadence le récit tout autant qu’il en stimule la mise en œuvre, parfois jusqu’à
la satiété, comme dans les listes, de mots et de calembours, ainsi l’énumération du chapitre 22.
• Il est frappant de constater que ce chapitre portant sur les « jeux » du personnage, est précisément le plus
érudit de tout le roman, celui qui propose une suite effrénée de jeux médiévaux et anciens dont la plupart
sont soit des usages régionaux soit relèvent de coutumes déjà révolues à l’époque de Rabelais de sorte qu’on
est dans la pure érudition : « Là jouait, Au flux À la prime À la vole À la pille À la triomphe À la Picardie Au
cent À l'épinay À la malheureuse Au fourbi À passe dix À trente et un. À pair et séquence À trois cents Au
malheureux À la condemnade À la carte virade Au malcontent Au lansquenet Au cocu À qui à si parle À pille,
nade, joque, fore À mariage Au gai À l'opinion À qui fait l'un fait l'autre À la séquence Au luettes Au tarot […] »
Conclusion
• Bilan
Le plaisir dans Gargantua (celui des personnages, celui de l’écriture,
celui de la narration, celui des lecteurs) n’est pas gratuit : il
participe d’une dynamique critique à laquelle le lecteur participe, il
fournit des clefs d’interprétation des épisodes, bref il se révèle
capital dans la logique humaniste d’accès à une pensée
renouvelée et élargie.
• Ouverture
L’humanisme de la Renaissance a souvent tenté l’impossible, c’est-
à-dire l’harmonisation, au sens de réconciliation des contraires.
Chez Rabelais, les jeux et les plaisirs surgissent au même chapitre
que celui où on lit que Gargantua se réveille « à cinq heures »
chaque matin (chap. 23) et on voit que la maxime des Thélémites
qui enjoint au bonheur reste une injonction (« fais ce que
voudras », chap. 52).
Chez MONTAIGNE, qui doit beaucoup au stoïcisme, le plaisir est
tout autant maintenu comme l’autre composante d’un bonheur
pour le moins hybride (dans la modération mais aussi dans la
jouissance) . Ainsi à la toute fin des Essais, dans De l’expérience (III,
13), MONTAIGNE se souhaite certes une vie « sans extravagance »,
mais aussi de la sagesse… « gaie et sociable».

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