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Réconcilier contrats publics et intérêt public : Pour un

nouveau modèle du pouvoir contractuel de l'État

Thèse

Antoine Pellerin

Doctorat en droit
Docteur en droit (LL. D.)

Québec, Canada

© Antoine Pellerin, 2020


Réconcilier contrats publics et intérêt public :
Pour un nouveau modèle du pouvoir contractuel de l’État

Thèse

Antoine Pellerin

Sous la direction de :

Pierre Lemieux, directeur de recherche


Sophie Brière, codirectrice de recherche
Résumé

Les contrats publics ont pour finalité l’intérêt public. Les auteurs s’entendent sur ce principe
et les tribunaux ne cessent de le rappeler. Pourtant, aucun texte de loi ayant pour vocation de régir
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ne nous renseigne sur ce que signifie l’intérêt public. C’est
ce silence de la loi, conjugué au contexte social des dernières années - qui a ébranlé toute certitude
vis-à-vis du fonctionnement adéquat de notre système d’attribution des contrats publics - qui est à
l’origine de cette thèse.

Nous avons donc entrepris d’examiner le cadre normatif qui régit l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État pour voir si une conception particulière de l’intérêt public s’en dégageait. Nous
avons alors découvert que les règles qui gouvernent les contrats publics sont influencées par une
variable qui compte plus que toutes les autres : le coût. Cette variable occupe une place si importante
dans l’encadrement normatif des contrats publics qu’il ne nous paraît pas exagéré d’avancer que la
notion même d’intérêt public se confond désormais avec l’exigence budgétaire du projet public. Les
contrats publics sont dominés par des règles comptables auxquelles est subordonnée la véritable
question de l’intérêt public.

Cette conclusion commande de réfléchir à une façon de refonder l’intérêt public. Pourquoi ?
Parce que l’aspect budgétaire ne constitue que l’une des dimensions de l’intérêt public et non pas
l’intérêt public en tant que tel. Il est même possible d’envisager que dans certains cas, l’aspect
budgétaire n’ait aucune valeur en regard de l’intérêt public. C’est le caractère polymorphe de l’intérêt
public, le fait qu’il s’agit d’une notion perméable capable de baliser l’exercice des pouvoirs publics
en fonction de ce qui est légitime dans chaque cas d’espèce qui en fait toute la valeur. Réduire l’intérêt
public à une seule de ses dimensions, qu’il s’agisse du budget, de l’esthétique, de la durabilité ou de
l’échéancier, n’est pas souhaitable, car c’est faire fi de l’ensemble des besoins et aspirations qui
peuvent être pertinentes aux yeux du public dans un contexte donné.

Alors que le pouvoir contractuel de l’État est censé servir l’intérêt public, les citoyens – qui
sont dans les faits les principaux bénéficiaires des projets et ceux à qui appartient en principe la
définition du contenu de l’intérêt public – sont complètement exclus du processus qui mène à la
réalisation d’un projet public. Le cadre normatif présume que leur intérêt sera satisfait grâce à la

III
concurrence que se livrent des entrepreneurs désireux de participer aux projets publics et qui sont par
le fait même appelés à donner le meilleur de ce qu’ils ont à offrir. L’on présume également que
l’Administration publique est en mesure de s’assurer que les projets, au stade de leur conception, de
leur exécution et de leur évaluation, répondent aux attentes de la communauté qui en a besoin. Or, la
rationalité budgétaire qui anime le droit des contrats publics est loin de garantir que les projets qui en
font l’objet répondront aux attentes complexes, contextuelles et plurielles du public.

La refondation à envisager implique de recentrer l’exercice du pouvoir contractuel sur la


satisfaction de l’intérêt public conçu comme cadre de légitimité capable d’intégrer les points de vue
de tous les acteurs sociaux concernés. Cette refondation implique également de faire réapparaitre le
public dans un processus qui vise précisément à satisfaire son intérêt. Le concept de démocratie
administrative, tel qu’il est envisagé en droit administratif, vise à revoir la relation entre les citoyens
et l’Administration publique à l’aune de l’idéal démocratique. Les principes qui sous-tendent le
concept de démocratie administrative et les dispositifs démocratiques qu’il suppose, sont
particulièrement propices pour répondre aux lacunes qui caractérisent le modèle actuel. D’une part,
il remet le citoyen au cœur des projets publics qui lui sont destinés. Ensuite, il permet de repenser
l’intérêt public au cas par cas, en fonction de ce qui est légitime dans chaque contexte donné. Il extirpe
ainsi le pouvoir contractuel de l’État de l’emprise de toute conception unidimensionnelle.

IV
Table des matières

RÉSUMÉ ................................................................................................................................ III

TABLE DES MATIÈRES ..................................................................................................... V

PLAN DE THÈSE SOMMAIRE ....................................................................................... VIII

REMERCIEMENTS .............................................................................................................. X

INTRODUCTION GÉNÉRALE .......................................................................................... 1

Problématique et enjeux contemporains des contrats publics .................................................................. 1

Question de recherche ............................................................................................................................. 11

Hypothèse................................................................................................................................................ 12

Cadre théorique et méthodologie ............................................................................................................ 13

PARTIE I – L’INTÉRÊT PUBLIC EN MATIÈRE DE CONTRATS PUBLICS : UNE


CONCEPTION ESSENTIELLEMENT BUDGÉTAIRE ............................................... 19

Chapitre 1 – La relation entre contrat public et intérêt public ................................................................. 20


Section I – Le contrat public : un cadre spécifique justifié par une finalité d’intérêt public ........................ 20
Paragraphe I – Le particularisme du contrat public en droit québécois ................................................... 28
A - La nature des projets publics visés ................................................................................................ 28
B – Le type d’entités publiques visées................................................................................................. 31
C – Les influences des traditions française et anglo-saxonne .............................................................. 34
Paragraphe II – Les spécificités de la gestion de projets en contexte public ............................................ 38
A – La dynamique organisationnelle des entités publiques ................................................................. 39
B – Le cycle de vie d’un projet public ................................................................................................. 41
Section II – L’intérêt public : une notion fonctionnelle liée au pouvoir contractuel de l’État ...................... 52
Paragraphe I - Les fonctions de l’intérêt public ....................................................................................... 56
A - Fondement du pouvoir ................................................................................................................... 57
B - But du pouvoir ............................................................................................................................... 58
C - Limite du pouvoir .......................................................................................................................... 59
Paragraphe II - Les principales conceptions de l’intérêt public ............................................................... 59
A - La conception utilitariste ............................................................................................................... 60
B - La conception volontariste ............................................................................................................. 71
C - Le rôle de l’État selon les différentes conceptions de l’intérêt public ........................................... 74
Paragraphe III – L’influence du contexte économique, social et politique sur la conception de l’intérêt
public ....................................................................................................................................................... 79

V
A – La libéralisation des marchés et la libre concurrence ................................................................... 79
B - La culture de l’efficacité issue de la nouvelle gestion publique..................................................... 86
C - L’émergence de certains critères sociaux et environnementaux visant à promouvoir la
responsabilité sociale des cocontractants de l’État .............................................................................. 93

Chapitre 2 – L’analyse de la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du cadre
normatif applicable aux contrats publics ................................................................................................ 99
Section I – Les exigences contractuelles usuelles et ce qu’elles révèlent à l’égard de la notion d’intérêt
public ............................................................................................................................................................ 99
Paragraphe I – Les clauses impératives.................................................................................................. 100
Paragraphe II – Les éléments laissés à la discrétion des parties ............................................................. 103
Section II – Les éléments du cadre normatif faisant nommément référence à la notion d’intérêt public .... 105
Paragraphe I – Les avis publiés au Service électronique des appels d’offres en application de la LCOP
............................................................................................................................................................... 107
Paragraphe II – La possibilité pour une entreprise inadmissible aux contrats publics de poursuivre
l’exécution d’un contrat public en vertu de la LCOP ............................................................................. 111
Paragraphe III – Les politiques internes de gestion contractuelle adoptées par certains organismes
publics .................................................................................................................................................... 117
Section III – Un cadre juridique dédié presque entièrement aux modes de sollicitation et d’attribution des
contrats: l’accent sur les moyens plutôt que sur les finalités ...................................................................... 119
Paragraphe I - L’appel d’offres public comme principal mode de sollicitation des contrats publics
québécois ............................................................................................................................................... 120
Paragraphe II – L’importance du plus bas prix dans les modes d’attribution prévus dans les textes de loi
............................................................................................................................................................... 125
Section IV - Le règne du plus bas prix et de l’équité entre les soumissionnaires dans la jurisprudence
portant sur les contrats publics ................................................................................................................... 129
Paragraphe I - Une lecture axée sur le prix des soumissions et sur l’équité entre les soumissionnaires 133
Paragraphe II – Le principe de la libre concurrence comme garant de l’intérêt public .......................... 137
Paragraphe III – La réticence des tribunaux à suspendre un processus d’appel d’offres lorsque le contrat
a été octroyé au plus bas soumissionnaire .............................................................................................. 158
Paragraphe IV - L’incidence sur le prix comme critère de qualification des irrégularités ..................... 169
Paragraphe V - Les cas d’exception ....................................................................................................... 179
Paragraphe VI - Les autres interprétations possibles : exemples tirés du droit comparé........................ 185

Conclusion de la première partie .......................................................................................................... 190

PARTIE II - LA NÉCESSITÉ DE REFONDER L’INTÉRÊT PUBLIC EN


MATIÈRE DE CONTRATS PUBLICS .......................................................................... 195

Chapitre 1 – Le problème avec une conception budgétaire de l’intérêt public ..................................... 198
Section I - La primauté de la rationalité budgétaire sur les considérations sociales, politiques et
environnementales : un problème de légitimité .......................................................................................... 200
Section II – L’effacement progressif de la chose publique au profit de l’utilité privée : une compréhension
erronée du contexte de l’action publique .................................................................................................... 203
Section III - Un cadre qui exclut d’emblée l’intervention du citoyen dans le processus décisionnel entourant
la formation des contrats publics ................................................................................................................ 207

VI
Section IV - Des critères d’octroi qui exposent l’activité contractuelle publique à la corruption et à la
collusion ..................................................................................................................................................... 210
Section V - Des règles favorisant la judiciarisation des conflits................................................................. 216

Chapitre 2 - La refondation à envisager ............................................................................................... 221


Section I – Relégitimer l’exercice du pouvoir contractuel de l’État par la démocratie administrative ....... 222
Paragraphe I - Les anciennes figures de la démocratie administrative ................................................... 223
Paragraphe II - La vision contemporaine de la démocratie administrative ............................................ 227
Paragraphe III - La démocratie administrative comme synthèse des conceptions utilitariste et
volontariste de l’intérêt public ............................................................................................................... 231
Section II – Faire coopérer les parties prenantes à chacune des étapes du cycle de vie d’un projet public 234
Paragraphe I - La mise en place d’espaces de délibération permettant l’arrimage du point de vue expert
et du point de vue citoyen ...................................................................................................................... 236
Paragraphe II – Des pistes de réflexion pour développer une meilleure relation entre les organismes
publics et leurs cocontractants ............................................................................................................... 245
Paragraphe III - Les risques associés à une marchandisation des techniques participatives et au
formatage de celles-ci ............................................................................................................................ 249
Section III – Exercer le pouvoir contractuel de l’État de façon lisible, responsable et interactive ............. 251
Paragraphe I - Des contrats publics lisibles ........................................................................................... 254
Paragraphe II – Des organismes adjudicateurs responsables ................................................................. 258
A – Diffuser la comptabilité .............................................................................................................. 258
B – Justifier les actes ......................................................................................................................... 259
C – Évaluer les actes .......................................................................................................................... 260
Paragraphe III – Faire preuve de réactivité et d’interactivité ................................................................. 264
Section IV - Exiger certaines qualités de la part des agents publics et de la part des cocontractants de l’État
.................................................................................................................................................................... 269
Paragraphe I – Du côté de l’Administration publique ............................................................................ 270
Paragraphe II - Du côté des cocontractants de l’État ............................................................................. 274
Section V - Inscrire la réforme envisagée à l’intérieur du droit légiféré .................................................... 282

CONCLUSION GÉNÉRALE ........................................................................................... 295

TABLE DE LA LÉGISLATION ...................................................................................... 311

TABLE DE LA JURISPRUDENCE ................................................................................ 314

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 318

ANNEXE I ........................................................................................................................... 338

ANNEXE II ......................................................................................................................... 340

ANNEXE III ........................................................................................................................ 342

VII
Plan de thèse sommaire

PREMIÈRE PARTIE :

L’intérêt public en matière de contrats publics : une conception


essentiellement budgétaire

Chapitre 1 – La relation entre contrat public et intérêt public

Chapitre 2 – L’analyse de la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du


cadre normatif applicable contrats publics

DEUXIÈME PARTIE :

La nécessité de refonder l’intérêt public en matière de contrats publics

Chapitre 1 – Le problème avec la conception budgétaire de l’intérêt public

Chapitre 2 – La refondation à envisager

VIII
À la mémoire de Gérard Marier

IX
Remerciements

Je tiens d’abord à exprimer ma profonde gratitude à mon directeur de thèse, le professeur


Pierre Lemieux, et à ma codirectrice, la professeure Sophie Brière, pour leur précieux
accompagnement tout au long de mes études doctorales. Je les remercie pour leur disponibilité, leur
générosité et pour la liberté qu’ils m’ont accordée. Chacun à leur façon, ils ont contribué à forger ma
pensée et inspirent, encore aujourd’hui, l’enseignant et le chercheur que je souhaite devenir.
J’aimerais également remercier la prélectrice de cette thèse, la professeure Geneviève Cartier, pour
ses précieux commentaires, ainsi que les autres membres du jury, les professeurs Pierre-André Hudon
et Derek McKee, pour leurs judicieux conseils.

Sur le plan personnel, cette thèse n’aurait pas été possible sans le soutien et la bienveillance
de plusieurs personnes envers qui je m’estime redevable. Ma femme, Marie-Pier, pour son soutien
indéfectible et pour sa complicité de tous les instants. Mes fils, Clément, Philémon et Lévi, qui m’ont
donné le courage d’entamer et de mener à terme ce projet. Mes parents, Jeannine et Marc-André, ainsi
que mes sœurs, Anick, Bianca et Virginie, qui ont toujours valorisé et stimulé le goût d’apprendre.
Mes beaux-parents, Marie et Marco, pour leur présence inestimable. Mon ami et mentor, le juge
Charles Taschereau, qui y est pour beaucoup dans le chemin parcouru jusqu’ici. Mes comparses de
la compagnie ExLibris, Nicolas au premier chef, qui incarnent cette idée que tout part des mots.

Je remercie également la Faculté de droit de l’Université Laval et la doyenne Anne-Marie


Laflamme pour leur confiance. Un merci spécial à Sylvain Lavoie et à l’ancien vice-doyen aux études
supérieures et à la recherche, le juge Dominic Roux. Tous deux ont cru en mon projet d’études et
m’ont encouragé à faire le « grand saut » vers le milieu universitaire. Merci au professeur Pierre
Issalys pour les propositions formulées lors de l’examen prospectif de mon projet de thèse. Il en
trouvera des traces dans cette version définitive. Merci à la professeure Monica Popescu d’avoir
accepté d’interpréter les rôles du public et du jury à l’occasion d’une générale de la soutenance.

En terminant, je veux souligner le soutien financier de la Fondation Pierre Elliott Trudeau et


du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Cette thèse a été réalisée dans des
conditions idéales grâce à leur appui. J’ai été on ne peut plus privilégié de bénéficier des perspectives
variées et éclairantes des membres de la grande communauté de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
Je leur en suis spécialement reconnaissant.

X
Introduction générale

PROBLÉMATIQUE ET ENJEUX CONTEMPORAINS DES CONTRATS


PUBLICS1

Le directeur du journal Le Devoir, Brian Myles, écrivait dans son éditorial du 13 août 2018,
que « [l]’octroi des contrats publics au meilleur coût possible n’est malheureusement pas une science
exacte »2. L’éditorial donnait suite au débat suscité par un projet de règlement3 présenté plus tôt par
le gouvernement du Québec qui visait à modifier le mode d’octroi de certains contrats de services
professionnels4 de manière à ce que ceux-ci puissent dorénavant être attribués aux plus bas
soumissionnaires conformes plutôt qu’aux soumissionnaires ayant présenté la proposition de
meilleure qualité. Concrètement, par ce projet de règlement, le gouvernement proposait d’obliger les
plus importants donneurs d’ouvrage québécois à choisir leurs firmes d’ingénieurs et d’architectes en
fonction du prix de leurs soumissions plutôt qu’en fonction de la qualité de celles-ci.

Le mécontentement au sein des différentes associations professionnelles concernées par la


réforme a été vif suite à l’annonce du projet de règlement. Dans une lettre ouverte publiée dans
différents médias, les représentants de plusieurs associations et organismes ont dénoncé les risques
associés aux amendements proposés tout en affirmant que « l’octroi de contrats sur le plus bas prix
ne devrait jamais être utilisé pour les services professionnels d’architecture et de génie-conseil qui

1
Par « contrat public » nous entendons toute entente contractuelle conclue entre un organisme public et une
partie privée pour combler les besoins de l’État en termes de biens et de services. Certains réfèrent à d’autres
expressions telles que « achats publics », « contrats d’approvisionnement », « contrats de services », « contrats
de travaux de construction », « commande publique » ou « marchés publics ». Nous avons quant à nous choisi
de parler de « contrats publics », car il s’agit de l’expression la plus couramment utilisée en pratique pour
désigner l’achat, par l’État, de biens ou de services en provenance du privé. Mentionnons également tout de
suite qu’il n’est pas question ici des partenariats public-privé auxquels sont parfois partie certains organismes
publics. Pour une définition plus détaillée de l’expression « contrat public » telle qu’employée tout au long de
cette thèse, voir infra Partie I, Chapitre 1, Section I.
2
Brian MYLES, « Les recettes magiques n’existent pas », Le Devoir (13 août 2018), en ligne :
<https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/534386/contrats-publics-les-recettes-magiques-n-existent-pas>
(consulté le 6 septembre 2018).
3
Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics (projet), (2018)
G.O. II, 4231.
4
Les contrats visés sont tous les contrats de services professionnels à être conclus avec le ministère des
Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (ci-après : le « MTMDET ») et la Société
québécoise des infrastructures (ci-après la « SQI »), lesquels figurent parmi les plus importants donneurs
d’ouvrage au Québec. Sur le volume de contrats attribués par chaque organisme public, voir les données
colligées sur le site web « Espace DATA - Données ouvertes des contrats publics québécois », Espace DATA,
en ligne : <http://www.espacedata.ca/> (consulté le 6 septembre 2018).

1
visent à identifier la meilleure solution pour chaque projet »5. Le 9 août 2018, dans une longue lettre
adressée au président du Conseil du trésor ainsi qu’au ministre délégué à l’Intégrité des marchés
publics et aux Ressources informationnelles, l’Ordre des architectes du Québec ajoutait que le fait
d’ « [o]uvrir la voie à une sélection des professionnels basée — en tout ou partie — sur le prix
constituerait [...] un recul majeur par rapport à la réglementation en place et mettrait inutilement à
risque la qualité architecturale des édifices gouvernementaux »6.

Dans un mémoire transmis au gouvernement suite à la publication du projet de règlement,


l’Association des firmes de génie-conseil du Québec a elle aussi souligné les conséquences négatives
que la réforme proposée pourrait entraîner si elle devait être adoptée : « Détérioration des relations
clients-consultants, dépassements de coûts et d’échéanciers, augmentation des coûts de construction,
diminution de la concurrence en raison du désintéressement de certaines firmes pour ce marché et
augmentation des litiges sont à prévoir »7. Rarement avait-on vu les acteurs du milieu parler ainsi à
l’unisson8. Leurs revendications ont finalement porté fruit, le projet de règlement ayant été retiré par
le gouvernement peu de temps après9.

5
Anne CARRIER et André RAINVILLE, « Faudra-t-il un autre viaduc de la Concorde ? », La Presse+ (8 août
2018), en ligne : <http://plus.lapresse.ca/screens/37184e12-1cff-4523-bb22-7c7241455655__7C___0.html>
(consulté le 6 septembre 2018).
6
Nathalie DION, Projets de règlements modifiant les contrats en matière d’approvisionnement, de services, de
travaux de construction et de technologie de l’information des organismes publics, 9 août 2018, en ligne :
<https://www.oaq.com/fileadmin/Fichiers/Publications_OAQ/Memoires_Prises_position/LET-
commentaires_bas-soumissionnaire-20180809.pdf> (consulté le 6 septembre 2018).
7
ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL - QUÉBEC, Mémoire sur le Règlement modifiant le Règlement sur
certains contrats de services des organismes publics, Montréal, 2018, en ligne : <http://afg.quebec/genie-
conseil/profil-du-secteur> (consulté le 4 septembre 2018).
8
La lettre ouverte ayant reçu les signatures d’acteurs aussi variés que la Présidente du conseil d’administration
de l’Association des architectes en pratique privée du Québec, le président de l’Association des estimateurs et
des économistes de la construction du Québec, les présidents des sections québécoise et canadienne de
l’Association des firmes de génie-conseil, la directrice générale de l’ Association Québécoise des Entrepreneurs
en Infrastructure, le président-directeur général du Réseau Environnement, le président-directeur général du
Conseil du patronat du Québec, le directeur général d’Équiterre, le vice-président exécutif de la Corporation
des entrepreneurs généraux du Québec, le Directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation
David Suzuki, les présidentes de l’Ordre des architectes du Québec et de l’Ordre des ingénieurs du Québec, le
directeur général de Vivre en ville, le doyen de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et le
directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval.
9
« CNW | Retrait du projet de règlement modifiant les modes d’octroi de contrats publics - Une opportunité
d’optimiser l’octroi des contrats publics en matière de services professionnels », en ligne :
<https://www.newswire.ca/fr/news-releases/retrait-du-projet-de-reglement-modifiant-les-modes-doctroi-de-
contrats-publics---une-opportunite-doptimiser-loctroi-des-contrats-publics-en-matiere-de-services-
professionnels-690939281.html> (consulté le 6 septembre 2018).

2
La question du meilleur mode d’attribution des contrats publics a fait couler beaucoup d’encre
au cours des dernières années. Comme le soulignait Brian Myles dans l’éditorial précité, il s’avère
que « la réponse à cette question [sélectionner un cocontractant en fonction du prix ou de la qualité
de sa soumission] est aussi difficile à trancher que le sempiternel débat sur les origines de l’espèce.
Aussi bien s’interroger sur qui, de l’œuf ou la poule, est venu en premier. » La plupart des auteurs
qui se sont intéressés à la question de façon approfondie en sont venus à la conclusion que le prix ne
devrait pas, dans tous les cas, être le seul critère d’octroi d’un contrat public, mais qu’il peut être utile
d’y recourir en certaines circonstances10.

Paradoxalement, parmi les raisons invoquées par le gouvernement pour justifier la


modification des règles applicables en matière d’octroi de certains contrats de services professionnels,
il y avait l’objectif de donner suite à l’une des recommandations de la Commission sur l'octroi et la
gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (ci-après la « Commission

10
Jacques PICTET et Dominique BOLLINGER, Adjuger un marché au mieux-disant : analyse multicritère,
pratique et droit des marchés publics, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003;
Benjamin David GROSS et Gérard MOUNIER, « Appels d’offres publics : peut-on s’affranchir de la règle du plus
bas soumissionnaire ? », L’observateur infra no5 (2017); Paul SANDORI et William M PIGOTT, Bidding and
tendering : what is the law?, 5e éd., Markham, Lexisnexis Canada, 2015; Nicholas JOBIDON, Contrats des
organismes publics inférieurs au seuil d’appel d’offres : comment choisir le bon mode d’adjudication, Brossard,
Québec, Publications CCH, 2012; Johan STAKE, « Evaluating quality or lowest price: consequences for small
and medium-sized enterprises in public procurement », (2017) 42-5 The Journal of Technology Transfer
1143‑1169; André LANGLOIS, L’adjudication des contrats municipaux par voie de soumissions, 2e éd.,
Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 1994; Marc LAPERRIÈRE, « Le système de pondération et
d’évaluation des offres et ses embuches ; retour sur l’affaire de “L’Immobilière” », dans Développements
récents en droit municipal, 317, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 51; Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ
et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit
administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017; Stéphane SAUSSIER et Jean TIROLE, « Renforcer l’efficacité de
la commande publique », (2015) 22-3 Notes du conseil d’analyse économique 1; Gian Luigi ALBANO et
Caroline NICHOLAS, The law and economics of framework agreements : designing flexible solutions for public
procurement, Cambridge, United Kingdom, Cambridge University Press, 2016; Yuhua QIAO et Glenn
CUMMINGS, « The use of qualifications-based selection in public procurement: A survey research », (2003) 3-
2 Journal of Public Procurement 215‑249; Kevin MCGUINNESS et Stephen BAULD, « Value for money »,
Summit 9-1 (2006), p. 20; Jean-Benoît POULIOT, L’évaluation qualitative des offres. Vers une meilleure gestion
des deniers publics ?, Québec, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval,
2012.

3
Charbonneau »)11, à savoir de diversifier les modes de sélection des cocontractants de l’État12. Or,
l’un des principaux reproches formulés à l’endroit du projet de règlement était qu’il allait à
précisément l’encontre des recommandations de la Commission Charbonneau13. S’il est vrai qu’au
terme de son enquête, la Commission Charbonneau a recommandé au gouvernement d’adopter des
règles d’attribution adaptées à la nature de chaque projet, elle a également remis en cause l’hégémonie
de la règle du plus bas soumissionnaire conforme en soulignant que « le choix d’une entreprise pour
concevoir, surveiller et réaliser des projets complexes de construction publics devrait faire appel à
des critères de qualité pertinents »14. En dépit de ce constat on ne peut plus clair, le projet de règlement
proposait de faire exactement le contraire.

Il faut dire que l’octroi de contrats publics est l’activité de l’Administration la plus exposée
aux risques de corruption et que celle-ci pose de nombreux défis sur le plan de l’éthique du service
public15. Les témoignages entendus dans le cadre de la Commission Charbonneau ont révélé que les
méthodes traditionnelles d’adjudication des contrats publics, par la procédure d’appels d’offres
publics notamment, sont loin de garantir l’intégrité des processus et les impératifs de transparence et
de traitement équitable des soumissionnaires. Ses travaux ont également mis en lumière l’importance
d’opérer un changement de culture dans la façon d’administrer l’activité contractuelle de l’État
québécois.

11
La Commission Charbonneau a été mise sur pied en novembre 2009 dans la foulée des nombreux problèmes
de collusion et de corruption sévissant dans l’industrie de la construction et qui ont été révélés par les médias
et certains lanceurs d’alerte. La Commission Charbonneau avait notamment pour mission « d’examiner des
pistes de solution et de faire des recommandations en vue d’établir des mesures permettant d’identifier,
d’enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics dans
l’industrie de la construction ainsi que l’infiltration de celle-ci par le crime organisé ». Pour consulter le mandat
complet de la Commission Charbonneau, voir le Décret 1119-2011 concernant la constitution de la
Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, (2011)
44 G.O. II, 4767.
12
Anabelle CAILLOU, « La règle du plus bas soumissionnaire inquiète les architectes et ingénieurs », Le Devoir
(11 août 2018), en ligne : <https://www.ledevoir.com/politique/quebec/534311/la-regle-du-plus-bas-
soumissionnaire-inquietent-les-architectes-et-ingenieurs> (consulté le 6 septembre 2018).
13
La présidente du conseil d’administration de l’Association des architectes en pratique privée du Québec, le
PDG de l’Association des firmes de génie-conseil du Québec ainsi que 24 autres acteurs du milieu ont même
invoqué que les nouvelles règles seraient pires que celles dénoncées lors de la Commission Charbonneau : « Il
est incompréhensible que le gouvernement propose un projet de règlement qui reprend les erreurs du mode
d’octroi des contrats qui était imposé dans le monde municipal en proposant des options qui sont pires que
celles dénoncées par la Commission Charbonneau » A. CARRIER et A. RAINVILLE, préc., note 5.
14
France CHARBONNEAU et Renaud LACHANCE, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la
gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Québec, 2015, p. 98 (tome 3).
15
ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, L’intégrité dans les marchés publics
les bonnes pratiques de A à Z, Paris, 2007, en ligne : <www.oecd.org/gov/ethique/marchespublics/az> (consulté
le 10 septembre 2014).

4
Le Québec n’est pas seul à faire face à ce défi. Ailleurs dans le monde, les administrations
publiques multiplient les efforts afin de juguler la collusion et la corruption dans le cadre de leurs
activités contractuelles. La littérature sur le sujet est abondante et les moyens proposés pour y parvenir
sont variés. Qu’il s’agisse d’empêcher les entreprises ayant contrevenu à la loi d’avoir accès aux
contrats publics16, d’augmenter la transparence de chacune des étapes du cycle de vie des projets
publics17, de favoriser la responsabilité sociale des entreprises18, de former les titulaires de charges
publiques à l’éthique du service public19, de renforcer l’intégration et la coordination des institutions

16
Christopher YUKINS, « Cross-Debarment: A Stakeholder Analysis », (2013) 45-2 The George Washington
International Law Review 219‑234; Emmanuelle AURIOL et Tina SØREIDE, « An economic analysis of
debarment », (2017) 50-C International Review of Law & Economics 36. Pour une analyse des aspects plus
controversés de ce type de mécanismes, voir Marie-Hélène DUFOUR, « La Loi sur l’intégrité en matière de
contrats publics : précipitation, confusion et imprécision », (2013) 72 Revue du Barreau 213‑285; Tina
SØREIDE, Linda GRÖNING et Rasmus WANDALL, « An Efficient Anticorruption Sanctions Regime? The Case
of the World Bank », (2016) 16-2 Chicago Journal of International Law 523‑552.
17
Stéphane PAQUIN et Jean-Patrick BRADY, « Lutter efficacement contre la corruption : la Suède comme
exemple », (2018) 20-1 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/3279>
(consulté le 7 septembre 2018); Agustí CERRILLO-I-MARTÍNEZ, « Public transparency as a tool to prevent
corruption », dans Agustí CERRILLO-I-MARTÍNEZ et Juli PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting
good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 1‑24;
Philippe G. NELL, « Transparence dans les marchés publics : Options après la cinquième conférence
ministérielle de l’OMC à cancún », (2004) t. XVIII, 3-3 Revue internationale de droit économique 355, DOI :
10.3917/ride.183.0355.
18
Susan ROSE-ACKERMAN, « ‘‘Grand’’ corruption and the ethics of global business », (2002) 26 Journal of
Banking & Finance 1889–1918; François LÉPINEUX, Jean-Jacques ROSÉ, Carole BONAMI et Sarah HUDSON, La
RSE: la responsabilité sociale des entreprises - théories et pratiques, Paris, Dunod, 2010; Michel DION,
« Uncertainties and presumptions about corruption », (2013) 9-3 Social Responsibility Journal 412‑426.
19
Georges A. LEGAULT, « Prévenir la corruption par la formation en éthique: mission impossible ? », dans
André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés publics à vendre: éthique et corruption, Montréal, Liber,
2015, p. 187‑200; Terry L. COOPER, « Hierarchy, Virtue, and the Practice of Public Administration: A
Perspective for Normative Ethics », (1987) 47-4 Public Administration Review 320; Anthony D. MOLINA,
« Public Ethics and the Prevention of Corruption », dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.),
Preventing Corruption and Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24,
Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 153‑172; Fabrice LARAT, « Quelle place pour les vertus dans l’administration
publique ?: Le rôle de la formation dans le développement d’une culture éthique chez les hauts fonctionnaires »,
(2013) 15-2 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/1301> (consulté le 7
septembre 2018); Robert C. SOLOMON, « Rôles professionnels, vertus personnelles: une approche
aristotélicienne de l’éthique des affaires », dans Ethique des affaires: marché, règle, responsabilité, Paris, J.
Vrin, 2011, p. 197‑242.

5
en place20, de mieux baliser le financement politique21, de protéger les lanceurs d’alerte22, d’abolir les
obstacles à la libre concurrence23, de libéraliser les marchés24 ou encore de favoriser
l’interdisciplinarité dans la recherche et dans la pratique entourant la prévention de la corruption et
de la collusion25, les idées proposées pour permettre d’assainir l’activité contractuelle étatique ne
manquent pas.

Si les problèmes de corruption et de collusion que nous venons d’évoquer peuvent expliquer
en partie l’abondance des recherches menées sur les contrats publics depuis un certain temps, il faut
également ajouter que l’expansion et la complexification de l’activité contractuelle étatique a
également engendré son lot de questions et de défis. L’État vit une période de contractualisation sans
précédent, phénomène que les professeures Jody Freeman et Martha Minow nomment « Government
by contract » dans leur ouvrage du même nom26. La montée en flèche de l’interventionnisme étatique

20
Luc BÉGIN, « Les défaillances des gardiens institutionnels », (2016) 18-2 Éthique publique; Luc BÉGIN, Yves
BOISVERT, Pierre BERNIER et André LACROIX, « Quand l’éthique a besoin d’institutions. Pour une infrastructure
de régulation des agents publics plus efficaces. », dans André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés
publics à vendre: éthique et corruption, Montréal, Liber, 2015, p. 231‑248; Michael WALZER, Raison et
passion: pour une critique du libéralisme, Belval, Circé, 2003.
21
Timothy K. KUHNER, « Plutocracy and Partyocracy: The Corruption of Liberal and Social Democracies »,
dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and Promoting good
Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 173‑200;
Lawrence LESSIG, Republic, lost: how money corrupts Congress--and a plan to stop it, 1re éd., New York,
Twelve, 2011.
22
Myriam LEVESQUE, Sarah-Mary DOYON et Vicky POIRIER, « Défis liés à la mise en place des
recommandations de la Commission Charbonneau », (2016) 18-2 Éthique publique, en ligne :
<http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2833> (consulté le 7 septembre 2018).
23
Lauren BRINKER, « Introducing New Weapons in the Fight Against Bid Rigging to Achieve a More
Competitive U.S. Procurement Market », (2014) 43-3 Public Contract Law Journal 547; Christian BORDELEAU,
« Le renforcement des critères de sélection permet-il d’augmenter l’intégrité ou les risques de corruption ? »,
dans André LACROIX et Yves BOISVERT (dir.), Marchés publics à vendre : éthique et corruption, 2015, p. 107.
24
ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Reccomandation du conseil de
l’OCDE sur la luttre contre les soumissions concertées dans les marchés publics, 2012, en ligne :
<http://www.oecd.org/daf/competition/RecommendationOnFightingBidRigging2012FR.pdf> (consulté le 4
août 2018); Dionisios A. LALOUNTAS, George A. MANOLAS et Ioannis S. VAVOURAS, « Corruption,
globalization and development: How are these three phenomena related? », (2011) 33-4 Journal of Policy
Modeling 636‑648. Mentionnons que selon les recherches menées par ces derniers auteurs, il y aurait une
corrélation entre la libéralisation des marchés et la diminution de la corruption dans les pays développés
économiquement alors que ce ne serait pas nécessairement le cas dans les pays en voie de développement. Les
auteurs avancent que le meilleur moyen de lutter contre la corruption dans ces pays consiste à lutter d’abord
contre la pauvreté.
25
Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ, « What can a transdisciplinary approach to corruption contribute to
administrative law », dans Agustí CERRILL-I-MARTÍNEZ et Julie PONCE (dir.), Preventing Corruption and
Promoting good Government and Public Integrity, coll. Droit administratif, n°24, Bruxelles, Bruylant, 2017,
p. 211‑223.
26
Jody FREEMAN et Martha MINOW (dir.), Government by contract: outsourcing and American democracy,
Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009.

6
s’est accompagnée d’une croissance de son activité contractuelle27. Le Québec dépense annuellement
quelque 28 milliards de dollars de ses fonds publics par l’entremise de son pouvoir contractuel28. Pour
la plupart des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après :
l’« OCDE »), c’est plus de 15 % du produit intérieur brut qui est consacré aux contrats publics29.

Au Québec comme ailleurs, l’importance d’encadrer adéquatement cette activité ne fait aucun
doute. Pourtant, il s’avère que le cadre juridique en vigueur dans plusieurs pays, ainsi qu’au Québec,
fait en sorte que les cocontractants de l’État sont généralement sélectionnés en fonction du prix ou de
la qualité de leur prestation et non en fonction de leur propension à servir l’intérêt public ou à incarner
les valeurs démocratiques généralement attendues de la part de ceux qui les mandatent. Or, des
auteurs ont bien montré l’importance pour les agents publics de cultiver certaines valeurs
démocratiques : « puisque le Québec jouit d’une démocratie parlementaire, les principes du
gouvernement responsable constituent l’assise des valeurs de la Fonction publique. La reddition de
comptes aux ministres – et, par leur intermédiaire, à la population du Québec –, les règles de droit et
la loyauté envers l’intérêt public sont autant de valeurs démocratiques clés qui sous-tendent la mission
de la fonction publique et servent d’assises à toutes ses autres valeurs »30. La réalisation de services
publics par des tiers soulève par conséquent de nombreuses inquiétudes : les comportements attendus
de la part des administrations publiques, tels que l’imputabilité, la transparence et l’intégrité, peuvent-
ils être exigés de la part des acteurs privés ?

À ces craintes s’ajoute l’hypothèse avancée par certains auteurs suivant laquelle le pouvoir
contractuel de l’État souffrirait d’un certain déficit démocratique qui s’expliquerait par sa nature

27
Patrice GARANT, Droit administratif, 7e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, p. 367.
28
CHANTIER DE L’ÉCONOMIE SOCIALE, Marchés publics et économie sociale, un tandem au service des
collectivités, en ligne :
<http://www.chantier.qc.ca/userImgs/documents/rymlamrani/marches_public_brochure.pdf> (consulté le 20
novembre 2014).
29
Dans un rapport portant sur l’intégrité dans les marchés publics, l’OCDE rapporte que « La passation des
marchés publics est une activité économique essentielle des administrations, qui a un impact majeur sur la
manière dont l’argent des contribuables est dépensé. Les statistiques disponibles permettent de penser que les
marchés publics représentent en moyenne 15 % du produit intérieur brut dans le monde, et qu’ils dépassent
même ce chiffre dans les pays de l’OCDE. » : ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUES, Liste de vérification pour renforcer l’intégrité dans les marchés publics, 2008, en ligne :
<http://www.oecd.org/fr/gov/41761420.pdf> (consulté le 20 avril 2016).
30
Louis SORMANY, « Les valeurs contemporaines de la fonction publique québécoise », (2002) 4-1 Éthique
publique, 3, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2495> (consulté le 29 décembre 2018).
Voir aussi : Pierre BERNIER, « L’éthique au sein du service public : un aspect de la gestion à moderniser »,
(2002) 4-1 Éthique publique, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2497> (consulté le 29
décembre 2018).

7
intrinsèquement contractuelle, laquelle échappe bien souvent à tout contrôle public31. La relation
entre l’État et l’entreprise privée est gouvernée par des termes contractuels plutôt que par un cadre
supralégislatif comme celui qui, par exemple, impose au gouvernement de ne pas violer les droits et
libertés énoncées à la Charte canadienne des droits et libertés32 (ci-après : la « Charte canadienne »).
Rappelons, à ce sujet, que pour déterminer si un acteur non gouvernemental est assujetti à la Charte
canadienne, il faut vérifier si celui-ci exerce une compétence déléguée33 ou une fonction
« gouvernementale »34. Le test repose essentiellement sur la recherche d’un contrôle gouvernemental
de l’entité privée. Plus l’entité est autonome, moins elle risque de faire l’objet d’un contrôle
constitutionnel. Qu’un acteur privé réalise un contrat public n’est pas en soi un facteur déterminant.
Or, cela peut sembler « contre-productif »35 vis-à-vis de l’objectif d’exercer un plus grand contrôle
démocratique sur des entités privées qui se trouvent momentanément investies d’une charge
publique : « it is when contractors have more discretion to exercise governmental power that the need
for supervision is most essential »36.

Des appréhensions se font également sentir lorsque les gouvernements décident de recourir
aux contrats publics pour confier à des acteurs privés le mandat de réaliser des services très sensibles
dont la nature voudrait qu’ils soient pris en charge par des entités imputables envers la population37.
Cette « délégation de pouvoirs » peut en effet choquer lorsqu’il s’agit d’activités qui sont
difficilement dissociables de la mission d’intérêt public confiée à l’Administration38. Les inquiétudes

31
Martha MINOW, « Public and Private Partnerships: Accounting for the New Religion », (2003) 116-5 Harvard
Law Review 1229‑1270; Kimberly N. BROWN, « Government by contract and the structural constitution »,
(2011) 87-2 Notre Dame Law Review 491.
32
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de
1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].
33
Un décideur qui tire ses pouvoirs de la loi doit les exercer conformément à la Charte canadienne des droits
et libertés: voir par exemple Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038.
34
Lorsqu’une entité pose un acte qui découle d’une politique gouvernementale, elle doit se conformer à la
Charte canadienne des droits et libertés. En revanche, si cet acte est le fruit d’une décision administrative qui
n’est pas dictée par une politique gouvernementale, alors la Charte ne trouve pas application : McKinney c.
Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229.
35
Nous empruntons ici l’expression de Kimberly N. Brown au sujet de la « State Action Doctrine » aux États-
Unis : « Because the state action doctrine turns on a finding of government coercion or involvement in a private
act, its practical effect is counterintuitive » : K. N. BROWN, préc., note 31, 505.
36
Id., p. 507.
37
Terence KIM, « Let the rookies up to bat: re-evaluating legislation and agency practices in the procurement
of private prison management services. », (2016) 49-3 Columbia Journal of Law and Social Problems 343‑386.
38
Kimberly N. Brown utilise l’expression « sensitive government functions »: K. N. BROWN, préc., note 31,
500.. Elle donne entre autres l’exemple d’une entreprise privée qui gère la majorité des services publics
municipaux de la ville de Sandy Springs aux États-Unis. Le contexte québécois est évidemment fort différent,
bien que la place du privé dans le réseau de la santé soulève des inquiétudes similaires. Voir les articles suivants
qui résument bien les principaux enjeux liés à la délégation de certaines missions traditionnellement dévolues

8
devant de telles délégations peuvent se faire d’autant plus vives lorsqu’elles sont jumelées à des
craintes vis-à-vis d’un manque de robustesse des institutions en place39. La population s’attend en
effet de la part des pouvoirs publics qu’ils fassent en sorte que les deniers publics soient consacrés à
des projets de qualité, payés à un prix raisonnable, selon un processus transparent et compétitif au
terme duquel un cocontractant intègre aura idéalement été sélectionné.

Dans son Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture40, l’Ordre des
architectes du Québec a présenté les résultats de l’importante consultation publique qu’elle a menée
en 2017 avec l’Institut du Nouveau Monde au sujet des différents enjeux ayant trait à la qualité
architecturale du cadre bâti au Québec. Parmi les sujets abordés, il fut question des contrats publics
et plus particulièrement des obstacles que pose le cadre juridique actuel en ce qui a trait à la promotion
de la qualité architecturale dans la commande publique. Malgré le caractère très technique des enjeux
abordés et bien que les contrats publics soient sujets à un cadre réglementaire pour le moins complexe,
les citoyens se sont montrés très volubiles sur le sujet41. Ils se sont d’ailleurs mis d’accord pour pointer
la règle du plus bas soumissionnaire comme l’un des éléments susceptibles de compromettre la qualité
architecturale des infrastructures québécoises. Les citoyens se sentent concernés par les contrats
publics et souhaitent se prononcer sur ceux-ci42. Ce n’est pourtant pas le postulat qui est véhiculé par
ceux qui sont responsables d’édicter les règles applicables aux contrats publics. En témoigne de façon
éloquente le préambule du projet de Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de

à l’Administration : David FLACHER, « Ouverture à la concurrence et service universel : avancées ou reculs du


service public ? », (2007) 2-2 Regards croisés sur l’économie 76; Frédéric MARTY, « La privatisation des
services publics : fondements et enjeux », (2007) 2-2 Regards croisés sur l’économie 90.
39
Alfred C. AMAN JR., « Privatization and the Democracy Problem in Globalization: Making Markets More
Accountable through Administrative Law », (2001) 28 Fordham Urban Law Journal 1477; Calogero GUCCIO,
Domenico LISI et Ilde RIZZO, « Institutional and Social Quality of Local Environment and Efficiency in Public
Works Execution », dans Khi V. THAI (dir.), Global Public Procurement Theories and Practices, Cham,
Springer International Publishing, 2017, p. 199‑212, en ligne : <http://link.springer.com/10.1007/978-3-319-
49280-3_11> (consulté le 7 septembre 2018).
40
ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture: Appuis,
vision, jalons, Montréal, 2018.
41
C’est d’ailleurs ce que rapporte la présidente de l’ordre dans la lettre qu’elle adressait au gouvernement en
lien avec les modifications annoncées au cadre règlementaire régissant les contrats de services professionnels :
« Bien que les citoyens soient dans l’ensemble peu familiarisés avec les processus d’octroi des contrats publics,
ceux qui ont participé à notre campagne étaient bien au fait du risque que ce mode de sélection fait courir à la
qualité en construction » N. DION, préc., note 6, p. 5.
42
L’Annexe III du Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture contient une déclaration
commune qui souligne d’entrée de jeu, à propos de l’architecture, que celle-ci « influe sur nos habitudes, nos
déplacements, notre santé, notre économie, nos rapports sociaux, notre impact sur l’environnement. Elle marque
nos paysages naturels et urbains pour des décennies, voire des siècles. Témoin de nos valeurs et de nos
ambitions comme société, elle est une composante essentielle de notre identité culturelle. Elle constitue un
patrimoine dont nous héritons et que nous léguons aux générations futures. Elle contribue à forger l’image que
nous projetons au reste du monde. » : ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, préc., note 40, p. 42.

9
services des organismes publics qui mentionne « Ces projets de règlement n’ont pas d’impact sur les
citoyens »43. L’absence de dialogue entre les citoyens44 qui sont, ne l’oublions pas, les principaux
usagers des projets qui font l’objet des contrats publics, et ceux qui sont chargés de les concevoir, de
les exécuter et de les superviser, commence à retenir l’attention de certains chercheurs45.

La gestion des projets faisant l’objet des contrats publics présente elle aussi de nombreux
défis. Pour paraphraser le professeur Steven J. Kelman, le droit est souvent vu comme un monde de
contraintes alors que le management s’intéresse davantage aux objectifs, à la vision et aux résultats46.
Il soutient, à l’instar d’autres auteurs, que l’activité contractuelle du gouvernement est parfois
paralysée par un cadre juridique excessif et inutilement complexe. À son avis, certaines règles, plutôt
que de promouvoir les valeurs qui devraient guider l’Administration publique lors de l’exercice de
son pouvoir contractuel47, freinent celles-ci en obligeant les pouvoirs publics à se focaliser sur le
respect des procédures contractuelles plutôt que sur leurs finalités. Se pose dès lors la question de
l’équilibre entre les moyens et les résultats recherchés. Comment, les procédures en place, peuvent-
elles être en adéquation avec les résultats attendus des contrats publics, tout en faisant la promotion
des valeurs démocratiques devant caractériser l’exercice des pouvoirs publics ? Comment rallier des
parties aux intérêts divergents dans le cadre d’une activité contractuelle comme celle qui consiste à
réaliser un projet public ?

43
Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics (projet), préc.,
note 3.
44
Précisons dès maintenant que, par « citoyens » ou « public », deux expressions qui seront employées
fréquemment dans les pages qui vont suivre, nous entendons de manière générale : toute personne affectée de
près ou de loin par les projets qui font l’objet des contrats publics. Dans le cas de la construction d’un hôpital
par exemple, le public peut être composé des usagers, des employés, des résidents du quartier projeté pour la
construction et de tous les autres individus ou groupes qui sont affectés de près ou de loin par ce projet.
45
Susan ROSE-ACKERMAN, « Citizens and technocrats: an essay on trust, public participation, and government
legitimacy », dans Susan ROSE-ACKERMAN, Peter L. LINDSETH et Blake EMERSON (dir.), Comparative
Administrative Law, 2e éd., Cheltenham, UK, Edward Elgar Publishing, 2017, p. 251; Myrish T. CADAPAN-
ANTONIO, « Participation of Civil Society in Public Procurement: Case Studies from the Philippines », Public
Contract Law Journal 2007.629; Paul CROZET et François RANGEON, « Le public dans les contrats de ville :
habitant, citoyen ou client ? », (2006) 24-4 Politiques et management public 17.
46
Steven J. KELMAN, « Achieving Contracting Goals and Recognizing Public Law Concerns - A contract
Management Perspective », dans Jody FREEMAN et Martha MINOW (dir.), Government by contract: outsourcing
and American democracy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009, p. 159.
47
Dont les suivantes : « accountability, rationality in decision making, respect for persons, honesty, and
integrity »,

10
QUESTION DE RECHERCHE

Comme nous venons de le voir, nombreux sont les travaux réalisés sur les problèmes qui
affectent l’exercice du pouvoir contractuel de l’État et sur les défis qu’il présente du point de vue de
son encadrement. Qu’il s’agisse des risques de corruption et de collusion, des difficultés posées par
les modes d’adjudication, du déficit démocratique affectant l’exercice de ce type de pouvoir public
ou encore des débats portant sur la nature des projets qui devraient être confiés au privé et à ceux qui
devraient rester dans le giron de l’Administration publique, la littérature est particulièrement bien
alimentée.

D’un point de vue plus fondamental, les nombreux enjeux soulevés par l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État mettent en évidence la question qui se trouve en trame de fond de toutes les
autres : En fin de compte, à quoi servent les contrats publics, quelle est leur finalité ? Car avant de
s’interroger sur les moyens qu’il convient de préconiser pour encadrer un pouvoir public, encore faut-
il se demander quelle en est la finalité. En ce qui a trait aux contrats publics, l’état du droit
administratif sur cette question est on ne peut plus clair : le contrat public a pour finalité de servir
l’intérêt public. La réponse à cette question fait généralement consensus, pour ne pas dire l’unanimité
chez les auteurs et au sein des tribunaux.

Nous le verrons plus en détail dans la section consacrée au particularisme du contrat public,
mais mentionnons tout de suite que ce qui distingue le contrat privé du contrat public et ce qui fait
qu’on lui applique des règles exorbitantes du droit commun, c’est précisément qu’il a pour finalité de
servir l’intérêt public. Autrement dit, pourquoi acceptons-nous que les relations contractuelles
auxquelles est partie l’État ne soient pas régies par les mêmes règles que celles qui concernent
seulement des parties privées ? Pourquoi de tels contrats font l’objet d’un traitement juridique
particulier ? La réponse à ces questions peut être résumée comme suit : le contrat public est passé au
bénéfice d’un intérêt plus grand que la simple addition des intérêts particuliers des parties qui
s’entendent dans le cadre d’un contrat usuel. Par ce que l’intérêt public est en jeu, il est possible de
déroger ou d’ajouter aux règles du jeu qui gouvernent les relations contractuelles ordinaires.

Mais qu’est-ce que signifie « servir l’intérêt public » ? Plus particulièrement, qu’est-ce que
signifie l’intérêt public dans le contexte de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ? De façon
assez paradoxale, à peu près tout le monde s’entend pour dire que le contrat public a pour finalité

11
l’intérêt public, mais personne n’en donne de définition. La loi est elle aussi silencieuse sur la
question. Ce constat, jumelé à l’intuition qu’une enquête sur la véritable finalité des contrats publics
pourrait contribuer à mieux comprendre les racines des problèmes auxquels font face les
administrations publiques lorsqu’il est question d’exercer leur pouvoir contractuel, nous incitent à
emprunter cet angle de recherche.

HYPOTHÈSE

Notre hypothèse de départ est la suivante : le cadre normatif applicable aux contrats publics
québécois est dominé par une conception budgétaire de la notion d’intérêt public. À notre avis, et
c’est ce que nous tenterons de vérifier, la notion d’intérêt public est si étroitement associée au respect
des contraintes budgétaires, que les deux notions en sont venues à se confondre. Autrement dit, un
contrat public sera présumé servir l’intérêt public si celui-ci est conçu et exécuté dans le respect des
budgets. Nous croyons en outre que cette conception budgétaire de l’intérêt public a comme
principale conséquence de faire primer le prix des soumissions sur d’autres critères de sélection
comme par exemple, la qualité de la prestation, la responsabilité sociale du cocontractant ou la
conformité des méthodes proposées avec les normes environnementales.

Si cette hypothèse s’avère fondée, cela signifie que, dans les faits, les contrats publics sont
régis par une conception de l’intérêt public qui laisse bien peu de place à d’autres variables. Or, une
notion comme l’intérêt public ne peut pas se laisser emprisonner dans un cadre aussi hermétique.
L’intérêt public, de par les fonctions qui lui ont traditionnellement été dévolues en droit administratif,
ne peut pas être l’accessoire, le prête-nom ou le serviteur d’une conception particulière et figée d’une
autre chose qui lui serait immanente48. Le risque que nous voulons ici souligner, ce n’est pas tant que
l’intérêt public soit caractérisé par une conception particulière – ce qui sera d’ailleurs toujours le cas
en raison du caractère perméable de la notion – mais plutôt qu’il soit dominé par cette conception au
point d’opérer une certaine confusion entre la conception et la notion et de faire oublier cette dernière
au profit de l’idéologie qu’elle véhicule. Une telle situation présente le danger d’appliquer l’intérêt

48
Le professeur Didier Truchet, qui s’est intéressé durant toute sa carrière à la notion d’intérêt général,
mentionne ce qui suit à son sujet : « Ces caractéristiques [son imprécision conceptuelle et sa plasticité] ne sont
pas des défauts, mais des qualités qui le rendent précieux pour appliquer une règle à des situations de fait de
plus en plus diverses. Il est en phase avec le glissement progressif de nos systèmes juridiques vers un système
de valeurs : il met de la légitimité dans la légalité ». Didier TRUCHET, « La notion d’intérêt général : le point de
vue d’un professeur de droit », (2017) 58-1 LEGICOM 5, 6.

12
public de manière dogmatique, sans réel questionnement sur ce qui est vraiment d’intérêt public selon
chaque cas d’espèce. Donc, si notre hypothèse s’avère fondée, cela implique de proposer une façon
de refonder l’intérêt public à la lumière de paramètres lui permettant de retrouver sa « liberté »
conceptuelle.

CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIE

La thèse qui suit procède d’un exercice de déconstruction et de reconstruction. Ce qui sera
déconstruit dans un premier temps, pour être reconstruit dans un second, c’est la conception
dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics
québécois.

Dans la première partie de la thèse, nous ferons état des liens qu’entretiennent les notions
d’intérêt public et de contrat public en droit québécois. Nous présenterons ensuite les fonctions qui
ont traditionnellement été dévolues à la notion d’intérêt public (fondement, but et limite des pouvoirs
de l’État) ainsi que les deux grandes conceptions qui ont caractérisé cette notion au fil du temps (la
conception utilitariste et la conception volontariste). Cela nous permettra d’analyser, dans un second
temps, le cadre normatif applicable aux contrats publics afin de découvrir la conception de l’intérêt
public qui s’en dégage.

Mais comment identifier la conception dominante de l’intérêt public lors de l’exercice du


pouvoir contractuel de l’État ? Comme la loi ne nous en donne aucune définition, nous nous sommes
livrés à un exercice d’interprétation. Pour ce faire, nous avons porté notre regard sur le du cadre
normatif qui régit les contrats publics québécois et nous avons tenté d’isoler tous les éléments
susceptibles de nous fournir des indices sur la façon dont est conçue la notion d’intérêt public lorsqu’il
est question de contrat public. Précisons ici qu’il n’était pas de notre intention de brosser un portrait
détaillé des règles applicables aux contrats publics49, mais plutôt d’en faire ressortir les éléments les
plus révélateurs pour les fins de notre question de recherche. C’est pourquoi nous nous sommes
efforcés, dans cette première partie de la thèse, de présenter du même souffle les éléments les plus

49
D’autres l’ont fait avant nous : Pierre GIROUX, Denis LEMIEUX et Nicholas JOBIDON, Contrats des organismes
publics : loi commentée, 2e éd., Brossard, Québec, Wolters Kluwer CCH, 2013; Pierre LEMIEUX, Les contrats
de l’administration fédérale, provinciale et municipale, Sherbrooke, Éditons RDUS, 1981; Andrée LAJOIE,
Contrats administratifs : jalons pour une théorie, Montréal, Éditions Thémis, 1984; Pierre GIROUX et Denis
LEMIEUX, Contrats des organismes publics québécois, Farnham (Qc), Publications CCH/FM Ltée, 1988; Paul
EMANUELLI, Government procurement, 4e éd., Toronto, LexisNexis Canada, 2017.

13
déterminants du cadre normatif et la lecture que nous en faisons. Les autres éléments, que nous avons
volontairement omis de présenter, sont ceux qui ne nous renseignent pas ou peu sur l’interprétation à
donner à la notion d’intérêt public. À titre d’exemple, nous n’avons pas traité de façon exhaustive des
règles qui encadrent les mesures de surveillance et d’accompagnement des entreprises inadmissibles
aux contrats publics ou du rôle du Commissaire à la lutte contre la corruption, si ce n’est que pour
mentionner que l’intégrité des cocontractants de l’État peut parfois apparaître comme une composante
de l’intérêt public.

Si nous avons choisi d’étudier le cadre normatif plutôt que le simple cadre juridique
applicable aux contrats publics, c’est parce que celui-ci nous semble plus à même de révéler certaines
tendances dans la façon dont se vit concrètement l’activité contractuelle étatique. Comme le
mentionnait le professeur Jean-Guy Belley dans un article paru en 1991 en guise de compte-rendu
d’une importante étude empirique ayant porté sur les relations contractuelles entre l’aluminerie Alcan
et ses fournisseurs, « la science du droit fournit une vision abstraite de la réalité concrète »50 et il faut
par conséquent se demander « quelle sorte d’abstraction la théorie juridique se révèle être par rapport
à la réalité sociologique »51.

En posant notre regard sur les normes qui gouvernent les contrats publics et non seulement
sur les règles de droit qui les encadrent, nous nous donnons l’occasion d’étudier, en sus des lois, des
règlements et de la jurisprudence, tout le corpus des directives et des politiques édictées pour mieux
circonscrire l’activité contractuelle étatique et guider les responsables de l’approvisionnement qui
œuvrent au quotidien au sein des organismes publics. Cette posture normative nous autorise
également à inclure dans notre analyse la structure usuelle des documents d’appels d’offres de même
que les principales composantes de la gestion des projets publics. Évidemment, nous ne prétendons
pas ici à l’étude empirique ou à l’étude sociologique des contrats publics. Notre cadre d’analyse
demeure principalement axé sur le régime juridique applicable aux contrats publics, lequel est
composé des sources formelles du droit que sont les règles de droit.52. Notre cadre d’analyse est

50
Jean-Guy BELLEY, « L’entreprise, l’approvisionnement et le droit. Vers une théorie pluraliste du contrat »,
(1991) 32-2 Les Cahiers de droit 253, 286.
51
Id.
52
Même si dans un régime de droit civil comme celui du Québec, la jurisprudence n’est pas considérée de facto
comme une source de droit formelle, nous considérons que dans le domaine des contrats publics, une branche
du droit administratif, l’influence de la Common law et de la jurisprudence est si importante qu’il serait incorrect
de ranger cette source du droit dans la catégorie des normes qui ne constituent pas des règles de droit. Pour une
revue de l’influence de la jurisprudence en droit québécois, voir : Albert MAYRAND, « L’autorité du précédent
au Québec », 28-2 et 3 La Revue juridique Thémis 773.

14
toutefois enrichi par l’ajout d’autres sources, que nous pouvons qualifier de sources « matérielles ».
Nous croyons que la prise en compte de ces autres sources est absolument nécessaire dans le domaine
étudié, car il s’agit d’un passage obligé pour bien comprendre l’ensemble des variables qui ont une
influence dans la façon dont sont conçus, octroyés et réalisés les contrats publics québécois et par
voie de conséquence, dans la façon dont est conçue la notion d’intérêt public telle qu’appliquée à ce
domaine.

Le choix d’une analyse des contrats publics sous l’égide d’une pluralité de normes se révèle
d’autant plus judicieux dans le contexte où l’objet de notre étude est le contrat public et que celui-ci
implique l’intervention d’un organisme public et d’une partie privée. Le contrat classique, conçu
comme un simple accord de volontés entre deux personnes libres de consentir et désireuses de
s’entendre sur un but précis, peut certainement être étudié sous l’angle des clauses contenues au
contrat et des règles de droit auxquelles ces personnes sont tenues. Une telle démarche ne permet
toutefois pas de saisir toute l’importance et les nuances des autres normes qui commandent certains
comportements dans les pratiques des nombreux intervenants qui concourent à la conclusion d’un
contrat de la nature de ceux qui donnent lieu au démarrage d’un projet public. Comme le mentionnait
Jean-Guy Belley en introduction de l’article précité, les nombreuses recherches menées sur les
contrats, particulièrement ceux de nature commerciale, ont « montré que le droit étatique des contrats
n'occupe qu'une place marginale dans la pratique des échanges commerciaux, qu'il soit envisagé
comme outil de planification ou comme mode de résolution des litiges »53. Bien que commentaire
visait plus spécifiquement les contrats de nature privée, cela nous semble tout aussi vrai en ce qui a
trait au contrat public.

Nous sommes évidemment conscients que notre analyse aurait été encore plus complète si
nous avions été en mesure de capturer le point de vue des acteurs qui interviennent au quotidien dans
l’univers des contrats publics. Pour ce faire, nous aurions pu réaliser des entrevues dirigées ou semi-
dirigées ou entreprendre une démarche d’observation de la nature de celle qui a été menée par le
professeur Belley dont nous évoquions les travaux précédemment. Pour différentes raisons,
notamment parce qu’il nous semblait plus opportun de comprendre en profondeur notre sujet sous un
angle théorique avant de nous aventurer sur ce que nous pourrions appeler le « terrain » des projets
publics, nous avons choisi de ne pas emprunter une approche empirique dans le cadre de cette thèse.
Nous avons toutefois bon espoir que les conclusions auxquelles mènera notre étude auront

53
J.-G. BELLEY, préc., note 50, 257.

15
certainement le potentiel de mettre la table pour une éventuelle recherche empirique sur la notion
d’intérêt public dans le domaine des contrats publics.

Dans la seconde partie de cette thèse, nous présenterons le modèle qu’il convient de
préconiser pour que le pouvoir contractuel de l’État soit exercé en tenant compte des nombreuses
dimensions que suppose une notion aussi polymorphe que l’intérêt public. Comme Jacques
Chevallier, nous croyons que l’intérêt public demeure pertinent pour baliser l’exercice des pouvoirs
publics; c’est simplement qu’il doit faire l’objet d’une refondation : « l’intérêt général ne se présume
plus ; il ne s’impose plus comme argument d’autorité mais dépend de la pertinence des actions
engagées, des décisions prises. Dès l’instant où l’on ne saurait préjuger de cette pertinence, il s’agit
de s’assurer que toutes les conditions sont remplies pour l’obtenir ; l’intérêt général devient le produit
aléatoire d’un processus désormais marqué par la complexité (…) »54

Le nouveau modèle que nous entendons proposer, et dont nous tracerons les grands contours,
prend appui sur la démocratie administrative comme cadre général de refondation. Nous en traiterons
en détail le temps venu, mais soulignons d’entrée de jeu que la démocratie administrative permet de
repenser l’exercice du pouvoir contractuel de l’État à l’aune d’un idéal démocratique qui place le
citoyen au cœur des projets publics qui le concernent. Pour permettre au pouvoir contractuel de ne
pas être « enfermé » dans une conception figée de l’intérêt public, encore faut-il que l’Administration
bénéficie des moyens nécessaires pour en établir le contenu. Dans une société caractérisée par le
pluralisme comme celle de notre époque, il devient intéressant – nous dirions même incontournable
- de recourir aux méthodes issues de la démocratie administrative afin de permettre aux citoyens qui
bénéficient (ou subissent) le pouvoir contractuel de l’État - au même titre d’ailleurs que l’action
gouvernementale en général - d’être minimalement consultés et idéalement appelés à participer à la
conception des projets publics. De telles méthodes ont pour objectif de créer et d’entretenir des canaux
de communication entre les administrés et l’Administration. L’objectif est de faire en sorte que les
destinataires des actes de l’Administration en deviennent les coauteurs :

Le concept […] suppose, au-delà des innovations particulières conférant davantage de


droits aux citoyens dans leurs rapports avec l’administration, d’accéder à une réflexion
plus systématique, conduisant à admettre que l’exigence démocratique ne concerne pas
que l’élection et le politique, et qu’elle doit imprégner aussi constamment le
fonctionnement quotidien de l’appareil public, y compris dans son volet administratif.

54
Jacques CHEVALLIER, « Déclin ou permanence du mythe de l’intérêt général ? », dans L’intérêt général.
Mélanges en l’honneur de Didier Truchet, Paris, Dalloz, 2015 aux pages 89‑90.

16
Qu’en d’autres termes, elle induit des exigences plus générales concernant les relations
entre l’appareil public et les citoyens.55

Nous expliquerons également en quoi, dans le contexte bien précis des contrats publics, il
peut être utile d’enrichir le concept de démocratie administrative à l’aide de la théorie deweyenne de
la démocratie et de la démocratie d’exercice développée par Pierre Rosanvallon. L’articulation de
ces théories permet d’imaginer des dispositifs participatifs particulièrement adaptés à la réalité du
pouvoir contractuel de l’État. Dans la perspective de John Dewey, « la démocratie n’est pas une forme
de gouvernement »56, mais plutôt une enquête perpétuelle visant à résoudre de façon commune les
problématiques qu’une société partage. Son approche se veut pragmatiste et participative et rejette
toute conception « dogmatique » de l’intérêt public. À l’instar de la démocratie délibérative exploitée
dans les textes de Jürgen Habermas57, l’approche deweyenne fournit des pistes très prometteuses pour
susciter un dialogue entre la puissance publique et les administrés. Quant à la démocratie d’exercice
développée par Pierre Rosanvallon dans son livre Le bon gouvernement, celle-ci permet de dégager
les caractéristiques d’un cadre normatif qui habilite les citoyens, et qui les incite à se réapproprier la
chose publique, grâce à la lisibilité, à la responsabilité et à la réactivité du pouvoir exécutif. Cette
démocratie d’exercice possède également des attributs fort intéressants pour éviter les problèmes que
l’on observe parfois en regard des dispositifs participatifs implantés ailleurs au sein de
l’administration publique.

En somme, et pour conclure cette introduction générale, nous espérons que l’objectif que
nous nous sommes fixé de mieux comprendre la conception de l’intérêt public telle qu’elle se dégage
du cadre normatif applicable aux contrats publics québécois et d’en proposer une refondation si
nécessaire, puisse contribuer à la réflexion plus large de ce qui constitue un « bon gouvernement »58.
Comme tout pouvoir étatique, le pouvoir contractuel doit être exercé conformément à l’intérêt public.
L’État est « censé réaliser la synthèse des volontés individuelles et incarner un intérêt général,
surmontant et dépassant les égoïsmes catégoriels »59. Réfléchir à ce qu’est un bon gouvernement

55
Jean-Bernard AUBY, « Remarques préliminaires sur la démocratie administrative », Revue française
d’administration publique 2011.1.13, 14.
56
John DEWEY, Le public et ses problèmes, Paris, Gallimard, 2010.
57
Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie : entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997; Jürgen HABERMAS,
De l’éthique de la discussion, Paris, Flammarion, 1999.
58
Nous reprenons ici l’expression de Pierre Rosanvallon qui a bien mis en évidence dans son ouvrage du même
nom, le rôle de plus en plus important joué par le pouvoir exécutif dans nos démocraties contemporaines et
l’importance de mettre l’accent sur une démocratie d’exercice, appelant ainsi, d’une certaine façon, bien qu’il
ne le dise pas explicitement, à la démocratisation du pouvoir contractuel de l’État. Pierre ROSANVALLON, Le
bon gouvernement, Paris, Points, 2017.
59
J. CHEVALLIER, préc., note 54 à la page 83.

17
implique de tenir compte de la façon dont est exercé le pouvoir contractuel de l’État. Toute théorie
sur le gouvernement, qu’elle soit politique ou juridique, devrait s’intéresser aux paramètres dans
lesquels est exercé le pouvoir contractuel. 60

60
J.-B. AUBY, préc., note 55, 14.

18
« I felt exactly how you would feel if you were
getting ready to launch and knew you were sitting
on top of 2 million parts all built by the lowest
bidder on a government contract. »

John Glenn
(Avant d’effectuer le premier vol orbital autour de la Terre en 1962)

Partie I – L’intérêt public en matière de contrats


publics : une conception essentiellement budgétaire

L’objectif de cette partie est d’identifier la conception dominante de l’intérêt public telle
qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics québécois. Autrement dit, il s’agit
d’examiner les normes qui régissent les contrats publics québécois en tentant de découvrir si celles-
ci véhiculent une vision particulière de l’intérêt public et le cas échéant, de la décrire.

Pour ce faire, nous expliquerons tout d’abord en quoi les notions de contrat public et d’intérêt
public sont interreliées. Nous préciserons ensuite la portée théorique et juridique de ces deux notions,
ce qui nous permettra par le fait même d’établir de façon plus précise l’objet de notre recherche
(Chapitre 1).

Ayant précisé ce que nous entendons par contrat public et intérêt public et de quelle manière
ces deux notions interagissent, nous examinerons ensuite les normes qui gouvernent l’activité
contractuelle des organismes publics québécois afin d’identifier la conception dominante de l'intérêt
public qui s’en dégage (Chapitre 2).

19
CHAPITRE 1 – LA RELATION ENTRE CONTRAT PUBLIC ET INTÉRÊT PUBLIC

En droit québécois, la notion de contrat public ne peut être envisagée sans celle d’intérêt
public. En effet, les règles juridiques qui régissent l’activité contractuelle des organismes publics
bénéficient de certains « privilèges » par rapport à celles qui régissent les contrats privés, pour le
motif précis qu’un contrat public a pour vocation de servir l’intérêt public. D’autre part, les projets
qui font l’objet des contrats publics s’inscrivent dans un contexte organisationnel précis et dans un
cycle de vie particulier qui résultent de la nature publique de ces projets et des objectifs d’intérêt
public qu’ils sont censés servir. C’est parce que les contrats publics ont pour vocation de servir
l’intérêt public et parce que les projets qui en sont l’objet s’inscrivent dans un contexte public que
l’activité contractuelle étatique est régie par un cadre juridique particulier (Section I).

C’est une chose d’affirmer que l’intérêt public est la raison d’être des contrats publics et des
projets qui en sont l’objet, mais qu’est-ce que cela signifie au juste ? Si les contrats publics sont censés
servir l’intérêt public, qu’est-ce qu’ils servent précisément ? Est-il possible de définir l’intérêt public
? En nous penchant sur les fonctions qui ont traditionnellement été dévolues à cette notion ainsi
qu’aux traditions philosophiques dans lesquelles celle-ci s’inscrit, nous chercherons à comprendre ce
qu’il faut entendre par intérêt public lorsqu’il est question de l’exercice du pouvoir contractuel de
l’État (Section II).

Section I – Le contrat public : un cadre spécifique justifié par une finalité d’intérêt
public

Qu’est-ce qui distingue les contrats privés des contrats publics ? Par exemple quelle est la
différence entre, un contrat (X), qui interviendrait entre le propriétaire d’un immeuble commercial
avec un maçon pour que ce dernier remplace les briques dont l’usure du temps a eu raison, et un
contrat (Y), qui interviendrait entre une municipalité et un maçon pour que ce dernier refasse le
revêtement extérieur d’un centre communautaire qui s’est dégradé au fil du temps ? Spontanément,
on remarque que ces contrats ne lient pas les mêmes parties. Le contrat public fait intervenir un
organisme public, ce qui n’est pas le cas du contrat privé. Par contre, dans ces deux exemples, l’objet
du contrat est sensiblement le même : il est question de confier des travaux de maçonnerie à un tiers.
Supposons pour les fins de la discussion que l’envergure des travaux à réaliser est identique et que
les délais à l’intérieur desquels ils doivent être exécutés sont les mêmes. Imaginons également que
les immeubles sont situés dans la même région et que les travaux projetés seront réalisés durant la

20
même période de l’année et donc, dans conditions climatiques analogues. Ajoutons qu’aux plans
technique et logistique, les contraintes des deux donneurs d’ouvrage - le propriétaire privé et la
municipalité - sont les mêmes. Enfin, supposons qu’il n’existe qu’un seul type de brique pour faire
ce genre de travaux et que les budgets du propriétaire privé et de la municipalité sont identiques.
Enfin, tenons pour acquis qu’un seul entrepreneur en maçonnerie est disponible pour réaliser de tels
travaux au moment où ceux-ci sont rendus nécessaires. Avec ces éléments en tête, tout porte à croire
que les deux donneurs d’ouvrage retiendront les services de cet entrepreneur et que ce dernier exigera
une rétribution identique en contrepartie des services rendus. Avec tous ces éléments en tête, nous
pourrions aussi avancer que rien ne justifie que les règles du jeu entourant l’octroi et l’exécution de
chacun de ces deux contrats diffèrent. L’objet de ces contrats est le même et les conditions dans
lesquelles ils doivent être exécutés sont identiques.

Poursuivons notre exemple. Imaginons que le contrat liant la municipalité ait été octroyé par
le directeur des travaux publics de celle-ci sans qu’une résolution du conseil municipal n’ait entériné
la décision ? Imaginons aussi que le contrat liant le propriétaire immobilier n’ait pas été ratifié par
son associé alors que la convention de société auxquels ils sont parties exige l’approbation de tous
les associés ? Les contrats pourraient-ils être annulés en pareilles circonstances ? L’entrepreneur
aurait-il droit à une compensation financière ? Imaginons qu’avant la fin des travaux, mais alors que
le contrat est octroyé, l’entrepreneur soit déclaré coupable de ne pas avoir payé ses taxes foncières à
la municipalité. Supposons que le propriétaire immobilier est exemplaire depuis toujours sur le plan
fiscal et qu’il soit offusqué du comportement de son cocontractant. La municipalité, lésée par
l’entrepreneur en maçonnerie, et le propriétaire offusqué par la délinquance de celui-ci, pourraient-
ils résilier leurs contrats pour ces motifs ? Si un imprévu survient en cours de travaux, par exemple
que l’entrepreneur réalise que le mortier est en moins bon état que prévu, les termes du contrat
pourront-ils être changés ? Aux frais de qui le cas échéant ? La municipalité et le propriétaire privé
devraient-ils traités différemment en pareilles circonstances ?

Toujours pour les fins de notre illustration, changeons quelque peu les modalités initiales de
notre exemple. Imaginons que plusieurs entrepreneurs en maçonnerie sont disponibles pour réaliser
les travaux envisagés (plutôt qu’un seul comme nous l’avions indiqué). Est-ce que les règles régissant
l’octroi du contrat devraient être différentes s’agissant de l’octroi du contrat (X) versus du
contrat (Y) ? En théorie, tant la municipalité que le propriétaire privé auraient avantage à choisir le
meilleur contractant pour réaliser leurs travaux. Par contre, si leur budget ne leur permettait pas de
choisir le meilleur entrepreneur, comment devrait-ils alors procéder ? Choisir le meilleur et contracter

21
un prêt pour amortir le coût des travaux à long terme ? Préférer une prestation de moindre qualité
pour éviter l’endettement ? Si l’entrepreneur le plus compétent est par ailleurs réputé pour offrir de
mauvaises conditions de travail à ses employés et faire preuve de discrimination dans l’embauche de
ceux-ci, devrait-il être retenu malgré tout ? La municipalité et le propriétaire privé devraient-ils traiter
cette information différemment ?

Quelle procédure présente le plus d’avantages pour le donneur d’ouvrage quant à la façon
d’adjuger le contrat ? La négociation de gré à gré, l’invitation de quelques fournisseurs jugés
compétents à soumettre un prix ou encore un appel d’offres élargi à l’ensemble des soumissionnaires
potentiels ? Le choix d’une procédure plutôt qu’une autre peut-il avoir des conséquences sur les
prochains projets du donneur d’ouvrage ? Risque-t-elle de stimuler la compétition à long terme, de
faire apparaître de nouveaux compétiteurs, de stimuler l’innovation, d’améliorer le sort des
travailleurs en maçonnerie ou de créer une relation privilégiée avec un soumissionnaire dont
l’expertise et la productivité pourront croître au fil du temps ? Ces éléments devraient-ils être pris en
compte dans le choix du mode d’octroi du contrat ?

Nous pourrions développer l’exemple encore davantage. L’objectif de cette mise en situation
était de faire ressortir les points communs entre le contrat privé et le contrat public pour en arriver à
voir ce qui les distingue. Montrer là où ils convergent pour apercevoir ce qu’il reste de différences.
En fin de compte, l’on voit assez aisément que le propriétaire privé et la municipalité peuvent avoir,
à un moment de leur existence, des besoins très similaires et que pour des raisons analogues, ils
peuvent avoir avantage à retenir les services d’un même fournisseur. Ils peuvent également avoir
intérêt à procéder de la même façon pour choisir leur fournisseur et ce, même si le choix du mode
d’adjudication repose sur différentes considérations. Nous pourrions en inférer que les municipalités
– à l’instar de tout autre corps public d’ailleurs – devraient procéder de la même façon que les parties
privées lorsqu’il s’agit de conclure un contrat. Ce faisant, il ne devrait pas non plus exister de règles
différentes pour régir les activités contractuelles publiques de celles qui sont privées. Mais cela tient-
il la route ?

Raisonner ainsi occulte complètement la question de la finalité du contrat. Analysés sous


l’angle des besoins technique, logistique et budgétaire du client, les impératifs associés à un contrat
public ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui sont associés au contrat privé. La partie privée, tout
comme l’organisme public, cherchera légitimement à satisfaire ses besoins en termes de temps, de

22
budget et de qualité. Elle cherche à « acheter » selon un ratio qualité/prix optimal. La différence entre
les deux – et nous touchons ici au cœur de ce qui caractérise par essence le droit public – c’est que la
finalité générale du contrat public, pas seulement technique, logistique ou budgétaire, est de servir
l’intérêt public. Le statut public du contrat public en fait une institution juridique particulière dont les
objectifs et conséquences n’appartiennent plus aux seules parties qui interviennent au contrat.
Derrière – ou tout autour – de l’organisme public et de la partie privée qui contractent, se trouve un
ensemble de citoyens dont l’organisation politique et administrative a été confiée à l’État. Comme le
fait remarquer le professeur Garant, « [l]'État moderne n'est pas spécifiquement producteur, ni
commerçant, pas plus qu'il n'est éducateur ou organisateur de loisirs ; mais tout peut relever de lui
sous l'angle du bien commun parce qu'il est au service de la personne humaine. Le service de la
personne humaine vivant en société, voilà ce que signifie cette notion d'intérêt général, de bien
commun, d'intérêt public (…) »61. Le contrat public, comme d’autres institutions juridiques au service
de la collectivité telles que les subventions ou les permis, nécessite des règles particulières qui sont
le reflet de sa finalité particulière : l’intérêt public. Ce sont les collectivités toutes entières qui sont
concernées par les contrats publics.

Comme le fait remarquer Patrice Garant, il n’existe pas à proprement parler de catégories
juridiques précises permettant de classer les contrats publics et privés dans deux univers juridiques
distincts62. Ils sont dans les deux cas soumis aux règles énoncées au Code civil du Québec (ci-après :
« C.c.Q. »)63. Le contrat public se distingue toutefois du contrat privé en ce qu’il a pour finalité
l’intérêt public. Cela fait en sorte qu’on lui applique « des règles exorbitantes du droit commun, qui
varieront suivant les exigences de l’intérêt général, et qui peuvent différer d’un service à l’autre »64.
Se pose dès lors la question de savoir quelles sont ces exigences. C’est ce que nous nous affairerons
de découvrir dans le cadre du présent chapitre.

Expliquant que l’« [i]ntérêt public est la raison d’être de l’Administration publique et de
chacun de ses actes, y compris le contrat »65, le professeur Garant fournit quelques exemples issus de

61
P. GARANT, préc., note 27, p. 5.
62
Id., p. 373.
63
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
64
P. GARANT, préc., note 27, p. 373.
65
Id.

23
la jurisprudence qui attestent de la prise en compte de l’intérêt public dans le contentieux ayant trait
aux contrats publics :

C'est dans ce sens que la Cour supérieure énonçait que lorsque les tribunaux doivent
intervenir : « l'intérêt des contribuables est le principe qui doit guider les tribunaux »66
[…] De même le processus d'appel d'offres, une caractéristique du contrat
administratif « vise en définitive à protéger les contribuables »67. La jurisprudence parle
de « protection de la collectivité »68. Il est question de « l'administration publique qui
doit sans cesse agir dans le meilleur intérêt du contribuable qu'il représente »69 […] C'est
au nom de l'intérêt public que, selon la Cour suprême, « l'administration adjudicative a
le droit, en établissant le dossier d'appel d'offres, de stipuler des conditions et des
restrictions et de s'accorder des privilèges »70. C'est l'intérêt public qui justifie le pouvoir
discrétionnaire de l'Administration dans la détermination des conditions de l'appel
d'offres71 […] Selon la Cour d'appel fédérale « le processus d'appel d'offres vise à
protéger les contribuables en permettant au ministre de choisir, parmi les soumissions
qui rencontrent substantiellement les exigences, celle qui est la plus avantageuse pour
l'État »72(… )73

Nous aurons l’occasion de traiter plus amplement des décisions précitées un peu plus loin, ce
qui nous permettra de voir plus précisément comment les juges interprètent la notion d’intérêt public
lorsque les tribunaux sont saisis d’un litige impliquant un contrat public. Ce que nous souhaitions
montrer à ce stade, c’est que la jurisprudence associe d’emblée le particularisme du contrat public à
sa finalité d’intérêt public et qu’elle lui applique en conséquence des règles exorbitantes du droit
commun.

La doctrine en droit administratif est au même effet. À l’instar du Patrice Garant, les
professeurs Denis Lemieux et Pierre Issalys mentionnent, dans le chapitre consacré aux contrats
administratifs de leur ouvrage L’action gouvernementale, que c’est « l’opposition entre l’intérêt de la
collectivité que l’Administration doit protéger et l’intérêt particulier du cocontractant »74 qui fait en
sorte que le régime des contrats publics n’est pas caractérisé par les mêmes règles que celui des

66
Entreprises H. St-Pierre c. Inverness (Mun. du canton), B.E. 97BE-709 (C.S.).
67
Monit International c. Canada, [2004] C.F. 75, par. 274; Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada
(Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 694, 707 (CAF).
68
L’Archevêque & Rivest Ltée c. Beaucage, J.E. 83-856 (C.A.).
69
Cie de jouets Feuille d’érable Ltée c. Association montréalaise d’action récréative et culturelle -1983-
(AMARC), [1986] R.J.Q. 549, 555 (C.S.) (conf. par J.E. 89-75 (C.A.)).
70
Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 860, par. 89.
71
Équipements Diesel Abitibi Inc. c. Val d’Or (Corp. mun. de la Ville de), [1981] C.S. 434, 438.
72
Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), préc., note 75.
73
P. GARANT, préc., note 27, p. 373‑374.
74
Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale : précis de droit des institutions administratives,
3e éd., Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 1123.

24
contrats privés où le principe d’égalité entre les parties prévaut. Ils ajoutent du même souffle que
« [l]’Administration se doit donc de protéger les deniers publics »75. Nous aurons l’occasion d’y
revenir, mais les auteurs n’auraient pas pu employer une expression plus révélatrice de ce que
l’encadrement normatif actuel des contrats publics cherche à faire : protéger les deniers publics !

Pierre Lemieux explique que le cadre juridique particulier auquel sont assujettis les contrats
publics découle de leur finalité d’intérêt public. Il écrit : « Une chose est certaine, le but du service
public est la raison d’être du contrat de l’Administration »76, ce qui fait en sorte que contrairement
aux contrats conclus entre deux parties privées, lesquels sont assujettis au principe d’égalité
contractuelle, il « n’y a jamais parité entre les parties [à un contrat public], l’une représentant l’intérêt
général de la collectivité, l’autre l’intérêt particulier »77. Traitant plus loin de la théorie de
l’imprévision applicable aux contrats publics, il ajoute : « En réalité le contrat administratif ne met
pas en cause des intérêts particuliers, mais il vise un intérêt général à atteindre par un effort
convergent »78.

Chloé Fauchon et Martin Thiboutot mentionnent quant à eux que le cadre juridique applicable
aux contrats publics « énonce plusieurs des principes directeurs, sous-jacents à tout le processus
d'octroi, tels que l'intégrité, la transparence, l'équité devant l'administration publique et de façon plus
générale, l'intérêt public »79, et que l’effet de ces principes est de relativiser les fondements
applicables au régime du contrat privé, tels que le consensualisme, l’égalité contractuelle et la liberté
contractuelle. À propos du concept d’égalité contractuelle entre les parties, Pierre Lemieux fait
remarquer que celui-ci est bien relatif80. D’une part, bien que nous soyons en présence d’un contrat
dont la plupart des clauses sont imposées au cocontractant privé, il ne s’agit pas à proprement parler
d’un contrat d’adhésion au sens classique du terme. L’expression « contrat-type » est préférable, car
elle traduit mieux l’idée que « [l]a formule-type du contrat imposé par l’Administration au
cocontractant s’impose également à l’autorité administrative qui passe le contrat »81. D’autre part, s’il
est vrai que le processus contractuel entourant la conclusion d’un contrat public donne généralement
peu de marge de négociation aux aspirants cocontractants de l’État étant donné que ceux-ci doivent

75
Id. Les italiques sont de nous.
76
P. LEMIEUX, préc., note 49, p. 58.
77
Id.
78
Id., p. 345.
79
Chloé FAUCHON et THIBOUTOT, « Régime contractuel de l’État », dans Stéphane BEAULAC et Jean-François
GAUDREAULT-DESBIENS (dir.), Droit administratif, Montréal, LexisNexis, 2015 à la page 19.1.
80
P. LEMIEUX, préc., note 49, p. 213‑214.
81
Id., p. 212.

25
se plier aux exigences du cahier des charges, lequel est généralement établi de façon unilatérale par
l’organisme public82, nous pouvons aussi affirmer que ce cahier des charges exprime parfois des
besoins dont la portée et les limites sont le fruit de ce que les quelques grands joueurs disponibles sur
le marché ont à offrir, faisant ainsi passer l’organisme public au statut d’adhérent. À l’instar des
parties privées qui ont à négocier un contrat, la sophistication des parties qui interviennent à un contrat
public varie et les avantages stratégiques dont ils peuvent se prévaloir changent en fonction d’une
panoplie de situations, faisant de chaque processus contractuel un cas d’espèce. Peut-on vraiment dire
d’un organisme public qu’il est avantagé en raison de son statut « public » lorsqu’un seul fournisseur
peut lui offrir ce dont il a besoin ou encore lorsque les principaux fournisseurs avec qui il pourrait
s’entendre s’adonnent à un système de collusion ? Non, la seule inégalité qui puisse transcender tous
les contextes est celle qui tire son origine des objectifs que doivent poursuivre un État
comparativement à ceux que la partie privée a le loisir de choisir : « Cette inégalité résulte, avant tout,
du but poursuivi par les parties. Il n’existe, en effet, jamais de parité entre les parties : le particulier
ne recherche que son intérêt privé, et l’Administration poursuit un but d’intérêt général bénéfique
pour la collectivité »83.

Dans la première partie de son ouvrage consacré aux contrats administratifs84, la professeure
Andrée Lajoie met en doute l’idée reçue que le régime juridique qui est applicable aux contrats
administratifs intègre de facto une finalité d’intérêt public. Elle écrit : « nous nous distinguerons de
la doctrine classique par un plus grand scepticisme à l’égard de l’effet opérant de certains principes,
tels « l’intérêt public » et « l’égalité de tous devant l’administration », que plus d’un répète en citant
l’autre sans que personne n’ait jamais fait la preuve de leur réception dans notre droit autrement qu’en
commentant une pétition de principe. »85 Ce questionnement de la professeure Lajoie est d’ailleurs
l’un des points d’ancrage de l’enquête à laquelle elle se livre dans son ouvrage. Plutôt que d’inférer
d’entrée de jeu que les contrats administratifs sont visés par des règles exorbitantes du droit commun
pour des motifs tels que l’intérêt public, elle s’applique d’une part à voir si ces contrats sont
effectivement assujettis à des règles différentes de celles qui s’appliquent aux contrats privés et

82
Il faut toutefois nuancer cette affirmation pour ce qui est des projets de plus grande envergure. En pareilles
circonstances, l’élaboration du cahier des charges est généralement précédée d’études de faisabilité et de
discussions avec l’industrie.
83
P. LEMIEUX, préc., note 49, p. 213 citant Jones and Simpson c. R., (1877-83) 7 R.C.S. 570, 616 (Cour de
l’Échiquier).
84
Nous insistons sur le fait que les conclusions de son ouvrage visent les contrats administratifs au sens large,
que ceux-ci impliquent ou non une dépense de fonds publics. Il n’est pas à proprement parler de la commande
publique, même si celle-ci est nécessairement visée par la définition qu’elle donne des contrats administratifs.
85
A. LAJOIE, préc., note 49, p. 65.

26
d’autre part, à vérifier si de telles règles particulières ne s’expliqueraient pas en raison d’autres
facteurs. Il importe par ailleurs de souligner que l’analyse d’Andrée Lajoie a été réalisée alors que la
LCOP était absente du corpus législatif québécois. L’enquête qu’elle a menée lui a permis de conclure
qu’il n’y a pas, au Québec, une différence très appréciable entre le cadre juridique des contrats
administratifs et celui des contrats privés. Du moins, cette différence est beaucoup moins marquée
que celle qui existe sous le régime français où le contrat administratif bénéficie d’un traitement qui
lui est beaucoup plus spécifique. Quant à la finalité d’intérêt public censée caractériser les contrats
publics québécois, elle estime qu’il ne s’agit pas d’un principe qui guide de façon intrinsèque l’activité
contractuelle étatique : « ce n’est pas parce que la finalité du service public l’inspire que l’État
procède à des modifications unilatérales mais bien quand la conjoncture le lui permet »86. Selon la
professeure Lajoie, contrairement au système français où le concept de service public (lequel réfère
de manière générale à toutes les activités de l’Administration qui sont d’intérêt général) sert de
fondement interprétatif à tous les contrats administratifs, l’État québécois ne pourra recourir à ce
concept que si la conjoncture le lui permet ou autrement dit, si le « rapport de forces » lui est
avantageux. Dans le cas contraire, notamment lorsqu’il s’agit d’annuler de façon unilatérale un
contrat administratif, c’est le droit commun qui prévaudra et il ne sera pas possible de procéder
différemment qu’avec un contrat privé, sauf si l’État décide de procéder par voie législative, ce qui
le placera nécessairement sous l’égide de la conjoncture politique du moment.

En somme, les auteurs qui se sont intéressés aux contrats publics reconnaissent que le
particularisme du contrat public repose sur la finalité d’intérêt public qui devrait le caractériser.
Andrée Lajoie, ne remet pas en question ce principe, mais précise qu’un observateur attentif du
régime des contrats administratifs québécois, tel qu’il se vit en pratique, pourrait se questionner sur
l’effectivité de ce principe. Quant à nous, les interrogations soulevées par la professeure Lajoie ne
font que confirmer la pertinence de mieux comprendre le rôle joué par la notion d’intérêt public dans
le contexte des contrats publics québécois. Ce principe existe, personne ne le nie. Par contre, les
façons dont il se matérialise ne sont pas claires et l’interprétation qui en est donnée et qui devrait en
être donnée ne font pas consensus dans la littérature et méritent que nous nous y attardions. C’est ce
que nous ferons dans les prochaines lignes.

86
Id., p. 216.

27
Paragraphe I – Le particularisme du contrat public en droit québécois

Pour bien saisir le contexte général dans lequel les règles applicables aux contrats publics
québécois ont été élaborées et a fortiori, pour bien comprendre ces règles, encore faut-il cerner
précisément l’objet de notre recherche, décrire ce à quoi nous nous intéressons. Il importe donc de
préciser ce que nous entendons par « contrat public ».

Il nous semble aussi utile de dire quelques mots sur ce qui est souvent omis dans la littérature
juridique portant sur les contrats publics, à savoir les projets publics et plus particulièrement la façon
dont ils sont administrés. Car ne l’oublions pas, l’objet d’un contrat public consiste à réaliser un projet
public.

A - La nature des projets publics visés

Comme nous l’avons évoqué brièvement au tout début de notre introduction générale, les
contrats auxquels nous nous intéressons dans le cadre de la présente thèse sont ceux qui concernent
l’achat, par l’un ou l’autre des organismes publics québécois, de biens et de services auprès d’entités
privées. L’article 1412 du C.c.Q., lequel s’applique aussi bien aux contrats privés que publics, définit
ainsi l’objet d’un contrat : « l’opération juridique envisagée par les parties au moment de sa
conclusion, telle qu’elle ressort de l’ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître ».
Comme le mentionne le professeur Pascal Fréchette, « l’objet du contrat est une notion globalisante
qui incite l’interprète à se faire une idée de l’économie générale du contrat conclu »87 et qui, dans le
cas du contrat public, renvoie nécessairement au projet envisagé par les parties au moment de sa
conclusion, à savoir de fournir des biens ou des services particuliers.

La principale loi qui régit l’activité contractuelle étatique, la Loi sur les contrats des
organismes publics88 (ci-après la « LCOP ») réfère à trois grandes catégories de contrats publics: les

87
Pascal FRÉCHETTE, « La qualification des contrats : aspects théoriques », (2010) 51-1 Les Cahiers de droit
117, 133.
88
Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c. C-65.

28
contrats d’approvisionnement89, les contrats de services90 et les contrats de travaux de construction91.
Pour désigner l’ensemble de ces contrats, la LCOP emploie l’expression « marchés publics ».
Précisons que certaines dispositions de la LCOP s’appliquent également aux contrats de partenariats
public-privé lorsque ceux-ci comportent une dépense de fonds publics, mais qu’un tel contrat n’est
pas considéré comme un « marché public » au sens de la LCOP92.

Dans le monde municipal, où c’est la Loi sur les cités et villes (ci-après « LCV »)93 et le Code
municipal du Québec (ci-après « CMQ »)94 qui régissent les activités contractuelles des municipalités,
ce sont les mêmes catégories qui s’appliquent95. Mentionnons que la LCV et le CMQ prévoient un
régime particulier pour les contrats d’assurances qui sont considérés comme n’entrant dans aucune
des trois catégories mentionnées précédemment, même si nous pouvions en pratique les rapprocher
du contrat de services. Notons également que chacune des trois catégories prévues dans la LCOP et
sous le régime de LCV et du CMQ n’est pas nécessairement le reflet l’une de l’autre. Par exemple,
l’achat de livres est exclu des contrats d’approvisionnement visés par la LCOP alors qu’elle est visée
par les contrats d’approvisionnement au sens de la LCV et du CMQ96. Néanmoins, de manière

89
« Le contrat d’approvisionnement comprend les contrats d’achat ou de location de biens meubles, lesquels
peuvent inclure les frais d’installation, de fonctionnement ou d’entretien des biens. » SOUS-SECRÉTARIAT AUX
MARCHÉS PUBLICS DU CONSEIL DU TRÉSOR DU QUÉBEC, « Types de contrats », Faire affaire avec l’État, en
ligne : <https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/les-contrats-au-gouvernement/types-de-
contrats/> (consulté le 11 septembre 2018).
90
Ceux-ci peuvent être divisés en deux grandes catégories : « Les contrats de services professionnels ne visent
pas seulement les services fournis par certains professionnels au sens du Code des professions. Ils englobent la
prestation de services de conception, de création, de recherche, d’analyse ou de rédaction, et d’autres situations
pour lesquelles un organisme public évalue généralement la qualité d’une soumission avant de conclure un
contrat. Les contrats de services de nature technique visent quant à eux l’exécution du contrat et l’application
de normes prédéterminées. On définit ainsi les services de nature technique puisque l’organisme public n’a
généralement pas besoin d’évaluer la qualité d’une soumission avant de conclure un contrat de cette nature. Il
doit plutôt s’intéresser à la conformité des soumissions reçues lorsque le mode d’adjudication est le prix le plus
bas. À titre d’exemple, il peut s’agir de contrats de déneigement, d’entretien ménager ou de déménagement. »
Id.
91
« Les contrats conclus pour la réalisation de travaux de construction sont régis par la Loi sur le bâtiment du
Québec. Les entrepreneurs doivent être titulaires de la licence requise en vertu du chapitre IV de cette loi. À
titre d’exemple, il peut s’agir de contrats de terrassement et de gravelage, de construction de routes ou de
rénovation de bâtiments. » Id.
92
La Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 3 al. 2 (1) réfère plus spécifiquement aux
« contrats de partenariat public-privé conclus dans le cadre d’un projet d’infrastructure à l’égard duquel un
organisme public associe un contractant à la conception, à la réalisation et à l’exploitation de l’infrastructure »
93
Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.
94
Code municipal, RLRQ, c. C-27.1.
95
Voir Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573; Code municipal, préc., note 103, art. 935.
96
La Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, RLRQ, c. D-8.1, art. 3 al.
3. prévoit en effet que « La Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1) ne s’applique pas à
une acquisition de livres effectuée conformément à la présente loi ».

29
générale, les catégories des trois textes de loi renvoient au même contenu pratique97. Il est également
intéressant de noter que tant du côté provincial que du côté municipal, la catégorisation retenue par
le législateur repose dans les faits sur la nature du projet qui fait l’objet du contrat. Nous pouvons en
inférer que le législateur a cru bon de moduler le cadre juridique applicable aux contrats publics en
fonction de la nature des projets visés par ceux-ci, ce qui nous semble tout à fait heureux considérant
la diversité des enjeux que peuvent présenter chacun des projets publics dépendamment de la
catégorie à laquelle ils appartiennent. Ajoutons que plusieurs autres règles régissent de façon
particulière chacune des 1108 municipalités locales soumises à la LCV et au CMQ et peuvent,
directement ou indirectement, affecter la façon dont celles-ci exercent leur pouvoir contractuel. Ces
règles se trouvent dans des politiques d’approvisionnement, des règlements de gestion contractuelle
ou encore à l’intérieur de chartes et de lois particulières telles que la Loi sur la Communauté
métropolitaine de Montréal98, la Loi sur la Communauté métropolitaine de Québec99 ou encore la
Charte de la Ville de Gatineau100. Étant donné que ces règles sont censées être édictées et appliquées
en harmonie avec l’esprit des prescriptions contenues dans les lois cadres que sont la LCV, le CMQ
et la LCOP, elles n’ont pas fait l’objet d’une analyse particulière.

Si nous avons choisi de traiter plus particulièrement des « contrats publics » par opposition
aux « marchés publics », c’est pour marquer le fait que nous avions l’intention de couvrir l’ensemble
des cas de figure qui peuvent impliquer une entente conclue entre une entité publique et une entité
privée afin de combler les besoins de l’État en biens ou en services. D’autre part, nous voulions
également inclure dans cette définition les contrats passés par les municipalités québécoises pour
combler leurs besoins. La notion de « commande publique » en droit français est certainement celle

97
Les définitions prévues dans la Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.pour décrire les différentes
catégories de contrats illustrent très bien la nature des achats visés. Un contrat de construction réfère à « un
contrat pour la construction, la reconstruction, la démolition, la réparation ou la rénovation d’un bâtiment ou
d’un ouvrage de génie civil, y compris la préparation du site, les travaux d’excavation, de forage et de
dynamitage, la fourniture de produits et de matériaux, d’équipement et de machinerie si ceux-ci sont prévus au
contrat et y sont reliés, ainsi que l’installation et la réparation des équipements fixes d’un bâtiment ou d’un
ouvrage de génie civil ». Un contrat de services est défini ainsi : « la fourniture de services dans lequel des
pièces ou des matériaux nécessaires à cette fourniture peuvent être inclus ». Quant au contrat
d’approvisionnement, celui-ci est décrit de la manière suivante : « un contrat d’approvisionnement inclut
notamment tout contrat pour l’achat ou la location de biens meubles dans lequel des frais peuvent être inclus
pour l’installation, le fonctionnement et l’entretien des biens de même que tout contrat de location d’équipement
assorti d’une option d’achat ».
98
Loi sur la Communauté métropolitaine de Montréal, RLRQ, c. C-37.01.
99
Loi sur la Communauté métropolitaine de Québec, RLRQ, c. C-37.02.
100
Charte de la Ville de Gatineau, RLRQ, c. C-11.1.

30
qui définit le mieux ce que nous entendons par contrats publics, mais dans le contexte québécois101.
Mentionnons également que la notion de contrat public – et de sous-contrat public - est celle à laquelle
le législateur réfère lorsqu’il est question de l’obtention, pour chaque entreprise désireuse de faire
affaire avec l’État, de l’autorisation requise contracter avec une entité publique102.

Enfin, précisons qu’il importe de ne pas confondre ce que nous appelons contrats publics
avec ce qui est communément désigné sous le vocable de « contrats administratifs ». Ceux-ci visent,
en sus des contrats publics tels que nous les avons définis, les ententes que peuvent conclure les entités
publiques entre elles ainsi qu’une série de contrats qui ne font pas l’objet de cette thèse, dont les
ententes conclues entre un organisme public et une entité privée n’impliquant pas de dépense de fonds
publics.

B – Le type d’entités publiques visées

Les organismes publics auxquels s’applique la LCOP sont énumérés aux articles 4 à 7. Il
s’agit de tous ministères du gouvernement, de l’ensemble des organismes financés à même les crédits
de fonctionnement qui apparaissent dans le budget du gouvernement, de tous les organismes au sein
desquels œuvrent des employés nommés en vertu de la Loi sur la fonction publique103, des organismes
dirigés par un conseil d’administration dont les membres sont nommés en majorité par le
gouvernement et dont la moitié ou plus des dépenses sont financées par le fonds consolidé du revenu,
des commissions scolaires, du comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, des collèges

101
Celle-ci est ainsi définie : « La commande publique est l'ensemble des contrats passés par une personne
publique poursatisfaire ses besoins. C'est une notion très large qui englobe plusieurs formes de contrats tels les
marchés publics, les délégations de services publics, les contrats de partenariat public/privé ». SECRÉTARIAT
GÉNÉRAL DIRECTION DES RELATIONS AVEC LES COLLECTIVITÉS LOCALES, Définition de la commande publique,
en ligne : <http://www.eure.gouv.fr/content/download/10470/60869/file/%20Commande%2520publique.pdf>.
102
À titre d’exemple, la Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.3.2 mentionne que « Les dispositions
de la section I du chapitre V.1 de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1) s’appliquent
à tout contrat d’une municipalité pour l’exécution de travaux, tout contrat d’assurance, tout contrat
d’approvisionnement ou tout contrat pour la fourniture de services, compte tenu des adaptations nécessaires. »
103
Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.

31
d’enseignement général et professionnel, de la plupart établissements universitaires104 ainsi que
l’ensemble des établissements du réseau de la santé et des services sociaux105.

Les contrats passés par certaines institutions publiques indépendantes telles que le Protecteur
du citoyen, le Directeur général des élections, le Vérificateur général ainsi que toute autre personne
nommée ou désignée par l’Assemblée nationale du Québec « pour exercer une fonction en relevant,
avec le personnel qu’elle dirige, ainsi que la Commission de la représentation »106 peuvent être
assujettis à la LCOP si une loi le prévoit nommément, mais ne le sont pas de facto.

Les organismes publics dont la majorité des administrateurs sont nommés par le
gouvernement, mais dont la moitié ou plus des dépenses ne sont pas assumées pour par le fonds
consolidé du revenu, ne sont pas assujettis à l’ensemble des dispositions de la LCOP. Nous pouvons
penser ici aux sociétés d’État telles qu’Hydro-Québec et Loto-Québec. Ces organismes, lorsqu’ils
concluent des ententes contractuelles avec des parties privées passent néanmoins des contrats publics
au sens où nous l’avons défini et sont donc visés par nos recherches.

Les seuls organismes qui sont d’emblée exclus de l’application de la LCOP et qui peuvent
donc passer leurs contrats sans égard aux dispositions de celle-ci sont le Conseil de la magistrature,
le comité de la rémunération des juges et le comité de la rémunération des procureurs aux poursuites
criminelles et pénales. Puisque ces contrats échappent au cadre juridique que nous étudierons, il ne
nous est pas possible d’affirmer que les résultats de notre analyse leur seront transposables.

Dans le monde municipal, il faut savoir que ce ne sont pas seulement les municipalités qui
sont régies par les règles contractuelles de la LCV, du CMQ et des règlements adoptés sous leur égide.
Les municipalités régionales de comté (ci-après « MRC »), les régies intermunicipales, les
communautés métropolitaines, les sociétés de transport en commun sont également assujetties.

104
Il s’agit plus précisément de ceux qui sont mentionnés à la Loi sur les établissements d’enseignement de
niveau universitaire, RLRQ, c. E-14.1., art. 1, par 1 à 11.
105
La Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 4 (6).vise plus particulièrement « les
établissements publics visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), les
groupes d’approvisionnement en commun visés à l’article 435.1 de cette loi, la Régie régionale de la santé et
des services sociaux du Nunavik instituée en application de l’article 530.25 de cette loi, le Conseil cri de la
santé et des services sociaux de la Baie James institué en vertu de la Loi sur les services de santé et les services
sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5) et les centres de communication santé visés par la Loi sur les
services préhospitaliers d’urgence (chapitre S-6.2) ».
106
Id., art. 5.

32
D’autre part, certaines entités peuvent également être assimilées à des organismes municipaux. Ce
sera le cas des organismes qui rencontrent l’une des caractéristiques suivantes :

- Il est un organisme que la loi déclare mandataire ou agent d’une municipalité;

- Son conseil d’administration doit, en vertu des règles qui lui sont applicables,
être composé majoritairement de membres d’un conseil d’une municipalité ou
de membres nommés par une municipalité;

- Son budget est adopté ou approuvé par une municipalité;

- Son financement est assuré, pour plus de la moitié, par des fonds provenant
d’une municipalité et ses revenus annuels sont égaux ou supérieurs à 1 000 000
$;

- Il est désigné par la ministre comme organisme assujetti107

Le dénominateur commun de toutes ces entités qui sont régies par les règles de la LCOP, de
la LCV et du CMQ est leur caractère public. Toutefois, comme le fait remarquer le professeur Patrice
Garant à propos des personnes morales de droit public, « [l]es distinctions entre personne publique et
personne privée et entre droit public et droit privé n'ont jamais fait l'objet d'une systématisation
rigoureuse » et il s’avère que « [l]a distinction à faire entre ce qui est « public » et ce qui est « privé
» est d'ailleurs de plus en plus difficile à faire à notre époque ». Cela découle entre autres du fait que
« l'État met sur pied des entreprises publiques à caractère industriel et commercial qui sont largement
alignées sur le droit privé commercial dans leur régie interne et leur fonctionnement » et que « d'autre
part, il confère une reconnaissance d'intérêt public à des entreprises privées dans divers domaines de
l'activité économique et sociale (enseignement, hôpitaux, entreprises de services publics ». Il suggère
donc de retenir qu’en « droit canadien et québécois, une personne morale de droit public est une
personne morale créée dans un but d'intérêt public et assujettie à un ensemble de règles exorbitantes
du droit commun »108. Même si ces commentaires visent de façon plus particulière la catégorie
juridique des personnes morales de droit public, ils décrivent bien la spécificité des entités publiques

107
MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, « Gestion contractuelle », en ligne :
<https://www.mamh.gouv.qc.ca/gestion-contractuelle/gestion-contractuelle/#c6995> (consulté le 23 décembre
2018). L’assimilation de ces organismes à des entités municipales est effective depuis le 1er janvier 2018 suite
à l’entrée en vigueur de l’art. 75 de la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des
gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, L.Q. 2017, c. 13.
108
P. GARANT, préc., note 27, p. 101.

33
visées par les règles contractuelles de la LCOP, de la LCV, du CMQ et des règlements adoptés sous
leur égide. Soulignons ici que lorsque nous emploierons l’expression « organismes publics », c’est à
ces entités publiques que nous référons.

C – Les influences des traditions française et anglo-saxonne

Le contrat public québécois est régi à la fois par des règles de droit privé et des règles de droit
public. Sur la distinction entre ces deux régimes juridiques, les professeurs Pierre Issalys et Denis
Lemieux écrivent ce qui suit : « En gros, le droit privé concerne les relations entre personnes
juridiques (physiques ou morales) lorsqu'elles poursuivent des fins d'intérêt particulier – par
opposition à l'intérêt de l'ensemble de la collectivité » alors que « [l]'objet du droit public est de régler
les rapports entre les autorités publiques, c'est-à-dire celles qui ont ostensiblement pour fin la
poursuite de l'intérêt général, et les rapports entre ces autorités et les personnes privées »109.

Les pays de tradition anglo-saxonne ne font généralement pas de distinction entre droit public
et droit privé alors que celle-ci est bien ancrée dans la culture juridique des pays de tradition romano-
germanique110. En France par exemple, la distinction entre droit privé et droit public est si
caractéristique de la culture juridique qu’il existe deux ordres juridictionnels parallèles, l’un dédié au
droit privé, c’est-à-dire l’ordre judiciaire, et l’autre, au droit public, que l’on désigne comme étant
l’ordre administratif111.

109
P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 82, p. 9.
110
Traitant du régime applicable aux contrats publics de l’Angleterre et des pays de Galles, Paul Craig et Martin
Trybus, font remarquer d’entrée de jeu que le droit anglais « does not distinguish between a public law of
contracts and privaite law of contracts in the manner that is common within civil law legal system »,Paul CRAIG
et Martin TRYBUS, « Angleterre et Pays de Galles », dans Rozen NOGUELLOU et Ulrich STELKENS, Droit
comparé des contrats publics, coll. Collection droit administratif, n°5, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 339‑366 à
la page 339. font remarquer d’entrée de jeu que le droit anglais « does not distinguish between a public law of
contracts and privaite law of contracts in the manner that is common within civil law legal system ». Voir
également Sue ARROWSMITH, The law of public and utilities procurement, London, Sweet & Maxwell, 1996,
p. 3‑4.: « In some states many of the applicable rules – especially those governing tendering procedures – have
been enacted, in a greater or lesser amount of detail, into law, and sometimes aggrieved firms, as well as other
interested parties, are given a right to enforce the rules to ensure that they are complied with. […] This has
not, however, been the tradition in the United Kingdom, at least in central government, where rules designed
to secure value for money have been imposed through administrative directions and guidelines from the
Treasury rather than enacted in legislation ».
111
Dans un ouvrage consacré au droit des contrats administratifs français, Christophe Guettier mentionne en
introduction que des contrats peuvent être « qualifiés d’administratifs [lorsqu’ils] sont dotés d’une nature de
droit public. En cela, ils s’opposent aux contrats de droit privé. Cette opposition s’explique dans le cadre

34
Le système juridique québécois est caractérisé par la coexistence de ces deux grandes
traditions. Pour comprendre cette dualité juridique, il faut remonter à l’Acte de Québec de 1774 qui a
eu pour effet d’introduire le droit public anglais dans un territoire qui était auparavant régi par le droit
français112. Comme le mentionnent Issalys et Lemieux, « abstraction faite des retouches intervenues
par la suite, cette loi a instauré une dualité de sources dans le droit proprement québécois : le droit
commun fondamental et général est la common law d'Angleterre, sauf quant à ce qui relève de la
catégorie property and civil rights, pour laquelle l'assise du droit est constituée par l'ancien droit
français »113.

Le contrat public québécois est, d’abord et avant tout, un contrat. Cela fait en sorte qu’il est
en premier lieu sujet aux règles du droit civil relatives aux contrats. À ce sujet, l’article 1376 du C.c.Q.
prévoit que « [l]es règles du présent livre [celui ayant trait aux obligations] s’appliquent à l’État, ainsi
qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles
de droit qui leur sont applicables » 114. En pratique, cela signifie que le contrat public québécois est
d’abord régi par le droit commun des contrats, mais qu’il peut exceptionnellement être sujet aux

français par l’existence d’un principe de dualité des juridictions qui conduit à se poser la question de la nature
d’un acte pour déterminer le juge compétent en cas de litige et par conséquent le droit qui lui est applicable.
Les contrats administratifs relèvent ainsi de la compétence du juge administratif, alors que les contrats de droit
privé relèvent de la compétence du juge judiciaire », Christophe GUETTIER, Droit des contrats administratifs,
3e éd., coll. Thémis Droit, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 1. Sur la comparaison entre les
différents systèmes, voir aussi Patrice GARANT, La justice invisible ou méconnue: propos sur la justice et la
justice administrative, Cowansville, Québec, Canada, Éditions Yvon Blais, 2014.: « Un système de tribunaux
administratifs au sein des États du monde de la common law est possible, même s'il est incomplet. En Europe
continentale, en France ou en Allemagne par exemple, les tribunaux administratifs forment un ordre
juridictionnel complet chapeauté par une cour suprême administrative. Ce n'est pas le cas au Canada où, en
vertu de la Constitution, les cours supérieures exercent un contrôle judiciaire de légalité des décisions finales
des tribunaux administratifs. Au fédéral, ce contrôle est exercé par les cours fédérales du Canada. Néanmoins,
cela ne signifie pas qu'au gouvernement fédéral canadien, tout comme au gouvernement fédéral australien, on
ne puisse pas concevoir l'élaboration d'un système de justice administrative cohérent ; c'est ce qui a été fait en
Australie il y a déjà un demi-siècle ».
112
Acte de Québec de 1774, 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.).
113
P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 82, p. 49.
114
Sur la portée du C.c.Q. et plus particulièrement des dispositions faisant référence directement ou
indirectement à des règles de droit public, voir l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 R.C.S. 663,
par. 28‑29 dans lequel les juges L’Heureux-Dubé et LeBel mentionnaient ce qui suit en référence à la
disposition préliminaire du C.c.Q. : « Il peut paraître étonnant qu’une règle de droit public se retrouve dans le
Code civil du Québec. Il importe cependant de souligner que le nouveau Code n’édicte pas seulement un corps
de règles de droit privé ou encore, “un droit d’exception”. Il constitue, selon sa disposition préliminaire, le
droit commun du Québec […] Le choix de l’expression “droit commun” ne résulte pas du hasard. Une version
antérieure de la disposition prévoyait que le Code était constitué d’un ensemble de règles établissant le “droit
privé”. Dans la foulée de la controverse doctrinale suscitée par l’arrêt Laurentide Motels, précité, l’expression
“droit privé” a été remplacée par celle, plus englobante, de “droit commun”. La toile de fond sur laquelle ce
changement a été fait ne laisse planer aucun doute sur l’intention bien arrêtée du législateur de donner la plus
grande portée possible au champ opérationnel du Code civil ».

35
règles particulières prévues dans d’autres lois et règlements, ou encore, à celles qui sont issues de la
common law publique. Or, comme le fait remarquer la professeure Nicole Duplé, il s’avère que ces
règles particulières, « exorbitantes du droit commun sont si nombreuses qu’elles contribuent à faire
du contrat de l’Administration, un contrat marqué d’un particularisme indéniable »115.

Même si le contrat public québécois ne jouit pas formellement d’un statut particulier comme
c’est le cas du contrat administratif français, il demeure, malgré tout, fortement imprégné de la
tradition civiliste. D’abord parce qu’il s’agit d’un contrat sujet au droit privé de tradition civiliste
comme nous venons de le voir, mais aussi parce que les règles particulières qui le gouvernent sont
issues du droit légiféré, contrairement aux contrats publics anglais et en droit fédéral canadien, dont
les règles sont pour la plupart contenues dans des politiques administratives, des circulaires
d’interprétation et autres documents non juridiquement contraignants116.

Ajoutons également que les règles particulières qui encadrent l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État sont fortement enracinées dans la philosophie sous-jacente au droit public, à
savoir un droit qui est « caractéris[é], au niveau des fins, par la prééminence de l’intérêt général et, à
celui des moyens, par le recours fréquent à des techniques propres à l’exercice du Pouvoir par les
collectivités et autorités publiques, et présentant un caractère d’unilatéralité, de commandement et de

115
Nicole DUPLÉ, Notes de cours Droit administratif I - DRT-1005, Québec, Coop Zone, 2018, p. 178. Précisons
que le droit québécois ne reconnaît pas de statut officiel ou particulier au contrat public comme c’est le cas du
contrat administratif en France. Au sujet de la notion de « contrat public » comparativement à celle de « contrat
administratif » en droit français, Rozen Noguellou précise que : « [l]a notion de “contrat public” ne correspond
pas à une catégorie juridique identifiée en droit français […] Le terme “ public” peut renvoyer à la nature d’un
des cocontractants : dans ce cas, sera contrat public tout contrat passé par une personne publique (1); il peut
aussi renvoyer au régime applicable : sera contrat public tout contrat soumis au droit public, il y a alors une
assimilation entre les notions de contrat public et de contrat administratif ». Rozen NOGUELLOU, « France »,
dans Rozen NOGUELLOU et Ulrich STELKENS, Droit comparé des contrats publics, coll. Collection droit
administratif, n°5, Bruxelles, Bruylant, 2010 à la page 675.
116
Au sujet du droit anglaise, voir P. CRAIG et M. TRYBUS, préc., note 119 à la page 339: « It should also be
emphasized at the outset that many of the rules that apply in this area are not strictly law, but take the forme of
guidance, communications and the like issued by government departments such as the Treasury or the Office
of Government Commerce. These communications, although not strictly binding, will nonetheless de facto
provide the framework within which public contracts are made ». Quant au droit fédéral canadien, voir Denis
LEMIEUX, « Le droit canadien des contrats publics », dans Rozen NOGUELLOU et Ulrich STELKENS, Droit
comparé des contrats publics, coll. Collection droit administratif, n°5, Bruxelles, Bruylant, 2010 aux
pages 455‑456. L’auteur y précise que contrairement à la Loi (québécoise) sur les contrats des organismes
publics, « [i]l n’existe pas en droit fédéral de code des marchés publics mais seulement un règlement sur les
marchés de l’État, relativement succinct ». Il explique en outre que le droit fédéral prévoit que « les contrats
publics sont d’abord régis par le contrat lui-même ainsi que par tous les textes législatifs et réglementaires qui
lui sont applicables. Ces règles seront complétées par celles du droit commun, soit le droit en vigueur dans
l’État membre où le contrat a été conclu. En pratique, les contrats de l’État fédéral et de ses organismes seront,
à titre subsidiaire, assujettis à la common law partout au Canada, sauf au Québec où prévaut le droit civil ».

36
contrainte »117. Comme le souligne Nicole Duplé, « le fait que le contrat de l’Administration serve
une finalité d’intérêt public ne manque pas de lui conférer un particularisme certain, même si on ne
peut le ranger entièrement dans une catégorie juridique distincte de celle qui englobe les contrats
conclus entre personne privées »118.

Or, même si le droit public en vigueur au Québec est issu du droit public anglais, la finalité
d’intérêt public que l’on impute au contrat public québécois tire surtout son origine du régime du
contrat administratif français, lequel est entièrement régi par le droit public. En effet, puisque le
système anglais ne fait pas de distinction entre le droit public et le droit privé, le contrat « public »
anglais reste essentiellement une entente bilatérale conclue entre deux parties119. Évidemment, rien
n’empêche les autorités publiques des juridictions anglo-saxonnes à transposer les objectifs d’intérêt
public qu’elles poursuivent à l’intérieur de leurs contrats ou encore à adopter des politiques de gestion
contractuelles au même effet. Toujours est-il que cette finalité d’intérêt public ne transcendera pas
nécessairement l’exercice du pouvoir contractuel de l’État comme c’est le cas dans les juridictions
qui se sont inspirées de la culture juridique française120.

En somme, s’il est vrai que le droit applicable aux contrats publics québécois a subi les
influences des traditions anglo-saxonne et romano-germanique, force est de constater que les règles
de droit qui le gouvernent s’apparentent davantage, dans la forme comme en substance, au régime du

117
P. ISSALYS et D. LEMIEUX, préc., note 82, p. 9.
118
N. DUPLÉ, préc., note 124, p. 177.
119
Voir P. CRAIG et M. TRYBUS, préc., note 119 à la page 340.: « The general principle is that contracts made
by public bodies are subject to private law contractual principles, except insofar as those rules are modified
either by EU Law, statute or by common law rules that have a specific application to contracts made by public
bodies. The consequence is that English law does not recognize a specific legal category of administrative
contracts ».
120
Dans un article fort intéressant sur l’arbitrage de litiges opposant des parties privées et publiques, les auteurs
Stavros Brekoulakis et Margaret Devaney mettent en lumière certaines difficultés du droit anglais de l’arbitrage
à traduire des enjeux d’intérêt public. Comparant le droit anglais aux autres systèmes influencés par la tradition
civiliste française, ils écrivent: « In contrast, in England, while legislation exists which allows for statutory,
powers to be conferred on private parties there is an absence of legis lation or case law laying down analogous
principles to ensure that public-private contracts meet social needs. As a result, concerns such as those relating
to the adaptability of the contract or continuity of service must instead
be addressed through contractual provisions (ie by private law means). Thus, the manner in which the public-
private law divide has been conceptualized in England takes no account of the hybrid nature of public-private
contracts or of public-private arbitrations and has not been conducive to the development of a distinct legal
and conceptual framework for public-private arbitration »., Stavros BREKOULAKIS et Margaret DEVANEY,
« Public‐Private Arbitration and the Public Interest under English Law », (2017) 80-1 The Modern Law Review
22, 37.

37
contrat administratif français. Cela explique qu’une somme importante de sources françaises ont été
mobilisées dans le cadre de la rédaction de cette thèse.

Paragraphe II – Les spécificités de la gestion de projets en contexte public

Qu’il s’agisse de fournir des biens ou des services à l’État ou encore de réaliser des travaux
de construction pour le compte de celui-ci, les contrats publics ont tous pour objet des projets publics.
Ces projets se réalisent dans un contexte particulier et suivant un cycle de vie qui comporte plusieurs
étapes. Ce contexte et les différentes étapes du cycle de vie des projets publics sont spécifiques en ce
que le projet lui-même est assujetti à une finalité d’intérêt public. Il est important d’expliciter la
dynamique organisationnelle des projets publics et de comprendre leur cycle de vie. Cela nous permet
d’identifier les risques qui peuvent se produire en regard de la finalité d’intérêt public qui est censée
animer ces projets. À titre d’exemple, l’« approche client » dans la gestion des projets réalisés en
contexte public pose des risques en regard de l’intérêt public :

La seconde menace est celle de la focalisation excessive sur le « client », plus sensible à
la réponse immédiate qu’au moyen terme, à sa satisfaction individuelle sans tenir compte
des conséquences sur les autres segments de la population ou, pire, considérés comme «
des rivaux ou des freins à sa consommation personnelle » (Piron, 2003, p. 67). C’est de
nature à amplifier les phénomènes des groupes de pression – intérêts particuliers au
détriment de l’intérêt général (Bartoli et Hermel, 2006).121

Les sciences de l’administration se sont intéressées de près à la gestion de projets en contexte


public. Même si le cadre d’analyse préconisé dans la plupart des travaux réalisés sur le sujet vise les
projets publics au sens large – ce qui comprend la gestion des affaires internes de l’Administration
publique – certains auteurs se sont intéressés d’un peu plus près à la gestion des projets faisant l’objet
de contrats publics122. Dans tous les cas, qu’il s’agisse des travaux ayant porté sur la gestion de projets
en contexte public au sens large, ou de la gestion des projets visés spécifiquement par les contrats
publics, les enseignements des sciences de l’administration nous sont fort utiles pour bien comprendre
la dynamique dans laquelle sont conçus, exécutés et évalués (après coup) les contrats publics. Nous

121
Jérôme DUPUIS, « Gestion de projets d’amélioration de la qualité des services publics », dans Bachir
MAZOUZ (dir.), Gestion de projets en contexte public, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2017,
p. 259‑278 à la page 275.
122
Voir entre autres S. J. KELMAN, préc., note 46; Steven KELMAN, « Remaking federal procurement », (2002)
31-4 Public Contract Law Journal 581‑622; Per Erik ERIKSSON et Mats WESTERBERG, « Effects of cooperative
procurement procedures on construction project performance: A conceptual framework », (2011) 29-2
International Journal of Project Management 197‑208.

38
consacrerons donc les quelques lignes qui suivent à cette dynamique qui anime, de l’intérieur,
chacune des grandes étapes d’un projet public.

A – La dynamique organisationnelle des entités publiques

Les organisations publiques ne fonctionnent pas de la même façon que les entreprises privées.
Même si une telle affirmation peut sembler aller de soi, il importe de le souligner, car depuis quelques
décennies, en particulier depuis les années 80, la popularité de certains modèles développés dans
l’entreprise privée – pensons à la gestion par résultats - a été telle au sein de l’Administration publique
que la distinction qui a toujours existé entre les sphères publiques et privées est venue à s’estomper.
Cela a rendu de plus en plus difficile la « conciliation des logiques bureaucratique et managériale »123
à l’intérieur des organismes publics.

Malgré cette tendance qui sera étudiée plus en détail dans un prochain chapitre, il n’en
demeure pas moins que la dynamique organisationnelle d’une entité publique est unique. Comme le
mentionne Pierre-André Hudon, les organisations gouvernementales sont « [c]aractérisées tant par
leurs finalités plus ambiguës que par leurs valeurs plus démocratiques [ce qui fait qu’elles] diffèrent
assez radicalement des firmes privées, en particulier quand vient le temps de planifier et contrôler
leurs projets »124.

Les organismes publics sont mobilisés par des finalités qui ont trait à l’intérêt public et nous
le verrons, cette notion peut être sujette à plusieurs interprétations. La rationalité qui est à l’œuvre à
l’intérieur des organismes publics n’est donc pas aussi univoque qu’une entreprise privée dont
l’objectif ultime consiste généralement à maximiser ses profits ou à accroitre l’avoir de ses
actionnaires.

La dynamique organisationnelle des entités publiques repose également sur ce que l’on
nomme l’éthique du service public. Comme le mentionnent les professeurs Bartoli et al., « l’essence

123
En référence à l’article du même nom : Bachir MAZOUZ, Anne ROUSSEAU et Samuel SPONEM, « Le
gestionnaire public en question. La difficile conciliation des logiques bureaucratique et managériale », (2015)
41-250 Revue française de gestion 89‑104.
124
Pierre-André HUDON, « Défis de la planification et du contrôle des projets publics », dans Bachir MAZOUZ,
Gestion de projets en contexte public, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2017, p. 75‑91 à la page 75.

39
même du service public […] est supposé s’appuyer sur des principes éthiques tels que la neutralité,
la défense de l’intérêt général par rapport aux intérêts particuliers, l’équité ou la solidarité »125.

Jacques Chevallier explique bien en quoi la mission de service public propre aux organismes
publics ne peut être envisagée de la même façon que la ou les mission(s) propre(s) aux entreprises
privées : « Le service public […] est caractérisé par des principes de gestion spécifiques, qui en font
un îlot à part au sein de l’économie et de la société »126. Il ajoute, au sujet de leur encadrement
juridique, que « [l]’application, ou non, à la sphère publique d’un corpus de règles juridiques
globalement dérogatoires au droit commun constitue à cet égard une variable essentielle »127. Sur la
« logique d’action » et sur les finalités du service public, celles-ci diffèrent également largement et
montrent bien en quoi la dynamique organisationnelle des entités privées ne peut être envisagée de la
même manière que celle des entreprises privées :

La logique d’action d’abord est différente […] Alors que l’entreprise privée cherche à
promouvoir ses intérêts propres, le service public est institué pour satisfaire des besoins
qui le dépassent. La nature particulière des fins assignées au service public implique des
règles de gestion différentes. La conception française du service public insistera
fortement sur cette dimension : l’existence d’un service public entraîne l’application
d’un « régime juridique » spécifique et dérogatoire par rapport au droit commun. Le
noyau dur de ce régime, commun à l’ensemble des services publics même économiques,
sera cristallisé autour des trois grands principes de « continuité », « égalité » et «
mutabilité » : parce qu’ils sont préposés à la satisfaction des besoins collectifs, les
services publics sont tenus de fonctionner de manière régulière et continue, dans des
conditions égales pour tous, et leurs règles de fonctionnement doivent pouvoir être
adaptées à tout moment. Corrélativement, la finalité qui lui est assignée justifie que le
service public soit protégé de la pression de la concurrence : les grands services publics
structurés en réseaux bénéficiaient ainsi d’un statut monopolistique. Enfin, le service
public est pris en charge par des structures de gestion qui forment un univers particulier,
par leur statut et par les liens qui les unissent au reste de l’appareil. Si l’expansion des
services publics s’est accompagnée d’une diversification des modes de gestion, ce
processus de spécialisation a été assorti de mécanismes de contrôle assurant le maintien
d’une cohésion d’ensemble de l’appareil de gestion public et traçant une ligne de
démarcation nette avec le monde de l’entreprise.128

125
Annie BARTOLI, Olivier KERAMIDAS, Fabrice LARAT et Bachir MAZOUZ, « Vers un management public
éthique et performant », (2011) 140-4 Revue française d’administration publique 629, 630 citant Annie
BARTOLI, Le management dans les organisations publiques, 3e éd., coll. Management public, Paris, Dunod,
2009.
126
Jacques CHEVALLIER, « Les nouvelles frontières du service public », (2007) 2-2 Regards croisés sur
l’économie 14, 15.
127
Id.
128
Id., 16.

40
Nous voyons bien à la lumière de ce l’extrait précité qu’un projet réalisé en contexte public
ne peut être envisagé de la même manière que lorsqu’il est réalisé en contexte privé. Nous remarquons
aussi que la logique d’intérêt public qui caractérise les finalités de l’action publique en général devrait
naturellement s’étendre à l’ensemble des projets qu’elle prend sous son aile, y compris ceux qui sont
visés par les contrats publics.

B – Le cycle de vie d’un projet public

Règle générale, un projet public se déroule en plusieurs étapes que l’on désigne comme étant
le cycle de vie du projet129. Chacune des phases de ce cycle de vie comporte des enjeux particuliers
qui varieront d’un projet à l’autre. La durée de chacune de ces étapes sera également fonction de la
nature précise de chacun des projets visés. Dans le contexte des contrats publics québécois, où l’appel
d’offres public est le mode d’adjudication privilégié comme nous le verrons ultérieurement130, les
étapes qui précèdent l’exécution du projet seront généralement plus longues et complexes que dans
le cas de projets réalisés dans un contexte purement privé. Il n’est pas rare qu’un même projet public
donne lieu à la conclusion de plusieurs contrats et sous-contrats publics. Dans cette perspective, l’on
peut affirmer que le projet public est à la fois l’objet du contrat public (en tant que prestation attendue
du cocontractant privé) et le cadre général dans lequel celui-ci s’inscrit (lorsqu’envisagé dans son
ensemble, c’est-à-dire selon son cycle de vie complet).

L’identification des besoins

La première phase de tout projet public consiste en une étape d’identification du besoin de
l’organisme. Dans le cas du contrat public, c’est le moment où émerge l’idée de confier à un tiers la
réalisation d’un mandat particulier. Il arrive que le projet doive faire l’objet d’une approbation interne
par les instances supérieures de l’organisme. Le groupe ayant eu l’idée du projet sera alors appelé à
préparer ce qu’il convient d’appeler un « avant-projet », lequel devra être soumis aux personnes en
autorité au sein de l’organisme. Celles-ci seront parfois accompagnées d’un professionnel qui œuvre

129
Nous reprendrons ici la classification en six phases des projets de développement international d’action
humanitaire préconisée par Sophie BRIÈRE, Yvan CONOIR et Yves POULIN, La gestion de projets de
développement international et d’action humanitaire, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016, p. 37.
Nous estimons que ce type de projet présente des affinités importantes avec les projets qui font l’objet des
contrats publics, notamment en raison de la complexité de l’environnement au sein duquel ils évoluent et de la
présence d’une grande variété de parties prenantes.
130
Voir infra, le chapitre 4

41
à l’interne pour prendre une décision éclairée quant à l’opportunité du projet envisagé. À titre
d’illustration, dans le cas d’un projet de construction, le professionnel sera amené à évaluer
l’admissibilité de l’avant-projet, sa pertinence, son caractère prioritaire, son potentiel, les contraintes
à anticiper, son impact sur le budget de l’organisme et la disponibilité des ressources financières,
matérielles et humaines nécessaires à sa concrétisation131. Une fois l’analyse de ces enjeux complétée,
les autorités compétentes de l’organisme public décideront s’il vaut la peine d’aller plus loin ou non.

Le cas échéant, il arrive que l’organisme public commande, en sus de l’analyse de son
professionnel interne, une étude de faisabilité pour s’assurer que le besoin qu’il souhaite combler est
techniquement envisageable. Par exemple, si le réseau de la santé souhaite informatiser les dossiers
de ses patients, il sera sans doute judicieux qu’il s’enquière à l’avance de l’existence d’une solution
informatique susceptible de répondre à ses besoins sur le marché.

En outre, c’est généralement au stade de l’identification du besoin que le budget alloué à


celui-ci sera déterminé. Il arrive par contre que cette étape soit reportée au stade de la définition du
projet. En contexte public, les organismes qui ne peuvent pas compter sur le budget de
fonctionnement interne pour assumer l’ensemble des dépenses liées au projet anticipé doivent prévoir
de demander un budget spécial aux entités concernées, qu’il s’agisse du ministre dont relève
l’organisme ou du Conseil du trésor. Les demandes d’autorisations budgétaires étant parfois longues
et fastidieuses, il est préférable de prévoir cette étape plus tôt que tard.

Jusqu’ici, tout se passe normalement à l’interne et il n’y a aucune intervention de partenaires


privés. Mentionnons toutefois que les études de faisabilité commandées par les organismes publics
sont parfois confiées à des consultants externes et peuvent par conséquent, déjà à ce stade, faire l’objet
de contrats de services professionnels132. Précisons que pour les projets majeurs, il est de mise de

131
DIRECTION DES IMMOBILISATIONS - MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, Processus
d’élaboration d’un projet de construction - Guide à l’intention des professionnels du ministère, responsables
des projets d’immobilisation, 2005, en ligne :
<https://www.mcc.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/diapason/PDF-Guide-Planification-
Construct.sept05.pdf>.
132
Les études de faisabilité font partie de ce que qui est aussi désigné sous le vocable « études préparatoires »
dans la règlementation qui encadre les services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs.
Celles-ci sont ainsi définies : « Les études préparatoires servent de base à la conception et aux conclusions ou
recommandations relatives à la réalisation d’un projet lorsque, de l’avis du propriétaire, ce projet requiert de
telles études. Elles se composent de recherches, d’explorations, de relevés, d’élaborations de programmes, de
déterminations de superficies de terrains en regard d’un programme, d’analyses des conditions de solutions

42
mener des études d’avant-projet, lesquelles débouchent habituellement sur une série d’évaluations
portant sur la faisabilité technique des scénarios envisageables et sur les incidences sociales,
environnementales et financières, pour ne citer que quelques exemples133.

La définition du projet

Vient ensuite l’étape de la définition du projet que l’on désigne également sous le vocable de
« conception ». Dans le cadre de projets plus complexes, souvent associés à des travaux de
construction, il est fréquent de voir les organismes publics demander à des professionnels externes –
généralement des architectes et des ingénieurs – de les épauler pour mener à bien cette phase cruciale.
De nombreux contrats de services professionnels sont d’ailleurs octroyés à cette seule fin.

Cette phase est particulièrement cruciale pour les projets qui présentent une certaine
envergure ou un caractère de nouveauté. Imaginons, en guise de clin d’œil au récent projet de la Ville
de Québec134, la situation d’une municipalité qui souhaite se doter d’un réseau structurant de transport
en commun. La conception des plans et devis constituera un exercice fort complexe où l’ingéniosité,
le talent et l’expérience de professionnels aguerris seront de mise. Concevoir un tel projet requiert de
déterminer les endroits où passeront les nouveaux tracés, de trouver les solutions techniques
optimales pour assurer une cohabitation harmonieuse des infrastructures routières existantes avec les
nouveaux moyens de transport, d’élaborer les plans et devis des stations souterraines qui devront être
construites, de développer une solution logicielle assurant la synchronisation des feux de circulation
routiers, etc.

Lorsqu’un organisme public fait appel à des professionnels externes pour l’aider à définir son
projet, il leur demandera généralement de préparer les plans et devis. Ceux-ci transposent, dans un
langage très technique, les besoins exprimés au stade de l’avant-projet. Ils représentent d’une certaine
manière le guide d’instructions que devront suivre les entreprises chargées d’exécuter le projet. Pour

possibles, d’études économiques et d’études relatives aux coûts d’exploitation, ainsi que de levés d’ouvrages
existants ». Tarif d’honoraires pour services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs,
RLRQ c C-65.1, r. 12 art. 5.
133
Voir la Loi sur les infrastructures publiques, RLRQ, c. I-8.3. Voir également la règlementation afférente à
cette loi et plus particulièrement, la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, en
ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/infrastructures_publiques/directive_gestion_projets_majeurs.p
df>.
134
Isabelle PORTER, « Un projet de tramway de 3 milliards à Québec », Le Devoir (15 mars 2018).

43
bien comprendre la portée de ce type de services professionnels, il convient d’en fournir un exemple.
Prenons le cas des services professionnels d’architecture. Le Tarif d'honoraires pour services
professionnels fournis au gouvernement par des architectes en donne la définition suivante :

« 2° Plans et devis préliminaires:

Cette phase constitue la mise au net du concept retenu, incluant l’ensemble des
composantes du programme. Elle comporte la prise des décisions relatives à la structure,
aux choix des systèmes et matériaux, ainsi qu’au traitement architectural.

Les plans et devis préliminaires incluent, entre autres, les éléments suivants:

a) l’analyse des composantes du plan afin de déterminer les possibilités de réalisation du


concept;

b) la préparation des plans d’architecture à une échelle convenable pour préciser des
solutions spatiales;

c) la préparation des plans de tous les étages, les coupes, les élévations et les détails types
nécessaires à la bonne compréhension du projet;

d) la préparation d’un devis sommaire énumérant brièvement les matériaux et les finis
devant être utilisés;

e) la préparation de l’estimation du coût des travaux selon les divisions du devis.

§ 4. — Plans et devis définitifs

7. Les plans et devis définitifs sont préparés après que la firme ait établi, en vertu des
articles précédents, les bases de la solution technique définitive et que le propriétaire les
ait reçues et formellement approuvées par écrit à l’intérieur de l’échéancier prévu.

Ces services comprennent:

1° la préparation des dessins d’exécution, soit le plan d’ensemble, les plans de tous les
niveaux et de la toiture, les coupes et les élévations de toutes les façades et les détails
essentiels, le tout à des échelles convenables et pouvant permettre à la fois à un
entrepreneur de soumettre un prix et de construire l’ouvrage;

44
2° la préparation des détails, soit les dessins, ordinairement à grande échelle, de certaines
parties de l’édifice où les agencements, les assemblages, les profils et les dimensions
sont nettement indiqués;

3° la préparation du cahier des charges générales ou des clauses du contrat avec


l’entrepreneur et les devis descriptifs de tous les matériaux et de leur mise en oeuvre et,
sur demande écrite du propriétaire, les autres documents requis pour procéder à un appel
d’offres;

4° la révision, par section du devis, de l’estimation du coût des travaux préparée à la


phase des préliminaires;

5° l’émission des addenda, l’analyse des soumissions et la formulation des suggestions


appropriées. »135

Plusieurs auteurs affirment que la participation des parties prenantes au stade de la définition
du projet constitue un facteur de succès incontournable de celui-ci, qu’elle présente plusieurs défis,
mais dont le potentiel ne saurait être négligé136. La notion de partie prenante a d’abord fait son
apparition sous l’expression anglaise stakeholders qui fut par la suite traduite de différentes
manières137. La théorie des parties prenantes a été développée pour rompre avec l’idée que la gestion
d’un projet ne devait bénéficier et impliquer que les actionnaires de l’entreprise138. Celles-ci peuvent
être définies comme étant « tout individu, groupe de personnes, organisation (publique, privée,
communautaire, nationale, internationale, etc.) susceptible d’être concernée par la réalisation du
projet ou d’avoir à composer avec les effets et les impacts du projet »139. Puisque les projets visent à

135
Tarif d’honoraires pour services professionnels fournis au gouvernement par des architectes, RLRQ c C-
65.1, r. 9 art. 6-7.
136
Maja Husar HOLMES, « Voices, Geography, and Technical Complexity: Exploring Project Contexts and
Public Participation Goals », (2013) 36-2 International Journal of Public Administration 112‑125; Sebastian
VOGT, Bernadette FÖRSTER et Rüdiger KABST, « Social Media and e-Participation: Challenges of Social Media
for Managing Public Projects », (2014) 1-3 International Journal of Public Administration in the Digital Age
85‑105; Kristin Lofthus HOPE et Eva AMDAHL, « Configuring designers? Using one agile project management
methodology to achieve user participation: Project management and user participation », (2011) 26-1 New
Technology, Work and Employment 54‑67; Yang WANG, Qi HAN, Bauke DE VRIES et Jian ZUO, « How the
public reacts to social impacts in construction projects? A structural equation modeling study », (2016) 34-8
International Journal of Project Management 1433‑1448.
137
En sus de la notion de parties prenantes, la littérature réfère parfois aux parties intéressées, aux groupes
d’intérêt ou encore aux ayant droit.
138
Voir l’historique très intéressant qu’en fait Samuel MERCIER, L’apport de la théorie des parties prenantes
au management stratégique : une synthèse de la littérature, Faculté des sciences de l’administration, Université
Laval, Québec, Xième Conférence de l’Association Internationale de Management Stratégique, 2001.
139
S. BRIÈRE, Y. CONOIR et Y. POULIN, préc., note 138, p. 66.Cette définition est conforme à celle qui en été
donnée en 1984 par celui qui est considéré comme le père fondateur de la théorie des parties prenantes : « La
définition la plus large, et certainement la plus connue et la plus utilisée également, est celle de Freeman (1984)

45
répondre à des besoins concrets, il est important « que les parties prenantes clés, surtout les
bénéficiaires, soient sollicitées et associées le plus tôt possible dans le cycle de vie du projet »140.

La planification opérationnelle

La phase suivante, appelée planification opérationnelle, consiste à élaborer un plan détaillé


de mise en œuvre du projet. C’est à ce moment que seront identifiées les échéances et les différentes
étapes de l’exécution du projet. Nous pouvons considérer que la préparation de la portion des plans
et devis qui a trait au morcèlement du travail à effectuer ainsi qu’à la désignation des ressources à y
affecter entre dans cette phase du projet plutôt que dans la précédente. Il en va de même de la
préparation de l’échéancier et du budget détaillé du projet (fixation des prix unitaires par exemple).

En guise d’exemple, la section de l’édition 2018 du Cahier des charges et devis généraux –
Services professionnels qui traite de la planification opérationnelle décrit de la manière suivante le
livrable qui devra être fourni par un prestataire de services externe engagé par un organisme public
pour préparer les plans et devis :

11.4.2 Planification de la réalisation du mandat

Le prestataire de services doit transmettre au Ministère le plan de travail détaillé, y


compris,notamment, sans s’y limiter :

• les phases, les sous-phases à réaliser pour chacune des activités et identifier les
ressources affectées à la réalisation de celles-ci;

selon laquelle « une partie prenante dans l’organisation est [par définition] tout groupe d’individus ou tout
individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels », dans Astrid
MULLENBACH-SERVAYRE, « L’apport de la théorie des parties prenantes à la modélisation de la responsabilité
sociétale des entreprises », (2007) 223-1 La Revue des Sciences de Gestion 109, par. 8, en référence à R. Edward
FREEMAN, Strategic management: a stakeholder approach, coll. Pitman series in business and public policy,
Boston, Pitman, 1984.
140
S. BRIÈRE, Y. CONOIR et Y. POULIN, préc., note 138, p. 47. Voir également le dossier de la gestion du parc
marin du Saguenay-Saint-Laurent dont le succès semble avoir reposé en partie sur l’implication des différentes
parties prenantes tout au long du cycle de vie du projet : Bernard MALTAIS et Émilien PELLETIER, « Le parc
marin du Saguenay–Saint-Laurent : création et gestion participative inédite au Canada », (2018) 142-2 Le
Naturaliste canadien 4.

46
• les méthodologies de travail;

• la description des biens livrables;

• l’échéancier détaillé, y compris les dates des réunions prévues, entre autres, pour
les points de validation et pour les rencontres des points de contrôle nos 4 et 5
ainsi que les dates de remise des livrables, des rapports d’étape d’avancement
des travaux;

• les informations supplémentaires à acquérir, les modes de collecte les plus


appropriés, l’échéancier de réalisation de la collecte des données requises, à la
suite d’une éventuelle mise à jour.141

En somme, la planification opérationnelle consiste à doter les personnes qui devront exécuter
le projet d’un calendrier de travail très détaillé, précisant pour chacune des étapes de la phase
d’exécution, des indications visant à savoir qui fait quoi, quand, comment et dans le respect de quels
paramètres budgétaires.

Dans un article fort intéressant portant sur les défis que présente la planification et le contrôle
des projets réalisés en contexte public, Pierre-André Hudon rappelle qu’il ne faut pas oublier, à cette
étape du projet – comme à toutes les autres d’ailleurs -, que les organismes publics diffèrent
grandement des entreprises privées. C’est le cas notamment au niveau de leur vision et de leurs
valeurs respectives ainsi que de la complexité organisationnelle qui caractérise leurs structures de
décision. Il faut s’attendre d’un projet réalisé en contexte public qu’il fasse l’objet de plusieurs
révisions en cours de route, ne serait-ce qu’en raison du contexte politique au sein duquel il évolue.
Comme le professeur Hudon le souligne à juste titre, « la multiplicité des intervenants et des
juridictions ainsi que la complexité du contexte, notamment sociopolitique, économique et budgétaire
exacerbent ce problème [de planification »]142. Ce contexte particulier qui caractérise le projet réalisé
en contexte public fait en sorte qu’il importe de jumeler tout exercice de planification avec des
mesures de contrôle en continu permettant de revoir et d’ajuster, au fur et à mesure du projet, les
dimensions techniques, de temps et de budget.

141
MINISTÈRE DES TRANSPORTS, DE LA MOBILITÉ DURABLE ET DE L’ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS, Cahier
des charges et devis généraux – Services professionnels - Édition 2018, Gouvernement du Québec, 2018,
p. 11‑5, en ligne : <http://www3.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/produits/ouvrage_routier.fr.html.>.
142
P.-A. HUDON, préc., note 133 à la page 81.

47
Pierre-André Hudon ajoute que la phase de planification est généralement plus longue en
contexte public, notamment parce que les nombreux intervenants de l’organisme public qui sont
appelés à se prononcer sur celle-ci partagent des visions qui ne sont pas nécessairement compatibles
et qui traduiront les priorités qu’ils souhaitent imposer. Il donne l’exemple « d’un projet de centrale
hydro-électrique [qui] pourrait être vu par le ministère du Développement économique comme une
occasion de relancer l’économie, alors qu’il serait perçu par le ministère de l’Énergie comme une
occasion de faire baisser le coût moyen de production de l’électricité », ce qui ne donne pas
exactement lieu au même exercice de planification143.

L’exécution

Vient ensuite la phase d’exécution du projet. L’image de la « première pelletée de terre »


illustre bien le début de cette étape. C’est à ce moment que se matérialise le projet tel qu’il a été conçu
et planifié aux phases précédentes.

L’exécution du projet est une phase très importante. C’est à ce moment que se matérialise ce
qui avait été pensé aux étapes précédentes. C’est également à ce moment que des imprévus peuvent
subvenir. Pensons à la situation assez fréquente où l’état du sol sur lequel doit être construit un
immeuble n’est pas exactement comme cela avait anticipé. Cela peut engendrer des coûts et des délais
supplémentaires. En général, les documents contractuels qui régissent les contrats publics prévoient
des clauses qui encadrent ces situations. Bien souvent, les parties impliquées dans le projet
consacreront plus de temps à trouver qui est responsable de ces retards et de ces coûts supplémentaires
plutôt que de trouver un moyen pour faire avancer le projet sans trop de conséquences sur le plan des
délais et des coûts additionnels144.

Une bonne communication entre chacune des parties prenantes est primordiale à cette étape
du projet. Comme le mentionne le CIRANO dans un document répertoriant de bonnes pratiques en
matière de gestion de contrats publics en contexte municipal :

143
Id. à la page 85.
144
Nous renvoyons le lecteur au rapport de la Vérificatrice générale du Québec et plus particulièrement à la
section portant sur les avenants : Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour
l’année 2017-2018. Audit particulier (partie 2). Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de
l’Électrification des transports: gestion contractuelle, Québec, 2017.

48
La mauvaise communication entre les parties peut être la cause d’un arrêt des travaux
entraînant ainsi un dépassement des échéanciers et des coûts. Une incompréhension des
attentes et besoins de chaque acteur par les autres empêche les travaux de progresser au
rythme fixé lors de la planification. Des moyens de communication permettant aux
acteurs de faire parvenir rapidement les préoccupations et difficultés rencontrées par une
partie aux autres améliorent l’efficacité du processus145

Lors de l’exécution du projet, en particulier lorsqu’il s’agit d’un projet de construction, des
professionnels (architectes et ou ingénieurs) seront mandatés par l’organisme public pour effectuer la
surveillance des travaux. Il se peut également que ce soit des fonctionnaires à l’emploi du
gouvernement qui assurent cette responsabilité. Les professionnels chargés de surveiller les travaux
veillent à ce que ceux-ci soient exécutés conformément aux attentes prévues dans les plans et devis.
C’est aussi dans le cadre de cette surveillance que les professionnels vérifient si les matériaux utilisés
sont ceux qui avaient été demandés et si la qualité des techniques d’exécution est au rendez-vous.

Sur le plan juridique, c’est à cette étape que les entrepreneurs doivent s’assurer de livrer les
biens ou les services demandés conformément aux « règles de l’art ». Les professionnels qui assurent
la surveillance des travaux vérifient également si ceux-ci sont réalisés conformément à ce concept
important en droit québécois. Celui-ci est consacré à l’article 2100 C.c.Q. :

L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de


leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage
à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art,
et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au
contrat.

Lorsqu’ils sont tenus au résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en
prouvant la force majeure.

Me Bernard P. Quinn, juriste québécois spécialisé en droit de la construction, précise que


cette obligation incombe aux parties qui participent aux projets sans qu’il ne soit nécessaire de le
prévoir dans les documents contractuels : « Le respect des règles de l’art par l’entrepreneur, le
professionnel et même par le propriétaire qui, dans certaines circonstances, jouit ou est réputé jouir
d’une certaine expertise, est en principe obligatoire. Il importe peu qu’il soit fait mention dans le

145
Nathalie de MARCELLIS-WARIN, Ingrid PEIGNIER et Minh Hoang BUI, Guide de gestion des risques reliés
aux projets d’infrastructure municipale à destination des élus, Centre interuniversitaire de recherche en analyse
des organisations, 2014, p. 107.

49
contrat d’entreprise ou de services professionnels des règles de l’art spécifiques dont la sanction est
recherchée par le plaignant. Il s’agit, pour ce qui est du droit civil québécois et du droit français, d’une
obligation imposée par la loi à caractère d’ordre public et non seulement à titre supplétif de la volonté
des parties contractantes »146. Décrivant la portée de cette obligation, il ajoute que celle-ci « incombe,
selon le champ de compétence et d’intervention de chacun, à tous les intervenants de la
construction »147.

Respecter les « règles de l’art » peut vouloir dire plusieurs choses. La notion est évolutive et
s’adapte au contexte du projet et à l’époque où celui-ci est réalisé. L’état de la science et des pratiques
en vigueur lors du projet auront une influence sur le contenu de l’obligation. S’il existe par exemple
des instruments de mesure capables de vérifier la stabilité structurale d’un immeuble et que
l’entrepreneur ou les professionnels chargés de surveiller la construction n’en ont pas fait usage alors
qu’il est de pratique courante de s’en servir, cette omission pourrait leur être reprochée si l’immeuble
vient à présenter des problèmes structuraux.

Le concept des règles de l’art entretient également des liens avec l’obligation de
renseignements qui incombe au maître de l’ouvrage, c’est-à-dire l’organisme public dans le cadre
d’un contrat public. Celui-ci est tenu de fournir les informations qu’il détient au sujet du projet et qui
pourraient avoir un impact sur la bonne marche de celui-ci. Si par exemple, il a des informations qui
lui permettent d’anticiper des conditions d’excavation difficiles, il doit les divulguer à ses
cocontractants. Ajoutons que nonobstant l’existence de cette obligation juridique, les parties qui
interviennent dans un projet public devraient de toute manière s’assurer de communiquer le plus
ouvertement possible. L’échange d’informations complètes et claires contribue au succès du projet.

La phase d’exécution d’un projet public est critique à plusieurs égards. C’est à ce moment
que prend forme le projet. L’exécution du projet permet de tester la « faisabilité » des instructions
contenues aux plans et devis. C’est à ce moment qu’il est possible de voir si le concept passe le test
de la réalité. Cette étape est également source d’imprévus, car il existe toujours des impondérables
techniques ou des situations particulières qu’il est impossible de prévoir à l’avance. Une bonne
collaboration entre chacune des parties prenantes devient alors primordiale. C’est également au

146
Bernard P. QUINN, « Les règles de l’art », dans S.F.C.B.Q., coll. Développements récents en droit de la
construction, Barreau du Québec, 2002 à la page 3.
147
Id. à la page 4.

50
moment de l’exécution du projet qu’il importe de contrôler de près la qualité des biens et services
rendus.

La clôture

La phase de clôture est quant à elle associée au moment où l’organisme public constate la fin
du projet. Lorsque le contrat porte sur des travaux de construction, l’article 2110 C.c.Q prévoit que
celui-ci est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux » et que « celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage
est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine ». En pratique, la réception
de l’ouvrage prendra la forme d’une déclaration de l’organisme public dans laquelle celui-ci dit
accepter l’ouvrage tel que livré. Il arrivera parfois, même souvent, que l’organisme public acceptera
l’ouvrage sous réserve de l’engagement de son cocontractant à corriger les déficiences identifiées lors
de la visite de réception.

En raison de ses conséquences sur le plan juridique, la phase de clôture constitue une étape
cruciale dans le cadre des projets de construction. En effet, au sens du C.c.Q., la « fin des travaux »
signifie que les personnes qui ont participé au projet de construction ont 30 jours à partir de ce moment
pour publier l’hypothèque légale dont ils bénéficient148. Pour résumer, cette hypothèque est dite
« légale » en ce qu’elle existe de facto, sans qu’il ne soit nécessaire de la faire publier, en faveur de
tous les « architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur,
à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services
qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux »149. Une fois le délai de 30 jours écoulé, l’hypothèque
s’éteindra automatiquement à moins qu’il y ait « inscription d’un avis désignant l’immeuble grevé et
indiquant le montant de la créance. Cet avis doit être signifié au propriétaire de l’immeuble »150 par
les personnes concernées. De nombreux litiges naissent des interprétations parfois divergentes de la
date exacte de fin des travaux, notamment parce qu’il n’est pas toujours acquis que l’ouvrage « est

148
Le Code civil du Québec, préc., note 71, art. 2727.stipule que « L’hypothèque légale en faveur des personnes
qui ont participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble subsiste, quoiqu’elle n’ait pas été publiée,
pendant les 30 jours qui suivent la fin des travaux. »
149
Id., art. 2726.
150
Id., art. 2727 al. 2.

51
[véritablement] exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine ». Une
jurisprudence abondante en témoigne151.

L’évaluation rétrospective

La dernière phase est celle de l’évaluation rétrospective dont l’objectif consiste à faire un
bilan du projet, à mesurer la valeur des résultats obtenus, à identifier les impacts du projet sur son
environnement et à vérifier la satisfaction des différentes parties prenantes. Cette étape est
particulièrement importante pour permettre l’amélioration continue des procédés employés par
l’organisme public pour mener à bien ses projets. C’est un moment de réflexion et de prise de recul.
Le niveau d’énergie et de ressources consacrées à cette phase du projet est souvent corrélatif au succès
des projets suivants.

Section II – L’intérêt public : une notion fonctionnelle liée au pouvoir contractuel de


l’État

Qu’est-ce qui distingue les expressions « intérêt public », « bien commun », « bien public »,
« intérêt général », « intérêt commun » ou encore « utilité publique » ? S’il est vrai que ces différentes
expressions ne renvoient pas nécessairement à une même définition sur le plan théorique et historique,
nous sommes d’avis qu’en pratique, ils désignent sensiblement la même chose. Du moins est-ce le
cas, nous semble-t-il, dans l’acception courante de ce terme en droit québécois.

Pour le philosophe Pierre Crétois, il y a lieu de distinguer « l’intérêt public qui est celui de
l’administration proprement dite de l’intérêt général qui est l’intérêt au nom duquel l’administration
est censée agir »152. Quant à l’intérêt commun, celui-ci peut être défini « comme le recoupement des
intérêts individuels autour d’attentes partagées, c’est-à-dire l’immanence de la constitution de
l’intérêt populaire »153. La différence entre l’intérêt commun et l’intérêt général est que la premier
« relève de besoins, de convictions et de passions sociales partagées »154 alors que le second « relève

151
Voir à titre d’exemples les décisions suivantes : 9263-3494 Québec inc. c. 9163-2901 Québec inc., 2017
QCCS 3195; Consortium GAS c. Hôpital général du Lakeshore, 2016 QCCS 4547; Constructions Beaubois
inc. c. Houde, 2013 QCCQ 7449; Renaud c. Ogesco Construction inc., 1995 QCCS 3798.
152
Pierre CRÉTOIS, « L’intérêt général au crible de l’intérêt commun », Astérion 2017.17, par. 3, en ligne :
<http://journals.openedition.org/asterion/3031> (consulté le 27 décembre 2017).
153
Id.
154
Id.

52
de considérations de surplomb se voulant fondées sur une rationalisation des phénomènes sociaux
pouvant justifier des mesures contraignantes, contre leur gré en apparence, les individus »155.

Chacune de ces expressions a comme toile de fond ce que l’on désignait auparavant sous le
vocable de « bien commun », un principe moral issu de la tradition chrétienne. Celui-ci postule que
l’individu est une créature de Dieu dont le passage sur la Terre doit s’ajuster au bien divin. En ce
sens, « le bien commun ne saurait être réduit à sa dimension politique : il est indissociablement une
règle morale, un impératif religieux et un principe politique »156. Dans la perspective chrétienne, un
pouvoir ne peut être exercé de façon légitime que s’il est conforme au droit naturel. Lui-même issu
d’une tradition encore plus ancienne, dont celle d’Aristote157, le droit naturel peut être décrit comme
celui « qui est indépendant de l’arbitraire humain »158, qui est universellement juste et sur lequel
devrait être érigée toute règle de droit positif. Ceux qui reconnaissent l’existence d’un droit naturel,
reconnaissent par voie de conséquence, qu’il y a des comportements qui sont naturellement justes et
d’autres qui ne le sont pas. La pensée chrétienne a tiré profit de ce concept de droit naturel en associant
ce qui est juste par nature à ce qui relève d’un ordre naturel divin.

La conception classique du bien commun a été remise en question de façon importante par la
philosophie de Thomas Hobbes, qui au milieu du 17e siècle, a soutenu l’idée que le bien commun
n’est pas le miroir d’un ordre naturel ou divin, mais plutôt le fruit de la volonté humaine159. Bien que
Hobbes soit d’accord avec l’idée d’une conduite de l’État en fonction du bien commun, il n’en a pas
la même définition. Pour celui-ci, le bien commun ou public « est rationnel, non parce qu’il est

155
Id.
156
François RANGEON, L’idéologie de l’intérêt général, Paris, Economica, 1986, p. 66.
157
Daniel Mansuy résume bien la thèse d’Aristote sur ce qui est juste par nature : « Il distingue le juste naturel
et le juste conventionnel comme deux composantes du juste politique, et définit ensuite ces deux notions : la
justice naturelle est “ce qui présente partout la même puissance”, et la justice conventionnelle est “ce qu’il est
au départ totalement indifférent d’instituer d’une façon ou d’une autre, mais qui, une fois établi, prend son
importance” : Daniel MANSUY, « Aristote, Leo Strauss et le droit naturel », (2014) 70-2 Laval théologique et
philosophique 315, 317.
158
Léo STRAUSS et Emmanuel PATARD, « Le droit naturel », (2016) 79-3 Archives de Philosophie 453, 455,
DOI : 10.3917/aphi.793.0453.
159
Il écrit « En effet, si nous pouvions supposer qu'une grande multitude d'hommes soient d'accord pour
observer la justice et les autres lois de nature, sans un pouvoir commun qui les maintienne tous dans la crainte,
nous pourrions tout aussi bien supposer que tous les hommes fassent de même; et alors, aucun gouvernement
civil ou République n'existerait, ni ne serait nécessaire, parce que la paix existerait sans sujétion » : Thomas
HOBBES, Léviathan: traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile
(1651), traduit par Philippe FOLLIOT, coll. Classiques des sciences sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2004,
ch. XVII, p. 8, en ligne :
<http://www.uqac.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/hobbes_thomas/leviathan/leviathan
.html> (consulté le 10 septembre 2018).

53
naturel, mais au contraire parce qu’il est artificiel, résultant d’un calcul opéré par les individus »160.
Cette rationalisation du bien commun par Hobbes opère ce que François Rangeon a qualifié de
« rupture décisive » en ce qu’elle sera à la source de la conception moderne de l’intérêt public. Il
résume cette rupture en ces mots : « Désormais, l’homme est reconnu comme l’auteur et le créateur
du bien public. En instituant l’État, en assurant sa sécurité, l’homme crée de toutes pièces le bien
public. Ni la nature, ni la providence ne le guident, mais sa seule raison, c’est-à-dire le calcul intéressé
de sa sécurité et de son bien-être. »161

D’un point de vue terminologique, le glissement du concept de bien commun (ou bien public)
vers celui d’intérêt général (ou d’intérêt public) peut s’expliquer pour deux raisons principales. La
première consiste à éviter toute confusion avec ce que nous désignons traditionnellement sous le
vocable des biens communs, comme l’eau, la terre et l’air. La seconde découle d’un objectif de
distanciation vis-à-vis du caractère historiquement théologique de la notion. Même si la notion de
bien commun n’est pas le produit exclusif de la doctrine religieuse, l’expression en reste fortement
connotée. Même si déjà dans la pensée de Hobbes, le concept de bien commun était associé à un
exercice de rationalisation dépourvu de tout référentiel métaphysique, il a semblé nécessaire de
recourir à un nouvel arsenal terminologique pour moderniser le concept162. Le passage suivant de
Jacques Chevallier qui traite de la rationalisation des pouvoirs publics exprime bien que le caractère
rationnel de l’intérêt général s’est accompagné d’une prise de distance vis-à-vis du « Bien commun
abstrait et désincarné » : « [S]i le pouvoir est rationnel, ce n’est plus parce qu’il se prévaut d’un Bien
commun abstrait et désincarné, mais parce que son institution est conforme aux intérêts bien compris
de tous ; on voit ainsi poindre une "explication réaliste, rationnelle du pouvoir, débarrassée de toute
référence métaphysique" »163

160
F. RANGEON, préc., note 165, p. 96.
161
Id.
162
Yves Semen mentionne à ce sujet que « C’est probablement la raison [référant à la doctrine thomiste
défendue par l’église catholique et selon laquelle toute action politique n’est légitime que dans la mesure du
bien commun] pour laquelle les partisans de l’idéologie laïque se sont acharnés contre la notion de bien commun
en laquelle ils voient une manière sournoise d’asservir le pouvoir politique à la puissance spirituelle de
l’Église » Yves SEMEN, « Le bien commun chez Maurice Blondel, Simone Weil et Gabriel Marcel. Approches
non thomistes de la notion de bien commun », dans Anto GAVRI et Grzegorz W. SIENKIEWICZ (dir.), État et
bien commun : perspectives historiques et enjeux éthico-politiques : Colloque en hommage à Roger Berthouzoz,
Bern, Peter Lang, 2007.
163
Jacques CHEVALLIER, « Intérêt général », dans Ilaria CASILLO, Jean-Michel FOURNIAU, Catherine NEVEU,
Rémi LEFEBVRE, Loïc BLONDIAUX, Denis SALLES, Francis CHATEAURAYNAUD et Rémi BARBIER, Dictionnaire
critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, 2013, en ligne :
<http://www.dicopart.fr/fr/dico/interet-general> (consulté le 1 mai 2018).

54
Cela étant dit, pourquoi avons-nous choisi d’avoir recours à l’expression « intérêt public »
dans le cadre de la présente thèse ? La réponse est essentiellement pratique. C’est tout d’abord en
raison de l’objet de notre recherche, les contrats publics québécois. Dans la littérature juridique
québécoise, les auteurs qui traitent des finalités du contrat public utilisent surtout l’expression intérêt
public même si à certains moments, ils vont référer au même concept en parlant d’intérêt général. Les
différences entre les deux notions que nous avons évoquées plus haut et qui sont parfois mises de
l’avant en philosophie politique ne semblent pas avoir la même résonnance en droit. Les notions
d’intérêt public et d’intérêt général sont considérées comme des synonymes.

L’autre raison est que dans les textes de loi québécois, notamment ceux qui encadrent
l’activité contractuelle étatique, il sera généralement question d’intérêt public. Or, en droit français,
l’expression intérêt général est nettement préférée à celle d’intérêt public. Peut-être est-ce là le fruit
du bilinguisme canadien et de la préséance de l’expression Public Interest (plutôt que Common Good,
General Interest ou Public Good) dans la législation canadienne. Dans tous les cas, il nous est apparu
souhaitable de retenir l’expression la plus couramment utilisée dans le domaine qui nous occupe et il
s’agit, de façon très prépondérante, de l’intérêt public.

Cela étant dit, est-il possible de s’entendre sur une définition de l’intérêt public ?

Notion variable aux contours flous, l’intérêt public se laisse difficilement définir. Ayant
consacré sa thèse de doctorat aux fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du
Conseil d’État en 1975164, le professeur Didier Truchet rappelait plus récemment qu’il est « vain de
tenter de donner une définition abstraite de l’intérêt général »165. Il ajoutait que cela pouvait même
s’avérer dangereux. Selon le professeur Truchet, l’imprécision de la notion constitue un atout pratique
important. L’utilité de la notion d’intérêt général réside principalement dans le fait qu’elle peut être
appliquée à une panoplie de situations, ce qui la met « en phase avec le glissement progressif de nos
systèmes juridiques vers un système de valeurs [lui permettant ainsi de mettre] de la légitimité dans
la légalité. » 166

164
Didier TRUCHET, Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’État, Paris,
Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1977.
165
D. TRUCHET, préc., note 48. p. 6
166
Id., 6.

55
Cela ne signifie pas qu’il est inutile ou impossible de définir ce que représente l’intérêt public
dans un contexte donné. C’est d’ailleurs cet exercice auquel nous nous livrons dans le cadre de cette
thèse, c’est-à-dire de définir ce que constitue l’intérêt public dans le contexte des contrats publics
québécois. En bout de piste, cela nous permettra de dire que l’intérêt public est envisagé de telle ou
telle manière lorsqu’il est question de concevoir, d’octroyer ou de réaliser un contrat public. L’objectif
est d’examiner le rôle joué par l’intérêt public, de voir de quelle manière la notion est interprétée et
appliquée et de comprendre les conséquences de cette interprétation. Ce faisant, nous nous intéressons
surtout à la fonction jouée par l’intérêt public dans un système bien précis, celui des contrats publics,
lequel est d’ailleurs caractérisé par des règles dont l’édification s’est appuyée précisément sur cette
notion et dont l’interprétation est censée en découler également167.

En droit, François Rangeon rappelle que l’intérêt public « se présente tout d’abord […] sous
l’aspect d’une norme »168. Ainsi, l’intérêt public donnera lieu à l’adoption de certaines règles, qu’il
s’agisse d’obligations ou d’interdictions, lesquelles seront justifiées par l’intérêt public. Par exemple,
l’intérêt public prend la forme d’une règle de droit dans le contexte où une municipalité est autorisée
à exproprier un propriétaire169 ou encore lorsqu’on interdit à un employeur de sévir à l’endroit d’une
personne ayant divulgué une situation dangereuse170.

Paragraphe I - Les fonctions de l’intérêt public

L’examen des différentes règles de droit entretenant un lien direct ou indirect avec l’intérêt
public met en évidence le caractère fonctionnel de la notion. Pour illustrer notre propos, nous
reprendrons la classification utilisée par François Rangeon. L’intérêt public « remplit une triple
fonction politique [en] constituant le fondement, le but et la limite du pouvoir de l’État »171 Ces
fonctions, que Rangeon qualifie de « politiques », se traduisent dans certaines règles de droit qui nous
mènent sur le terrain du « juridique ».

167
Les auteurs qui se sont intéressées à l’intérêt public s’entendent généralement pour dire qu’il s’agit d’une
notion fonctionnelle plutôt que conceptuelle. Voir F. RANGEON, préc., note 165, p. 8; Georges VEDEL, « La
juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », (1950) 1-851
Juriclasseur périodique. Didier Truchet va jusqu’à affirmer qu’il y a unanimité sur ce point. D. TRUCHET, préc.,
note 48, 6.
168
F. RANGEON, préc., note 165, p. 19.
169
Loi sur l’expropriation, L.R.C. 1985, c. E-21.
170
Loi sur la divulgation d’actes répréhensibles dans l’intérêt public, LY 2014, c. 19.
171
F. RANGEON, préc., note 165, p. 21.

56
A - Fondement du pouvoir

Les citoyens acceptent que l’État exerce une certaine forme de contrainte à leur endroit
puisque celui-ci est censé agir dans l’intérêt public. Pourquoi est-il censé agir dans l’intérêt public ?
Parce que l’État se présente comme une instance neutre, indépendante et objective et dont la logique
d’action repose toute entière sur une rationalité juridique. Dans un État de droit, l’autorité exercée par
les pouvoirs publics est fondée sur le principe de la légalité. La source des pouvoirs publics se trouve
dans la loi qui est supposée refléter l’intérêt public.

D’autre part, comme l’évoque si bien Jacques Chevallier, l’exercice d’un pouvoir tire sa
légitimité de sa compatibilité avec l’intérêt public : « tout pouvoir quel qu’il soit est tenu d’apparaître
comme porteur d’un intérêt qui transcende les intérêts particuliers des membres ; cette représentation
permet d’ancrer la croyance dans son bien-fondé et de créer le consensus indispensable à son
exercice ».172 À une certaine époque, lorsque les pouvoirs publics se réclamaient du droit naturel et
d’une certaine filiation avec le bien commun, le seul fait qu’un pouvoir soit exercé par l’État donnait
un caractère légitime aux actes qui en découlaient. L’État était présumé agir dans l’intérêt public.
Désormais, celui-ci « n’est plus assuré d’une légitimité de principe, fondée sur les lois de la nature et
jouant du privilège de la transcendance ; il est tenu de s’assurer de l’adhésion des citoyens, en
établissant rationnellement sa nécessité et son bien-fondé »173. S’il est vrai que l’État est encore
considéré par plusieurs comme une instance neutre et objective capable de traduire la volonté générale
des citoyens, la légitimité de ses interventions doit désormais être démontrée. Le fait qu’un acte soit
posé par l’État plutôt que par une autre instance ne lui concède aucune légitimité intrinsèque. L’État
doit ainsi établir que les pouvoirs qui lui ont été attribués sont légitimes parce qu’il est dans l’intérêt
public que ces pouvoirs lui appartiennent. L’État se fonde ainsi sur l’intérêt public pour justifier la
portée de ses pouvoirs.

L’activité contractuelle de l’État sera légitime si elle est fondée sur l’intérêt public. Pour
exercer son pouvoir contractuel, l’État devra démontrer qu’il est légitime de faire appel à des acteurs
privés pour réaliser certaines fonctions. À titre d’exemple, on pourrait trouver légitime qu’une petite
municipalité confie la conception des plans et devis de sa future usine de traitement des eaux usées à
une firme d’ingénieurs détenant une certaine expertise en la matière. L’on dira alors qu’il est dans

172
J. CHEVALLIER, préc., note 54 à la page 83.
173
J. CHEVALLIER, préc., note 172.

57
l’intérêt public d’octroyer un contrat public à cette firme. La possibilité pour une municipalité
d’octroyer un contrat à un tiers dans de telles circonstances sera fondée sur l’intérêt public. La
fonction jouée par l’intérêt public est ici de fonder l’existence du pouvoir contractuel.

B - But du pouvoir

L’intérêt public sert également à guider l’État dans sa prise de décisions. C’est ici qu’entrent en jeu
les finalités de l’action gouvernementale. L’on dira d’une action qu’elle est légitime si elle avait pour
objectif de servir l’intérêt public. Ce n’est pas tant le « droit » pour le gouvernement de poser tel ou
tel acte qui est en jeu ici, mais les fins qu’il poursuit en posant cet acte. Comme la notion d’intérêt
public est susceptible de plusieurs interprétations – quelqu’un pouvant penser qu’il est dans l’intérêt
public de privatiser le système de santé et une autre personne penser le contraire – ce n’est pas tant la
position adoptée par le gouvernement que l’objectif qu’il recherche qui est en cause ici. Ce qui
importe, c’est qu’il choisisse de poser un geste « X » plutôt qu’un geste « Y » parce qu’il estime que
cela est dans l’intérêt public. La fonction jouée par l’intérêt public sert ici de point de repère, d’étalon
de mesure, tant pour le gouvernement que pour les citoyens qui le surveillent. Si le gouvernement est
suspecté de poursuivre d’autres fins que l’intérêt public lorsqu’il adopte une politique ou qu’il
promulgue une loi, il s’exposera à des critiques, car l’on dira à juste titre qu’il s’est détourné de son
essence174.

En matière de contrats publics par exemple, l’on pourra considérer qu’une commission
scolaire a agi de façon légitime en octroyant un contrat de construction pour la réfection de l’une de
ses écoles au plus bas soumissionnaire conforme plutôt qu’à l’entrepreneur qui a la meilleure
réputation de sa région mais qui a soumis un prix plus élevé parce qu’elle estime qu’il est dans l’intérêt
public de rationaliser ses dépenses. Par contre, si la Commission scolaire a préféré le plus bas
soumissionnaire conforme en raison des liens familiaux de celui-ci avec l’un des commissaires, il
sera difficile de prétendre que celle-ci agit dans l’intérêt public.

174
Pour un exemple d’une telle critique, voir l’article suivant de l’actualité récente : Zone Société- SOCIÉTÉ
RADIO-CANADA, « La désobéissance civile au coeur des manifestations anti-Trans Mountain », Radio-
Canada.ca, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1112986/manifestant-berman-clayoquot-kinder-
morgan-arrestation-police-prison-public> (consulté le 8 août 2018). : « Tzeporah Berman, environnementaliste
et directrice du groupe de défense Stand.earth, dit qu’il y a des moments dans l’histoire où les gouvernements
n’agissent pas dans l’intérêt public à cause de la pression d'autres groupes et d'industries et que c’est dans ces
moments-là que le peuple doit agir. »

58
C - Limite du pouvoir

L’intérêt public peut aussi avoir pour fonction de limiter les pouvoirs publics. Pendant
longtemps, l’idée que l’État puisse être « soumis » à une contrainte extérieure, que ses pouvoirs
puissent être limités au nom d’un principe supérieur, a été critiquée et marginalisée en droit
administratif175. Cela n’est toutefois plus le cas. Des thèses comme celles défendues par Léon Duguit,
à savoir que l’action gouvernementale doit se soumettre au droit – lequel exprime objectivement la
volonté générale des individus qui composent une société – ont fortement imprégné le droit public
contemporain. C’est ainsi que le principe de la suprématie législative permet aux tribunaux de
contrôler a posteriori l’action gouvernementale si celle-ci est illégale et par le fait même, contraire à
l’intérêt public.

Dans le contexte de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, il n’est pas rare de voir les
tribunaux québécois intervenir pour suspendre ou annuler le processus d’adjudication d’un contrat
public lorsque l’octroi du contrat à un soumissionnaire est jugé contraire à l’intérêt public, notamment
en raison de la non-conformité de sa soumission avec les exigences contenues aux documents d’appel
d’offres.

Paragraphe II - Les principales conceptions de l’intérêt public

Comme nous venons de le voir, l’intérêt public peut être vu comme la pierre angulaire de
l’action gouvernementale. C’est ce principe qui fonde, qui oriente et qui limite les pouvoirs exercés
par l’État. Depuis que la notion s’est « émancipée » des références métaphysiques et religieuses
auxquelles elle s’attachait à l’époque où l’on utilisait davantage l’expression « bien commun », deux
grandes conceptions de l’intérêt public se sont imposées. La première, que nous pouvons rattacher à
la tradition utilitariste, voit l’intérêt public comme la somme des intérêts particuliers des membres
d’une communauté donnée. Selon cette perspective, l’intérêt public est fondé sur une logique
individualiste en ce sens qu’il s’enracine dans les préférences personnelles de chaque individu sans
égard au contenu de ces préférences. La seconde conception, d’inspiration volontariste, considère

175
Dans l’étude qu’il a faite des fonctions de l’intérêt général dans l’administration publique française, Jacques
Chevallier explique que « Pendant tout le XIXème siècle et jusqu’au début du XXème, les thèses les plus
favorables au pouvoir d’État ont dominé en Europe et le droit administratif s’est construit et développé en
France et en Allemagne sur l’impossibilité de soumettre L’État au respect du droit commun ». Jacques
CHEVALLIER, « L’intérêt général dans l’administration française », (1975) 41-4 International Review of
Administrative Sciences 325, 328.

59
l’intérêt public comme le dépassement des intérêts particuliers de ses membres, une forme d’intérêt
capable de transcender les visions individuelles et conflictuelles des membres d’une société donnée
et d’en exprimer la volonté générale176.

A - La conception utilitariste

Dans leur ouvrage qui vise à résumer les grands concepts de l’éthique économique et sociale,
Christian Arnsperger et Philippe Van Parijs expliquent fort bien le cadre théorique à l’intérieur duquel
s’est développée la conception utilitariste de l’intérêt public ainsi que ses soubassements historiques.
L’utilitarisme, modelé en grande partie autour des principes de l’empirisme anglais177, avait
initialement pour objectif d’opérer une rupture entre les traditions philosophiques et sociales inspirées
du droit naturel ou influencées par des concepts métaphysiques. Ce qui est juste ou d’intérêt public
ne doit pas être dicté par une autorité suprême. Ce qui compte, ce sont « les états de plaisir ou de
souffrance vécus par les êtres humains »178. C’est dans ce contexte qu’ils définissent l’utilitarisme
comme « une doctrine résolument moderne, humaniste et altruiste »179 et qu’ils expliquent qu’il a été
« fondé par Jeremy Bentham [1789], baptisé et popularisé par John Stuart Mill [1861] [et] systématisé
par Henry Sidwick [1874] »180. Cette doctrine est fondée sur le concept de la maximisation du bien-
être agrégé de la société. Une décision sera « bonne », « juste » ou encore dans l’intérêt public, si elle
a pour conséquence de maximiser le bien-être agrégé de la société. Comment se calcule ce bien-être
agrégé ? Par la somme des niveaux de bien-être individuels de chaque personne. Lorsqu’un choix
doit être fait, qu’il s’agisse d’une décision personnelle, de l’élaboration d’une politique publique ou
encore du choix d’un cocontractant, il importe d’évaluer les scénarios disponibles en fonction des
conséquences qu’ils auront sur le niveau de bien-être ou d’utilité de chacun des membres de la société

176
Notons que la conception volontariste est souvent associée à la tradition française alors que la conception
utilitariste est généralement vue comme étant le produit d’une tradition anglo-saxonne. Voir notamment la page
consacrée à la notion d’intérêt général sur le site web de Vie publique, un portail français consacré aux grandes
questions qui occupent le débat public en France : « L’intérêt général et les intérêts particuliers -
Approfondissements Découverte des institutions - Repères - vie-publique.fr » (23 août 2017), en ligne :
<http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/approfondissements/interet-general-interets-
particuliers.html> (consulté le 28 décembre 2017).
177
D’ailleurs, dans F. RANGEON, préc., note 165., la partie qui est consacrée à l’utilitarisme est placée dans la
section consacrée à la « conception libérale de l’intérêt général ». Rangeon mentionne à la p. 159 que le
libéralisme anglais « occupe une place à part parmi les multiples courants que le terme “libéralisme” englobe.
Il se fonde sur une philosophie : “l’utilitarisme”. »
178
Christian ARNSPERGER et Philippe VAN PARIJS, Éthique économique et sociale, Paris, La Découverte, 2007,
p. 15.
179
Id.
180
Id.

60
pour ensuite faire la somme des niveaux de bien-être procurés par chacun des scénarios envisagés
pour finalement choisir celui qui le bien-être agrégé le plus élevé.

Comme le font remarquer Christian Arnsperger et Philippe Van Parijs, l’utilitarisme est « une
théorie éthique conséquentialiste : actions, politiques et institutions ne sont pas jugées en fonction de
leur nature intrinsèque, en fonction des intentions qui les inspirent, des vertus qu’elles manifestent ou
des devoirs auxquels elles se conforment ; elles ont à être jugées en fonction des conséquences que
l’on peut, avec plus ou moins de certitude, leur attribuer »181. Ils précisent qu’il s’agit d’une théorie
conséquentialiste individualiste, en ce sens que l’objectif qui consiste à maximiser le bien-être agrégé
repose tout entier sur les conséquences qui se produisent chez les individus pris isolément. Le
caractère individualiste de la doctrine est aussi renforcé par le fait que l’évaluation des conséquences
repose sur une évaluation du niveau de bien-être personnel de chaque individu. Ce qui entre en ligne
de compte, ce sont les préférences de chaque personne, sans égard au contenu de celles-ci. Ils ajoutent
cependant que l’utilitarisme peut aussi être vu comme une doctrine anti-individualiste parce qu’elle
s’appuie sur le principe que « l’intérêt collectif l’emporte toujours sur l’intérêt particulier de chacun :
pas question, par exemple, de reconnaître comme absolu le droit qu’aurait chacun d’user de sa voiture
si l’effet global sur le bien-être collectif est négatif »182. Contrairement à une certaine idée reçue, il
importe également de préciser que l’utilitarisme - du moins dans la conception classique que nous
venons de décrire - n’est pas intrinsèquement égoïste et qu’il ne réduit les gens à ne penser qu’à leurs
biens matériels. La logique de la maximisation du bien-être agrégé n’empêche pas, pour reprendre
l’exemple de Arnsperger et Van Parijs, qu’une société composée d’individus qui accordent une
grande importance aux enfants et qui ressentent du plaisir à les voir heureux, « dépense au profit des
enfants bien plus que ce que pourrait justifier la prise en compte égale de leurs intérêts individuels ».

Pour Jeremy Bentham, à qui l’on attribue la paternité de la pensée utilitariste, l’être humain
est guidé par un instinct qui lui dicte de maximiser ses plaisirs et d’éviter les souffrances. Il rejette
l’idée d’une justice qui soit fondée sur des devoirs moraux ou sur une dichotomie bien versus mal.

Un homme, un moraliste, s'étale gravement dans son fauteuil, et là, vous le voyez
dogmatiser en phrases pompeuses sur le devoir et les devoirs. Pourquoi personne ne
l'écoute-t-il ? parce que, tandis qu'il parle de devoirs, chacun pense aux intérêts. Il est
dans la nature de l'homme de penser avant tout à ses intérêts, et c'est par là que tout

181
Id., p. 16.
182
Id., p. 18.

61
moraliste éclairé jugera qu'il est de son intérêt de commencer ; il aurait beau dire et beau
faire, à l'intérêt le devoir cédera toujours le pas.183

Cette vision implique non seulement d’inciter les individus à chercher le bonheur des autres
en pensant d’abord et avant tout à leurs propres intérêts184, mais elle commande également à l’État
d’adopter des lois et de poser des actes en fonction de qui est le plus susceptible de maximiser les
plaisirs et d’éviter les souffrances de la population dans son ensemble.

Le législateur qui a pour but de réprimer les délits, et dont l'action doit s'étendre sur
l'échelle nationale tout entière, a, sous ce rapport, des devoirs différents de ceux de
l'individu. Les motifs personnels ne sont pas à ses yeux les plus importants ; et tandis
que la répression de la passion chez les individus semble commandée par la vertu, la
bienveillance commandera au législateur l'infliction de peines qui doivent avoir pour
résultat de minimiser la quantité de crimes.185

Pour Bentham, bien que l’intérêt public se calcule en additionnant les plaisirs moins les
souffrances de chaque individu – en d’autres mots leurs intérêts particuliers -, il fait prévaloir l’intérêt
public sur l’intérêt privé. C’est l’intérêt public, vu comme un tout, qui prévaut sur tout le reste.
L’intérêt particulier n’a d’importance que dans la mesure où il concourt à l’intérêt public dans son
ensemble. Il n’est donc pas question, pour Bentham, de faire primer les intérêts privés sur l’intérêt
public. Il est même permis, dans sa conception de l’intérêt public – qu’il associe au bonheur public –
d’infliger des souffrances à certains individus si cela a pour effet d’augmenter le ratio [plaisirs moins
souffrances] d’une communauté donnée.

Il faut aussi ajouter que la vision utilitariste que Bentham avait de la justice était fondée sur
des considérations universalistes. Les préceptes de sa doctrine avaient selon lui un avantage
indéniable vis-à-vis des autres conceptions de la morale : la possibilité d’être utilisés par quiconque,
peu importe le contexte et peu importe l’endroit. Le passage suivant est particulièrement révélateur
de la vocation universelle qu’il rattachait à sa pensée :

183
Jeremy BENTHAM, Déontologie, ou Science de la morale (1834), traduit par Benjamin LAROCHE, I
« Théorie », coll. Classiques des sciences sociales, Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2004, p. 15‑16.
184
« La première loi de notre nature, c'est de désirer notre propre bonheur. Les voix réunies de la prudence et
de la bienveillance effective se font entendre et nous disent : Travaillez au bonheur des autres ; cherchez votre
propre bonheur dans le bonheur d'autrui. », Id., p. 18.
185
Id., p. 141.

62
Enfin arrive le règne de la justice, le règne de l'utilité. Sous ses auspices l'oeuvre du
législateur sera allégée, et plusieurs de ses fonctions passeront dans les attributions du
moraliste. Le tribunal de l'opinion publique évoquera la décision de questions
nombreuses, qui sont maintenant dans le domaine de la juridiction pénale. La ligne de
séparation, entre le juste et l'injuste, sera plus nettement et plus largement définie, à
mesure que la prédominance du grand intérêt social renversera les barrières élevées dans
des dessins coupables, ou léguées par les traditions ignorantes des anciens jours. Ce sera
alors un spectacle délicieux de contempler les progrès de la vertu et du bonheur; de les
voir, par de puissants efforts ou de paisibles influences, étendre chaque jour leurs
conquêtes pacifiques dans le domaine où les fausses maximes de morale publique et
privée avaient jusqu'alors régné sans partage ! Plus délicieuse encore est l'espérance qu'il
viendra enfin une époque où le code moral, ayant pour base le principe de la
maximisation du bonheur, deviendra le code des nations, leur apprenant, dans le vaste
champ de leur politique, à ne pas créer de maux inutiles, et à subordonner leur
patriotisme aux lois de la bienveillance. Si le progrès des lumières a réuni des familles
et des tribus autrefois hostiles dans une communauté d'intérêts et d'affections, on les
verra un jour, dans leurs progrès ultérieurs, réunir aussi, par les liens de la bienfaisance,
les nations aujourd'hui séparées. De même qu'une opinion plus éclairée a réussi à
diminuer le nombre des crimes violents, de même il est impossible que cette opinion,
acquérant chaque jour de nouvelles forces, n'arrive pas à exercer une semblable influence
sur les autres genres d'improbité. Qui doute que la guerre, ce maximisateur de tous les
crimes, cette condensation de toutes les violences, ce théâtre de toutes les horreurs, ce
type de folie, ne soit à la fin vaincue et anéantie par la puissante et irrésistible influence
de la vérité, de la vertu, de la félicité ?186

Parmi les reproches qui ont été formulés à l’encontre des théories proposées par Bentham,
figure son incompatibilité avec la prise en compte des droits de la personne187. En ramenant tout au
bonheur global de la population, n’y a-t-il pas en effet un risque de « sacrifier » certains individus au
bénéfice de la masse ? Appliquée de façon rigide, la pensée de Bentham fournit de solides assises à
ceux qui prétendent que la torture peut être légitime en certaines circonstances. Elle permet également
de faire fi de la dignité de certains travailleurs si les conditions inhumaines de travail auxquels ils
sont assujettis profite au plus grand nombre.

Un autre reproche qui est fréquemment formulé à l’encontre de l’utilitarisme benthamien a


trait à l’incapacité de celui-ci à comparer les plaisirs entre eux188. La thèse défendue par Bentham est
que tous les plaisirs se valent, qu’aucun n’est plus noble ou vertueux qu’un autre et que la seule façon

186
Jeremy BENTHAM, Déontologie, ou Science de la morale (1834), traduit par Benjamin LAROCHE, II
« Application », coll. Classiques des sciences sociales, Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2004, p. 28‑29.
187
Voir cependant cet article qui propose un réexamen de cette lecture : Guillaume TUSSEAU, « Jeremy Bentham
et les droits de l’homme: un réexamen », Rev. trim. dr. h. 2002.407‑431.
188
Pour certains, on retrouve malgré tout dans l’œuvre de Bentham certains indices qui peuvent permettre de
croire qu’il était sensible à la valeur relative de certains plaisirs. Voir à ce sujet : Marie-Laure LEROY, « Quantité
et qualité des plaisirs chez Bentham: Le jugement de J. S. Mill est-il exact ? », Revue d’études benthamiennes
2008.4.

63
de les comparer est de mesurer leur intensité, leur probabilité ainsi que leur durée. Une telle façon de
faire permet d’éviter ce qu’il craint à tout prix, c’est-à-dire de tomber dans le piège d’une morale
fondée sur ce qui est par nature bon ou juste. Une telle conception de la justice engendre toutefois des
raisonnements qui peuvent mener à des situations pour le moins contestables.

Pour illustrer les conséquences d’une application stricte de la pensée benthamienne dans la
vie de tous les jours, le philosophe Michael Sandel utilise l’exemple bien connu de la voiture Ford
Pinto dont le réservoir à essence avait été si mal conçu qu’il a entraîné la désintégration de plusieurs
voitures dans les années 1970. Lors d’une collision, la Ford Pinto était beaucoup plus susceptible
d’exploser en raison d’une conception inadéquate de son réservoir à essence. Dans le cadre d’un
recours judiciaire intenté par l’une des victimes, la preuve soumise au tribunal a révélé que quatre
ingénieurs de la compagnie Ford avaient informé leur employeur des risques associés aux lacunes du
réservoir à essence. Il fut également démontré qu’en réaction à cette mise en garde, les dirigeants de
la compagnie Ford ont commandé une analyse visant à mesurer les coûts et les bénéfices associés à
la correction des lacunes constatées. Au terme de l’analyse, ils en sont venus à la conclusion qu’il
était préférable de ne pas corriger le problème étant donné que les avantages associés à la solution
envisageable – en termes de vies et de blessures épargnées – étaient moindres que les coûts requis par
cette solution, laquelle consistait à équiper tous les réservoirs d’un accessoire permettant de corriger
le problème. Voici comment Sandel rapporte les événements :

To calculate the benefits to be gained by a safer gas tank, Ford estimated that 180 deaths
and 180 burn injuries would result if no changes were made. It then placed a monetary
value on each life lost and injury suffered - $ 200,000 per life, and $67,000 per injury.
It added to these amounts the number and value of the Pintos likely to go up in flames,
and calculated that the overall benefit of the safety improvement would be $49.5 million.
But the cost of adding an $11 device to 12.5 million vehicles would be $137.5 million.
So the company concluded that the cost of fixing the fuel tank was not worth the benefits
of a safer car.189

John Stuart Mill, philosophe et économiste britannique né au début 19e siècle, a tenté
d’« humaniser » l’utilitarisme benthamien, notamment en proposant certaines interprétations
susceptibles de répondre aux reproches que nous avons évoqués précédemment en lien avec le respect
des droits humains et l’absence de dispositifs capables de pondérer la valeur relative des différents

189
Michael J. SANDEL, Justice : what’s the right thing to do?, 1re éd., New York, Farrar, Straus and Giroux,
2009, p. 43‑44. La cause à laquelle réfère Sandel est Grimshaw v Ford Motor Co., 174 Cal. Reporter 348 (Cal.
Ct. App. 1981).

64
types de plaisirs et de souffrances. Pour ce faire, il développera une doctrine utilitariste fondée sur la
possibilité d’évaluer de façon qualitative la valeur de chaque plaisir. Voulant lui aussi éviter de tomber
dans le piège d’une doctrine exposée à l’arbitraire d’une autorité suprême ou métaphysique, il
retiendra le critère de la personne compétente pour pondérer la valeur de chaque plaisir: « Pour savoir
lequel, de deux plaisirs, a le plus de valeur ou lequel, de deux modes de vie, est le plus gratifiant pour
les sentiments, et cela indépendamment de leurs attributs moraux et de leurs conséquences, il faut
finalement accepter le jugement de ceux qui sont qualifiés parce qu’ils connaissent les deux ou, s’ils
diffèrent, le jugement de la majorité. »190

C’est ainsi que Mill parvient à faire prévaloir certains types de plaisirs sur d’autres, qualifiant
ceux-ci de plus utiles. Contrairement à Bentham qui fut considéré comme un utilitariste hédoniste,
Mill sera qualifié d’utilitariste idéal, ce dernier « rendant justice à la dignité humaine, aux sentiments
nobles, aux aspirations supérieures, faisant honneur à tout ce qui favorise en l’homme l’activité de
ses facultés supérieures »191.

À ceux qui prétendent que l’utilitarisme est susceptible de cautionner la tyrannie et la


violation des droits humains, Mill présentera une version de l’utilitarisme qui défend le droit pour
quiconque de faire ce qu’il lui plait pourvu que cela ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui : « Le
seul aspect de la conduite d'un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les
autres. Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue. »192. S’il n’est
pas acceptable de contraindre autrui pour son propre plaisir, il est cependant admissible
« individuellement ou collectivement, [d’]entraver la liberté d'action de quiconque [...] pour assurer
[sa] propre protection »193. Quant à sa conception de l’intérêt public, Mill ne diffère pas beaucoup –
si ce n’est des nuances que nous venons d’évoquer – de la vision de Bentham :

La grande majorité des bonnes actions ne visent pas l’intérêt général mais celui des
individus et c’est la somme de ces intérêts particuliers qui constitue l’intérêt général. Les

190
John Stuart MILL, L’utilitarisme (1871), traduit par Philippe FOLLIOT, coll. Classiques des sciences
sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2008, p. 43‑44, en ligne :
<http://classiques.uqac.ca/classiques/Mill_john_stuart/utilitarisme_trad_folliot/utilitarisme.html> (consulté le
17 août 2018).
191
Naoufel HANAFI, « L’utilitarisme et la notion d’utilité », Dogma 2012, 5.
192
John Stuart MILL, De la liberté (1859), traduit par Laurence LENGLET, coll. Classiques des sciences
sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002, p. 11, en ligne :
<http://www.uqac.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/Mill_john_stuart/de_la_liberte/de_
la_liberte.html> (consulté le 17 août 2018).
193
Id.

65
pensées de l’homme le plus vertueux n’ont pas besoin en ces occasions d’aller au-delà
des personnes particulières concernées, sauf dans la mesure où il est nécessaire de
s’assurer qu’en les avantageant, on ne viole pas les droits de quelqu’un d’autre, c’est-à-
dire ses attentes légitimes et légales. La multiplication du bonheur est l’objet de la vertu
selon la morale utilitariste.194

Henry Sidgwick, philosophe anglais ayant vécu et œuvré dans la seconde moitié du 19e siècle,
a cherché – tout comme Mill - à reconstruire l’utilitarisme sur des fondements plus près de l’éthique,
contrairement à Bentham dont la visée du bonheur du plus grand nombre pouvait donner lieu à une
certaine promotion des plaisirs égoïstes. L’on reconnaît à Sidgwick le mérite d’avoir su apporter une
définition plus claire de l’utilitarisme, moins contradictoire et plus cohérente et d’avoir été en mesure
de démontrer « l’impossibilité d’apporter la preuve que l’éthique du bonheur général est la seule qui
soit proprement rationnelle, difficultés qui tiennent au conflit des principes qui l’oppose à l’autre
option éthique fondamentale, qu’est la quête égoïste du bonheur privé »195.

Bien qu’il demeure fidèle au concept de base de l’utilitarisme, à savoir qu’il faut orienter ses
actions en fonction de ce qui est le plus utile à la production du bonheur du plus grand nombre,
Sidgwick tentera de démontrer que cet objectif ultime n’est pas la seule fin recherchée par l’individu,
mais plutôt un moyen – parmi d’autres - de parvenir à son propre bonheur196. Selon lui, l’individu est
animé par différents principes éthiques qui ne s’attachent pas nécessairement à une seule philosophie :
« le sens commun adhère obscurément à divers principes éthiques (égoïstes, intuitifs, utilitaristes)
sans se rendre compte que ces principes, s’ils sont pris au sérieux, constituent des systèmes éthiques
autonomes – des méthodes précisément – qui sont en réalité différents, voire opposés »197.

Sidgwick ne croit pas que seule une conception insouciante et égoïste de l’utilitarisme puisse
mener à une vie heureuse. Il ne croit pas non plus qu’une vision axée sur le sacrifice et le devoir telle
qu’elle était prônée par la morale chrétienne soit la seule à pouvoir rendre heureux. Il s’agit pour lui
de deux visions extrêmes. Il choisira finalement de préconiser une version utilitariste de la morale en
raison de son caractère objectif et rationnel. La différence entre la morale chrétienne et l’utilitarisme
est que la première s’attarde aux intentions alors que la seconde s’intéresse aux conséquences : « En

194
J. S. MILL, préc., note 199, p. 28.
195
Michel TERESTCHENKO, « Henry Sidgwick Le cosmos de la moralité réduit au chaos », (2004) 41-1 Revue
de métaphysique et de morale 101, 103.
196
Rozenn MARTINOIA, « “Une triste fin pour un si grand travail” ? La révision de l’utilitarisme par Henry
Sidgwick », OEconomia 2011.1‑2.171, 193.
197
M. TERESTCHENKO, préc., note 204, 104.

66
théorie du moins, le sacrifice au bonheur général que réclame l’utilitarisme est fondé sur un calcul
scientifique des plaisirs et des peines, et non sur le sentiment de l’amour du prochain (sentiment qui,
comme tel, ne peut jamais être rationnellement exigé, ainsi que le remarque Sidgwick) »198.

Il faut également ajouter que l’originalité de l’œuvre de Sidgwick tient aussi au fait qu’il fut
le tout premier – parmi les utilitaristes de son temps - à s’interroger sur les enjeux découlant de la
juste distribution du bonheur entre les membres d’une société, posant ainsi, comme le rappelle le texte
de Michel Terestchenko, les jalons de l’œuvre de John Rawls qui s’en inspira beaucoup199.

Parmi les auteurs qui se sont intéressés à l’intérêt public, certains attribuent à l’œuvre d’Adam
Smith l’une des expressions les plus fortes de la conception utilitariste de la notion200. En réduisant
l’intérêt – qu’il soit particulier ou commun – à l’intérêt économique des individus ou de la nation,
Smith a développé une conception économique de l’intérêt public, susceptible d’être quantifiée,
calculable et comparable. D’autre part, Smith était persuadé que le réflexe naturel des êtres humains
consistait à vouloir améliorer leur propre sort, leur « fortune » comme il le dira, et qu’ils étaient guidés
d’abord et avant tout par cet objectif. Cet extrait du Livre 1 de l’ouvrage Recherche sur la nature et
les causes de la richesse des nations exprime bien sa vision des choses : « Ce n'est pas de la
bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais
bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur
égoïsme; et ce n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage »201.
C’est également Smith qui élabora la théorie de la main invisible, théorie selon laquelle les actions

198
Id., 112.
199
Id., 117.
200
Voir notamment Philippe COPPENS, « La fonction du droit dans une économie globalisée », (2012) t. XXVI-
3 Revue internationale de droit économique 269, 280; Jean-Daniel BOYER et Simon HUPFEL, « L’Inquiry into
the Nature and Origin of Public Wealth de Lauderdale : une critique d’Adam Smith pour dénoncer le système
mercantile », (2017) 73-2 Cahiers d’Économie Politique 121, 125‑126; Pierre DARDOT et Christian LAVAL, La
nouvelle raison du monde: essai sur la société néolibérale, n°325, Paris, La Découverte, 2009, p. 60‑64; F.
RANGEON, préc., note 165, p. 155 et ss. Voir par contre les nuances apportées par Shirine SABÉRAN, « La notion
d’intérêt général chez Adam Smith : de la richesse des nations à la puissance des nations », Géoéconomie
2008.45.55. Elle écrit en conclusion de son article: « Au fil des livres qui structurent la Richesse des nations, il
est apparu que deux conceptions sous-tendaient l’analyse de Smith – l’intérêt du peuple de consommateurs, et
l’intérêt de la nation – et que la seconde primait souvent sur la première »
201
Adam SMITH, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), traduit par Germain
GARNIER, Livre I: Des causes qui ont perfectionné les facultés productives du travail, et de l’ordre suivant
lequel ses produits se distribuent naturellement dans les différentes classes du peuple, coll. Classiques des
sciences sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002, p. 23, en ligne :
<http://www.uqac.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/Smith_adam/richesse_des_nations/
livre_1/richesse_nations_L1.html> (consulté le 9 août 2018).

67
individuelles de chaque membre d’une communauté, lesquels sont guidés par leurs intérêts
particuliers, concourent naturellement à la prospérité collective et à l’intérêt public. Il écrira à ce
sujet :

Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu'il peut, 1° d'employer son
capital à faire valoir l'industrie nationale, et - 2° de diriger cette industrie de manière à
lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille
nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. A la
vérité, son intention, en général, n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait
même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de
l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner
personnellement une plus grande sûreté; et en dirigeant cette industrie de manière à ce
que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain; en cela,
comme dans beaucoup d'autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une
fin qui n'entre nullement dans ses intentions; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus
mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne
cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace
pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. je n'ai jamais
vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien
général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n'est pas
très commune parmi les marchands, et qu'il ne faudrait pas de longs discours pour les en
guérir.202

Puisque les gens sont d’abord et avant tout motivés par l’objectif d’améliorer leur fortune
personnelle et que c’est la satisfaction de leurs intérêts particuliers qui contribue naturellement au
bien-être collectif, il devient logique d’associer l’intérêt public à l’intérêt économique, celui des
individus qui composent la société et celui de la nation toute entière au sein de laquelle ils vivent.
Pour Smith, lorsqu’une nation s’enrichit, il y a plus de chances que la situation de la personne la plus
pauvre soit meilleure que celle qui vit dans une société qui n’a pas progressé économiquement.
Autrement dit, vaut mieux être le plus pauvre chez les riches que le plus pauvre chez les pauvres203.

202
Adam SMITH, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), traduit par Germain
GARNIER, Livre IV: Des systèmes d’économie politique, coll. Classiques des sciences sociales., Chicoutimi,
J.-M. Tremblay, 2002, p. 30‑31, en ligne :
<http://www.uqac.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/Smith_adam/richesse_des_nations/
livre_4/richesse_nations_L4.html> (consulté le 9 août 2018).
203
Une telle posture résisterait mal aujourd’hui aux nombreuses recherches qui ont été menées sur les inégalités
économiques et les effets pervers qu’elles engendrent dans une société, surtout chez celui qui est « pauvre »
parmi les « riches ». Voir l’un des ouvrages de référence en la matière, rédigé par le prix Nobel d’économie :
Joseph E STIGLITZ, Le prix de l’inégalité, traduit par Françoise CHEMLA et Paul CHEMLA, Paris, Liens qui
libèrent, 2012.

68
Ainsi donc, l’intérêt public, en tant que finalité des pouvoirs publics, est étroitement associé
à une question de prospérité et de croissance économique chez Adam Smith. Comme ces objectifs
sont mieux servis par la main invisible du marché que par l’action gouvernementale, il est préférable
– dans une perspective smithienne de l’intérêt public - de préconiser un retrait de l’État, ou du moins
de réduire toute intervention gouvernementale aux fonctions régaliennes de l’État.

D’autre part, la conception smithienne de l’intérêt public, vue sous l’angle des moyens,
suppose le rejet de toute prise en compte du caractère éminemment collectif de toute existence204.
L’idée que l’homme est un animal social ou qu’il devrait réfléchir aux conséquences de ses actions
dans une logique plus globale est incompatible avec une conception de l’intérêt public qui postule
que toute personne n’a qu’à combler ses intérêts personnels pour contribuer indirectement et
inconsciemment au bien-être collectif.

Le dénominateur commun des différentes déclinaisons de la pensée utilitariste, que ce soit


celle de Bentham, de Mill, de Sidgwick, de Smith ou encore d’auteurs plus contemporains, c’est la
recherche du plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Si l’on demandait à ces penseurs de
définir l’intérêt public, ils répondraient sans doute qu’il s’agit de tout ce qui est utile à ce
dénominateur commun. Les utilitaristes s’entendent également pour rejeter toute morale qui fonde le
bonheur sur le respect de certains devoirs. L’une des philosophies dominantes de l’époque où
Bentham et ses disciples ont vécu, cherchait à démontrer qu’un être humain ne pouvait être heureux
que si son bonheur coïncide avec ses devoirs, ce que les utilitaristes se sont affairés à réfuter,
notamment en raison des origines théologiques de ce postulat. L’autre point convergent de chacune
des versions de l’utilitarisme est qu’elles sont fondées sur une théorie conséquentialiste qui détermine
la valeur morale de chaque action – individuelle ou collective – en fonction de ses conséquences.

Là où les différentes versions de l’utilitarisme divergent, c’est sur la façon de parvenir au plus
grand bonheur du plus grand nombre. Par exemple, alors que pour Bentham, les intérêts particuliers
qui composent l’intérêt public se valent tous quels qu’ils soient, il convient plutôt, de l’avis de Mill,
de mesurer l’intérêt public en faisant la somme des intérêts particuliers dont la valeur se mesure à

204
Le seul lien de dépendance des individus que Smith puisse admettre est fondé sur la diversité de leurs
capacités. C’est parce qu’ils sont différents que les individus concourent inconsciemment à leur intérêt commun.

69
l’aune de l’expérience d’une personne compétente capable de se prononcer sur leur importance
relative.

Les illustrations pratiques et quotidiennes d’une vision utilitariste de l’intérêt public sont
nombreuses. Celles-ci se manifestent notamment dans notre vie démocratique de tous les jours. Il
suffit en effet de penser à l’ouverture dont font généralement preuve les pays de tradition anglo-
saxonne face au rôle que peuvent jouer les différents groupes de pression auprès des parlementaires205
contrairement à la connotation plutôt négative longtemps associée à cette pratique dans des pays
comme la France206. Ces conséquences se manifestent également dans la façon dont est organisée
l’Administration publique. Nous pouvons assurément placer la gestion axée sur les résultats - l’une
des nombreuses déclinaisons de la Nouvelle gestion publique - parmi les principales illustrations de
l’influence qu’a eue la vision utilitariste sur la modernisation de l’appareil administratif au Québec et
ailleurs207.

Pour les utilitaristes, l’intérêt public se définit comme le bonheur du plus grand nombre et ce
bonheur trouve sa racine dans les intérêts privés de chaque individu. Ainsi envisagé, l’intérêt public
commande à l’État de laisser libre cours à l’expression de ces intérêts particuliers, lesquels, s’ils sont
comblés, permettront tout naturellement au bonheur du plus grand nombre de se matérialiser. Quant
à la fonction devant être exercée par l’Administration publique, comme « L’État [est] dévolu au rôle
d’une “fabrique de la félicité”, [et] promoteur d’un bonheur public entendu comme somme des
intérêts particuliers »208, elle doit favoriser le libre jeu de ces intérêts particuliers et n’agir qu’en
fonction de ce qui est utile au concours naturel de ces intérêts. Concrètement, cela signifie qu’elle
doit s’effacer de tout ce qui n’est pas utile à ce dessein et implique que ses actes soient vides de tout
volontarisme politique ou de toute référence à un intérêt public prenant sa racine dans ce qui est utile
au groupe envisagé dans son ensemble.

205
L’une des illustrations de cette ouverture consiste à encadrer légalement – plutôt que de proscrire – le
lobbysime. Étymologiquement, mentionnons que l’expression « lobby » désignait autrefois les couloirs de la
chambre des communes au Royaume-Uni. Voir l’ouvrage suivant : Dominique BOIVIN, Le lobbying ou le
pouvoir des groupes de pression, Montréal, Éd. du Méridien, 1984.
206
Guillaume COURTY, Le lobbying en France: invention et normalisation d’une pratique politique, 2018, en
ligne : <http://public.eblib.com/choice/publicfullrecord.aspx?p=5214810> (consulté le 15 août 2018).
207
Omar AKTOUF, La stratégie de l’autruche : post-mondialisation, management et rationalité économique,
Montréal, Éditions Écosociété, 2002.
208
Florence PERRIN, « La formulation contractuelle de l’intérêt général entre droits et intérêts particuliers »,
Astérion 2017.17, 10, en ligne : <http://journals.openedition.org/asterion/3013> (consulté le 27 décembre
2017).

70
B - La conception volontariste

Dans sa conception volontariste, l’intérêt public est considéré comme un intérêt à part
entière, distinct des intérêts particuliers des membres d’une société donnée. Il s’agit en quelque sorte
de l’intérêt d’une entité fictive dont la spécificité repose sur ce que les membres d’une société ont en
commun. L’intérêt public exprime la volonté générale. Il transcende les intérêts particuliers des
individus, il emprunte une démarche déductive contrairement à la rationalité inductive de
l’utilitarisme. C’est à partir de ce qui est au commun aux membres d’une société - et non à partir des
intérêts particuliers qui les divisent – que le contenu de l’intérêt public est fixé. Il n’est pas exclu que
les intérêts particuliers puissent concorder avec l’intérêt public, mais en général, leur pluralité et leur
caractère conflictuel tendent à diviser les gens plutôt qu’à les rallier autour d’une finalité commune.

La conception volontariste de l’intérêt public exige de l’individu qu’il se mette dans la peau
du citoyen moyen et qu’il se demande ce qui serait dans l’intérêt de ce dernier. Il n’est pas question
de faire comme les utilitaristes et de se laisser guider par ses propres plaisirs. Pour intervenir dans
l’espace public et se prononcer sur ce qui est d’intérêt public, il faut faire abstraction de ce qui nous
importe personnellement et chercher ce qui est d’intérêt pour tous les citoyens. On ne peut réclamer
pour soi que ce qui est utile à tous. La notion d’utilité n’est d’ailleurs pas exclusive à l’utilitarisme.
La conception volontariste de l’intérêt public considère également que l’utilité constitue un guide
plus sûr que la satisfaction des désirs d’une autorité suprême dictant du haut des cieux ce qu’il
convient de faire ou ne pas faire. Par contre, pour les défenseurs d’une conception volontariste de
l’intérêt public, l’utilité ne constitue pas une fin en soi. Ils cherchent plutôt à démontrer qu’une société
juste, animée par ce que ses membres ont en commun, est certainement utile à chacun de ceux-ci.

Pour Jean-Jacques Rousseau, sans aucun doute le philosophe le plus influent parmi ceux qui
ont défendu une conception volontariste de l’intérêt public, l’existence d’une société est tributaire de
la présence d’intérêts convergents entre les membres de celle-ci : « C'est ce qu'il y a de commun dans
ces différents intérêts qui forme le lien social ; et s'il n'y avait pas quelque point dans lequel tous les
intérêts s'accordent, nulle société ne saurait exister. Or, c'est uniquement sur cet intérêt commun que
la société doit être gouvernée ».

Parmi les nombreuses recherches dans lesquelles il s’est investi, l’une d’elles fut d’exposer
ce que le droit devrait être – plutôt que de le décrire – en tentant notamment d’établir les conditions

71
nécessaires pour permettre à la société d’être régie par des règles justes et utiles : « Je veux chercher
si, dans l'ordre civil, il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les
hommes tels qu'ils sont, et les lois telles qu'elles peuvent être. Je tâcherai d'allier toujours, dans cette
recherche, ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se
trouvent point divisées ». L’approche de Rousseau se veut donc réaliste, car il affirme vouloir fonder
ses recherches en prenant l’homme tel qu’il est. En ce sens, il est bien conscient que l’homme peut
être guidé par ses propres intérêts et qu’il peut avoir tendance, comme le soutiennent les utilitaristes,
à maximiser ses plaisirs et à éviter les souffrances. Par contre, il ne croit pas que c’est en permettant
à l’homme tel qu’il est de maximiser ses plaisirs et de suivre ses propres intérêts qu’adviendra par
magie le bonheur du plus grand nombre.

Remarquons aussi que pour l’auteur du Contrat social, être libre ne signifie pas de pouvoir
faire ce que l’on veut. La véritable liberté ne résume pas à la possibilité de combler ses plaisirs ni à
vivre son existence sans interférences ou obstacle quelconques. La liberté procède plutôt dans la
possibilité de pouvoir consentir aux principes qui nous gouvernent, « car l’impulsion du seul appétit
est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. » Nous voyons dans ces courts
extraits, une grande partie de ce qui sépare les conceptions utilitariste et volontariste de l’intérêt
public. Pour Rousseau, l’intérêt public n’est rien d’autre que ce qui est conforme à la volonté générale.
Or, contrairement aux utilitaristes qui associent l’intérêt public à la somme des intérêts particuliers
des membres d’une société, Rousseau y voit plutôt ce que les citoyens ont en commun et ce à quoi ils
ont librement consenti. Reste à savoir comment déterminer ce qu’il y a de commun dans cette pluralité
d’intérêts particuliers. Comment faire disparaître les intérêts particuliers dans une volonté générale ?
Cette question est cruciale, car elle nous permettra de comprendre comment s’élabore l’intérêt public
dans la conception volontariste de la notion.

Rousseau était d’avis que la loi constituait l’instrument le plus sûr et le plus légitime pour
réconcilier justice et utilité. La loi exprime la volonté générale des citoyens lorsque ceux-ci en sont
les auteurs. C’est parce qu’ils en sont les signataires qu’il devient pour eux légitime d’y obéir.
Rousseau fonde la légitimité du pouvoir sur la source de celui-ci. L’autorité exercée n’est légitime
que parce qu’elle s’adresse à des citoyens qui y ont préalablement consenti : « l'ordre social est un
droit sacré qui sert de base à tous les autres. Cependant, ce droit ne vient point de la nature ; il est
donc fondé sur des conventions. » Dans le chapitre du Contrat social qu’il consacre au « Droit du
plus fort, » il conteste la légitimité d’un droit qui trouverait sa source dans l’imposition de règles
proclamées par les puissants de ce monde, car en pareil cas, les gens n’y obéissent que par nécessité

72
et non parce qu’ils le désirent. En pareil cas, leurs « devoirs » et obligations résultent d’un droit
imposé de façon illégitime. Selon Rousseau, le droit, pour être légitime, doit plutôt résulter d’une
convention, d’un contrat social entre les membres de la société : « Puisque aucun homme n'a une
autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit [légitime], restent donc
les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes ». Les citoyens doivent donc
s’entendre sur le contenu d’un contrat social qui sera l’expression de leur volonté générale et qui
fondera le droit légitime auquel la société aura consenti.

La volonté générale exprimée par ce contrat social ne signifie pas qu’elle soit le reflet de ce
que tous les membres de la société veulent. Rousseau écrit : « Il y a souvent bien de la différence
entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun ; l'autre
regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières ». Ce qui ressort à la lecture
des textes de Rousseau, c’est que les intérêts particuliers fondent à la fois l’intérêt public et s’y
opposent en même temps. Ils sont à la base de l’intérêt public dans le sens où ils permettent de trouver
ce qu’il y a de commun dans une société. Dans cette perspective, l’intérêt public devient en quelque
sorte le trait d’union des intérêts particuliers. Il constitue leur point de convergence. D’autre part, les
intérêts particuliers peuvent s’opposer à l’intérêt public en ce sens où ils sont parfois contradictoires
à celui-ci. Rousseau vise ici les intérêts qui restent à l’extérieur de ce qu’il y a de commun aux
membres d’une société. Ceux qui restent au stade du « désir caché de faire son profit aux dépens
d’autrui »209 par ambition personnelle. Ce type d’intérêt particulier doit s’effacer pour permettre à ce
qu’il y a de commun d’émerger et de former l’intérêt public.

La pensée de Rousseau et des auteurs précités peut être qualifiée de volontariste en ce sens
où l’intérêt public n’apparait pas de lui-même, par le fruit du hasard ou par l’entremise d’une soi-
disant harmonie naturelle entre les intérêts privés des membres d’une société. Pour Rousseau, comme
pour les autres tenants d’une vision volontariste de l’intérêt public, il ne faut pas laisser celui-ci se
construire par le libre jeu des intérêts privés, mais il faut plutôt établir son contenu à partir des finalités
auxquelles aspire le peuple. L’intérêt public s’établit conformément à la volonté générale. Ce que le
peuple veut pour l’ensemble de la société dicte ce qui est dans l’intérêt public. Dans sa conception
volontariste, l’intérêt public est le fruit d’une délibération démocratique des citoyens sur les buts

209
Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754),
coll. Classiques des sciences sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002, p. 43‑44, en ligne :
<http://www.uqac.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/Rousseau_jj/discours_origine_ineg
alite/origine_inegalite.html> (consulté le 24 août 2018).

73
qu’ils partagent. Une fois ces buts fixés, il faut déterminer les moyens pour y parvenir. Dans sa
conception utilitariste, il suffit de permettre aux citoyens de donner libre cours à leurs intérêts privés
et à organiser la société et les institutions publiques en conséquence. Entre ces deux conceptions, « ce
qui est en jeu c’est, au fond, la question de l’autonomie politique »210. Alors que la « définition de
l’intérêt général comme intérêt de l’ensemble des agents économiques réduit la décision politique à
des considérations d’efficacité portant sur l’utilisation des moyens »211, la conception volontariste,
telle qu’elle s’est traduite en droit français par exemple, accorde au politique un rôle beaucoup plus
important, en ce sens où sa fonction « est de définir des fins que le marché permet, parfois, d’atteindre
a posteriori, mais qu’il revient au politique de définir a priori »212.

À l’évidence, ces deux conceptions n’appellent pas aux mêmes expectatives quant au rôle qui
devrait être joué par l’État. L’utilitariste se fera plus prudent vis-à-vis d’un trop grand
interventionnisme de l’État alors que le volontariste comptera sur celui-ci pour aider le peuple à
dégager le contenu de sa volonté générale et à la mettre en œuvre.

C - Le rôle de l’État selon les différentes conceptions de l’intérêt public

Même si l’intérêt public peut être invoqué pour justifier l’exercice de toute forme de pouvoir,
que celui-ci émane d’une autorité privée ou publique, la notion entretient une relation particulière
avec l’État et l’exercice de ses pouvoirs :

Érigé en instance supérieure et transcendante au corps social, l’État est en effet conçu,
dans la perspective de Hegel [Principes de la philosophie du droit] comme le dépositaire
d’un intérêt général commun à l’ensemble de la société : c’est le principe d’ordre et de
cohésion qui permet de faire tenir ensemble les éléments constitutifs de la société et de
ramener celle-ci à l’unité ; soustrait aux conflits qui déchirent la société, il est censé
réaliser la synthèse des volontés individuelles et incarner un intérêt général, surmontant
et dépassant les égoïsmes catégoriels. Cette vision aboutit à la représentation d’un espace
social divisé en deux sphères distinctes : d’un côté, la « sphère privée », ou société civile,
formée d’individus défendant leurs « intérêts particuliers » ; de l’autre, la « sphère
publique », construite à partir de la figure de l’État, qui porte « l’intérêt général ».
L’intérêt général apparait ainsi comme le principe axiologique qui domine la sphère
publique et fonde sa spécificité : c’est lui qui, en fin de compte, justifie l’application à
la sphère publique de règles juridiques exorbitantes du droit commun ; et la place qui lui

210
CONSEIL D’ÉTAT, L’intérêt général: Rapport public 1999: jurisprudence et avis de 1998, Paris, La
Documentation française, 1999, p. 261.
211
Id.
212
Id.

74
est reconnue en tant que critère d’application du droit administratif en sera dès lors,
comme l’a montré Didier Truchet dans sa thèse, la traduction concrète.

Quel rôle devrait être dévolu à l’État selon la conception dominante qu’une population se fait
de l’intérêt public ? Cela peut se résumer de la manière suivante. Une vision utilitariste de l’intérêt
public préconisera un cadre normatif qui protège les libertés individuelles, favorise la libre
concurrence entre les agents économiques et permet aux citoyens de vivre avec le moins de
contraintes possible. L’État ne doit pas dicter les règles du marché, mais plutôt « en corriger les
conséquences négatives »213. La liberté est ce qu’il y a de plus important et prévaut sur l’égalité.
L’utilitarisme « déduit la liberté politique de la liberté économique [et] n’implique pas, dans son
principe, l’égalisation des conditions, mais justifie certaines inégalités au nom de la liberté »214. L’État
est légitime et ses interventions le sont dans la mesure où ils visent à garantir les droits et libertés de
l’individu. L’État ne doit pas avoir pour mission ou pour prétention de représenter la population dans
son ensemble. Sa légitimité est réduite à son caractère instrumental qui consiste à produire les
conditions les plus efficaces pour permettre aux individus de s’émanciper individuellement, ce qui
implique de protéger leur liberté. Selon la conception utilitariste de l’intérêt public, le principe de
séparation des pouvoirs est fondé sur l’idée qu’il « limite l’accroissement de sa puissance [i.e. l’État],
tandis que le conflit même des intérêts privés aboutit à l’intérêt général par un système de contrepoids
et de contre-pouvoirs »215.

Pour les tenants de la vision volontariste, les règles de droit ne sont pas vues comme des
contraintes qu’il importe de réduire au minimum, mais comme des instruments tout à fait légitimes
et utiles qui permettent de concrétiser les buts qu’une société se donne. Ces règles constituent
également des limites aux comportements égoïstes de certains individus lorsque ceux-ci ne cadrent
pas avec les buts que la société se donne. L’individu est considéré comme un citoyen avant d’être un
agent économique. En sa qualité de citoyen, il doit se soucier de ce qu’il a en commun avec les autres
membres de la société et faire prévaloir l’intérêt public sur ses intérêts privés. Son émancipation
individuelle est importante, mais son salut n’est possible que dans le cadre d’un contrat social où
chacun doit avoir l’égale possibilité de s’émanciper. Il faut vouloir pour soi ce qui est souhaitable
pour tous. Les libertés individuelles ne sont pas plus importantes que les valeurs d’égalité. Les
interventions de l’État sont requises pour assurer la compatibilité entre les droits et libertés individuels

213
Id., p. 262.
214
Id.
215
Id.

75
« et le respect de ces principes indispensables à la réalisation de l’intérêt général que sont, selon la
devise républicaine [française], l’égalité et la fraternité »216. L’État jouit d’une indépendance vis-à-
vis des intérêts conflictuels de la société civile et il agit en quelque sorte comme le fiduciaire du
contrat social qui exprime la volonté générale des citoyens. C’est comme si ceux-ci l’avaient
préalablement mandaté afin de mettre en œuvre leur dessein collectif. À ce titre, ses interventions
sont légitimes et souhaitables. L’État doit être investi de la capacité et de l’autorité requise pour mettre
en œuvre ce que renferme le contrat social. D’autre part, pour que les citoyens puissent participer à
l’élaboration du contrat social auxquels ils sont parties et au renouvellement continu de celui-ci,
encore faut-il qu’ils soient outillés pour délibérer. C’est dans ce contexte que la théorie républicaine,
« héritière du courant volontariste »217, exige de l’État qu’il intervienne de manière à doter les
individus non seulement d’une égalité en droits mais aussi de leur permettre d’avoir accès aux mêmes
moyens de compétition218. Sans cela, les citoyens ne pourraient pas consentir librement et
rationnellement aux règles de vie qu’ils se donnent. Sous cet angle, le rôle de l’État ne consiste pas à
protéger les droits et libertés individuels en permettant aux membres d’une société de disposer d’eux-
mêmes comme bon leur semble, mais plutôt de concevoir et mettre en œuvre les conditions
nécessaires pour que les individus puissent disposer d’eux-mêmes librement.

À la lumière de ces caractéristiques fondamentales qui divisent les deux conceptions de


l’intérêt public, nous pouvons nous interroger sur la façon dont celles-ci sont susceptibles de se
manifester concrètement lorsqu’il s’agit de les appliquer dans un domaine précis. Puisqu’il s’agit du
sujet qui nous intéresse tout particulièrement, prenons quelques instants pour imaginer les contours
d’un cadre normatif qui serait applicable aux contrats publics d’un État selon que celui-ci est
caractérisé par une vision utilitariste ou volontariste de l’intérêt public.

Fort des théories des différents auteurs étudiés précédemment, nous pourrions avancer que
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État pourrait ressembler à ce qui suit dans un environnement
politique caractérisé par la pensée utilitariste : libéralisation et ouverture des marchés afin de stimuler
la libre concurrence; objectivation des critères de sélection permettant de choisir les cocontractants
de l’État; possibilité pour l’ensemble des parties prenantes d’intervenir à tous les stades du cycle de
vie d’un projet public afin d’influencer le contenu du contrat; encadrement axé sur l’efficacité des
moyens – sur le processus contractuel - plutôt que sur les finalités de la commande publique;

216
Id., p. 263.
217
Id., p. 262.
218
Jean-Fabien SPITZ, Le moment républicain en France, Paris, Gallimard, 2005.

76
prévalence de normes économiques ou budgétaires sur les normes sociales et politiques. Comme
l’explique Jacques Chevallier, la conception « utilitariste, dominante dans la pensée anglo-saxonne,
fait de l’intérêt général un intérêt commun, produit de l’ajustement spontané des intérêts particuliers
: la confrontation de ces intérêts sur le marché suffirait pour le dégager ; le rôle de l’État serait
seulement de créer le cadre indispensable pour permettre à tous les intérêts de s’exprimer »219. Ce
cadre « indispensable » auquel il réfère, pourrait par exemple prendre la forme d’un modèle
concurrentiel ayant pour objectif principal d’accorder à chacun le droit de participer également aux
contrats publics. L’idée serait alors de proscrire toute discrimination visant à réduire l’entrée des
concurrents sur le marché des contrats publics.

À l’opposé, nous pourrions imaginer que l’exercice du pouvoir contractuel de l’État selon
une approche volontariste de l’intérêt public pourrait comporter les caractéristiques suivantes : cadre
normatif permettant aux contrats publics d’être élaborés conformément à la volonté générale des
citoyens visés par les projets; relativisation des critères de sélection permettant de choisir les
cocontractants de l’État; possibilité pour les citoyens d’intervenir au stade de la conception des projets
publics – l’Administration publique se chargeant de mettre en œuvre la volonté exprimée par ceux-
ci; encadrement axé sur les finalités de la commande publique et assujettissement du processus
contractuel à ces finalités; prévalence des normes sociales et politiques sur les normes économiques.
Enfin, comme le résume Jacques Chevallier, la conception « volontariste conçoit en revanche l’intérêt
général comme un intérêt public, résultant du dépassement des intérêts particuliers tels qu’ils
s’expriment sur le marché : expression de la volonté générale des citoyens, animés par le souci du
bien public, il serait d’essence différente et l’État en serait le traducteur et le garant »220. Dans cette
perspective, l’on peut imaginer que l’État préfère des modes de sollicitation et d’attributions des
contrats publics axés sur le développement d’une relation de confiance avec ses cocontractants plutôt
que sur un modèle concurrentiel.

Dans un article traitant des liens entre le républicanisme et la démocratie délibérative dans la
pensée d’Émile Durkheim, Yves Sintomer dresse un excellent portrait de ce à quoi ressemble
l’exercice des pouvoirs publics selon une conception de l’intérêt public inspirée du républicanisme

219
J. CHEVALLIER, préc., note 172.
220
Id.

77
classique (qui se situe dans la lignée du volontarisme) et du néorépublicanisme moderne (qui se situe
plus près du volontarisme tout en entretenant certains liens avec l’utilitarisme) :

[I]l s’agit bien de définir un équilibre permettant d’assurer la communication entre le


système politique et les citoyens tout en préservant la délibération étatique des influences
excessives de l’opinion. Comme le dit un député, “on n’administre bien que de près”
mais “on ne gouverne bien que de loin”, car “dans une bonne gestion démocratique, la
distance permet d’éviter de confondre l’expression des intérêts particuliers avec l’intérêt
général et de ne pas céder aux pressions conjoncturelles” [Jean Espilondo, député
socialiste, CR de la 2e séance du 14/06/01] Si les fractions les plus conservatrices du
républicanisme insistent surtout sur la distance, les tendances modernisatrices, alarmées
par la crise “anomique” de légitimité provoquée par la communication trop faible entre
l’État et la société, insistent quant à elles sur la communication qu’est censée favoriser
la proximité et proposent la création d’instances permettant de l’incarner.221

À la lumière de ce passage, l’on constate qu’il est également possible de trouver des voies de
passage entre des conceptions purement volontariste et utilitariste de l’intérêt public. Il y a en effet
des tendances plus « modérées » dans la pensée utilitariste qui ne récuse pas complètement le rôle de
l’État dans l’organisation des affaires communes de la société. Et il y a aussi une version plus
« modérée » de la tradition volontariste, qui entretient certainement des liens étroits avec le
néorépublicanisme d’un Philip Pettit222 ou d’un Jean-Fabien Spitz223, et qui ne rejette pas l’importance
d’assurer l’autonomie politique et les libertés individuelles des membres de la société. Entre ces
courants modérés de l’utilitarisme et du volontarisme, il semble y avoir quelques dénominateurs
communs avec le concept de démocratie délibérative auquel Yves Sintomer fait référence dans
l’article précité.

221
YVES SINTOMER, « Émile Durkheim, entre républicanisme et démocratie délibérative », (2011) 2-4
Sociologie 405, 412.
222
Philip PETTIT, Républicanisme : une théorie de la liberté et du gouvernement, traduit par Jean-Fabien SPITZ
et Patrick SADIVAN, Paris, Gallimard, 2004.
223
J.-F. SPITZ, préc., note 227.

78
Paragraphe III – L’influence du contexte économique, social et politique sur la
conception de l’intérêt public

A – La libéralisation des marchés et la libre concurrence

La fin des années 80 constitue la « période qui marque le début de la fin de l’ère de
l’indépendance normative des organismes publics »224 C’est l’époque où le gouvernement du Québec,
comme bien d’autres en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde, conclut des ententes afin de
libéraliser son marché. L’objectif des accords intergouvernementaux est de permettre aux entreprises
des territoires visés par ces ententes de pouvoir accéder à l’ensemble des contrats publics – du moins
ceux qui présentent une certaine importance du point de vue financier – et de générer ainsi une plus
grande concurrence sur le marché. Les fruits escomptés sont importants. D’une part, les
gouvernements se réjouissent à l’idée que les entreprises et les employés de ces dernières puissent
maintenant accéder à de plus grands marchés. Cela risque de stimuler l’économie, d’encourager
l’innovation, de créer de nouveaux emplois et d’augmenter l’indépendance des entreprises face aux
aléas d’une seule économie. D’autre part, les organismes publics, surtout lorsque les besoins qu’ils
cherchent à combler sont complexes et nécessitent une expertise particulière, auront accès à un plus
grand bassin de fournisseurs. Par le jeu de la concurrence, ils devraient normalement avoir accès à
des prix plus compétitifs et à des prestations de meilleure qualité.

La Conférence fédérale-provinciale des premiers ministres sur l’économie, laquelle s’est


tenue en novembre 1987, a marqué le début d’une action concertée de la part des provinces
canadiennes pour diminuer progressivement les obstacles liés au commerce interprovincial. Cette
conférence a mené à la conclusion, le 14 décembre 1990, de l’Accord intergouvernemental sur les
marchés du secteur public225, lequel a été remplacé en 1994 par l’Accord sur le commerce intérieur
(ci-après « ACI »)226. Différents protocoles de modification ont ensuite été adoptés et intégrés à
l’ACI, ayant pour effet d’étendre progressivement la portée de celui-ci aux établissements de santé,
aux institutions d’enseignement, aux commissions scolaires, aux municipalités et aux organismes
municipaux. Le 1er juillet 2017, est entré en vigueur l’Accord de libre-échange canadien (ci-après :
« ALEC »), lequel est venu remplacer l’ACI afin de « renforcer et moderniser le commerce

224
P. GIROUX, D. LEMIEUX et N. JOBIDON, préc., note 49, p. 27.
225
Accord intergouvernemental sur les marchés publics du secteur public, Conférence fédérale-provinciale, 14
décembre 1990.
226
Accord sur le commerce intérieur, 18 juillet 1994, en ligne : <https://www.ait-aci.ca/category/canadian-free-
trade-agreement/>.

79
intérieur »227. Les provinces, les territoires et le fédéral sont parties à cette entente. Le premier article
de l’ALEC énonce ses objectifs en ces termes :

Les Parties souhaitent réduire et éliminer, dans la mesure du possible, les obstacles à la
libre circulation des personnes, des produits, des services et des investissements à
l’intérieur du Canada, et établir un marché intérieur ouvert, efficient et stable. Les Parties
reconnaissent et conviennent que l’accroissement du commerce, de l’investissement et
de la mobilité de la main-d’œuvre à l’intérieur du Canada contribuerait à la réalisation
de cet objectif. 228.

En parallèle, des négociations bilatérales entre le Québec et les gouvernements du Nouveau-


Brunswick, de l’Ontario et de l’État de New York ont donné lieu à la signature de différents accords
visant à faciliter la mobilité de la main-d’œuvre sur les territoires concernés à rendre encore plus
accessibles les contrats publics, notamment par la publication en ligne des appels d’offres de
différents organismes publics ayant des activités sur ces territoires229.

En adhérant à l’Accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (ci-
après : l’ « AMP-OMC »), a accepté de donner accès à ses contrats publics à l’ensemble des pays
signataires de l’AMP-OMC230. Les règles de cet accord s’appliquent « aux ministères et organismes
budgétaires du Québec ainsi qu’à l’Agence du revenu du Québec et à l’Institut national d’excellence

227
« Accord de libre-échange canadien (ALEC) - Secrétariat du Conseil du trésor », en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-gestion-contractuelle/accords-de-
liberalisation/textes-des-accords/accord-de-libre-echange-canadien-alec/> (consulté le 3 août 2018).
228
Accord de libre-échange canadien, 7 avril 2017, p. art. 100, en ligne : <https://www.cfta-alec.ca/accord-de-
libre-echange-canadien-
2/?lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang
=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr&lang=fr>.
229
Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario, 1er octobre 2009, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-gestion-contractuelle/accords-de-
liberalisation/textes-des-accords/accqo/>; Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et du
Nouveau-Brunswick, 3 octobre 2008, en ligne : <https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-
normatif-de-la-gestion-contractuelle/accords-de-liberalisation/textes-des-accords/aqnb2008/>; Accord
intergouvernemental sur les marchés publics entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de l’État de
New York, 30 octobre 2001; Entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de l’Ontario sur la
mobilité de la main-d’œuvre et la reconnaissance de la qualification professionnelle, des compétences et des
expériences de travail dans l’industrie de la construction, 2 juin 2006, en ligne :
<https://www.labour.gov.on.ca/french/jpo/pubs/agreement/index.php>.
230
Il s’agit des pays suivants : Le Canada, l’Arménie, la république de Corée, les États-Unis, Hong Kong
(Chine), l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, la République de Moldova, le Monténégro, la Norvège, la
Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas pour le compte d’Aruba , Singapour, Taipei, l’Ukraine et les pays membres de
l’Union européenne. Voir l’Accord sur les marchés publics de l’OMC, 6 avril 2014, en ligne :
<https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/rev-gpr-94_01_f.htm>.

80
en santé et en services sociaux pour les contrats d’approvisionnement et de services à partir d’un seuil
de 604 700 $ et pour les contrats de travaux de construction à partir d’un seuil de 8,5 M $. »231.

Plus récemment, le Québec a également dû donner accès à ses contrats publics aux
fournisseurs des pays membres de l’Union européenne, le tout conformément aux obligations
souscrites par le Canada lors de la signature de l’Accord économique et commercial global entre le
Canada et l’Union européenne (ci-après : « AECG »)232. La portée de cet accord est très large : « Les
ministères, les organismes publics, les établissements des réseaux de l'éducation, de la santé et des
services sociaux ainsi que les sociétés d’État sont assujettis à l'accord et tous les biens et toutes les
catégories de travaux de construction sont visés. Un nombre significatif de services sont aussi visés,
notamment, les services d'ingénierie et d'architecture »233. Les seuils d’application varient de 365 700
$ pour les biens et les services à 9 100 000 $ pour les travaux de construction. Il est prévu que ces
seuils soient révisés aux deux ans afin de tenir compte des variations du taux de change. Certains
secteurs sont exemptés de l’application de cet accord au Québec, comme les services juridiques et la
recherche et le développement.

Le 10 mai 2018, la Loi édictant la Loi concernant la mise en œuvre de l’Accord de libre-
échange canadien et visant la conformité des mesures relatives aux contrats des organismes publics
avec cet accord, l’Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario et l’Accord
économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et ses États membres234 a
été sanctionnée par l’Assemblée nationale du Québec. Cette loi vise à harmoniser la législation
québécoise en matière de contrats publics avec les différents accords de libre-échange auxquels le

231
« Accord sur les marchés publics de l’organisation mondiale du commerce (AMP) - Secrétariat du Conseil
du trésor », en ligne : <https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-gestion-
contractuelle/accords-de-liberalisation/textes-des-accords/amp/> (consulté le 3 août 2018).
232
Accord économique et commercial global entre le Canada et l’union européenne, 30 octobre 2016, en ligne :
<https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-
aecg/text-texte/19.aspx?lang=fra>.
233
« Accord économique et commercial global entre le Canada et l’union européenne (AECG) - Secrétariat du
Conseil du trésor », en ligne : <https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-
gestion-contractuelle/accords-de-liberalisation/textes-des-accords/aecg/> (consulté le 3 août 2018).
234
Loi édictant la Loi concernant la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange canadien et visant la
conformité des mesures relatives aux contrats des organismes publics avec cet accord, l’Accord de commerce
et de coopération entre le Québec et l’Ontario et l’Accord économique et commercial global entre le Canada
et l’Union européenne et ses États membres, LQ 2010, c. 10.

81
Québec est partie directement ou par l’entremise du fédéral. Cette loi vient concrétiser les
engagements pris par le Québec envers les signataires de ces ententes.

La philosophie sous-jacente à l’ensemble de ces accords est de stimuler l’économie en


favorisant la libre concurrence. Pour les tenants du libre-échange, le fait de faire tomber les barrières
commerciales entre les États favorise la croissance économique et permet d’éviter les grandes
dépressions. L’économiste britannique David Ricardo, considéré par plusieurs comme le père des
théories associées au libre-échange, a insufflé l’idée qu’il est profitable de favoriser les échanges, en
raison du principe des avantages comparatifs qui peut se résumer comme suit :

Les pays gagnent à l’échange car celui-ci, en autorisant une division internationale du
travail, conduit à une utilisation optimale des ressources de chacun. En situation de libre-
échange, chaque pays doit tendre naturellement à se spécialiser dans les secteurs où les
coûts d’opportunité de la production sont faibles relativement aux pays partenaires, et
donc exporter ces biens et importer les autres. Dans ces conditions, l’ouverture aux
échanges doit provoquer de puissants mouvements de spécialisation industrielle, générer
d’importants coûts de restructuration et accroître les inégalités entre les détenteurs de
facteurs utilisés dans les secteurs exportateurs et ceux possédant les facteurs employés
dans les secteurs concurrents des importations.235

Petit à petit, cette idée de favoriser le libre-échange a fait son chemin et le désir de favoriser
un commerce international sans frontières a gagné de plus en plus d’adeptes dans les milieux
politiques. Des organisations comme l’OMC sont nées afin de se consacrer à cette mission. La
libéralisation des marchés s’est progressivement étendue du secteur privé au secteur public, gagnant
progressivement le domaine des contrats publics236.

Quant aux moyens nécessaires pour permettre au libre-échange de se concrétiser de façon


complète et efficace, des règles du jeu ont dû être élaborées. Ces règles se sont construites dans un
contexte où les gouvernements étaient de plus en plus tentés de s’en remettre au marché pour assurer
la prospérité et la liberté de leurs citoyens. Comme le souligne le philosophe Michael Sandel, à partir
de la fin des années 80, « le marché et la doctrine du libre-échange ont joui d’un prestige incomparable

235
Matthieu CROZET, « Commerce et géographie : la mondialisation selon Paul Krugman », (2009) 119-4 Revue
d’économie politique 513, 515. Voir l’ouvrage David RICARDO, Des principes de l’économie politique et de
l’impôt: édition anglaise de 1821, traduit par Cécile SOUDAN, Paris, Flammarion, 1992.
236
Voir notamment : Paul EMANUELLI, « Going global: open public procurement drives change in government
business », Summit: Canada’s magazine on public sector purchasing (2009); Christopher MCCRUDDEN, Buying
social justice : equality, government procurement, and legal change, New York, Oxford University Press, 2007,
p. 95 et ss.

82
pour des raisons tout à fait compréhensibles : aucune autre méthode d’organisation de la production
et de distribution des biens n’avait réussi à engendrer une abondance et une prospérité
équivalentes »237.

L’encadrement contemporain des contrats publics a été pensé en fonction de ces prémisses.
Dans un article où il plaide pour une concurrence plus féroce dans le secteur des contrats publics
québécois, le chercheur en économie et en science politique Christian Bordeleau explique bien
comment la vision classique de l’économie, laquelle est caractérisée par une vision du marché qui se
rééquilibre constamment en générant un ajustement réciproque entre l’offre et la demande
(l’equlibrium), est censée permettre aux meilleures entreprises, celles qui sont les plus productives et
les plus innovantes, de rester en vie. Suivant cette conception classique de l’économie, « l’appel de
soumissions présenté au marché permettrait d’obtenir les biens et les services les plus efficaces
(qualité comprise) et les plus efficients au meilleur prix possible – celui établi par le profit normal de
l’entreprise »238

Il ajoute que cette vision selon laquelle les appels d’offres publics sont supposés permettre
« d’obtenir les meilleures offres du marché se perpétue dans le discours politique »239 sans que ne soit
véritablement remis en question la prétendue « passivité » des entreprises devant cet équilibre naturel
qui est présenté comme une fatalité sur laquelle elles n’auraient pas d’emprise.

Or, Christian Bordeleau, comme d’autres économistes avant lui qui se sont intéressés à
l’économie comportementale, à l’économie institutionnelle et aux coûts de transactions240, en vient à
la conclusion que la vision classique de l’économie n’est pas fidèle à la réalité étant donné qu’elle est
composée d’individus qui ne sont pas dotés d’une rationalité parfaite. Les individus et les entreprises
qui œuvrent sur le marché ne veulent pas d’une concurrence parfaite. Ils préfèrent engranger des
profits plus importants que les gains « normaux » que leur procurerait une économie en parfait
équilibre : « [l]a concurrence féroce est un mal que toute entreprise tente d’éviter tout comme elle

237
Michael J SANDEL, Ce que l’argent ne saurait acheter: les limites morales du marché, traduit par Christian
CLER, Paris, Seuil, 2014, p. 37.
238
C. BORDELEAU, préc., note 23 à la page 109.
239
Id.
240
Il cite notamment : Matthew RABIN, « Psychology and Economics », (1998) 36-1 Journal of Economic
Literature 11‑46; R. H. COASE, « The Nature of the Firm », (1937) 4-16 Economica 386; Oliver E.
WILLIAMSON, « Transaction-Cost Economics: The Governance of Contractual Relations », (1979) 22-2 The
Journal of Law & Economics 233‑261; Stefano DELLAVIGNA, « Psychology and Economics: Evidence from
the Field », (2009) 47-2 Journal of Economic Literature 315‑372.

83
tente d’éliminer la concurrence »241. Cela donne lieu à la collusion, à la corruption, à la création de
monopoles, de duopoles et d’oligopoles.

C’est pourquoi, de l’avis de Christian Bordeleau, il faut tenter à tout prix de se rapprocher de
l’idéal de la vision classique de l’économie et mettre en place des mécanismes susceptibles de
stimuler la concurrence et s’attaquer à toute mesure qui risque d’y porter atteinte. Parmi les mesures
à préconiser, il suggère de relancer tout appel d’offres pour lequel moins de trois entreprises ont
déposé une soumission et de prévoir des critères allégés. Quant aux mesures à éviter, il pointe toute
stratégie ayant pour objectif de renforcer les critères de sélection et d’évaluation des aspirants
cocontractants.

Les idées qui s’inscrivent dans le sillage des positions défendues par Christian Bordeleau sont
celles qui ont inspiré le législateur québécois lors de l’élaboration des règles qui encadrent les contrats
publics. Les travaux parlementaires entourant l’adoption du principal texte de loi encadrant l’activité
contractuelle québécoise, la LCOP, montrent bien que celle-ci a été adoptée notamment dans un
objectif d’harmonisation des procédures d’appel d’offres québécoises avec les accords de
libéralisation auxquels était partie le Québec242. Les principes directeurs243 autour desquels ont été
élaborées les différentes règles contenues dans la LCOP sont forgés sur les lignes directrices des
différentes organisations internationales qui ont pour objet de promouvoir l’ouverture des marchés et
l’amélioration de conditions de concurrence en lien avec les contrats publics244.

Traitant de la situation au sein de l’Union européenne, la professeure Diane Deom et le


Conseiller d’État Pierre Nihoul résument bien les principes qui ont animé les législatures lorsqu’elles
ont eu à se pencher sur l’encadrement de ce secteur d’activités : « L'appel à la concurrence et la
garantie de l'égalité entre entreprises sont censés produire ipso facto les meilleurs résultats en termes

241
C. BORDELEAU, préc., note 23 à la page 111.
242
Loi sur les contrats des organismes publics, projet de loi n°17 (présentation - 11 mai 2006), 2e sess., 37e
légis. (Qc).: « Le projet de loi établit des seuils d'appel d'offres public harmonisés avec les accords de
libéralisation des marchés publics conclus par le Québec »; Loi sur les contrats des organismes publics, projet
de loi n°17 (adoption - 15 juin 2006), 2e sess., 37e légis. (Qc).: « Bien sûr, nous garantissons les règles
garantissant le respect des accords de libéralisation. »
243
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 251.: « Le projet de loi consacre certains principes
fondamentaux comme la transparence dans les processus contractuels, le traitement intègre et équitable des
concurrents et la reddition de comptes fondée sur l'imputabilité des dirigeants d'organismes publics et sur la
bonne utilisation des fonds publics. »
244
Voir par exemple le texte de l’Accord sur les marchés publics de l’OMC, préc., note 239.qui énonce des
principes visant à favoriser la non-discrimination entre les concurrents et la transparence dans les appel d’offres.

84
de performance et de satisfaction du pouvoir adjudicateur “consommateur” »245. Le fait de réduire
« autant que possible les contraintes pouvant entraver la participation des entreprises étrangères aux
marchés publics »246 fait même office de bonne pratique pour combattre la collusion dans le cadre des
activités contractuelles publiques.

Cette vision de l’économie axée sur la libre concurrence et l’absence d’interférences


« politiques » s’est accompagnée d’une libéralisation des marchés et d’une élimination des obstacles
de tous genres pour créer un environnement mondial qui soit le plus propice possible à la mobilité
des biens, des services, des capitaux et des personnes. Ces circonstances ont contribué à emprisonner
les organismes publics dans un carcan normatif où la compétition fondée sur le prix structure tout le
reste. S’il y a bien un ingrédient idéal pour réussir une telle entreprise dans le cadre d’un marché
mondial des contrats publics, c’est bien de recourir au prix pour faire jouer la concurrence. Il s’agit
du dénominateur commun par excellence. L’apparente objectivité et neutralité du prix en fait un
étalon de mesure parfait pour éviter toute discrimination entre les compétiteurs et un traitement
équitable de ceux-ci, deux prérequis pour que puisse jouer une saine concurrence sur un marché.
D’autre part, s’il est bien un critère qui soit universellement comparable, c’est bien le prix.

Il nous semble tout à fait naturel de dire du processus de libéralisation des marchés qu’il est
empreint d’une logique utilitariste, celle-ci constituant « une doctrine universaliste [en ce sens que
l’utilitarisme] tient compte dans une égale mesure des préférences et de la situation de chaque membre
de l’espèce humaine, quels que soient son sexe, sa race ou son rang »247.

L’Union européenne, en procédant à une libéralisation quasi complète des contrats publics
sur son territoire, constitue un exemple très intéressant de ce qui peut se produire sur le plan pratique.
Dans un article portant les contrats publics européens, Diane Deom et Pierre Nihoul expliquent que
la conception essentiellement budgétaire du droit des contrats publics jumelée « aux principes
d’égalité et de non-discrimination qui imprègnent le droit européen, lesquels impliquent de manière
générale que les soumissionnaires et les produits doivent se trouver sur un pied d’égalité à tous les

245
Diane DEOM et Pierre NIHOUL, « Les marchés publics : concurrence, transparence et neutralité », (2006) 36-
4 Revue générale de droit 801, 807.
246
Il s’agit d’une recommandation de l’OCDE. Voir : ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUES, préc., note 24, p. 6.
247
C. ARNSPERGER et P. VAN PARIJS, préc., note 187, p. 18.

85
stades de la procédure d’attribution d’un marché public »248 ont rendu pratiquement impossibles les
initiatives des pouvoirs adjudicateurs visant à intégrer des préoccupations environnementales,
éthiques ou sociales dans les modes d’adjudication des contrats publics. Ils expliquent toutefois que
cette tendance toutefois évoluée « sous l'impulsion de la jurisprudence de la Cour de Justice des
Communautés européennes, mais aussi et surtout des États membres de l'Union européenne »249 ce
qui a eu pour effet d’autoriser progressivement ce qu’il convient d’appeler des « clauses sociales »
dans les documents d’appel d’offres, étant toutefois entendu que les considérations « non
budgétaires » que ce type de clauses véhiculent doivent toutefois – selon le droit européen et
l’interprétation jurisprudentielle dominante – ne pas réduire indument la libre concurrence et garder
intact le principe de non-discrimination entre les soumissionnaires250.

B - La culture de l’efficacité issue de la nouvelle gestion publique

La provenance d’un pouvoir n’est plus garante de sa conformité à l’intérêt public; l’État ne
bénéficie plus de la confiance qui lui a été longtemps accordée et qui incitait à penser que la puissance
publique était présumée incarner la volonté générale. Ce n’est plus parce que le pouvoir exercé
provient de l’État qu’il est de facto légitime. De plus en plus, la puissance publique, pour être légitime
et conforme à l’intérêt public, doit aussi être efficace. Jacques Chevallier explique que cette évolution
du critère de l’efficacité s’est faite de manière concurrente avec la remise en question de l’État-
providence. Évidemment, l’apogée de l’efficacité coïncidera avec l’émergence des principes de la
nouvelle gestion publique ou New Management Public (ci-après « NGP) dans les années 1980. Les
règles de management, lorsqu’elles permettent un meilleur ratio ressources/résultats par exemple,
sont considérées comme des moyens permettant à l’État d’être efficace, de rencontrer cette nouvelle
exigence qui permet de dire si un pouvoir est exercé ou non dans l’intérêt public. Il y aura lieu de
répondre par l’affirmative si ce pouvoir est exercé de façon efficace. Toutefois, ce critère est venu
prendre tellement de place qu’on le confond maintenant avec le concept même d’intérêt public :

[U]ne « culture de la performance », fondée sur le principe de la “gestion par les


résultats” gagnera ainsi progressivement tous les pays, dont la France au cours des
années 2000, reléguant le thème de l’intérêt général aux oubliettes. Relayant le thème
de l’intérêt général, l’efficacité est ainsi devenue le nouveau principe axiologique appelé

248
D. DEOM et P. NIHOUL, préc., note 254, 824. Sur le même sujet, les auteurs réfèrent également à Pierre
NIHOUL, « Les marchés publics dans l’Union européenne 2001-2002 », Journal de droit européen 2003.264,
264.
249
D. DEOM et P. NIHOUL, préc., note 254, 825.
250
Voir notamment l’analyse de la jurisprudence européenne dans C. MCCRUDDEN, préc., note 245.

86
à guider l’action publique. La promotion de cette rationalité de type managériale ne
pouvait manquer de toucher à la question du droit applicable à la gestion publique : elle
a conduit à infléchir en profondeur les équilibres du droit administratif, toutes les
catégories de ce droit ayant été remodelées au nom de l’impératif d’efficacité et le
contrôle juridictionnel ayant été amené à intégrer cette perspective nouvelle.251

La NGP est devenue une théorie dominante à partir des années 80 et a inspiré nombre des
réformes administratives dans l’ensemble des pays occidentaux et ailleurs252. Grâce à « cette nouvelle
conception de la gestion publique, axée sur la performance et visant à un meilleur usage »253,
l’efficience administrative, la reddition de comptes, la concurrence entre les différents services
publics, sont devenus des préceptes fondamentaux des gestionnaires de l’Administration publique.
L’influence d’une rationalité « managériale » sur l’administration publique a conduit à une profonde
remise en question de la rationalité légale sur laquelle reposait traditionnellement l’action
gouvernementale254. L’accent mis sur l’efficience a toutefois occulté certains principes démocratiques
fondamentaux qui étaient auparavant au cœur d’une administration publique plus près du modèle
webérien de l’État, lesquels valorisaient davantage « [l]es impératifs du contrôle démocratique, de
l’imputabilité et de la responsabilité, qui sont par ailleurs les fondements du professionnalisme et de
l’éthique des fonctionnaires, primeront sur les impératifs de l’efficience mise en avant par le modèle
marchand et de « démocratisation » promise par la « nouvelle gouvernance »255.

Pour certains, la croissance des partenariats publics-privés, qui sont parfois confondus avec
les contrats publics256, est l’une des conséquences de la popularité de la NGP. Selon cette perspective,
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État n’est pas seulement exposé à l’influence de la NGP, il en

251
J. CHEVALLIER, préc., note 54 à la page 87. Les italiques sont de nous.
252
Le programme de ces réformes consiste à « réinventer le gouvernement » de manière à rénover le modèle
bureaucratique coûteux, lent et rigide qui caractérise les administrations publiques par un modèle plus
entrepreneurial et plus compétitif. Ce programme est décrit dans les moindres détails dans l’ouvrage phare de
Osborne et Gaebler : David OSBORNE et Ted GAEBLER, Reinventing government : how the entrepreneurial
spirit is transforming the public sector, Reading, Massachusetts, Addison-Wesley Pub. Co, 1992.
253
Jacques CHEVALLIER et Luc ROUBAN, « Introduction. La réforme de l’État et la nouvelle gestion publique:
mythes et réalités », (2003) 105‑106-1 Revue française d’administration publique 7, 9.
254
Jacques CHEVALLIER et Danièle LOSCHAK, « Rationalité juridique et rationalité managériale dans
l’administration française », Revue française d’administration publique 1982.24.679.
255
Calliope SPANOU, « Abandonner ou renforcer l’état webérien ? », (2003) 105‑106-1 Revue française
d’administration publique 109, 109.
256
En sciences de l’administration, les contrats publics sont généralement considérés comme une forme de
partenariat public-privé (ci-après : « PPP »). Il est donc important de se référer à la littérature portant sur les
PPP pour bien comprendre la dynamique managériale des marchés publics. La typologie offerte par le
professeur Mazouz permet de ranger les PPP à l’intérieur de quatre grandes catégories : « circonstanciels,
élémentaires, symbiotiques et prospectifs ». Les contrats publics, au sens juridique du terme, peuvent être
facilement associées à chacune de ces catégories : Bachir MAZOUZ, « Partenariat public-privé », dans Le
Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, Québec, École nationale d’administration publique.

87
est aussi l’expression257. Ce qui est visé ici, c’est la logique derrière la décision d’un État de recourir
au privé pour combler certains besoins. Alors que les partenariats publics-privés étaient surtout
envisagés comme le moyen de combler un besoin à l’aide d’une expertise ne relevant pas des
fonctions traditionnelles de l’Administration publique, ceux-ci ont désormais pour objectif de
remplacer l’Administration publique dans l’accomplissement de certaines fonctions, en raison de la
plus grande efficacité des acteurs privés.

La NGP a fait son apparition sous l’impulsion des différentes variantes de la théorie du choix
rationnel, lesquelles postulent que les agents d’un système économique font des choix rationnels en
fonction de ce qui leur semble le plus avantageux du point de vue de leurs préférences personnelles.
Selon cette perspective, les individus sont guidés par une logique coûts-bénéfices et adaptent leurs
comportements en fonction des résultats qu’ils espèrent tirer, d’un point personnel, de chaque
situation. Cette façon d’envisager la conduite humaine s’inscrit directement dans la ligne de pensée
de l’utilitarisme qui cherche à maximiser le bien-être global d’une société en faisant le calcul des
plaisirs/déplaisirs auxquels s’exposent les individus qui la composent. Bien que la théorie du choix
rationnel ait d’abord été développée sous l’égide des sciences économiques, plusieurs théoriciens
issus d’autres disciplines l’ont intégrées à leurs cadres d’analyse. Gary Becker, l’un des penseurs les
plus importants de cette théorie, défend la position suivant laquelle il est possible d’appliquer
l’approche économique du choix rationnel dans toute discipline qui s’intéresse aux comportements
humains258. Par exemple, pour Becker, le crime commis par un individu n’est pas le fruit de sa
déviance, mais plutôt le résultat d’un arbitrage auquel il a préalablement procédé dans son for intérieur
et qui met en balance la satisfaction et les avantages conférés par l’acte criminel ainsi que les risques
et inconvénients qui y sont associés. L’approche beckérienne ramène l’analyse de tout type de
comportements à un calcul coûts-bénéfices : « Là où sociologues, psychologues et anthropologues
voient, généralement, de la morale, des normes et pressions sociales, des forces culturelles, l’approche
beckérienne revient à tout ramener à des préférences individuelles »259.

257
Biljana RAKI et Tamara RADENOVIC, « Public-Private Partnerships as an instrument of New Public
Management », (2011) 8-2 Facta Universitas 207‑220.
258
Gary S BECKER, The economic approach to human behavior, 1990, en ligne :
<http://site.ebrary.com/id/10991177> (consulté le 5 août 2018).
259
Julien DAMON, « Gary Becker - L’individu calculateur », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines
2013.30.27, par. 2.

88
La théorie du choix rationnel et ses déclinaisons260 n’ont pas épargné les domaines du droit
administratif et de l’Administration publique. Graduellement, l’application des préceptes de ces
théories a eu pour effet de réduire les citoyens à de simples contribuables – ou consommateurs – dont
les attentes envers l’Administration publique se calculent en termes besoins à satisfaire et a eu comme
corolaire que la qualité des services rendus par les agents publics se mesure désormais en termes de
capacité à satisfaire les besoins d’une clientèle qui réfléchit en termes de coûts-bénéfices261. Durant
les années 80, le droit administratif a fait l’objet d’une vive « critique managériale » pour reprendre
l’expression de Jacques Chevallier. Celle-ci « est fondée sur la contradiction qui existerait entre le
droit administratif et l'impératif d'efficacité, auquel l'administration devrait désormais se soumettre »
262
. Référant aux travaux qu’il avait menés au début des années 80 avec Danièle Lochak sur la
rationalité managériale au sein de l’administration publique, il ajoute que « L'extension progressive
à l'administration d'une rationalité de type managériale, où l'efficacité prime toute autre considération,
conduit ainsi à la remise en cause de la rationalité juridique sur laquelle elle a été bâti »263.

Dans son article portant sur la gouvernance publique et le droit, Daniel Mockle explique bien
l’influence de la NGP sur la façon dont est envisagée l’Administration publique et sur la façon dont
l’action gouvernementale élabore ses politiques publiques et les moyens auxquels elle recourt pour
ce faire264. Il souligne « [qu’] avant même l’apparition de la nouvelle gestion publique, le discours de
l’efficacité a servi de fondement au management, devenu « science » de la bonne gestion ou de la
gestion efficace »265. Pour le dire de façon illustrée, ce sont d’abord les sciences de l’administration

260
Nous pensons ici en premier lieu à la théorie des choix publics (« Public Choice Theory ») qui considère que
les fonctionnaires et les élus sont d’abord et avant tout motivés par leurs intérêts personnels, qu’il s’agisse -
entre autres choses -d’être réélu dans le cas d’un élu ou de rechercher le pouvoir dans le cas d’un fonctionnaire.
« Le public choice, soit la "théorie des choix rationnels appliquée à la politique" ou encore l’analyse économique
de la politique, se définit traditionnellement comme le champ de réflexion dont l’objet est l’utilisation des outils
et de la méthodologie économique pour appréhender les phénomènes politiques ». Alain MARCIANO,
« Repenser l’économie du politique à partir de l’économie politique », (2004) 47-2 Cahiers d’Économie
Politique 69, 69. La théorie des choix publics a également été mise à contribution dans des recherches portant
sur le comportement des électeurs. Voir à ce sujet: James M BUCHANAN et Gordon TULLOCK, The calculus of
consent : logical foundations of constitutional democracy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1962.
261
Voir à ce sujet l’article des professeurs Robert B. Denhardt et Janet Vinzant Denhardt qui explique que la
NGP a valorisé la vision d’une administration publique axée sur la recherche de l’efficacité et plus généralement
sur l’adhésion aux valeurs de l’entreprises privée. Robert B. DENHARDT et Janet Vinzant DENHARDT, « The
New Public Service: Serving Rather than Steering », (2000) 60-6 Public Administration Review 549‑559.
262
Jacques CHEVALLIER, « Le droit administratif entre science administrative et droit constitutionnel », dans Le
droit administratif en mutation, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 11‑40 à la page 29.
263
Id. citant J. CHEVALLIER et D. LOSCHAK, préc., note 263.
264
Daniel MOCKLE, « La gouvernance publique et le droit », (2006) 47-1 Les Cahiers de droit 89.
265
Id., 103. Il ajoute que la NGP est souvent présentée en faisant abstraction de toute analyse contextuelle
propre aux cultures politique, administrative et organisationnelle qui peuvent varier considérablement d’un

89
qui ont été « atteintes » par le syndrome de l’efficacité et puisque le management, une branche des
sciences de l’administration, s’est mis à fréquenter de plus en plus le droit administratif, celui-ci a été
« contaminé » par le syndrome de l’efficacité. L’Administration publique, vue comme le
regroupement de plusieurs organisations, doit elle aussi être gérée efficacement selon les tenants de
la NGP. Pour ce faire, les techniques d’organisation traditionnellement utilisées au sein des
entreprises privées font progressivement leur apparition dans la sphère publique. Ces techniques ont
pour dénominateur commun qu’elles visent toutes à rendre l’Administration publique plus efficace,
car dorénavant, les administrations publiques de partout dans le monde sont vues comme des
fournisseurs de biens et de services et elles se doivent d’être compétitives pour permettre à l’État dont
elles font partie de pouvoir rivaliser avec les autres nations dans cette grande course du plus efficace.
Évidemment, les problèmes engendrés par une telle transformation de l’Administration publique
seront vite soulignés et les réformes amorcées tenteront d’introduire une plus grande prise en compte
de la culture spécifique qui caractérise l’Administration publique en tant qu’institution spécifique,
mais comme le souligne Daniel Mockle, l’objectif de ces réformes va demeurer malgré tout centré
sur la recherche d’une plus grande efficacité. Or, le problème – ou le défi - est qu’il s’agit d’une
approche « fort éloignée de la « conception juridique », où même dans le monde anglo-américain,
l’administration publique reste une institution spécifique régie par d’autres impératifs que l’efficacité,
notamment la régularité, la transparence, l’équité, l’éthique, la déontologie et la légalité »266.

Les contrats publics, en tant qu’activité de l’Administration publique entretenant des liens
étroits avec le secteur privé, étaient en quelque sorte déjà très exposés à une certaine influence des
valeurs plus spécifiques de l’entreprise privée267. Ce contexte, jumelé à l’émergence de la NGP, a
donné lieu à une valorisation évidente du précepte de l’efficacité. Celui-ci guide de bout en bout
toutes les étapes des projets publics qui font l’objet des contrats publics. L’efficacité, particulièrement
l’efficacité budgétaire, influence chacune des étapes du cycle de vie d’un projet public, qu’il s’agisse
de la conception, de l’exécution ou de l’évaluation du projet268. La modernisation managériale de

système politique à l’autre. Il cite notamment la seconde édition de l’ouvrage de Christopher Pollitt et de Geert
Bouckaert, réédité depuis, qui identifie bien les lacunes de la NGP sur le plan scientifique : Christopher POLLITT
et Geert BOUCKAERT, Public management reform: a comparative analysis, 2e éd., Oxford, Oxford University
Press, 2004.
266
D. MOCKLE, préc., note 273, 104.
267
C’est d’ailleurs ce qui en fait l’activité de l’administration publique la plus exposée aux risques de corruption
selon l’ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, préc., note 15. Voir aussi
Susan ROSE-ACKERMAN, « Corruption in Procurement and Privatization », dans Bonnie J. PALIFKA et Susan
ROSE-ACKERMAN (dir.), Corruption and Government: Causes, Consequences, and Reform, 2e éd., Cambridge,
UK, Cambridge University Press, 2016, p. 93‑125.
268
Bachir MAZOUZ, « Les aspects pratiques des partenariats public-privé. De la rhétorique néolibérale... aux
enjeux, défis et risques de gestion des PPP. », Revue française d’administration publique 2009.2.215.

90
l’appareil gouvernemental a été guidée dès le départ par « l’optimisation des ressources de l’État sans
réelle prise en charge des autres dimensions de l’organisation publique. La gestion par objectifs a été
la réponse logique aux préoccupations d’efficience des unités administrative (sic) »269. Or,
l’importance de la gestion par résultats au sein des différentes activités de l’administration publique,
dont celles qui ont trait à l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, tend à favoriser une définition
de la valeur des projets publics selon des paramètres axés sur l’atteinte de cibles quantifiables, mettant
ainsi à l’avant-plan des variables telles que le budget et les échéances.

Les recherches menées par Vincent Helfrich et Fanny Romestant sur « le degré de
compatibilité entre les enjeux développement durable et l’utilisation des achats publics au sein des
marchés de l’Union Européenne »270 démontrent qu’il est difficile pour les gestionnaires de
concrétiser des objectifs sociaux tels que le respect de l’environnement dans le contexte où les
institutions, la législation et les pratiques managériales sont dominées par ce que les auteurs nomment
le « paradigme européen de l’efficacité économique »271. Bien que leurs travaux aient été menés à
l’égard des contrats publics européens conclus au sein de l’industrie ferroviaire, nous croyons que les
difficultés rapportées par ces auteurs sont aisément transposables dans le contexte québécois.

Dans un autre d’idées, il importe de préciser que le droit québécois a ceci de particulier qu’il
repose sur un héritage issu à la fois de la tradition civiliste et de la tradition de common law. Pour
résumer les choses, disons simplement que le droit privé est généralement inspiré et organisé selon la
culture juridique civiliste et que le droit public est quant à lui fondé sur culture juridique propre à la
common law. En matière de contrats publics, tout comme en droit administratif, les principes et les
règles qui encadrent l’action gouvernementale tirent leur origine de la common law. Néanmoins, dans
bien des cas, et cela est particulièrement vrai dans le domaine des contrats publics, le législateur
québécois a choisi de codifier ces règles dans des textes de loi. Ainsi, les contrats publics sont régis,
juridiquement parlant, par ce qu’il convient d’appeler un « droit légiféré ».

Mais pourquoi insister sur ces caractéristiques du système de droit québécois à ce stade de
notre analyse où il était question de la NGP ? Parce que certains auteurs ont montré la difficile

269
Bachir MAZOUZ, « Gestion par résultats », dans Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration
publique, Québec, École nationale d’adminstration publique.
270
Vincent HELFRICH et Fanny ROMESTANT, « Achat public et développement durable entre compatibilités et
frictions de paradigmes et de pratiques : le cas de l’industrie du transport ferroviaire », (2015) 20-1 Management
International 78.
271
Id. 78

91
coexistence de la NGP et du droit légiféré. Dans ce contexte, il est possible d’anticiper, si ce n’est
déjà fait, un certain effacement du droit légiféré au profit des dispositifs non juridiques de la NGP.
Dans un article où il traite des différentes critiques qui sont adressées vis-à-vis de la conception d’un
droit légiféré, le professeur Pierre Issalys explique bien en quoi celui-ci ne convient pas à ceux qui
défendent une conception néolibérale de l’État, laquelle, nous venons de le voir, entretient des liens
étroits avec la NGP :

La tendance la plus récente de la critique néo-libérale s'efforce de présenter cette thèse


[celle de l’individualisme radical et de l’État dont le rôle est purement négatif] sous un
jour moins passéiste, plus dynamique. Admettant l'impossibilité de faire disparaître
aujourd'hui l'État et son droit législatif, elle propose de le réduire du moins au minimum.
Ainsi pourraient jouer de façon relativement autonome les relations sociales et
économiques. Il en sortirait, pense-t-on, une justice « naturelle », un droit spontané,
essentiellement conventionnel et coutumier, sous le contrôle du juge.272

Le professeur Daniel Mockle, dans un article dont le titre « Gouverner sans le droit » résume
bien l’esprit de la NGP, explique que cette expression « découle du simple constat de la diversification
croissante de mécanismes normatifs qui échappent aux catégories traditionnelles du droit public. Ces
pratiques entretiennent des rapports complexes et nuancés avec le droit positif »273. L’émergence de
ces pratiques qui permettent à l’État de « gouverner sans le droit » découle en bonne partie de
l’apparition de la NGP. Le professeur Mockle souligne qu’il ne faut toutefois pas exagérer
l’importance de ces mécanismes au point de craindre la disparition de l’État de droit. Il s’agit plutôt
d’une reconfiguration dans l’exercice de ses pouvoirs et rien ne l’empêche de tirer profit de ces
nouveaux instruments274. Il n’en demeure pas moins qu’en préférant miser sur des instruments « hors
du droit », la NGP peut avoir des conséquences importantes vis-à-vis de la spécificité du régime
juridique québécois.

272
Pierre ISSALYS, « La loi dans le droit : tradition, critique et transformation », (1992) 33-3 Les Cahiers de
droit 665, 690‑691.
273
Daniel MOCKLE, « Gouverner sans le droit ? Mutation des normes et nouveaux modes de régulation », (2002)
43-2 Les Cahiers de droit 143, 210.
274
Il écrit : « Si l'État de droit ne peut échapper au phénomène contemporain de la démultiplication des règles
et normes en tout genre, la conséquence ultime n'est pas la déperdition du pouvoir de l'État, tout au contraire
[…] L'État, comme d'autres acteurs privés, peut s'accaparer à des degrés divers ce qui semble "hors du droit",
en faire des instruments de pouvoir et en tirer une "plus-value" que ne peut pas lui offrir son propre droit, trop
"classique", trop "moderne", et jamais assez efficace pour satisfaire les attentes des gestionnaires. Cette plus-
value consiste en une simple faculté de préemption pour introduire de nouveaux raffinements dans le choix des
mécanismes, ce qui permet d'accroître sa sphère d'intervention sans être visible en matière de droit positif. Afin
d'être plus "efficace", il peut désormais gouverner sur deux registres différents en répondant encore aux
exigences (de pure forme) de l'État de droit. Id., 210‑211.

92
Sans nous prononcer à ce stade de notre analyse sur le caractère avantageux ou non de cette
transformation dans la façon de gouverner les contrats publics, notons simplement qu’elles suscitent
certaines préoccupations. Prenons simplement l’exemple suivant. Si l’État décide de lier son pouvoir
contractuel à des objectifs de développement durable, doit-il recourir au droit légiféré ou à des
politiques internes ? Les promoteurs de la NGP auront tendance à favoriser la mise en œuvre de ces
objectifs par l’entremise de politiques internes, en raison de la souplesse et du caractère évolutif de
ces mécanismes, mais aussi en raison de la célérité de la démarche lorsqu’on la compare au processus
d’adoption d’un texte réglementaire ou législatif. Par contre, est-ce que ces avantages – à supposer
qu’ils existent véritablement – sont suffisants pour compenser le fait que de telles politiques ne sont
pas contraignantes juridiquement, qu’elles ne sont pas le fruit d’un processus aussi démocratique que
celui qui est censé caractériser l’adoption de textes juridiques et qu’elles sont en principe moins
visibles que le droit légiféré ?

C - L’émergence de certains critères sociaux et environnementaux visant à promouvoir la


responsabilité sociale des cocontractants de l’État

1. L’exemple québécois de la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics

Les scandales révélés dans le cadre de la Commission Charbonneau, conjugués à la grave


crise de confiance qui sévit un peu partout et ici275 ont donné lieu, au Québec, à l’adoption d’une série
de réformes législatives axées sur le thème de l’intégrité276. Parmi elles : la Loi sur l’intégrité en
matière de contrats publics, aussi appelée Loi 1, adoptée à l’unanimité par les membres de
l’Assemblée nationale le 7 décembre 2012277. Cette réforme a donné naissance au nouveau registre
des personnes autorisées à faire affaire avec l’État avec comme corolaire que les personnes physiques

275
Voir rapport de l’ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, How Life ? 2013.
Measuring Well-being, Paris, 2013, en ligne : <<10.1787/9789264201392-en>>. : « Countries’ political capital
has been severely undermined, as today only 40% of citizens in the OECD trust their national governments’ –
the lowest level since 2006. And in countries most affected by the crisis, only between one and three citizens
out of ten trust their governments […] ».
276
Voir notamment Loi prévoyant certaines mesures afin de lutter contre la criminalité dans l’industrie de la
construction, L.Q. 2009, c. 57; Loi concernant la lutte contre la corruption, RLRQ, c. L-6.1; Loi visant à
prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et
apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment, L.Q. 2011, c. 35.
277
Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, L.Q. 2012, c. 25. Celle-ci est entrée en vigueur le même
jour sous réserves de certaines dispositions faisant l’objet de mesures transitoires.

93
et morales désireuses d’obtenir des contrats publics doivent désormais se soumettre à un test
d’intégrité.

Ce nouveau système a été conçu sur la foi de la prémisse suivante : le rétablissement de la


confiance du public passe par l’adoption de nouvelles règles du jeu ayant pour effet de limiter l’accès
aux contrats publics aux seules personnes qui sont en mesure de rencontrer les « exigences élevées
d'intégrité auxquelles le public est en droit de s'attendre (…) »278. Les règles mises en place présentent
une certaine singularité en ce qu’elles créent un régime positif en lieu et place d’une liste noire comme
celle qui prévalait auparavant au Québec et qui existe ailleurs, au sein de l’Union européenne par
exemple279. La particularité de ce régime réside également dans le fait que l’organisme chargé de
délivrer les autorisations de contracter, jusqu’à tout récemment l’Autorité des marchés financiers (ci-
après : l’« AMF »), a été investi d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les personnes
qui requièrent une autorisation satisfont les exigences d'intégrité prévues législativement280. Ce
pouvoir est dorénavant dévolu à l’Autorité des marchés publics (ci-après « : l’AMP »), dont la
mission consiste à « surveiller l’ensemble des contrats publics, notamment les processus
d’adjudication et d’attribution de ces contrats »281 et d’appliquer les différentes règles qui encadrent
l’activité contractuelle des organismes publics au Québec.

Certaines balises, non exhaustives, peuvent guider l’AMP dans l’exercice de son pouvoir
discrétionnaire. Parmi celles-ci, il y a notamment la possibilité pour l’AMP de tenir compte du fait
que « […] l'entreprise […] ait, dans le cours de ses affaires, été déclarée coupable ou poursuivie, au
cours des cinq années précédentes, à l'égard de toute […] infraction de nature criminelle ou
pénale »282. Les infractions et poursuites auxquelles font face les administrateurs, associés, dirigeants,
actionnaires et autres « personnes ou entités qui ont, directement ou indirectement, le contrôle
juridique ou de facto »283 de l’entreprise sont également visées. L’AMP peut également considérer
« le fait que l'entreprise [ou les autres personnes qui viennent d’être mentionnées] a, de façon
répétitive, éludé ou tenté d'éluder l'observation de la loi dans le cours de ses affaires »284, « le fait

278
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.27. À noter que les dispositions de la Loi
1 ont été refondues dans la LCOP.
279
Catherine PREBISSY-SCHNALL, « Corruption dans la commande publique », Juri-classeur contrats et
marchés publics 2010.1.
280
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.27.
281
Loi sur l’autorité des marchés publics, RLRQ, c. A-33.2.1, art. 19.
282
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.28 al. 2 (5).
283
Id., art. 21.28 al. 1.
284
Id., art. 21.28 al. 2 (6).

94
qu'une personne raisonnable viendrait à la conclusion que l'entreprise est la continuité d'une autre
entreprise qui n'obtiendrait pas une autorisation »285, « le fait qu'une personne raisonnable viendrait à
la conclusion que l'entreprise est le prête-nom d'une autre entreprise qui n'obtiendrait pas une
autorisation »286, « le fait qu'il n'y a pas d'adéquation entre les sources légales de financement de
l'entreprise et ses activités »287 ou « le fait que la structure de l'entreprise lui permet d'échapper à
l'application de la présente loi »288.

2. L’utilisation du pouvoir contractuel de l’État à des fins sociales, écologiques et


politiques

Ce régime qui est particulier au Québec s’inscrit dans une mouvance plus globale qui consiste
depuis un certain temps à utiliser le pouvoir contractuel de l’État afin de promouvoir certains objectifs
sociaux (Social Procurement), écologiques (Green Procurement, Sustainable Procurement) et
d’équité (Gender Procurement). Christopher McCrudden, l’un des premiers auteurs à avoir fouillé la
question en profondeur, parle de « linkage » entre le pouvoir contractuel de l’État et les objectifs
sociaux et politiques de celui-ci289.

Cette idée ne date pas d’hier comme le souligne l’historien William J. Novak, mais elle prend
d’autant plus d’importance aujourd’hui. Selon lui, la décentralisation du pouvoir étatique législatif au
profit du pouvoir étatique exécutif implique plus que jamais une réappropriation des principes
inhérents au républicanisme et à la vertu des citoyens. Il en va de même pour l’externalisation de plus
en plus importante des services publics vers le privé. Le privé doit être vertueux et encore plus
lorsqu’il joue le rôle du public.290

285
Id., art. 21.28 al. 2 (7).
286
Id., art. 21.28 al. 2 (8).
287
Id., art. 21.28 al. 2 (9).
288
Id., art. 21.28 al. 2 (10).
289
Dans C. MCCRUDDEN, préc., note 245.l’auteur soutient l’idée qu’il est pertinent de relier le pouvoir
contractuel de l’État à certains objectifs sociaux comme la promotion de la diversité dans l’emploi par exemple
290
« At the beginning of the previous century, progressive and new liberal thinkers worried about the power of
private wealth versus commonwealth and the possibility of a new feudalism built upon new forms of unchecked
private coercion in a moderning world. In response, they reinvigorated older conceptions of republican
government for the general welfare and crafted new instruments of public power to regulate and control private
excess in the public interest. At the beginning of a new century of globalizing capital and a relentlessly
aggrandizing private sphere, their warnings and their remedies might still hold the most important lessons that
America legal and political history can provide. » William J. NOVAK, « Public-Private Governance: A

95
La promotion de certaines valeurs dans le cadre de l’octroi des contrats publics pourrait
inspirer les entreprises et les membres de la société civile en général dans leur façon d’entretenir leurs
relations contractuelles. Autrement dit, les contrats publics offrent la possibilité d’« exporter », dans
la sphère privée, certaines valeurs traditionnellement associées à l’Administration publique (telles
que l’équité, l’imputabilité, la transparence, l’éthique, etc.). Dans l’arrêt Lavigne c. Syndicat des
employés de la fonction publique de l'Ontario291, la question s’est posée de savoir si les activités
privées du gouvernement – « commerciales, contractuelles ou non publiques par nature »292 - étaient
assujetties à la Charte canadienne. Les intimés invoquaient « que le gouvernement serait désavantagé
sur le plan compétitif s'il devait se conformer aux dispositions de la Charte lorsqu'il agit à titre
d'acheteur ou de vendeur sur le marché privé »293. Le juge La Forest estima que l’argument n’était
« aucunement convaincant »294 et ajouta ce qui suit :

Il serait surprenant que des considérations pragmatiques de compétitivité puissent


automatiquement soustraire à l'examen de la Charte l'action gouvernementale sur le
marché. Il faut se rappeler que la Charte n'est pas destinée à jouer un rôle purement
négatif en empêchant le gouvernement d'agir d'une certaine façon. Elle a également un
rôle positif à jouer, que l'on pourrait définir comme la promotion à l'échelle de la société
du respect des principes d'équité et de tolérance sur lesquels la Charte est fondée. Je ne
puis croire qu'il y aurait progrès quant à cet aspect moins tangible mais tout aussi
important du rôle de la Charte dans notre société, si son applicabilité devait être
déterminée en fonction de la compétitivité commerciale du gouvernement. Par le
processus d'application de la Charte à la prise de décision gouvernementale, le
gouvernement devient une sorte de modèle de la façon dont les Canadiens en général
devraient se comporter entre eux. L'adhésion du gouvernement à la Charte servira
d'autant d'exemple à la société dans son ensemble, si le gouvernement demeure lié par
la Charte même lorsqu'il entre sur le marché.295

Il importe de préciser que l’activité « privée » dont il était question dans l’arrêt Lavigne
concernait la négociation d’une convention collective, ce qui fit dire au juge La Forest que
« [l]'exemple que le gouvernement peut donner en se conformant aux principes de la Charte peut
certes avoir une portée minimale lorsqu'il s'agit d'acheter des trombones, mais il peut être très
significatif lorsqu'il s'agit de négocier des conditions d'emploi. »296 Bien qu’il n’était nullement

Historical Introduction », dans Jody FREEMAN et Martha MINOW (dir.), Government by contract : outsourcing
and American democracy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2009, p. 23‑40 à la page 40.
291
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, 2 R.C.S. 211.
292
Id., 314.
293
Id., 315.
294
Id.
295
Id. Les soulignements sont de nous.
296
Id.

96
question de l’assujettissement des cocontractants de l’État aux valeurs de la Charte canadienne dans
cet arrêt et bien que l’activité gouvernementale dont il était question n’entrait pas dans la catégorie
des contrats publics auxquels nous nous intéressons, il n’en demeure pas moins que le juge La Forest
a reconnu le potentiel du gouvernement à promouvoir certaines valeurs en donnant l’exemple. C’est
sur cet aspect de l’arrêt que nous désirons insister.

Enfin, il est aussi intéressant de reproduire l’extrait suivant de l’arrêt de la Cour suprême des
États-Unis, dans l’affaire Olmstead v. United States, dans laquelle le juge Brandeis, dissident,
rappelait que la façon dont se comporte un gouvernement a nécessairement des impacts sur la façon
dont le public perçoit ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas : « Our government is the potent, the
omnipresent teacher. For good or for ill, it teaches the whole people by its example »297.

3. La responsabilité sociale des entreprises

L’émergence des critères sociaux, politiques et environnementaux dans les processus


d’adjudication des contrats se fonde également sur l’idée qu’il est possible et souhaitable de
promouvoir la responsabilité sociale des entreprises (ci-après la « RSE »), notamment pour assurer le
développement durable de nos sociétés298.

Dans un article portant sur « l’achat public durable », Guillaume Cantillon dresse un excellent
panorama des pratiques contractuelles publiques durables qui ont cours dans différentes juridictions.
Au sujet du contexte qui a insufflé de telles pratiques, il écrit :

L’intégration des préoccupations environnementales et sociales dans le droit


communautaire et national des marchés publics a accompagné et favorisé ce
mouvement. Stimulé par la jurisprudence communautaire, la publication de deux
communications interprétatives de la Commission et l’adoption de deux directives
portant coordination des procédures de passation des marchés publics, le code des
marchés publics a été réformé à trois reprises. Or, au fil de ces trois codes, les
préoccupations environnementales et sociales sont passées des conditions d’exécution
(article 14 du code 2001), aux critères de choix de l’offre (article 53 du code 2004), à la
définition des besoins (article 5 du code 2006), en passant par les spécifications
techniques (article 6 du code 2006). Que ce soit au niveau du cahier des charges (objet
du marché, spécifications techniques et conditions d’exécution), ou des procédures de
passation (sélection des candidatures et choix de l’offre économiquement la plus

297
Olmstead v. U.S., [1928] 277 U.S. 438, 485 (Supreme Court of the United States).
298
F. LÉPINEUX, J.-J. ROSÉ, C. BONAMI et S. HUDSON, préc., note 18.

97
avantageuse), l’acheteur peut désormais intégrer des objectifs de développement
durable, dans le respect des principes fondamentaux du droit des marchés publics.299

Des initiatives visant à lier l’exercice du pouvoir contractuel de l’État à des objectifs ayant
trait à la promotion et au respect des droits de la personne ont également été répertoriées dans
différentes dispositions législatives à l’étranger ainsi que dans des politiques d’organisations
internationales : « The cases explored […] suggest that procurement regimes may be starting to
exhibit a greater responsiveness to concerns to facilitate the use of public buying to advance labour
rights protections globally. They demonstrate an appetite on the part of at least some governments
and buyers at subsidiary levels of the state to drive respect for labour rights worldwide »300.

Mentionnons enfin les travaux menés par le professeur de droit Christopher McCrudden dont
l’ouvrage phare Buying Social Justice: Equality, Government Procurement, & Legal Change a
contribué de façon remarquable à documenter les pratiques visant à lier les contrats publics à des
objectifs de justice sociale301. Celles-ci sont diverses et ont cours dans plusieurs pays. Il peut s’agir
d’utiliser le pouvoir contractuel de l’État pour favoriser l’équité en emploi, pour promouvoir
l’embauche de cocontractants issus de la diversité ou encore pour encourager les pratiques des
entreprises qui ont une bonne réputation en matière de respect de l’environnement302.

299
Guillaume CANTILLON, « L’achat public durable, un outil au service de l’État régulateur », (2010) 134-2
Revue française d’administration publique 335, 337.
300
Olga MARTIN-ORTEGA et Claire Methven O’BRIEN, « Advancing Respect for Labour Rights Globally
through Public Procurement », (2017) 5-4 Politics and Governance 69, 76.
301
C. MCCRUDDEN, préc., note 245.
302
Voir les nombreux exemples donnés dans : Christopher MCCRUDDEN, « Using public procurement to
achieve social outcomes », (2004) 28-4 Natural Resources Forum 257‑267.

98
CHAPITRE 2 – L’ANALYSE DE LA CONCEPTION DOMINANTE DE
L’INTÉRÊT PUBLIC TELLE QU’ELLE SE DÉGAGE DU CADRE NORMATIF
APPLICABLE AUX CONTRATS PUBLICS

Pour identifier la conception dominante de l’intérêt telle qu’elle se dégage du cadre normatif
applicable aux contrats publics québécois, nous analyserons dans ce chapitre les différentes normes
juridiques et non juridiques qui gouvernent l’activité contractuelle des organismes publics. Nous nous
pencherons en premier lieu sur les contrats eux-mêmes et tenterons de découvrir ce que les clauses
contractuelles qui sont généralement employées par les organismes peuvent nous révéler en regard
de l’intérêt public (Section I). En dépit du fait que la notion d’intérêt public ne soit définie nulle part
dans les règles qui encadrent l’activité contractuelle étatique, il existe certaines dispositions
législatives et certains articles de politiques de gestion contractuelle qui font nommément référence à
la notion. Nous examinerons le contexte dans lequel la notion est employée et à quelles fins pour
voir si cela peut nous aider à en dégager une conception particulière (Section II). Nous étudierons
ensuite la structure générale des lois et des règlements qui encadrent l’activité contractuelle des
organismes publics et tenterons de voir si la nature des sujets couverts par ces textes de loi ainsi que
les objectifs généraux qu’ils poursuivent, peuvent dénoter quoi que ce soit en regard de l’intérêt public
(Section III). Finalement, nous allons analyser la jurisprudence rendue dans le cadre de litiges mettant
en cause l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Nous nous intéressons alors à la façon dont les
juges interprètent la notion d’intérêt public lorsqu’ils sont appelés à trancher les différends dont ils
sont saisis (Section IV).

Section I – Les exigences contractuelles usuelles et ce qu’elles révèlent à l’égard de la


notion d’intérêt public

En général, les documents contractuels auxquels sont parties les organismes publics et les
entités privées qui interviennent à un contrat public sont composés des documents d’appel d’offres,
de la soumission retenue, du contrat spécifique arrêté entre les parties à l’issue du processus et des
avenants subséquents le cas échéant.

Les documents d’appel d’offres (public ou sur invitation) sont eux-mêmes composés de l’avis
d’appel d’offres, de la description des besoins de l’organisme, des instructions fournies aux
soumissionnaires, des conditions générales de réalisation du projet, de la description des options (s’il
y en a) ainsi que des conditions générales complémentaires. Il arrive que des addendas soient publiés

99
par l’organisme public qui lance un appel d’offres avant même qu’il n’y ait entente définitive avec
l’un des soumissionnaires. En pareil cas, les addendas feront partie des documents contractuels.

Lorsqu’un contrat est conclu de gré à gré entre l’organisme public et l’entité privée, le contenu
habituel que l’on retrouve dans les documents d’appel d’offres, comme la description des besoins et
les conditions de réalisation du projet, se retrouvera dans le contrat spécifique signé par les parties.

Afin de rendre compte le plus fidèlement possible du contenu habituel des documents
contractuels publics, nous avons analysé les modèles que le Conseil du trésor du Québec met à la
disposition des organismes publics pour les épauler dans la conclusion de leurs ententes et nous
tenterons d’en faire ressortir les principales caractéristiques dans les lignes qui suivent. Évidemment,
les organismes publics sont libres d’utiliser leurs propres modèles – à l’exception de certaines clauses
qui sont impératives en vertu de la loi – ou de compléter les projets fournis par le Conseil du trésor
par d’autres dispositions, ce qui fait en sorte que nous ne pouvons ici prétendre à une description
exhaustive des pratiques contractuelles.

Les modèles que nous avons étudiés n’adressent pas nommément la question de l’intérêt
public. Néanmoins, la présence de certaines clauses impératives et le fait qu’une certaine structure
prévaut à l’intérieur des contrats nous renseignent indirectement sur ce que le Conseil du trésor, lequel
joue un rôle central dans l’administration du régime des contrats publics québécois, considère comme
étant d’intérêt public.

Paragraphe I – Les clauses impératives

Les modèles qui sont mis à la disposition des organismes publics renferment un certain
nombre de clauses rendues obligatoires par la législation et la réglementation applicables au projet
visé. C’est le cas notamment des conditions d’admissibilité et de conformité. Par exemple, dans le
cas des contrats de travaux de construction, le Règlement sur les contrats de travaux de construction
des organismes publics oblige les organismes publics à prévoir certaines conditions d’admissibilité
dans leurs documents d’appel d’offres, dont celle qui consiste à : « posséder les qualifications, les
autorisations, les permis, les licences, les enregistrements, les certificats, les accréditations et les

100
attestations nécessaires »303. Le même règlement prévoit en outre l’obligation pour l’auteur de l’appel
d’offres d’indiquer que les soumissions assorties d’une garantie qui ne respecte pas la forme et les
conditions exigées seront rejetées automatiquement304. Lorsqu’ils lancent un appel d’offres, les
organismes sont également tenus d’aviser les aspirants cocontractants que leur soumission ne pourra
être retenue si elle est conditionnelle ou restrictive305. Ces règles conditionnent une partie du contenu
des documents types préparés par le Conseil du trésor.

À ces clauses impératives qui concernent l’admissibilité des soumissionnaires et la


conformité de leurs soumissions, s’ajoutent certains sujets que chaque organisme public qui lance un
appel d’offres doit couvrir dans ses documents contractuels. Ici encore, ces sujets sont nommément
identifiés par le législateur. Dans le cas d’un contrat d’approvisionnement par exemple, les
organismes publics sont tenus de prévoir ce qui suit dans leurs documents d’appel d’offres :

4. Tout appel d’offres public s’effectue au moyen d’un avis diffusé dans le système
électronique d’appel d’offres.
Cet avis fait partie des documents d’appel d’offres et indique:
1° le nom de l’organisme public;
2° la description sommaire des besoins, le lieu de livraison ainsi que la durée prévue du
contrat ou le calendrier de livraison des biens;
2.1° le cas échéant, la description sommaire des options;
3° la nature et le montant de la garantie de soumission exigée, le cas échéant;
4° l’applicabilité ou non d’un accord intergouvernemental au sens de l’article 2 de la
Loi;
5° l’endroit où obtenir des renseignements;
5.1° une mention selon laquelle les documents d’appel d’offres ne peuvent être obtenus
que par l’intermédiaire du système électronique d’appel d’offres;
5.2° le cas échéant, une mention selon laquelle les soumissions peuvent être transmises
par voie électronique et que cette transmission ne peut s’effectuer que par l’intermédiaire
du système électronique d’appel d’offres;
6° l’endroit prévu ainsi que la date et l’heure limites fixées pour la réception et
l’ouverture des soumissions, le délai de réception ne pouvant être inférieur à 15 jours à
compter de la date de la diffusion de cet avis;
7° le fait que l’organisme public ne s’engage à accepter aucune des soumissions reçues.

303
Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r. 5, art. 6.
304
Id., art. 7 (2).
305
Id., art. 7 (4).

101
Pour l’application du présent règlement, on entend par «option» une option de
renouvellement ou une option concernant l’acquisition de biens supplémentaires
identiques à ceux initialement acquis, offerts au même prix et destinés à répondre aux
besoins visés au paragraphe 2 du deuxième alinéa.

5. Un organisme public doit prévoir dans ses documents d’appel d’offres:


1° la description des besoins et des modalités de livraison;
1.1° le cas échéant, la description des options;
2° (paragraphe abrogé);
3° les conditions d’admissibilité exigées d’un fournisseur et les conditions de
conformité des soumissions;
4° la liste des documents ou autres pièces exigés des fournisseurs;
5° les modalités d’ouverture des soumissions;
6° la règle d’adjudication du contrat, laquelle comprend, le cas échéant, les éléments sur
lesquels l’organisme public se fonde aux fins de l’ajustement des prix pour le calcul du
coût total d’acquisition visé à l’article 15.1.1 et les modalités de calcul applicables aux
fins de l’adjudication;
7° tout autre renseignement requis en vertu du présent règlement.306

Les sujets sont sensiblement les mêmes, en faisant les adaptations nécessaires, pour ce qui
est des contrats de travaux de construction et des contrats de services. Ajoutons que la structure
générale des modèles que le Conseil du trésor met à la disposition des organismes publics repose en
bonne partie sur la liste de sujets imposée par la règlementation applicable.

Enfin, notre étude des modèles préparés par le Conseil du trésor permet de constater que
ceux-ci renferment des clauses types à insérer dans le cas où le projet est assujetti à certaines
conditions particulières telles que l’obligation de ne traiter qu’avec des soumissionnaires ayant obtenu
une autorisation de l’AMP ou encore des soumissionnaires s’étant formellement engagés à implanter
un programme d’accès à l’égalité conforme à la Charte des droits et libertés de la personne307. Des
clauses types sont également suggérées pour les contrats assujettis aux exigences de la Politique
gouvernementale relative à l’emploi et à la qualité de la langue française dans l’Administration. Les
documents contractuels préparés par le Conseil du trésor contiennent également des formulaires types
à compléter par les soumissionnaires afin de déclarer qu’ils n’ont pas contrevenu aux règles

306
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r. 2, art. 4
et 5.
307
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.

102
applicables en matière de lobbyisme et de concurrence et que leurs dossiers sont en ordre auprès des
autorités fiscales.

Paragraphe II – Les éléments laissés à la discrétion des parties

Parmi les éléments laissés à la discrétion des organismes publics dans les documents types,
il y a la possibilité pour l’auteur de l’appel d’offres de convier les aspirants soumissionnaires à une
réunion d’information ayant pour objet de fournir « renseignements additionnels sur les besoins à
satisfaire et de répondre aux questions des prestataires de services sur tout aspect de l’appel
d’offres »308, de se regrouper avec d’autres organismes pour lancer un appel d’offres commun,
d’exiger une garantie d’exécution du contrat, de prévoir une clause de résiliation sans motif assortie
ou non de la possibilité pour le cocontractant d’être indemnisés pour la perte des profits escomptés,
de prévoir des modalités particulières de paiement (un seul versement ou plusieurs), d’empêcher un
prestataire de services à soumissionner sur deux appels d’offres liés, de réserver la possibilité au
représentant de l’organisme public de « ne pas considérer une demande de précision formulée par le
prestataire de services et transmise moins de 3 jours ouvrables avant la date et l’heure limites fixées
pour la réception des soumissions »309

Les sections des documents d’appel d’offres types qui sont consacrées au « contexte de
réalisation du mandat », à la « description détaillée des travaux à réaliser » et aux « modalités
d’exécution et de gestion du mandat » sont certainement celles qui offrent le plus de latitude aux
organismes publics. Par ces clauses laissées ouvertes, les organismes ont l’occasion de préciser les
objectifs du projet, ses orientations de mise en œuvre, sa structure de réalisation, les exigences
particulières en termes de réalisation du mandat, comme par exemple l’obligation de fournir des
rapports d’étapes. Ces clauses leur permettent également de prévoir certaines modalités particulières
pour le processus d’acceptation des biens fournis ou des services rendus.

En ce qui a trait aux appels d’offres fondés sur une évaluation qualitative des soumissions,
les documents types préparés par le Conseil du trésor laissent aux organismes publics une marge de

308
Extrait tiré de SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, Documents d’appel d’offres à l’intention des
organismes publics - Appel d’offres fondé uniquement sur le prix, V2019-06-12, sect. 1.3.3
309
Extrait tiré de : SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, Documents d’appel d’offres à l’intention des
organismes publics - Appel d’offres fondé uniquement sur une évaluation de la qualité pour l’octroi d’un
contrat de services, V2019-06-12, sect. 1.8.1.

103
manœuvre assez importante en ce qui a trait au choix des critères et à la pondération de ceux-ci.
Certaines dispositions législatives et réglementaires - qui seront étudiées plus amplement ci-après -
viennent toutefois baliser cette discrétion, en prévoyant notamment qu’une évaluation qualitative doit
reposer sur un minimum de trois critères. Néanmoins, la nature et la description de ces critères sont
laissées à l’entière discrétion de l’organisme, lequel pourrait par exemple décider d’évaluer
l’originalité d’un projet d’architecture ou encore le niveau de spécialité d’une firme de génie-conseil.

L’on retrouve également dans certains documents contractuels préparés par le Conseil du
trésor, des clauses qui permettent aux organismes publics de favoriser un contenu local, par exemple
la possibilité d’exiger des soumissionnaires qu’ils ne retiennent les services que des sous-traitants
ayant un établissement au Québec et en mesure de réaliser leur sous-contrat au Québec. La possibilité
d’insérer des clauses de ce genre est toutefois limitée aux contrats qui ne sont pas assujettis aux
accords de libre-échange auxquels est partie le Québec.

Les modèles préparés par le Conseil du trésor intègrent également des dispositions ayant pour
objet de permettre aux organismes de se prévaloir d’exigences relatives à l’assurance de la qualité,
au développement durable et au respect de l’environnement. Par exemple, le Règlement sur certains
contrats d’approvisionnement des organismes publics prévoit qu’un « organisme public peut
considérer l’apport d’un système d’assurance de la qualité, notamment une norme ISO, ou une
spécification liée au développement durable et à l’environnement pour la réalisation d’un contrat. Il
précise alors l’exigence requise dans les documents d’appel d’offres »310. Les modèles contractuels
élaborés par le Conseil du trésor intègrent des clauses visant à rendre effectives de telles exigences
lorsqu’elles sont souhaitées par l’auteur de l’appel d’offres.

En somme, l’analyse des exigences contenues dans les modèles de contrats permet de
constater que l’exercice du Conseil du trésor avait surtout pour objectif de traduire, en termes
contractuels, les obligations légales auxquelles sont assujettis les organismes publics. Dans ce
contexte et vu les limites inhérentes à notre examen des modèles du Conseil du trésor – dont le fait
que ceux-ci peuvent être bonifiés au gré des organismes publics, il est difficile, à ce stade de notre
étude, de tirer des conclusions sur une conception particulière de l’intérêt public qui se dégagerait des
pratiques contractuelles des organismes publics. Cela étant, il nous semble correct d’affirmer que cet
effort d’uniformisation des clauses contractuelles est révélateur d’un souci de permettre aux aspirants

310
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, préc., note 315, art. 37.

104
cocontractants de l’État d’avoir accès à des exigences présentant un certain degré d’homogénéité, ce
qui va de pair avec le principe du traitement équitable des soumissionnaires. Sur le contenu des
clauses impératives en tant que tel, par exemple l’obligation d’exiger des soumissionnaires qu’ils
obtiennent une autorisation de l’AMP pour certains contrats, nous y reviendrons ci-après lors de
l’analyse du cadre juridique à proprement parler.

Section II – Les éléments du cadre normatif faisant nommément référence à la notion


d’intérêt public

S’agissant de la principale loi encadrant l’activité contractuelle de l’État québécois, il


convient de se tourner en premier lieu vers la LCOP pour trouver des mentions expresses de
l’expression « intérêt public ». Celle-ci y est mentionnée à cinq reprises dans les extraits que nous
reproduisons ci-dessous :

13. Un contrat comportant une dépense égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres
public prévu à l’article 10 peut être conclu de gré à gré dans l’un ou l’autre des cas
suivants:

[…]

3° lorsqu’il s’agit d’une question de nature confidentielle ou protégée et qu’il est


raisonnable de croire que sa divulgation, dans le cadre d’un appel d’offres public,
pourrait en compromettre la nature ou nuire de quelque autre façon à l’intérêt public;

4° lorsqu’un organisme public estime qu’il lui sera possible de démontrer, compte tenu
de l’objet du contrat et dans le respect des principes énoncés à l’article 2, qu’un appel
d’offres public ne servirait pas l’intérêt public;

[…]

23.1. Le gouvernement peut, lorsqu’il est d’avis que l’intérêt public l’exige et sur
recommandation du Conseil du trésor, édicter un règlement relatif à l’un ou l’autre des
objets prévus à l’article 23 lorsque ces objets se rapportent à un contrat d’un organisme
visé à l’article 7

[…]

105
25.0.2. Dans les 30 jours suivant la notification par l’Autorité de l’inadmissibilité d’une
entreprise aux contrats publics, un organisme public ou un organisme visé à l’article 7
peut, pour un motif d’intérêt public, demander au Conseil du trésor de permettre la
poursuite de l’exécution d’un contrat public. Le Conseil du trésor peut assortir cette
permission de conditions, notamment celle que l’entreprise soit soumise, à ses frais, à
des mesures de surveillance et d’accompagnement.

[…]

25.0.4. Dans les 30 jours suivant la notification donnée par l’Autorité en application du
deuxième alinéa de l’article 21.39 de l’expiration de l’autorisation de contracter de
l’entreprise, un organisme public ou un organisme visé à l’article 7 peut, pour un motif
d’intérêt public, demander au Conseil du trésor de permettre la poursuite de l’exécution
d’un contrat public. Le Conseil du trésor peut assortir cette permission de conditions,
notamment celle que l’entreprise soit soumise, à ses frais, à des mesures de surveillance
et d’accompagnement.311

On remarque d’entrée de jeu que le législateur a recours à la notion d’intérêt public pour se
donner la latitude nécessaire, lorsque des cas exceptionnels le justifient, de ne pas appliquer les règles
qui prévalent habituellement. L’intérêt public fonde ici l’administration publique à transformer un
pouvoir lié en pouvoir discrétionnaire. Dans un domaine très réglementé, il joue le rôle d’un agent de
flexibilité. Il apporte de la relativité là où il n’y en a pas beaucoup. Ce rôle qui lui a été dévolu par le
législateur lors de l’adoption de la LCOP n’est pas étranger au caractère intrinsèquement variable de
la notion telle que nous l’avons étudiée au chapitre précédent.

Quant aux nombreux textes réglementaires, directives de gestion contractuelle et politiques


adoptées par le Conseil du trésor à l’intention des organismes publics qui octroient des contrats
publics312, l’expression « intérêt public » ne s’y trouve mentionnée à aucun endroit. Il en va de même

311
Les italiques sont de nous.
312
Directive concernant la gestion des contrats d’approvisionnement, de services et de travaux de
construction des organismes publics, C.T. 215340 du 13 juillet 2015, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/gestion_contractuelle.
pdf.>; Directive concernant la gestion des risques en matière de corruption et de collusion dans les processus
de gestion contractuelle, C.T. 216501 du 14 juin 2016, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/gestion_risques.pdf.>;
Directive concernant la reddition de comptes en gestion contractuelle des organismes publics, C.T. 217155
du 5 juillet 2016, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/reddition_comptes.pdf
.>; Directive concernant les frais de déplacement des personnes engagées à honoraires par des organismes
publics, C.T. 212379 du 26 mars 2013, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/frais_deplacement.pdf.
>; Politique de gestion contractuelle concernant le resserrement de certaines mesures dans les processus
d’appel d’offres des contrats des organismes publics.

106
en ce qui concerne les lois et règlements qui régissent l’activité contractuelle du monde municipal313.
Cela nous oblige donc, en ce qui a trait aux mentions expresses de l’intérêt public, à nous rabattre sur
la LCOP. Voyons donc quelles sont ces situations exceptionnelles qui justifient de contourner les
règles du jeu au nom de l’intérêt public pour mieux comprendre le rôle joué par la notion.

Paragraphe I – Les avis publiés au Service électronique des appels d’offres en


application de la LCOP

Nous avons étudié l’ensemble des avis publiés au Service électronique des appels d’offres
(SEAO) auxquels nous avions accès et dans lesquels nous retrouvions l’expression « intérêt
public »314. La plupart des contrats publics visés par ces avis concernaient des projets ayant fait l’objet
d’un octroi de gré à gré en application de l’article 13 (4) LCOP qui prévoit que « lorsqu’un organisme
public estime qu’il lui sera possible de démontrer, compte tenu de l’objet du contrat et dans le respect
des principes énoncés à l’article 2, qu’un appel d’offres public ne servirait pas l’intérêt public », celui-
ci peut procéder de gré à gré alors qu’il aurait normalement dû recourir à la procédure d’appel d’offres
public. Au terme de notre analyse, nous pouvons affirmer que la plupart des raisons invoquées par
les organismes publics pour démontrer que la procédure d’appel d’offres public ne servirait pas
l’intérêt public reposent sur l’absence anticipée de concurrence sur le marché. Lorsqu’il est à prévoir
qu’un seul fournisseur répondra à l’appel d’offres, l’organisme préfère octroyer sa commande de gré
à gré plutôt que de consacrer ses énergies à la préparation d’un appel d’offres.

Par exemple, dans un avis publié par le Centre de services partagés du Québec (ci-après :
« CSPQ ») pour le compte de la Sûreté du Québec (ci-après : « SQ »), le CSPQ annonce qu’il a
l’intention de conclure un contrat de gré à gré avec un distributeur de pistolets Taser afin d’acquérir
de celui-ci 128 armes à impulsion électrique. L’avis public au SEAO contient une rubrique intitulée
« Motifs invoqués pour conclure le contrat de gré à gré » dans laquelle l’organisme adjudicateur
mentionne que « Le produit Taser X2 est le seul à répondre à chacun des cinq (5) critères

313
La LCV, le CMQ et les règlements afférents à ces deux lois ne contiennent aucune disposition qui fasse
mention de l’intérêt public.
314
Pour ce faire, nous avons eu recours à l’outil « Recherche avancée » sur le site web du SEAO et avons inscrit
les mots-clés « intérêt public » sous l’espace « N’importe quel de ces mots », ce qui nous renseigne sur tous les
types d’avis (d’intention, d’appel d’offres, d’intérêt, de contrat gré à gré) et tous les statuts (annulé, en attente
de résultats d’ouverture, contrat conclu, terminé).

107
opérationnels de la SQ. Il s’agit d’une absence de concurrence du fait d’un fournisseur unique. Le
recours à l’appel d’offres public ne servirait donc pas l’intérêt public »315.

Parmi les autres exemples, mentionnons celui de l’Institut national de santé publique du
Québec d’octroyer un contrat à l’Institute for Quality Management in Healthcare et au College of
American Pathologists étant donné qu’il s’agissait, à la connaissance de l’organisme public, des deux
seuls fournisseurs capables de procéder adéquatement à « des essais d’aptitudes (Proficiency Testing)
pour le Programme de contrôle externe de qualité en pathologie du Québec incluant l’envoi des
matériaux requis pour réaliser les essais à chaque laboratoire inscrit (de 2 à 50 selon l’essai), l’analyse
des résultats et la production des rapports d’essais d’aptitudes, l’hébergement Web hautement
sécurisé des résultats et des rapports, et le soutien technique approprié au LSPQ »316.

L’autre motif fréquemment invoqué par les organismes publics pour justifier le recours à
l’article 13 (4) LCOP est celui de l’urgence. Par exemple, le Centre intégré de santé et de services
sociaux de la Montérégie-Est a eu recours à cette disposition de la loi lorsque l’un de ses centres
d’hébergement était en si mauvais état qu’il menaçait de s’effondrer. Dans l’avis publié au SEAO,
l’organisme justifie la conclusion d’un contrat de gré à gré avec une compagnie de maçonnerie en ces
mots :

Suite à l'étude exploratoire des façades deu (sic) bâtiment du Centre d'hébergement
Élisabeth-Lafrance le 29 septembre 2017, on dénote une situation préoccupante sur l'une
des façades. Le parement de la brique d'une partie de la façade Nord-Est est " sortie de
son centre de gravité de 3 1/2 pouces et présente un risque d'écoulement" selon le rapport
d'expertise de l'architecte de la firme Espace Vital. Les travaux ont été entrepris
immédiatement pour sécuriser les lieux.317

315
CENTRE DE SERVICES PARTAGÉS DU QUÉBEC, Acquisition de gré à gré de pistolets Taser X2 pour la Sûreté
du Québec (SQ), Service électronique des appels d’offres (SEAO), 16 août 2018.
316
INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC, Fourniture d’essais d’aptitudes avec analyse de
résultats, Service électronique des appels d’offres (SEAO), 10 juillet 2018. Plus précisément, l’avis indique ce
qui suit concernant la compétence particulière de ces deux fournisseurs : « À notre connaissance, seul l’Institute
for Quality Management in Healthcare (IQMH) offre l’évaluation de toutes les colorations histologiques de
routine inscrites au menu des laboratoires du Québec et la formation de professionnels québécois pour
l’évaluation des colorations de routine, histochimiques et immunohistochimiques sélectionnées par le comité
d’assurance qualité. De même, le College of American Pathologists (CAP) est le seul fournisseur des autres
essais d’aptitude spécialisés en essais moléculaires et génétiques répondant aux besoins du programme. »
317
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA MONTÉRÉGIE-EST, Réfection maçonnerie -
Elisabeth-Lafrance, Service électronique des appels d’offres (SEAO), 25 juillet 2018.

108
Il arrive également, mais plus rarement, qu’un organisme invoque l’article 13 (4) lorsqu’il
estime qu’il n’est pas dans l’intérêt public de procéder à un appel d’offres étant donné qu’il fait déjà
affaire avec un fournisseur et que le fait de le remplacer serait trop risqué ou entraînerait des coûts
d’impacts trop importants. Ce fut le cas de la Régie de l'assurance maladie du Québec qui a choisi de
retenir les services techniques de la compagnie Microsoft après avoir étudié sérieusement les produits
et services disponibles sur le marché et en être venue à la conclusion que le remplacement des logiciels
Microsoft qu’elle détenait risquait d’entraîner « soit une incompatibilité technologique, soit des coûts
substantiels »318.

Dans la même veine, il est intéressant de citer le cas du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-


Montréal qui a choisi de reconduire une entente contractuelle avec un fournisseur initial plutôt que
de recourir à un appel d’offres public au motif « qu'un changement de prestataire occasionnerait un
impact sur l'état de santé physique et mental de l'usager et pourrait ainsi lui occasionner des
préjudices »319. La décision de poursuivre avec le prestataire initial était notamment motivée par la
« spécificité de la clientèle desservie en déficience intellectuelle et/ou trouble du spectre de l'autisme
[qui] oblige une grande stabilité du milieu de vie et des interventions spécifiquement adaptées afin de
maintenir la stabilité physique et psychologique des usagers desservis »320. Il importe également de
mentionner que l'article 42.2 du Règlement sur certains contrats de services des organismes publics
prévoit nommément qu’un contrat de services tel que celui qui était envisagé « peuvent être conclus
de gré à gré avec un prestataire de services lorsqu’ils visent la poursuite des services de santé ou des
services sociaux dispensés actuellement par ce prestataire à des personnes vulnérables de façon à les
maintenir ou à les intégrer dans leur milieu de vie »321.

Notons également que certains organismes publics invoquent la notion d’intérêt public
lorsqu’ils se trouvent dans l’une des situations décrites aux deux premiers paragraphes de l’article 13
justifient la conclusion d’un contrat de gré à gré, c’est-à-dire « lorsqu’en raison d’une situation
d’urgence, la sécurité des personnes ou des biens est en cause »322 ou « lorsqu’un seul contractant est

318
RÉGIE DE L’ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC, Service d’assistance technique et de maintenance pour les
produits Microsoft (Contrat Entreprise), Service électronique des appels d’offres (SEAO), 23 mars 2018.
319
CIUSSS DU CENTRE-SUD-DE-L’ÎLE-DE-MONTRÉAL (CCSMTL), Entente de services pour activités de
développement d’habilités de travail 2017-2018, Service électronique des appels d’offres (SEAO), 16
novembre 2017.
320
Id.
321
Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r. 4, art. 42.2.
322
Id.

109
possible en raison d’une garantie, d’un droit de propriété ou d’un droit exclusif »323. Nous avons
également constaté que certains organismes publics se trouvant dans l’une des situations décrites aux
paragraphes 1 et 2 de l’article 13 invoquaient plutôt le paragraphe 4 pour justifier le recours à la
procédure de gré à gré. Cela étant, dans la plupart des cas où un organisme public tentera de se
soustraire de la procédure d’appel d’offres public parce qu’il estime que celle-ci ne sert pas l’intérêt
public – que ce soit en application de l’un ou l’autre des paragraphes 1, 2 ou 4 de l’article 13 LCOP
– la raison invoquée aura trait à l’absence anticipée de concurrence sur le marché.

L’analyse des motifs invoqués par les organismes publics lorsqu’ils ont recours aux
paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 13 LCOP nous révèle que la notion d’intérêt public, lorsqu’il est
question de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, est surtout associée à la question de la mise
en concurrence des aspirants cocontractants de l’organisme public. Il nous semble plutôt normal de
vouloir se soustraire d’une procédure d’appel d’offres publique lorsqu’il est évident qu’un seul
compétiteur y répondra. Il va de soi que cela ne servirait pas l’intérêt public, peu importe la conception
que l’on peut se faire de la notion. Ce n’est donc pas tant la récurrence de ce motif dans les avis
étudiés qui nous renseigne sur la conception dominante que se font les organismes publics de la notion
d’intérêt public que l’absence d’autres motifs qui auraient tout aussi bien pu être invoqués. Par
exemple, nous n’avons pas répertorié de cas où la conclusion d’un contrat de gré à gré plutôt que par
appel d’offres public a été préférée pour permettre à une entreprise exemplaire sur le plan du respect
de l’environnement d’obtenir le contrat. Pourtant, l’article 2 LCOP prévoit que la loi a notamment
pour objectif de promouvoir « la mise en place de procédures efficaces et efficientes, comportant
notamment une évaluation préalable des besoins adéquate et rigoureuse qui tienne compte des
orientations gouvernementales en matière de développement durable et d’environnement ».

À ce sujet, il est intéressant de citer le cas d’un avis publié par l’Université Laval, laquelle
invoquait l’article 13 (4) LCOP pour octroyer sans appel d’offres un contrat de fourniture de gaz
naturel au seul fournisseur « connu capable de répondre au besoin de l’Université en matière
d’acquisition de gaz naturel renouvelable (GNR) »324. Le motif invoqué par l’organisme adjudicateur
dans cet exemple n’était pas de privilégier le fournisseur de gaz naturel le plus propre sur le marché,
sans égard aux coûts de son produit, mais plutôt qu’il s’agissait du seul fournisseur connu de gaz
naturel renouvelable. Même si le résultat est le même, il n’en demeure pas moins que la façon dont

323
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 13 (2).
324
UNIVERSITÉ LAVAL, Fourniture de gaz naturel renouvelable, Service électronique des appels d’offres
(SEAO), 18 juin 2018.

110
est présentée la situation nous aide à comprendre qu’un organisme public qui désire privilégier
certains critères environnementaux ou sociaux dans le cadre de l’octroi d’un contrat – ce qui était
peut-être le cas de l’Université Laval – se sentira plus « confortable » vis-à-vis des règles prescrites
par la LCOP s’il justifie sa décision de procéder de gré à gré en fonction d’une logique axée sur la
concurrence.

Paragraphe II – La possibilité pour une entreprise inadmissible aux contrats


publics de poursuivre l’exécution d’un contrat public en vertu de la LCOP

Les articles 25.0.2 et 25.0.4 ont été intégrés à la LCOP suite à l’adoption du Projet de loi no
108 intitulé Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité
des marchés financiers. L’article 25.0.2 LCOP prévoit la possibilité pour un organisme public de
demander au Conseil du trésor, pour un motif d’intérêt public, d’autoriser une entreprise à poursuivre
l’exécution d’un contrat public malgré son inadmissibilité aux contrats publics325. L’article 25.0.4
prévoit que cette option est également à la disposition des organismes publics qui veulent poursuivre
l’exécution d’un contrat bien que l’autorisation de leur cocontractant soit expirée. Encore ici,
l’organisme devra invoquer un motif d’intérêt public pour obtenir l’autorisation du Conseil du trésor.
L’article 25.0.5 LCOP prévoit que le Conseil du trésor doit publier sur un site Internet les noms des
organismes publics et des entreprises qui ont bénéficié des permissions accordées en vertu des articles
25.0.2 et 25.0.4 LCOP « ainsi qu’une description sommaire des circonstances ou des motifs
considérés ».

Les mêmes principes s’appliquent du côté municipal, l’article 573.3.3.3 LCV prévoyant que
les dispositions de la LCOP précitées « s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à
l’égard de tout contrat d’une municipalité, qui comporte une dépense égale ou supérieure au montant
déterminé par le gouvernement en vertu de l’article 21.17 de cette loi ou qui est visé par le
gouvernement en application de l’article 21.17.1 de cette loi et qui est un contrat pour l’exécution de
travaux, un contrat d’assurance, un contrat d’approvisionnement ou un contrat pour la fourniture de
services ». C’est le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire

325
Rappelons qu’une entreprise peut être inadmissible aux contrats publics « si elle ne satisfait pas aux
exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre d’une partie à un contrat public ou
à un sous-contrat public. » Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.27.

111
qui « exerce, à l’égard de ces contrats et sous-contrats publics, les responsabilités confiées au Conseil
du trésor ou à son président »326. L’article 938.3.3 est au même effet.

Comme ces articles sont entrés en vigueur assez récemment, la description sommaire des
circonstances ou des motifs considérés par le Conseil du trésor lorsqu’il autorise une entreprise à
poursuivre l’exécution d’un contrat public pour un motif d’intérêt public n’a pas encore été publiée
sur le web. Cependant, nous avons consulté et étudié l’ensemble des dossiers disponibles sur le site
web du Secrétariat du Conseil du trésor en lien avec l’application des anciens articles 21.19 et 21.20
LCOP qui ont été remplacés par les articles et 25.0.2 et 25.0.4 LCOP327. Ces articles se lisaient comme
suit :

21.19. Un contractant ou un sous-contractant qui exécute un contrat public ou un sous-


contrat public et qui n'a pas d'autorisation parce que celle-ci est expirée ou parce que
l'Autorité la lui a révoquée ou a refusé de la lui renouveler est réputé en défaut d'exécuter
ce contrat ou ce sous-contrat au terme d'un délai de 60 jours suivant la date d'expiration
ou la date de notification de la décision de l'Autorité. Toutefois, ce contractant ou ce
sous-contractant n'est pas réputé en défaut d'exécution dans le cas prévu au quatrième
alinéa de l'article 21.41 ou lorsqu'il s'agit d'honorer les garanties à ce contrat ou à ce
sous-contrat.

Malgré le premier alinéa et pour un motif d'intérêt public, un organisme public peut
demander au Conseil du trésor de permettre la poursuite de l'exécution d'un contrat
public ou d'un sous-contrat public dans les 30 jours suivant la notification par l'Autorité
de l'absence d'autorisation. Le Conseil du trésor peut assortir cette permission de
conditions, notamment celle que le contractant ou le sous-contractant soit soumis, à ses
frais, à des mesures de surveillance et d'accompagnement.

21.20. Le Conseil du trésor peut, lors de circonstances exceptionnelles, permettre à un


organisme public de conclure un contrat avec une entreprise non autorisée ou permettre
à un contractant d'un organisme public de conclure un sous-contrat public rattaché

326
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.3.3.3 al. 2.
327
Mentionnons que nos recherches n’ont toutefois pas permis d’avoir accès aux décisions du ministre des
Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire en application de Id., art. 573.3.3.3; Code
municipal, préc., note 103, art. 938.3.3 même s’il est prévu que ces décisions doivent être rendues publiques
sur un site Internet dans un délai de 15 jours (Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97,
art. 25.0.5.dont le principe est repris dans la LCV et le CMQ). Les seuls documents disponibles sur le site web
du ministère sont des formulaires de dérogation à remplir par les municipalités qui souhaitent se prévaloir de
ces dispositions
(https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/plainte_gestion_contractuelle/gestion_contractuelle/fo
rm_RENA_poursuivre_contrat_.pdf /
https://www.mamh.gouv.qc.ca/fileadmin/publications/plainte_gestion_contractuelle/gestion_contractuelle/for
m_RENA_poursuivre_contrat_.pdf) La lecture de ces formulaires ne nous révèle toutefois rien sur la nature
des motifs qui pourraient être pris en considération pour accorder une dérogation ou non.

112
directement à un contrat public avec une entreprise non autorisée s'il est dans l'intérêt
public que ce contrat ou que ce sous-contrat soit exécuté par cette entreprise. Le Conseil
du trésor peut assortir cette permission de conditions, notamment celle que le contractant
ou le sous-contractant soit soumis, à ses frais, à des mesures de surveillance et
d'accompagnement.

Lorsqu'un organisme public constate qu'il y a urgence et que la sécurité des personnes
ou des biens est en cause, le dirigeant de cet organisme peut permettre de conclure un
contrat avec une entreprise non autorisée ou permettre à son contractant de conclure un
sous-contrat public rattaché directement à un contrat public avec une entreprise non
autorisée. Le dirigeant de l'organisme public doit toutefois en aviser par écrit le président
du Conseil du trésor dans les 15 jours.

Le président du Conseil du trésor rend public sur un site Internet, dans un délai de 15
jours suivant la décision du Conseil ou dans un délai de 15 jours suivant l'avis que ce
dernier reçoit du dirigeant de l'organisme public, le nom de l'entreprise ayant conclu un
contrat ou un sous-contrat en application des premier et deuxième alinéas. Le président
publie également le nom de cette entreprise à la Gazette officielle du Québec.328

À la lumière du libellé des anciens articles, force est de constater que l’essence des nouvelles
règles, en ce qui a trait à la notion d’intérêt public du moins, est identique. Le principe reste le même,
c’est-à-dire que la sanction d’inadmissibilité aux contrats publics d’une entreprise peut être « levée »
temporairement si cela est dans l’intérêt public. Nous sommes donc d’avis que les dossiers publiés
sur le site web du Conseil du trésor qui font état des permissions accordées par celui-ci en application
des anciens articles 21.19 et 21.20 nous fournissent d’excellents indices sur la façon dont seront
interprétées les nouvelles dispositions de la LCOP lorsqu’il sera question de permettre, pour un motif
d’intérêt public, de lever une sanction d’inadmissibilité aux contrats publics. Dans tous les cas, ces
informations, même si elles concernent des dispositions législatives qui ne sont plus en vigueur, nous
aident à comprendre de quelle manière est conçue la notion d’intérêt public lorsqu’il est question de
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Voyons donc ce qui en est.

Selon les informations disponibles sur le site web du secrétariat du Conseil du trésor329,
seulement deux entreprises ont été autorisées à poursuivre l’exécution de contrats en cours aux termes
de l’ancien article 21.19 LCOP. Pour chacune de ces entreprises, un tableau des contrats en cours

328
Version antérieure de la Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.19 et 21.20. Les
italiques sont de nous.
329
« Exceptions prévues à la Loi - Secrétariat du Conseil du trésor », en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/integrite-en-matiere-de-contrats-publics/exceptions-
prevues-a-la-loi/> (consulté le 4 septembre 2018).

113
d’exécution faisant l’objet de la permission a été produit et publié par le Conseil du trésor. Les noms
des organismes publics visés ainsi qu’une description sommaire des projets faisant l’objet de ces
contrats sont énumérés dans le tableau. Aucune explication n’est fournie quant aux raisons qui ont
motivé le Conseil du trésor à accorder les permissions demandées si ce n’est que la description de
l’exemption accordée : « Article 21.19 – Poursuite d’un contrat en cours d’exécution – Permission du
Conseil du trésor – Dans l’intérêt public » et d’une note qui indique que « L’entreprise sera
accompagnée par une firme externe pour s’assurer que les mesures mises en place pour assainir sa
gestion sont efficaces ». Contrairement aux articles 25.0.2 et 25.0.4 de la version actuelle de la LCOP,
l’article 21.19 n’obligeait pas le Conseil du trésor à publier une description sommaire des motifs
considérés. La seule obligation qui incombait au Conseil du trésor aux termes de l’article 21.19 LCOP
était de publier les noms des entreprises et organismes ayant bénéficié des permissions accordées. Il
nous semble malgré tout possible d’avancer quelques hypothèses sur la façon dont l’intérêt public a
été interprété dans les circonstances de ces permissions.

Le premier élément qui saute aux yeux lors de l’analyse des deux tableaux publiés par le
Conseil du trésor est le nombre important de projets dans lesquels ces deux entreprises étaient
impliquées lorsqu’elles ont été déclarées inadmissibles aux contrats publics330. Ce constat nous porte
à croire que le Conseil du trésor a pu être influencé, lorsqu’il s’est questionné sur l’opportunité de
permettre aux entreprises de poursuivre l’exécution des contrats, sur la difficulté à trouver de
nouveaux cocontractants pour un nombre aussi considérable de projets. Autrement dit, il y a fort à
parier que le Conseil du trésor a jugé qu’il n’était pas dans l’intérêt public de paralyser autant de
projets publics en même temps.

330
Quelques centaines de projets pour l’entreprise Dessau inc. et huit pour l’entreprise Verreault inc. Nous
pourrions penser que le nombre de contrats qui étaient exécutés par l’entreprise Verreault inc. – seulement huit
– n’a pas été l’élément clé qui a convaincu le Conseil du trésor d’accorder la permission. Par contre, il faut avoir
en tête que les entreprises Dessau inc. et Verreault inc. étaient deux entreprises associées au moment de leur
déclaration d’inadmissibilité et que le Conseil du trésor a probablement considéré en bloc l’ensemble des
contrats obtenus par ces deux entreprises. Cela nous laisse donc croire qu’il est pertinent d’analyser ces deux
tableaux comme s’ils ne concernaient qu’une seule entreprise. Sur le lien entre les deux entreprises, voir :
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, « Dessau et Verreault écartées des contrats publics jusqu’en 2018 | La commission
Charbonneau », Radio-Canada.ca, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/619815/amf-dessau-
verreault-pas-contrats-publics-2018> (consulté le 4 septembre 2018). Sur leur déclaration d’inadmissibilité,
voir : « Les entreprises Dessau et Verreault ne peuvent obtenir tout nouveau contrat public et sont autorisées à
terminer l’exécution de contrats sous surveillance - Secrétariat du Conseil du trésor », en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/nouvelles/?L=2&tx_ttnews%5Btt_news%5D=244&cHash=dc592b6c7361ad
942a8ae4531eaacbe6> (consulté le 4 septembre 2018).

114
Nous avons également noté à la lecture des titres de l’ensemble des projets visés que ceux-ci
concernaient, pour la plupart, des mandats de conception de plans et devis et de surveillance de
chantier. Il nous semble possible d’avancer que la nature des contrats visés a eu un impact sur la
décision du Conseil du trésor. Plusieurs firmes d’ingénierie-conseil québécoises détiennent une
expertise en conception de plans et devis et en surveillance de chantier331. Ce n’est donc pas, à
première vue, en raison d’une compétence exclusive ou particulière, que les entreprises ont bénéficié
d’une autorisation du Conseil du trésor. Il nous semble plus juste d’avancer que la nature des contrats
en cours a eu un impact dans la décision du Conseil du trésor en raison du caractère intuitu personae
de ceux-ci. Dans le cadre d’un contrat de conception ou de surveillance, la relation entre le client
(l’organisme public) et ses professionnels (les ingénieurs et/ou architectes) est centrale et se construit
au fur et à mesure du projet332. Le fait de remplacer les professionnels en cours de route pose des défis
et des risques importants qu’il est préférable d’éviter. Nous sommes portés à croire que des
considérations semblables ont animé le Conseil du trésor lorsqu’il a décidé de permettre aux
entreprises de poursuivre l’exécution des contrats qu’elles n’auraient normalement pas pu terminer.

Les renseignements fournis par le secrétariat du Conseil du trésor concernant les permissions
accordées sous l’égide de l’article 21.20 LCOP (autorisation de conclure un nouveau contrat) sont
plus révélateurs. Exception faite des permissions accordées en raison d’une situation d’urgence ou
lorsque la sécurité des personnes et des biens est en cause, les cas où le Conseil du trésor a accepté
de lever la sanction d’inadmissibilité de certaines entreprises ont été motivés par des considérations
ayant trait au respect des échéanciers prévus, à l’absence de concurrent sur le marché et au maintien
des emplois dans une région éloignée. Par exemple, le Conseil du trésor a jugé qu’il était dans l’intérêt
public d’accorder un contrat à l’entreprise EBC-Neilson Romaine 3 Excavations dérivation (R3-06-
01) S.E.N.C. en lien avec des travaux d’excavation et de bétonnage de la dérivation provisoire de la
Romaine 3 étant donné que le contrat en question « constitue une étape préalable à la construction du
barrage principal », que les travaux en cause « doivent être réalisés selon l’échéancier prévu afin de
respecter le calendrier de réalisation des travaux de construction et de permettre la mise en service de

331
« Génie-conseil : un fleuron de l’économie canadienne », PolyFinances (14 janvier 2016), en ligne :
<http://polyfinances.ca/blog/2016/01/14/genie-conseil-un-fleuron-de-leconomie-canadienne/> (consulté le 4
septembre 2018); ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL QUÉBEC, Contribution économique de
l’industrie québécoise du génie-conseil - Rapport technique, 2016; ASSOCIATION DES FIRMES DE GÉNIE-CONSEIL
- QUÉBEC, préc., note 7.
332
Richard PÉPIN, « Dynamique des équipes de projet en contexte organisationnel public », dans Bachir
MAZOUZ (dir.), Gestion de projets en contexte public, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2017,
p. 107‑132; Efrén BENAVIDES, Advanced Engineering Design: An Integrated Approach, Oxford, Woodhead
Publishing, 2011.

115
cette centrale dans les délais prévus » et enfin que la « date d'attribution de ce contrat ne pouvait donc
être reportée afin d'assurer une mobilisation du chantier bénéficiant de la saison entière de travaux ».

Mentionnons également le cas de l’entreprise Microsoft Canada inc. qui a été autorisée à
conclure un contrat de 5,2 millions de dollars avec le CSPQ bien qu’elle n’était toujours pas
admissible aux contrats publics en vertu des nouvelles dispositions de la LCOP ayant trait à l’intégrité
dans les contrats publics. Les circonstances ayant justifié le Conseil du trésor à permettre la
conclusion du contrat sont décrites ainsi :

L’absence des correctifs de sécurité et de l’assistance nécessaire en cas de problèmes


majeurs sur le système d’exploitation Windows Server 2003 augmenterait
substantiellement la vulnérabilité des serveurs concernés et induirait des risques dont les
impacts seraient dommageables aussi bien pour les organismes publics à l’échelle
gouvernementale que pour les services à la population.

L’utilisation de système sans correctif de sécurité augmenterait considérablement les


risques de cyberattaques, réduirait l’efficacité des logiciels antivirus autrement utilisés
et exposerait les organisations aux vulnérabilités informatiques n’ayant jamais été
identifiées ou n’ayant aucun correctif connu.

Enfin, il est intéressant de citer l’exemple de l’entreprise Navigation Madelaine inc. qui a été
autorisée par le Conseil du trésor à un obtenir un nouveau contrat de la Société des traversiers du
Québec pour l’exploitation du service de desserte maritime des Îles-de-la-Madeleine alors qu’elle
n’était toujours pas admissible aux contrats publics. La permission a été accordée en raison des
circonstances exceptionnelles suivantes :

Les deux navires actuels assurant la desserte maritime des Îles-de-la-Madeleine sont la
propriété de Navigation Madeleine inc. En raison de leur âge, ces navires exigent, chaque
année, des dépenses importantes en entretien et en réparation et arrivent à la fin de leur
durée de vie utile. En tenant compte des délais inhérents au processus d’acquisition et
de construction d’un nouveau navire, l’obtention de cette permission était nécessaire afin
d’entamer ce long processus tout en évitant un bris de service à la fin du présent contrat
se terminant en 2020 et dont l’exploitation est effectuée par Navigation Madeleine inc.

Afin de permettre à 9382-3847 Québec inc., une filiale de Navigation Madeleine inc.,
d’assurer aux diverses parties prenantes au contrat la prévisibilité et la stabilité
nécessaires à l’obtention du financement pour la construction et la mise en service du
nouveau navire et de permettre à Navigation Madeleine inc. de continuer d’assurer
l’exploitation du service de desserte maritime des Îles-de-la-Madeleine.

116
Afin de maintenir les emplois dans la région madelinienne et d’assurer à sa population
un service d’approvisionnement en marchandises de grande valeur, ainsi qu’une
visibilité sur l’archipel pour favoriser les retombées économiques qui en sont tributaires.

L’analyse des motifs invoqués par le Conseil du trésor pour permettre à des entreprises
inadmissibles aux contrats publics de participer malgré tout à la commande publique nous indique
que la notion d’intérêt public peut permettre au gouvernement de rééquilibrer les effets pervers qu’une
réforme législative ne pouvait pas anticiper ou dont les solutions ne pouvaient tout simplement pas
être adressées à la pièce dans un texte de loi. Les cas étudiés nous montrent que le rôle joué par
l’intérêt public peut être rapproché de celui qui est généralement dévolu à l’équité, dont Aristote disait
qu’elle « consiste à corriger la loi dans la mesure où celle-ci se montre insuffisante en raison de son
caractère général »333. La variété des motifs invoqués ou décodés (importante numérique des contrats,
nature intuitu personae de ceux-ci, absence d’autres compétiteurs, urgence, sécurité, protection des
emplois régionaux, etc.) nous empêche de conclure que le Conseil du trésor, lorsqu’il doit appliquer
l’un ou l’autre des anciens articles 21.19, 21.20 LCOP - ou ceux qui sont venus les remplacer - épouse
une conception particulière de l’intérêt public.

Paragraphe III – Les politiques internes de gestion contractuelle adoptées par


certains organismes publics

La lecture des politiques de gestion contractuelle que certains organismes ont bien voulu
rendre disponibles sur leur site web nous apprend que la notion d’intérêt public est généralement
utilisée en référence aux cas d’exception mentionnés dans la LCOP (ne pas procéder par appel
d’offres public alors que cela aurait normalement dû être le cas)334.

333
ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, traduit par Richard BODÉÜS, coll. GF - Flammarion texte ingégral, n°947,
Paris, Flammarion, 2005.
334
Politique concernant les Contrats d’approvisionnement, de services et de travaux de construction, en
ligne : <file:///Users/Antoine/Downloads/contrats_approvisionnement_services_travaux_construction.pdf>;
Politique d’autorisation des contrats - Société de la Place des arts de Montréal, en ligne :
<https://placedesarts.com/sites/default/files/09122013-politique-autorisation-contrats-spdam_0.pdf>;
Politique d’approvisionnement en biens, services et travaux de construction du Cégep du Vieux Montréal, en
ligne :
<http://www.cvm.qc.ca/cegep/reglesPolitiques/Documents/Politiques/politique_approvisionnement.pdf>;
Politique d’octroi de contrats d’approvisionnement, de services ou de travaux de construction de l’Université
Laval, en ligne :
<https://www.ulaval.ca/fileadmin/Secretaire_general/Politiques/Politique_octroi_contrats.pdf>; Politique de
gestion contractuelle concernant la conclusion de contrats d’approvisionnement, de services et de travaux de

117
Il est intéressant de noter que la politique de gestion contractuelle de l’École de technologie
supérieure (ÉTS) cite l’intérêt public comme l’une des cinq valeurs devant guider le Service des
approvisionnements dans le cadre de ses activités contractuelles. Les autres valeurs sont l’honnêteté
et l’intégrité, le professionnalisme, la gestion responsable et la conformité aux lois. La valeur « intérêt
public est ainsi décrite : « S'abstenir d'utiliser son autorité d'office pour son bénéfice personnel et
rejeter et dénoncer toute pratique commerciale irrégulière »335. L’intérêt public est ici interprété de
façon relativement restreinte comme étant synonyme d’une conduite qui évite de se placer en conflit
d’intérêts ou de poser des actes illégaux ou irréguliers. Cette définition aurait bien pu être utilisée
pour décrire les valeurs « intégrité » ou « conformité aux lois ». La politique du CHU de Québec-
Université Laval contient une disposition quasiment identique. L’intérêt public est identifié comme
une composante essentielle de l’excellente, cette dernière étant identifiée comme « une des valeurs
fondamentales retenues par le CHU de Québec – Université Laval, [et devant] orienter les décisions
et les actions de tous les participants à la chaîne d’approvisionnement »336. La politique définit ensuite
ce qu’elle entend par intérêt public et utilise le même libellé que celui utilisé par l’ÉTS.

En septembre 2014, le Sous-secrétariat aux marchés publics du Secrétariat du Conseil du


trésor du Québec publiait un rapport sur l’application de la LCOP depuis son adoption337. Nous avons
noté que dans la section du rapport consacrée à la transparence des processus contractuels, il est
question de l’intérêt public. Il s’agit du seul endroit où il est nommément question de la notion, mis
à part deux autres passages où l’expression est utilisée simplement pour rappeler qu’il est possible de
ne pas appliquer certaines règles énoncées dans la loi si l’intérêt public le commande. Voici le passage

construction de l’École de technologie supérieure, en ligne : <https://www.etsmtl.ca/A-


propos/Direction/Politiques-reglements/Politique_gestion_contractuelle.pdf>; Politique de gestion et
d’attribution de contrats de la Commission scolaire de Montréal, en ligne : <http://csdm.ca/wp-
content/blogs.dir/6/files/PolitiqueAttributionContrats.pdf>; Politique du CHU de Québec-Université Laval en
regard des lignes internes de conduite concernant la gestion des contrats d’approvisionnement, de services,
de travaux de construction et aux contrats en matière de technologies de l’information, Politique no 741-01,
en ligne : <https://www.chudequebec.ca/getmedia/f1482693-2b17-41e1-b228-7c5aa5179513/741-
01_POL_gestion_contrats_CHUdeQbc-UL_RECUEIL.aspx+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=ca>.
335
Politique de gestion contractuelle concernant la conclusion de contrats d’approvisionnement, de services et
de travaux de construction de l’École de technologie supérieure, préc., note 343 art. 9.7.
336
Politique du CHU de Québec-Université Laval en regard des lignes internes de conduite concernant la
gestion des contrats d’approvisionnement, de services, de travaux de construction et aux contrats en matière
de technologies de l’information, préc., note 343, annexe A.
337
Le tout conformément avec l’article 22.1 de la LCOP qui prévoit que « Le président du Conseil du trésor
doit, au plus tard le 13 juin 2014 et par la suite tous les cinq ans, soumettre au gouvernement un rapport sur
l’application de la présente loi ».

118
traitant de la transparence du processus contractuel qu’il nous semble utile de reproduire au long pour
bien mettre en contexte l’extrait où il est question de l’intérêt public :

Considérant l’importance des dépenses de fonds publics qui sont associées aux activités
contractuelles de l’État, il est pertinent que l’information relative aux intentions de
contracter et aux contrats conclus par les organismes publics soit rendue disponible pour
les citoyens et les entreprises. De plus, cette publication offre une véritable accessibilité
aux marchés publics aux fournisseurs qui souhaitent faire affaire avec l’État, en les
informant des besoins des organismes publics. Elle leur permet également d’être
informés des résultats des processus d’appels d’offres auxquels ils ont pris part et
contribue en ce sens à leur assurer un traitement équitable de la part des donneurs
d’ouvrage publics. La diffusion élargie des besoins contractuels gouvernementaux
favorise de plus l’intérêt public en contribuant à accroître la concurrence et à permettre
aux organismes publics d’obtenir de meilleurs prix pour les biens, les services et les
travaux de construction qui sont nécessaires à la poursuite de leur mission. C’est
pourquoi la Loi sur les contrats consacre le principe de la transparence dans les processus
contractuels parmi les grandes orientations qui doivent guider l’application du cadre
normatif des contrats publics. Elle impose en ce sens aux organismes assujettis des
obligations relatives à la publication des avis d’appel d’offres et des contrats publics
conclus338.

Ce passage est intéressant, car il révèle que l’intérêt public est surtout associé à la possibilité
pour les organismes publics d’obtenir de meilleurs prix et que le moyen le plus efficace pour y
parvenir est d’accroître la concurrence entre les soumissionnaires potentiels.

Section III – Un cadre juridique dédié presque entièrement aux modes de sollicitation
et d’attribution des contrats: l’accent sur les moyens plutôt que sur les finalités

L’analyse des textes de loi qui régissent l’activité contractuelle étatique révèle assez
rapidement que l’accent est mis sur l’encadrement des modes de sollicitation et d’attribution des
contrats. Autrement dit, ce que le législateur a cherché à faire dans les lois et règlements qu’il a
adoptés en lien avec l’activité contractuelle étatique, c’est d’abord et avant tout d’édicter des règles
qui encadrent les moyens qui doivent être préconisés par les organismes publics pour octroyer leurs
contrats.

338
Sous-secrétariat aux marchés publics du Secrétariat du Conseil du TRÉSOR, Rapport concernant l’application
de la Loi sur les contrats des organismes publics, Québec, Gouvernement du Québec, 2014, en ligne :
<http://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/rapport_application_loi_contrats_organ
ismes_publics.pdf>.

119
Paragraphe I - L’appel d’offres public comme principal mode de sollicitation des
contrats publics québécois

Le trait qui est probablement le plus distinctif dans l’encadrement des contrats publics
québécois, lorsqu’on le compare à celui des contrats privés, est le régime d’octroi fondé en bonne
partie sur la procédure d’appel d’offres public. La LCOP, qui demeure le principal texte législatif
encadrant les contrats publics québécois, consacre son premier chapitre d’importance, après avoir
identifié l’objet de la loi et les entités à qui elle s’applique, aux modes d’adjudication et d’attribution
des contrats. La règle d’application générale veut qu’ « [u]n organisme public [recoure] à la procédure
d’appel d’offres public pour la conclusion des contrats […] d’approvisionnement, de services ou de
travaux de construction comportant une dépense égale ou supérieure au seuil minimal prévu dans tout
accord intergouvernemental applicable pour chacun de ces contrats et organismes publics »339 ainsi
que pour l’ensemble des contrats de partenariat public-privé et « tout autre contrat déterminé par
règlement du gouvernement ». Les contrats comportant une dépense inférieure à ce seuil pourront, à
certaines conditions, être octroyés de gré à gré ou sur invitations. Un organisme public peut également
choisir la procédure d’appel d’offres public bien qu’il n’y soit pas tenu. Nous avons reproduit à
l’Annexe I un tableau préparé par le secrétariat du Conseil du trésor qui fait état des seuils applicables
pour chaque type de contrat public. L’on remarque assez rapidement que tout contrat dont la valeur
présente une certaine importance doit faire l’objet d’un appel d’offres public.

L’appel d’offres public répond à plusieurs objectifs. D’une part, cette procédure permet une
certaine transparence dans le processus contractuel des organismes publics. En publiant un appel
d’offres pour combler ses besoins, l’organisme se livre à une certaine forme de contrôle de la part du
public. Si le projet envisagé n’est pas légitime aux yeux de la population ou encore si la dépense
prévue semble déraisonnable, des pressions pourront être faites pour que le projet soit revu ou annulé.
Le fait que la procédure d’appel d’offres soit publique permet également de connaître l’identité des
aspirants cocontractants de l’État, ce qui contribue à prévenir les conflits d’intérêts, les pratiques
collusoires ou les actes de corruption. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que l’émergence de la
procédure d’appel d’offres public s’est faite de façon concomitante avec les nombreux efforts du
gouvernement Lesage pour éradiquer le copinage qui avait cours au Québec depuis de nombreuses

339
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 10.

120
années340. L’autre objectif majeur de cette procédure est de permettre à toutes les personnes
intéressées par le projet qui fait l’objet de l’appel d’offres d’y participer341. D’une certaine manière,
l’appel d’offres public constitue un concours où chaque intéressé doit convaincre le donneur
d’ouvrage que sa soumission est la meilleure. Une telle façon de faire stimule la concurrence et permet
aux organismes publics d’avoir une plus grande latitude dans le choix de leurs cocontractants. La
publication à grande échelle des appels d’offres permet également de stimuler l’innovation et générer
des retombées économiques.

Lorsqu’on prête attention aux objectifs de la LCOP tels qu’ils sont énoncés à l’article 2, on
remarque assez rapidement que le choix de l’appel d’offres public comme mode principal
d’attribution des contrats publics d’importance est cohérent. En effet, parmi les 7 objectifs énumérés,
4 semblent remonter logiquement à la procédure d’appel d’offres public, à savoir « la transparence
dans les processus contractuels », « le traitement intègre et équitable des concurrents », « la
possibilité pour les concurrents qualifiés de participer aux appels d’offres des organismes publics »
et « la reddition de comptes fondée sur l’imputabilité des dirigeants d’organismes publics et sur la
bonne utilisation des fonds publics ».

Quant aux procédures d’appel d’offres sur invitation et au processus d’attribution de gré à
gré, rien d’étonnant, à la lumière de ces objectifs, qu’ils constituent l’exception et non la règle342.
Bien que ces modes d’attribution puissent se faire de façon totalement transparente et qu’ils
n’empêchent pas la reddition de comptes des dirigeants d’organismes publics343, ils n’offrent pas la
même « possibilité pour les concurrents qualifiés de participer aux appels d’offres ». De plus, si l’on
interprète le principe de « traitement intègre et équitable des concurrents » comme s’appliquant aussi

340
Elie SALVAS, Howard IRWIN ROSS et Jean-Marie GUÉRARD, Rapport des commissaires sur les méthodes
d’achat utilisées au département de la Colonisation et au Service des Achats du gouvernement du 1er juin 1955
au 30 juin 1960, Montréal, 1963; F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 176 et suivantes.
341
« L’idée qui sous‑tend l’appel d’offres, ainsi qu’il ressort de ces documents, c’est de remplacer la négociation
par la concurrence » dans M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619,
641.
342
Selon les statistiques colligées par le Conseil du trésor du Québec à l’aide des données disponibles au
Service électronique des appels d’offres, la valeur des contrats octroyés en 2017-2018 selon le mode de
sollicitation est répartie comme suit : 76 % suite à un appel d’offres public; 5 % suite à un appel d’offres sur
invitation et 19 % suivant un processus de gré à gré. Voir DIRECTION DE LA REDDITION DE COMPTES ET DU
SOUTIEN À L’ENCADREMENT DES CONTRATS PUBLICS, Statistiques sur les contrats des organismes publics
2017-2018, Québec, Secrétariat du Conseil du trésor, 2019, p. 22.
343
Voir à titre d’exemple : Directive concernant la reddition de comptes en gestion contractuelle des
organismes publics, préc., note 321.

121
en amont du processus de sélection, les concurrents exclus (non invités ou non choisis) peuvent à
juste titre se plaindre d’un traitement inéquitable.

Il ne fait pas de doute que l’appel d’offres public est un trait distinctif du système public
lorsqu’on le compare au régime des contrats privés, lequel est caractérisé par des procédures plus
souples préconisant généralement l’attribution de gré à gré sur invitation de quelques joueurs. Mais
qu’est-ce que tout cela nous révèle en regard de l’intérêt public ? D’une part, comme le contrat public
a pour finalité l’intérêt public, il en découle nécessairement que le choix de l’appel d’offres public,
comme mode principal d’attribution des contrats, est vu comme étant le moyen le plus efficace pour
répondre à cette finalité.

Comme nous venons de le voir, ce mode d’attribution permet surtout, en regard des objectifs
de la LCOP, de permettre aux concurrents qualifiés d’avoir la même possibilité de participer aux
contrats publics. La transparence du processus, quant à elle, n’est pas exclusive aux appels d’offres
publics. L’attribution d’un contrat de gré à gré peut très bien se faire au vu et au su de tous si le
processus est encadré en ce sens. Quant aux autres objectifs de la LCOP, à savoir de promouvoir :
« la confiance du public dans les marchés publics en attestant l’intégrité des concurrents », « la mise
en place de procédures efficaces et efficientes, comportant notamment une évaluation préalable des
besoins adéquate et rigoureuse qui tienne compte des orientations gouvernementales en matière de
développement durable et d’environnement » et « la mise en œuvre de systèmes d’assurance de la
qualité dont la portée couvre la fourniture de biens, la prestation de services ou les travaux de
construction requis par les organismes publics », ceux-ci ne sont pas intrinsèquement liés à un mode
d’attribution plutôt qu’à un autre. Même que certains pourraient prétendre qu’il est plus efficace de
procéder de gré à gré lorsqu’il s’agit d’assurer la qualité d’une prestation ou sa conformité avec des
objectifs de nature environnementale, le donneur d’ouvrage ayant ainsi plus de latitude pour identifier
ses besoins, définir ses exigences (parfois complexes lorsqu’il est question de respect de
l’environnement) et les moyens les plus efficaces pour y répondre. Alors que l’appel d’offres public,
tel qu’il est actuellement pratiqué au Québec, oblige le donneur d’ouvrage à définir ses besoins et ses
exigences en tout de début de processus et à rester collé sur ceux-ci par la suite, ces exigences pourront
évoluer au fur et à mesure des négociations dans le contexte d’une attribution de gré à gré.

Le choix de l’appel d’offres public comme principal mode d’attribution des contrats publics
a une incidence énorme sur la façon dont tout le système opère. La préférence de cette procédure à

122
d’autres modes d’attribution montre, comme suite logique à ce que nous avons précisé plus haut, que
dans les faits, la LCOP vise d’abord et avant tout à promouvoir la possibilité pour tous les concurrents
qualifiés d’avoir accès aux appels d’offres. D’un point de vue historique, cette conclusion tient
également la route. La façon la plus efficace d’empêcher le copinage entre les titulaires de charges
publiques et les entreprises était sans aucun doute d’ouvrir le marché à tous les joueurs désireux de
participer aux appels d’offres. D’autre part, la thèse voulant que la libre concurrence et l’ouverture
des marchés soient la meilleure façon d’obtenir une prestation de qualité est assez répandue et a
certainement contribué à faire primer cet objectif sur les autres344. Il nous est donc possible d’affirmer
que la finalité principale de la LCOP, analysée sous l’angle de son principal mode d’attribution, est
de favoriser la libre concurrence. Par extension, nous pouvons affirmer que la LCOP contribue à ce
que la finalité d’intérêt public associée aux contrats publics serve ici à promouvoir la libre
concurrence. Ce que nous dit indirectement la LCOP, c’est qu’il est dans l’intérêt public d’offrir la
possibilité à tous les concurrents qualifiés de participer aux appels d’offres. Certes, la LCOP nous dit
aussi, lorsqu’elle énumère les autres objectifs de l’article 2, qu’il est dans l’intérêt public d’assurer
un processus contractuel transparent, de favoriser des prestations de qualité et de respecter les
orientations du gouvernement en matière de développement durable. Par contre, en choisissant
comme mode principal d’attribution l’appel d’offres public, le législateur nous indique que l’intérêt
public commande d’abord et avant tout de favoriser la libre concurrence.

Cette conclusion est renforcée par le traitement que reçoivent les exigences relatives à
l’environnement et à la qualité dans le cadre réglementaire applicable aux contrats
d’approvisionnement et de services. L’article 37 du Règlement sur certains contrats
d’approvisionnement des organismes publics stipule qu’un « organisme public peut considérer
l’apport d’un système d’assurance de la qualité, notamment une norme ISO, ou une spécification liée
au développement durable et à l’environnement pour la réalisation d’un contrat. Il précise alors
l’exigence requise dans les documents d’appel d’offres. » mais précise immédiatement après que « Si
l’imposition d’une telle exigence réduit indûment la concurrence, l’organisme public doit permettre
à tout fournisseur de présenter une soumission et accorder à celui qui répond à l’exigence prévue au
premier alinéa, une marge préférentielle d’au plus 10%. Dans ce dernier cas, le prix soumis par un tel
fournisseur est, aux seules fins de déterminer l’adjudicataire, réduit du pourcentage de marge

344
Voir notamment la position défendue par Christian Bordeleau selon qui l’assujettissement des aspirants
cocontractants de l’État à des critères d’intégrité et de probité restreint le bassin de soumissionnaires auxquels
l’État a accès et par conséquent, réduit la compétitivité de ces derniers et éventuellement la qualité de l’offre :
C. BORDELEAU, préc., note 23.

123
préférentielle prévu, et cela, sans affecter le prix soumis aux fins de l’adjudication du contrat. »345.
Le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics prévoit une disposition
identique346. Quant au Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics,
aucune disposition ne s’attaque à la question du respect de l’environnement et des orientations
gouvernementales en matière de développement durable. Une disposition semblable à celles que l’on
retrouve dans les règlements encadrant les contrats de services et d’approvisionnement est prévue à
l’article 40, mais pour l’assurance de la qualité seulement. La marge préférentielle accordée à
l’entrepreneur est d’au plus 5 %.

Ajoutons que du côté des contrats publics municipaux, c’est également l’appel d’offres public
qui constitue le principal mode de sollicitation des soumissions. Les deux principaux textes de loi qui
encadrent l’activité contractuelle municipale - la Loi sur les cités et villes ainsi et le Code municipal
- ainsi que les accords de libéralisation auxquels sont assujetties les municipalités prévoient que tout
contrat dont la dépense dépasse le seuil prévu par règlement ministériel doit être adjugé suite à un
appel de soumissions publiques347. Pour le moment, celui-ci est fixé à 101 100 $348. Cette règle fait
toutefois l’objet de certaines exceptions. C’est le cas notamment de certains contrats de services
professionnels (médecins, infirmières, pharmaciens et dentistes) qui peuvent être octroyés de gré à
gré, peu importe le montant de la dépense anticipée349. C’est le cas également des contrats de services
professionnels d’avocats et de notaires qui peuvent être octroyés suite à un appel d’offres sur
invitation auprès d’un nombre minimal de trois fournisseurs potentiels350. Les règles qui encadrent
les modes de sollicitation des contrats municipaux ainsi que les nombreuses exceptions qui s’y
rattachent sont résumées à l’Annexe II à l’aide d’un tableau préparé par le ministère des Affaires
municipales et de l’Habitation du Québec.

Les commentaires que nous avons faits à l’égard des contrats octroyés sous l’égide de la
LCOP valent tout autant à l’égard des contrats municipaux. La Loi sur les cités et villes, le Code

345
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, préc., note 315, art. 37 al. 2.
346
Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, préc., note 312, art. 50.
347
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573; Code municipal, préc., note 103, art. 935 (1).
348
Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal et la Société d’habitation
du Québec, L.Q. 2018, c. 8, art. 272.
349
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.3 al. 3 et 573.3.0.1; Code municipal, préc., note 103,
art. 938 al. 2 et 938.0.1; Règlement sur l’adjudication de contrats pour la fourniture de certains services
professionnels, RLRQ, chapitre C-19, r. 2, art. 27.
350
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.3 al. 3 et 573.3.0.1; Code municipal, préc., note 103,
art. 938 al. 2 et 938.0.1; Règlement sur l’adjudication de contrats pour la fourniture de certains services
professionnels, préc., note 358, art. 24.

124
municipal du Québec et tous les règlements qui encadrent l’activité contractuelle municipale
s’inscrivent dans un modèle concurrentiel qui se fonde sur l’idée que c’est l’appel d’offres public qui
permet de trouver les meilleurs cocontractants de l’État. C’est ce mode de sollicitation qui est censé
garantir aux organismes publics de trouver le prestataire qui répondra le mieux à leurs besoins. S’il
est vrai que plusieurs cas d’exception permettent aux municipalités d’octroyer leurs contrats de gré à
gré ou à la suite d’un appel d’offres sur invitation, il n’en demeure pas moins que l’appel d’offres
public constitue le mode de sollicitation le plus important dans le monde municipal, ne serait-ce qu’en
regard de la valeur des contrats attribués. D’autre part, rien n’indique que cette tendance risque de
changer à court et moyen terme. Au contraire, l’entrée en vigueur en 2017 de l’Accord économique
et commercial global (ci-après « AECG ») a fait en sorte d’assujettir à la concurrence globale certains
contrats qui y étaient autrefois soustraits, tels que ceux portant sur des services professionnels
d’architecture351.

Que les contrats publics s’inscrivent dans un modèle concurrentiel nous révèle plusieurs
choses en regard de la conception dominante de l’intérêt public. Par contre, il importe aussi de se
demander sur quoi porte cette concurrence, sur quels critères les aspirants cocontractants de l’État
sont invités à entrer en compétition ? Cette question est essentielle pour bien comprendre ce qui est
réellement valorisé par le cadre normatif applicable aux contrats publics. Les organismes publics
sont-ils tenus de retenir les services des entreprises les plus compétitives sur le plan du prix ou de la
responsabilité sociale ? L’une et l’autre de ces réponses n’appellent évidemment pas à la même
conception de l’intérêt public.

Paragraphe II – L’importance du plus bas prix dans les modes d’attribution


prévus dans les textes de loi

De façon générale, les textes de loi qui encadrent l’activité contractuelle des organismes
publics prévoient que les contrats doivent être attribués selon la règle du plus bas soumissionnaire
conforme. Concrètement, cela signifie que sous réserve de l’admissibilité des soumissionnaires et de
la conformité de leur soumission (par exemple, respecter l’exigence qui consiste à joindre un

351
Dans un article portant sur l’intégration des principes de développement durable dans la commande publique
en France, Guillaume Cantillon explique que l’assujettissement des marchés publics à un modèle concurrentiel,
comme c’est le cas de bien d’autres activités gouvernementales d’ailleurs, est le symptôme « du passage d’un
modèle de régulation par l’État à un modèle de régulation par le marché » et il ajoute que « Le droit public, à
travers les textes ou la jurisprudence administrative, a été un des lieux de propagation des exigences
concurrentielles, à laquelle le droit des marchés publics n’a pas échappé ». G. CANTILLON, préc., note 308, 344.

125
cautionnement de soumission), le contrat sera octroyé au soumissionnaire ayant présenté le plus bas
prix. C’est cette règle qui prévaut à l’égard des contrats d’approvisionnement352, des contrats de
construction353 ainsi que des contrats de services de nature technique354. Cela vaut également pour
tous les contrats municipaux de même nature355.

La loi permet également aux organismes publics d’octroyer leurs contrats selon la méthode
de la qualité minimale, aussi désignée comme étant celle du « contrat adjugé à la suite d’un appel
d’offres comportant deux étapes »356 ou encore des « deux enveloppes » dans le monde municipal357.
La première étape consiste à lancer un appel d’offres où les soumissionnaires doivent faire la
démonstration de la qualité de leur proposition seulement, sans égard au prix. L’organisme public
retient alors les soumissions qui rencontrent le degré minimal de qualité souhaité. Les critères
qualitatifs à rencontrer doivent évidemment être précisés dans les documents d’appel d’offres.

352
Le Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, préc., note 315, art. 13
prévoit spécifiquement que « L’organisme public adjuge le contrat au fournisseur qui a soumis le prix le plus
bas ».
353
Le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, préc., note 312, art. 16
prévoit que « L’organisme public adjuge le contrat à l’entrepreneur qui a soumis le prix le plus bas ».
354
Le Conseil du trésor les définit ainsi : « Les contrats de services de nature technique visent quant à eux
l’exécution du contrat et l’application de normes prédéterminées. On définit ainsi les services de nature
technique puisque l’organisme public n’a généralement pas besoin d’évaluer la qualité d’une soumission avant
de conclure un contrat de cette nature. Il doit plutôt s’intéresser à la conformité des soumissions reçues lorsque
le mode d’adjudication est le prix le plus bas. À titre d’exemple, il peut s’agir de contrats de déneigement,
d’entretien ménager ou de déménagement » (SOUS-SECRÉTARIAT AUX MARCHÉS PUBLICS DU CONSEIL DU
TRÉSOR DU QUÉBEC, préc., note 98.). Quant aux critères d’attribution, le Règlement sur certains contrats de
services des organismes publics, préc., note 330, art. 13 prévoit que « L’organisme public adjuge le contrat au
prestataire de services qui a soumis le prix le plus bas ».
355
La Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573 (7) prévoit en effet que « Sous réserve des articles
573.1.0.1 et 573.1.0.1.1 [ces articles concernent les contrats de services professionnels], le conseil ne peut, sans
l’autorisation préalable du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire,
accorder le contrat à une personne autre que celle qui a fait, dans le délai fixé, la soumission la plus basse ». Le
Code municipal, préc., note 103, art. 935 (7) contient une disposition analogue : « Sous réserve des articles
936.0.1 et 936.0.1.1, le conseil ne peut, sans l’autorisation préalable du ministre des Affaires municipales, des
Régions et de l’Occupation du territoire, accorder le contrat à une personne autre que celle qui a fait, dans le
délai fixé, la soumission la plus basse »
356
Nous reprenons ici l’expression utilisée dans les textes de loi pour décrire ce mode d’adjudication.
357
Sur son site web, le Ministère des affaires municipales et Habitation décrit ainsi ce système d’évaluation des
soumissions : « Le mode d’adjudication à l’aide des deux enveloppes se base sur un rapport entre la qualité et
le prix. Il consiste, lors d’une première étape, à évaluer la qualité de chacune des soumissions conformes en
fonction de critères établis par l’entremise d’un comité de sélection formé d’au moins trois membres, autres
que des élus municipaux, et, lors d’une deuxième étape, à considérer le prix soumis à l’aide de la formule
mathématique déterminée dans la loi. À l’aide d’un facteur variant entre 0 et 50, la formule permet d’accorder
plus ou moins d’importance au prix ou à la qualité : un facteur se rapprochant de 0 favorisera la qualité et un
facteur se rapprochant de 50 favorisera le prix. Ainsi, lorsqu’un organisme municipal choisit le mode
d’adjudication à l’aide des deux enveloppes, il se peut que le prix de la soumission retenue ne soit pas le plus
bas, mais cette soumission devrait généralement être d’une qualité supérieure aux autres » MINISTÈRE DES
AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, préc., note 116.

126
Ensuite, les aspirants cocontractants qui ont proposé une prestation conforme au seuil de qualité
attendu sont invités à soumettre un prix. Le contrat est alors octroyé à celui qui a présenté le plus bas
prix conforme. Cette méthode est employée « lorsqu'il est essentiel que le contrat public ait un seuil
minimal de qualité, mais que l'organisme public ne souhaite pas payer davantage pour une meilleure
qualité »358. Cette méthode peut être employée à la fois pour les contrats d’approvisionnement359, les
contrats de construction360, les contrats mixtes de travaux de construction et de services
professionnels361 et les contrats de services professionnels362. Cette méthode peut également être
employée dans le cas des contrats municipaux363. Lorsqu’il s’agit de contrats municipaux de services
professionnels, cette méthode doit impérativement être employée à moins que la municipalité ne
préfère utiliser la méthode « de la grille de pondération incluant le prix » que nous présenterons dans
les lignes qui suivent364.

La loi permet aussi d’adjuger certains contrats publics selon une formule qui combine la
qualité et le prix de la soumission. Cette méthode est aussi désignée comme étant celle du « prix
ajusté le plus bas »365 ou encore celle « de la grille de pondération incluant le prix »366. En somme,
les soumissionnaires se voient une attribuer une note en fonction de la qualité de leur soumission et
conformément à une formule préétablie, cette note permet d’ajuster le prix soumis. Pour dire les
choses simplement, si un soumissionnaire obtient 100 % pour la qualité de sa soumission, cela aura
pour effet de faire « baisser » son prix. En revanche, le soumissionnaire qui présente une mauvaise
soumission sur le plan de la qualité, par exemple 50 %, verra son prix « augmenter ». Ultimement, le
contrat est octroyé au soumissionnaire qui a présenté le plus bas prix, mais dans ce cas, il s’agit du

358
B. D. GROSS et G. MOUNIER, préc., note 10.
359
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, préc., note 315, art. 26.1.
360
Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, préc., note 312, art. 23 et 23.
361
Id., art. 26.
362
Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, préc., note 330, art. 25.
363
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.1.0.1.1.
364
Id., art. 573.1.0.1.2 prévoit en effet que « Dans le cas de l’adjudication d’un contrat relatif à la fourniture de
services professionnels, le conseil doit utiliser le système de pondération et d’évaluation des offres prévu à
l’article 573.1.0.1 ou à l’article 573.1.0.1.1. ». Le Code municipal, préc., note 103, art. 936.0.1.2 est au même
effet.
365
Nous reprenons ici la formule consacrée par la loi.
366
Cette méthode peut être décrite de cette façon : « Le recours à la grille de pondération incluant le prix permet
l’évaluation des offres en fonction d’un nombre de points basé, outre le prix, sur la qualité ou la quantité des
biens, des services et des travaux, sur les modalités de livraison, sur les services d’entretien, sur l’expérience et
la capacité financière requises de l’assureur, du fournisseur ou de l’entrepreneur ou sur tout autre critère
directement relié au marché. Contrairement au mode à deux enveloppes, l’évaluation des critères de qualité est
considérée en simultanée avec la pondération du prix soumis.
À la fin du processus, l’organisme municipal doit accorder le contrat au soumissionnaire conforme dont la
soumission a obtenu le meilleur pointage. » MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, préc.,
note 116.

127
plus pas prix ajusté. La possibilité pour les organismes publics de se prévaloir de cette méthode vaut
pour les contrats d’approvisionnement367, les contrats mixtes de travaux de construction et de services
professionnels368 ainsi que pour les contrats de services professionnels369. Les municipalités qui
souhaitent utiliser cette méthode pour leurs contrats peuvent le faire également370. Dans le cas des
contrats municipaux de services professionnels, la municipalité doit utiliser cette méthode ou celle
fondée sur « les deux enveloppes » 371.

De façon exceptionnelle, la loi permet également aux organismes publics d’octroyer leurs
contrats à la suite d’une évaluation fondée sur la qualité seulement. Cela peut être le cas pour les
contrats de services professionnels lorsqu’il existe « un tarif pris en vertu d’une loi ou approuvé par
le gouvernement ou le Conseil du trésor qui lui est applicable »372. Cette méthode devra être celle qui
est utilisée par l’organisme public lorsqu’il s’agit d’« adjuger un contrat d’architecture ou de génie
autre que forestier »373. Dans l’une ou l’autre de ces situations, « l’organisme public doit appliquer
les conditions et modalités d’évaluation prévues aux articles 1 à 7 de l’annexe 2 [du Règlement sur
certains contrats de services des organismes publics] et adjuger le contrat au prestataire de services
dont la soumission acceptable a obtenu la note finale la plus élevée »374. Dans le monde municipal, il
n’est pas possible d’évaluer les soumissions en se fondant uniquement sur la qualité, bien qu’un poids
important puisse être donné à ce critère dans la pondération retenue375.

À la lumière de ces règles, nous constatons que le principe du plus bas prix conforme est celui
qui s’impose d’emblée, sauf lorsqu’il s’agit d’octroyer des contrats de services professionnels. En
revanche, nous remarquons que les organismes publics bénéficient également de plusieurs

367
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, préc., note 315, art. 23. Il est
à noter que cette technique du prix ajusté le plus bas peut être greffée à celle de la qualité minimale. Voir Id.,
art. 26.1, al. 3.
368
Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, préc., note 312, art. 25.
369
Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, préc., note 330, art. 21.
370
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.1.0.1.1. Le Code municipal, préc., note 103, art. 936.0.1.1.
est au même effet.
371
Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.1.0.1.2.et 573.1.0.1.1. Le Code municipal, préc., note 103,
art. 936.0.1.2 est au même effet.
372
Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, préc., note 330, art. 23.
373
Id., art. 24.
374
Id., art. 22.
375
Le texte de l’article de la Loi sur les cités et villes, préc., note 102, art. 573.1.01.mentionne bien que « Le
conseil peut choisir d’utiliser un système de pondération et d’évaluation des offres en vertu duquel chacune
obtient un nombre de points basé, outre le prix, sur la qualité ou la quantité des biens, des services ou des
travaux, sur les modalités de livraison, sur les services d’entretien, sur l’expérience et la capacité financière
requises de l’assureur, du fournisseur ou de l’entrepreneur ou sur tout autre critère directement relié au
marché ». Les italiques sont de nous. Le Code municipal, préc., note 103, art. 936.0.1 est au même effet.

128
alternatives pour ne pas fonder leur processus d’adjudication sur ce principe. Il est tentant de croire,
comme l’ont noté certains juristes qui pratiquent en droit de la construction que « [c]e portrait du
marché public québécois démontre que la prédominance de la règle du plus bas soumissionnaire
résulte non pas d'une obligation légale, mais plutôt de l'exercice de la discrétion des organismes
publics »376. Cela est vrai, mais comme ceux-ci le font également remarquer, « [i]l est probable que
la complexité et le caractère plus subjectif des autres modes d'adjudication font de la méthode à « prix
uniquement » une approche plus simple d'utilisation ».

Ajoutons que mis à part le cas particulier des contrats de services professionnels, les
alternatives à la règle du plus bas soumissionnaire conforme demeurent totalement discrétionnaires.
Cela nous semble particulièrement déterminant. D’autre part, comme le souligne Me Jean-Benoît
Pouliot qui s’est intéressé à l’évaluation qualitative des offres dans le domaine des contrats publics,
certains aspects de cette approche peuvent décourager les organismes publics à y recourir :
« [L]'évaluation qualitative des offres représente une certaine lourdeur administrative, autant pour le
donneur d'ouvrage que les soumissionnaires. En effet, le coût de la transaction est relativement
important, car ce type de procédé requiert du temps et de l'énergie de part et d'autre »377.

Section IV - Le règne du plus bas prix et de l’équité entre les soumissionnaires dans la
jurisprudence portant sur les contrats publics

Puisque nous cherchons à cerner la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se
dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics, il importe d’étudier de quelle manière les
juges conçoivent l’intérêt public lorsqu’ils ont à trancher des litiges qui ont trait à l’exercice du
pouvoir contractuel de l’État. En tant que source du droit, la jurisprudence fait partie intégrante du
cadre normatif applicable aux contrats publics. Les organismes publics sont censés orienter leurs
actions en fonction des textes de lois qui encadrent leurs pouvoirs, mais aussi en fonction de
l’interprétation que font les juges de ces textes.

D’autre part, les décisions judiciaires constituent une série de cas d’espèce dont l’analyse
peut nous renseigner sur le sens d’un texte de loi. Comme le souligne Arthur Kaufmann, « c’est

376
B. D. GROSS et G. MOUNIER, préc., note 10.
377
J.-B. POULIOT, préc., note 10, p. 44. Bien qu’il soit d’avis que le mode d’attribution fondé sur le plus bas
prix conforme comporte aussi son lot de lourdeur administrative, il n’en demeure pas moins que l’évaluation
qualitative des offres requièrent la mise en place de comité d’évaluation et des étapes additionnelles.

129
seulement par le cas et à travers le cas que l’on peut comprendre ce que la loi “signifie”. La
méthodologie traditionnelle a tout à fait tort si elle pense pouvoir trouver, par la seule “interprétation”,
dans la loi elle-même la réponse à la question de savoir si le texte légal “signifie” les états de faits
donnés »378.

Il fut un temps où l’on s’attendait du juge qu’il « dise le droit », c’est-à-dire qu’il incarne
cette figure détachée que décrivait Montesquieu en ces mots : « les juges de la nation ne sont, comme
nous avons dit, que la bouche qui prononce les paroles de la loi; des êtres inanimés qui n'en peuvent
modérer ni la force ni la rigueur »379. Plusieurs reconnaissent désormais au juge la faculté de « créer
le droit »380. En effet, le juge se trouve plus souvent qu’autrement dans des situations où la règle
générale et impersonnelle qu’il doit appliquer ne fournit pas de réponse claire et précise pour trancher
le cas qui lui est soumis. Comme le soulignait l’honorable Louis LeBel, ancien juge à la Cour suprême
du Canada, « [l]’inachèvement de la loi invite à une action judiciaire pour découvrir les potentialités
du texte. L’interprète judiciaire parachève ainsi l’oeuvre législative »381.

Ces remarques du juge LeBel prennent tout leur sens lorsque la norme qu’un tribunal doit
appliquer est à contenu variable. Pensons aux situations où le législateur confie au juge la tâche de
déterminer ce qui est raisonnable ou encore de ce qui est juste et suffisant. Il en est évidemment de
même lorsque vient le temps de d’établir ce qui est d’intérêt public. Des termes aussi polymorphes
sont susceptibles de plusieurs sens. Le travail d’interprétation devient alors inévitable, car il découle
de « l'imperfection de la communication entre législateur, juges, et juristes. Cette imperfection vient

378
Arthur KAUFMANN, « Par-delà le droit naturel et le positivisme juridique vers l’herméneutique juridique »,
(2019) 81-1 Revue interdisciplinaire d’études juridiques 61, 67.
379
Charles de Secondat MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois - Deuxième partie: livres IX à XIII (1748), coll.
Classiques des sciences sociales., Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002, p. 52. Voir également cet extrait de
l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S 429, par. 84. « Rappelons que la théorie
déclaratoire est issue du célèbre aphorisme de Blackstone : les juges ne créent pas le droit mais ne font que le
découvrir (W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England (1765), vol. 1, p. 69‑70). Elle exprime une
conception classique et fort répandue du rôle des tribunaux dans un État démocratique, fondée sur le souci de
préserver une stricte séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Ainsi, le tribunal accorde une
réparation rétroactive en appliquant le droit existant ou une règle redécouverte qui est réputée avoir toujours
existé, tandis que le législateur élabore de nouvelles lois pour l’avenir ».
380
Paul Amselek étant de cet avis : « L'on se demande classiquement si les tribunaux sont des Iégislateurs, s'ils
ont le pouvoir de mettre en vigueur des règles juridiques. La réponse ne fait pas de doute: en tant qu'autorit6s
publiques d'application du droit, ils édictent des règles ou normes juridiques particulières, ils mettent en vigueur
un règlement juridique des litiges qui leur sont soumis; c'est le sens même du dispositif de leurs actes
juridictionnels. Le juge est en ce sens, pour reprendre l’heureuse expression du doyen Ripert, le “législateur des
cas particuliers”», Paul AMSELEK, « La teneur indécise du droit », 26-1 Revue juridique Thémis 1, 15.
381
Louis LEBEL, « La loi et le droit : la nature de la fonction créatrice du juge dans le système de droit
québécois », (2015) 56-1 Les Cahiers de droit 85, 92‑93.

130
non seulement du langage lui-même, qui peut être imprécis ou ambigu, mais aussi de l'utilisation qui
est faite de ce langage »382. Lorsqu’une notion comme l’intérêt public est susceptible de plusieurs
sens, il revient au juge de l’interpréter. Comme le faisait remarquer le professeur Albert Mayrand,
« La loi [ou un principe en découlant], lorsqu’elle présente du doute ou de l’ambiguïté, commande
au juge de l’interpréter. Cette mission oblige le juge à lire entre les lignes de la loi; mais, c'est fatal,
tous n'y lisent pas la même chose. »383

Nous sommes d’avis que lorsqu’un texte de loi - ou un principe en découlant - prescrit d’agir
selon une règle au contenu indéterminé comme l’intérêt public, c’est l’application par le juge de la
règle qui fixe la norme, bien davantage que la règle elle-même384. Pour rédiger la présente section,
nous avons donc analysé la manière dont les juges appliquent l’intérêt public aux cas concrets qui
leur sont soumis en nous concentrant plus particulièrement sur le raisonnement qui sous-tend leurs
conclusions. Autrement dit, nous nous sommes livrés à une interprétation de l’interprétation des
juges. Notre démarche peut être rapprochée de l’herméneutique juridique en ce sens où nous avons
tenté de comprendre, à travers le raisonnement des juges, les logiques qui sont à l’œuvre lorsque
ceux-ci doivent décider ce qui est d’intérêt public dans un litige ayant trait au pouvoir contractuel de
l’État. En somme, l’exercice que nous avons fait ne s’est pas borné à étudier le texte des jugements,
mais également leur sous-texte, les principes qui s’en dégagent de même que la structure générale des
idées avancées par les juges pour étayer leurs conclusions. Précisions que notre approche s’inscrit
dans la droite ligne de l’herméneutique juridique en ce sens où nous considérons le droit, et en
particulier la jurisprudence qui en fait partie intégrante, non pas comme un fait social, mais plutôt
comme un discours qu’il convient d’interpréter385. L’herméneutique, que l’on désigne également par
l’expression approche interprétative du droit, « exige de l’interprète “d’aller au-delà du donné visible,
immédiat, pour atteindre le vrai sens, invisible” »386. Comme le mentionne François Ost, les décisions

382
Charlotte LEMIEUX, « Éléments d’interprétation en droit civil », (1994) 24 Revue de droit de l’Université de
Sherbrooke 222, 227.
383
A. MAYRAND, préc., note 52, 797.
384
En ce sens, nous souscrivons à la position défendue par Pierre-André Côté, dans Pierre-André CÔTÉ, Mathieu
DEVINAT et Stéphane BEAULAC, Interprétation des lois, 4e. éd, Montréal, Thémis, 2009, par. 952‑955.
385
Voir l’article de Luc R. Tremblay qui décrit l’une des caractéristiques de cette approche ainsi :
« L’herméneutique soutient qu’il faut procéder, par interprétation, à une reconstruction du discours juridique
dans son ensemble. Le but, la finalité ou les biens qui donnent un sens à la pratique dépendant tout autant du
sens et du poids des principes et des valeurs juridiques que ces dernières dépendent du sens de la pratique prise
comme un tout », Luc B. TREMBLAY, « Le positivisme juridique versus l’herméneutique juridique », (2012) 46-
2 Revue juridique Thémis 256, 270.
386
Michelle CUMYN et Mélanie SAMSON, « La méthodologie juridique en quête d’identité », (2013) 71-2 Revue
interdisciplinaire d’études juridiques 1, 13. citant Jean QUILLIEN, « Pour une autre scansion de l’histoire de
l’herméneutique : les principes de l’herméneutique de W. von Humboldt », dans André LAKS et Ada B.

131
judiciaires font partie intégrante du « langage juridique » et celles-ci produisent et reproduisent le
sens juridique d’une notion indéterminée : « le langage juridique tout entier est de nature
herméneutique, quel que soit son auteur (constituant, législateur, administrateur, juge, simple
particulier, ...) et quel que soit le type de norme, d'acte, ou de proposition juridique produit. Sans
doute la position de ces différents acteurs diffère-t-elle, il n'en reste pas moins que chacun d'entre eux
constitue un maillon dans la chaine qui produit et reproduit le sens juridique »387.

Cela étant dit, débutons avec la conclusion de l’analyse à laquelle nous nous sommes livrés :
à la lecture des décisions que nous avons citées précédemment et auxquelles réfère le professeur
Patrice Garant pour soutenir que l’intérêt public est la « raison d’être » des contrats publics, on
constate que les tribunaux sont effectivement guidés par cette notion pour étayer leurs conclusions
dans le domaine du contentieux portant sur les contrats publics. Toutefois, en regardant d’un peu plus
près ces décisions et plusieurs autres, nous avons rapidement remarqué que les tribunaux se rabattent
généralement sur le principe de l’équité entre les soumissionnaires et sur le prix des soumissions pour
analyser la question de l’intérêt public, un peu comme si ces éléments constituaient la véritable finalité
des contrats publics. Notre analyse du raisonnement des juges nous a permis de constater qu’il
s’agissait des critères par excellence. L’objectivité du prix en fait une valeur refuge à laquelle les
juges n’hésitent pas à recourir pour statuer sur l’issue du dossier. Quant au principe d’équité entre les
soumissionnaires, c’est comme si celui-ci transcendait tous les autres, bien qu’il ne figure en réalité
que parmi les six grands objectifs énumérés à l’article 2 de la LCOP et que le législateur ne lui a
accordé aucun poids prépondérant.

Mais comment les juges en sont-ils venus à forger leur conception de l’intérêt public à l’aune
du ce concept du plus bas soumissionnaire conforme et du principe de l’équité entre les
soumissionnaires ?

Voyons tout d’abord quelques exemples tirés de la jurisprudence des tribunaux de première
instance et de la Cour d’appel du Québec qui témoignent de la « lecture » dominante que se font les
juges québécois de la notion d’intérêt public lorsqu’il est question de trancher un litige découlant d’un

NESCHKE-HENTSCHKE (dir.), La naissance du paradigme herméneutique: de Kant et Schleiermacher à Dilthey,


2e éd., coll. Cahiers de philologie, 24. Série apparat critique, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du
Septentrion, 2008, p. 71‑105 à la page 73..
387
François OST, « L’herméneutique juridique entre hermétisme et dogmatisme. Le jeu de l’interprétation en
droit », (1993) 6-3 International Journal for the Semiotics of Law 227, 230.

132
contrat public. Nous tenterons ensuite de comprendre d’où vient cette lecture dominante en
décortiquant quelques principes établis par la Cour suprême du Canada au fil des ans. Enfin, comme
tout exercice d’interprétation est susceptible d’offrir plusieurs lectures comme le rappelle le
professeur Mayrand que nous avons cité plus tôt, nous présenterons quelques cas qui font figure
d’exceptions dans la jurisprudence d’ici ainsi que des exemples tirés de juridictions étrangères. Mais
dans ce dernier cas, ces décisions émanant d’autres systèmes juridiques que le nôtre sont présentées
simplement à des fins heuristiques, pour nous aider à prendre un peu de recul vis-à-vis des tendances
qui se sont développées ici.

Les décisions que nous avons choisi de présenter n’abordent pas toutes de façon directe
l’intérêt public, mais elles participent toutes, chacune à leur façon, à la construction d’une conception
particulière de la notion.

Paragraphe I - Une lecture axée sur le prix des soumissions et sur l’équité entre
les soumissionnaires

L’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée
illustre bien la tendance des tribunaux à s’en remettre aux variables budgétaires pour sceller le sort
d’un litige mettant en cause un contrat public. Dans cette affaire opposant la Ville de Rimouski à
l’entreprise de construction Les Structures GB Ltée (ci-après « Structures »), la Cour d’appel
confirme le raisonnement du juge de première instance suivant lequel l’intérêt public commande
d’abord et avant tout de traiter les soumissionnaires avec équité pour ne pas que l’un d’eux soit
défavorisé vis-à-vis des autres aspirants contractants : « le principe de base, en matière d’appel
d’offres, est le droit des soumissionnaires d'être traités en toute égalité et équité, un principe qui
protège l’intérêt public tout en assurant qu’un soumissionnaire ne sera pas favorisé au détriment d’un
autre »388. Le litige qui fait l’objet de ce dossier est né après que la Ville de Rimouski ait rejeté la
soumission de Structures au motif que celle-ci avait fourni un cautionnement de 140 483 $ alors que
les documents d’appel d’offres en exigeaient que celui-ci soit de 150 000$. Le débat, tant en première
instance que devant la Cour d’appel, a porté sur qualification de cette erreur, la Ville ayant jugé que
cette erreur de Structures était majeure et justifiait de rejeter d’entrée de jeu sa soumission. Le
soumissionnaire ayant proposé le second prix le plus bas ayant été retenu par la Ville, Structures a
réclamé des dommages-intérêts à la Ville pour compenser la perte des profits qu’elle aurait pu

388
Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, [2010] QCCA 219, paragraphe 17.

133
engranger en réalisant les travaux convoités. Il convient tout d’abord de reproduire les passages
suivants de l’arrêt qui font référence au jugement de première instance :

[18] Il [le juge de première instance] conclut que l’omission de Structures GB de fournir
la totalité du cautionnement de soumission exigé constitue une « irrégularité mineure,
accessoire et sans conséquence sur le prix de la soumission ». Il s'appuie essentiellement
sur deux éléments, à savoir : 1) la confirmation du 12 juillet 2004 par laquelle Structures
GB réitère son engagement d'exécuter le contrat, et 2) la correction de l’irrégularité en
temps utile, c’est-à-dire avant que le conseil se réunisse pour prendre une décision finale.
Par ailleurs, le juge considère que l’irrégularité n’avait aucune incidence sur le prix de
la soumission, de sorte que sa correction n’avait pas pour effet de compromettre le
respect du principe de l’égalité des soumissionnaires.

[19] Le premier juge rappelle ensuite que la Ville, malgré son pouvoir discrétionnaire,
ne peut agir de manière arbitraire et ignorer l’intérêt public qui dicte de choisir la plus
basse soumission pour éviter de dépenser inutilement les fonds publics. En l’espèce, le
juge conclut que la Ville de Rimouski a fait preuve « d’une rigidité excessive et d’un
formalisme qui servaient mal l’intérêt de la collectivité », en faisant prévaloir une
irrégularité mineure sur le principe du contrat au plus bas soumissionnaire.389

Le raisonnement du juge de première instance que nous venons de citer a été confirmé par la
Cour d’appel. Le juge Brossard, au nom de l’opinion majoritaire, écrit ceci : « L'adjudication des
contrats municipaux par voie de soumissions publiques vise à assurer l'exécution des travaux au
meilleur coût pour les contribuables, mais aussi à garantir le respect du principe fondamental de
l'égalité des soumissionnaires »390. Plus loin dans ses motifs, faisant écho aux arguments de
Structures, il explique les dangers associés à la possibilité pour un organisme public d’avoir la
possibilité de favoriser un autre soumissionnaire que le moins-disant lorsque la soumission de ce
dernier respecte les éléments essentiels de l’appel d’offres :

[60] L'intimée soumet que, tous autres éléments étant équivalents, l'intérêt public
consacré par le principe de l'octroi du contrat au plus bas soumissionnaire, doit prévaloir,
tel qu'illustré par les jugements dans Entreprises de construction OPC inc. (Entreprises
de construction OPC inc. c. Complexe hospitalier de la Sagamie, EYB 2005-85529
(C.S.), confirmé par 2005 QCCA 1123 (C.A.)) Autrement, on tomberait dans une
situation où le plus haut soumissionnaire des deux pourrait être retenu par la Ville de
Rimouski, malgré des dérogations mineures respectives n'affectant en aucune façon la

389
Id., paragraphes 18-19. Les italiques sont de nous.
390
Id., paragraphe 30.

134
conformité des soumissions quant aux éléments essentiels, et ce, en vertu du pouvoir
discrétionnaire dont l'intimée veut se prévaloir en l'instance.391

Les faits qui ont été mis en preuve dans ce dossier peuvent laisser entendre que la Ville a
tablé sur une irrégularité mineure dans la soumission de Structures pour octroyer le contrat à un autre
soumissionnaire, qui, pour des raisons qui n’ont pas été démontrées et qui relèvent d’une simple
hypothèse, était peut-être un entrepreneur plus intéressant pour la Ville. Le fait que la Ville ait permis
à cet autre soumissionnaire de corriger certaines ambiguïtés dans sa proposition392 alors qu’elle s’est
montrée très rigide à l’égard de Structures en refusant de lui permettre de corriger le montant de son
cautionnement, peut donner l’impression d’un certain favoritisme. Il ressort clairement de l’arrêt que
c’est ce qui a convaincu l’opinion majoritaire que le Ville avait contrevenu au principe du traitement
équitable des soumissionnaires.

D’autre part, la Ville a plaidé qu’elle se croyait obligée de rejeter la soumission de Structures,
car ses avocats lui avaient représenté qu’il s’agissait d’une irrégularité majeure. Cela a été mis en
preuve et n’a pas été contesté. Cette situation a fait dire au juge Forget, dans sa dissidence, que la
Ville n’avait pas agi de mauvaise foi en l’espèce et qu’elle pouvait à bon droit rejeter la soumission
de Structures.

Si les juges se sont entendus sur le fait qu’un organisme public comme la Ville de Rimouski
bénéficie d’une certaine discrétion pour accepter ou rejeter des soumissions qui comportent des
irrégularités mineures, ils n’ont toutefois pas interprété la bonne foi de la Ville de la même manière.
Les juges Brossard et Duval Hesler ont conclu qu’il y avait eu mauvaise foi de la part de la Ville alors
que le juge Forget a quant à lui estimé que rien ne démontrait qu’elle avait fait preuve de favoritisme
dans les circonstances, celle-ci ne faisant que suivre les recommandations de ses conseillers juridiques
et de ses architectes. Le passage le plus intéressant de la décision se trouve au dernier paragraphe
lorsque le juge Forget écrit :

En terminant, je suis bien conscient que la thèse défendue par l'intimée est séduisante
puisqu'elle vise à obtenir le meilleur prix pour les contribuables; or, qui peut être opposé
à la vertu? Je crois toutefois que si on retire toute discrétion aux municipalités, les
tribunaux vont devoir intervenir de plus en plus fréquemment pour examiner à la loupe
les soumissions et déterminer si l'irrégularité est mineure ou non. Ce n'est pas le rôle des

391
Id., paragraphe 60.
392
Précisons que la Ville l’avait aussi fait pour un autre soumissionnaire.

135
tribunaux et je suis loin d'être certain que les contribuables trouveront leur compte dans
la multiplicité des procédures judiciaires.393

Nous sommes d’accord avec le juge Forget. L’argument qui semble avoir le plus d’impact
auprès des juges dans le cadre des litiges entourant les contrats publics est celui qui consiste à protéger
les deniers des contribuables. Reprochant à ses collègues de s’être « laissés » convaincre par le
caractère séduisant d’un tel argument, il enchaîne en défendant une thèse similaire, à savoir qu’il n’est
pas dans l’intérêt des contribuables de suivre l’opinion majoritaire puisqu’elle risque d’entraîner une
multiplication des procédures et conséquemment, des coûts additionnels.

La jurisprudence foisonne d’exemples similaires. Dans l’affaire Entreprises H. St-


Pierre c. Inverness (Mun. du canton)394, l’un des soumissionnaires reprochait à la municipalité
d’avoir octroyé un contrat de déneigement à une autre entreprise qui ne respectait pas l’exigence
d’expérience minimale imposée aux documents d’appel d’offres. La Cour supérieure a jugé que cette
condition n’était pas essentielle, car non prévue par la loi. Elle a conclu que la municipalité pouvait
y renoncer. Le raisonnement qui a permis à la Cour d’affirmer que la condition n’était pas essentielle
peut se comprendre ; il est vrai que cette exigence n’était pas fondée sur un texte de loi ou un
règlement. Toutefois, la vitesse à laquelle la Cour s’empresse d’associer l’intérêt public au statut de
plus bas soumissionnaire traduit bien l’importance qu’occupe la variable budgétaire dans le
contentieux des contrats publics : « En l’absence de mauvaise foi, le fait de renoncer à une exigence
non essentielle ne doit pas être considéré comme un obstacle à l’adjudication du contrat en faveur du
plus bas soumissionnaire, soit en fonction du meilleur intérêt des contribuables. D’ailleurs, l’intérêt
des contribuables est le principe qui doit guider les tribunaux. »395

Citons également les arrêts Monit International c. Canada396 et Gestion Complexe Cousineau
(1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics)397 pour étayer notre propos. Bien qu’il soit plus
difficile de tirer des conclusions très nettes sur ce que les juges ont estimé être dans l’intérêt public
dans ces deux affaires, il est intéressant de noter qu’ils soutiennent que la procédure d’appel d’offres
a pour objectif de « protéger les contribuables ». Il est important de souligner que la Cour n’emploie
pas des expressions comme « intérêt public », « intérêt général » ou « bien commun » ; elle réfère

393
Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, préc., note 397, paragraphe 121.
394
Entreprises H. St-Pierre c. Inverness (Mun. du canton), préc., note 35.
395
Id., p. 7. Les italiques sont de nous.
396
Monit International c. Canada, préc., note 36.
397
Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics) préc., note 36.

136
plutôt à la protection des contribuables. Ce choix de mots nous apparaît révélateur de cette logique
comptable dans laquelle est enfermé selon nous le pouvoir contractuel de l’État.

D’où vient cette tendance à associer aussi rapidement l’intérêt public à l’intérêt du trésor
public ? Comment l’intérêt des citoyens s’est-il retrouvé à être jugé à l’aune de leur seule qualité de
contribuable ? D’où vient cette idée que le plus bas soumissionnaire conforme est garant de la finalité
d’intérêt public du contrat public ? Pourquoi ce critère prime-t-il sur les autres au point de parfois les
occulter complètement ? À la lumière de certains arrêts de la Cour suprême du Canada et d’autres
décisions clés, nous verrons comment le principe de la libre concurrence - et des fruits que celle-ci
est censée produire - est venue supplanter l’idée que le pouvoir contractuel de l’État est
intrinsèquement un pouvoir discrétionnaire requérant une certaine latitude de la part de ceux qui
l’exercent. L’érection du principe de libre concurrence au rang du garant de l’intérêt public s’est
accompagnée de l’élaboration et de la sophistication constantes de la règle du traitement intègre et
équitable des concurrents. Appliquée de façon rigide, cette règle s’est parfois retournée contre les
concurrents eux-mêmes et a placé bien souvent les organismes publics dans ce qu’ils ont qualifié de
« carcan juridique »398. Cela est notamment attribuable à l’application, en droit civil québécois, de la
théorie du contrat A et du contrat B initialement développée dans un contexte de common law.

Paragraphe II – Le principe de la libre concurrence comme garant de l’intérêt


public

Dans La Reine (Ont.) c. Ron Engineering, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge
Estey, a établi le principe suivant lequel le processus d’appel d’offres d’un organisme public donne
lieu à deux contrats, le contrat A « qui prend naissance dès la présentation de la soumission [et qui]
est immédiatement formé sans autre formalité »399 et le contrat B, qui se trouve à être le contrat
d’entreprise formé ultérieurement entre le donneur d’ouvrage et le soumissionnaire retenu. Cette
théorie s’inscrit à l’intérieur d’un principe fondamental au droit des contrats, celui du consentement.
Un contrat se forme par l’accord des volontés des parties. L’idée derrière le contrat A est de s’assurer
qu’il y a ait consentement entre l’auteur de l’appel d’offres (qui exprime sa volonté de contracter

398
Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, préc., note 397, 9.
399
La Reine (Ont.) c. Ron Engineering, [1981] 1 R.C.S. 111, 121.

137
d’une manière « X ») et le soumissionnaire (qui exprime sa volonté de contracter conformément à
cette manière « X »). Au sujet du contrat A, la Cour écrit :

Celui-ci est parfois appelé en droit contrat unilatéral, c.-à-d. un contrat qui résulte d’un
acte fait en réponse à une offre, par exemple, de la façon la plus simple: « Je vous paierai
un dollar si vous tondez mon gazon ». Il n’y a pas, en droit, d’obligation de tondre le
gazon et l’obligation de verser un dollar ne naît que de l’exécution de l’acte mentionné
dans l’offre. […] L’aspect important de l’enchère, en droit, est qu’elle devient
immédiatement irrévocable si elle est présentée conformément aux conditions générales
de l’appel d’offres et si ces conditions le prévoient. […] La condition principale du
contrat A est l’irrévocabilité de l’offre, et la condition qui en découle est l’obligation
pour les deux parties de former un autre contrat (le contrat B) dès l’acceptation de la
soumission. Les autres conditions comportent l’obligation, sous certaines réserves, pour
la propriétaire d’accepter la soumission la plus basse, obligation dont l’étendue est
déterminée par les conditions générales mentionnées à l’appel d’offres.400

Ce sont les documents d’appel d’offres qui régissent les conditions du contrat A. Par exemple,
si les documents prévoient qu’un dépôt doit être fait par le soumissionnaire pour garantir l’exécution
de sa soumission et que le soumissionnaire retenu choisit finalement de ne pas signer le contrat
d’entreprise (contrat B) qu’il s’était offert de réaliser, le donneur d’ouvrage sera alors en droit de
retenir le dépôt fourni par le soumissionnaire.

C’est d’ailleurs ce qui s’était produit dans l’affaire Ron Engineering. La reconnaissance par
la Cour de l’existence d’un contrat A lors d’un appel d’offres public implique des conséquences
pratiques importantes. La première est certainement l’affirmation du caractère irrévocable des offres
faites en réponse aux procédures d’appel d’offres lancées par les organismes publics, lorsque ces
offres sont conformes aux conditions générales de l’appel d’offres. Cela fait en sorte qu’un
soumissionnaire ne peut pas de se dédire de son offre après avoir réalisé que celle-ci était trop
compétitive sans avoir à dédommager le donneur d’ouvrage. Évidemment, cela avantage les donneurs
d’ouvrage en leur permettant de bénéficier des fruits d’une mise en concurrence à l’aveuglette et de
l’irrévocabilité des offres soumises.

En contrepartie, le soumissionnaire qui répond aux conditions stipulées dans les documents
d’appel d’offres et qui se qualifie comme étant le plus intéressant peut s’attendre à obtenir le contrat
B qu’il convoitait en participant à l’appel d’offres, à défaut de quoi il pourra demander d’être

400
Id., 122‑123.

138
dédommagé pour les profits dont il a été privé. Or, être le plus intéressant signifie quoi précisément
? Cette question est importante, car depuis les règles établies par l’arrêt Ron Engineering, les donneurs
d’ouvrage ont tout avantage à être précis sur ce point pour éviter qu’une ambiguïté sur les critères de
sélection donne lieu à l’introduction d’un recours judiciaire. Dans ce processus de qualification du
soumissionnaire le plus intéressant et à la lumière des règles de Ron Engineering, il était possible
d’anticiper que le critère du plus bas prix constituerait un choix rassurant pour les donneurs d’ouvrage
qui ne souhaitaient pas voir l’adjudication de leurs contrats contestés devant les tribunaux. Étant une
donnée en apparence objective, le plus bas prix conforme constitue sans doute la meilleure police
d’assurance contre d’éventuelles poursuites dans le contexte où la nouvelle théorie du contrat A et du
contrat B impose aux donneurs d’ouvrage de se marier avec le prétendant le plus séduisant sur papier.

Quelques années plus tard, dans l’arrêt M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense
(1951) Ltée (ci-après « MJB »), la Cour suprême a précisé la portée des principes développés par le
juge Estey dans Ron Engineering. Alors que plusieurs tribunaux de première instance interprétaient
cette décision comme ayant établi que le dépôt d’une soumission créait dans tous les cas un contrat
A aux termes duquel la soumission devenait irrévocable, la Cour suprême précisa « [qu’]il est toujours
possible que le contrat A ne soit pas formé dès la présentation d’une soumission, ou qu’il y ait
formation du contrat A, mais que l’irrévocabilité de la soumission n’en soit pas une condition; cela
dépend des conditions de l’appel d’offres »401. Rejetant l’idée que le contrat A puisse être qualifié de
contrat unilatéral comme l’avait laissé entendre le juge Estey, la Cour précisera que l’irrévocabilité
de la soumission doit être analysée à la lumière des faits précis de chaque cas et suivant le contenu
des documents d’appels d’offres en cause.

Pour le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour, il importe de retenir de l’arrêt Ron
Engineering que « la présentation d’une soumission en réponse à un appel d’offres peut donner
naissance à des obligations contractuelles tout à fait distinctes des obligations découlant du contrat
d’entreprise qui doit être conclu dès l’acceptation de la soumission, selon que les parties auront voulu
établir des rapports contractuels par la présentation d’une soumission. »402 Autrement dit, ce que
signifie la théorie du contrat A et du contrat B, c’est qu’il existe dans les faits deux contrats distincts.
Le premier, le contrat A, peut être formé dès qu’une personne présente une soumission si les
documents d’appel d’offres le prévoient. Comme le contrat A est régi par les conditions de l’appel

401
M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, préc., note 350, paragraphe 17.
402
Id., paragraphe 19.

139
d’offres, il faut vérifier si ces conditions prévoient que le seul dépôt d’une soumission engage le
soumissionnaire et le donneur d’ouvrage. Si tel est le cas, il y a aussitôt formation d’un contrat, qui
sera désigné comme étant le contrat A. En ce qui a trait au caractère irrévocable de la soumission,
encore ici, il faut s’en remettre aux termes de l’appel d’offres. L’offre du soumissionnaire pourra être
irrévocable dans la mesure où les conditions de l’appel d’offres le prévoient. En somme, comme le
dit le juge Iacobucci, « il est toujours possible que le contrat A ne soit pas formé dès la présentation
d’une soumission, ou qu’il y ait formation du contrat A, mais que l’irrévocabilité de la soumission
n’en soit pas une condition; cela dépend des conditions de l’appel d’offres »403. Dans chaque cas, il
faudra vérifier si les parties ont bien voulu se lier contractuellement par le simple dépôt d’une
soumission : « la naissance du contrat A est subordonnée à la volonté des parties d’établir des rapports
contractuels par la présentation d’une soumission en réponse à l’appel d’offres »404.

Dans le cas précis de MJB, un exemple classique de litige découlant de l’attribution d’un
contrat public, M.J.B. Enterprises Ltd. reprochait à Construction de Défense (1951) Ltée, un
organisme public (ci-après : « Construction de défense ») d’avoir octroyé un contrat de construction
à une autre entreprise, Sorochan Enterprises Ltd. (ci-après : « Sorochan ») dans le cadre d’un appel
d’offres à l’issue duquel Sorochan a été considérée comme ayant présenté la soumission la plus base.
Tant en première instance que par la suite et devant la Cour suprême, il a été établi que la soumission
de Sorochan était non conforme et que la deuxième soumission la plus basse était celle de MJB.

Toutefois, comme les documents d’appel d’offres de Construction de défense comportaient


une clause de réserve indiquant que « La soumission la plus basse ne sera pas nécessairement retenue
ni non plus aucune soumission », l’organisme pouvait-il, comme il l’a fait, écarter la soumission de
MJB - dans les faits la plus basse soumission conforme - pour retenir celle de Sorochan ? Procédant
à l’analyse des conditions prévues aux documents d’appel d’offres, la Cour est venue à la conclusion
qu’il était bien de l’intention des parties de former un contrat A sur dépôt d’une soumission conforme.
Ce contrat étant reconnu, quelles obligations comportait-il pour les parties ? De l’avis de MJB, le
donneur d’ouvrage dont elle convoitait le contrat aurait dû lui octroyer, puisque c’est elle qui avait
présenté la soumission conforme la plus basse. N’attaquant pas la conclusion du juge de première
instance concernant l’invalidité de la soumission de Sorochan, Construction de défense prétendit de
son côté « que la clause de réserve lui donn[ait] le pouvoir discrétionnaire d’attribuer le contrat à

403
Id., 631.
404
Id., 633.

140
n’importe qui, y compris l’auteur d’une soumission non conforme, voire de ne pas attribuer le contrat,
à la seule charge de traiter tous les soumissionnaires équitablement »405. Plaidant qu’elle avait cru de
bonne foi que la soumission de Sorochan était valide, Construction de défense tenta de démontrer
qu’il n’y avait pas lieu ici de conclure à un manquement au devoir de traiter tous les soumissionnaires
avec équité.

Après avoir étudié en détail les différentes clauses des documents d’appel d’offres, la Cour a
conclu que le contrat A ne contenait aucune obligation explicite pour Construction de défense
d’octroyer le contrat B au soumissionnaire le plus bas conforme. Par contre, reprenant les principes
énoncés par le juge Le Dain dans l’arrêt Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de
Montréal406 suivant lesquels un contrat peut comporter des conditions implicites « 1) fondées sur la
coutume ou l’usage; 2) en tant que particularités juridiques d’une catégorie ou d’un type particuliers
de contrats; ou 3) fondées sur l’existence d’une intention présumée des parties, soit la condition
implicite dont l’introduction est nécessaire «pour donner à un contrat de l’efficacité commerciale ou
pour permettre de quelque autre manière de satisfaire au critère de “l’observateur objectif” »407, la
Cour a statué que le contrat A intervenu entre MJB et Construction de défense comportait l’obligation
implicite d’octroyer le contrat B au soumissionnaire le plus bas conforme. Le juge Iaccobucci écrit :
« il m’est difficile d’admettre que l’appelante, ou que l’un des autres entrepreneurs, aurait décidé de
présenter une soumission s’il n’avait pas été entendu que seule une soumission conforme serait
acceptée. […] Un examen du dossier d’appel d’offres, y compris la clause de réserve, et de la
déposition des témoins de l’intimée au procès indique qu’il est raisonnable de conclure, sur le
fondement de l’intention présumée des parties, à l’existence d’une obligation implicite de n’accepter
que les soumissions conformes »408.

Une fois cette obligation implicite reconnue, il faut se demander si Construction de défense
pouvait se fonder sur sa clause de réserve pour en écarter l’application ? Sur ce point, la Cour rejeta
l’argument de Construction de défense selon lequel elle avait le pouvoir discrétionnaire d’attribuer le
contrat à un soumissionnaire non conforme en vertu de la clause de réserve contenue aux documents
d’appel d’offres.

405
Id., 642.
406
Société hôtelière Canadien Pacifique Ltée c. Banque de Montréal, [1987] 1 R.C.S. 711.
407
M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, préc., note 350, 634‑635.
408
Id., 636.

141
Ce que dit la clause de réserve, c’est que Construction de défense se réserve le droit
d’attribuer le contrat à un soumissionnaire dont l’offre n’est pas la plus basse ou encore de ne pas
attribuer le contrat du tout. Cela est tout à fait compatible avec l’obligation implicite de n’attribuer le
contrat qu’à un soumissionnaire conforme. Ce faisant, Construction de défense ne pouvait pas
attribuer le contrat à Sorochan comme elle l’a fait.

Ce qui ressort de l’analyse de la Cour au sujet de la possibilité pour un organisme public tel
que Construction de défense de se réserver le droit de ne pas octroyer le contrat au plus bas
soumissionnaire conforme est très intéressant. En effet, bien que la Cour soit d’avis qu’une telle
clause, du moins de la façon dont elle était libellée en l’espèce, ne peut pas permettre de retenir une
soumission non conforme, elle peut en revanche justifier l’octroi du contrat à un soumissionnaire qui
n’a pas présenté le plus bas prix. Ce que nous souhaitons ici mettre en évidence, c’est les motifs qui
incitent la Cour à reconnaitre la possibilité pour un donneur d’ouvrage de se réserver la possibilité de
ne pas retenir la soumission la plus basse :

Par conséquent, même dans les cas où, comme en l’espèce, presque rien d’autre que les
prix respectifs proposés ne distingue les soumissionnaires, le rejet de la soumission la
plus basse ne voudrait pas nécessairement dire que la décision de retenir une soumission
peut être fondée sur un critère de sélection non divulgué. Le pouvoir discrétionnaire de
ne pas retenir nécessairement la soumission la plus basse que s’est ménagé le propriétaire
grâce à la clause de réserve, est un pouvoir qui lui permet d’avoir une vision plus nuancée
des « coûts » qui ne s’arrête pas aux prix établis dans les soumissions. À cet égard, je
suis d’accord avec le résultat auquel la cour est arrivée dans l’arrêt Acme Building &
Construction Ltd. c. Newcastle (Town) (1992), 2 C.L.R. (2d) 308 (C.A. Ont.). Dans
cette affaire, le contrat B a été attribué au deuxième soumissionnaire le plus bas parce
qu’il pouvait achever le projet dans un délai plus court que le soumissionnaire le plus
bas, ce qui permettait de faire d’importantes économies et de réduire les inconvénients
pour les commerces, tous les entrepreneurs ayant été invités à préciser une date
d’achèvement des travaux dans leurs soumissions. Il se peut aussi que le propriétaire
inclue (sic) d’autres critères que le coût dans le dossier d’appel d’offres. Toutefois, la
nécessité d’envisager les « coûts » de cette manière n’exige pas et ne signifie pas qu’on
doive être investi du pouvoir discrétionnaire d’accepter une soumission non conforme.409

Le raisonnement de la Cour repose sur l’idée qu’il est acceptable pour un organisme public
de se ménager le droit de ne pas retenir la soumission la plus basse si l’objectif de ce pouvoir
discrétionnaire découle de l’intention d’avoir « une vision plus nuancée des coûts ». Bien que la Cour
emploie l’expression « coûts », nous croyons qu’elle voulait référer à la plus-value générale de la

409
Id., 643‑644.

142
soumission et non seulement aux dépenses directes engendrées par celui-ci pour le donner d’ouvrage.
À preuve, la Cour mentionne être en accord avec le raisonnement d’un tribunal ayant conclu qu’une
soumission comportant une date d’achèvement des travaux plus rapide, mais un prix plus élevé,
pouvait être préférée en raison des économies générées par la rapidité des travaux, mais aussi, et c’est
l’élément important, en raison de la réduction des inconvénients pour les commerces situés à
proximité du projet.

L’année suivant la décision rendue dans l’arrêt MJB, la Cour suprême est à nouveau invitée
à se prononcer sur les principes devant régir le contentieux des contrats publics dans le cadre de
l’affaire Martel Building Ltd. c. Canada410 (ci-après « Martel Building »), où il était question d’un
litige entourant le renouvellement d’un bail d’un immeuble appartenant à The Martel Building
Limited (ci-après : « Martel »), lequel était situé à Ottawa et loué en bonne partie par le ministère des
Travaux publics du Canada (ci-après : le « ministère »).

La première partie du jugement traite de l’obligation de diligence dont devraient faire preuve
les parties qui prennent part à une négociation commerciale comme celle qui a eu lieu entre Martel et
le ministère lorsqu’ils ont discuté de l’opportunité de lever l’option de renouvellement contenue au
bail. Il faut savoir que Martel reprochait au ministère d’avoir été intransigeant avec elle dans le cadre
des négociations, d’avoir omis de l’aviser de son absence à certaines réunions, de ne pas avoir été
suffisamment transparent, etc. Sur ce point, la Cour conclut qu’il existe effectivement une obligation
de diligence prima facie entre les parties en vertu du lien étroit qui existe entre elles, celles-ci étant
liées par les termes d’un bail commercial depuis 10 ans. Par contre, elle statuera que les conséquences
associées à l’imposition d’une telle obligation dans le contexte d’une négociation commerciale
seraient trop néfastes et qu’elles l’emportent sur l’existence prima facie de cette obligation.

S’interrogeant sur l’existence d’une obligation de diligence en droit canadien lors d’une
négociation commerciale comme celle à laquelle sont intervenus Martel et le ministère, il est
intéressant de constater que la Cour assimile la négociation entourant la conclusion d’un contrat
public à n’importe quel type de négociation entre acteurs privés :

« L’objectif premier d’un acteur économiquement rationnel participant à une


négociation commerciale est de conclure le marché le plus avantageux sur le plan

410
Martel Building Ltd. c. Canada, préc., note 78.

143
financier. Comme nous l’avons mentionné précédemment, dans le contexte de
négociations bilatérales, tout gain est réalisé aux dépens de l’autre partie. »411

Traitant ensuite de l’opportunité d’indemniser la perte économique d’une partie, elle ajouta :

À cause peut‑être du point de vue traditionnel voulant que, du moins dans certaines
circonstances, la perte économique soit moins digne d’indemnisation que la lésion
corporelle ou le dommage matériel, on remarque que l’absence d’un préjudice net à
l’échelle de la société est un facteur qui joue contre l’élargissement de la responsabilité
à l’égard de la perte purement économique. Ainsi, la négociation a simplement pour
effet d’opérer un transfert de richesse entre les parties. Bien que l’une des parties puisse
subir un préjudice, une autre obtient souvent un avantage. Par conséquent, en tant
qu’entité économique, la société n’est pas lésée412

Nous ne remettons pas ici en question le raisonnement qui a permis à la Cour de venir à la
conclusion qu’il ne serait pas souhaitable d’imposer une obligation de diligence aux parties dans le
contexte d’une négociation commerciale. Ce que nous souhaitons faire ressortir, c’est à quel point la
nature même du contrat en cause, un contrat public entre un ministère et une partie privée, a été
évacuée de l’analyse. S’il est vrai qu’un acteur économiquement rationnel peut avoir comme objectif
principal de conclure un marché avantageux sur le plan financier, pouvons-nous vraiment en dire
autant d’un organisme public comme le ministère en l’espèce ? Les organismes publics devraient-ils
être considérés comme des acteurs économiques rationnels ? Lorsque la Cour mentionne que la
négociation entourant la conclusion d’un contrat « a simplement pour effet d’opérer un transfert de
richesse entre les parties », pouvons-nous vraiment généraliser cette assertion aux contrats publics,
d’autant plus que cette affirmation nous semble en soi critiquable dans le contexte où il n’est question
que d’acteurs privés ? En fait, en appliquant ces principes aux contrats publics comme s’il s’agissait
de n’importe quel contrat privé, la Cour ne dénature peut-être pas la réalité. Peut-être n’est-il pas faux
de penser que le contrat public, aux yeux des parties qui y interviennent, n’est rien d’autre qu’une
négociation commerciale impliquant un transfert de richesse entre les parties impliquées. C’est peut-
être d’ailleurs ce qui a permis à la Cour d’affirmer également que la conclusion d’un contrat public
n’est pas le fruit d’une fonction politique, mais plutôt d’une fonction opérationnelle : « Même si le

411
Id., 884.
412
Id.

144
ministère fait partie de l’État, dans le contexte de ses négociations avec Martel, il exerçait une fonction
opérationnelle, et non une fonction de politique »413.

La seconde partie du jugement traite de l’obligation pour le ministère de faire preuve de


diligence dans le cadre d’un appel d’offres. La négociation liée au renouvellement du bail auquel
étaient parties Martel et le ministère ayant échoué, un appel d’offres a été lancé par le ministère pour
retenir les services locatifs d’un propriétaire immobilier. Au terme de l’appel d’offres, le ministère a
retenu la soumission d’un concurrent de Martel alors que celui-ci avait soumis le plus bas prix.
Précisons que le ministère avait décidé de retenir la soumission du concurrent de Martel après avoir
procédé à l’analyse financière des propositions de chaque soumissionnaire et avoir conclu que le prix
soumis par Martel ne reflétait pas la réalité et qu’il devait par conséquent être bonifié, notamment
afin d’y inclure le coût de certains travaux d’améliorations locatives à anticiper si le ministère devait
s’y installer.

En référence aux principes énoncés dans Ron Engineering et MJB, la Cour rappelle, sous la
plume des juges Iacobucci et Major, qu’il « est désormais bien établi que les parties à un appel
d’offres peuvent avoir des obligations synallagmatiques en vertu du contrat A et que ces obligations
peuvent être explicites ou implicites »414. Appliquant ces principes au cas lui ayant été soumis, la
Cour en vient à la conclusion qu’il existait une obligation implicite pour le ministère d’évaluer
équitablement et uniformément les soumissions ne serait-ce que pour garantir « l’efficacité
commerciale de la procédure d’appel d’offres »415. Tout comme dans MJB où les juges ont conclu
qu’il était évident qu’aucun soumissionnaire sérieux n’aurait envie de participer à une procédure
d’appel d’offres si celui-ci n’impliquait pas une obligation implicite pour le donneur d’ouvrage de ne
retenir qu’une soumission conforme, les juges Iacobucci et Major ont estimé qu’il en était de même
en ce qui a trait à l’expectative d’être traité de façon équitable et impartiale. En effet, quel
soumissionnaire accepterait de consacrer autant de ressources à un processus d’appel d’offres public
sans avoir l’assurance d’être traité de façon équitable et impartiale par le donneur d’ouvrage ? Partant,
bien que les documents d’appel d’offres dans la présente affaire prévoyaient une clause de réserve
indiquant que le ministère se réservait le droit de n’accepter ni la plus basse soumission ni aucune, il

413
Id., 881‑882. Nous sommes bien conscients des conséquences qu’entraîne la qualification des actes de
l’administration sur le plan de la responsabilité civile et du traitement différencié que reçoit un acte opérationnel
par rapport à un acte politique sur le plan de la responsabilité de l’administration. Ce n’est évidemment pas sur
cet aspect que nous voulons insister en citant ce passage.
414
Id., 891.
415
Id.

145
n’en demeure pas moins qu’il devait traiter tous les soumissionnaires équitablement. Procédant à
l’analyse détaillée des documents d’appel d’offres publiés par le ministère, la Cour retiendra que
Martel a été traitée équitablement en l’espèce. Plusieurs clauses indiquaient clairement la possibilité
pour le ministère de tenir compte d’autres éléments que le prix soumis par le soumissionnaire pour
évaluer le véritable coût de la proposition. Il est utile de reproduire la clause 3.5 des documents
d’appel d’offres qui montre bien la latitude que s’était réservé le ministère pour évaluer les
soumissions reçues :

Malgré ce qui précède à la clause 3.3, le Locataire se réserve le droit absolu de comparer
les offres reçues et de les évaluer en fonction du meilleur rapport qualité-prix tel que
déterminé par le Locataire, à sa seule discrétion. Cette évaluation peut porter [sur] des
aspects tels que, mais ne se limitant pas à ceux-ci, la qualité et la fonctionnalité des
locaux offerts, la conception de l’édifice et son accessibilité, ainsi que le niveau auquel
l’édifice satisfait à toutes les exigences par rapport au total des coûts actualisés nets à la
Couronne.416

Bien que cette clause confère au ministère un large pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation
des soumissions, la Cour rappelle que ce pouvoir ne doit pas être exercé de façon arbitraire.
L’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement implique que les soumissions reçues
soient analysées de la même façon et selon les mêmes barèmes. Martel reprochait au ministère d’avoir
inclus à sa soumission des frais additionnels pour tenir compte des frais d’aménagement anticipés. La
Cour a jugé que la portée du pouvoir discrétionnaire conféré au ministère l’autorisait à inclure de tels
frais et comme le ministère avait fait cet exercice pour l’ensemble des soumissions reçues en utilisant
le même procédé et les mêmes formules, rien ne permettait de conclure à un manquement du ministère
à son obligation de traiter équitablement les soumissionnaires.

Dans la troisième partie de son jugement, la Cour répond à l’argument de Martel selon lequel
le ministère a fait preuve de négligence dans la rédaction des documents d’appel d’offres. Plus
précisément, Martel allègue que le ministère a fait preuve de négligence en prévoyant dans le devis
descriptif que les locaux offerts par les soumissionnaires devaient être contigus. En somme, Martel
prétend qu’une telle exigence va à l’encontre de ce qui lui avait été représenté comme besoin véritable
lors des négociations bipartites ayant avorté avant le lancement de l’appel d’offres. Martel est d’avis
que l’ajout d’une telle exigence va à l’encontre des besoins réels du ministère. Rejetant les prétentions
de Martel, la Cour soulignera que le ministère n’avait pas à tenir compte de ses relations passées avec

416
Id., 896‑897.

146
Martel et qu’elle avait le loisir de prévoir des exigences différentes à celles qui avaient été présentées
dans le passé. Les juges écrivent à ce sujet :

Il serait incompatible avec une juste concurrence de permettre qu’un soumissionnaire


tire avantage de ses rapports antérieurs. […] L’auteur de l’appel d’offres a le pouvoir
discrétionnaire d’établir ses propres exigences. […] Martel ne peut, du fait de ses
rapports antérieurs avec le ministère, s’attendre à ce qu’un statut particulier lui soit
reconnu en qualité de soumissionnaire, ni exiger un tel statut sur le fondement des
principes généraux applicables en matière de négligence. En l’absence de déclarations
inexactes faites par négligence et auxquelles Martel se serait fiée à son détriment pour
conclure le contrat A, nous croyons qu’il serait contraire aux principes qui sous-tendent
le mécanisme de l’appel d’offres de reconnaitre que le ministère avait une obligation de
diligence envers Martel lorsqu’il a rédigé le dossier d’appel d’offres. […] Faire droit à
l’argument de Martel aurait pour effet d’offrir une échappatoire aux personnes dont les
soumissions ne sont pas conformes.417

L’arrêt Martel Building est important à plusieurs égards. D’une part, il reconnait une fois de
plus la théorie du contrat A et du contrat B tout en ajoutant qu’un contrat A peut être assorti de
l’obligation implicite de traiter les soumissionnaires sur un même pied d’égalité. Même si l’auteur
d’un appel d’offres prévoit qu’il se réserve le droit de n’accepter aucune soumission ni la plus basse
d’entre elles, il demeure lié par l’obligation de traiter équitablement tous ses aspirants cocontractants.

D’autre part, cet arrêt clarifie l’ambiguïté qui prévalait quant à l’existence d’une obligation
de diligence dans le cadre d’une négociation commerciale ou lors de la rédaction d’un document
d’appel d’offres. Reconnaitre une telle obligation dans ces contextes présente trop d’inconvénients
selon la Cour, ce qui fait en sorte que la responsabilité de l’auteur d’un appel d’offres ne peut être
retenue sur cette base.

Enfin, et c’est probablement l’aspect le plus intéressant aux fins du sujet qui nous occupe, les
motifs des juges Iacobucci et Major traduisent une conception du contrat public qui ne tient pas
compte de sa nature « publique » au sens politique du terme. Ils comparent le processus de
négociation entourant la reconduction d’un bail auquel est partie un ministère comme s’il s’agissait
d’une transaction courante entre deux entreprises. L’autre élément sur lequel il convient d’insister est
la tendance de plus en plus nette qui se dessine depuis l’arrêt Ron Engineering, à savoir que la qualité
d’un processus d’appel d’offres (et sa validité) est jugée à l’aune de sa propension à créer une véritable

417
Id., 908‑909.

147
concurrence entre les soumissionnaires potentiels et à réduire les risques auxquels ils s’exposent en
s’aventurant dans un tel processus, sans quoi ils pourraient être découragés à soumissionner, ce qui
réduirait par le fait même la compétitivité du processus.

Comme le fait remarquer Me Liviu Kaufman dans un article sur les injonctions et les autres
mesures de sauvegarde dans le contexte d’un appel d’offres public, les arrêts précités de la Cour
suprême du Canada ont « été à de multiples égards bénéfique[s] pour les entreprises voulant faire
affaire avec l’État [et ont] eu un effet non négligeable sur la capacité des soumissionnaires lésés de
contester les décisions prises par l’administration »418.

L’arrêt Double N Earthmovers Ltd. c. Edmonton rendu en 2007 par la Cour suprême du
Canada a permis de revisiter les grands principes qui régissent les contrats A et B. La Cour a été
invitée à se prononcer sur la portée des obligations de l’auteur d’un appel d’offres en matière de
vérification de l’exactitude des renseignements contenus dans une soumission. Double N
Earthmovers (ci-après : « Double N ») s’était adressée aux tribunaux albertains dans le cadre d’une
poursuite intentée contre la Ville d’Edmonton dans le cadre de laquelle l’entreprise Sureway –
l’adjudicataire du contrat convoité par Double N – avait été mise en cause. L’affaire s’est retrouvée
devant la Cour suprême du Canada 20 ans après les faits et a donné lieu à un jugement serré de cinq
juges contre quatre. En somme, Double N reprochait à la ville d’avoir retenu la soumission de
Sureway alors que celle-ci en contravention des exigences essentielles contenues aux documents
d’appel d’offres. La ville d’Edmonton avait lancé un appel d’offres afin de combler ses besoins en
matière de gestion des matières résiduelles. Le cahier des charges exigeait des soumissionnaires qu’ils
fournissent des machines dont l’année de fabrication ne devait pas être avant 1980. Dans sa
soumission, Sureway avait indiqué que l’année de fabrication de sa première machine était 1980 alors
que son numéro de série et son numéro d’enregistrement auprès de la ville révélaient qu’il s’agissait
en réalité d’une machine fabriquée en 1979. Quant à la seconde machine proposée par Sureway,
l’entreprise avait indiqué qu’il s’agirait d’un modèle 1977 ou d’une machine de location 1980. Les
numéros de série et d’enregistrement fournis correspondaient à la machine 1977. La ville d’Edmonton
a retenu la soumission de Sureway, celle-ci étant la plus basse, et a précisé qu’elle s’attendait à ce
que les machines fournies soient des modèles 1980 ou plus récents. Lors de l’exécution du contrat,
Sureway s’est avérée incapable de fournir une machine 1980 comme promis et a donc réalisé une

418
Liviu KAUFMAN, « Injonctions et autres mesures de sauvegarde dans un contexte d’appel d’offres public »,
dans S.F.C.B.Q., 426, coll. Développements récents en droit municipal, Barreau du Québec, 2017 à la page 188.

148
partie des travaux avec une machine 1979. Comme principal moyen de défense à l’action de Double
N, la Ville a fait valoir que Sureway s’était engagée à fournir des machines 1980 par l’entremise de
sa soumission et qu’elle n’avait pas à vérifier la véracité des informations mentionnées. La Ville
ajouta que Sureway était de toute manière liée par les termes de sa soumission et qu’elle était en droit
d’en exiger le respect, ce qu’elle n’a toutefois pas fait en réalité. Les juges majoritaires, sous la plume
des juges Abella et Rothstein, se rangèrent du côté des arguments de la Ville. Pour eux, le fait que la
soumission de Sureway ne contenait pas de numéro de série et de numéro d’enregistrement pour la
machine de location 1980 – celui fourni étant lié à la machine 1977 non admissible – n’était pas fatal.
Il s’agissait d’un vice de forme n’ayant aucune incidence sur le prix soumis. Ce faisant, la ville était
en droit de passer outre cette exigence et d’accorder le contrat à Sureway. Pour les juges majoritaires,
il n’était pas non plus interdit pour la ville de retenir une soumission comportant une option conforme.
L’important est que le soumissionnaire s’engage à se conformer aux termes des documents d’appel
d’offres et le fait de promettre une machine de location conforme respecte ce principe. Quant à
l’obligation de vérifier l’exactitude, du contenu d’une soumission les juges, même si la ville s’était
réservé la possibilité de le faire à la lumière des clauses contenues aux documents d’appel d’offres, il
ne s’agit pas en soi d’une obligation :

L’idée que le propriétaire doit vérifier les soumissions est bien loin de comporter le degré
d’« évidence » nécessaire pour faire partie des intentions présumées des « parties
elles-mêmes » (M.J.B. Enterprises, par. 29 (soulignement omis)). Les parties n’ont
aucune raison de s’attendre à ce que le propriétaire vérifie si un soumissionnaire se
conformera aux exigences puisque chaque soumissionnaire y est tenu en droit en cas
d’acceptation de sa soumission. Il importe peu que le soumissionnaire puisse ou non, au
moment de la présentation de sa soumission, respecter ses engagements étant donné qu’il
a l’obligation en droit de le faire au moment de l’acceptation de sa soumission.

L’obligation de traiter tous les soumissionnaires « équitablement et sur un pied


d’égalité » a été reconnue dans Martel, en partie parce qu’elle a été jugée « compatible
avec l’objectif de protéger et de promouvoir l’intégrité du mécanisme d’appel d’offres »
(par. 88 (nous soulignons)). Double N insiste plutôt sur l’intégrité
des soumissionnaires. Quant au mécanisme d’appel d’offres, il est entièrement protégé
par l’obligation de traiter toutes les soumissions équitablement. Le meilleur moyen pour
le propriétaire de s’assurer que toutes les soumissions sont traitées de façon équitable est
de les évaluer d’après leur contenu réel et non en fonction des renseignements révélés
ultérieurement.419

419
Double N Earthmovers Ltd. c. Edmonton (Ville), [2007] 1 R.C.S. 116, par. 51-52.

149
Quant à l’argument de Double N comme quoi la ville n’aurait pas dû permettre à Sureway
d’utiliser un modèle antérieur à 1980 dans le cadre du contrat B, les juges majoritaires ont conclu
qu’une fois le contrat B formé, l’auteur de l’appel d’offres était libéré de ses obligations envers les
soumissionnaires disqualifiés. L’exécution du contrat A se cristallise aussitôt que l’auteur de l’appel
d’offres a réalisé une évaluation équitable des soumissions et qu’il adjuge le contrat B conformément
aux conditions énoncées dans les documents d’appel d’offres : « En droit des contrats, Double N ne
peut exiger l’annulation d’un contrat auquel elle n’est pas partie, dans le but de préserver l’intégrité
d’un mécanisme d’appel d’offres qui, par définition, a pris fin au moment de la formation du
contrat B »420.

La juge Charron, au nom des juges dissidents, aurait quant à elle accueilli le recours de
Double N. Selon elle, la négligence de la ville et le laxisme dont elle a fait preuve lors de l’exécution
du contrat B sont de nature à miner l’intégrité du processus d’appel d’offres. Les décisions des
tribunaux inférieurs, lesquelles ont été confirmées par l’opinion majoritaire, « permet à Sureway
Construction of Alberta Ltd. de récolter le fruit de sa tromperie, mais permet aussi à la Ville
d’esquiver entièrement ses obligations implicites »421. Le raisonnement des tribunaux inférieurs et de
l’opinion majoritaire « neutralise complètement la protection qu’offre l’obligation implicite
d’accepter uniquement une soumission conforme » à son avis, car on ne peut d’une part conclure
qu’une soumission est conforme au motif que l’auteur de l’appel d’offres peut en exiger le respect et
d’autre part, permettre à l’auteur de l’appel d’offres, au stade du contrat B, de ne pas en exiger le
respect, car ce qui importe, c’est qu’il ait accepté une soumission conforme.

La Cour suprême du Canada, dans un arrêt récent mettant en cause le Programme d’assurance
stabilisation des revenus agricoles (ci-après : le « Programme ») de la Financière agricole du Québec,
une personne morale de droit public dont la mission est de « soutenir et de promouvoir, dans une
perspective de développement durable, le développement du secteur agricole et agroalimentaire »422,
rappelait que :

[L]orsque l’État entretient des rapports contractuels, il le fait dans le cadre d’un régime
particulier, et l’intérêt public doit alors jouer un rôle dans l’interprétation de tels rapports.
Au stade de l’interprétation de l’étendue des pouvoirs de l’État partie au contrat, par
exemple s’il s’agit de déterminer si un texte contractuel accorde à l’État un pouvoir

420
Id., par. 71.
421
Id., par. 76.
422
Loi sur la financière agricole du Québec, RLRQ, c. L-0.1, art. 3.

150
discrétionnaire, le principe de l’intérêt public pourra militer en faveur d’une plus large
discrétion dans la mise en oeuvre du régime. Cela sera d’autant plus vrai dans les cas où
le régime contractuel en question vise un objectif social. Il ne s’agit pas là de principes
de droit public, mais bien de considérations liées à l’objet du contrat, qui sont
susceptibles d’influencer l’interprétation de l’étendue des pouvoirs contractuels de
l’autorité publique en cause.423

Bien que le contrat qui était en cause dans cette affaire ne soit pas de la même nature que
ceux auxquels nous nous intéressons dans le cadre de la présente thèse, il n’en demeure pas moins
que les principes dont traite la Cour suprême ont pour vocation de s’appliquer à l’ensemble des
rapports contractuels qu’entretient l’État, ce qui comprend nécessairement les contrats publics qui
nous occupent.

Jugeant que le Programme auquel avaient adhéré les appelants constitue un contrat
administratif régi par les règles du droit privé et non pas un contrat d’assurance ou un programme
gouvernemental soumis au droit public, la Cour suprême interpréta les obligations de la Financière
agricole du Québec en fonction du droit des contrats :

Ainsi, à l’instar de la Cour d’appel (par. 71), nous sommes d’avis que le Programme
ASRA possède les caractéristiques d’un « contrat administratif », c’est-à-dire un contrat
auquel une autorité publique est partie : P. Garant, avec la collaboration de P. Garant et
J. Garant, Droit administratif (6e éd. 2010), p. 349. Cependant, contrairement à la
conclusion de la Cour d’appel selon laquelle le Programme ASRA participe de deux
régimes juridiques, le droit public et le droit privé (par. 54 et 57), nous sommes d’avis
que les règles qui s’appliquent à ce programme sont celles du droit privé. En effet, une
fois établi que le Programme ASRA est un contrat, nous ne voyons pas comment on
pourrait l’assujettir, même en partie, aux principes de la révision judiciaire en droit
administratif ou à d’autres principes du droit public. Le droit privé contient toutes les
règles nécessaires pour encadrer les agissements des parties au Programme ASRA. Les
tribunaux ont souvent appliqué ce principe dans le cadre de relations commerciales entre
l’État et une partie privée, et ce, même quand une part importante du contenu du contrat
était dictée par la loi ou par règlement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.424

Reconnaissant toutefois qu’un contrat administratif puisse se distinguer d’un contrat conclu
entre deux parties privées en raison de la finalité d’intérêt public qui doit guider l’État dans le cadre
de ses rapports contractuels425, la Cour précisa que l’intérêt public doit « jouer un rôle dans

423
Ferme Vi‑Ber inc. c. Financière agricole du Québec, [2016] 1 R.C.S. 1032, paragraphe 48.
424
Id., par. 46.
425
La Cour cite avec approbation les propos de Patrice Garant auxquels nous avons déjà fait référence plus tôt :
Patrice GARANT, Droit administratif, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 349‑350.

151
l’interprétation de tels rapports » et que « le caractère équitable de l’exercice de ces pouvoirs
discrétionnaires doit être apprécié à la lumière de l’intérêt public et de l’objectif social poursuivi par
La Financière »426.

Malheureusement, l’analyse à laquelle se livreront les juges pour déterminer si le pouvoir


discrétionnaire de la Financière agricole du Québec a été exercé de bonne foi et équitablement ne
traitera pas directement, ni même indirectement, de l’intérêt public. Analysant plutôt la conformité
de la décision de la Financière agricole du Québec avec la mission de cette dernière et la nature du
Programme et à la lumière des choix qu’elle avait faits dans le passé dans le cadre de situations
analogues, la Cour n’a donné aucun indice sur le rôle particulier que devrait jouer l’intérêt public
dans l’interprétation d’un tel contrat. Il faudra suivre avec attention la façon dont les propos du plus
haut tribunal seront repris et appliqués par les juges de première instance qui doivent régulièrement
se prononcer sur des litiges touchant aux rapports contractuels que l’État entretient avec d’autres
parties427.

Dans Bau-Québec ltée c. Ste-Julie (Ville de)428, un arrêt de la Cour d’appel du Québec rendu
quelques mois après l’arrêt MJB, la juge Rousseau-Houle confirmera l’incorporation de la théorie du
contrat A et du contrat B en droit québécois et ce faisant, de l’obligation pour l’auteur d’un appel
d’offres de respecter les règles qu’il se fixe lui-même en rédigeant ses documents d’appel d’offres.
Comme le fait remarquer Me Pierre Giroux, qui s’est intéressé aux suites de l’arrêt MJB en droit
québécois : « Le 16 octobre 1999, la Cour d’appel du Québec, dans un arrêt unanime, Bau-
Québec ltée c. Ste-Julie (Ville de), applique les principes établis par la Cour suprême du Canada dans
l’affaire M.J.B. Enterprises Ltd. Au Québec, il s’agit d’un revirement jurisprudentiel important

426
Ferme Vi‑Ber inc. c. Financière agricole du Québec, préc., note 324, par. 51.
427
Le même jour que l’arrêt Ferme Vi-Ber, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans un dossier
très similaire qui mettait en cause des producteurs de porcs et de porcelets et la Financière agricole du Québec.
Pour l’essentiel, ce jugement reprend le même cadre d’analyse que celui rendu dans Ferme Vi-Ber et ne fournit
pas davantage d’indices sur le rôle concret que devrait jouer l’intérêt public dans l’interprétation des relations
contractuelles entre l’État et d’autres parties. Voir Lafortune c. Financière agricole du Québec, [2016] 1 R.C.S.
1091.Voir également les jugements suivants ont fait référence à l’arrêt Ferme Vi-Ber sans toutefois se
commettre davantage sur le rôle que devrait être dévolu à l’intérêt public : Financière agricole du Québec c. F.
Ménard inc., 2017 QCCQ 15475; EBC inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 5480.
428
Bau-Québec ltée c. Sainte-Julie (Ville), [1999] R.J.Q. 2650 (C.A.).

152
puisqu’il a pour effet “de bouleverser les principes applicables aux appels d’offres en droit
québécois” »429.

La Cour d’appel ira encore plus loin dans cette affaire. S’appuyant sur une clause du cahier
des charges administratives stipulant que les erreurs de calcul doivent être corrigées lors de l’analyse
des soumissions, la Cour conclura que la Ville de Ste-Julie avait eu tort d’attribuer le contrat au
soumissionnaire ayant soumis le plus bas prix conforme, car sa soumission comportait certaines
erreurs de calcul et se trouvait en réalité à être un peu plus élevée que l’appelante Bau-Québec ltée,
la véritable plus basse soumissionnaire.

La Cour jugea que « La Ville avait […] l'obligation de corriger l'erreur matérielle de Valgeau
[le soumissionnaire retenu par celle-ci]. De l’avis du tribunal, cette obligation de la Ville découle des
règles strictes qu'elle avait elle-même édictées dans les documents d'appel d'offres »430. Rappelant les
enseignements de l’arrêt MJB, la juge Rousseau-Houle souligna que les documents d’appel d’offres
constituent un contrat et que les parties sont tenues de s’y conformer. Ce qui est intéressant de noter
ici, c’est que la juge ajoute que l’importance de se conformer aux termes du contrat A est d’autant
plus grande lorsqu’il est question du prix de la soumission : « En l'espèce, le respect de l'article 13 du
Cahier des clauses administratives s'imposait d'autant plus que l'erreur portait sur le prix qui était un
élément déterminant de la soumission en raison de la règle de l'adjudication au plus bas
soumissionnaire prévue à l'article 573 de la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., c. C-19). »431

Cet arrêt de la Cour d’appel marqua l’entrée en scène de la théorie du contrat A et du contrat
B en droit québécois432, laquelle fut alors doublée d’une obligation pour l’auteur d’un appel d’offres
de faire preuve d’une prudence exemplaire lors de l’analyse des soumissions afin d’être bien certain

429
Pierre GIROUX, « Le mécanisme d’appel d’offres : quelques réflexions à la suite des arrêts M.J.B. Entreprises
Ltd et Martel Building Ltd », dans Développements récents en droit de la construction, 170, Cowansville, Yvon
Blais, 2002 aux pages 145‑146. Pour montrer toute l’importance accordée à cet arrêt, il cite l’article de Olivier
F. KOTT et Claudia DÉRY, Les appels d’offres, Guy LEFEBVRE (dir.), L’édification du nouveau droit de la
construction, Montréal, Thémis, Les Journées Maximilien-Caron 1999, 2000, p. 145, p. 209.ainsi que les
conférences et colloques consacrés à son sujet.
430
Bau-Québec ltée c. Sainte-Julie (Ville), préc., note 437, 7.
431
Id.
432
La Cour d’appel avait déjà eu l’occasion de confirmer la validité des principes énoncés dans Ron Engineering
à l’occasion des jugements rendus dans les affaires suivantes : Beaurivage et Méthot inc. c. Corp. de l’hôpital
St-Sacrement, [1986] R.J.Q. 1729 (C.A.) et Revêtements Alexander Craig inc. c. Société de construction D.C.l.
ltée, J.E. 97-639 (C.A.). Par contre, elle ne s’était pas prononcée aussi explicitement que dans Bau-Québec sur
la possibilité d’incorporer en droit civil québécois es principes dégagés par Ron Engineering tels que précisés
plus tard par M.J.B. Enterprises..

153
que le contrat soit octroyé au plus bas soumissionnaire conforme, étant donné le contexte législatif
québécois qui préconise un tel critère.

Auparavant, la jurisprudence québécoise était presque unanime sur le fait que le lancement
d’un appel d’offres n’équivalait pas à une offre de contracter, mais constituait simplement une
invitation à soumissionner433. Comme le notait Me Pierre Giroux dans l’article précité, « un courant
jurisprudentiel quasi unanime, plus particulièrement depuis les trente dernières années, avait bien
établi que l’appel d’offres n’était pas une offre de contracter, mais une invitation à soumissionner, de
telle sorte que l’auteur de l’appel d’offres n’était pas lié contractuellement à l’égard des
soumissionnaires »434. Autrement dit, l’organisme public qui lançait l’appel d’offres pouvait très bien
le faire simplement pour « tâter le terrain » ou encore pour « tester le marché ». L’appel d’offres ne
créait aucune obligation contractuelle de la part de son auteur et sa responsabilité ne pouvait être
engagée que sur une base délictuelle. Ce faisant, le soumissionnaire lésé avait la charge de démontrer
que l’auteur de l’appel d’offres avait été de mauvaise foi, qu’il avait commis une faute ou agi
frauduleusement. Les erreurs commises de bonne foi en contravention des documents d’appel d’offres
n’entraînaient pas la responsabilité de leur auteur.

L’arrêt Bau-Québec, en incorporant au droit québécois les principes de common law dégagés
dans Ron Engineering et MJB, venait ainsi de réduire considérablement la marge discrétionnaire dont
jouissaient antérieurement les donneurs d’ouvrage. Mais cet important renversement jurisprudentiel
a-t-il quelque chose à voir avec la façon dont est conçu l’intérêt public par les juges ? Nous en sommes
persuadés. La philosophie sous-jacente au principe du contrat A et des obligations contractuelles qu’il
engendre dès le dépôt d’une soumission repose toute entière sur l’idée de rendre les contrats publics
accessibles au plus grand nombre de joueurs, le tout afin de permettre une concurrence qui soit la plus
libre et la plus ouverte possible. Comme le fait remarquer la juge Charron, s’exprimant au nom des
quatre juges dissidents dans l’arrêt Double N Earthmovers, « Les fils conducteurs des arrêts Ron

433
Voir notamment le jugement de première instance renversé par la Cour d’appel dans Bau-Québec : Bau-
Québec ltée c. Ville de Sainte-Julie, C.S. Longueuil, no 505-05-001324-927, 31 mai 1994, j. Audet. et les
affaires suivantes :Trois-Rivières (Ville de) c. Henri Paquette inc., [1986] R.J.Q. 1021 (C.A.) Requête pour
autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 1986-06-12) 19891; Paul Fortin & Fils ltée c. La
Société d’habitation du Québec, [1988] R.R.A. 486 (C.A.).
434
P. GIROUX, préc., note 438 à la page 146.

154
Engineering, M.J.B. Enterprises et Martel sont l’importance de l’efficacité commerciale et l’intégrité
du mécanisme d’appel d’offres »435.

À plusieurs reprises dans les jugements que nous avons évoqués, il est question de préserver
à tout prix la possibilité pour les aspirants cocontractants de l’État de participer aux appels d’offres
publics sans courir de risques trop importants. Les juges mentionnent qu’un soumissionnaire sérieux
ne prendrait certainement pas le risque d’investir autant de ressources financières et autant d’énergie
pour participer à un concours sachant qu’il court le risque de ne pas être traité sur le même pied
d’égalité que ses compétiteurs. Cela signifie-t-il que les entreprises qui œuvrent sur le marché des
contrats privés au sein duquel les règles du jeu ne leur garantissent en rien un traitement équitable ne
sont pas sérieuses ? C’est comme si la possibilité de prendre part aux contrats publics était devenu un
droit inaliénable qu’il faut à tout prix protéger et que ce droit devait supplanter la possibilité pour
l’État d’avoir un minimum de discrétion pour choisir l’offre la plus intéressante. Les juges, en faisant
prévaloir de tels principes, ont préféré, sans doute inconsciemment, les vertus de la libre concurrence
aux avantages que peut présenter l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par des agents publics qui
ne sont pas nécessairement démunis de raison et de sens de l’éthique. Discrétionnaire ne veut pas
dire arbitraire.

L’application de la théorie du contrat A et du contrat B en droit civil québécois, lequel est de


surcroît très réglementé, emprisonne l’auteur de l’appel d’offres public dans une démarche où il doit
surtout se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires alors qu’il devrait idéalement se
concentrer sur la façon d’obtenir la meilleure soumission. Cela donne lieu à des situations plutôt
étonnantes comme dans l’affaire Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville
de)436 où le débat qui a été porté devant la Cour peut se résumer comme suit : la ville de Montréal
pouvait-elle écarter le plus bas soumissionnaire au motif que celui-ci n’avait pas démontré, dans sa
soumission, qu’il détenait l’expérience minimale requise, alors que la ville savait très bien que ce
soumissionnaire respectait l’exigence relative à l’expérience ? Spontanément, nous serions tentés de
reprocher à la ville d’avoir fait abstraction de cette information qu’elle connaissait pourtant très bien.
Pourquoi exiger de la ville qu’elle fasse preuve d’aveuglement volontaire en pareilles circonstances

435
Double N Earthmovers Ltd. c. Edmonton (Ville), préc., note 428, par. 108.
436
Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1183.

155
? Il faut à notre avis se mettre à la place de la ville quelques instants pour bien comprendre comment
elle s’est retrouvée dans ce bourbier.

Pour illustrer la situation à grands traits, peut-être même de façon un peu exagérée, rappelons
que l’organisme public qui octroie un contrat n’est pas une Cour de justice qui doit décider de
l’emprisonnement d’un inculpé. S’il peut être dangereux de permettre aux tribunaux et aux policiers
de s’adonner à une justice inquisitoire où la recherche de la vérité prime sur le respect des droits
individuels, nous ne pouvons imposer un tel standard aux organismes publics qui lancent des appels
d’offres. Il est certainement souhaitable d’exiger de ceux-ci qu’ils fassent preuve de la plus grande
équité possible à l’endroit de leurs partenaires potentiels, mais cela doit-il aller jusqu’à devoir fermer
les yeux sur une situation qui n’a pas été correctement mise en preuve par un soumissionnaire, mais
qui est connue de l’organisme? La Cour, dans l’affaire Demix, a heureusement conclu qu’il n’était
pas normal pour la ville de faire fi de cette information lors de l’analyse des soumissions. N’empêche
que la ville était dans un réel dilemme lorsqu’elle a dû décider si elle écartait ou non le plus bas
soumissionnaire.

L’un des arguments que la ville a tenté de faire valoir pour justifier sa décision était
précisément qu’elle s’était retrouvée dans un carcan juridique, ce à quoi la Cour répondra : « Mais
faut-il qu’un tel carcan devienne une "camisole de force", sans distinction aucune de ce qui est dans
l’intérêt de la Ville et, directement ou indirectement, des contribuables montréalais qui fournissent à
la Ville les fonds nécessaires pour effectuer des projets tels que le Projet Papineau »437.

Avec égards, bien que nous souscrivions totalement à l’opinion du juge Gouin comme quoi
les règles d’un cahier des charges ne devraient pas être interprétées avec un formalisme qui empêche
de distinguer ce qui est dans l’intérêt d’un organisme public, nous sommes forcés de dire que l’état
de la jurisprudence n’aide en rien à la situation.

D’autre part, cette décision présente également un intérêt quant à l’importance des variables
budgétaires dans l’interprétation jurisprudentielle des différends qui impliquent les pouvoirs
adjudicateurs. Quiconque lit cette décision, même rapidement, verra que l’argument central qui a
convaincu le juge d’émettre l’injonction demandée, était de permettre aux contribuables montréalais

437
Id., par. 52.

156
d’économiser un montant de 1 622 359 $. Nous ne croyons pas que l’issue de ce dossier aurait été la
même autrement. Bien que le cahier des charges permettait à la ville de requérir des informations
additionnelles auprès des soumissionnaires après l’ouverture de leurs soumissions et qu’elle était
autorisée à corriger certains vices y étant contenus, il n’en demeure pas moins qu’une clause prévoyait
le rejet automatique des soumissions ayant omis de fournir les informations requises quant à
l’expérience de l’entrepreneur. Vu la complexité du projet en cause, l’expérience de l’entrepreneur
était de toute évidence un élément essentiel pour évaluer la qualité de la prestation proposée. N’eut
été de l’importance de l’enjeu financier en cause, nous nous permettons de croire que le tribunal
n’aurait pas été aussi enclin à émettre l’injonction demandée. Nous reproduisons ici quelques extraits
qui témoignent bien de ce que venons d’avancer :

Certes, aux termes de l’Article 6.2 et des Articles 5.1.2 et 7.1 la Ville a l’entière
discrétion d’ainsi demander des informations additionnelles, mais peut-elle le faire à
l’égard de l’Expérience mentionnée à l’Article 15, et ce, tant à la lumière du principe
d’égalité et équité entre les soumissionnaires, qu‘à la lumière du fait qu’elle gère des
fonds publics et les fonds des contribuables montréalais ce qui, dans la présente situation,
permettrait d’économiser plus de 1 622 359 $, si effectivement la Soumission Demix
était retenue comparativement à la Soumission Michaudville? […]

Pour le Tribunal, un débat au fond s’impose afin de clarifier et bien établir les droits de
la Ville et de Demix aux termes de l’Appel d’offres et de la Soumission Demix, et ce,
dans le contexte où la Ville gère des fonds publics et les fonds des contribuables
montréalais, tout en préservant le principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires.
[…]

Tel que prévu à l’article 573.7 L.c.v., le principe directeur lors de l’analyse de
soumissions est d’accepter la soumission la plus basse, dans la mesure, bien entendu,
qu’elle soit conforme aux termes et conditions de l’appel d’offres. […]

Dans ces circonstances, le Tribunal est d’avis que Demix a démontré un droit possible à
ce que les informations reliées à son Expérience soient complétées afin que la
Soumission Demix soit évaluée à sa juste valeur, le cas échéant, et que la décision de la
Ville, quant à l’attribution du Contrat, soit alors prise en pleine connaissance de cause.438

À l’évidence, la théorie du contrat A et du contrat B, conjuguée au cadre juridique québécois


qui fait beaucoup de place au critère du plus bas soumissionnaire conforme, incite les juges à associer
l’intérêt public à la protection des deniers publics, ce qui favorise nécessairement les soumissions
susceptibles, à première vue, de générer des économies pour les contribuables. Parmi les autres

438
Id., par. 32, 43, 47 et 58.

157
« responsables » de ce résultat, l’on peut certainement pointer la nature du véhicule procédural auquel
ont accès les soumissionnaires lésés pour faire respecter les termes du contrat A.

Paragraphe III – La réticence des tribunaux à suspendre un processus d’appel


d’offres lorsque le contrat a été octroyé au plus bas soumissionnaire

Outre le recours en dommages-intérêts lui permettant d’être compensé pour les gains perdus
en raison de l’octroi irrégulier d’un contrat à l’un de ses compétiteurs, un soumissionnaire lésé peut
aussi choisir de saisir le tribunal d’une demande en injonction ou d’une demande en ordonnance de
sauvegarde afin d’obtenir l’exécution en nature des obligations de l’auteur de l’appel d’offres. C’est
d’ailleurs ce véhicule procédural que l’entrepreneur Demix avait préconisé dans l’affaire que nous
avons relatée précédemment. Les conclusions généralement recherchées dans le cadre de ce type de
recours sont l’octroi du contrat ou l’interdiction de l’octroyer à un tiers.

L’état du droit civil québécois, en particulier l’article 1397 du C.c.Q. reproduit ci-après, rend
toutefois les choses compliquées pour le soumissionnaire qui souhaite obtenir l’exécution en nature
des obligations d’un donneur d’ouvrage.439

1397 : Le contrat conclu en violation d’une promesse de contracter est opposable au


bénéficiaire de celle-ci, sans préjudice, toutefois, de ses recours en dommages-intérêts
contre le promettant et la personne qui, de mauvaise foi, a conclu le contrat avec ce
dernier.

Comme le souligne la Cour d’appel dans une affaire où un soumissionnaire interjetait appel
d’une décision de la Cour supérieure qui avait refusé de prononcer une ordonnance de sauvegarde
visant à empêcher l’octroi d’un contrat public :

[L]’arrêt M.J.B. tranche une réclamation en dommages et intérêts et ne répond pas à la


préoccupation centrale du litige qu'il s'agit ici de décider, laquelle concerne le droit à
l’exécution spécifique des obligations qu’aurait contractées Fondation envers la
requérante. De surcroît, l'arrêt M.J.B. a été rendu dans un environnement de droit privé,
la common law, dont les règles en la matière ne correspondent pas nécessairement à
celles du droit civil. En supposant que la règle de common law autorise l'exécution en

439
Voir le texte très intéressant de L. KAUFMAN, préc., note 427.qui cite plusieurs décisions qui attestent de la
complexité de mettre en œuvre l’exécution en nature des obligations d’un donneur d’ouvrage public au Québec.
Celui-ci en appelle à une révision de la tendance actuelle dans la jurisprudence, laquelle selon lui, ne tient pas
suffisamment compte du cadre légal en vigueur au Québec dans le domaine des contrats publics.

158
nature dans un cas semblable, ce qui me paraît plus que douteux, je note que, en droit
civil, le droit à l'exécution spécifique d'un contrat de la nature d'une promesse de
contracter est loin de s'imposer à l'évidence, notamment au regard de l'article 1397 C.c.Q
[note 3 : Voir à ce sujet J. Pineault, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations,
4e éd., 2001, Montréal, Thémis, 2001, aux pp. 135 à 139]440

Cela ne veut pas dire que les tribunaux refusent dans tous les cas d’émettre une injonction ou
de prononcer une ordonnance de sauvegarde en faveur d’un soumissionnaire lésé. De telles demandes
sont fréquentes tel qu’en fait foi une jurisprudence abondante mettant en cause ce type de recours.
L’article 1397 C.c.Q. constitue un obstacle à l’exécution en nature des obligations du donneur
d’ouvrage uniquement dans les cas où le contrat a déjà été octroyé. Autrement, le tribunal qui est saisi
d’une demande d’injonction interlocutoire ou d’une demande d’ordonnance de sauvegarde, procédera
à l’analyse de la demande à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt Manitoba (P.G.) c.
Metropolitan Stores Ltd, à savoir 1) l’apparence de droit; 2) l’existence d’un préjudice sérieux et
irréparable et 3) la prépondérance des inconvénients. Dans le cadre d’une injonction provisoire, il
doit également y avoir urgence. Ces critères ont été repris dans le C.p.c. qui régit la procédure relative
aux injonctions aux articles 509 et suivants, dont l’article 511 que nous reproduisons ci-dessous :

511. L’injonction interlocutoire peut être accordée si celui qui la demande paraît y avoir
droit et si elle est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable
ne lui soit causé ou qu’un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond
inefficace ne soit créé.

Le tribunal peut assujettir la délivrance de l’injonction à un cautionnement pour


compenser les frais et le préjudice qui peut en résulter.

Il peut suspendre ou renouveler une injonction interlocutoire, pour le temps et aux


conditions qu’il détermine.441

Le critère qui présente le plus d’attrait pour les fins de notre étude est celui qui a trait à la
prépondérance des inconvénients, car il est possible pour les juges de tenir compte de l’intérêt public
lors de l’analyse de ce critère. Il est en effet possible pour une partie de demander au tribunal de tenir
compte de l’intérêt public pour établir que la balance des inconvénients lui est favorable. Comme
l’ont fait remarquer les juges Sopinka et Cory dans l’arrêt RJR Macdonald inc. c. Canada (P.G.) en

440
Société Parc-Auto du Québec c. Fondation du Centre hospitalier du Centre universitaire de Québec, 2003
CanLII 24515 (QC C.A.), paragraphe 6.
441
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, p. art. 511.

159
référence aux principes dégagés dans l’arrêt Metropolitan Stores, ce dernier « établit clairement que,
dans tous les litiges de nature constitutionnelle, l'intérêt public est un “élément particulier” à
considérer dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, et qui doit recevoir
“l'importance qu'il mérite” »442. La prise en compte de l’intérêt public au stade de l’analyse de la
balance des inconvénients est même nécessaire dans les cas où la procédure implique des lois d’ordre
public ou qu’elle concerne l’État dans ses relations avec les administrés443.

Lorsque le droit invoqué paraît clair, il n’est pas nécessaire pour le juge d’évaluer la balance
des inconvénients. Il pourra statuer sur la foi des deux premiers critères seulement. Cela étant, il
s’avère en pratique que les tribunaux prennent malgré tout le temps de statuer sur ce critère même en
présence d’un droit qui paraît clair. Ajoutons également qu’en matière d’appel d’offres, les droits
invoqués sont parfois douteux et que les dispositions d’ordre public qui sont souvent en cause
commandent une certaine prudence de la part des juges, ce qui fait en sorte qu’il procédera
généralement à l’analyse de la balance des inconvénients.

Or, l’étude que nous avons faite des jugements rendus sur des demandes d’injonction
provisoire et interlocutoire révèle que l’intérêt public n’est parfois toujours simplement pas pris en
compte au stade de l’analyse du critère la balance des inconvénients. Et lorsque c’est le cas,
l’interprétation qui en est faite tend à favoriser l’octroi du contrat au soumissionnaire qui avait été
retenu par l’auteur de l’appel d’offres, notamment pour éviter les délais inhérents au lancement d’un
nouvel appel d’offres ou au choix d’un autre cocontractant parmi les soumissionnaires en lice.

Par exemple, dans l’affaire Clean Water Works Inc. c. Ville de Montréal, la Cour supérieure
a rejeté la demande d’injonction provisoire de la demanderesse notamment parce que le droit invoqué
par celle-ci n’était pas apparent, mais aussi parce que l’intérêt public commandait que les travaux
requis par la Ville de Montréal puissent se réaliser rapidement :

Sur la troisième question, soit la balance des inconvénients, le Tribunal est d’avis ici
que, en fonction des paragraphes 33 à 37 de la déclaration sous serment de M. Sylvain
Desmarais, si le contrat n’est pas octroyé demain par la Ville à Insituform, les travaux
prévus à l’hiver 2018 ne pourront pas avoir lieu avant l’hiver 2019 et ceci est un
problème majeur pour la coordinations (sic) des travaux sur la rue Sainte-Catherine et

442
RJR -- Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 343.
443
Denis FERLAND, « Les mesures provisionnelles et de contrôle – L’injonction (art. 509-515) », dans Précis
de procédure civile du Québec, 5e éd., 2, Cowansville, Yvon Blais, 2015 aux pages 2‑1040.

160
pour le fait que plusieurs autres travaux importants de réfection d’infrastructure
dépendent du projet actuellement, de sorte qu’ils devront être reportés. On parle aussi au
paragraphe 36 d’un risque d’effondrement de la conduite à réparer qui serait trop grand
si on attend après l’hiver 2018.

Dans ces circonstances, le Tribunal est d’avis ici que l’intérêt public dans la rapidité et
l’urgence des travaux dépasse largement l’intérêt privé ici de CWW à obtenir une
injonction.

[…] L’intérêt public ici est plus fort du côté du fait de faire les travaux que de respecter
un processus d’octroi de contrat entre soumissionnaires et la Ville, d’autant plus que ces
problèmes, s’il y en a, peuvent être compensés monétairement.444

Dans 4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, la Cour d’appel a rejeté
l’argument de l’appelante qui prétendait que le juge de première instance avait erré en prenant en
compte les intérêts de personnes n’étant pas parties au litige dans le cadre de l’analyse du critère
relatif à la balance des inconvénients :

En ce qui concerne le dernier critère, le juge d'instance est d'avis que la balance des
inconvénients milite en faveur de Sigmasanté et des établissements de santé, en raison
de l'impact qu'auraient des délais dans l'exécution du contrat sur les opérations de ces
derniers, et par ricochet sur le public. Il s'appuie sur une preuve par affidavit faisant état
de la désuétude des systèmes de téléphonie en place dans certains établissements, ainsi
que de ses inconvénients sur leur prestation de service.

Voysis allègue que ces inconvénients subis par de (sic) tierces parties au litige ne doivent
pas influencer l'évaluation par le juge du critère de la prépondérance des inconvénients.
Cette position est erronée. Le juge se doit au contraire de prendre en considération
l'intérêt public dans sa décision d'accorder ou non une injonction [Note : RJR-
Macdonald inc. c. Canada (P.G.), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 311, 341],
particulièrement lorsque la santé du public est en jeu [Ibid, 354].

Dans Générale électrique du Canada inc. c. Approvisionnement des deux Rives, le tribunal a
refusé d’émettre une injonction provisoire à la demanderesse parce que les droits qu’elle alléguait
paraissaient douteux, que le préjudice subi par celle-ci pourrait être compensé monétairement dans le
cadre d’un recours en dommages-intérêts et enfin, parce que l’intérêt public commandait de ne pas
retarder plus longuement l’acquisition du système d’imagerie médicale destiné au réseau de la santé :

444
Clean Water Works Inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 4398, par. 60, 61 et 64.

161
« Sur un des plateaux de la balance se trouve, pour la requérante, la perte d'un contrat
éventuel et des dommages à sa réputation. Sur l'autre plateau se trouve le besoin de
remplacer sans délai des appareils de radiographie devenus désuets dans douze
établissements hospitaliers du Québec. La balance penche en faveur de l'intérêt public
qui commande de ne pas retarder la mise en place de cet équipement indispensable. »445

Dans Services sanitaires Roy inc. c. Rivière-du-Loup (Ville de), l’analyse de la balance des
inconvénients amena la Cour à préciser qu’en cas de doute, l’intérêt public doit primer sur l’intérêt
privé du soumissionnaire. À ce titre, elle statua que les inconvénients auxquels s’exposait la Ville de
Rivière-du-Loup étaient nécessairement plus importants, notamment parce qu’il n’y avait aucune
preuve d’une violation claire de la loi, mais aussi et surtout, parce qu’il ne serait pas souhaitable que
les tribunaux interviennent dans le cadre des procédures d’appel d’offres publics. Le tribunal
s’exprima ainsi à ce sujet : « [il] existe en effet une présomption voulant que les actes posés par
l’administration publique soient valides et dans l’intérêt public. »446.

L’affaire CRT-Hamel c. Société de transport de Montréal constitue un autre exemple de la


tendance des tribunaux à juger que l’intérêt public commande de ne pas retarder indûment les projets
publics faisant l’objet des appels d’offres. Se prononçant sur la balance des inconvénients, le juge
André Prévost de la Cour supérieure, conclut que celle-ci favorisait nettement la Société de transport
de Montréal :

« La déclaration sous serment de Sylvain Paquet, directeur du projet à la STM, précise


que l’augmentation de l’achalandage et, en conséquence, du nombre de trains requis sur
la ligne Orange du métro de Montréal crée une situation pressante pour l’aménagement
d’un espace où les trains pourront être garés. Le projet de construction du garage Côte-
Vertu fait d’ailleurs l’objet d’une coordination avec les travaux d’un autre projet majeur,
celui de la construction du REM. Le respect des échéances est donc primordial.

Les inconvénients qui résulteraient de la suspension du contrat affecteraient non


seulement les milliers d’usagers de la ligne Orange du métro de Montréal, mais aussi la
coordination des travaux du projet de construction du REM et, par voie de conséquence,
les utilisateurs futurs de ce réseau.

445
Générale électrique du Canada inc. c. Approvisionnement des deux Rives, B.E. 2003BE-604, par. 31 (C.S.).
446
Services sanitaires Roy inc. c. Rivière-du-Loup (Ville de), 2015 QCCS 5830, par. 49.

162
Rappelons que le contrat a été conclu en vue d’améliorer le système de transport en
commun de Montréal et de ses environs. L’intérêt public prend une importance certaine
dans ce contexte. »447

Il est intéressant de regarder d’un peu plus près le dernier paragraphe de l’extrait précité qui
laisse entendre que c’est parce que le contrat en cause a pour objectif d’améliorer le système de
transport en commun que l’intérêt public prend une importance particulière. Avec égards, il nous
semble permis d’affirmer que tous les contrats publics ont une vocation semblable. Qu’il s’agisse
d’améliorer le transport en commun sur un territoire donné, de moderniser une centrale de traitement
des eaux usées, d’offrir une meilleure gestion des matières résiduelles ou encore d’améliorer la qualité
des infrastructures sportives, c’est le propre d’un contrat public d’améliorer la situation d’une
collectivité donnée sur un territoire donné. C’est ce qui fait qu’il a pour finalité de servir l’intérêt
public.

Avec respect, le raisonnement préconisé par les juges lors de l’évaluation de la balance des
inconvénients nous semble discutable. Dans quelles circonstances pourra-t-on conclure qu’il n’est
pas dans l’intérêt de l’organisme public que le projet qui fait l’objet de l’appel d’offres ne se réalise
pas rapidement ? Il est évident qu’un organisme qui choisit de lancer un appel d’offres a toujours
avantage à ce que son projet se réalise plus tôt que tard. Dans le contexte où les fonds publics alloués
aux projets collectifs sont plutôt limités, l’importance du respect des échéances ne fait pas de doute.
Les besoins que cherchent à combler les projets qui font l’objet d’appel d’offres accusent souvent du
retard avant même le début du processus contractuel. La conjoncture budgétaire place les organismes
publics, en regard des besoins à combler, dans une situation d’urgence pratiquement permanente.

Il nous semble également manifeste que les effets résultant de la suspension des projets faisant
l’objet des contrats publics affecteront toujours les usagers à qui il sont destinés. Si ces arguments
suffissent à démontrer que la balance des inconvénients favorise l’auteur de l’appel d’offres, aussi
bien dire qu’aucune demande d’injonction en cette matière n’est recevable, sauf si les droits invoqués
paraissent très clairs.

Nous croyons que la question qui devrait être posée au stade de l’analyse de ce critère est la
suivante : est-il dans l’intérêt public que le contrat soit octroyé au cocontractant choisi par l’auteur

447
CRT-Hamel c. Société de transport de Montréal, 2017 QCCS 1711, par. 31-33.

163
de l’appel d’offres ? Après tout, il s’agit là de la véritable question en litige. Le fait de se demander
s’il est dans l’intérêt public que le contrat soit octroyé purement et simplement commande presque
toujours une réponse positive et ce n’est pas l’objet du débat dont est saisie la Cour. Les tribunaux
font à notre avis fausse route lorsqu’ils font reposer leur raisonnement sur cette dernière question.

Nous pourrions citer plusieurs autres exemples qui attestent de la tendance des tribunaux à
interpréter de cette manière l’intérêt public lorsqu’ils sont invités à se prononcer sur des demandes
d’injonction448. Nous avons également répertorié quelques décisions qui ne s’inscrivent pas dans cette
logique. C’est le cas de celle du juge Louis J. Gouin, dans Groupe TNT inc. c. Ville de Montréal. Le
juge Gouin le dit assez clairement dans sa décision, il ne croit pas que les délais inhérents à la
suspension du processus d’appel d’offres constituent nécessairement des inconvénients plus
importants que ceux qui seraient causés par le choix du « mauvais » cocontractant. Dans le cas du
dossier qui était soumis au tribunal dans cette affaire, le fait de confirmer le choix du soumissionnaire
retenu par la Ville aurait permis, indirectement, la possibilité de retenir un sous-traitant clé dont la
qualification n’avait pas été évaluée.

Il s’agit de l’un des rares jugements où la notion d’intérêt public semble avoir été interprétée
comme devant favoriser le choix du « bon » cocontractant même si cela pouvait impliquer de retarder
le début des travaux faisant l’objet de l’appel d’offres. Il faut toutefois préciser que le commencement
des travaux était de toute manière retardé par le fait que l’un des sous-traitants du soumissionnaire
retenu par la Ville de Montréal ne détenait pas encore l’autorisation de l’AMF lui permettant de
conclure un contrat public et qu’aucun indice ne permettait de savoir quand cette autorisation lui serait
accordée. L’argument relatif au retard des travaux était pour ainsi dire, moins convaincant.

448
Voir notamment Sintra inc. c. Lac-Mégantic (Ville de), 2016 QCCS 2559, par. 43; Buanderie Blanchelle
inc. c. Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, 2008 QCCS 5192, par. 30-32; Remstar
Corporation inc. c. Audet, J.E. 2006-142, par. 24‑25 (C.S.); A.E. Boivin Inc. c. Dolbeau (Ville de), [1985] R.L.
229, 6 (C.S.); Karl Storz Endoscopy Canada c. Groupe d’approvisionnement en commun de l’Est du Québec,
2015 QCCS 2537, par. 58; Simplex Grinnell inc. c. Cégep de Sainte-Foy, 2012 QCCS 4512, par. 19-24;
Rénovam inc. c. Carnaval de Québec inc., 2011 QCCS 1991, par. 45‑46; 133879 Canada Inc. c. Gatineau (Ville
de), J.E. 2002-1930, par. 27‑29 (C.S.); Corporation Magil Construction c. St-Hyacinthe (Ville de), 2016 QCCS
4812, par. 40‑43; CML Entrepreneur général inc. c. Ville de Val-d’Or, 2017 QCCS 2834, 21‑41;
Radiopharmaceutiques Novateurs Isologic ltée c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux
de l’Estrie—Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 2017 QCCS 1312, par. 29‑31; Verreault inc. c.
Réseau de transport de la Capitale, 2008 QCCS 1868, par. 30‑34. Soulignons que dans Remstar, il était
question d’une injonction visant à empêcher la privaatisation de la gestion des hippodromes au Québec et le
lancement d’un appel d’offres afférent pour confier un mandat de gestion à un tiers, il ne s’agissait donc pas
d’une demande d’injonction typique visant l’octroi d’un contrat public typique.

164
Également sous la plume du juge Gouin, les décisions rendues dans les affaires Construction
Bau-Val inc. c. Montréal (Ville de) et dans Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c.
Montréal (Ville de)449 viennent nuancer la tendance décrite précédemment. Dans ces deux dossiers,
les demanderesses contestaient la décision de la Ville de Montréal d’avoir rejeté leurs soumissions
au motif qu’elles n’avaient pas fait la démonstration d’une expérience suffisante dans des projets de
même nature. Alors que la ville s’apprêtait à retenir les services de soumissionnaires qu’elle avait
jugé conformes, mais dont les prix étaient beaucoup plus élevés, les demanderesses s’adressèrent à la
Cour supérieure pour obtenir une injonction visant à surseoir provisoirement aux procédures d’appel
d’offres en cours. Le raisonnement du juge Gouin, quant aux critères du préjudice sérieux et
irréparable et de la balance des inconvénients, se distingue de celui qui est généralement suivi par ses
collègues :

Il va de soi que si l’injonction provisoire n’est pas accordée et que le Ville décide
d’attribuer les contrats reliés aux Projets à d’autres entreprises lors de la Réunion du
C.M., alors il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond
inefficace.

La Ville soumet que le préjudice de Bau-Val, le cas échéant, pourra être compensé par
l’octroi de dommages.

Le Tribunal est d’avis qu’un recours éventuel en dommages sera plus ardu vu qu’il
impliquera un débat relié, après le fait, à l’exercice de la discrétion de la Ville aux termes
dudit a article 6.2.

Aussi, la L.c.v, une loi d’intérêt public, prévoit à son article 573.7 que la soumission la
plus basse doit être retenue, sauf avec l’autorisation préalable du ministre des Affaires
municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire.

Il ne peut être dit, à ce stade-ci, qu’il s’agit d’une violation d’une loi d’intérêt public
[Note : Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231, par. [66] - [67];
Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876, par. [76] –
[77].], mais il est préférable que ce débat se fasse aussi maintenant, et que les règles du
jeu soient claires dès à présent, et pour l’avenir.450

449
Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), préc., note 445.Construction Bau-
Val inc. c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1185. À noter que ces deux dossiers ont été entendus en parallèle
car ils concernaient le même appel d’offres
450
Construction Bau-Val inc. c. Montréal (Ville de), préc., note 458, par. 58-62. Voir également les paragraphes
60 à 63 de Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), préc., note 445.

165
Dans deux jugements ultérieurs, le juge Claude Champagne de la Cour supérieure accepta de
renouveler les injonctions interlocutoires provisoires émises plus tôt par le juge Gouin pour des motifs
analogues. Sur la question de la prépondérance des inconvénients, il ajouta ceci :

« En ce qui a trait au dernier critère, en cas de doute, il faut privilégier l’intérêt public à
l’intérêt privé [Note : Consultants Aecom inc. c. Société immobilière du Québec, 2013
QCCA 52, par. 52.]. Dans le dossier présent, les deux parties invoquent l’intérêt public.
Bien que le jugement réclamé puisse entraîner certains délais et coûts additionnels, les
citoyens de la Ville pourraient aussi y trouver leur compte en épargnant plus d’un million
de dollars si le contrat est accordé au plus bas soumissionnaire. »451

La juge Dominique Bélanger, alors qu’elle siégeait à la Cour supérieure, a accepté d’émettre
une injonction interlocutoire dans le dossier Orthofab inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec,
notamment parce que les dispositions régissant le processus d’appel d’offres qui faisait l’objet du
litige – un contrat à commande visant la fourniture de fauteuils roulants - étaient de droit nouveau et
qu’elles méritaient selon elle d’être clarifiées avant que ne soient octroyés les nombreux contrats en
cause. Elle écrit :

« Le Tribunal est d’avis qu’il est dans l’intérêt public que la question de la légalité de
l’appel d’offres soit tranchée avant que le contrat touchant les dix catégories concernées
ne soit octroyé.

Le législateur a adopté une loi et un règlement visant à promouvoir la transparence dans


les processus contractuels et visant le traitement intègre et équitable des concurrents.
Selon la preuve, c’est le premier appel d’offres de la RAMQ en matière
d’approvisionnement de fauteuils roulants depuis l’entrée en vigueur du règlement.

Refuser l’injonction ferait en sorte que la problématique importante soulevée par le


présent dossier risque de ne jamais être résolue. Il est donc aussi dans l’intérêt de toutes
les parties, à moyen terme, que la question soit résolue. »452

Quant à l’argument voulant qu’il soit dans l’intérêt public que la RAMQ ne soit pas retardée
dans son processus d’approvisionnement en fauteuils roulants, la juge Bélanger conclut que rien

451
Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1482, par. 35. Les
conclusions du juge Champagne sont identiques dans l’affaire « Bau-Val », voir Construction Bau-Val inc. c.
Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1483, par. 35.
452
Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876, par. 91-93.

166
n’empêchait la RAMQ à prolonger la durée des contrats encore en vigueur avec ses fournisseurs du
moment, ce qu’elle n’avait d’ailleurs pas hésité à faire à deux occasions dans le passé.

En terminant, nous souhaitons dire quelques mots à l’égard du critère du préjudice sérieux et
irréparable, sur lequel doivent se prononcer les tribunaux à chaque fois où ils sont saisis d’une
demande d’injonction interlocutoire, nonobstant que le droit invoqué par la partie demanderesse soit
clair ou douteux. Ce critère, bien qu’il n’adresse pas nommément la question de l’intérêt public, est
malgré tout très révélateur vis-à-vis de la conception qui en est véhiculée. La tendance majoritaire
considère qu’il n’est pas judicieux d’accorder une injonction provisoire ou interlocutoire afin d’éviter
un préjudicie sérieux au soumissionnaire qui se prétend lésé lorsque le gain qu’il aurait pu récolter en
réalisant le contrat convoité est quantifiable et qu’il peut faire l’objet d’un recours en dommages-
intérêts453.

Quelques juges454 remettent toutefois en question cette façon de voir les choses et estiment
que certains facteurs, comme le fait qu’il soit plus ardu pour un soumissionnaire de faire valoir ses
droits une fois le contrat accordé, la perte des opportunités d’affaires découlant indirectement du
contrat, le fait de devoir mettre ses employés à pied, le fait de ne pas pouvoir développer – ou
maintenir - une expertise par l’entremise du contrat convoité ou encore la possibilité de se faire une
réputation dans un secteur donné, constituent des préjudices sérieux, irréparables et difficilement
quantifiables455.

Qu’il s’agisse de la tendance majoritaire ou des quelques exceptions auxquelles nous avons
fait allusion, le critère du préjudice sérieux et irréparable est analysé essentiellement sous un angle

453
Voir notamment 4077334 Canada inc. (Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, 2012 QCCA 1101; Roche ltée,
groupe conseil c. Québec (Procureur général), 2012 QCCA 1364; Clean Water Works Inc. c. Ville de Montréal,
préc., note 453; Consultants AECOM inc. c. Société immobilière du Québec, 2012 QCCS 3778, par. 74-82;
Générale électrique du Canada inc. c. Approvisionnement des deux Rives, préc., note 454; Médisolution ltée c.
CSSS d’Ahuntsic et Montréal Nord, 2005 CanLII 44290 (QC CS).
454
Voir par exemple Groupe TNT inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 3731; Demix Construction, division
de Holcim (Canada) inc. c. Québec (Procureur général), [2010] 1871 QCCA; Groupe CRH Canada inc.
(Demix Construction) c. Montréal (Ville de), préc., note 445; Construction Bau-Val inc. c. Montréal (Ville de),
préc., note 458; Construction Bau-Val inc. c. Montréal (Ville de), préc., note 460; 4077334 Canada inc.
(Solutions Voysis IP) c. Sigmasanté, préc., note 462, par. 48‑53; RCI Environnement c. Sigmasanté, 2014 QCCS
5803, par. 43; Transport Deschaillons inc. c. Corporation de transport Les Seigneuries, 2011 QCCS 7235,
par. 26‑27.
455
Dans Simplex Grinnell inc. c. Cégep de Sainte-Foy, préc., note 457 le tribunal énumère des facteurs
« humains » difficilement quantifiables, comme la possibilité pour l’entreprise et ses employés de relever de
nouveaux défis. Toutefois, comme la demanderese a quantifié ses dommages dans sa procédure, le juge estime
qu’elle reconnait indirectement que ces facteurs humains sont quantifiables et indeminisables.

167
économique et l’application qu’en font les tribunaux fait généralement abstraction des conséquences,
potentiellement sérieuses et irréparables sur la population, comme celles qui pourraient découler par
exemple de l’octroi d’un contrat à un soumissionnaire non qualifié. Pour illustrer notre propos, il
convient de citer l’extrait ci-dessous.

Le procureur de la demanderesse a tenté de faire valoir que constituerait un préjudice


sérieux le fait de permettre à une municipalité de procéder dans l’illégalité. La
demanderesse ne s’est pas adressée au Tribunal à titre de citoyen soucieux de faire
respecter la loi. L’intérêt de la demanderesse est bien délimité par le contexte d’un
soumissionnaire éconduit qui prétend avoir subi un dommage suite à un acte contraire à
la loi. L’article 752 vise le préjudice causé à la personne qui formule la demande
d'injonction. Ici le seul préjudice dont peut souffrir la demanderesse est la perte d’un
contrat et du bénéfice pouvant en résulter.456

S’il est vrai que l’article 752 de l’ancien C.p.c., dont les principes ont été repris dans le
nouveau code, vise le préjudice que pourrait subir la partie qui demande l’injonction, nous ne croyons
pas qu’il empêche pour autant de tenir compte du préjudice auquel s’exposent les autres parties,
d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un organisme public, auquel cas, le préjudice subi par les citoyens qui
bénéficient des services de cet organisme mérite à notre avis d’être pris en compte.

D’ailleurs, dans l’arrêt RJR Macdonald, la Cour suprême mentionne : « Certains tribunaux
ont examiné, à cette étape, le préjudice que l'intimé risque de subir si le redressement demandé est
accordé. Nous sommes d'avis qu'il est plus approprié de le faire à la troisième étape de l'analyse. Le
préjudice allégué à l'intérêt public devrait également être examiné à cette étape. »457 La Cour
mentionne bien qu’il est préférable de faire cette analyse à la troisième étape, indiquant ainsi
clairement qu’il n’est pas incorrect d’en tenir compte à la seconde étape, comme le font d’ailleurs
plusieurs tribunaux.

Nous sommes bien conscients que la question du préjudice peut très bien être étudiée à l’étape
de la balance des inconvénients. Préjudice et inconvénient sont des synonymes qui peuvent très bien
désigner la même chose. En fait, le critère de la balance des inconvénients, lorsqu’il adresse la
question de l’intérêt public, amène généralement les tribunaux à tenir compte des inconvénients
auxquels s’exposent l’organisme public concerné et par voie d’extension, ses

456
133879 Canada Inc. c. Gatineau (Ville de), préc., note 457, par. 28.
457
RJR -- Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), préc., note 451, 340‑341.

168
usagers/clients/citoyens. Le problème, c’est qu’en analysant les inconvénients subis par l’organisme
plutôt qu’un possible préjudice irréparable, le tribunal est amené indirectement à se concentrer sur
des facteurs qui ont trait au respect des budgets et des échéances. Or, le fait de ne pas respecter
l’intégrité d’un processus d’appel d’offres ou encore de choisir un soumissionnaire suffisamment
qualifié constituent nécessairement des préjudices irréparables.

Paragraphe IV - L’incidence sur le prix comme critère de qualification des


irrégularités

Une grande proportion des litiges liés aux contrats publics qui parviennent à se frayer un
chemin jusqu’aux tribunaux portent sur la qualification des irrégularités contenues dans les
soumissions retenues par les donneurs d’ouvrage. Lorsqu’une soumission comporte une irrégularité
majeure, il n’est pas possible pour l’auteur de l’appel d’offres de retenir cette soumission. Par contre,
lorsque la soumission comporte une irrégularité mineure, aussi qualifiée de vice de forme, l’auteur
de l’appel d’offres est généralement libre d’en faire abstraction et de retenir cette soumission.

Ce faisant, l’un des arguments souvent invoqués par les soumissionnaires qui se plaignent de
ne pas avoir été retenus est que la soumission de leur compétiteur contenait une irrégularité majeure
et qu’elle n’aurait pas conséquent pas dû être retenue. L’analyse des décisions soulevant ce type de
questions révèle, encore une fois, que les principes élaborés par les juges pour résoudre ce genre de
litige découlent de l’idée que l’appel d’offres est voué d’abord et avant tout à obtenir le meilleur prix.
Pour étayer notre propos, il est utile de citer d’entrée de jeu cet extrait de l’arrêt R.P.M. Tech inc. c.
Gaspé (Ville), lequel a été repris maintes fois par la suite :

Pour qualifier une irrégularité de mineure ou de majeure, le facteur déterminant est celui
de l'égalité des soumissionnaires. L'irrégularité ne doit pas avoir d'effet sur le prix de la
soumission; elle ne doit pas avoir rompu l'équilibre entre les soumissionnaires, l'un des
principes directeurs en matière d'adjudication de contrat par voie de soumissions
publiques.458

458
R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville), 2004 CanLII 76642 (QC C.A.), par. 28. Ces principes ont été repris
notamment dans : Association de la construction du Québec c. Blenda Construction inc., 2009 QCCQ 94;
Bertrand Ostiguy inc. c. Ville de Granby, 2018 QCCS 17; Tapitec inc. c. Ville de Blainville, 2017 QCCA 317;
Entreprises de construction O.P.C. Inc. c. Complexe hospitalier de la Sagamie, 2005 CanLII 1570 (QC CS).

169
En pratique, l’étalon de mesure par excellence pour départager l’irrégularité mineure de celle
qui est majeure est l’incidence sur le prix. Par exemple, dans Entreprises de construction O.P.C. Inc.
c. Complexe hospitalier de la Sagamie, la Cour supérieure a jugé que le défaut de produire un
cautionnement de soumission suffisant (118 748,30 $ plutôt que les 125 000 $ exigés aux documents
d’appel d’offres) ne constituait pas une irrégularité majeure étant donné que « [r]ien ne permet[tait]
concevoir que l’irrégularité constatée ait pu avoir un effet sur le prix de la soumission retenue ou de
quelque manière ait pu rompre l’équilibre entre les soumissionnaires »459. La Cour jugea qu’il était
plutôt invraisemblable « que le coût de production d’un cautionnement dans la forme prescrite, soit
une garantie émanant d’une institution bancaire, puisse varier de façon significative en raison d’une
si minime différence »460.

De même, dans Sécurité BSL ltée c. Cégep de Rimouski, la Cour supérieure a accueilli la
requête en jugement déclaratoire d’un soumissionnaire qui lui demandait de déclarer que son défaut
de joindre certaines attestations461 exigées dans les documents d’appel d’offres ne constituait pas une
irrégularité majeure. Bien que certains éléments du dossier pouvaient justifier qu’un soumissionnaire
ait fait défaut de produire ces attestations, notamment le fait que l’avis publié dans le SEAO,
contrairement aux documents d’appel d’offres, ne mentionnait pas cette exigence et que les conditions
prévues par l’auteur de l’appel d’offres pouvaient par conséquent prêter à confusion, l’argument
principal qui incita la Cour à qualifier ce défaut de mineur fut que celui-ci n’avait pas d’incidence sur
le prix de la soumission. La juge écrit :

Le Tribunal estime, devant les faits particuliers de cette affaire, que le principe de
l’équité procédurale et de l’égalité entre les soumissionnaires doit primer et que le Cégep
peut permettre à la demanderesse de faire la démonstration (rétroactive) qu’à la date
ultime prévue pour le dépôt des soumissions, celle-ci aurait pu détenir les attestations
nécessaires à se conformer à la Loi et à la réglementation.

L’intégrité du processus d’appel d’offres qui se veut transparent et équitable pour les
soumissionnaires et efficace pour la saine gestion des fonds publics n’en souffrira pas.
Il s’agit d’une situation où le dépôt a posteriori de ces attestations avec toute preuve

459
Coffrage Alliance Ltée c. Chateauguay (Ville de), J.E. 2002-1204, par. 47 (C.S.).
460
Id., par. 48.
461
Ces attestations sont nommément celle qui est émise par Revenu Québec et qui confirme que le dossier d’une
entreprise est en règle auprès des autorités fiscales, celle relative à l’absence de collusion ainsi que celle qui
confirme l’absence de condamnations en vertu de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34.

170
documentaire additionnelle nécessaire est justifié par l’erreur de l’organisme public, la
bonne foi de la demanderesse et l’absence de préjudice causé à l’autre soumissionnaire.

De plus, cette omission ne concerne pas à l’étape de l’adjudication et celle-ci porte sur
des points accessoires qui peuvent être corrigés facilement, sans conséquence sur le prix.
Il y a lieu de permettre que la soumission de la demanderesse soit considérée par le
Cégep si celle-ci fait la preuve qu’elle aurait pu soumettre à la date ultime fixée pour le
dépôt des soumissions, les attestations requises par le Règlement. Si elle est en mesure
de faire cette démonstration, sa soumission devra alors être évaluée qualitativement et
son enveloppe ouverte puis comparée à celle de l’autre soumissionnaire.462

Dans 9012-8067 Québec inc. c. Rawdon (Municipalité de), la demanderesse reprochait à la


municipalité de Rawdon d’avoir octroyé un contrat de déneigement à une entreprise dont la
soumission comportait prétendument plusieurs irrégularités majeures. Parmi ces irrégularités, la
demanderesse invoquait que la soumission de son compétiteur n’était pas accompagnée d’une liste
de son personnel contrairement aux exigences des documents d’appel d’offres. La Cour jugea que
cette omission ne constituait pas une irrégularité majeure, d’une part parce qu’elle fut corrigée après
l’ouverture des soumissions et d’autre part, parce qu’elle n’avait pas d’incidence sur le prix de la
soumission463. Le tribunal a fait siennes les conclusions de l’ingénieur et directeur du Service des
travaux publics de la municipalité selon qui cette omission « n'avait pas d'impact sur le prix de sa
soumission, sur sa capacité d'exécuter son contrat et sur le principe d'égalité qui doit être préservée
entre les soumissionnaires »464.

Il nous semble effectivement manifeste qu’une telle omission ne puisse pas avoir d’impact
sur le prix proposé. Néanmoins, nous trouvons discutable, ou du moins susceptible d’être débattue –
ce qui n’a pas été le cas -, la question de la capacité d’un soumissionnaire qui ne fournit pas la liste
de son personnel de réaliser un contrat donné. Cette exigence, nous semble-t-il, a probablement été
prévue pour évaluer la capacité des soumissionnaires à réaliser le projet qui faisait l’objet de l’appel
d’offres. Nous trouvons pour le moins étonnante, la rapidité avec laquelle le tribunal s’en est remis
aux conclusions du professionnel de la municipalité. L’explication qui nous apparait la plus plausible
est que le tribunal s’est satisfait de la première partie des conclusions du professionnel, à savoir que
l’irrégularité n’avait pas d’incidence sur le prix.

462
Sécurité BSL ltée c. Cégep de Rimouski, 2011 QCCS 3434, par. 52-54.
463
9012-8067 Québec inc. c. Rawdon (Municipalité de), 2012 QCCS 904, par. 66. Appel rejeté
464
Id.

171
Dans Construction GCP inc. c. Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, la Cour du Québec a jugé
que la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu avait bien fait de rejeter la soumission de l’entrepreneur le
moins-disant étant donné que celui-ci avait inscrit un prix forfaitaire dans sa soumission alors que les
documents d’appel d’offres exigeaient un prix unitaire pour certaines portions des travaux. De l’avis
du tribunal, cette irrégularité était majeure puisqu’elle pourrait avoir une incidence sur le prix de la
soumission : « L’importance de donner un prix unitaire prend son sens notamment dans les
explications données par Mme Servant. Par exemple, en l’absence de quantité spécifique de béton
coulé, la Ville n’a aucun prix de référence dans le cas où elle voudrait ajouter une dalle de propreté,
requérant une quantité de béton supérieure ».465

La décision de la Cour supérieure dans l’affaire Sky Jet MG inc. c. Centre intégré de santé et
de services sociaux de la Côte-Nord constitue un autre exemple qui met en lumière la prépondérance
du critère de l’incidence sur le prix sur les autres facteurs qui peuvent être allégués dans le cadre d’un
litige portant sur la qualification d’une irrégularité. Cette affaire mettait en cause l’appel d’offres
lancé par le CIUSSS de la Côte-Nord pour combler ses besoins en transport aérien. Estimant que
l’horaire de vol soumis par le transporteur le moins-disant ne correspondait pas à ses besoins, le
CIUSSS décida de rejeter sa soumission. La Cour supérieure, sous la plume du juge Paul Corriveau,
jugea que cette décision du CIUSSS contrevenait aux règles applicables en matière d’appel d’offres.
Reconnaissant qu’il s’agissait effectivement d’une irrégularité, le juge Corriveau estima que le CIUSS
avait eu tort de la considérer comme étant majeure. Rien dans les documents d’appel d’offres
n’empêchait le CIUSSS de négocier cet horaire avec les soumissionnaires et rien ne permettait de
croire qu’une modification afférente de l’horaire proposé aurait eu une incidence sur le prix soumis :

La défenderesse voulait une desserte des villages nord-côtiers avec deux vols par jour.

Lors de son témoignage Steve Harrisson répondant à la question de savoir pourquoi


l’appel d’offres ne contenait pas d’horaire de transport, a dit qu’il voulait que les
soumissionnaires suggèrent un horaire qui pourrait peut-être entraîner des effets
bénéfiques pour l’ensemble du transport recherché.

Confronté à l’horaire suggéré, le président de la demanderesse a répondu que des


ajustements sans augmentation de prix pourraient être effectués.

465
Construction GCP inc. c. Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, 2017 QCCQ 12279, par. 57.

172
La défenderesse aurait pu discuter de l’horaire préparé avec la demanderesse dont la
soumission était plus basse et la plus intéressante pour la sauvegarde des intérêts du
public.466

Parmi les autres questions soumises au tribunal dans cette affaire, il y avait celle qui portait
sur le droit pour le CIUSSS de renoncer à adjuger le contrat. En effet, à la lumière des prix reçus et
considérant le contexte budgétaire dans lequel il se trouvait au moment de prendre sa décision, le
CIUSSS a finalement choisi de ne pas donner suite à l’appel d’offres qu’il avait lancé. Alléguant que
cette décision avait été prise de mauvaise foi, la demanderesse invoqua qu’elle avait donné lieu à un
traitement inéquitable des soumissionnaires. Les documents d’appel d’offres étant munis d’une clause
de réserve, rien n’obligeait le CIUSSS à octroyer le contrat. Le juge Corriveau écrit à ce sujet :

Quant à la clause de réserve contenue à l’appel d’offres, la jurisprudence a abondamment


énoncé la validité d’une telle clause.

Notre collègue Georges Taschereau dans l’affaire Roxboro Excavation


inc. c. Procureur général du Québec écrit :

“ [62] Il est reconnu que lorsque l’administration énonce une clause de réserve dans un
appel d’offres, à moins de contrevenir à la loi ou aux règlements et sauf dans les cas de
fraude, de mauvaise foi ou de faute intentionnelle, on ne pourra lui reprocher de s’en
prévaloir. Elle doit, en quelque sorte, le faire de façon raisonnable, dans le respect des
grands objectifs de la Loi sur les contrats des organismes publics et en fonction du
meilleur intérêt des contribuables.”

L’intérêt des contribuables était évident quant aux soucis financiers de la défenderesse
d’espérer pouvoir diminuer les coûts d’exploitation du système de transport de
marchandise et de passagers qu’elle doit fournir à la population.

Il convient donc de rejeter les arguments de la demanderesse pour déclarer non valable
la décision de la défenderesse d’annuler l’appel d’offres.467

Certaines décisions, dont celles de la Cour d’appel du Québec dans Tapitec inc. c. Ville de
Blainville rendu en 2017, viennent toutefois tempérer la tendance des tribunaux à se rabattre
essentiellement sur l’incidence des irrégularités sur le prix d’une soumission pour qualifier celle-ci

466
Sky Jet MG inc. c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Côte-Nord, 2017 QCCS 6046, par.
103-106.
467
Id., par. 97-100.

173
de mineure ou de majeure. Dans Tapitec, c’est précisément ce que la Cour d’appel a reproché au juge
de première instance d’avoir fait : « En l’espèce, le juge a commis une erreur révisable en se limitant
à déterminer si l’égalité entre les soumissionnaires avait été rompue, en regardant principalement
l’impact de l’irrégularité sur le prix »468.

Il faut cependant préciser que cette affaire mettait en cause l’octroi d’un contrat public à la
suite d’une évaluation pondérée des soumissions tenant compte de différents facteurs. Ce n’est
toutefois pas cet élément qui semble avoir convaincu la Cour que le juge de première instance avait
erré en limitant son analyse à la question de l’incidence de l’irrégularité sur le prix de la soumission :
« [C]’est toutefois l’intégrité même du processus d’appel d’offres qui demeure la considération
principale et le fait de renoncer à une condition de qualification peut, en certaines circonstances,
affecter cette intégrité malgré que cela n’ait pas d’effet sur les prix proposés par les soumissionnaires
»469. Dans le dossier sur lequel la Cour était invitée à se prononcer, les documents d’appel d’offres
prévoyaient que les seuls soumissionnaires admissibles au contrat étaient ceux ayant leur principale
place d’affaires au Québec et dotés d’une expérience minimale de cinq ans en sol québécois. Or, le
cocontractant ayant obtenu le pointage le plus élevé lors de l’analyse des soumissions n’était
incorporé que depuis deux ans. La Ville décida malgré tout de retenir ses services, d’où la contestation
de l’entrepreneur ayant reçu le second pointage le plus élevé.

Jugeant que la Ville ne pouvait faire fi de l’exigence relative à l’expérience des


soumissionnaires sans contrevenir à l’intégrité du processus d’appel d’offres, la Cour qualifia cette
erreur de majeure. Bien que cette irrégularité n’avait aucune incidence sur le prix soumis, il n’en
demeure pas moins que l’importance qui lui a été accordée par le tribunal relève, une fois de plus,
d’une conception du rôle de l’État axée sur la protection d’un environnement qui soit le plus
compétitif possible. Le passage suivant en témoigne bien :

Une personne raisonnable qui prend connaissance de cet appel d’offres comprend que
seules les entreprises implantées et opérant au Québec depuis au moins cinq ans sont
admissibles à y participer. On ne voit pas comment une entreprise qui fait affaire au
Québec depuis moins de cinq ans pourrait comprendre qu’elle peut néanmoins
soumissionner et avoir la chance d’obtenir le contrat, à moins que les documents d’appel
d’offres ne prévoient cette possibilité. Elle risque ainsi fort de ne pas déposer de
soumission alors que celles qui décideront de consacrer temps et énergie à en préparer

468
Tapitec inc. c. Ville de Blainville, préc., note 467, par. 10.
469
Id., par. 19.

174
une et à la déposer tiennent pour acquis que leurs compétiteurs seront limités aux
entreprises qui ont des activités dans ce domaine depuis au moins cinq ans.470

Parmi les autres cas d’exception qu’il importe de mentionner, citons l’affaire Coffrage
Alliance Ltée c. Chateauguay (Ville de)471, dans laquelle il a été jugé que le défaut de produire un
cautionnement au moyen d’un chèque visé constituait une irrégularité majeure étant donné que le
contexte du projet faisant l’objet de l’appel d’offres nécessitait de retenir un soumissionnaire
présentant une excellente santé financière et que le moyen qui avait été retenu pour mesurer cette
capacité financière était le dépôt d’un cautionnement par chèque visé.

Mentionnons enfin la décision de la Cour supérieure dans l’affaire EBC inc. c. Ville de
Montréal. Se plaignant de ne pas avoir été retenue par la Ville de Montréal qui avait lancé un appel
d’offres pour la construction d’un complexe sportif, l’entrepreneur EBC déposa un recours en
dommages-intérêts au montant de 2 105 397 $ pour compenser la perte de profits lui ayant été
occasionnée par la Ville. Le tribunal, sous la plume du juge Frédéric Bachand, fit droit à la
réclamation d’EBC.

De l’avis du juge, le plus bas soumissionnaire retenu par la Ville n’avait pas démontré qu’il
était suffisamment compétent pour réaliser les travaux projetés alors que les documents d’appel
d’offres exigeaient une telle démonstration. Ce faisant, sa soumission était irrégulière et ne pouvait
être retenue par la ville de Montréal. L’analyse que fait le juge Bachand de l’irrégularité alléguée par
la demanderesse est particulièrement intéressante. Reprenant les principes énoncés dans Tapitec
précitée, il insiste sur le fait que l’impact de l’irrégularité sur le prix proposé n’est pas déterminant en
soi. S’appuyant par ailleurs sur le cadre d’analyse élaboré par les auteurs Pierre Giroux et Nicolas
Jobidon472 – lequel fut également utilisé dans Tapitec – le juge Bachand se livre à une analyse

470
Id., par. 37.
471
Coffrage Alliance Ltée c. Chateauguay (Ville de), préc., note 468.
472
Lequel consiste à se poser les trois questions suivantes : « 1) l’exigence est-elle d’ordre public? 2) les
documents d’appels d’offres indiquent-ils expressément que l’exigence constitue un élément essentiel? et 3) à
la lumière des usages, des obligations implicites et de l’intention des parties, l’exigence traduit-elle un élément
essentiel ou accessoire de l’appel d’offres? » Si la réponse est affirmative pour chacune de ces questions alors
l’irrégularité peut être qualifiée de majeure. EBC inc. c. Ville de Montréal, préc., note 436, par. 31. Citant Pierre
GIROUX et Nicholas JOBIDON, « Les appels d’offres : une entreprise risquée? Survol des risques : la perspective
de l’organisme public », dans Service de formation permanente du Barreau du Québec, Congrès annuel du
Barreau du Québec (2010), Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 1 à la page 10 (30).

175
contextuelle de la question mettant en cause l’interprétation qu’une personne raisonnable se ferait des
documents d’appel d’offres :

Lorsque — comme c’est le cas dans la présente affaire — la condition d’admissibilité


relative à la compétence qui est en litige est ni d’ordre public ni expressément qualifiée
d’essentielle dans les documents d’appel d’offres, on doit répondre à la troisième
question en se demandant comment une personne raisonnable ayant pris connaissance
des documents d’appel d’offres interpréterait la condition

On peut le faire en se plaçant d’abord du point de vue d’une entreprise qui — comme
EBC — a effectivement soumissionné, pour ensuite refaire l’exercice en adoptant le
point de vue d’une entreprise intéressée par le projet, mais ne possédant pas la
compétence ou l’expérience requise. Dans le premier cas de figure, il s’agit de se
demander si, à la lecture des documents d’appel d’offres, le soumissionnaire pouvait
raisonnablement s’attendre à n’avoir comme concurrentes que des entreprises ayant
réalisé, au cours des cinq années précédentes, des projets de nature et d’envergure
analogues au Complexe sportif Saint-Laurent. Dans le second cas de figure, il s’agit
plutôt de se demander si, à la lecture des documents d’appel d’offres, l’entreprise devait
comprendre qu’elle n’avait aucune chance de se voir octroyer le contrat étant donné
qu’elle n’avait réalisé, au cours des cinq années précédentes, aucun projet de nature et
d’envergure analogues. S’il s’avère, au terme de l’analyse, que la condition
d’admissibilité en question aurait probablement été comprise comme ayant pour effet de
limiter le nombre de soumissionnaires qualifiés, elle devra être qualifiée d’essentielle.473

Cette analyse, qui nous semble par ailleurs conforme aux enseignements de la Cour suprême
dans les affaires Ron Engineering, MJB et Martel met bien en lumière que le caractère essentiel d’une
condition sera jugé en fonction de son potentiel à favoriser l’obtention d’un meilleur prix, notamment
par le truchement de la libre concurrence.

Lorsque le juge Bachand écrit que « [l]’impact de la renonciation à la condition en litige sur
les prix proposés est un élément pertinent, mais non déterminant »474, il aurait tout aussi bien pu écrire
que l’impact sur le prix peut suffire à sceller le sort d’un litige, mais que d’autres éléments peuvent
également être pris en compte si ceux-ci sont présumés avoir un impact sur le prix, comme c’est le
cas lorsqu’une condition d’admissibilité relative à l’expérience est posée, car celle-ci limite le bassin
de soumissionnaires potentiels.

473
EBC inc. c. Ville de Montréal, préc., note 436, par. 32-33.
474
Id., par. 30.

176
Le juge Bachand s’explique en disant que ce serait une erreur de considérer l’impact sur le
prix comme un facteur déterminant en soi et il s’appuie pour ce faire sur le passage suivant de l’arrêt
Tapitec : « En définitive, c’est toutefois l’intégrité même du processus d’appel d’offres qui demeure
la considération principale et le fait de renoncer à une condition de qualification peut, en certaines
circonstances, affecter cette intégrité malgré que cela n’ait pas d’effet sur les prix proposés par les
soumissionnaires. L’analyse relative à la conformité d’une soumission doit donc être effectuée en
tenant compte également de cette possibilité »475.

Qu’est-ce que ça signifie concrètement de respecter l’intégrité du processus d’appel d’offres ?


Si « le fait de renoncer à une condition de qualification peut, en certaines circonstances, affecter cette
intégrité malgré que cela n’ait pas d’effet sur les prix proposés », pourquoi faudrait-il proscrire une
telle renonciation ? Parce que cela est inéquitable à l’endroit des soumissionnaires, parce que certains
concurrents auraient peut-être pu déposer une soumission – et offrir un meilleur prix que ceux
proposés -, par ce que cela nuit à la libre concurrence, laquelle est supposée offrir le meilleur prix à
l’auteur appel d’offres ? Toutes ces réponses se placent du point de vue des soumissionnaires, lesquels
ont un « droit égal à contracter avec l’Administration en vertu d’un principe de base qui s’appelle le
principe de l’égalité devant le service public »476. L’analyse de ces conditions ne se fait jamais en
fonction de ce qui permettrait vraiment à l’auteur de l’appel d’offres d’obtenir la meilleure prestation
possible. Il est présumé que la qualité de cette prestation est fonction du respect de l’intégrité du
processus d’appel d’offres, laquelle intégrité est ensuite décortiquée du point de vue du traitement
équitable des soumissionnaires et de la promotion d’une concurrence qui soit la plus ouverte possible.
Qu’en est-il de l’intérêt des citoyens ? Si ceux-ci ont certainement avantage à ne pas dépenser plus
que ce qui est raisonnable de payer, peuvent-t-ils aussi prétendre à la réalisation d’infrastructures
durables et de qualité réalisées par les meilleurs soumissionnaires ? Or, s’il est vrai que le juge
Bachand est parvenu à statuer sur l’issue du dossier en se conformant au prisme d’analyse budgétaire
qui prévaut généralement, le passage suivant de son jugement exprime bien qu’il n’est pas demeuré
insensible à une autre version de l’intérêt public que celle qui ne se résume qu’à l’économie de deniers
publics :

Or, nul besoin d’être un expert pour comprendre qu’une ville soucieuse de l’intérêt
public ne confierait pas un tel projet à n’importe quel entrepreneur en construction. Dans
le cadre du processus d’appel d’offres, elle ferait le nécessaire afin d’éviter que le contrat

475
Id.; Tapitec inc. c. Ville de Blainville, préc., note 467, par. 19.
476
P. GARANT, préc., note 434, p. 381.auquel réfèrent les juges notamment dans Entreprise P.S. Roy inc. c.
Magog (Ville de), 2013 QCCA 617, par. 48; EBC inc. c. Ville de Montréal, préc., note 436, par. 16.

177
ne soit attribué à une entreprise n’étant pas en mesure d’exécuter de manière satisfaisante
les travaux requis. Il ne s’agirait pas, pour elle, d’un objectif secondaire ou de moindre
importance. Au contraire, elle en ferait un objectif prioritaire, et elle considérerait
comme étant essentielles les dispositions de ses documents d’appel d’offres énonçant les
conditions relatives à la compétence des soumissionnaires.477

Enfin, pour conclure cette section, revenons quelques instants sur l’arrêt Rimouski (Ville de)
c. Structure GB ltée précité. Dans le passage qui suit, les juges majoritaires résument à merveille la
conception dominante de l’intérêt public dans le contexte de l’adjudication par appel d’offres d’un
contrat public dont nous venons de tracer les grandes lignes. S’appuyant sur un passage de l’ouvrage
des auteurs Hétu et Duplessis, ils écrivent :

Le principe fondamental énoncé dans la Loi sur les cités et villes est que le contrat doit
être adjugé au plus bas soumissionnaire, et non pas le concept que le contrat doit être
adjugé à celui dont la soumission est la plus conforme à l'appel d'offres, l'un, cependant,
n'excluant pas nécessairement l'autre.

À ce sujet, les auteurs Hétu et Duplessis écrivent :

La municipalité doit avoir la latitude nécessaire afin que le contrat soit accordé en
fonction du meilleur intérêt des contribuables. Comme les tribunaux l'ont déjà souligné :
« Il existe une obligation non pas envers le plus bas soumissionnaire, mais envers le
trésor public qui ne doit jamais être tenu de payer, sans une bonne raison, un prix plus
élevé que nécessaire. » Si un doute se présente sur la conformité d'une soumission, il
faut favoriser l'offre comportant le meilleur prix pour la municipalité. Mais dans la
recherche de cet objectif, la municipalité ne doit pas affecter les principes de l'appel
d'offres en faisant preuve de favoritisme et en rompant l'égalité entre les
soumissionnaires. En d'autres termes, une municipalité peut faire preuve d'une certaine
souplesse dans l'examen du cahier des charges et des soumissions, mais pas au point de
causer un préjudice à certains soumissionnaires. C'est pourquoi la jurisprudence
distingue entre les irrégularités mineures qui ne portent pas atteinte aux objectifs de
l'appel d'offres et celles qui touchent les objectifs fondamentaux du processus
d'adjudication par voie de soumissions. La discrétion municipale ne peut s'exercer que
pour la première catégorie d'irrégularités. (Jean Hétu et Yvon Duplessis, Droit municipal
: Principes généraux et contentieux, supra, note 6, p. 9 314 et 9 315, paragr. 9.127.) »478

477
EBC inc. c. Ville de Montréal, préc., note 436, par. 40.
478
Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, préc., note 397, paragraphe 52 et 53.

178
Paragraphe V - Les cas d’exception

Il importe toutefois de souligner qu’il existe des cas où les tribunaux n’hésitent pas à faire
prévaloir d’autres critères que celui du prix de la soumission. L’arrêt L'Archevesque et
Rivest c. Beaucage et la Paroisse de St-Roch de l'Achigan479 en constitue un bel exemple bien que
rendu dans des circonstances fort différentes des contestations étudiées précédemment. La juge
L’Heureux-Dubé, alors à la Cour d’appel, a confirmé l’annulation d’un règlement municipal ayant
autorisé la construction d’un centre administratif municipal alors que les citoyens s’étaient prononcés
à l’encontre du projet. Le jugement a été rendu alors que le centre avait été construit et dans le contexte
où l’intégrité du processus d’appel d’offres n’était pas remise en cause. L’entrepreneur choisi était
celui qui avait présenté la plus basse soumission conforme. Il est manifeste, à la lecture de la décision,
que le défaut de respecter la procédure de consultation citoyenne préalable s’est avéré déterminant
sur l’issue du dossier. Il importe toutefois de préciser que cette procédure de consultation était
imposée par des dispositions législatives d’ordre public et que le défaut de s’y conformer entraînait
nécessairement l’illégalité du règlement. Nous pouvons nous demander quelle aurait été la décision
de la Cour si cette procédure avait été facultative.

L’arrêt Québec (Procureur général) c. Chagnon (1975) ltée porte sur certaines dispositions
législatives qui ont été introduites au Québec en 2011 afin d’empêcher les entrepreneurs en
construction qui ont été déclarés coupables de certaines infractions de pouvoir obtenir des contrats
publics. Dans cette affaire, l’intimée, une entreprise de construction, a multiplié les procédures
judiciaires afin de contester les décisions de la Régie du bâtiment du Québec (ci-après : la « RBQ »)
et de la Corporation des maîtres électriciens (ci-après : la « CMEQ ») qui ont eu pour effet de
restreindre sa licence aux fins de l’obtention de contrats publics étant donné la commission d’une
infraction fiscale par l’intimée. Chagnon s’adressa tout d’abord à la Commission des relations du
travail afin de contester ces décisions et demanda à cette dernière de surseoir à la restriction imposée
sur sa licence dans l’attente d’un jugement au fond. Étant d’avis que cette restriction était susceptible
de causer un préjudicie sérieux et irréparable à l’intimée, la CRT accepta la demande de sursis.
Appelée à contrôler la légalité de cette décision, la Cour supérieure confirma la décision de la CRT.
La Cour d’appel fut à son tour invitée à se prononcer sur l’opportunité de surseoir à la restriction
imposée sur la licence de Chagnon. Ne partageant pas l’avis de ses prédécesseurs, la juge Bich
redonna plein effet à la restriction imposée par la RBQ et la CMEQ à la licence de Chagnon.

479
L’Archevêque & Rivest Ltée c. Beaucage, préc., note 76.

179
Différents passages de la décision montrent à quel point la conception de l’intérêt public peut différer
selon le contexte social et politique dans lequel le décideur doit interpréter cette notion. Les passages
suivants sont particulièrement intéressants :

Le problème, ici, tient à ce que le sursis prononcé par la CRT, en l'espèce, ignore
complètement la volonté législative, sans examiner véritablement l'intérêt public. Voici
ce qu'elle écrit à ce sujet :

[61] Dans son appréciation, la Commission tient à mentionner qu'elle a aussi


considéré l'intérêt public.

[62] Les notes explicatives de la Loi 35 indiquent :

Ce projet de loi apporte des modifications à la Loi sur le bâtiment afin de


prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans
l’industrie de la construction et de revoir les montants des amendes prévues
par cette loi. (…)

De plus, elle ajoute aux conditions de délivrance et de maintien d’une licence


des exigences quant aux bonnes moeurs, quant à la compétence et quant à la
probité d’un entrepreneur. De même, elle prévoit qu’un entrepreneur
condamné pour certaines infractions à une loi fiscale au cours des cinq
dernières années verra sa licence restreinte aux fins de l’obtention d’un contrat
public. (…)

[63] Dans le présent dossier, une ordonnance de suspension des décisions de


la RBQ et de la CMEQ jusqu’à ce qu’une décision sur le fond intervienne,
n’est pas contraire à l’intérêt public, notamment parce ce que Chagnon est une
personne morale de bonnes moeurs et qu’elle peut exercer avec compétence et
probité ses activités d’entrepreneur en dépit du fait qu’elle ait été condamnée
pour une infraction à une loi fiscale, le 7 juin 2010

[64] La décision de la RBQ du 5 mai 2011 et celle de la CMEQ du 30


septembre 2011 viennent toutes les deux soutenir et confirmer l’analyse de la
Commission, sur ce point.

[33] Le législateur a voulu justement qu'un entrepreneur condamné pour une infraction
à une loi fiscale visée par l'article 65.1, second al., L.b., tel que modifié le 9 décembre
2011, soit exclu aux fins de l'obtention ou de la réalisation d'un contrat public et il a jugé
qu'une seule infraction de cette sorte disqualifiait (et discréditait) un entrepreneur et
entachait sa probité. En prétendant suspendre l'effet des « décisions » de la Régie et de
la Corporation sur la restriction (qui ne sont pas rendues sous l'empire de l'article 70

180
L.b.), c'est plutôt l'effet de la loi que la CRT se trouve à suspendre, sans pourtant analyser
les raisons qui ont poussé le législateur à adopter, dans l'intérêt public, une norme aussi
sévère. Il y a là, me semble-t-il, une faille.

[…]

[50] Par ailleurs, et dans un autre ordre d'idées, ainsi que l'indique encore la Cour
suprême dans l'arrêt Metropolitan Stores, une suspension de la loi ou de l'effet de la loi
« ne devrait pas être accordée à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération
dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients en même temps que l'intérêt
des plaideurs privés ». Or, à ce chapitre, le juge a fait défaut de considérer l'intérêt public,
centrant plutôt son analyse sur le caractère singulier de la situation de l'intimée.

[51] Or, d'une part, cette situation risque fort de n'être pas singulière. Comme le souligne
le jugement de première instance au regard du préjudice irréparable :

[33] Les principaux motifs retenus par le Commissaire dans sa décision de


suspendre l’application de la Loi dans le cas de Chagnon risquent d’être
appliqués à un très grand nombre de détenteurs de licences confrontés à une
situation semblable.

[34] En effet, Chagnon n’est certainement pas la seule entreprise dans le


domaine de la construction qui tire une grande partie de ses revenus de contrats
publics. En mettant l’emphase sur cette situation pour se satisfaire de
l’existence d’un préjudice sérieux et irréparable selon l’article 164.5 de la Loi
[renvoi omis], la décision de la Commission est susceptible «de provoquer une
avalanche de suspensions d’instance et d’exemptions dont l’ensemble équivaut
à un cas de suspension de la loi» [renvoi omis].

[52] Le juge a tout à fait raison et ses propos mettent en relief le fait que la situation de
l'intimée risque d'avoir plutôt un effet d'exemple ou de précédent susceptible de se
propager. Cela change forcément la perspective dans laquelle doit être considérée la
question de la prépondérance des inconvénients et, sur ce point, le jugement paraît
porteur d'une contradiction : la situation de l'intimée ne peut pas être de nature à générer
un effet d'entraînement au chapitre du préjudice irréparable, mais être singulière au
chapitre de la prépondérance des inconvénients.

[53] D'autre part, vu la faiblesse du droit de l'intimée et même si celle-ci présentait un


cas de figure unique, on ne voit pas pourquoi on devrait l'exempter de l'application du
régime prévu par le législateur et la soustraire à l'effet de la restriction prévue par l'article
65.1, second al., paragr. 3, L.b., ce qui équivaut à la soustraire de l'application d'une loi
dont elle ne conteste pas la validité.

181
[54] Soit dit avec égards, le fait que les services de l'intimée soient appréciés de ses
cocontractants ou le fait que la restriction qui lui est imposée en vertu de l'article 65.1
L.b. puisse causer certains inconvénients à ces mêmes cocontractants ne peuvent
contrebalancer le jugement systémique que le législateur a porté en adoptant la Loi visant
à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie
de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment, estimant
que l'intérêt et l'ordre publics ne pouvaient plus s'accommoder de la participation de
certains entrepreneurs aux contrats de l'état.

[55] La soussignée est bien consciente de la gravité des conséquences de la restriction


sur l'intimée et ses employés, conséquences qui, cependant, ne peuvent ici l'emporter sur
l'intérêt public.480

La juge Bich préconise une conception de l’intérêt public qui rompt avec l’interprétation
dominante qui tend à favoriser une prise en compte des impacts économiques associés à l’imposition
d’une sanction à l’encontre d’une entreprise qui réalise des contrats publics ou qui aspire à en réaliser.
L’autre élément particulièrement intéressant qui ressort du jugement de la Cour d’appel est la priorité
donnée à la volonté du législateur pour établir le contenu de l’intérêt public.

Malgré les conséquences qui pourraient sembler disproportionnées pour l’entreprise par
rapport à la gravité des gestes commis par celle-ci, la juge Bich rappelle que le législateur a choisi
d’adopter une norme sévère précisément pour des raisons d’intérêt public, faisant ici allusion à
l’objectif du législateur de combattre la corruption et la collusion dans le processus d’octroi des
contrats publics par l’imposition de sanctions particulièrement sévères. La juge Bich s’en remet ainsi
à l’intention du législateur qui, dans le cadre précis des dispositions en cause, a choisi de faire primer
la promotion de l’intégrité des cocontractants de l’État sur les impacts négatifs que ces mesures
pourraient avoir sur l’économie ou la survie des entreprises concernées. En écrivant qu’elle « est bien
consciente de la gravité des conséquences de la restriction sur l'intimée et ses employés, conséquences
qui, cependant, ne peuvent ici l'emporter sur l'intérêt public », la juge Bich fait prévaloir une
conception de l’intérêt public qui transcende les intérêts particuliers des parties concernées et qui se
rapproche davantage d’une définition volontariste de la notion.

La décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Construction Michel Gagnon ltée
c. Régie du bâtiment du Québec, souligne que l’évaluation du critère de la balance des inconvénients

480
Québec (Procureur général) c. Chagnon (1975) ltée, 2012 QCCA 327.

182
dans le cadre d’une demande d’injonction doit faire primer l’intérêt public sur les intérêts privés481.
Référant aux notes explicatives de la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines
pratiques frauduleuses dans l'industrie de la construction et apportant d'autres modifications à la
Loi sur le bâtiment, la Cour précise que « Le législateur a choisi que lorsqu'un entrepreneur ne
rencontrait pas certains critères de probité, telle une condamnation selon la Loi sur la taxe d'accise, il
n'avait plus le privilège d'obtenir un contrat public. »482 et ajoute ensuite un peu plus loin ce qui suit :
« Le Tribunal est convaincu que les dispositions adoptées dans le cadre de la Loi visant à prévenir,
combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l'industrie de la construction et
apportant d'autres modifications à la Loi sur le bâtiment, vise (sic) le bien commun. »483

Cette remarque est étonnante. D’une part, elle fait référence à la notion de bien commun qui
a été abandonnée depuis longtemps par les tribunaux. D’autre part, cette affirmation de la juge ne dit
pas en quoi cette loi viserait davantage le bien commun que d’autres lois. Le législateur n’est-il pas
supposé toujours viser le bien commun lorsqu’il adopte une loi ? Une hypothèse plausible pour
expliquer cette référence à la notion de bien commun dans le présent cas serait la suivante. La juge
souhaitait souligner que les dispositions en cause visaient précisément à faire primer une conception
de l’intérêt public comme étant le bien commun de la société toute entière plutôt que la somme des
intérêts particuliers de ses membres.

Cette hypothèse nous semble vraisemblable, car en adoptant cette loi, le législateur a choisi
de s’attaquer à la corruption et à la collusion dans l’industrie de la construction en punissant
sévèrement les entreprises déclarées coupables de certaines infractions, tout en étant conscient que
ces nouvelles dispositions auraient des répercussions importantes sur la santé financière de plusieurs
entreprises et qu’elles pourraient entraîner la mise à pied de plusieurs travailleurs de l’industrie. Ce
faisant, le législateur a fait le pari que certains intérêts privés devaient être sacrifiés au nom de l’intérêt
de la société toute entière qui subit les conséquences sociales et économiques associées à la corruption
et à la collusion. En affirmant que le « Tribunal est convaincu que les dispositions adoptées dans le
cadre de la Loi […] vise (sic) le bien commun », la juge souhaite signifier, à notre avis, que
contrairement à d’autres textes de loi, les dispositions législatives en cause sont clairement
imprégnées d’une conception volontariste de l’intérêt public. D’ailleurs, un peu plus loin dans sa
décision, la Cour fait référence à l’extrait suivant de l’arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores

481
Construction Michel Gagnon ltée c. Régie du bâtiment du Québec, [2011] QCCS 7257, au paragraphe 24.
482
Id., paragraphe 28.
483
Id., paragraphe 30.

183
Ltd. pour étayer son raisonnement : « D'un autre côté, dans les cas de suspension, lorsque les
dispositions contestées sont de portée large et générale et touchent un grand nombre de personnes,
l'intérêt public commande normalement davantage le respect de la législation existante »484, ce qui
semble renforcer notre hypothèse.

L’affaire 9129-2201 Québec inc. c. Autorité des marchés financiers abonde dans le même
sens que les décisions précitées en privilégiant une conception de l’intérêt public permettant à l’État
de poursuivre certains objectifs qui peuvent bénéficier à l’ensemble des citoyens bien que ces
objectifs puissent être lourds de conséquences à l’égard des intérêts particuliers de certains :

[107] L’article 21.27 LCOP investit l’AMF du pouvoir de se prononcer sur l’intégrité
d’une entreprise qui désire contracter avec l’État. Cette notion d’intégrité doit recevoir
une interprétation large. Elle ne saurait être strictement cantonnée aux situations
spécifiquement décrites à l’article 21.28 LCOP.

[108] En effet, ces dispositions visent à doter le gouvernement de moyens pour


s’attaquer à la collusion et à la corruption dans le domaine des contrats publics,
particulièrement dans l’industrie de la construction.

[109] Or, une interprétation restrictive, formaliste et hermétique de la notion d’intégrité


risquerait de compromettre l’atteinte de l’objectif d’intérêt public que le législateur s’est
fixé.

[110] Les débats qui ont mené à l’adoption des dispositions en cause démontrent
d’ailleurs que le législateur était fort soucieux d’éviter un tel écueil. Afin d’assurer
l’atteinte de l’objectif poursuivi, le législateur a sciemment choisi d’imposer une norme
élevée d’intégrité et d’investir l’AMF d’une large discrétion dans l’appréciation de
l’intégrité des entreprises en cause, à la lumière de certains éléments qu’il a voulu non
limitatifs (Journal des débats de la Commission, 12 novembre 2012, Ministre Stéphane
Bédard, p. 27; 13 novembre 2012, Ministre Stéphane Bédard, p. 17; 15 novembre 2012,
Ministre Stéphane Bédard, pp. 26, 27; 6 décembre 2012, Ministre Stéphane Bédard, p.
1611; QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de l’Assemblée
nationale, 20 novembre 2012, Ministre Stéphane Bédard, p. 510.)

[111] L’application de ces dispositions et le large pouvoir discrétionnaire conféré à


l’AMF peut être source de frustrations et de désagréments pour les entreprises qui
désirent être autorisées à contracter avec l’État. Ces contrariétés ne l’emportent
cependant pas sur l’intérêt public qui est en jeu (Voir par analogie : Québec (Procureur
général) c. Chagnon (1975) Ltée, 2012 QCCA 327, qui traite d’amendements apportés
à la Loi sur le bâtiment, RLRQ, c. B-1.1 afin de combattre et sanctionner certaines

484
Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, paragraphe 85.

184
pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction. ) et ne suffisent pas à écarter
les décisions que l’AMF prend en cette matière lorsque, comme dans le présent cas, la
décision de l’AMF se justifie raisonnablement au regard de la preuve et du droit.485

Le juge Steve J. Reimnitz, de la Cour supérieure du Québec, a rejeté une requête en révision
judiciaire de l’entreprise Ali Excavation inc., laquelle contestait la décision de l’Autorité des marchés
financiers de ne pas lui avoir octroyé l’autorisation nécessaire pour obtenir des contrats publics
québécois. Étant d’avis que l’entreprise avait été impliquée dans un stratagème de fausses factures,
l’AMF jugea qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences requises pour obtenir l’autorisation demandée
et la Cour supérieure a confirmé la raisonnabilité de cette décision. La Cour écrira ceci au sujet de
l’intérêt public :

« Ces nouvelles dispositions de la LCOP visent à lutter contre la corruption et la


collusion dans le domaine des contrats publics, particulièrement dans l’industrie de la
construction. L’importance de cet objectif d’intérêt public est trop grande pour
permettre une telle déresponsabilisation des entreprises qui souhaitent être autorisées à
conclure des contrats avec l’État.

[…]

il faut analyser le dossier de manière à ne pas compromettre l’intérêt public et l’objectif


poursuivi par le législateur dans la lutte contre la corruption et la collusion dans le
domaine des contrats publics. Une entreprise visée par un préavis de refus doit répondre
clairement au reproche qui lui est formulé. Si elle ne le fait pas, il n’est pas illégal pour
le décideur d’en faire une inférence. »486

Paragraphe VI - Les autres interprétations possibles : exemples tirés du droit


comparé

Pour mettre en lumière d’autres interprétations dont la notion d’intérêt public pourrait tout
aussi bien être affublée, mentionnons les quelques exemples qui suivent tirés d’un exercice sommaire
de droit comparé.

Procédant à l’étude détaillée des fonctions de l’intérêt général dans la jurisprudence du


Conseil d’État, Didier Truchet écrit : « L’émergence des préoccupations d’environnement, de qualité

485
9129-2201 Québec inc. c. Autorité des marchés financiers, 2014 QCCS 2070.
486
Ali Excavation inc. c. Autorité des marchés financiers, 2015 QCCS 939, paragraphes 88 et 94.

185
de la vie dans l’opinion publique a évidemment inspiré la nouvelle jurisprudence du Conseil d’État
sur le contrôle par l’intérêt public des opérations d’expropriation, ou des dérogations d’urbanisme.
L’évolution de la jurisprudence a rapidement suivi les mouvements de l’opinion publique… »487

Traitant plus loin des rapports entre l’intérêt général et l’intérêt financier de l’administration,
il cite plusieurs décisions du Conseil d’État pour expliquer que l’interprétation dominante a longtemps
été de ne pas considérer l’intérêt financier comme un intérêt public. Les juges français ont ainsi refusé
de retenir l’argument de l’intérêt financier pour fonder leurs décisions et ce, dans une panoplie de
domaines : « Il [l’intérêt financier] ne peut fonder ni une expropriation, ni la création d’un service
public municipal, ni un retrait d’autorisation d’occupation du domaine public »488. Le professeur
Truchet explique qu’à partir des années 30, l’administration a commencé à s’impliquer davantage
dans le secteur économique et que « parallèlement, les idées de rentabilité, et de moindre coût, la
pénètrent davantage »489. Référant à certaines décisions traduisant cette idée, il ajoute que : « Elle (la
jurisprudence) ne remet pas en cause le principe selon lequel l’intérêt financier n’est pas un intérêt
général : elle pose seulement que le souci de l’intérêt financier ne prive pas automatiquement une
opération de son intérêt public »490. Cependant, cette tendance évoluera et incitera à un certain
moment les juges français à accepter de faire jouer à l’intérêt financier le même rôle que l’intérêt
général pour enfin reconnaitre que l’intérêt financier est bel et bien un intérêt général : « Enfin,
rechercher des économies constitue aujourd’hui, à lui seul, un but d’intérêt général : « L’extension
des fournitures de pain par la boulangerie militaire à des établissements pénitenciers, motivée par des
raisons d’économie, est conforme à l’intérêt général » (C.E. 29 avril 1970 – Société Unipain, p. 280
– A.J.D.A. 1970, 430, concl. Braibant) »491.

Bien que la France soit caractérisée par une tradition juridique et politique plus près de la
conception volontariste de l’intérêt public, la jurisprudence française n’a pas échappé à l’influence
du discours économique sur la façon dont devrait être envisagée l’action publique. Déjà en 1986,
François Rangeon concluait que l’intérêt général, en tant qu’idéologie juridique, était de plus en plus
influencé par une logique économique ayant pour effet de « contrôler, de normaliser les attitudes, de
sélectionner celles qui sont socialement et économiquement rentables »492. La jurisprudence de

487
D. TRUCHET, préc., note 173, p. 273.
488
Id., p. 296.
489
Id., p. 297.
490
Id., p. 298.
491
Id., p. 300.
492
F. RANGEON, préc., note 165, p. 21.

186
l’époque fournissait déjà quelques exemples de cette tendance : « G. Braibant, dans ses conclusions
sur l’arrêt “Ville nouvelle-Est” évoque explicitement la nature économique de la logique qui sous-
tend l’application de la norme de l’intérêt général : “il n’est pas possible de s’en tenir à la question
de savoir si l’opération présente une utilité publique. Il faut mettre en balance ses inconvénients, ses
avantages, son coût avec son rendement, ou comme diraient les économistes, sa désutilité et son
utilité” » 493. Si cette logique économique est parvenue à modeler la conception de l’intérêt public
dans la jurisprudence d’un État dont le droit public est fortement imprégné d’une tradition politique
volontariste et républicaine, nous pouvons imaginer les effets de cette logique dans un système
juridique comme le Québec, où le droit administratif a été façonné en partie par la tradition anglo-
saxonne.

Toujours dans l’optique d’avoir un aperçu des liens qu’entretient le pouvoir contractuel de
l’État avec l’intérêt public, il est utile de citer cette décision de la Cour de justice de l’Union
européenne expliquant que le principe de libre concurrence, désigné par le tribunal sous le vocable
« libre prestation des services », peut être assoupli lorsque l’intérêt général lié à la protection sociale
des travailleurs est en jeu :

Une réglementation nationale qui oblige l'employeur, agissant en qualité de prestataire


de services au sens du traité, à verser des cotisations patronales au fonds de l'État membre
d'accueil, en plus des cotisations qu'il a déjà versées au fonds de l'État membre où il est
établi, constitue une restriction à la libre prestation des services. En effet, une telle
obligation entraîne des frais et des charges administratives et économiques
supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre, de sorte que
ces dernières ne se trouvent pas sur un pied d'égalité, du point de vue de la concurrence,
avec les employeurs établis dans l'État membre d'accueil et qu'elles peuvent ainsi être
dissuadées de fournir dės prestations dans l'État membre d'accueil.

Il y a lieu d'accepter que l'intérêt général lié à la protection sociale des travailleurs du
secteur de la construction et au contrôle du respect de celle-ci, à cause de conditions
spécifiques à ce secteur, puisse constituer une raison impérieuse justifiant que soient
imposées à un employeur établi dans un autre État membre qui effectue une prestation
de services dans l'État membre d'accueil des obligations susceptibles de constituer des
restrictions à la libre prestation des services. Tel n'est toutefois pas le cas lorsque les
travailleurs de l'employeur en question qui exécutent temporairement des travaux dans
l'État membre d'accueil jouissent de la même protection, ou d'une protection
essentiellement comparable, en vertu des obligations auxquelles l'employeur est déjà

493
Id. Citant Conseil d’État, 28 mai 1971, AJDA, 1971, 463.

187
soumis dans son État membre d'établissement (voir, en ce sens, arrêt Guiot, précité,
points 16 et 17). 494

Si l’on regarde au sud de la frontière maintenant, il peut être intéressant de se référer à cette
décision de la Cour suprême des États-Unis confirmant la politique de la Federal Communications
Commission (FCC) visant à favoriser l’octroi de contrats à des entreprises détenues par des groupes
racisés et confirmant qu’une telle politique est dans l’intérêt général :

Finally, we do not believe that the minority ownership policies at issue impose
impermissible burdens on nonminorities.49 Although the nonminority challengers in
these cases concede that they have not suffered the loss of an already-
awarded broadcast license, they claim that they have been handicapped in their ability
to obtain one in the first instance. But just as we have determined that “[a]s part of this
Nation's dedication to eradicating racial discrimination, innocent persons may be called
upon to bear some of the burden of the remedy,” **3026Wygant, 476 U.S., at 280-281,
106 S.Ct., at 1850 (opinion of Powell, J.), we similarly find that a congressionally
mandated, benign, *597 race-conscious program that is substantially related to the
achievement of an important governmental interest is consistent with equal protection
principles so long as it does not impose undue burdens on nonminorities.
Cf. Fullilove, 448 U.S., at 484, 100 S.Ct., at 2777 (opinion of Burger, C.J.) (“It is not a
constitutional defect in this program that it may disappoint the expectations of
nonminority firms. When effectuating a limited and properly tailored remedy to cure the
effects of prior discrimination, such ‘a sharing of the burden’ by innocent parties is not
impermissible”) (citation omitted); id., at 521, 100 S.Ct., at 2797 (MARSHALL, J.,
concurring in judgment).

In the context of broadcasting licenses, the burden on nonminorities is slight.


The FCC's responsibility is to grant licenses in the “public interest, convenience, or
necessity,” 47 U.S.C. §§ 307, 309 (1982 ed.), and the limited number of frequencies on
the electromagnetic spectrum means that “[n]o one has a First Amendment right to a
license.” Red Lion, 395 U.S., at 389, 89 S.Ct., at 1806. Applicants have no settled
expectation that their applications will be granted without consideration of public
interest factors such as minority ownership. Award of a preference in a comparative
hearing or transfer of a station in a distress sale thus contravenes “no legitimate firmly
rooted expectation[s]” of competing applicants. Johnson, supra, 480 U.S., at 638, 107
S.Ct., at 1454.495

494
Arblade (Affaires jointes C-369/96 et C-376/96), 1999 Cour de justice de l’Union européenne, paragraphes
50-51.
495
Metro Broadcasting, Inc. v. F.C.C., [1990] 110 S. Ct. 2997, 3026 (Supreme Court of the United States).

188
Mentionnons enfin cette décision de la United States Court of Federal Claims rendue suite à
une demande d’injonction d’un contractant qui se plaignait d’avoir été traité injustement par
l’administration américaine dans le cadre de l’octroi d’un contrat public :

Based on the foregoing, there is no question that the balance of the harms weighs in
favor of the government. For these same reasons, the public interest weighs against
preliminary injunctive relief in this case. The security risks posed by stoppage of
Bowhead's performance of the contract would be plainly against the public interest.
ERC's contention that the public interest is also served by ensuring a proper
procurement process is legitimate, however, the public's interest in ensuring the use of
valid procurement procedures has already been addressed by USACE's decision to
undertake corrective action. There is nothing more for the court to do. In this context,
in which the agency is currently working to ensure a fair procurement process,
the public's interest in security outweighs the public interest in the integrity of the
procurement process. See DataPath, Inc. v. United States, 87 Fed.Cl. 162, 166
(2009) (holding that “the interests of open and fair competition do not outweigh the
interests of national defense and security,” and denying protest of military's name-brand
solicitation and sole-source award of contract for particular military equipment).496

496
Eskridge Research Corp. v. U.S., [2010] 92 Fed. Cl. 88, paragraphe 29 (United States Court of Federal
Claims). Les soulignements sont de nous.

189
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Les règles qui régissent les contrats publics sont influencées par une variable qui compte plus
que toutes les autres : le coût. Cette variable occupe une place si importante dans l’encadrement
normatif des contrats publics qu’il ne nous paraît pas exagéré d’avancer que la notion même d’intérêt
public se confond désormais avec l’exigence budgétaire du projet public. Les contrats publics sont
dominés par des règles comptables auxquelles est subordonnée la véritable question de l’intérêt
public.

Les textes de loi qui encadrent l’activité contractuelle des organismes publics sont presque
exclusivement dédiés aux modes de sollicitation et d’attribution des contrats. Malgré les objectifs
énoncés dans la LCOP et l’apparente absence de pondération entre ceux-ci, la libre concurrence est
l’objectif le plus important. Cette préséance de la logique concurrentielle dans les modes de
sollicitation est doublée d’une préférence pour le plus bas soumissionnaire conforme dans les règles
d’attribution des contrats. En définitive, cela signifie que le meilleur cocontractant de l’État est
présumé être celui qui, au terme d’une compétition la plus ouverte possible, présente le plus bas prix
conforme. Bien que ce principe compte certaines exceptions, il décrit assez bien la généralité du
modèle qui est en vigueur.

À la lecture du rapport de la Commission Charbonneau, nous avons été frappés par la


description qui est faite du cadre juridique qui régit les contrats publics québécois et plus
particulièrement par la façon dont les commissaires conçoivent les raisons qui sous-tendent ces règles.
Ils décrivent on ne peut plus clairement la rationalité budgétaire qui est à l’œuvre dans l’exercice du
pouvoir contractuel de l’État :

Les contrats publics sont régis, comme tout autre contrat, par le Code civil du Québec.
En principe, l’État peut donc, par un simple accord de volonté, conclure un contrat avec
la personne ou l’organisation de son choix. En pratique, toutefois, les contrats publics
sont encadrés par de très nombreuses règles particulières qui limitent considérablement
la marge de manœuvre contractuelle de l’État. Ce régime juridique particulier existe pour
deux raisons principales.

La première est que les contrats conclus par l’État visent la réalisation de projets d’intérêt
public (transport, santé, éducation, etc.), réalisés à même son budget. En d’autres termes,
parce qu’ils reposent sur l’utilisation de fonds publics, ces contrats obligent le

190
gouvernement à obtenir le meilleur prix pour les biens et les services de qualité dont il a
besoin.

La deuxième raison est que l’État doit s’assurer que les pouvoirs dont il dispose ne sont
pas utilisés pour favoriser certains contractants. Les règles visent par conséquent à
maintenir l’égalité des chances et à éviter le patronage. Pour garantir l’intégrité du
système, des obligations de transparence sont également imposées.497

L’un des problèmes avec les procédures d’appel d’offres telles qu’elles existent actuellement
au Québec, c’est qu’elles s’en remettent, sur le fond, à la loi du marché, aux prix et à des critères de
conformité et d’admissibilité qui n’ont rien à voir avec la rationalité démocratique qui devrait
caractériser l’exercice de tout pouvoir public. Cette façon de faire permet certes d’assurer un
traitement intègre et équitable des aspirants cocontractants ce l’État, mais cela ne va pas beaucoup
plus loin. N’y aurait-il pas lieu d’envisager le pouvoir contractuel de l’État non pas à l’aune de la
seule préservation d’un marché accessible et compétitif pour les soumissionnaires, mais aussi en
fonction de sa capacité à servir l’intérêt public au sens où l’entendent les citoyens, lesquels sont, ne
l’oublions pas, les principaux usagers des projets qui font l’objet des contrats publics ? Cela implique
de concevoir le pouvoir contractuel de l’État autrement qu’en termes de « liberté – absence
d’interférences »498.

Le problème principal avec une conception budgétaire de l’intérêt public, laquelle se


remarque aisément lorsque l’on décortique les logiques qui sont à l’œuvre à l’intérieur du cadre
normatif applicable aux contrats publics, est qu’elle vide les pouvoirs publics de leurs finalités
démocratiques. Pour reprendre l’expression de Christian Laval, la démocratie « contient des éléments
trop “coûteux”” du point de vue des nouvelles normes politiques et économiques. Liberté
d’expression, éducation humaniste, solidarité sociale, fonction publique dévouée à un idéal d’intérêt
général, tout se désintègre lentement dans un calcul coûts-bénéfices »499.

Ce sont précisément ces éléments trop coûteux qui éloignent les pouvoirs adjudicateurs de
l’idéal démocratique qui devrait pourtant les animer. Les contrats publics restent dominés par une
logique budgétaire où il semble plus prudent et payant de s’en remettre à la libre concurrence pour
assurer aux citoyens-contribuables d’avoir accès aux meilleurs biens et services. C’est ainsi que la

497
F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 46.
498
P. PETTIT, préc., note 231.
499
Christian LAVAL, « Penser le néolibéralisme », dans Penser à gauche: figures de la pensée critique
aujourd’hui, Paris, Éditions Amsterdam, 2011, p. 19‑28 à la page 25. Les italiques sont de nous.

191
fonction publique censée être dédiée à un « idéal d’intérêt général » se trouve finalement réduite à
servir les intérêts particuliers des seules parties impliquées dans les processus contractuels publics.
C’est ainsi que les contrats publics sont passés d’instruments d’intérêt public à instrument du libre
marché, la distance entre sphère publique et sphère privée tendant progressivement à s’effacer.

Que l’on épouse une vision volontariste ou utilitariste de l’intérêt public, il sera toujours
possible de recourir à cette notion pour légitimer l’exercice d’un pouvoir. Il est tout à fait possible
qu’un gouvernement estime qu’il soit dans l’intérêt public de déclencher une guerre et qu’un autre
soutienne exactement le contraire, toujours au nom de l’intérêt public. Il se peut fort bien qu’un
fonctionnaire accepte de délivrer un permis au motif que sa délivrance est conforme à l’intérêt public
et que son collègue en vienne à la conclusion inverse, toujours au nom de l’intérêt public. Comment
transposer l’intérêt public dans les décisions qui doivent être prises au quotidien par l’État ?

Autrement dit, comment faire vivre cette notion d’intérêt public dans la décision publique ?
Lorsqu’une décision est prise au bénéfice d’une collectivité, il est normal de juger de la légitimité de
cette décision à l’aune de sa conformité à l’intérêt public, car elle est susceptible de conséquences
pour l’ensemble de la collectivité. Lorsqu’une personne est invitée à prendre une décision et qu’on
lui demande d’exercer le pouvoir qui lui a été conféré en fonction du critère de l’intérêt public, il peut
être embêtant de prendre la « bonne » décision. Qu’est-ce qui est dans l’intérêt public et comment
procéder pour le savoir ?

Si cette personne est un fonctionnaire, sa démarche sera nécessairement influencée par la


structure dans laquelle il évolue et surtout en fonction des règles auxquelles il est assujetti et à
l’intérieur desquelles doit s’exercer le pouvoir qui lui a été conféré. Dans le cadre d’une
administration publique organisée selon un modèle typiquement wébérien, l’Administration publique
a pour fonction d’exécuter les lois qui ont été adoptées par le parlement. Il n’est pas question pour
cette dernière de se questionner sur la légitimité des règles qu’elle doit appliquer. Ces règles sont
légitimes parce qu’elles ont été adoptées par le parlement qui a précisément pour fonction de produire
des règles qui traduisent la volonté générale.

Que nous soyons en présence d’une conception utilitariste ou volontariste de l’intérêt public,
il faut toujours s’en remettre au public (qu’il soit considéré comme l’agrégat des individus qui le
composent ou comme une abstraction totalisante). C’est le public qui fonde l’intérêt public et qui doit

192
en établir le contenu. Dans le cadre d’une démocratie représentative comme celle que nous avons au
Québec, les parlementaires sont réputés représenter les intérêts des citoyens et donc, être en mesure
de déterminer ce qui est dans l’intérêt public. Malgré les nombreuses critiques qui fusent de toutes
parts contre ce postulat, supposons pour des fins heuristiques, que la démocratie représentative dans
laquelle nous vivons traduise véritablement les aspirations de la société et de ses membres. Cela nous
permet d’assumer que les lois qui sont adoptées sont conformes à l’intérêt public et que le
fonctionnaire qui évolue dans une Administration organisée selon le modèle wébérien n’a qu’à
appliquer les prescriptions de la loi pour prendre une décision conforme à l’intérêt public.

En gardant ces mêmes présupposés en tête, imaginons que la loi qui doit être appliquée par
le fonctionnaire lui dicte de poser un geste « X » si cela est dans l’intérêt public. Si la loi qui encadre
son pouvoir lui fournit des balises très claires et exhaustives au point où il s’agit d’un pouvoir lié, la
décision qu’il prendra – en présumant qu’elle est conforme aux prescriptions de la loi – sera
nécessairement représentative de la volonté générale que la loi est censée transporter sur le terrain.

Par contre, si le fonctionnaire dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire et que la loi
l’autorise à poser une gamme de gestes allant de « X » à « Y » en fonction de ce qui est dans l’intérêt
public et que les dispositions de la loi qui encadrent ses pouvoirs sont muettes sur les éléments qui
peuvent être pris en compte pour décider si c’est le geste « X » ou le geste « Y » qui doit être posé,
la logique qui sous-tend le modèle de type wébérien ne tient plus la route. Il n’est plus possible de
dire que le fonctionnaire agit nécessairement dans l’intérêt public.

L’on pourrait aussi prétendre que ce fonctionnaire agira toujours dans l’intérêt public, car le
législateur (représentant de l’intérêt public) a bien voulu lui conférer une telle discrétion. D’accord,
mais dans ce cas, pourquoi le législateur dicte-t-il au fonctionnaire de fonder sa décision sur la notion
d’intérêt public, alors que c’est le législateur qui est censé en être le seul représentant légitime ? Que
peut faire le fonctionnaire en pareilles circonstances ? La seule réponse logique à lui offrir sera de
l’inviter à rechercher l’intention du législateur en procédant à l’analyse contextuelle de la loi qu’il
doit appliquer, quitte à chercher des indices dans d’autres lois ou dans des textes supralégislatifs, le
tout encore une fois, pour respecter la logique qui sous-tend l’organisation administrative wébérienne.
Mais n’est-ce pas là un détour inutile et complexe ? Pourquoi ne pas permettre aux titulaires de
pouvoirs discrétionnaires de la nature de ceux que nous venons d’évoquer de se tourner directement
vers le public pour prendre une décision conforme à son intérêt ? Il s’agit évidemment d’une image,

193
peut-être un peu forte, sachant à quel point le public en question peut avoir de la difficulté à saisir ce
qui est dans son intérêt, et qu’il est sans doute encore plus difficile pour un tiers neutre qui l’observe
– encore que celui-ci puisse-t-il être observé – de savoir ce qui est dans son intérêt.

Cela étant, l’idée de confier à l’Administration publique la faculté d’exercer certains pouvoirs
dans l’intérêt public, sans lui dire précisément comment exercer de tels pouvoirs, met en évidence
certains risques démocratiques. Un pouvoir discrétionnaire de la nature de celui qui consiste à
« appliquer l’intérêt public », une notion excessivement perméable comme nous l’avons montré,
s’expose nécessairement aux idéologies dominantes du moment et du lieu. Le risque de véhiculer
l’idéologie dominante du moment sans que ne soit validé sa légitimité démocratique est d’autant plus
grand si le titulaire du pouvoir doit fonder sa décision sur des règles qui lui accordent une large
discrétion et qu’il n’a pas la possibilité de d’inclure le public dans le cadre de son processus
décisionnel.

Nous pourrions être tentés de croire que l’émergence de la NGP et des modes de gouvernance
utilitaristes auxquels elle s’attache ont permis de démocratiser l’action gouvernementale en la rendant
plus réceptive aux attentes des citoyens. En opérant une certaine forme de décentralisation et en
militant pour dé-bureaucratisation des pouvoirs publics, la NGP n’a-t-elle pas permis une certaine
forme de rapprochement avec les citoyens et ce faisant, une meilleure prise en compte de leurs intérêts
? Comme le souligne la professeure Calliope Spanou, cette hypothèse est fort contestable, car la
légitimité d’une gouvernance « par réseaux » telle que pratiquée à l’heure actuelle laisse en plan la
question de l’imputabilité, de la responsabilité et autres valeurs démocratiques qu’une administration
publique de type wébérienne est censée représenter et d’autre part, « il s’agit d’une légitimité qui ne
découle pas du principe démocratique, mais, dans le meilleur des cas, de la participation des «
stakeholders » et l’action même »500. Comment donc renverser la vapeur ? Comment réconcilier
intérêt public et contrats publics ? C’est ce à quoi nous réfléchirons dans la seconde partie de cette
thèse.

500
C. SPANOU, préc., note 264, 118.

194
Nous avons toutes les raisons de penser que, quels que
soient les changements qui puissent affecter la machinerie
démocratique actuelle, ils seront d’un type qui fera de l’intérêt
public un guide et un critique plus décisifs en regard de
l’activité gouvernementale, et qui rendra le public apte à
former et à manifester ses buts de manière plus autoritaire. En
ce sens, le remède aux maladies de la démocratie est
davantage de démocratie.

John Dewey, Le public est ses problèmes

Partie II - La nécessité de refonder l’intérêt public en


matière de contrats publics

Pourquoi la conception de l’intérêt public, telle qu’elle se dégage du cadre normatif


applicable aux contrats publics québécois, doit-elle faire l’objet d’une refondation ? Étant une activité
gouvernementale, le pouvoir contractuel de l’État est soumis à l’exigence de l’intérêt public comme
nous l’avons vu. La finalité du contrat public est de servir l’intérêt public. Or, comme nous l’avons
démontré en première partie, le modèle actuel véhicule une conception essentiellement budgétaire de
l’intérêt public au point où les notions de budget et d’intérêt public viennent à se confondre.
Lorsqu’une notion aussi fondamentale que l’intérêt public, dont les fonctions consistent à légitimer,
à limiter et à fixer les buts des pouvoirs étatiques, vient à être « aspirée » par une autre notion qui lui
est étrangère, il s’agit d’un signal clair qui milite en faveur d’un exercice de refondation (Section I,
Chapitre 1). D’autre part, la conception essentiellement budgétaire du modèle actuel engendre
plusieurs problèmes fondamentaux et techniques que nous tenterons de mettre en évidence et qui
justifient, ne serait-ce que d’un point de vue pratique, la refondation de la conception actuelle de
l’intérêt public (Section II, Chapitre 1).

Quel remède faut-il administrer au pouvoir contractuel de l’État dans ces circonstances ? À
notre avis, la réponse se résume à ces trois mots : plus de démocratie. Nous l’avons dit à maintes

195
reprises, l’intérêt public sert à « mettre de la légitimité dans la légalité » et il appartient au public, les
bénéficiaires des projets qui font l’objet des contrats publics – de définir ce qui est légitime. Nous
proposerons donc dans un premier temps de refonder la conception actuelle de l’intérêt public à l’aide
d’une approche s’inspirant des grands principes de la démocratie administrative (Section I, Chapitre
2). Ce cadre théorique nous invite à revoir en profondeur la façon dont devrait être exercé le pouvoir
contractuel de l’État de manière à ce que l’intérêt public puisse être défini au cas par cas, dans le
respect de chaque contexte, celui du projet et celui de chacune des parties prenantes, dont le public.
La démocratie administrative repose sur l’idée « que l’exigence démocratique ne concerne pas que
l’élection et le politique, et qu’elle doit imprégner aussi constamment le fonctionnement quotidien de
l’appareil public, y compris dans son volet administratif »501.

Pour faire vivre concrètement les principes de la démocratie administrative dans le domaine
des contrats publics, nous avons cru utile de puiser dans les théories de différents auteurs qui
permettent, chacune à la leur façon, d’enrichir le cadre théorique initial de la démocratie
administrative en le rendant plus vivant, plus concret et surtout, plus adapté aux défis qu’engendrent
les lacunes du cadre normatif applicable aux contrats publics québécois.

En premier lieu, nous proposerons de considérer les projets qui font l’objet des contrats
publics comme une enquête au sens où l’aurait entendu John Dewey. Pour le moment, notons
simplement que celui-ci ne considérait pas « la démocratie [comme] une forme de gouvernement »502,
mais plutôt comme une enquête perpétuelle visant à résoudre de façon commune les problématiques
qu’une société partage. L’approche de Dewey se veut pragmatiste et rejette toute conception
« dogmatique » de l’intérêt public. En regard des contrats publics, l’intérêt de la théorie deweyenne
de la démocratie réside entre autres dans le fait qu’il propose de combiner les « savoirs
professionnels » des experts aux « savoirs d’usage » des citoyens pour identifier le plus adéquatement
possible ce qu’il convient de faire pour résoudre une problématique commune telle qu’un projet
public. Il permet ainsi de remettre le public - ce grand oublié de l’activité contractuelle étatique telle
qu’elle est actuellement pratiquée (ou du moins encadrée) - au cœur des contrats publics (Section II,
Chapitre 2).

501
J.-B. AUBY, préc., note 55, 14.
502
J. DEWEY, préc., note 56.

196
En troisième lieu, nous marcherons dans les traces de la « démocratie d’appropriation »
défendue par Pierre Rosanvallon dans l’un de ses plus récents ouvrages, Le bon gouvernement, pour
imaginer des façons de rendre l’activité contractuelle des organismes publics plus lisible, plus
responsable et plus réactive et interactive (Section III, Chapitre 2). Ce sont là, à notre avis, des
qualités qui sont susceptibles de faciliter la refondation de la conception de l’intérêt public en fonction
de l’idéal démocratique qui devrait animer l’activité contractuelle de l’État.

Dans un quatrième temps, nous traiterons des qualités dont devrait faire preuve chacune des
parties prenantes qui interviennent aux différents stades du cycle de vie des projets publics (Section
IV, Chapitre 2). Encore ici, nous emprunterons aux idées développées par Rosanvallon dans Le bon
gouvernement, celui-ci prônant un retour de « l’intégrité » et du « parler vrai » chez les gouvernants.
Selon lui, ces qualités sont susceptibles de rétablir une « démocratie de confiance » qui, avec la
« démocratie d’appropriation » susmentionnée, forment une « démocratie d’exercice » et qui est au
fond, l’équivalent de la démocratie administrative, mais appliquée à l’ensemble du pouvoir exécutif.
Une partie de cette section sera également consacrée à traiter des qualités dont devraient faire preuve
les cocontractants de l’État, lesquels se trouvent d’une certaine manière, investis d’une mission de
service public et devraient par conséquent, incarner les qualités attendues de la part de
l’Administration publique.

Enfin, nous expliquerons en quoi ces propositions devraient s’inscrire dans une réforme du
droit légiféré, par opposition à un simple changement de pratiques, et nous tenterons d’identifier
quelques chantiers à explorer pour mettre en œuvre cette réforme (Section V, Chapitre 2).

197
CHAPITRE 1 – LE PROBLÈME AVEC UNE CONCEPTION BUDGÉTAIRE DE
L’INTÉRÊT PUBLIC

De façon assez paradoxale, le fait d’envisager l’intérêt public sous l’angle d’une conception
essentiellement budgétaire ne permet pas nécessairement à l’État d’économiser. Alors que l’idée de
protéger le trésor public sert en bonne partie de motif à perpétuer la règle du « plus bas
soumissionnaire conforme », bon nombre de recherches montrent que ce mode d’adjudication peut
s’avérer plus coûteux à long terme503.

En accordant un contrat au soumissionnaire le moins-disant, il est en effet tentant de croire


que cela sera avantageux sur le plan budgétaire. Bien que cela soit vrai dans l’immédiat, cela l’est
moins à long terme504. Certains auteurs ont même mis en évidence que le fait pour des élèves de
fréquenter une école dont la construction a été réussie sur le plan esthétique augmente leur sentiment
d’appartenance envers leur projet scolaire et diminue, par voie de conséquence, le risque de
décrochage505. Les coûts engendrés par un taux élevé de décrochage sont manifestes. Sous cet angle,

503
Voir entre autres : ASSOCIATION DES ARCHITECTES EN PRATIQUE PRIVÉE DU QUÉBEC, Mémoire, Montréal,
Consultation du Secrétariat du Conseil du trésor du Québec sur les règles et pratiques des organismes publics
en matière contractuelle, 2013, en ligne : <http://www.aappq.qc.ca/content/file/memoire_sct_2013.pdf>
(consulté le 18 décembre 2018); P. E. ERIKSSON et M. WESTERBERG, préc., note 131; Elvira UYARRA et Kieron
FLANAGAN, « Understanding the Innovation Impacts of Public Procurement », (2010) 18-1 European Planning
Studies 123; Julien VIAU, « Pratiques relationnelles et commande publique : enjeux et perspectives », (2003) 3-
2 Market Management 3.
504
Dans leur mémoire présenté au gouvernement en 2013 au sujet des pratiques contractuelles des organismes
publics, l’Association des architectes en pratique privée (ci-après : l’ « AAPPQ ») le dit clairement : « À nos
yeux, la plus grande lacune de ces approches contractuelles demeure qu’elle ne permet que trop peu de
considération soit réservée à la qualité du design et à la créativité architecturale. Il s’agit d’aspects complètement
évacués parce que trop difficiles à faire entrer dans une grille quantitative. Il s’agit d’une situation d’autant plus
déplorable qu’on embrasse toutes les opportunités de positionner le Québec par la mise en valeur du talent
créatif et de ses innovations. Nous soutenons que l’architecture et l’architecte en particulier, devraient bénéficier
du même traitement favorable dans l’expression de sa créativité à travers ses œuvres. Nous avons pu observer
au fil du temps, que les nouveaux modes de réalisation de projets ne garantissent en rien, même à court terme,
que les contribuables jouissent des meilleurs coûts possibles. Ils risquent plutôt d’engendrer des hausses
significatives de coûts à moyen et à long termes, en matière d’entretien, notamment. » ASSOCIATION DES
ARCHITECTES EN PRATIQUE PRIVÉE DU QUÉBEC, préc., note 512, p. 8.
505
Laurence QUENNEVILLE, Et si l’environnement physique des écoles influençait l’apprentissage et
l’engegement des jeunes ?, Trois-Rivières, Essai comme exigence partielle de la maîtrise en ergothérapie, Trois-
Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, 2017; Mohsen Ghasemi ARIANI et Fatemeh MIRDAD, « The
Effect of School Design on Student Performance », (2015) 9-1 International Education Studies 175; François
CARDINAL, « Pourquoi pas du beau pour nos enfants ? », La Presse+ (8 janvier 2017), en ligne :
<http://plus.lapresse.ca/screens/53605860-ac5c-4121-b76a-deb925eac2af__7C___0.html>.

198
envisager la construction d’une école selon des paramètres d’abord esthétiques plutôt que budgétaires
peut s’avérer la solution la plus avantageuse d’un point de vue budgétaire !

Mais au-delà de ce paradoxe, lequel met en lumière les profondes contradictions entre les
objectifs et les résultats engendrés par la suprématie des nombres et du court terme dans les processus
décisionnels, il existe en regard de cette conception essentiellement budgétaire de l’intérêt public, un
grave problème de légitimité. L’intérêt public sert de boussole aux pouvoirs publics en fixant ce qui
est légitime. Or, la rationalité budgétaire qui est actuellement à l’œuvre, occulte, en bonne partie,
toute autre considération sociale, politique ou environnementale. Pour être légitime, l’exercice d’une
activité gouvernementale telle que le pouvoir contractuel de l’État, ne peut se résumer à une seule
dimension de l’intérêt public. Autrement dit, ce n’est pas la rationalité budgétaire qui doit servir de
boussole au pouvoir contractuel de l’État, mais bien la rationalité d’intérêt public.

L’autre inconvénient majeur découlant de cette conception essentiellement budgétaire de


l’intérêt public est qu’elle contamine plusieurs des étapes du cycle de vie des projets publics, faisant
du processus contractuel public, considéré de façon générale, un système pathologique sur le plan
pratique506. En effet, les différentes parties prenantes qui sont impliquées à un moment ou un autre
du projet, sont incitées à s’en remettre à une rationalité budgétaire pour guider leurs décisions, ce qui
est certes confortable d’un point de vue pratique, mais ce qui a pour inconvénient majeur de réduire
l’importance d’entretenir un dialogue continu sur les méthodes les plus adéquates pour réaliser un
projet de qualité et qui saura répondre aux attentes du public. En fournissant aux parties prenantes qui
interviennent dans un projet public un cadre de pensée unidimensionnel, la conception actuelle de
l’intérêt public les prive de toute l’ingéniosité, de l’esprit de coopération et du réflexe de bien faire
les choses qui sont pourtant indispensables au succès pratique de tout projet public. Alors que le
principe de libre concurrence est censé permettre à l’État de trouver le meilleur candidat possible pour
réaliser un projet donné, il s’avère que cette concurrence s’exerce presque exclusivement au niveau
des prix, laissant ainsi le « marché » des contrats publics entre les mains des moins-disants, lesquels

506
Dans son rapport précité, l’AAPPQ imputait à la vision strictement budgétaire des contrats publics une part
de responsabilité dans la perte d’expertise en architecture au Québec: « Il nous apparaît de plus en plus évident
qu’il y a une perte d’expertise en architecture lors des prises de décisions gouvernementales […] Les notions
de planification et de design sont de plus en plus évacuées au profit de notions strictement financières ».
L’Association ajoute un peu plus loin qu’: « [à] force de livrer des projets portés exclusivement par des
considérations comptables et administratives, dans lesquelles seule la loi du plus bas prix aura prévalu, les
architectes sont victimes d’une dévalorisation de leur profession qui s’installe insidieusement sur les chantiers
et dans l’opinion publique » ASSOCIATION DES ARCHITECTES EN PRATIQUE PRIVÉE DU QUÉBEC, préc., note 512,
p. 8‑9.

199
ne sont pas toujours les plus compétents. D’autre part, alors que le règne du plus bas soumissionnaire
est censé faciliter le choix des cocontractants grâce à l’objectivité du prix comme unité de mesure, le
contentieux judiciaire lié aux contrats publics est abondant. Et comme nous l’avons mentionné plus
haut, alors que l’objectif de la rationalité budgétaire est censé générer des économies, le résultat à
long terme est tout autre.

Section I - La primauté de la rationalité budgétaire sur les considérations sociales,


politiques et environnementales : un problème de légitimité

Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette thèse, l’intérêt public est une notion
fonctionnelle qui joue une triple fonction politique en ce qu’elle sert de fondement au pouvoir de
l’État, elle en fixe les buts et en donne les limites. Comme le rappelle Didier Truchet, la nature
fonctionnelle et souple de l’intérêt public lui permet de « mettre de la légitimité dans la légalité ». Or,
la conception unidimensionnelle de l’intérêt public, telle qu’elle se dégage du cadre normatif actuel,
la prive d’une part importante de ses potentialités. Pour jouer correctement son rôle, l’intérêt public
ne doit pas être figé dans un dogme, qu’il s’agisse d’un dogme budgétaire, environnemental ou autre.
Les nombreuses dimensions de l’intérêt public doivent rester des dimensions, dont l’importance est
sujette à variation dans chaque cas d’espèce. Déterminer ce qui est d’intérêt public, c’est mener une
enquête continue et ouverte sur ce qui est légitime en fonction des circonstances du moment, de
l’endroit et des acteurs concernés. À l’image de la démocratie, qui selon John Dewey, « n’est pas une
forme de gouvernement »507, mais plutôt une enquête perpétuelle visant à résoudre de façon commune
les problématiques qu’une société partage, l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, dans l’intérêt
public, implique une démarche d’enquête sur ce qui est légitime. Or, à l’heure actuelle, la primauté

507
J. DEWEY, préc., note 56. Il est également intéressant de noter que Dewey énonçait déjà cette idée en 1888,
dans un texte paru sous le titre « The Ethics of Democracy » : « Un gouvernement naît d’une vaste constellation
de sentiments – certains vagues, d’autres définis -, d’instincts, d’aspirations, d’idées, d’espoirs et de craintes,
de desseins. Il en est le réflexe et l’incorporation, la projection et le prolongement. Sans une telle base, il n’a
pas de valeur. Une bouffée de préjugés, un vent de despotisme suffissent à le faire s’effondrer, tel un château
de cartes. Dire de la démocratie qu’elle n’est qu’une forme de gouvernement revient à dire d’une maison qu’elle
est une combinaison plus ou moins géométrique de briques et de mortier ; que l’église est un bâtiment avec des
bancs, une chaire et une flèche. C’est vrai ; c’est effectivement ce qu’elles sont. Mais c’est faux, car elles sont
infiniment plus. La démocratie, comme tout autre régime, a été justement considérée comme la mémoire du
passé, la conscience du présent et l’idéal du futur. En un mot, la démocratie consiste en une conception sociale,
c’est-à-dire éthique, et c’est sur cette signification éthique que repose le sens qu’elle revêt en tant que système
de gouvernement. La démocratie n’est une forme de gouvernement que dans la mesure où elle est une forme
d’association morale ou spirituelle », dans John DEWEY, Écrits politiques, Gallimard, 2018, p. 51‑52.

200
de la rationalité budgétaire sur les autres dimensions de l’intérêt public fixe à l’avance le résultat de
l’enquête, ce qui n’est évidemment pas souhaitable.

Le risque avec la montée en puissance de la rationalité budgétaire dans le domaine des


contrats publics est qu’elle prive les autres dimensions de l’intérêt public de jouer leur rôle. La critique
que nous faisons à l’endroit d’une conception essentiellement budgétaire de l’intérêt public est la
même que nous pourrions faire à l’égard de toute autre idéologie qui enferme une population dans
une façon unidimensionnelle de penser et qui la prive d’exercer son esprit critique. Comme le dit si
bien François Jacob, « Ce n'est pas seulement l'intérêt qui fait s'entre-tuer les hommes. C'est aussi le
dogmatisme. Rien n'est aussi dangereux que la certitude d'avoir raison »508. L’intérêt public est, de
par sa nature, modulable, et ne peut être conçu à l’aune de vérités incontestables. L’intérêt public
appelle à une enquête, à un dialogue, à l’exercice d’un certain degré de scepticisme.

La soi-disant neutralité axiologique qui a été associée à la rationalité budgétaire l’a sans doute
rendue attrayante auprès de l’Administration publique et des tribunaux qui sont tenus de se conformer
à la règle de l’équité entre les soumissionnaires. Décider sur la base de valeurs numériques peut en
effet donner l’impression d’une certaine forme d’objectivité. Les nombres semblent l’antidote parfait
contre le favoritisme et l’arbitraire. Les nombres peuvent sembler neutres et objectifs et ils le sont à
certains égards. Il y a toutefois une différence importante entre ce que recouvrent les termes neutralité
et objectivité. Nul n’oserait aujourd’hui contester l’importance pour les pouvoirs publics d’être
exercés de façon objective, équitable et non arbitraire. Cela étant, qui a dit que les pouvoirs publics
devaient être exercés de façon neutre ? L’intérêt public est tout sauf neutre. Il est le reflet des
aspirations d’un groupe donné à un moment donné et dans un contexte donné. Que l’on épouse une
vision utilitariste ou volontariste de l’intérêt public, il n’en demeure pas moins qu’aucune de ces
visions n’est neutre. La rationalité budgétaire et l’apparente neutralité qu’elle véhicule ne sont pas les
remèdes adéquats pour assurer l’objectivité et l’équité de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État.
Il n’y a aucune raison de la préférer à d’autres considérations qui peuvent s’avérer toutes aussi
légitimes.

Le cadre normatif applicable aux contrats publics est à ce point dominé par une conception
budgétaire de l’intérêt public qu’il entretient une sorte d’aveuglement chez ceux qui sont chargés
d’exercer le pouvoir contractuel de l’État. L’exemple de l’affaire Groupe CRH Canada inc. (Demix

508
François JACOB, Le jeu des possibles: essai sur la diversité du vivant, Paris, Fayard, 1981.

201
Construction) c. Montréal (Ville de) dont nous avons traité précédemment509 peut très bien illustrer
notre propos. Dans ce dossier, rappelons que la Ville de Montréal avait exigé un certain degré
d’expérience de la part des aspirants cocontractants. Ceux-ci devaient démontrer dans leur soumission
qu’ils avaient l’expérience requise pour réaliser un projet de la nature de celui qui faisait l’objet de
l’appel d’offres. Dans les faits, le plus bas soumissionnaire respectait cette exigence. Parc contre, il
n’avait pas fait la démonstration du respect de cette exigence dans sa soumission, ce qui a entraîné le
rejet de sa soumission par la Ville de Montréal. Or, la preuve offerte au tribunal a montré que la Ville
savait très bien que ce soumissionnaire détenait l’expérience requise, même si cela n’apparaissait pas
à la lumière de sa soumission. Le contrat a finalement été attribué à une entreprise qui avait proposé
un prix plus élevé, mais qui avait fait la démonstration de son expérience au stade du dépôt des
soumissions.

La Cour a jugé que la Ville avait fait preuve d’un formalisme beaucoup trop rigide. Selon le
juge, la Ville de Montréal n’aurait pas dû faire abstraction des informations qui lui permettait de
conclure que le plus bas soumissionnaire avait l’expérience requise pour réaliser le contrat convoité.
Le tribunal a jugé qu’il était contraire à l’intérêt de la Ville d’octroyer un contrat à un soumissionnaire
ayant présenté un prix beaucoup plus élevé. Le juge précise sur ce point que sa décision a été
influencée par la possibilité de faire épargner un montant substantiel (1 622 359$) aux contribuables
montréalais.

L’on peut certainement admettre avec la Cour que l’aveuglement volontaire dont a fait preuve
la Ville n’était pas des plus heureux. Cela étant, ce qui frappe à la lecture de la décision, c’est qu’il
n’est jamais question d’autres considérations qui auraient pu entrer en ligne de compte dans
l’évaluation de ce qui est dans l’intérêt de la Ville. Ce sont les paramètres budgétaires, plus
précisément le coût supplémentaire de 1 622 359$ qu’aurait impliqué de donner raison à la Ville, qui
se trouvent en filigrane de chaque argument énoncé par le tribunal.

D’autre part, et cela ne se dégage pas du jugement rendu, mais uniquement de notre
interprétation personnelle des faits relatés, la décision de la Ville de rejeter la plus basse soumission
de façon aussi expéditive nous laisse croire que la Ville ne voulait peut-être tout simplement pas
confier le projet à ce soumissionnaire. Il nous est impossible de le savoir, mais il n’est pas exclu que
pour des raisons tout à fait légitimes, il semblait plus propice à la Ville de retenir une soumission plus

509
Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de), préc., note 445.

202
chère. La Ville n’a évidemment pas fait valoir cet argument devant le tribunal, car elle aurait par le
fait même admis qu’elle avait fait preuve d’une rigidité exagérée pour favoriser un autre
soumissionnaire que celui qu’elle était tenue de retenir.

Mais que cette hypothèse que nous nous permettons d’avancer soit fondée ou non, il n’en
demeure pas moins que le débat devant le tribunal ainsi que le processus d’adjudication qui était en
cause dans ce dossier ont été menés selon des considérations essentiellement budgétaires. La décision
de la Cour a été motivée par l’intérêt des contribuables montréalais, sans qu’il ne soit jamais
véritablement question de la qualité de la soumission retenue initialement par la Ville. La décision
de la Ville, qui était peut-être fondée sur des considérations autres que budgétaires, a été contestée
avec succès, grâce à un argument fondé sur la règle qui l’oblige à retenir le plus bas soumissionnaire
conforme. Ajoutons que si notre hypothèse s’avérait fondée et que la Ville avait vraiment choisi de
rejeter la plus basse soumission non pas en raison de sa non-conformité, mais parce qu’elle trouvait
qu’une autre soumission était beaucoup plus intéressante, nous pourrions alors en conclure que les
règles qui tendent à faire du prix le référent par excellence, dépouillent les pouvoirs publics de toute
possibilité d’exercer un jugement de fond sur ce qui est vraiment d’intérêt public au stade de l’octroi
d’un contrat public. Le cas échéant, il ne faut oublier non plus que toute règle dont l’application paraît
illégitime aux yeux de ceux qui doivent la mettre en œuvre pose évidemment le risque d’être ignorée
ou transgressée.510

Section II – L’effacement progressif de la chose publique au profit de l’utilité privée :


une compréhension erronée du contexte de l’action publique

Cela est peut-être plus difficile à déceler à première vue, mais l’importance de la rationalité
budgétaire comme fondement, but et limite du pouvoir contractuel de l’État amène celui-ci à être
exercé sans considération du contexte public à l’intérieur duquel il se situe, contribuant ainsi à un
effacement progressif de la distinction entre sphères privée et publique.

Comme le souligne Alain Supiot, « [l]e plus puissant facteur de transformation de l’ordre
juridique dans un régime de gouvernance par les nombres réside dans l’assujettissement de la chose

510
Mauricio GARCÍA VILLEGAS et Aude LEJEUNE, « La désobéissance au droit : approche sociologique
comparée », (2015) 91-3 Droit et société 565.

203
publique à l’utilité privée »511. Il s’agit là, selon lui, d’un renversement dans la hiérarchie entre les
sphères publiques et privées, ce qui a pour conséquence de confiner la normativité dans une
« conception purement technique »512 et de rendre suspecte « toute intrusion de l’État dans la sphère
de ce calcul au nom d’un prétendu intérêt général »513.

La préséance de la rationalité budgétaire dans le domaine des contrats publics fait en sorte
qu’on ne les considère plus comme le produit d’un exercice qui relève fondamentalement de la sphère
publique. L’on tend ainsi à supposer que ce qui est efficace dans le cadre d’un contrat privé, l’est
aussi dans le cadre d’un contrat public. L’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu dans l’affaire
Martel Building dont nous avons traité plus tôt illustre très bien ce brouillage du caractère public d’un
contrat public. Rappelons que dans cette affaire, le plus haut tribunal du pays a assimilé la négociation
entourant la conclusion du contrat public comme celui qui était en cause à une négociation purement
commerciale dont l’objectif premier des deux acteurs « économiquement rationnels »514 consistait à
parachever l’entente la plus avantageuse d’un point de vue financier.

Si l’on considère que l’intérêt public se conçoit essentiellement en termes de paramètres


budgétaires, cela ouvre la porte à l’appropriation, par le domaine public, de tous les modèles,
stratégies et techniques issus du domaine privé, peu importe qu’ils soient appropriés ou non. La
croyance dans les vertus du privé et la méfiance envers tout ce qui relève de la sphère publique
expliquent d’ailleurs la popularité qu’a connue, et que connait encore, la NGP. Alain Supiot le
confirme lorsqu’il écrit que le renversement hiérarchique entre sphères privée et publique « résulte
aussi, de manière indirecte, de la mise en œuvre de la doctrine du New Public Management, qui
promeut l’application à l’administration publique des méthodes de management en vigueur dans les
entreprises privées »515. Or, maximiser les profits d’une entreprise ou l’avoir de ses actionnaires est
une finalité bien différente de celle qui consiste à servir l’intérêt public.

Cet effacement et ce renversement hiérarchique entre sphères publique et privée a pour


résultat de rendre inopportune toute discussion sur ce qui est d’intérêt public. Ce qui compte, c’est de
respecter les indicateurs chiffrés et neutres, et c’est le respect de ces indicateurs qui constitue

511
Alain SUPIOT, La gouvernance par les nombres: cours au Collège de France, 2012-2014, coll. Poids et
mesures du monde, Nantes, Institut d’études avancées de Nantes ; Fayard, 2015, p. 273.
512
Id.
513
Id.
514
Martel Building Ltd. c. Canada, préc., note 78, par. 884.
515
A. SUPIOT, préc., note 520, p. 284.

204
désormais la fin et les moyens de l’activité gouvernementale. Cela pose à notre avis un grave
problème du point de vue de la légitimité de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Soumettre le
calcul de l’intérêt public à un exercice de conformité budgétaire, c’est faire abstraction du caractère
fondamentalement public de cette activité gouvernementale.

Dans son ouvrage sur la légitimité démocratique, Pierre Rosanvallon consacre quelques pages
à l’influence des travaux de Léon Duguit sur la façon de concevoir l’exercice légitime des pouvoirs
publics, et il écrit à ce sujet: « L’État dont le grand juriste appelle le développement se présente
comme une fédération de services publics ayant pour objet d’organiser la société et d’assurer son
fonctionnement pour le bien commun »516. Pierre Rosanvallon ajoute un peu plus loin, toujours dans
la foulée des enseignements de Duguit, que l’État ne devrait plus être, comme ce fut déjà le cas,
simplement « une puissance de mise en forme d’une masse d’individus, mais […] une force de
coordination d’une multiplicité de services publics fonctionnels et autonomes attachés à donner un
visage sensible à l’intérêt général dans leurs domaines d’intervention respectifs »517. C’est
précisément cette idée qui consiste à donner un visage sensible à l’intérêt public qui est évacuée
lorsque l’essentiel est orienté autour d’une rationalité budgétaire.

Comme le dit si bien Alain Supiot, « [r]abattre le jugement sur le calcul conduit à se couper
progressivement de la complexité du réel, autrement dit à substituer la carte au territoire »518. En s’en
remettant à une conception budgétaire de l’intérêt public, l’on suppose à l’avance du contenu de cet
intérêt public, plutôt que de mener une enquête nous permettant de découvrir à quoi ressemble ce
« visage sensible de l’intérêt public ». C’est comme si on attribuait une légitimité intrinsèque au
critère budgétaire, alors que l’établissement du contenu de l’intérêt public suppose l’exercice d’un
jugement de valeur qui ne peut être présumé à l’aune d’une vérité absolue, universelle et intemporelle.

L’exercice d’un pouvoir public n’est légitime que s’il répond à un besoin réel du public.
Satisfaire un indicateur, ce n’est pas satisfaire un besoin réel. Le danger d’une conception budgétaire
de l’intérêt public est le même que celui contre lequel Alain Supiot nous met en garde lorsqu’il traite
de la représentation statistique de la société : « Le risque alors est de s’enfermer et d’enfermer les

516
Pierre ROSANVALLON, La légitimité démocratique: impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Éditions du
Seuil, 2010, p. 70.
517
Id.
518
A. SUPIOT, préc., note 520, p. 250.

205
peuples dans les boucles autoréférentielles d’un discours technocratique qui écrase les réalités de la
vie humaine au lieu de les représenter »519.

La conception budgétaire de l’intérêt public est à la fois le produit et le générateur d’un


effacement progressif de la chose publique au profit de l’utilité privée. Avec pour conséquence que
l’État se trouve à subordonner son jugement à un calcul mathématique qui ne prend pas suffisamment
en compte la complexité sociale dont il devrait justement rendre compte. Au final, cela revient aussi
à restreindre le rôle de l’État, car toute intervention de celui-ci qui ne serait pas conduite selon une
logique empruntée au raisonnement de l’utilité privée, sera alors considérée comme inopportune.
D’autre part, le risque avec l’absence de distinction entre ce qui relève du public et du privé est de
remettre en question l’existence même du droit public. Dans le cas des contrats publics, cette la
prééminence des règles exorbitantes du droit commun dont la légitimité est ainsi mise en doute.

En confondant et en assujettissant la nature fondamentalement publique de ses actes à l’utilité


privée, l’État s’éloigne également de l’impératif éthique qui devrait guider ses interventions. En
introduction d’un numéro de la Revue française d’administration publique portant sur les liens entre
l’éthique et la performance des services publics, les auteurs traitent des tensions qu’entretiennent ces
deux types de rationalités. Le passage suivant explique très bien l’importance d’assurer une certaine
cohérence entre les fins de l’action publique et les moyens mis en œuvre pour les atteindre :

Du fait des fonctions spécifiques dévolues aux pouvoirs publics (des missions
régaliennes à celles de régulation), l’action publique touche au fonctionnement même de
l’État et de son existence, ainsi qu’au lien qui unit les pouvoirs publics aux citoyens.
Pour cette raison, les enjeux existants se posent, comme nous allons le voir, tout à la fois
en termes de légitimité, de priorités et de cohérence entre les buts assignés et les moyens
employés pour les atteindre520.

La préséance de la rationalité budgétaire dans le cadre normatif applicable aux contrats


publics fait en sorte qu’il n’est pratiquement plus question d’interroger plus finalités de l’action
publique. Celles-ci sont fixées à l’avance. Il suffit de respecter le cadre budgétaire. Quant aux moyens,
il s’agit de les aligner sur cette finalité et de les penser selon la même logique.

519
Id., p. 252.
520
A. BARTOLI, O. KERAMIDAS, F. LARAT et B. MAZOUZ, préc., note 134, 634.

206
D’autre part, la place centrale qu’occupe l’impératif budgétaire dans les contrats publics
entraîne une sorte de renversement dans la logique habituelle qui consiste à établir les fins dans un
premier temps, et les moyens dans un second. Comparant les approches fondées dans un cas, sur
l’éthique du service public et dans l’autre, celles reposant sur la performance du service public, Annie
Bartoli et ses collègues soulignent que « la priorité est la finalité de l’action pour l’éthique, tandis
qu’elle risque souvent de se focaliser sur les moyens pour la performance [et que] l’horizon de temps
reste sur le long terme pour l’éthique, alors que le suivi de la performance touche généralement le
court et le moyen termes »521.

Ils ajoutent que ces deux approches ne sont pas nécessairement incompatibles et qu’elles
peuvent même se nourrir mutuellement. Ce sera le cas par exemple lorsque l’objectif d’être
performant sur le plan budgétaire est motivé par un souci de mieux gérer les deniers publics alors que
ceux-ci ne l’étaient pas. La logique budgétaire n’est pas ici désincarnée, comme ce serait le cas d’un
contrat octroyé au plus bas soumissionnaire simplement pour être performant d’un point de vue
comptable, sans considération des différentes dimensions de ce que constitue la meilleure prestation.
Autrement dit, le fait de considérer la dimension budgétaire comme une fin en soi risque d’entraîner
des problèmes d’ordre éthique en ce que l’action publique n’est alors plus mobilisée en fonction des
valeurs qu’elle est censée incarner ni en fonction des besoins sociaux complexes et divers auxquels
elle doit répondre.

Section III - Un cadre qui exclut d’emblée l’intervention du citoyen dans le processus
décisionnel entourant la formation des contrats publics

Sauf exception, le modèle actuel ne permet pas aux citoyens - les usagers des projets publics
- de prendre part activement aux différents stades du cycle de vie des projets qui font l’objet des
contrats publics. Or, pour reprendre la métaphore de John Dewey, « celui qui porte la chaussure sait
mieux si elle blesse et où elle blesse, même si le cordonnier compétent est meilleur juge pour savoir
comment remédier au défaut »522.

Le cadre normatif applicable aux contrats publics québécois préconise un « échange »


relativement hermétique entre l’auteur de l’appel d’offre (l’organisme public) et les entrepreneurs

521
Id., 635.
522
J. DEWEY, préc., note 56.

207
chargés d’exécuter la commande publique. Lorsque le projet est complexe, l’organisme public sera
généralement épaulé par des professionnels – souvent des architectes ou des ingénieurs – pour
concevoir le projet et élaborer les paramètres dans lesquels celui-ci devra être exécuté. Au stade de
l’exécution du projet, l’entrepreneur retenu aura la responsabilité de livrer les biens demandés ou de
réaliser les travaux qui lui ont été confiés tout en étant sous la surveillance de l’organisme public
et/ou de ses professionnels. Une fois la commande exécutée, l’évaluation de sa conformité avec ce
qui avait été prévu au stade de la conception du projet se fera par l’organisme public et/ou ses
professionnels.

Les contraintes budgétaires et l’importance des échéances que nous avons mises en évidence
dans la première partie de cette thèse, jumelées au silence du cadre juridique sur la question de la
participation citoyenne dans les contrats publics, peuvent certainement expliquer qu’il ne soit pas de
pratique courante d’impliquer les citoyens aux différentes étapes d’un projet public. Évidemment, il
n’est probablement pas réaliste d’impliquer l’ensemble des citoyens concernés par un projet de façon
significative à chacune des étapes d’un projet public. Par contre, il est certainement possible, dans
chaque cas, d’identifier la nature du public le plus touché par un projet donné ou du moins, lui donner
la possibilité de s’organiser pour exprimer son point de vue et de faciliter l’intégration de ce point de
vue aux étapes les plus critiques du projet. Le fait d’intégrer le point de vue citoyen dans tout
processus décisionnel public implique temps et argent. Malheureusement, la réflexion s’arrête trop
souvent à ce constat et évacue complètement la possibilité qu’il puisse y avoir un retour sur cet
investissement523. Le politiste Archon Fung ajoute que la participation implique également un
investissement important de la part du citoyen et que cela peut parfois rendre leur mobilisation
difficile524.

Mais peu importe les raisons derrière cette absence du citoyen dans le cadre normatif
applicable aux contrats publics, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une lacune importante.
Pourquoi ? Ne l’oublions pas, la finalité d’un contrat public est de servir l’intérêt public. Or, la

523
L’organisme britannique Involve a produit un rapport en 2005 sur les coûts de la participation citoyenne, tant
du point de vue ce qui est nécessaire en termes d’investissement (temps et argent) mais également en termes de
retour sur l’investissement. La revue de la littérature contenue dans ce rapport montre très bien qu’il existe une
forte perception à l’effet que la participation est coûteuse et exigeante pour l’Administration publique et qu’il
peut être plus efficace d’agir sans faire participer : INVOLVE, The True Costs of Public Participation - Full
Report, Londres, 2005.
524
« Malgré tout, la participation exige du temps et de l’énergie et il serait peut-être préférable de consacrer ce
temps aux aspirations et aux intérêts personnels » Archon FUNG, « Démocratiser le processus d’élaboration des
politiques », 17-1 Télescope 1, 2.

208
définition de cet intérêt public est actuellement laissée entre les mains d’une panoplie de parties, mis
à part le public lui-même. S’il n’est pas impossible que ces parties, dont l’Administration publique
au premier chef, soient disposées à tout mettre en œuvre pour agir en fonction ce qu’elles estiment
être dans l’intérêt public, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de leur propre interprétation. Même
dans l’éventualité où ces parties sont bien intentionnées et qu’elles aient à cœur de servir ce qu’elles
estiment être dans l’intérêt public, cet exercice ne peut pas se faire en l’absence du principal intéressé,
le public. Bien qu’il soit possible de débattre du degré d’implication que celui-ci devrait avoir selon
le contexte de chaque projet, le public ne peut être évacué d’un exercice qui consiste à chercher son
intérêt. Dans ses Leçons de sociologie, Émile Durkheim écrivait d’ailleurs ce qui suit au sujet de
l’importance de faire dialoguer le gouvernement avec la société dont il doit traduire l’intérêt :

Plus la communication devient étroite entre la conscience gouvernementale et le reste de


la société, plus cette conscience s'étend et comprend de choses, plus la société a un
caractère démocratique. La notion de la démocratie se trouve donc définie par une
extension maximum de cette conscience, et par cela même, décide de cette
communication.525

L’exercice des pouvoirs publics, tels que le pouvoir contractuel de l’État, ne peut désormais
plus faire fi de l’idéal démocratique. Comme le mentionnait déjà en 2011 le Conseil d’État dans le
résumé de son rapport public sur la participation citoyenne au sein de l’Administration publique,
« [l]a décision publique comporte le plus souvent des étapes préparatoires graduelles à tel point que
sa légitimité dépend désormais de l’instauration d’un véritable processus délibératif sur la base duquel
l’autorité compétente se prononce en toute responsabilité »526.

L’omission du citoyen dans le cadre normatif applicable aux contrats publics est de de toute
évidence liée à la conception budgétaire de l’intérêt public que nous avons tenté de mettre en évidence
en première partie. En effet, concevoir l’intérêt public selon une rationalité budgétaire n’implique pas
de recourir au savoir d’usage des citoyens. L’intérêt public pensé à l’aune d’une conception
budgétaire peut très bien faire l’économie de ce que pensent les citoyens. Les indicateurs sont là pour

525
Émile DURKHEIM, Leçons de sociologie: physique des moeurs et du droit : cours de sociologie dispensés à
Bordeaux entre 1890 et 1900, coll. classiques des sciences sociales, Chicoutimi, J.-M. Tremblay, 2002, p. 76.
526
CONSEIL D’ÉTAT, « Rapport public 2011 : Consulter autrement, participer effectivement », Le Conseil d’État
et la juridiction administrative (28 juin 2011), en ligne : <http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-
Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Rapport-public-2011-Consulter-autrement-participer-
effectivement> (consulté le 19 décembre 2018).

209
traduire leur intérêt de façon neutre et objective. Inviter le public dans cet exercice ne ferait que
compliquer les choses inutilement.

Section IV - Des critères d’octroi qui exposent l’activité contractuelle publique à la


corruption et à la collusion

La question de la corruption et de la collusion dans le domaine des contrats publics a fait


couler beaucoup d’encre au Québec depuis les dernières années. Avant d’expliquer en quoi des
critères d’octroi axés sur le prix peuvent exposer l’activité contractuelle de l’État à plus de corruption
et de collusion, il nous semble important de faire un bref survol des événements qui ont marqué
l’actualité québécoise sur cette question au cours de la dernière décennie.

En 2009, suite à des révélations sur de possibles liens entre des membres du crime organisé
et des dirigeants de la FTQ-Construction527, des pressions ont été faites auprès du gouvernement pour
qu’une commission d’enquête publique soit déclenchée et puisse faire la lumière sur la question528.
Refusant de donner suite à cette demande, le gouvernement choisit plutôt de lancer l’opération
Marteau, une opération policière spéciale ayant pour mandat d’enquêter sur l’infiltration possible du
milieu criminel dans l’industrie de la construction au Québec529.

Parallèlement, la Loi prévoyant certaines mesures afin de lutter contre la criminalité dans
l'industrie de la construction530 fut adoptée par l’Assemblée nationale du Québec avec entre autres
pour effets, de rendre plus exigeante l’obtention d’une licence d’entrepreneur en construction auprès
de la RBQ. L’objectif derrière cette réforme était d’exclure du milieu de la construction les entreprises
ayant commis certaines infractions fiscales et criminelles et plus particulièrement de restreinte la
possibilité pour celles-ci de solliciter des contrats auprès des organismes publics québécois.

527
Un important syndicat représentant les travailleurs du milieu de la construction
528
Antoine ROBITAILLE, « Construction - L’ADQ veut une enquête publique », Le Devoir 2009, en ligne :
<https://www.ledevoir.com/politique/quebec/243513/construction-l-adq-veut-une-enquete-publique>
(consulté le 17 décembre 2018).
529
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, « Québec lance l’escouade Marteau », Radio-Canada.ca (22 octobre 2009), en
ligne : <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/451029/construction-divers> (consulté le 17 décembre 2018).
530
Loi prévoyant certaines mesures afin de lutter contre la criminalité dans l’industrie de la construction, préc.,
note 285.

210
En février 2010, toujours pressé de déclencher une commission d’enquête publique, le
gouvernement du Québec décida plutôt de confier à un ancien policier, Jacques Duchesneau, la
direction d’une unité anticollision chargée de s’assurer que les contrats d’importance émanant du
ministère des Transports du Québec ne soient pas sujets à des pratiques collusoires ou à des actes de
corruption531. L’année suivante, une unité permanente anticorruption (ci-après : « UPAC ») était mise
sur pied afin de poursuivre, avec plus d’effectifs et un mandat élargi, le travail entamé par l’escouade
Marteau532. En parallèle, une loi visant à lutter de façon plus musclée contre la corruption était
présentée et adoptée à l’Assemblée nationale533. L’une des particularités majeures de cette nouvelle
mouture législative fut la création du Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics
(ci-après : le « RENA »). Dès lors, toute entreprise ayant commis l’une des infractions énumérées par
la loi était inscrite au RENA et devenait par le fait même, inadmissible à tout contrat public québécois,
qu’il s’agisse d’un contrat de construction ou non, et peu importe sa valeur.

Le 19 octobre 2011, une commission d’enquête publique est finalement déclenchée534. La


Commission Charbonneau que nous avons brièvement présentée précédemment avait pour mandat:

1) d’examiner l’existence de stratagèmes et, le cas échéant, de dresser un portrait


de ceux-ci qui impliqueraient de possibles activités de collusion et de corruption
dans l’octroi et la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction
incluant, notamment, les organismes et les entreprises du gouvernement et les
municipalités, incluant des liens possibles avec le financement des partis
politiques;

2) de dresser un portrait de possibles activités d’infiltration de l’industrie de la


construction par le crime organisé;

3) d’examiner des pistes de solution et de faire des recommandations en vue


d’établir des mesures permettant d’identifier, d’enrayer et de prévenir la

531
Tommy CHOUINARD, « Duchesneau à la tête d’une unité anticollusion », La Presse (23 février 2010), en
ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201002/23/01-954532-duchesneau-
a-la-tete-dune-unite-anticollusion.php> (consulté le 17 décembre 2018).
532
LE DEVOIR AVEC LA PRESSE CANADIENNE, « Une unité permanente anticorruption est officiellement établie
au Québec », Le Devoir (19 février 2011), en ligne : <https://www.ledevoir.com/politique/quebec/317120/une-
unite-permanente-anticorruption-est-officiellement-etablie-au-quebec> (consulté le 17 décembre 2018).
533
Loi concernant la lutte contre la corruption, préc., note 285.
534
Denis LESSARD, « Charest lance la commission Charbonneau sur la construction », La Presse (19 octobre
2011), en ligne : <https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201110/19/01-4458812-
charest-lance-la-commission-charbonneau-sur-la-
construction.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_vous_suggere_4459
027_article_POS1> (consulté le 17 décembre 2018).

211
collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics dans
l’industrie de la construction ainsi que l’infiltration de celle-ci par le crime
organisé.535

En marge des travaux de la Commission Charbonneau, les parlementaires québécois ont


continué à proposer des solutions pour prévenir la corruption et la collusion dans le domaine des
contrats publics. Ont ainsi été adoptés la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines
pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la
Loi sur le bâtiment536 ainsi que la Loi 1, ayant respectivement pour effet de rendre encore plus
exigeante l’obtention d’une licence d’entrepreneur auprès de la RBQ et de soumettre toute entreprise
désirant faire affaire avec l’État à un test préalable d’intégrité.

À la fin du mois de novembre 2015, le très volumineux rapport de la Commission


Charbonneau est dévoilé et celui-ci contient une série de propositions visant à juguler la collusion et
la corruption dans le domaine des contrats publics de construction. Nous avons lu attentivement ces
recommandations ainsi que le portrait que dresse la Commission Charbonneau de l’industrie de la
construction au Québec. Nous avons également pris connaissance de certains mémoires déposés
devant la Commission lors des auditions. L’analyse que nous faisons de ces documents nous permet
de croire que l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, selon une conception essentiellement
budgétaire de l’intérêt public, expose l’Administration publique à des risques importants au niveau
de la corruption et de la collusion. Voici pourquoi à notre avis.

Selon la Loi sur la concurrence, la collusion doit être comprise comme un complot, un accord
ou un arrangement entre concurrents. Il convient à ce titre de reproduire au long l’article 45 de la
Loi :

Complot, accord ou arrangement entre concurrents

45 (1) Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à
l’égard d’un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

535
Décret 1119-2011 concernant la constitution de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des
contrats publics dans l’industrie de la construction, préc., note 11.
536
Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la
construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment, préc., note 285.

212
a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit;

b) soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la
production ou la fourniture du produit;

c) soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou


la fourniture du produit.537

Dans le rapport produit par la Commission Charbonneau à l’issue de ses travaux, la collusion
est définie de manière large « comme une entente secrète, explicite ou tacite, entre des acteurs (des
entrepreneurs, des firmes de génie-conseil, des fournisseurs) répondant à un appel d’offres public ou,
dans certains cas, sur invitation, dont le but est de diminuer ou de supprimer la concurrence afin
d’obtenir une mainmise sur un contrat public »538.

Quant à la corruption, la Commission souligne dans son rapport que sa définition varie selon
l’angle où l’expression est employée et selon la discipline à laquelle appartient l’auteur qui en traite.
À la lumière des différentes définitions et selon le contexte de ses travaux :

La Commission retient que la corruption est un échange clandestin entre un acteur privé
cherchant à obtenir un avantage indu et un acteur public en mesure de lui fournir cet
avantage en échange d’une contrepartie. Elle peut aussi être, à l’inverse, un échange
entre un acteur public cherchant à obtenir un avantage indu et un acteur privé en mesure
de lui fournir cet avantage en échange d’une contrepartie. L’une ou l’autre partie peut
être instigatrice de l’échange. Cet échange s’effectue généralement au bénéfice des deux
parties, mais au détriment de l’intérêt public. La corruption peut aussi parfois prendre la
forme d’un échange entre deux acteurs publics cherchant à obtenir un avantage indu, au
détriment de l’intérêt public, ou même d’un échange entre deux parties privées cherchant
à obtenir un avantage indu, au détriment de l’intérêt public. Dans ce dernier cas, on parle
de corruption privée.539

À la vue de ces définitions et de la façon dont semblent généralement prendre forme les
pratiques de collusion et de corruption dans le domaine des contrats publics, il est assez aisé de
remarquer qu’il sera plus facile de truquer un appel d’offres lorsque le critère d’octroi repose sur la
méthode du plus bas prix conforme. L’on peut en effet s’imaginer assez clairement la facilité avec

537
Loi sur la concurrence, préc., note 470, art. 45.
538
F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 165.
539
Id., p. 167.S’appuyant notamment sur la définition donnée par Yves MÉNY, « Corruption, politique et
démocratie », Confluences 1995.15.11, 12.

213
laquelle des concurrents peuvent s’entendre à l’avance sur les prix à soumettre dans le cadre d’un
appel d’offres. À l’inverse, il semble a priori plus difficile pour des concurrents de truquer un appel
d’offres si celui-ci est soumis à une évaluation qualitative des soumissions. En pareilles circonstances,
la collusion, pour réussir, implique presque nécessairement un acte de corruption auprès des
personnes chargées d’évaluer la qualité des soumissions. Et puisque celles-ci n’agissent généralement
pas en solo, mais plutôt par le biais d’un comité d’évaluation, il peut alors être nécessaire pour les
entreprises qui veulent truquer l’appel d’offres de s’entendre avec l’ensemble de ces personnes, ce
qui rend évidemment la tâche encore plus difficile.

En somme, ce qui saute aux yeux en lisant les parties du rapport de la Commission
Charbonneau qui traitent de la collusion et de la corruption, c’est que dans un système où les appels
d’offres reposent en bonne partie sur la règle du plus bas soumissionnaire conforme, la collusion peut
se pratiquer seule, sans le concours de la corruption540. Or, cela devient beaucoup plus difficile dans
le contexte d’une évaluation qualitative des soumissions541. L’objectivité des chiffres, plutôt que
d’assurer un traitement équitable des soumissionnaires, sert ici à faciliter le travail des entreprises qui

540
Voir les témoignages qui sont relatés concernant le partage des contrats d’égouts à Montréal à partir des
années 2000 F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 34‑36. Voir également la partie du rapport
qui traite du cartel des trottoirs à Montréal Id., p. 36‑42. Dans son témoignage, Marc-André Gélinas, alors
directeur de la firme d’ingénierie Tecsult, explique que l’entrée en vigueur du projet de loi 106 (Loi modifiant
diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2002, c. 37.) a favorisé la collusion en
modifiant les règles d’attribution des contrats municipaux de services professionnels plus stricts sur le plan du
prix. Relatant ses propos, la Commission écrit : « À partir de 2002, la situation change. Les municipalités ne
peuvent plus octroyer de contrat de gré à gré pour les projets de 25 000 dollars et plus. Elles doivent plutôt
procéder par appel d’offres et évaluer la qualité de la proposition, puis le prix de la soumission dans un deuxième
temps. Lors de son témoignage, Gélinas a affirmé qu’en pratique, « [c]’est très rare que ce n’est pas […] le plus
bas prix qui remporte la soumission ». Les firmes de génie sont donc incitées à réduire leurs prix pour obtenir
des contrats […] Or, selon Gélinas, « le coût des travaux est estimé de façon sommaire par la municipalité » et
il est difficile d’évaluer les coûts réels sur la simple base de la description du projet par la municipalité.
L’incertitude engendrée par cette situation serait, selon lui, un autre facteur ayant amené les firmes de génie à
élaborer des ententes de collusion ». F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 610. Au même effet,
voir également l’article paru dans le journal Le Devoir qui fait état de l’opposition de l’Association des
ingénieurs-conseils du Québec à l’adoption du projet de loi 106 : « L’AICQ s’était opposée à l’adoption de la
loi 106. Les travaux de la commission Charbonneau lui donnent l’occasion de revenir à la charge et de suggérer
le retour en force du critère de la qualité. « Il est généralement reconnu que le plus bas prix est le pire critère
pour la sélection de services professionnels », affirme le mémoire. Selon l’AICQ, « une compétition basée sur
le plus bas prix est inappropriée et va à l’encontre de l’intérêt du donneur d’ouvrage lui-même ». Brian MYLES,
« La qualité avant le prix, plaident les ingénieurs-conseils », Le Devoir (26 août 2014), en ligne :
<https://www.ledevoir.com/politique/quebec/416859/la-qualite-avant-le-prix-plaident-les-ingenieurs-
conseils> (consulté le 18 décembre 2018).
541
La Commission Charbonneau relate l’exemple de l’expérience néerlandaise et écrit à son sujet : « les
organismes publics néerlandais ont participé activement à la refonte des procédures d’octroi de contrats. Les
donneurs d’ouvrage consultent davantage les prix courants en amont du processus d’appel d’offres et accordent
davantage d’importance aux critères de qualité. Selon les experts rencontrés, ces changements ont diminué les
risques de formation de cartels aux Pays-Bas. » F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 189.

214
souhaitent comploter. Rien de plus simple que de s’entendre à l’avance sur des prix. Le système est
beaucoup plus facile à truquer lorsqu’il suffit pour les soumissionnaires de fixer entre eux une échelle
de prix qu’un exercice qui consisterait, pour ceux-ci, à anticiper à l’avance les notes qu’ils
obtiendraient sur des critères qualitatifs.

Ce constat est également partagé par plusieurs auteurs qui se sont intéressés aux risques de
collusion et de corruption dans le contexte de ce qui est souvent désigné comme des « enchères
publiques » et qui visent les procédures d’appel d’offres auxquelles nous nous intéressons. Ceux-ci
remarquent que « [i]t is well recognized that auctions are prone to collusive behavior among the
bidders »542 et que « [l]’utilisation récurrente d’un système d’enchères basé sur le seul critère du prix
peut également conduire à la disparition de tout fonctionnement concurrentiel des marchés en rendant
plus aisées les ententes anticoncurrentielles »543. Dans une conférence prononcée dans le cadre d’une
journée d’étude tenue sur le thème « Les indices de collusion en matière de marchés publics »,
Wassim Benhassine, professeur à l’École nationale Polytechnique d’Algérie, explique très bien les
risques associés au critère du moins-disant :

En fixant la plupart des caractéristiques techniques de l’appel d’offre (sic) et en réduisant


la concurrence entre les entreprises au seul critère du prix, la procédure d’appel d’offre
(sic) « au moins disant » favorise l’émergence collusion en simplifiant les termes de
l’accord et en facilitant le contrôle entre les entreprises. A contrario, dans le cas des
procédures « au mieux disant », la multiplicité des critères d’évaluation des offres rend
plus complexe la collusion entre les entreprises en imposant autant d’accord que de
critères d’évaluation. Ce type de procédure, contrairement aux procédures « au moins
disant », permet une hétérogénéité des offres qui a le mérite d’ouvrir la concurrence sur
plusieurs fronts et de faciliter les stratégies de déviation.544

542
Prabal Roy CHOWDHURY, « Controlling collusion in auctions: The role of ceilings and reserve prices »,
(2008) 98-3 Economics Letters 240, 240. s’appuyant sur l’article de Daniel A. GRAHAM et Robert C.
MARSHALL, « Collusive Bidder Behavior at Single-Object Second-Price and English Auctions », (1987) 95-6
Journal of Political Economy 1217.
543
Marc DESCHAMPS et Patrice REIS, « Systèmes d’enchères et marchés publics: du moins disant au mieux
disant », dans Le Management public en mutation, L’Harmattan, 2008, p. 275‑290 à la page 6, en ligne :
<https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00730859>.
544
Wassim BENHASSINE, Les facteurs de risque favorisant la collusion dans les marchés publics, Journée
d’étude sur le thème « Les indices de collusion en matière de marchés publics », 16 décembre 2015, en ligne :
<http://www.conseil-concurrence.dz/wp-
content/uploads/2015/12/Intervention%20MR%20BENHASSINE%20-
%20Les%20facteurs%20de%20risque%20des%20collusions%20dans%20les%20march%C3%A9s%20public
s.pdf> (consulté le 17 décembre 2018).

215
Dans les lignes directrices qu’elle a élaborées pour lutter contre la collusion dans les contrats
publics, l’OCDE recommande d’ailleurs aux organismes adjudicateurs de « [s]e demander si des
méthodes autres que l’appel d’offres en une seule étape, qui repose essentiellement sur le prix, ne
peuvent pas donner un résultat plus efficace »545, laissant ainsi entendre que la règle du plus bas
soumissionnaire conforme peut poser des risques sur le plan des pratiques collusoires.

Évidemment, de nombreux autres facteurs peuvent influencer le degré de collusion et de


corruption auquel s’exposent les administrations publiques dans le cadre de leurs activités
contractuelles. On ne peut réduire ces enjeux complexes à la seule question du prix. Des actes de
collusion et de corruption peuvent très bien se produire sans égard à la méthode d’adjudication retenue
par l’organisme public. Par exemple, une entreprise peut très bien menacer ses concurrents dans le
but de les empêcher de soumissionner sur un projet. Si les menaces proférées portent fruit,
l’Administration sera privée d’une saine concurrence entre ses aspirants cocontractants, peu importe
la méthode d’adjudication qu’elle aura choisie. Ce sur quoi nous voulions insister, c’est que la règle
du plus bas prix conforme ainsi que toute forme d’évaluation purement quantitative des
soumissionnaires, n’offrent pas nécessairement, contrairement à la croyance populaire, la protection
attendue en termes de prévention de la corruption et de la collusion. Au contraire, ces paramètres,
essentiellement fondés sur des considérations budgétaires, peuvent parfois favoriser les ententes
collusoires et les actes de corruption.

Section V - Des règles favorisant la judiciarisation des conflits

Les recherches menées par les professeurs Erik Eriksson et Mats Westerberg montrent qu’un
cadre managérial axé principalement sur la concurrence présente des risques considérables sur le plan
de plusieurs facteurs de succès des projets publics, tels que le respect des échéanciers, la qualité des
livrables, l’impact environnemental des projets, l’innovation et la qualité de l’environnement de
travail :

By focusing on low bid price the client (or construction manager) aims to select the
contractor who performs the work at the lowest cost. However, this increases the risk of
cost and schedule growth due to a higher number of change orders (Assaf and Al-Hejji,
2006; Wardani et al., 2006). Factors related to competence and experience, such as

545
ORGANISATION DE COOPÉRATION ET DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUES, Lignes Directrices pour la lutte
contre les soumissions concertées dans les marchés publics, p. 9, en ligne :
<https://www.oecd.org/fr/daf/concurrence/ententes/42340181.pdf> (consulté le 17 décembre 2018).

216
poor site management, supervision, and planning on behalf of the contractor, are
common causes of cost and time overruns (Chan and Kumaraswamy, 1997; Assaf and
Al-Hejji, 2006) poor customer satisfaction (Maloney, 2002) and dismal safety
performance (Ling et al., 2009).546

Évidemment, chacun de ces facteurs de succès, lorsqu’il n’est pas rencontré, expose les
parties à vivre des différends. Si les délais d’exécution du projet public ne sont pas respectés, la partie
en défaut pourra être visée par une réclamation. Il en va de même si les spécifications prévues aux
documents d’appel d’offres ne sont pas respectées, si les biens ou les services livrés ne sont pas
conformes aux attentes énoncées dans les documents contractuels, si la réalisation du projet entraîne
des conséquences sur le plan de l’environnement et que des gens en subissent un préjudice.

Il faut également savoir qu’en droit québécois, les professionnels et les entrepreneurs qui
participent à des contrats publics sont visés par des règles particulières au niveau de leur
responsabilité civile. Les articles 2118 et suivants C.c.Q. « créent en faveur du propriétaire une
présomption de responsabilité solidaire contre les entrepreneurs, de même que les ingénieurs et les
architectes qui ont surveillé ou dirigé les travaux, quand l’immeuble ou l’ouvrage immobilier périt
dans les cinq années de sa construction en raison d’un vice du sol, de construction ou de
conception »547. Il existe également « [u]n autre régime de responsabilité […] en faveur du
propriétaire, pour les malfaçons, mais la durée de cette présomption de responsabilité est d’un an.
Dans ce dernier cas, la responsabilité est conjointe et non pas solidaire »548. Or, comme on l’a vu, la
conception budgétaire qui caractérise le cadre normatif applicables aux contrats publics québécois est
loin de garantir la qualité des immeubles et les ouvrages immobiliers qui sont construits dans le cadre
de ce ces contrats. Cette présomption de responsabilité en faveur des propriétaires, qui garantit que
les ouvrages qui leur sont livrés ne doivent pas périr à l’intérieur d’un délai de 5 ans, jumelée à la
piètre qualité des ouvrages qu’entraîne une conception budgétaire des projets publics, pose
inévitablement le risque de multiplier les poursuites en responsabilité civile.

Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil à l’activité récente des tribunaux
québécois. En faisant quelques recherches sur le moteur de recherche de la SOQUIJ, l’on constate
assez rapidement que les jugements rendus à la suite de litiges portant sur la responsabilité de l’une

546
P. E. ERIKSSON et M. WESTERBERG, préc., note 131, 200.
547
Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Québec, Wilson
& Lafleur, 2013, par. 2465.
548
Id.

217
ou l’autre des parties impliquées dans un contrat public sont très nombreux549. N’oublions pas par
ailleurs que ces données nous fournissent seulement un indice sur la récurrence du contentieux
judiciaire associé à ces problèmes. Autrement dit, ces données ne nous renseignent pas sur le nombre
exact de conflits survenus entre des organismes publics, des professionnels et des entrepreneurs sur
la base de problèmes similaires. Les décisions judiciaires auxquelles nous avons accès et que nous
avons compilées ne font pas état de l’ensemble des poursuites qui ne se sont jamais rendues à procès.
Ces données ne font pas état non plus de l’ensemble des dossiers non judiciarisés, car réglés à
l’amiable après l’envoi d’une mise en demeure par exemple. En somme, tout ce que ces décisions ne
nous disent pas, c’est qu’en réalité, la situation est certainement plus préoccupante encore.

L’analyse de la jurisprudence que nous avons faite dans la première partie de cette thèse et
qui ne portait pas principalement sur la responsabilité contractuelle des cocontractants de l’État
montre également que le domaine des contrats publics génère beaucoup de travail pour les avocats et
pour les juges ! Or, cela ne devrait pas être le cas. Il n’est pas normal que des dossiers relatifs aux
contrats publics se retrouvent si souvent devant les tribunaux. Les ressources qui sont consacrées par
l’Administration publique et les cocontractants de l’État pour faire valoir leurs droits devant les
tribunaux auraient tout avantage à être investies dans les projets publics plutôt que dans des recours
judiciaires.

*****

549
Au cours de l’année 2017-2018 seulement, voir les jugements rendus dans les affaires suivantes : 2645-3530
Québec inc. (Hardy Construction) c. Société québécoise des infrastructures, 2018 QCCS 3772; 9002-1205
Québec inc. (Antagon International) c. Agence métropolitaine de transport, 2017 QCCQ 9590; Asphalte
Desjardins inc. c. Ville de Lorraine, 2018 QCCS 60; Bau-Val inc. c. Ville de Longueuil, 2017 QCCQ 15364;
Catalogna & Frères ltée c. Construction DJL inc., 2018 QCCS 1918; Construction injection EDM inc. c.
Procureure générale du Québec (Ministère des Transports du Québec), 2018 QCCQ 7060; Construction Profex
inc. c. Ville de Gatineau, 2017 QCCQ 11351; Consultants SM inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCQ 6508;
Déneigement Fontaine Gadbois inc. c. Ville de Montréal (Arrondissement Rivièresdes- Prairies—Pointe-aux-
Trembles), 2018 QCCS 4492; Mini excavations GAL inc. c. Municipalité du Village de Stukely-Sud, 2017
QCCS 573; Municipalité de Saint-Pierre-de-Broughton c. Excavations H. St-Pierre inc., 2017 QCCS 3481;
Mutuelle des municipalité du Québec c. Aurel Harvey & Fils inc., 2017 QCCQ 16587; Placements Toucan inc.
c. Ville de Carignan, 2017 QCCS 5252; Service de garde Tasiurvik inc. c. Fournier, Gersovitz, Moss, Drolet
& Associés, architectes, 2018 QCCS 4144; Terrassement St-Louis inc. c. Ville de Saguenay, 2017 QCCS 2898;
Terrassement St-Louis inc. c. Ville de Saguenay, 2018 QCCS 2139; Ville de Beauceville c. Bourassa Sport
Technologie inc., 2018 QCCQ 5141; Ville de Lévis c. Groupe Macadam inc., 2017 QCCS 5737; Ville de Mont-
Saint-Hilaire c. Constructions Prélon inc., 2017 QCCS 89; Ville de Québec c. Groupe Aecon ltée, 2018 QCCA
1019.

218
Entendons-nous bien, la nécessité de cet exercice de refondation dont venons de tracer les
grands contours, ne se résume pas à démontrer que les coûts importent peu lors du choix des
contractants publics ou lors de l’exécution des projets. Nous souhaitons plutôt souligner qu’il s’agit
d’une variable parmi tant d’autres et que celle-ci ne doit pas définir ce qu’est l’intérêt public.

Il se peut fort bien que l’intérêt public commande une plus grande attention aux coûts dans le
contexte d’un contrat donné. L’on peut aisément concevoir que le réseau de la santé choisisse le
soumissionnaire qui présente le plus bas prix pour un contrat de fourniture de papeterie de bureau.
Mais que devrait faire le réseau de la santé si ce fournisseur a été reconnu coupable de plusieurs
infractions fiscales dans le passé ? Lorsque vient le temps d’octroyer des contrats dans un domaine
où il n’existe que quelques soumissionnaires potentiels, que devrait faire l’Administration pour
favoriser la venue de nouveaux joueurs ? Pourrait-on par exemple conclure des contrats de gré à gré
avec des entreprises d’économie sociale, sachant par exemple que le gouvernement s’est donné pour
mandat de favoriser l’essor de ce type d’entreprise550 et sachant d’autre part, que cela pourrait
permettre de stimuler la concurrence dans ce domaine ? Le prix constitue-t-il la variable la plus
importante lorsque vient le temps de choisir les professionnels qui seront mandatés pour concevoir
les plans et devis d’une nouvelle centrale de traitement des eaux usées ? Quant aux paramètres à
l’intérieur desquels le projet doit être réalisé, serait-il intéressant pour une municipalité de consulter
ses citoyens avant de construire un centre communautaire qui leur est destiné ? La construction d’une
école secondaire devrait-elle offrir une certaine durabilité et s’intégrer harmonieusement dans son
paysage architectural au risque d’exiger le décaissement d’une plus grande somme d’argent lors de
son érection ? Comment définir ces critères ? Qui consulter ?

550
Loi sur l’économie sociale, RLRQ, c. E-1.1.1. Précisons que certaines règles qui sont actuellement en vigueur
peuvent favoriser les entreprises d’économie sociale. C’est le cas notamment de l’art. 10, par. 3 LCOP qui
prévoit qu’« [u]n organisme public doit considérer le recours à la procédure d’appel d’offres public régionalisé
pour la conclusion d’un contrat qui n’est pas assujetti à un accord intergouvernemental » et de l’art. 14 par. 2
qui prévoit que lorsque le montant d’un contrat public est inférieur au seuil d’appel d’offres publics, l’organisme
adjudicataire doit « évaluer la possibilité […] d’instaurer, sous réserve de tout accord intergouvernemental
applicable, des mesures favorisant l’acquisition de biens, de services ou de travaux de construction auprès de
concurrents ou de contractants de la région concernée ». La possibilité d’encourager l’économie locale peut très
bien être jumelée avec l’objectif de retenir les entreprises d’économie sociale qui œuvrent sur le territoire
concerné par le contrat. D’autre part, l’art. 37 du Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des
organismes publics prévoit qu’« [u]n organisme public peut considérer l’apport d’un système d’assurance de la
qualité, notamment une norme ISO, ou une spécification liée au développement durable et à l’environnement
pour la réalisation d’un contrat. Il précise alors l’exigence requise dans les documents d’appel d’offres ».
L’article 50 du Règlement sur certains contrats de services des organismes publics offre une liberté analogue
aux organismes publics. Cela étant, ces avenues restent à la discrétion de l’organisme adjudicataire et ne
concernent que les contrats de moins grande importance.

219
Ce sont là des questions sérieuses auxquelles nous avons l’intention de nous attaquer. Nous
n’avons pas la prétention d’avoir trouvé un modèle idéal qui permettra de répondre facilement et avec
précision à chacune de ces questions. Celles-ci resteront complexes et nécessiteront toujours une
attention minutieuse. Notre ambition est plutôt de mettre ces questions à l’ordre du jour, de cultiver
une interrogation constante sur ce qui est d’intérêt public dans le domaine des contrats publics.
Puisque l’intérêt public n’a pas de contenu prédéterminé, que la notion se veut flexible et relative et
puisqu’elle est appelée à s’appliquer à une panoplie de situations différentes, il nous semble
souhaitable et normal que l’élaboration de son contenu soit sujette à une enquête perpétuelle qui
commande la participation de l’ensemble des parties concernées. Au fond, et c’est l’argument
principal que nous tenterons de développer dans le prochain chapitre, pour que l’intérêt public puisse
« mettre de la légitimité dans la légalité », il importe de le refonder à l’aune d’une approche
démocratique de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État.

220
CHAPITRE 2 - LA REFONDATION À ENVISAGER

Il est impératif de permettre et de favoriser la discussion la plus ouverte et la plus accessible


possible autour des finalités de la commande publique et des moyens qu’elle doit déployer pour
arriver à ses fins. Il s’agit en quelque sorte de (re)politiser les contrats publics, non pas au sens partisan
de terme, mais au sens où il faut reconnaitre que ceux-ci peuvent jouer un rôle particulier au sein de
la société. Il n’est pas impossible qu’au terme de discussions entourant les fins que devrait poursuivre
tel ou tel contrat public, il soit jugé que l’objectif le plus important dans un cas particulier consiste à
respecter le budget disponible. Notre intention n’est pas de contester la légitimité de la contrainte
budgétaire en tant que telle, il est évident que celle-ci joue un rôle particulier dans chaque projet et il
ne s’agit pas ici d’en faire abstraction.

Le problème avec le modèle actuel, c’est qu’il est emprisonné dans une conception statique
de l’intérêt public. La contrainte budgétaire joue un rôle si important dans tout le processus
contractuel, que l’idée même d’envisager un projet public à la lumière d’autres objectifs devient
difficile à mettre en œuvre concrètement. Il s’agit ici de déconstruire la hiérarchie actuelle entre les
différents critères et valeurs qui sont pris en compte aux différentes étapes du cycle de vie d’un projet
public. Actuellement, la réflexion entourant un projet public commence avec la question : de quel
budget dispose-t-on ? Le processus d’adjudication est également fondé sur cette idée de retenir le
cocontractant qui aura le moins d’impact sur le budget disponible.

À l’instar de Claude Rochet, nous croyons que « les techniques ne valent rien si elles ne sont
pas pensées au regard des finalités socialement acceptables qu’elles peuvent produire »551. Celui-ci
souligne à juste titre que l’exercice d’un pouvoir public ne doit pas être envisagé de façon
déterministe. La décision politique « se prend dans l’incertitude, elle est basée sur la compréhension
des ingrédients du succès et des facteurs de développement et [constitue] l’art de les mettre en œuvre
dans le contexte particulier de chaque culture et situation historique. La phronesis et la métis des
dirigeants restent le fondement de toute politique, qui repose sur un choix éthique entre le bon et le
mauvais »552.

551
Claude ROCHET, « Pour une logique de l’indiscipline ? Réflexions sur l’éthique de la décision publique,
autour du livre d’Alasdair Roberts. The Logic of Discipline », (2011) 140-4 Revue française d’administration
publique 723, 736.
552
Id.

221
Les règles qui régissent les contrats publics doivent par conséquent s’éloigner d’une
configuration univoque, reposant sur une pensée dogmatique qui verrait dans une rationalité
budgétaire - ou autre rationalité unidimensionnelle d’ailleurs - la source d’une vérité absolue. En
revanche, nous ne croyons pas qu’il soit plus opportun de tomber dans le relativisme absolu ou dans
un scepticisme total, lesquels peuvent tout aussi bien devenir des dogmes.

Dans l’un de ses derniers livres, Pierre Rosanvallon fait le constat suivant : « il n’y a pas
aujourd’hui de théorie démocratique de l’action gouvernementale »553. Même si le pouvoir exécutif
existe depuis toujours, « il a été appréhendé comme une tâche pratique par ceux qui l’exerçaient. Le
pouvoir avait en effet en lui-même sa justification pour ses titulaires »554. Ce constat caractérise bien
à notre avis l’exercice du pouvoir contractuel tel que nous le connaissons au Québec.

Le cadre normatif applicable aux contrats publics doit être repensé de manière à l’imprégner
d’une approche qui soit beaucoup plus démocratique. Il s’agit selon nous de la meilleure façon de
permettre au pouvoir contractuel de l’État d’être exercé dans l’intérêt public, en conformité avec le
caractère perméable de cette notion dont le respect permet de « mettre de la légitimité dans la
légalité ». En raison des particularités des projets qui font l’objet des contrats publics, lesquels
impliquent, comme nous l’avons vu, une panoplie de parties prenantes, un contexte organisationnel
unique, des interactions multiples ainsi que des attentes changeantes en termes de résultats et
d’impacts, nous croyons qu’une réforme inspirée de ce que nous désignerons par le concept général
de « démocratie administrative » serait plus que souhaitable.

Section I – Relégitimer l’exercice du pouvoir contractuel de l’État par la démocratie


administrative

Pour permettre aux contrats publics de servir adéquatement l’intérêt public, encore faut-il que
l’on dispose des moyens nécessaires pour établir son contenu et ce, selon les différents contextes dans
lesquels le pouvoir contractuel de l’État doit de se déployer.

Dans une société de plus en plus pluraliste, nous croyons utile de nous tourner vers le concept
de la « démocratie administrative » afin de permettre aux citoyens qui bénéficient (ou subissent) le

553
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 187.
554
Id.

222
pouvoir contractuel de l’État, au même titre d’ailleurs que l’action gouvernementale en général,
d’avoir voix au chapitre. Résumée à grands traits, la démocratie administrative a pour objectif de
créer et d’entretenir des canaux de communication entre les administrés et l’Administration publique.
L’objectif est de faire en sorte que les destinataires des actes de l’Administration en deviennent les
coauteurs consentants et responsables :

Le concept, pourtant, ne tend à s’imposer que dans la période actuelle. Car il suppose,
au-delà des innovations particulières conférant davantage de droits aux citoyens dans
leurs rapports avec l’administration, d’accéder à une réflexion plus systématique,
conduisant à admettre que l’exigence démocratique ne concerne pas que l’élection et le
politique, et qu’elle doit imprégner aussi constamment le fonctionnement quotidien de
l’appareil public, y compris dans son volet administratif. Qu’en d’autres termes, elle
induit des exigences plus générales concernant les relations entre l’appareil public et les
citoyens.555

La démocratie administrative renvoie à l’exercice démocratique des pouvoirs qui sont


dévolus à l’Administration publique. Comme le souligne Jacques Chevallier, le rapport entre
Administration publique et conformité à l’idéal démocratique n’est pas nouveau556. Des tentatives
visant d’abord à se doter d’une Administration démocratique ont été déployées à plusieurs reprises et
le sont encore aujourd’hui. Il nous semble opportun, avant d’exposer plus amplement les formes
contemporaines que pourrait revêtir le concept de démocratie administrative appliqué aux contrats
publics, de faire un bref survol de ses anciennes figures.

Paragraphe I - Les anciennes figures de la démocratie administrative

Jacques Chevallier donne l’exemple de l’Administration élue dont l’idée était déjà bien
vivante en France en 1791 où l’on reconnaissait que certains agents publics exerçant un rôle clé au
sein l’État devraient être élus. Bien que ceux-ci n’étaient pas en soi considérés comme des
représentants du peuple, ils étaient tout de même élus, ce qui leur conférait un certain statut
démocratique557. Les travaux qu’a menés Pierre Rosanvallon sur la question de la légitimité

555
J.-B. AUBY, préc., note 55.
556
Jacques CHEVALLIER, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », Revue française
d’administration publique 2011.1.217.
557
Id., 218.

223
démocratique fournissent également plusieurs exemples de ce projet de démocratisation de
l’Administration publique par l’entremise de l’élection de certains agents publics558.

À l’heure actuelle, cette idée d’une Administration publique élue, qu’il s’agisse de postes clés
ou non, a été abandonnée presque partout, sauf aux États-Unis où elle reste monnaie courante. Jacques
Chevallier explique que cela peut sans doute être attribuable à la décentralisation de plus en plus
grande aux États-Unis des pouvoirs de l’État vers des entités locales, lesquels se trouvent sous la
gouverne d’élus locaux. Puisque ceux-ci sont chargés de plusieurs fonctions se rapprochant de celles
qui sont traditionnellement dévolues à l’Administration publique, la décentralisation des pouvoirs
étatiques a contribué d’une certaine manière à répondre à l’idéal démocratique que certains
souhaitaient voir appliquer à l’Administration publique559.

L’ambition de démocratiser l’Administration publique s’est également traduite par une


pratique qui consistait à réserver les postes de fonctionnaires à ceux qui partageaient les mêmes visées
politiques que le parti au pouvoir, ce que Jacques Chevallier désigne comme étant l’idée d’une
Administration politisée. L’objectif était d’assurer à la population des représentants élus et une
Administration publique qui logent à la même enseigne. La logique sous-jacente à l’Administration
politisée était d’offrir aux électeurs des « exécutants » sensibles aux mêmes préoccupations que le
parti pour lequel ils avaient voté. Pour que les vœux de la population, tels qu’exprimés lors de
l’élection, se concrétisent, il fallait s’assurer de ne pas être bloqué par des agents publics tentés de
faire obstacle au programme du parti victorieux. Cela a donné lieu au système des dépouilles (spoils
system) très pratiqué au XIXe siècle aux États-Unis et plus récemment au Québec, sous le règne de
Maurice Duplessis. Le gouvernement, une fois élu, ne tardait pas à « dépouiller » l’Administration
publique de tous ceux qui étaient soupçonnés de ne pas partager ses couleurs politiques, et les
remplaçait ensuite par de loyaux sujets. Dans bien des cas, cette Administration publique, plus
partisane que démocratique, n’a pas résisté aux réformes visant à assurer aux fonctionnaires une
certaine forme d’indépendance et d’impartialité et même, comme c’est aujourd’hui le cas au Québec,
à un devoir de réserve vis-à-vis de leurs opinions politiques. Cependant, comme le précise Jacques

558
P. ROSANVALLON, préc., note 525. L’ouvrage trace également un bref historique de l’évolution de la pratique
américaine qui consiste à soumettre certains juges à l’élection populaire, voir pages 245 et ss.
559
J. CHEVALLIER, préc., note 565, 219.

224
Chevallier, dans plus plusieurs pays, les hauts fonctionnaires et les agents publics locaux restent bien
souvent sous l’emprise d’une certaine contrainte politique560.

De façon plus contemporaine, c’est l’Administration bureaucratisée, inspirée du modèle


wébérien, qui s’est imposée un peu partout en Occident. Caractérisée par une séparation très nette
entre ce qui relève du pouvoir politique et ce qui relève du pouvoir exécutif, cette Administration,
telle qu’envisagée initialement, suit une logique tout à fait différente des autres déclinaisons (élue ou
politisée) qu’avaient pu prendre l’Administration démocratique dont nous venons de traiter Dans la
perspective d’une Administration bureaucratisée, la logique permettant aux décisions politiques
d’être mises en œuvre relève davantage d’une rationalité hiérarchique et neutre. Il ne s’agit plus de
recourir aux passions politiques des agents publics pour les motiver à déployer le programme
politique du parti au pouvoir, mais bien de compter sur des agents impartiaux, rationnels et montrant
un scrupule sans faille vis-à-vis des règles de droit auxquels ils sont assujettis.

L’idée derrière cette conception de l’Administration publique n’était pas de la rendre moins
démocratique. Au contraire, de par sa fidélité à la règle de droit et de par son objectivité sans faille,
la théorie wébérienne de l’État avait également pour ambition de faire vivre concrètement les projets
politiques ayant reçu l’assentiment des électeurs. Le principe d’une Administration publique chargée
de matérialiser les projets politiques du gouvernement élu démocratiquement est central dans la
perspective wébérienne, c’est simplement qu’elle procède d’une toute autre manière. Plutôt que de se
confondre avec le gouvernement, au sens politique du terme, l’Administration doit se concentrer sur
son rôle d’exécutif. Jacques Chevallier résume très bien le principe de la théorie wébérienne qui fait
de l’Administration bureaucratisée, un instrument démocratique, sans être pour autant politique :

L’administration bureaucratique est « démocratique » en raison même de son statut de


subordination politique : dès l’instant où elle prétendrait exercer elle-même un « pouvoir
», elle perdrait son caractère démocratique. Ce statut de subordination se traduit dans/par
l’organisation hiérarchisée, qui dote les gouvernants d’une emprise totale sur la marche
des services et garantit l’obéissance des fonctionnaires ; il conduit parallèlement à placer
les administrés en situation d’assujettissement par rapport à un appareil qui ne fait
qu’exécuter docilement les orientations arrêtées par les élus.561

560
Id.
561
Id., 219‑220.

225
Il ajoute que cette conception n’est évidemment pas absolue et qu’elle mérite d’être nuancée.
D’une part, l’Administration publique jouira bien souvent d’une certaine marge de manœuvre, d’une
certaine discrétion et, d’autre part, ses interactions avec les citoyens l’amènent parfois à s’en faire le
relais et, à ce chapitre, à partager certaines fonctions des représentants politiques démocratiquement
élus.

Jacques Chevallier précise que dès la seconde moitié du XIXe siècle, les fonctionnaires
réclameront certains droits, notamment par l’entremise des luttes syndicales qui ont caractérisé cette
période, et que cela aura pour effet de placer les fonctionnaires (du moins en France) dans un statut
de « citoyens comme les autres, disposant des mêmes droits (notamment le droit syndical et le droit
de grève) que les autres salariés et obtenant le droit de participer à la gestion des services »562.
L’objectif de ces réformes était double. Il visait à rendre les fonctionnaires plus efficaces en leur
offrant certaines garanties et à rendre l’Administration plus démocratique, en faisant des
fonctionnaires des citoyens ordinaires plutôt que de simples sujets.

Parallèlement, « le modèle classique de relations avec les administrés, reposant sur l’idée
d’assujettissement, connaîtra lui aussi un net infléchissement »563 grâce à l’émergence de certaines
pratiques changeant de façon importante la posture d’autorité de l’Administration publique. Celle-ci
va dorénavant recourir à des procédés de consultation et de concertation où il ne sera plus question
d’ordonner, mais plutôt de « convaincre, persuader, séduire […] faisant des décisions administratives
le produit d’un processus d’élaboration conjointe »564. Jacques Chevallier rapporte que des auteurs
tels qu’André Mathiot et Jean Rivero salueront ce tournant démocratique565. Pour Rivero, « rien ne
s’opposerait […] à ce que, dans l’action administrative, une place soit donnée à certaines formes
d’explication et de participation, c’est-à-dire à certaines formes d’inspiration démocratique »566.

Progressivement, le modèle hiérarchique et étanche de la bureaucratie wébérienne sera


transformé par l’élan participatif fondé sur l’idée d’une contribution élargie à la prise de décision
administrative. Cependant et assez rapidement, cette transformation sera freinée et ne pourra se

562
Id., 220.
563
Id.
564
Id.
565
Id. Citant les textes suivants: CONSEIL D’ÉTAT, Bureaucratie et démocratie, Études et documents du Conseil
d’État, 1961, p. 11‑30; Jean RIVERO, « À propos des métamorphoses de l’administration d’aujourd’hui :
démocratie et administration », dans Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 821‑833.
566
J. CHEVALLIER, préc., note 565, 220.

226
concrétiser totalement, « la participation appara[issant] davantage comme un complément ou un
correctif que comme un succédané ou un substitut au modèle bureaucratique, dont l’architecture sera
pour l’essentiel maintenue »567. Cet élan participatif sera aussi freiné par le fait que d’autres idées
commenceront au même moment à émerger sur le plan théorique et pratique, telles que la NGP, au
point où il ne sera désormais plus question de rendre l’Administration plus démocratique, mais
simplement plus efficace. C’est ainsi que le « le mirage d’une « administration démocratisée »
s’efface[ra] et [que] le réformisme administratif s’orientera au cours des décennies suivantes vers
d’autres directions »568.

Paragraphe II - La vision contemporaine de la démocratie administrative

C’est dans le contexte que nous venons de relater et à bon escient que nous référons
aujourd’hui au concept de démocratie administrative en lieu et place de l’Administration
démocratique. Ce n’est pas seulement pour marquer une différence avec les tentatives de
démocratisation des pouvoirs publics que nous venons d’évoquer, car après tout il s’agit aussi de
poursuivre l’élan participatif qui n’a finalement jamais abouti, mais aussi pour souligner, comme
Jacques Chevallier le fait, que ce concept « s’inscrit […] dans un contexte de redéfinition des formes
mêmes de la démocratie, qui lui donne une portée nouvelle »569. Il ne s’agit plus uniquement de
démocratiser l’Administration publique, il s’agit également de tabler sur le fait qu’une part de plus
en plus importante des pouvoirs publics est désormais concentrée entre les mains du pouvoir exécutif
et que la vitalité démocratique de nos régimes politiques dépend de la qualité de la démocratie
administrative.

C’est d’ailleurs la prémisse de base de la thèse défendue par Pierre Rosanvallon dans son
livre Le bon gouvernement où il en appelle à une démocratie d’exercice. Constatant que la démocratie
représentative a atteint ses limites et devant la crise de confiance du public envers ses institutions,
Rosanvallon voit dans la démocratie d’exercice, qui est à nos yeux un concept très proche de celui de
la démocratie administrative, une solution pour permettre à la démocratie, en tant que régime
politique, de progresser. Il remet ainsi en question le présupposé suivant lequel nous vivrions dans un
régime démocratique parce que nous pouvons élire notre gouvernement. Cela serait peut-être vrai si
les parlementaires pour qui nous votions étaient ceux qui étaient chargés de gouverner. Or, devant la

567
Id., 221.
568
Id.
569
Id.

227
multiplication des missions et des mandats confiés au gouvernement, l’idée du parlementaire-
gouvernant est devenu un mythe. S’il est vrai que les parlementaires demeurent chargés d’édicter les
lois et que ce sont ces lois qui encadrent l’action du pouvoir exécutif, il n’en demeure pas moins que
l’autonomie conférée aux agents publics chargés d’exécuter les lois est de plus en plus grande. À cela
s’ajoute le fait que ce sont ces agents publics qui, dans les faits, interagissent quotidiennement et
véritablement avec les administrés.

Ainsi donc, pour Rosanvallon, il ne s’agit plus de répondre à la « crise de la représentation »


seulement par les procédés traditionnels visant à démocratiser le pouvoir législatif (référendums,
participation plus active des citoyens à l’édiction des lois, etc.), mais surtout et urgemment de
s’attaquer à ce qu’il nomme le « mal-gouvernement », c’est-à-dire un pouvoir exécutif qui manque
de transparence, d’imputabilité et qui n’écoute pas suffisamment les citoyens.

Mentionnons également que le concept de démocratie administrative entretient des liens


étroits avec la démocratie procédurale qui a été développée dans les textes de Jürgen Habermas et
dont l’une des ambitions était de faire dialoguer l’action publique et les administrés570.

D’un point de vue organisationnel, la démocratie administrative n’a pas pour ambition de
mettre au rancart le modèle bureaucratique de l’Administration publique actuelle ni aucun modèle en
particulier. Elle cherche plutôt à accroître le rôle de la démocratie à l’intérieur même du
fonctionnement et des techniques d’organisation de l’Administration publique :

Administrative democracy' is not the opposite of bureaucracy but a form of organization


continually engaged in expanding - sometimes step by step, sometimes dramatically -
the role of democratic institutions within government administration. My argument for
administrative democracy thus consists of a demonstration that it is possible to increase
substantially the extent to which the organization of the government can be built on
characteristics normally associated with democracy571

D’autre part, si nous voulons faire vivre concrètement la démocratie administrative, il faut à
notre avis l’enrichir des travaux de John Dewey, dont les théories s’attachent à la fois à la valeur

570
J. HABERMAS, préc., note 57.
571
Jerry FRUG, « Administrative Democracy », (1990) 40-3 The University of Toronto Law Journal 559, 562.

228
épistémique de l’intelligence collective et au caractère expérimental de la démocratie572. Cela est
d’autant plus pertinent dans le contexte de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Nous y
reviendrons plus amplement, mais la façon dont John Dewey envisage la démocratie est d’une aide
précieuse, sur le plan pratique, pour refonder la notion d’intérêt public dans le domaine des contrats
publics. Dewey est très conscient de la complexité de la notion d’intérêt public lorsqu’il affirme que
« la difficulté essentielle est de découvrir les moyens par lesquels un public éparpillé, mobile et
multiforme pourrait si bien se reconnaitre qu’il parviendrait à définir et exprimer ses intérêts »573.

L’avantage de la théorie démocratique deweyenne est de penser l’interaction entre le public


et le gouvernement en amont et en aval des décisions. En amont, parce que ce sont les citoyens qui
sont les meilleurs experts de leurs propres besoins et en aval, parce que ce sont aussi eux qui sont les
mieux placés pour évaluer la satisfaction de leurs besoins. Dewey croyait profondément en
l’intelligence citoyenne, ce qui lui a d’ailleurs permis d’être considéré comme l’un des précurseurs
de la démocratie participative contemporaine. Dans un livre important issu d’une série de conférences
prononcées en 1935, Dewey défend une vision renouvelée du libéralisme ancrée dans la
reconnaissance de l’intelligence collective. Il convient de reproduire ce passage très révélateur de sa
position sur la question de la compétence du citoyen « ordinaire » :

On dit encore que l’intelligence du citoyen moyen ne lui permet pas de l’utiliser comme
méthode [Dewey parle ici de l’intelligence en tant que méthode susceptible d’orienter
les actions des individus]. Cette objection, fondée sur des découvertes soi-disant
scientifiques sur l’hérédité, et sur d’impressionnantes statistiques concernant le quotient
intellectuel de l’individu moyen, repose entièrement sur l’idée dépassée que l’individu
est doté d’une intelligence prédéfinie. Le dernier bastion d’une ségrégation élitiste et
antisociale n’a de cesse de faire perdurer cette notion purement individualiste de
l’intelligence. Le libéralisme quant à lui ne s’appuie pas sur la pure abstraction d’une
intelligence innée sur laquelle les relations sociales n’auraient pas d’effet, mais sur le
fait que les capacités innées permettent tout à fait à l’individu moyen de tenir compte du

572
Dewey considère qu’en démocratie, « le processus de l’expérience est plus important que n’importe lequel
des résultats obtenus ». Par « expérience », Dewey entend « une libre circulation d’êtres humains individuels
avec les conditions de leur environnement, en particulier l’environnement humain, qui développe nos besoins
et nos désirs et les satisfait en contribuant à la connaissance des choses telles qu’elles sont ». Il ajoute un peu
plus loin : « La démocratie, comparée à d’autres modes de vie, est la seule façon de vivre fondée sur la croyance
inentamée dans le processus de l’expérience comme fin et comme moyen » J. DEWEY, préc., note 516,
p. 430‑431.
573
J. DEWEY, préc., note 56, p. 241.

229
savoir et du savoir-faire incarnés dans les conditions sociales au sein desquelles il vit, se
meut et existe, et d’en faire usage.574

Dewey soutient que la coopération entre tous les acteurs d’un milieu engendre des ressources
intellectuelles, culturelles et spirituelles qui sont uniques et qui ne peuvent être remplacées par
l’intelligence « innée » de chaque individu. Ces ressources sont à la fois le résultat et le préalable
d’une interaction continue entre les membres d’une société à l’égard des choses communes qui les
concernent. Dewey ajoute à ce sujet qu’[i]l est vain de parler de l’échec de la démocratie tant qu’on
n’a pas identifié la source de son échec et qu’on n’a pas pris les mesures propres à faire éclore le type
d’organisation sociale qui favorisera une expansion socialisée de l’intelligence »575.

La théorie deweyenne de la démocratie n’ignore pas la difficulté qui accompagne l’existence


d’intérêts divergents au sein d’une société. Dewey le reconnaît d’emblée et il fait remarquer, à juste
titre, que sans cette divergence entre les intérêts privés de chacun, « il n’y aurait pas de problèmes
sociaux »576. La divergence entre les intérêts des membres d’une même société ou entre les personnes
intéressées par un même projet n’est pas problématique en soi. Au contraire, « [l]e problème qui se
pose est précisément la manière dont on peut réconcilier des revendications opposées, de façon à
satisfaire autant que possible les intérêts de tous, ou du moins du plus grand nombre »577. Dewey
soutient que la démarche qu’il convient d’adopter doit être rapprochée de « la méthode de l’enquête
scientifique et de l’esprit d’invention pour imaginer et concevoir des projets de grande envergure pour
la société »578. Appliquée aux affaires d’intérêt public, cette enquête doit prendre la forme d’un
processus démocratique et viser à révéler les intérêts respectifs de chacun et à les soumettre à une
forme d’évaluation scientifique :

Dans la mesure où elle est la méthode de l’intelligence organisée, la méthode


démocratique consiste à exposer ces conflits au grand jour afin que les diverses
revendications puissent être entendues et évaluées, discutées et jugées à la lumière
d’intérêts plus larges que ceux des différentes parties. Il y a par exemple un conflit entre
les intérêts des marchands d’armes et ceux du reste de la population. Plus on expose au
grand jour leurs intérêts respectifs et plus on les évalue scientifiquement, plus il

574
John DEWEY, Après le libéralisme ?: ses impasses, son avenir, Climats, un Département des éditions
Flammarion, traduit par Nathalie FERRON, Paris, 2014, p. 125.
575
Id., p. 126. Dans la même veine, il ajoute à la p. 142 que « [l]e libéralisme doit assumer la responsabilité
d’énoncer clairement que l’intelligence est un bien social revêtu d’une fonction aussi publique que l’est la
coopération sociale dont elle très concrètement issue ».
576
Id., p. 157.
577
Id.
578
Id., p. 149.

230
apparaîtra que l’intérêt du public doit prévaloir et plus il aura de chances d’être satisfait.
579

La posture défendue par Dewey n’est pas sans rappeler l’une des recommandations du
Conseil d’État qui a consacré son rapport annuel 2011 à la question de la participation du public dans
les décisions publiques. Celui-ci propose en effet d’« [o]pérer un choix de principe consistant à
généraliser les concertations ouvertes très précoces, intervenant le plus en amont possible de la
procédure d’élaboration de la décision »580.

Signalons enfin qu’un autre avantage de la théorie deweyenne pour les fins de la refondation
à envisager se situe dans son caractère inclusif, en ce sens où elle cherche à articuler le point de vue
citoyen et le point de vue expert dans un processus de coopération qui soit à même de renforcer
chacune des perspectives. Dit simplement, dans la perspective deweyenne, l’expert alimente le
citoyen et vice versa.

Paragraphe III - La démocratie administrative comme synthèse des conceptions


utilitariste et volontariste de l’intérêt public

Refonder l’action gouvernementale à l’aune de la démocratie administrative est sans doute la


meilleure façon de permettre au pouvoir contractuel de l’État d’être exercé dans l’intérêt public. Cette
approche opère une synthèse entre les conceptions utilitariste et volontariste de l’intérêt public. Sans
en récuser aucune, elle emprunte à chacune de celles-ci pour redonner à la notion d’intérêt public son
essence fonctionnaliste. Elle permet à l’intérêt public de jouer le rôle principal qui lui est dévolu, à
savoir de mettre de la légitimité dans la légalité. La démocratie administrative est la matière première
qui permet à l’intérêt public de servir de boussole aux pouvoirs publics.

Dans la foulée de la tradition utilitariste, la démocratie administrative ne considère pas l’État


comme une instance désincarnée devant se couper des conflits sociaux et des rivalités qui animent les
membres de la société. La démarche qu’elle propose invite au contraire les pouvoirs publics à se
« frotter » aux destinataires des normes qu’ils sont chargés d’appliquer. Elle voit dans l’interaction
avec le public une façon de rendre ses actes conformes à l’intérêt public. Il ne s’agit pas ici de modifier

579
Id., p. 157.
580
CONSEIL D’ÉTAT, Principales propositions du Rapport public 2011 - Consulter autrement, participer
effectivement, 2011.

231
a posteriori les règles de droit, mais de les compléter avec l’aide de ceux qui peuvent contribuer à les
rendre encore plus légitimes.

La démocratie administrative ne voit pas l’intérêt public comme une somme purement
agrégative des intérêts de chacun. Ce n’est pas en suivant ses instincts et ses seuls intérêts personnels
qu’un citoyen concourt par le fait même à former l’intérêt public. L’État ne doit pas non plus se borner
à laisser le champ libre à la poursuite des intérêts privés de chacun. Il n’a pas à s’effacer au profit
d’une main invisible censée pacifier et harmoniser de façon soi-disant automatique les intérêts de
chacun. L’État est appelé à jouer un rôle important. Il doit agir comme médiateur des intérêts
divergents. Il doit stimuler le débat public, s’assurer que celui-ci soit inclusif. Il doit également veiller
à la qualité du débat en offrant la possibilité aux citoyens d’être informés des enjeux qui les
concernent et leur permettre, de toutes les manières possibles, d’exercer un jugement critique.

La démocratie administrative puise également dans la tradition volontariste en ayant


notamment pour objectif de fournir une direction commune aux citoyens. Elle reconnait que cette
direction commune puisse être contraire aux intérêts de certains individus, et pas seulement dans les
cas où il s’agit d’assurer leur sécurité. Elle veillera toutefois, non seulement au stade de l’édiction des
normes, mais également au moment de leur mise en œuvre, à faire en sorte que les conséquences de
cette direction commune puissent être les moins néfastes possible pour ceux qui s’y opposent. En
alimentant une interaction continue et un débat informé, elle aide à comprendre que la réalité sociale
est complexe et qu’une direction commune ne peut être fixée sans compromis, et c’est là qu’elle peut
réellement pacifier les conflits. La direction commune que contribue à fixer la démocratie
administrative ne fait pas abstraction de l’autonomie du citoyen. Elle sert plutôt à la renforcer.

Elle emprunte à la conception utilitariste en reconnaissant l’autonomie individuelle des


citoyens et en les considérant comme des acteurs capables d’autodétermination et maître de leur
volonté individuelle. Elle emprunte également à la conception volontariste en reconnaissant
l’autonomie politique des citoyens et en insistant sur le fait qu’une partie de leur liberté est tributaire
de leur participation au projet collectif qui unit chacun d’entre eux. En somme la démocratie
administrative refuse de verser dans une conception qui ferait en sorte que les pouvoirs publics
doivent fonder leurs décisions en priorisant l’une ou l’autre des rationalités utilitariste ou volontariste.
Il n’est pas question ici de préférer le respect de l’autonomie individuelle à celui de la volonté

232
générale. Les deux rationalités sont compatibles comme l’exprime d’ailleurs très bien Habermas dans
le passage suivant :

L’idée d’une autolégislation, idée qui, pour la volonté individuelle, signifie autonomie
morale, prend le sens d’une autonomie politique pour la formation de la volonté
collective, et ce pas seulement du fait que le principe de discussion est appliqué à un
autre type de normes d’action, prenant à travers le système des droits lui-même une
forme juridique. Ce n’est pas seulement la forme juridique qui distingue la législation
autonome de type politique de la législation autonome de type moral, mais aussi la
contingence de la forme de vie, des fins poursuivies et des intérêts en jeu, lesquels
établissent par avance l’identité de la volonté se déterminant elle-même.581

La démocratie administrative permet en outre de répondre à certaines limites de la conception


rousseauiste (et volontariste) de l’intérêt public, laquelle ne voit pas nécessairement d’un bon œil la
possibilité pour l’Administration publique de compléter la loi au moment de l’exécuter. Rousseau
craignait en effet, qu’en laissant au législateur la marge de manœuvre nécessaire pour modifier la loi
au moment de sa mise en œuvre, celui-ci « quitterait […] les habits de généralité du corps civique
pour n’être plus qu’un gestionnaire de la particularité, susceptible donc d’être tenté de privilégier des
intérêts spécifiques »582. Dans la perspective rousseauiste de l’intérêt public, l’idéal démocratique se
limite à la souveraineté du peuple, laquelle se traduit dans une volonté générale incarnée par le corpus
législatif. Il n’était pas nécessaire de soumettre le pouvoir exécutif à la même exigence démocratique :
« [Rousseau] réglait ainsi la question en secondarisant l’exécutif et en le plaçant à l’extérieur de
l’impératif démocratique »583.

Or, la démocratie administrative place le pouvoir exécutif à l’intérieur même de l’idéal


démocratique en lui permettant de compléter, de peaufiner et de renforcer la volonté générale du corps
civique, certes en tenant compte des intérêts spécifiques de chacun de ses membres, mais en se gardant
toutefois d’être dominé par ceux-ci.

Lorsque John Dewey en appelle à une plus grande participation du public aux affaires du
gouvernement, il nous invite à sortir du cadre traditionnel de ce que nous considérons généralement
comme l’exercice de notre devoir civique. Il ne s’agit plus simplement de prendre le temps d’aller
aux urnes pour choisir ses représentants ou encore d’exprimer son point de vue lors d’un référendum

581
J. HABERMAS, préc., note 57, p. 176.
582
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 198.
583
Id., p. 199.

233
ou d’une consultation citoyenne. Il s’agit de participer à la co-construction des décisions publiques.
Dans son ouvrage phare Le public et ses problèmes dans lequel il cherche à montrer qu’il est possible
pour le citoyen d’exercer une réel pouvoir politique malgré la complexité rattachée à l’exercice de ce
pouvoir, Dewey conclut le chapitre qu’il consacre à « L’État démocratique » en écrivant ce qui suit :
« Les mêmes forces qui ont apporté les formes du gouvernement démocratiques – le suffrage
universel, les membres de l’exécutif et les législateurs choisis par vote à la majorité – ont aussi apporté
des conditions qui font obstacle aux idéaux sociaux et humains requérant l’utilisation du
gouvernement comme l’instrument véritable d’un pouvoir public inclusif et fraternellement
associé »584.

*****

Dans les prochaines sections, nous nous consacrerons à dessiner les contours de ce que
pourrait vouloir dire une refondation de l’intérêt public dans le domaine des contrats publics, si celle-
ci était envisagée à l’aune des principes de la démocratie administrative. Nous avons trouvé dans le
concept de démocratie d’exercice défendu par Pierre Rosanvallon et dans les travaux de John Dewey,
de précieux alliés pour développer cette idée d’une démocratie administrative appliquée à l’exercice
du pouvoir contractuel de l’État.

Section II – Faire coopérer les parties prenantes à chacune des étapes du cycle de vie
d’un projet public

La coopération des parties prenantes impliquées à chacune des étapes du cycle de vie des
projets publics doit être visée en ce sens où celles-ci sont conviées à faire valoir leur point de vue,
leur perspective et leur expertise pour qu’émerge une vision commune de ce qui est d’intérêt public
dans un contexte donné. Il s’agit de favoriser un mélange entre les savoirs d’usage des citoyens et les

584
J. DEWEY, préc., note 56, p. 198. Voir aussi Joëlle Zask, à qui l’on doit la version française de plusieurs
textes de John Dewey, qui explique bien en quoi l’assujettissement de l’Administration publique à l’idéal
démocratique peut contribuer à renforcer la démocratie représentative « [L] a participation du public au
gouvernement est donc beaucoup plus complète, exigeante et constituante que la participation qui nous est
familière, à savoir surveiller les gouvernants, les critiquer ou les acclamer, et voter une fois de temps en temps ».
Joëlle Zask précise que la participation du public, telle que défendue par Dewey, n’a toutefois pas pour ambition
d’offrir une alternative à la démocratie représentative, mais plutôt de la compléter : « la fonction politique des
citoyens ne récuse pas le système représentatif, mais le complète utilement en sécurisant d’une manière
inégalable à la fois les libertés des individus et ce que Dewey appelait, à la suite de Jefferson, “le mode de vie
démocratique” » Joëlle ZASK, « Pragmatisme et participation », Le blog de Joëlle Zask (19 janvier 2015), en
ligne : <http://joelle.zask.over-blog.com/tag/pragmatisme/> (consulté le 8 décembre 2018).

234
savoirs techniques des professionnels. Dans cette démarche, les contributions de certains seront plus
rationnelles, d’autres plus intuitives. Les savoirs scientifiques sont appelés à se mêler aux savoirs
pratiques. Aucune prépondérance n’est donnée à un type de contribution ou à une approche en
particulier. Les parties sont appelées à coopérer, en faisant preuve d’ouverture vis-à-vis des postures
de chacune.

Cette façon d’envisager la coopération ne nie pas l’existence des conflits sociaux, elle tente
au contraire d’en reconnaitre la valeur. Elle s’avère également un remède très utile contre la
judiciarisation des conflits, problématique majeure dans le domaine des contrats publics, comme
nous l’avons vu précédemment. Que l’exercice équitable et légal du pouvoir contractuel de l’État
reste sujet à la surveillance des tribunaux, cela est évidemment souhaitable. À l’inverse, que les
tribunaux représentent le canal de communication privilégié par les parties pour faire valoir leurs
intérêts respectifs, cela est évidemment malheureux.

S’il importe de préserver la possibilité de saisir les tribunaux pour faire corriger des illégalités
ou pour compenser une injustice, il faut également amener les parties à jouer un rôle plus actif que
défensif à chacune des étapes du cycle de vie d’un projet public. Repenser l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État selon une approche plus démocratique permet cette transition. La théorie
deweyenne de la démocratie est d’ailleurs fondée sur le postulat que tous les citoyens sont
responsables, individuellement et collectivement, de la résolution des enjeux et problèmes d’intérêt
public qui se posent à eux. Sur la responsabilité qui incombe à chacun de prendre part aux affaires
publiques et sur la valeur collective que cela représente, il écrit ceci :

La libération et la mise à contribution de la diversité des capacités individuelles en


matière d’initiative, de prévision, d’anticipation, de vigueur, d’endurance sont les
meilleures garanties d’efficacité et de force collectives. La personnalité doit être éduquée
et elle ne peut l’être si on en confine le fonctionnement à des choses techniques et
spécialisées ou aux aspects les moins importants de la vie. Il ne saurait y avoir
d’éducation véritable que si chacun peut être reconnu comme un acteur responsable du
processus de définition des buts à atteindre et des politiques à mettre en œuvre, au sein
des groupes sociaux auxquels il appartient. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut
parler de démocratie. 585

585
John DEWEY, Reconstruction en philosophie, traduit par Patrick DI MASCIO, Paris, Gallimard, 2014,
p. 265‑266. Dans ce livre, dont la version originale est parue au lendemain de la première guerre mondiale,
Dewey plaide en faveur d’une meilleure prise en compte, par la philosophie et les sciences en général, des

235
Dans cette perspective, un contrat public constitue une « tâche commune à laquelle chacun a
vocation à concourir »586. C’est pourquoi le processus contractuel de l’Administration publique doit
être repensé en profondeur sur le plan pratique. Il importe que les finalités de l’activité contractuelle
soient décidées de façon plus démocratique et que le processus contractuel soit envisagé de façon
plus démocratique également. Comment s’y prendre ?

Paragraphe I - La mise en place d’espaces de délibération permettant l’arrimage


du point de vue expert et du point de vue citoyen

Les règles qui gouvernent les contrats publics font actuellement très peu de place au « savoir
d’usage » des bénéficiaires des projets publics. Le cadre juridique n’oblige d’aucune façon les
pouvoirs adjudicateurs à tenir compte de la façon dont les citoyens, qui sont en pratique les usagers
des projets, aimeraient que les contrats soient réalisés. Imaginerait-on une personne demander à un
tiers de construire sa maison sans l’obliger à le questionner sur ses besoins ? Imaginerait-on cette
personne ne pas pouvoir se prononcer, après coup, sur la satisfaction (ou non) qu’elle éprouve vis-à-
vis de la maison qui vient de lui être livrée ? Évidemment, il semble très peu réaliste qu’une telle
situation se produise. Pourtant, cet exemple ressemble beaucoup à ce qui se produit en matière de
contrats publics.

En effet, lorsqu’un besoin se fait sentir, par exemple lorsqu’il devient nécessaire pour un
hôpital d’augmenter la superficie de sa salle d’urgence, tout est fixé à l’avance pour les gens à qui
cette salle d’urgence est destinée, c’est-à-dire les citoyens. L’hôpital confiera à des professionnels
(ingénieurs, architectes, etc.) le mandat de concevoir les plans et devis de ce projet. Un entrepreneur
sera choisi pour exécuter ce projet conformément aux plans et devis. Quant au caractère satisfaisant
ou non du projet, il sera jugé en fonction de sa conformité aux plans et devis. Le critère dominant, à
chacune des étapes du projet (choix des professionnels, choix de l’entrepreneur et conception du
projet) sera le respect du budget. Le contrat public sera ainsi présumé accomplir sa finalité d’intérêt

« affaires humaines ». S’il invite la philosophie à renouer avec des problématiques plus concrètes et plus
contemporaines, il en appelle également à une meilleure interaction entre ceux qui s’intéressent aux problèmes
sociaux (intellectuels, experts, décideurs) et les individus qui composent la société. Traitant de la théorie
deweyenne de la démocratie, les auteurs Albert Ogien et Sandra Laugier indiquent d’ailleurs que celle-ci
postule : « que tous les membres d’une société se trouvent à égalité de responsabilité et de compétence dans le
travail collectif qui consiste à s’occuper des questions d’intérêt public qui se posent incessamment à eux (ou à
des groupes spécifiques parmi eux) et qu’ils se trouvent dans l’obligation de résoudre »Albert OGIEN et Sandra
LAUGIER, Le principe démocratie: enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, Découverte, 2014,
p. 106.
586
A. OGIEN et S. LAUGIER, préc., note 594, p. 106.

236
public, celle-ci étant confondue avec la rationalité budgétaire qui anime à la fois le processus et les
objectifs du projet. Quant au trio Maître d’ouvrage (Administration publique) – Concepteur
(professionnels) – Exécutant (entrepreneur), son action et son interaction seront dictées par cette
rationalité budgétaire. Ceux qui composent le public et qui sont à même de définir le contenu de
l’intérêt public restent les grands oubliés de tout ce processus dont nous venons d’esquisser les
grandes lignes. Les citoyens sont des oubliés, à la fois parce que l’on présume de leur intérêt et parce
qu’ils sont privés de participer à un processus qui les concerne au premier chef, ceux-ci étant, ne
l’oublions pas, les destinataires, les bénéficiaires et les usagers de tout projet public. Disons-le, ce
sont aussi eux qui en sont les payeurs !

Or, il est possible de remettre le public au cœur de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État
en s’inspirant des travaux de John Dewey. Comme nous l’avons mentionné précédemment, celui-ci
considère la démocratie comme une enquête perpétuelle et non comme une forme précise de
gouvernement. Appliquer ses enseignements aux contrats publics invite à recourir au savoir d’usage
des citoyens qui sont selon lui les mieux placés pour élaborer et juger de la qualité des projets qui les
concernent. Il ne s’agit pas ici de congédier les professionnels chargés de la conception des plans et
devis et de les remplacer par un comité citoyen. Il ne s’agit pas non plus de ne plus recourir à
l’expertise d’exécution des entrepreneurs chargés de réaliser les projets qui font l’objet des contrats
publics. Il s’agit plutôt de faire interagir ces acteurs professionnels avec le public qu’ils sont censés
servir.

Les propositions de Dewey trouvent présentent d’ailleurs certaines affinités avec ce que
l’Ordre des architectes du Québec nomme la « conception intégrée » des projets publics. Dans le
Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture auquel nous avons sommairement fait
allusion en introduction, l’Ordre plaide pour l’institutionnalisation d’une telle pratique :

Le processus de conception intégrée, qui recourt aux compétences d’une équipe


multidisciplinaire, a été mentionné à plusieurs reprises comme la solution par excellence
pour améliorer la qualité des projets, ce qui concorde avec l’avis de nombreux experts,
notamment ceux du Centre de formation en développement durable de l’Université
Laval. Dans un tel processus, les professionnels de différentes disciplines, les
responsables de l’exploitation et les clients sont en communication constante durant
toute la conception, et la mise en commun de leurs points de vue permet de trouver de
meilleures solutions tout en anticipant les problèmes. Il arrive même que les citoyens ou
les usagers soient appelés à participer. Déjà assez fréquent dans la commande publique,

237
notamment à la SQI, ce processus devrait toujours être considéré par les donneurs
d’ouvrage.587

L’idée de faire participer les citoyens et les usagers à cette conception intégrée, bien
qu’affirmée de manière relativement timide dans le passage précité, semble malgré tout recevoir
l’assentiment des architectes québécois. L’approche multidisciplinaire et multipartite sous-jacente au
processus de conception intégrée présente de toute évidence un potentiel fort intéressant pour stimuler
la qualité des projets publics. Soulignons toutefois que celle-ci ne devrait pas se résumer à impliquer
au premier chef – encore moins seulement - les savoirs techniques dans la définition de ce qui est
d’intérêt public. Il faut absolument que cette démarche fasse une large place aux savoirs d’usage des
citoyens, lesquels sont aussi importants pour assurer la qualité des projets sur le plan technique, que
sur le plan démocratique.

Cette enquête sur ce qui est d’intérêt public doit se faire en amont et en aval du projet public.
Il s’agit de mobiliser les savoirs d’usage des citoyens à chacun de ces moments. L’extrait
probablement le plus cité du livre Le Public et ses problèmes – auquel nous avons d’ailleurs fait
référence précédemment – qui affirme que « [c]elui qui porte la chaussure sait mieux si elle blesse et
où elle blesse, même si le cordonnier compétent est meilleur juge pour savoir comment remédier au
défaut »588 rappelle l’importance, pour les experts et les décideurs, de recourir aux savoirs d’usage de
ceux qui font l’expérience des projets publics au quotidien. Dewey ajoute un peu plus loin que « [t]out
gouvernement par les experts dans lesquels les masses n’ont pas la possibilité d’informer les experts
sur leurs besoins ne peut être autre chose qu’une oligarchie administrée en vue des intérêts de
quelques-uns. Et l’information éclairée doit se faire d’une manière qui contraigne les spécialistes
administratifs à prendre en compte leurs besoins »589.

Le concept de savoir d’usage est intimement liée aux notions d’enquête et d’expérience si
chères à Dewey. Une personne est en mesure de se prononcer sur les enjeux de son quartier ou ceux
qui sont propres à sa profession car elle en fait l’expérience au quotidien. Lorsque l’administration
publique élabore un plan d’urbanisme ou lorsqu’elle règlemente une profession, sa décision devrait
être précédée d’une enquête sur ce qu’il convient de faire aux yeux des principaux intéressés.
L’administration doit également mesurer la qualité de ses décisions en évaluant les conséquences

587
ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, préc., note 40, p. 24.
588
J. DEWEY, préc., note 56, p. 309‑310.
589
Id., p. 311.

238
qu’elles engendrent chez ces mêmes intéressés. Il en va de même en ce qui a trait aux projets qui font
l’objet de contrats publics.

Dans un article portant sur la théorie deweyenne de la démocratie, Jonathan Durand Folco
résume très bien ce qu’il faut entendre par cette notion de « savoir d’usage » :

[Elle] réfère à la connaissance qu’a un individu ou un collectif de son environnement


immédiat et quotidien, en s’appuyant sur l’expérience et la proximité. Aussi appelé «
savoir local », « savoir de terrain » ou « savoir riverain », le savoir d’usage vient d’une
pratique répétée d’un environnement (un quartier, un mode de transport, un service
social, etc.), qui donne aux citoyens une fine connaissance de ses usages et de son
fonctionnement permanent. C’est l’idée largement répandue selon laquelle les usagers
connaissent mieux que quiconque leurs propres intérêts. Selon la sociologie pragmatiste,
le savoir d’usage s’appuie sur différents éléments : la coutume, l’utilisation, la
consommation et le maniement. [5] Il s’agit ainsi d’un « savoir multiple, à la fois lié à
l’expérience sensible et concrète du lieu, à la coutume révélant une expérience
temporelle plus longue du lieu, ou encore à l’utilisation ».[6]590

Dans une telle perspective, le public est appelé à co-concevoir le projet en amont, le tout de
concert avec les professionnels chargés de préparer les plans et devis. Cette démarche va plus loin
qu’une simple consultation qui consiste à faire autoriser des plans déjà conçus. Comme le souligne
Durand Falco, dans l’article précité, l’élément fondamental de cette approche est la participation. Et
citant Dewey, il ajoute que du point de vue de l’individu, la démocratie « consiste dans le fait de
prendre part de manière responsable, en fonction de ses capacités, à la formation et à la direction des
activités du groupe auquel il appartient, et à participer en fonction de ses besoins aux valeurs que le
groupe défend »591. Du point de vue des groupes, « elle exige la libération des potentialités des
membres d’un groupe en harmonie avec les intérêts et les biens communs »592.

Cette enquête sur ce qui est d’intérêt public dans un contrat public se poursuit également en
aval du projet. Grâce à l’expérience que les citoyens en font au terme de sa réalisation, ceux-ci doivent

590
Jonathan DURAND FOLCO, « John Dewey contre l’expertocratie », Ekopolitica (2015), en ligne :
<http://www.ekopolitica.info/2015/05/john-dewey-contre-lexpertocratie_23.html> (consulté le 28 août 2018).
Il cite : Marc BREVIGLIERI, « L’horizon du ne plus habiter et l’absence de maintien de soi en public », dans
Daniel CEFAÏ et Joseph ISAAC (dir.), L’héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme,
Éditions de l’Aube, 2002, p. 319‑336; Ludivine DAVAY, Construire le politique au cœur de l’action publique
participative. Une analyse du budget participatif de la ville de Mons, Thèse de sciences politiques et sociales,
Université de Saint-Louis, 2009, p. 298.
591
J. DEWEY, préc., note 56, p. 242.
592
Id.

239
pouvoir se prononcer sur sa qualité et sur ses impacts. L’objectif n’est pas de soumettre le projet tel
que réalisé à un vote populaire où les gens seraient simplement invités à dire si celui-ci leur plait ou
non. Ceux-ci, de par l’expérience qu’ils font du projet, notamment sur le plan des conséquences
positives ou négatives qu’il génère, sont appelés à aiguiser leur savoir d’usage de manière à le mettre
à contribution pour d’autres projets. C’est cette continuité dans l’interaction entre les pouvoirs
adjudicateurs et les usagers qui permet d’améliorer continuellement les projets. Dans un article paru
en 1928 intitulé Philosophies de la liberté, Dewey exprimait ainsi l’importance de prendre en compte
ce qui se produit en aval des projets :

Même avec la meilleure pensée, le plan d’action que se propose un homme peut échouer.
Pour autant, toutefois, que son action soit réellement la manifestation d’un choix éclairé,
il apprend quelque chose – tout comme un chercheur, dans l’expérience scientifique,
peut apprendre quelque chose en expérimentant, si son action est dirigée intelligemment,
et presque autant ou même plus d’un échec que d’un succès. Il découvre au moins un
peu ce qui se passe avec son premier choix. Il peut choisir mieux et faire mieux la
prochaine fois. Un « meilleur choix » signifiant un choix plus réfléchi et une « meilleure
action » signifiant une action mieux coordonnée aux conditions impliquées dans la
réalisation de son objectif.593

Lors de la parution de l’ouvrage Le Public et ses problèmes en 1927, Dewey notait déjà le
caractère complexe de la plupart des problèmes d’intérêt public :

On peut dire qu’aujourd’hui, les questions les plus préoccupantes sont des problèmes
tels que le système sanitaire, la santé publique, un logement hygiénique et adéquat, le
transport, l’urbanisme, la réglementation et la répartition des immigrants, la sélection et
la gestion du personnel, des méthodes adéquates d’instruction et de formation
d’enseignants compétents, l’ajustement scientifique de l’impôt, la gestion efficace des
fonds, et ainsi de suite. Toutes ces questions sont aussi techniques que la construction
d’un moteur efficace destiné à la traction ou à la locomotion.594

593
J. DEWEY, préc., note 516, p. 237.
594
J. DEWEY, préc., note 56, p. 215‑216. Voir également A. OGIEN et S. LAUGIER, préc., note 594.qui se sont
penchés sur les travaux de John Dewey dans leur ouvrage Le principe démocratie – Enquête sur les nouvelles
formes du politique. Ils voient plusieurs vertus dans le fait de considérer la démocratie comme une enquête. Au
premier chef, il y a le fait que cette idée répond bien à la complexité de plus en plus grande des problèmes et
des projets (tels que les contrats publics) que les gens sont amenés à résoudre aujourd’hui. Ils écrivent à ce
sujet : « Dewey admet que les problèmes qui se posent dans les sociétés technologiquement et politiquement
développés (sic) sont de plus en plus complexes et que les décisions qu’il convient d’y prendre réclament le
recours à un savoir scientifique et à une expertise technique qui permettent d’identifier un problème avec
exactitude et de proposer la solution la plus rationnelle du point de vue de ses conséquences prévisibles ». Id.,
p. 111.

240
Il en est de même en ce qui a trait aux projets qui font l’objet des contrats publics. Ceux-ci
sont souvent techniques et leur complexité peut inciter les pouvoirs publics à diminuer la plus-value
du point de vue citoyen à l’égard de tels projets. Comme le mentionne Dewey après avoir énuméré
les sujets cités plus haut, « seule une enquête établissant des faits permet de trancher [ces questions
préoccupantes et importantes] »595.

Dewey reconnait aux professionnels une compétence plus pointue vis-à-vis des enjeux
techniques. Il lui paraît donc normal et même souhaitable qu’une certaine répartition des
responsabilités ait lieu entre les professionnels et les citoyens. Une interaction continue et ouverte
doit cependant en découler. Elle doit permettre au public d’alimenter les décideurs et les experts et
vice versa. Dewey plaide pour que soient mises en place les meilleures conditions possibles pour
assurer une interaction fluide, informée et éclairée entre ces acteurs. Pour lui, cela « dépend
essentiellement de la libération et du perfectionnement des processus d’enquête et de la dissémination
de leurs conclusions »596. Si celui-ci admet que l’enquête à mener appartient en bonne partie aux
experts, il ajoute que « [l]eur qualité d’expert ne se manifeste toutefois pas dans l’élaboration et
l’exécution des mesures politiques, mais dans le fait de découvrir et de faire connaître les faits dont
les premières dépendent »597. À ceux et celles qui pourraient le juger utopiste de croire que les
citoyens ont les moyens intellectuels requis pour porter un jugement éclairé sur ce qui est d’intérêt
public, surtout lorsque les enjeux en cause portent sur des sujets techniques et complexes, il
précise qu’ « [i]l n’est pas nécessaire que la masse dispose de la connaissance et de l’habilité
nécessaires pour mener les investigations requises ; ce qui est requis est qu’elle est l’aptitude de juger
la portée de la connaissance fournie par d’autres sur les préoccupations communes »598.

Le degré d’implication des citoyens et la composition même du groupe ou des groupes qui
peuvent être appelés à s’engager dans un débat collectif varieront d’un cas à l’autre. Le nombre de

595
J. DEWEY, préc., note 56, p. 216.
596
Id., p. 311.
597
Id.
598
Id., p. 311‑312. Voir aussi Ogien et Laugier qui commentent la pensée de Dewey sur cette question : « si
l’investigation scientifique est aux mains des experts, ceux-ci doivent livrer l’intégralité du savoir qu’ils
accumulent (et le faire complètement et honnêtement) à des citoyens qui engagent leur débat collectif sur cette
base d’objectivité (dont ils peuvent également critiquer la validité) » A. OGIEN et S. LAUGIER, préc., note 594,
p. 112.

241
citoyens et l’intensité de leur implication seront fonction de différents facteurs tels que l’impact du
projet d’un point de vue territorial, social ou économique, ou encore le caractère politique du projet.

Les professeurs Erik Eriksson et Mats Westerberg, dont nous avons cité les travaux
précédemment, considèrent que le fait de faire coopérer les parties prenantes à chacune des étapes du
cycle de vie d’un projet public - que ce soit lors de la conception, de l’appel d’offres, du choix des
sous-traitants, de l’exécution ou de l’évaluation du projet – peut être très avantageux sur le plan
pratique :

Careful partner selection (through bid evaluation based on suitable soft parameters)
considering desired competences, experiences and attitudes can therefore reduce cost
growth (Chua et al., 1997; Iyer and Jha, 2005; Wardani et al., 2006) and time overruns
(Chan and Kumaraswamy, 1997; Assaf and Al-Hejji, 2006). Furthermore, it can
improve quality (Yasamis et al., 2002), environmental performance (Shen and Tam,
2002), work environment (Ai Lin Teo et al., 2005; Ling et al., 2009; Rajendran and
Gambatese, 2009), and innovation (Manley, 2008; Bosch-Sijt-sema and Postma, 2009;
Caldwell et al., 2009). Thus, we see links to all success criteria, except for economic
performance.599

Au fond, ce qu’ils désignent sous l’expression « cooperative procurement procedures », est


un cadre conceptuel qui partage des affinités certaines, sur le plan pratique, avec l’idée d’un pouvoir
contractuel exercé de façon plus démocratique. Envisager les contrats publics à l’aune de la
démocratie administrative implique que les parties prenantes qui interviennent à chacune des étapes
du cycle de vie des projets publics se réapproprient le projet comme étant quelque chose qui les
concerne tous.

Dans le cadre des contrats publics, il est assez simple d’imaginer comment une telle
collaboration pourrait se déployer. Prenons l’exemple d’un centre culturel qui souhaite mettre aux
normes l’une de ses salles de spectacle et la doter d’une nouvelle configuration. Les ingénieurs et les
architectes resteraient chargés d’élaborer les plans et devis. En raison de leurs savoirs professionnels,
ils sont les mieux placés pour s’assurer que la structure de la salle de spectacle soit sécuritaire et que
les matériaux utilisés soient installés correctement. La conception du projet devrait toutefois se faire
de concert avec le public. Il s’agirait alors de l’impliquer réellement dans un processus de co-
conception du projet. Le public, que l’on peut ici imaginer comme étant formé des abonnés du centre

599
Id. 200

242
culturel, des artistes qui s’y produisent, des techniciens qui y travaillent et de tous les citoyens
intéressés par le projet, serait alors considéré comme une partie prenante du projet au même titre que
le maître d’ouvrage. Lors de l’exécution des travaux par les entrepreneurs retenus, le public pourrait
très bien être investi d’une responsabilité de surveillance des travaux, au même titre que les ingénieurs
et les architectes le sont généralement. L’implication du public pourrait même s’étendre jusqu’à la
réception de l’ouvrage, laquelle est généralement décrétée par les professionnels du projet600.

De façon plus générale, le public devrait aussi être en mesure de participer à l’élaboration des
critères d’octroi des contrats publics au stade de la préparation des documents d’appel d’offres. De
concert avec les pouvoirs adjudicateurs et les différents professionnels impliqués dans le projet, les
citoyens pourraient alors se prononcer sur l’importance relative des critères budgétaires,
environnementaux, sociaux et politiques qui pourraient être retenus. Par exemple, il se pourrait fort
bien que les citoyens accordent une importance accrue au caractère esthétique d’une construction
publique si le projet se déroule dans un quartier patrimonial.

Pour ceux et celles qui douteraient de la faisabilité de telles démarches, nous pouvons citer
les très nombreux projets dont a été saisie la Commission nationale du débat public (ci-après la
« CNDP ») en France depuis sa création. À titre d’exemple, mentionnons l’important Projet de ligne
à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (ci-après : le « POCL ») dont la date de mise
en service est prévue en 2030. L’objectif du POCL est de « à relier Paris à Lyon par une ligne nouvelle
à grande vitesse (LGV) de près de 500 km passant par les régions Auvergne, Bourgogne et
Centre. »601. Le maître d’ouvrage, la SNCF Réseau, estime qu’il en coûtera entre 12 et 14 milliards
d’euros pour réaliser le projet. Celui-ci est très complexe sur le plan technique et présente
d’importants enjeux sociaux économiques et environnementaux. Des scénarios impliquant quatre
tracés différents sont envisageables. Une synthèse de ces scénarios est fournie à l’Annexe III et permet
de voir très concrètement les conséquences, sur le plan du budget, de l’environnement et de la qualité
(en termes de gain de trafics), de chacun des scénarios envisagés.

600
Rappelons que l’art. 2110 C.c.Q prévoit que « Le client est tenu de recevoir l’ouvrage à la fin des travaux;
celle-ci a lieu lorsque l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel on le destine. La
réception de l’ouvrage est l’acte par lequel le client déclare l’accepter, avec ou sans réserve ».
601
COMMISSION NATIONALE DU DÉBAT PUBLIC, « Projet de ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-
Ferrand-Lyon (POCL) », en ligne : <https://www.debatpublic.fr/projet-ligne-a-grande-vitesse-paris-orleans-
clermont-ferrand-lyon-pocl> (consulté le 10 décembre 2018).

243
Le POLC a été soumis à un important débat public au terme duquel 14 000 personnes ont
participé. Cette participation s’est traduite par la tenue de 27 réunions publiques et d’une commission
mobile faisant escale dans les différentes villes concernées. 998 avis ont été déposés auprès d’une
commission particulière mise sur pied par la CNDP aux fins précises de ce projet602.

Cet exercice de concertation à grand déploiement a permis de faire travailler ensemble les
pouvoirs adjudicateurs, les experts et les citoyens. Sur le site web consacré au projet, la CNDP
rapporte que « [l]e débat s’est caractérisé par la courtoisie dont ont fait preuve tous les participants,
par l’extrême diversité des sujets abordés et l’implication de tous les acteurs concernés. De son côté,
la maîtrise d’ouvrage a fait preuve de disponibilité, d’une capacité d’écoute et d’une excellente
connaissance de son dossier »603.

Il est également intéressant de noter qu’en raison de la complexité du projet et des questions
formulées par les citoyens, il est apparu nécessaire de commander des études additionnelles pour
permettre à toutes les parties prenantes de disposer des informations les plus exactes. En effet, la
CNDP rapporte que « [s]uite aux diverses demandes émanant de l’assistance (suscitées par la
complexité technique du projet, sa taille et son articulation avec le réseau existant), treize études
supplémentaires ont été diligentées par RFF »604. La CNDP précise également que ces études ont été
rendues disponibles sur le web et qu’elles « sont venues enrichir la réflexion sur diverses thématiques
(le passage de l’Ile-de-France, les préoccupations environnementales, la question des gares, existantes
ou nouvelles? et celle cruciale du financement) »605.

Il nous semble que c’est précisément ce genre d’exercice que Dewey devait avoir en tête
lorsqu’il mentionnait qu’il était important que les experts contribuent, par leur savoir technique et
professionnel, à forger la capacité des citoyens à s’engager dans un débat collectif fondé sur des
connaissances objectives. Quand Dewey mentionne ceci : « Si les lois économiques d’expansion et
de dépression étaient comprises, on rechercherait immédiatement des moyens pour atténuer, voire
pour supprimer les revirements »606, il fait vraisemblablement référence à l’importance d’enquêter

602
COMMISSION NATIONALE DU DÉBAT PUBLIC, Bilan du débat public sur le projet de Ligne à Grande Vitesse
Paris / Orléans / Clermont-Ferrand / Lyon; SNCF RÉSEAU, Bilan de la concertation. Étape préliminaire aux
études préalables à l’enquête d’utilité publique, 2015.
603
COMMISSION NATIONALE DU DÉBAT PUBLIC, préc., note 610.
604
Id.
605
Id.
606
J. DEWEY, préc., note 56, p. 298.

244
scientifiquement sur tous les enjeux sociaux, politiques, économiques (ou de quelque nature que ce
soit) que nous avons en commun et de rendre disponibles les résultats de ces enquêtes pour que les
personnes concernées puissent agir intelligemment à l’égard de ceux-ci.

Le passage reproduit ci-après atteste de l’importance que Dewey accorde à une saine
coopération entre les experts et les citoyens ainsi qu’au potentiel que cette coopération peut avoir sur
la résolution des problèmes qui font l’objet d’une enquête. Ce passage explique également pourquoi,
à notre avis, il est pertinent de repenser les règles applicables aux contrats publics de manière à ce
qu’ils puissent toujours être soumis à un exercice de concertation et d’enquête :

Quand les hommes savent comment les mécanismes sociaux fonctionnent et comment
leurs conséquences sont forgées, ils s’efforcent immédiatement d’assurer les
conséquences jusque-là désirables et d’éviter celles qui sont indésirables […] La clé du
problème se trouve dans une conception claire des conséquences recherchées et de la
technique apte à les atteindre, ainsi que, bien sûr, de l’état des désirs et des aversions qui
font que certaines conséquences sont voulues plutôt que d’autres.607

C’est ainsi qu’il devient possible de dégager ce qui est d’intérêt public. La coopération des
parties prenantes passe par une démarche pragmatiste (adaptée aux contraintes contextuelles),
objective (fondée sur des données scientifiques) et démocratique (reposant sur une décision des
acteurs sociaux en fonction de ce qui leur semble légitime dans un contexte donné).

Paragraphe II – Des pistes de réflexion pour développer une meilleure relation


entre les organismes publics et leurs cocontractants

Comme nous venons de le voir, démocratiser le pouvoir contractuel de l’État implique de


penser celui-ci de manière interactive, ce qui signifie de favoriser un dialogue entre les pouvoirs
publics et les différents acteurs sociaux qui sont concernés par les contrats publics. Une telle façon
d’envisager l’exercice du pouvoir contractuel de l’État a le potentiel de transformer l’approche de
conformité, axée sur la distance entre les parties prenantes - et qui caractérise actuellement le cadre
normatif applicable aux contrats publics - en une approche relationnelle, axée sur la confiance. Dans
un article portant sur les pratiques relationnelles dans la commande publique, Julien Viau mentionne
d’entrée de jeu que l’idée d’ « [a]ssocier pratiques relationnelles et commande publique peut sembler
paradoxale ou cynique […] les échanges relationnels [étant] généralement liés aux notions de fidélité,

607
Id.

245
de confiance, d’engagement, de dialogue et de personnalisation des rapports entre les acteurs du
processus achat » alors que le cadre normatif applicable aux contrats publics est quant à lui « fondé
sur les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats [et] valorise les procédures
formelles et limite les possibilités de négociation »608.

Bien qu’il s’intéresse au cadre normatif applicable aux contrats publics français, Julien Viau
décrit dans le passage suivant des symptômes très similaires à ceux que nous avons relevés dans la
première partie de cette thèse au sujet du cadre normatif québécois :

Ce modèle s’inscrit a priori dans le paradigme concurrentiel, fondé sur l’étude de


transactions économiques obéissant aux lois d’un marché pur et parfait. L’appel d’offre
suppose idéalement une capacité du client à formuler l’intégralité du cahier des charges,
une demande parfaitement connue par tous les vendeurs, des offres répondant
exactement au cahier des charges sans proposer de variantes, la publication de toutes les
informations concernant l’objet de la transaction et une sélection sur un critère unique :
le prix. Dans cette perspective le seul problème du vendeur revient en théorie à trouver
des méthodes de détermination du prix de soumission optimal. La relation client-
fournisseur se caractérise par son caractère discontinu (en raison de l’obligation de
remise en concurrence périodique) et impersonnel.609

Pour passer de ce modèle vers un cadre plus relationnel, Julien Viau propose d’impliquer
davantage les différentes parties prenantes, dont les aspirants cocontractants de l’État, en amont des
projets publics. Se demandant « Pourquoi les fournisseurs les plus performants dans un domaine
particulier ne pourraient-ils pas apporter aux personnes publiques leurs savoir-faire et leurs capacité
[sic] d’innovation en amont de l’achat, au moment de la définition des besoins, des études de
faisabilités ? »610, il répond qu’il est souhaitable de le faire tout en respectant le principe de traitement
équitable des soumissionnaires auquel sont assujetties les procédures d’appel d’offres. Il propose
deux stratégies en particulier qui nous semblent particulièrement intéressantes :

Pour les grands projets d’équipements dont les grandes lignes sont fixées en avance, il
est possible de faire très en amont une pré-information de manière à ce que les
entreprises se préparent. Cela permettrait de collecter des idées et d’avoir une meilleure
réponse aux appels d’offres. En ce qui concerne les achats moins importants, l’acheteur
peut facilement répondre aux attentes des fournisseurs en améliorant l’accueil
(fourniture d’un document présentant l’organisation des centres d’achat, communication
du dossier de consultation et des conditions générales de vente, organisation de l’accueil

608
J. VIAU, préc., note 512, 3.
609
Id., 7.
610
Id., 23.

246
des fournisseurs et de la réception des marchandises…) et en organisant des journées
portes ouvertes destinées autant à faire connaître les processus de travail du secteur
public qu’à récupérer de l’information. Ces moyens permettraient à la collectivité de
connaître à moindre frais les possibilités du marché sans nuire à l’égalité de traitement
des candidats.

L’autre stratégie consiste à adopter des procédures de sélections spécifiques permettant


à plusieurs fournisseurs de travailler simultanément à la définition précise des besoins
de la collectivité : on peut envisager, par exemple de développer (en l’adaptant à tout
type d’achat) la procédure des marchés de définitions simultanées611.

Viau suggère également d’impliquer davantage, et très tôt, les usagers dans le processus de
définition des besoins : « la personne publique peut essayer d’associer les utilisateurs à la prise de
décision en amont de la procédure (rédaction des cahiers des charges techniques et administratifs,
choix des critères de sélection…) »612. Il ajoute que les organismes publics devraient coopérer
davantage entre eux; cela pourrait se faire en mettant sur pied des comités de travail dédiés à l’échange
de bonnes pratiques ou encore en « cré[ant] des pôles d’expertises liés à une famille d’achats en
nommant certains utilisateurs-experts responsables d’un domaine d’achat »613.

Pour éviter que le degré d’implication des citoyens soit dépendant de la volonté de
l’organisme adjudicateur d’engager ou non le public dans ses projets, il importe selon nous de fournir
aux citoyens les moyens et les ressources pour s’organiser et pour exprimer leur point de vue en
amont des projets. Dans le cas contraire, l’approche relationnelle préconisée par des auteurs comme
Julien Viau risque d’être enracinée dans une logique « top-down » dont le potentiel transformateur
n’est pas le même que dans une perspective plus horizontale. La législation peut jouer un rôle à cet
égard en mettant en place des dispositifs participatifs permanents et en nommant des personnes
chargées de stimuler la participation citoyenne. Les projets de développement international et
humanitaire constituent également des exemples intéressants où des budgets sont consacrés à la
participation des parties prenantes selon une approche horizontale. Ces projets partent du postulat
qu’une approche relationnelle et participative constitue un facteur de succès des projets et non un mal
nécessaire614.

611
Id., 23‑24.
612
Id., 24.
613
Id.
614
S. BRIÈRE, Y. CONOIR et Y. POULIN, préc., note 138.

247
Au stade du choix des cocontractants, Viau propose de favoriser une plus grande négociation
entre les pouvoirs adjudicateurs et les soumissionnaires. Il suggère pour ce faire de laisser ouvertes
certaines clauses dans les documents d’appel d’offres de manière à ce qu’il puisse y avoir un
minimum de négociation sur certains aspects du contrat. Évidemment, il peut être difficile de trouver
le juste équilibre entre cette possibilité et l’obligation de traiter tous les soumissionnaires sur le même
pied d’égalité. Il n’en demeure pas moins que l’idée mérite qu’on s’y attarde. Du côté des utilisateurs
des projets qui font l’objet des contrats publics, Viau suggère d’« envisager d’associer officiellement
certains représentants des services opérationnels à la décision de choix du fournisseur (participation
à la commission d’appel d’offres par exemple) »615.

Lors de l’exécution des projets qui font l’objet des contrats publics, Viau propose de de ne
pas mettre uniquement l’accent sur le contrôle et la surveillance des prestations des cocontractants.
Même si ces mesures demeurent importantes, « [l]’objectif est [aussi] d’inciter les fournisseurs à
respecter leurs engagements, mais également à aller au delà pour coopérer avec la personne
publique »616 et cela peut signifier d’« inciter les vendeurs de biens et services stratégiques à coopérer
avec la collectivité publique en leur offrant, dans le cadre de relations de types partenariales, d’autres
contreparties que le prix »617. Pour ce faire, Viau suggère d’envisager « des contrats à plus long terme
avec quelques fournisseurs agrées par l’Etat et sélectionnés par la personne publique »618.

Viau le reconnait lui-même, les pratiques qu’il suggère ne sont qu’au stade embryonnaire et
devraient être mises en œuvre progressivement tout en prenant soin d’analyser, au fur et à mesure de
leur déploiement, les impacts positifs et négatifs qu’elles génèrent. Cela étant, les idées qu’il s’efforce
de développer présentent un intérêt certain ne serait-ce que pour donner une image concrète de ce que
pourrait signifier sur le « terrain » une plus grande coopération des parties prenantes aux différents
stades du cycle de vie des projets publics.

Au Québec, il sera intéressant de suivre les projets menés par la Société québécoise des
infrastructures (ci-après « SQI »), laquelle s’efforce depuis quelques années d’intégrer les processus
de conception intégrée et de modélisation des données du bâtiment à ses pratiques. Comme le relatent
Gabriel Jobidon, Pierre Lemieux et Robert Beauregard dans un article traitant de la Relational Theory

615
J. VIAU, préc., note 512, 25.
616
Id., 26.
617
Id.
618
Id.

248
of Contract développée par Ian Macneil619, le cadre légal régissant les contrats publics québécois est
actuellement caractérisé par une approche transactionnelle plutôt que relationnelle et les pratiques
que la SQI tente d’implanter pourraient éventuellement favoriser une plus grande implication de
l’ensemble des parties prenantes à chacune des étapes du cycle de vie d’un projet public et, par voie
de conséquence, contribuer à assouplir la prédominance de l’approche transactionnelle qui guide
actuellement les pouvoirs publics dans le cadre de leurs activités contractuelles.620

Paragraphe III - Les risques associés à une marchandisation des techniques


participatives et au formatage de celles-ci

Dans un ouvrage qui a beaucoup retenu l’attention chez les chercheurs qui s’intéressent à la
participation citoyenne, les auteures Alice Mazeaud et Magali Nonjon dénoncent les dérives de ce
qu’elles appellent le « marché » de la démocratie participative. Au terme d’une longue enquête sur
les pratiques participatives (observation, entretiens, analyse quantitative et qualitative des contrats
publics de concertation), elles en viennent à la conclusion que les demandes des acteurs sociaux qui,
à l’origine, souhaitaient avoir une emprise plus directe sur les décisions politiques, n’ont pas été
transposées adéquatement dans les dispositifs participatifs actuels. Alors que l’objectif initial de
l’idéal participatif était de produire des effets de légitimité sur le plan démocratique, « les dispositifs
actuels ne permettent pas, ou exceptionnellement, la politisation des enjeux et encore moins la
constitution d’une action collective qui serait la condition d’une démocratisation de l’accès aux
cercles politiques »621.

Les auteures constatent dans les dispositifs qu’elles ont étudié une « faible attention portée
aux clivages sociaux [ce qui] marque l’abandon de l’objectif de justice sociale au profit de l’objectif
d’efficacité »622. Elles notent également que l’émergence des technologies de l’information dans les
dispositifs de participation publique est mieux maîtrisée et plus accessible pour les citoyens issus des
tranches les plus privilégiées de la population (contrairement à la population plus vulnérable), ce qui
peut contribuer à exacerber les inégalités déjà existantes. Par ailleurs, elles notent que leur enquête

619
Ian R. MACNEIL et David CAMPBELL, The relational theory of contract: selected works of Ian MacNeil, coll.
Modern legal studies, London, Sweet & Maxwell, 2001.
620
Gabriel JOBIDON, Pierre LEMIEUX et Robert BEAUREGARD, « Implementation of Integrated Project Delivery
in Quebec’s Procurement for Public Infrastructure: A Comparative and Relational Perspective », (2018) 10-8
Sustainability 2648.
621
Alice MAZEAUD et Magali NONJON, Le marché de la démocratie participative, coll. Sociopo, Vulaines-sur-
Seine, Éditions du Croquant, 2018, p. 348.
622
Id.

249
ne leur a pas permis de constater les effets espérés de la participation en termes de « (re)légitimation
du système démocratique »623. Elles écrivent à ce sujet que bien des professionnels de la participation
« s’accordent à dire que les enquêtés ne font pas davantage confiance aux élus, puisqu’ils considèrent
que les élus ne tiennent pas compte de leur avis »624. Elles signalent également qu’« en dépit du
développement sans précédent de l’offre de participation, les participants ne se mobilisent pas
massivement dans les espaces créés en leur nom »625.

Leurs propos font écho à d’autres auteurs qui avaient eux aussi souligné qu’il ne faut pas
exagérer l’importance du consensus au point de rendre illégitime toute forme de conflit ou de débat
frontal. Loïc Blondiaux, qui est parmi les universitaires les plus attentifs à l’évolution de la question
de la participation citoyenne, souligne à juste titre qu’il faut éviter de tomber dans le piège d’une
« démocratie formatée »626 Dans cet article, Blondiaux se fait le relais des critiques énoncées par
Chantal Mouffe, Melissa Williams, Nancy Fraser, Jane Mansbridge et Iris Marion Young, qui jugent
que certaines formulations théoriques et pratiques de la démocratique délibérative ne seraient pas
suffisamment inclusives, qu’elles viseraient un idéal communicationnel beaucoup trop académique
et consensuel et que l’institutionnalisation qu’elles commandent ne serait pas suffisamment attentive
aux réalités particulières des publics marginalisés. C’est pour cette raison que ces auteurs en appellent
à des stratégies telles que de « promouvoir, au sein de ces espaces de délibération, des formes de
communication autres que la seule argumentation rationnelle, à l’instar du témoignage »627 ou encore,
comme Jane Mansbridge le propose, de permettre « une discussion qui tolère les formes d’expression
les plus conflictuelles et les “moins civiles” en soulignant que “parfois seule l’intensité de l’opposition
peut abattre les barrières du statu quo” et forcer les groupes dominants à écouter »628.

Revenons maintenant à Alice Mazeaud et Magali Nonjon. Celles-ci constatent que les
dispositifs participatifs, tels que conçus et appliqués, ont tendance à attirer un public déjà converti au
« jeu politique ». Cela aiderait les autorités publiques à asseoir la légitimité de leurs pouvoirs tout en
les exemptant d’un réel exercice d’imputabilité auprès de leurs commettants, en particulier ceux qui

623
Id.
624
Id.
625
Id.
626
Loïc BLONDIAUX, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ?: Le statut du conflit dans les
théories et les pratiques de participation contemporaines », (2008) 30-2 Raisons politiques 131, 140.
627
Id., 141. Citant Iris Marion YOUNG, Inclusion and democracy, Repr, coll. Oxford political theory, Oxford,
Oxford Univ. Press, 2010.
628
L. BLONDIAUX, préc., note 635, 141. Citant Jane MANSBRIDGE, « Everyday Talk in the Deliberative
System », dans Stephen MACEDO (dir.), Deliberative Politics: Essays on Democracy and Disagreement, Oxford
University Press, 1999, p. 1–211.

250
ont cessé de croire dans le système démocratique. Elles écrivent à ce sujet que « [l’offre publique de
participation] s’apparente davantage à une entreprise de fidélisation des électeurs qu’à une entreprise
de (re)conquête des électeurs déçus »629. Cela est sans doute vrai, mais nous nous permettons
néanmoins de souligner que la difficulté ou la lenteur des dispositifs participatifs à reconquérir les
citoyens déçus - et qui préfèrent se tenir le plus loin possible du système - ne devraient pas préjuger
de la qualité de ces dispositifs. En tout respect, il nous semble exagéré, à ce stade encore relativement
embryonnaire de la plupart des dispositifs participatifs contemporains, de s’attendre à ce qu’ils
réintroduisent aussi rapidement les personnes qui en sont venues à entretenir une désillusion à l’égard
du système politique dans son ensemble. S’il peut être souhaitable de reconquérir ces sceptiques, le
fait de ne pas les voir en grand nombre dans les réunions publiques ne devrait pas pour autant
discréditer en bloc les dispositifs participatifs actuels.

Cela étant, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage de Mazeaud et Nonjon, grâce à la posture
critique qu’elles adoptent à l’égard des pratiques actuelles de participation publique et grâce à la
rigueur de leurs analyses, nous aide à anticiper certains problèmes que pourraient engendrer les
solutions que nous proposons de déployer dans la présente thèse. Il nous semble utile de tirer profit
des lacunes signalées par ces auteures pour prévenir celles qui guettent un modèle comme celui que
nous défendons. Il importe donc de réfléchir aux paramètres qui pourraient permettre d’éviter de
tomber dans les pièges contre lesquels Mazeaud et Nonjon mous mettent en garde. C’est d’ailleurs le
vœu qu’elle formulent lorsqu’elles écrivent dans leur conclusion: « Aussi dans cet ouvrage, c’est bien
à l’analyse des effets pervers de la disponibilité des outils et de l’accumulation non contrôlée et
souvent non réfléchie des procédures participatives que nous souhaitons attirer l’attention et inviter
l’espace académique et politique à réfléchir »630. Comment éviter ces effets pervers ?

Section III – Exercer le pouvoir contractuel de l’État de façon lisible, responsable et


interactive

Démocratiser le pouvoir contractuel de l’État sans tomber dans le piège d’une


instrumentalisation de la participation, implique de réfléchir aux principes généraux et englobants qui
devraient régir la relation entre les différentes parties prenantes impliquées dans les contrats publics.
Pour ce faire, nous avons trouvé dans les trois grands principes élaborés par Pierre Rosanvallon - la

629
Alice MAZEAUD et Magali NONJON, « De la cause au marché de la démocratie participative », (2015) 1-56
Agone 135, 349.
630
A. MAZEAUD et M. NONJON, préc., note 630, p. 351.

251
lisibilité, la responsabilité et la réactivité631 - lesquels devraient « régir les relations des gouvernants
aux gouvernés en démocratie »632, un terreau très fertile pour penser la façon dont devrait être exercé
le pouvoir contractuel de l’État pour l’assurer d’un caractère plus démocratique.

Rosanvallon traite de la relation gouvernés-gouvernants, ce qui recoupe nécessairement la


relation entre administrés et Administration publique. Le cadre d’analyse qui fonde ses propositions
est particulièrement utile dans le contexte de notre réflexion sur l’exercice du pouvoir contractuel de
l’État. En effet, Rosanvallon part d’une prémisse semblable à la nôtre, à savoir qu’il faut également
s’intéresser à la démocratisation de l’action gouvernementale, dont l’une des déclinaisons est
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, et non seulement à la démocratisation du système électoral
de type représentatif, si nous nous voulons un jour avoir la possibilité de vivre dans un régime qui
soit réellement démocratique : « Si la démocratie est un gouvernement, et pas seulement un régime,
elle doit se définir par un mode d’exercice du pouvoir qui lui soit propre »633.

Comme le souligne Rosanvallon, les principes de lisibilité, de responsabilité et de réactivité


« dessinent les contours d’une démocratie d’appropriation [et] [l]eur mise en œuvre permettrait aux
citoyens d’exercer plus directement des fonctions démocratiques qui ont longtemps été accaparées
par le seul pouvoir parlementaire »634. Nous nous permettons d’ajouter que l’application de ces
principes à l’activité contractuelle étatique permettrait non seulement aux citoyens de s’approprier les
contrats publics, mais également à l’ensemble des parties prenantes impliquées dans les projets, qu’il
s’agisse des architectes, des ingénieurs, des entrepreneurs ou encore des sous-traitants. Grâce à ces
principes, chacun serait mieux placé et outillé pour concourir à la définition de ce que représente
l’intérêt public dans un projet donné.

Ce qui est également très intéressant dans l’approche de Rosanvallon, c’est qu’en
s’intéressant à la démocratisation du pouvoir exécutif plutôt qu’à celle du pouvoir législatif, il prend
bien soin de tenir compte du particularisme du mode d’exercice de ce pouvoir : « [l]a caractéristique
du pouvoir exécutif est d’être déterminé par son activité ». Cela vaut évidemment aussi pour le
pouvoir contractuel de l’État. S’il est vrai que les textes législatifs et réglementaires qui encadrent le

631
Rosanvallon emploie l’expression « réactivité », car c’est à son avis le « terme qui traduit le moins mal la
notion de responsiveness en anglais », P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 22.
632
Id.
633
Id., p. 212.
634
Id., p. 22.

252
pouvoir contractuel de l’État fournissent des assises très claires pour évaluer la conformité en droit
des décisions de l’Administration publique, il n’en demeure pas moins que l’activité contractuelle des
organismes publics se conçoit également selon son caractère légitime ou non. C’est d’ailleurs ici que
l’on voit poindre le rôle important de l’intérêt public qui sert, comme nous l’avons répété à maintes
reprises, à mettre de la légitimé dans la légalité.

Pierre Rosanvallon, souligne également l’importance d’évaluer la qualité d’une décision


publique non seulement sur le plan substantif (légalité et qualité du contenu), mais également sur le
plan du processus décisionnel. Il écrit : « L’exercice du pouvoir exécutif s’appréhende ainsi par la
façon dont il élabore ses décisions et non pas seulement par le contenu de celles-ci. Du même coup,
la légitimité des gouvernants, et des agents publics en général, est fonction de l’appréciation du
comportement de ceux-ci »635.

Il ne le mentionne pas, mais la qualité du processus décisionnel qu’il appelle de ses vœux
ressemble beaucoup au concept d’équité procédurale en droit administratif636. Tirant ses origines de
la common law anglaise, le devoir d’agir équitablement commande en effet à l’Administration
publique et à ses agents de traiter les citoyens de façon impartiale (la règle nemo judex in causa sua)
et de leur donner l’occasion d’être entendus (la règle audi alteram partem). L’équité procédurale
concerne le mode d’exercice des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent être exercés de façon équitable.
Cette obligation qui incombe à l’Administration ne concerne pas la qualité des décisions en tant que
telles, mais la façon dont elles sont rendues. L’accent est mis sur le processus plutôt que le résultat.
En agissant équitablement, l’Administration publique s’assure non seulement de rendre une justice
de qualité sur le fond, mais aussi, de donner aux citoyens le sentiment de cette justice. Cela est
primordial pour maintenir la confiance des citoyens dans leurs institutions publiques.

635
Id., p. 212. Les italiques sont de nous.
636
Les règles qui en découlent sont fondamentales dans le système juridique canadien et québécois : « L’équité
est, en fait, le fondement même du droit public canadien » Pierre LEMIEUX, « L’équité dans le droit public
canadien », dans L’équité ou les équités. Confrontation Occident et Monde arabe, Paris, Société de législation
comparée, 2004 à la page 124. Voir également les arrêts suivants pour une évolution de la règle au fil du temps:
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker c. Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)]; Martineau et al. c. Le Comité de discipline des détenus de
l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 [Martineau et al. c. Le Comité de discipline des détenus de
l’Institution de Matsqui]; Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal v. Quebec Labour Relations Board,
[1953] 2 SCR 140 [Alliance des Professeurs Catholiques de Montréal v. Quebec Labour Relations Board];
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311 [Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners].

253
C’est précisément ce qu’exprime Pierre Rosanvallon lorsqu’il écrit que : « [l]es citoyens
veulent être écoutés, reconnus pour ce qu’ils sont, informés, traités avec respect, associés aux
décisions. Dans ces conditions, ils sont même plus facilement disposés à accepter des choix publics
qui peuvent leur être personnellement défavorables »637. En ce sens, l’équité procédurale, tout comme
les principes démocratiques que défend Pierre Rosanvallon, peuvent agir comme remède contre le
désabusement des citoyens auquel référaient Alice Mazeaud et Magali Nonjon dans leur ouvrage dont
nous avons traité plus tôt.

Paragraphe I - Des contrats publics lisibles

Que veut dire Pierre Rosanvallon lorsqu’il défend l’argument d’un pouvoir exécutif exercé
de façon plus lisible ? Et qu’est-ce que cela peut signifier dans le domaine des contrats publics ? Tout
d’abord, il invite à ne pas confondre visibilité et lisibilité de l’activité gouvernementale. Rosanvallon
qualifie d’ailleurs notre époque comme celle de « l’empire de la visibilité » et de « la misère de la
lisibilité ». Ce qu’il veut dire au fond, c’est que malgré l’abondance d’informations de toutes sortes,
l’appropriation et la compréhension de ces informations par les parties concernées ne sont pas
nécessairement au rendez-vous. Ce qui engendre la visibilité d’une information n’engendre pas
nécessairement sa lisibilité. Il importe donc selon lui de travailler à rendre lisible, plutôt que
simplement visible, cette manne d’informations auxquelles les citoyens ont accès. Il en va de
l’exercice de leur jugement critique à l’égard des décisions publiques. Il en va également de leur
implication lucide et utile dans le processus d’élaboration de ces décisions. Si les pouvoirs publics ne
rendent par leurs activités lisibles, comment les citoyens peuvent-ils s’impliquer intelligemment dans
les projets publics qui les concernent. On ne peut reprocher aux citoyens de ne pas s’intéresser à la
politique et aux affaires publiques si ceux-ci n’ont pas les moyens pour poser un regard informé et
critique sur celles-ci.

Comme le souligne Rosanvallon, il serait beaucoup trop facile de résumer le débat sur la
transparence des affaires publiques « dans les termes d’une opposition binaire entre secret et
transparence ». Pour franchir le pas vers l’exercice démocratique des pouvoirs publics, il faut aller
plus loin et viser « la lisibilité des choses, qui implique un rapport actif d’interaction ». Or, comme le
note celui qui cherche à dessiner les contours du bon gouvernement, il se trouve « que le monde peut

637
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 212‑213.

254
s’avérer illisible, alors même que nous croulons sous une masse toujours plus considérable
d’informations disponibles »638.

Notons que la lisibilité défendue par Rosanvallon fait directement écho à ce que Dewey
appelait l’importance de la présentation. Ce dernier donnait l’exemple d’ « [une] présentation
technique destinée aux intellectuels [laquelle] ne pourrait s’adresser qu’à ceux qui sont techniquement
intellectuels; elle ne pourrait convoyer des nouvelles pour la masse »639. Il ajoutait alors que « [l]a
présentation est d’une importance fondamentale, et elle relève d’une question d’art »640. Il voyait l’art
comme l’une des clés de cet exercice de lisibilité, l’art permettant de se concentrer sur des enjeux qui
touchent les gens et de communiquer selon un langage qui les rejoint. « Les artistes ont toujours été
les véritables pourvoyeurs des nouvelles, car ce n’est pas l’événement extérieur en lui-même qui est
nouveau, mais le fait qu’il est embrassé par l’émotion, la perception et l’appréciation »641, écrivait-il.
Cette posture le distingue de l’approche habermassienne de l’agir communicationnel, laquelle est très
ancrée dans le caractère rationnel de l’échange. Or, Dewey, admettait qu’une opinion publique puisse
se forger en embrassant les émotions et les perceptions des gens plutôt qu’en les rejetant d’entrée de
jeu.

Jonathan Durand Falco, qui s’est beaucoup intéressé à la pensée de John Dewey ajoute, dans
la même veine, que puisque « la démocratie n’est pas naturelle et que le public n’émerge pas
spontanément, il faut que certaines conditions permettent la création d’un intérêt public. Il faut
d’abord garantir une véritable liberté d’expression, laquelle ne se limite pas à l’absence formelle de
censure, mais requiert des moyens effectifs pour partager les résultats de l’enquête sociale sur les
conséquences des activités humaines »642 et citant Dewey, il ajoute « Il ne peut y avoir un public sans
une publicité complète à l’égard de toutes les conséquences qui le concernent. Tout ce qui entrave ou
restreint la publicité limite et déforme l’opinion publique, et entrave et dénature la pensée sur les
questions sociales »643.

En matière de contrats publics, la lisibilité des projets qui font l’objet des contrats devient
cruciale pour que l’ensemble des parties prenantes, pas seulement les citoyens, puisse s’approprier le

638
Id., p. 232.
639
J. DEWEY, préc., note 56, p. 282.
640
Id.
641
Id., p. 283.
642
J. DURAND FOLCO, préc., note 599. Les italiques sont de nous.
643
J. DEWEY, préc., note 56.

255
projet et converger vers des objectifs communs. Les enjeux techniques, sociaux, environnementaux
et politiques que soulève le projet doivent être visibles et lisibles pour que celui-ci soit réalisé dans
l’intérêt public. C’est d’ailleurs ce qui fait que le contenu de l’intérêt public, en tant que tel, devient
lui aussi lisible.

Même si cela est encore plus important à l’égard de l’Administration publique, chaque partie
impliquée dans un contrat public doit aussi s’efforcer de rendre lisibles ses préoccupations et ses
objectifs. Dans le cadre d’un projet de construction d’une nouvelle école primaire par exemple, la
Commission scolaire qui agit comme maître d’ouvrage doit indiquer clairement ses objectifs et les
scénarios qui sont à sa disposition. Imaginons qu’elle a reçu le mandat du ministère de prendre en
charge l’éducation de 500 nouveaux élèves étant donné la croissance démographique du secteur
qu’elle dessert. Tenons également pour acquis qu’elle bénéficie d’une subvention suffisante pour
construire une nouvelle école assez grande pour accueillir 500 élèves.

En pareil cas, l’on peut s’attendre de la commission scolaire qu’elle se dépêche à faire
construire une nouvelle école pour toucher la subvention à laquelle elle est admissible. Imaginons par
contre que la commission scolaire soit assujettie à un processus décisionnel qui l’oblige à interagir
avec les citoyens et l’ensemble des parties prenantes visées par le projet, le tout dans une formule qui
s’apparente aux contours de la démocratie administrative que nous tentons de dessiner.

Allons-y de quelques hypothèses additionnelles. Imaginons que le quartier dans lequel la


Commission scolaire souhaite construire son école soit très densifié et que les citoyens espèrent
préserver le caractère récréatif de l’espace vert sur lequel la construction était projetée. Imaginons
qu’un centre sportif situé sur le même territoire tombe en ruine et menace de fermer ses portes en
raison d’une baisse de l’achalandage depuis quelques années. Imaginons encore que le fait de
transformer ce centre communautaire en école soit beaucoup moins onéreux qu’en construire une
nouvelle et que les sommes épargnées à même le budget de la commission scolaire puissent servir à
engager l’orthophoniste dont une autre école a urgemment besoin. Imaginons que les instances
municipales souhaitent favoriser depuis longtemps la venue de jeunes familles dans le quartier
vieillissant où est situé le centre communautaire. Ne serait-il pas logique en pareil cas, de transformer
le centre sportif en école plutôt que d’en construire une nouvelle ? Ne serait-il pas logique, en pareilles
circonstances, d’installer des équipements sportifs extérieurs sur le terrain où la commission scolaire
projetait de construire une nouvelle école ?

256
L’exemple peut donner l’impression de rendre les choses beaucoup plus simples qu’elles ne
le sont en réalité, mais il n’en demeure pas moins qu’il permet de voir les vertus d’un exercice de
concertation entre les différents acteurs publics concernés par un projet qui en apparence ne semblait
en concerner qu’un seul. D’autre part, cet exemple illustre également l’avantage d’une
communication claire de ses préoccupations. Si tous les acteurs concernés rendent leurs objectifs et
enjeux lisibles, il devient plus facile de travailler à la détermination de ce qui est d’intérêt public.
Ajoutons également que l’ensemble des enjeux que nous avons évoqués devraient aussi s’appuyer sur
des données claires et objectives pour que tous les acteurs concernés puissent exercer leur jugement
adéquatement. Les questions de densité du quartier, de mixité générationnelle, de mise aux normes
d’un vieil immeuble et d’aménagement d’un terrain public ne peuvent être mobilisées sans
qu’interviennent des spécialistes sur ces questions et que ceux-ci s’efforcent de les rendre lisibles
auprès de tous.

Rendre lisible l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, c’est l’aider à remplir sa finalité
d’intérêt public. La lisibilité d’un projet public est indissociable de son appropriation par les parties
prenantes. C’est cette lisibilité qui leur permet de coopérer et de trouver un dénominateur commun
dans ce qui les intéresse et les préoccupe de façon plus particulière. Comme le souligne Pierre
Rosanvallon, « les institutions et les politiques doivent en effet être lisibles pour être appropriables.
La démocratie consiste dans cette possibilité, alors que l’illisibilité revient à une forme de
confiscation »644.

Soulignons également qu’il existe une littérature abondante sur l’importance de favoriser la
transparence dans l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Pour certains, celle-ci est primordiale
pour assurer une saine concurrence entre les entreprises qui souhaitent obtenir des contrats publics645.
Pour d’autres, il s’agit surtout d’un instrument qui permet aux citoyens de surveiller l’intégrité des
procédures d’appel d’offres646. Dans tous les cas, une chose est certaine, c’est que de très nombreuses
voix s’accordent pour plaider en sa faveur. Or contrairement aux approches des auteurs que nous

644
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 234.
645
Voir l’article de Gilles Guiheux qui dresse un excellent portrait des raisons qui incitent les administrations
publiques à miser sur la transparence de l’activité contractuelle étatique pour assurer l’effectivité du modèle
concurrentiel que la plupart des gouvernements cherchent à insuffler dans le domaine des contrats publics :
Gilles GUIHEUX, « La mise en concurrence et transparence des contrats administratifs français : entre novation
et tradition », (2006) 36-4 Revue générale de droit 785.
646
C’est là toute la raison d’être de l’organisme Transparency International qui travaille notamment à prévenir
et combattre la corruption dans les activités gouvernementales : « Transparency International - The Global Anti-
Corruption Coalition », en ligne : <https://www.transparency.org/>. Voir également : A. CERRILLO-I-
MARTÍNEZ, préc., note 17.

257
venons de citer dont le cœur des propositions repose sur la notion de transparence, le concept de
lisibilité tel que développé par Pierre Rosanvallon va encore plus loin et nous semble encore plus
prometteur sur le plan de la recherche de l’intérêt public, car il refuse de résumer la transparence à un
exercice de simple visibilité Pour que les nombreux outils qui visent à rendre l’Administration
publique plus transparente puissent contribuer à définir le contenu de l’intérêt public lors de l’exercice
du pouvoir contractuel de l’État, encore faut-il qu’ils puissent être accessibles, compris et
intelligibles. C’est précisément ce à quoi aspire cet impératif de lisibilité.

Paragraphe II – Des organismes adjudicateurs responsables

La seconde qualité qui devrait caractériser l’action gouvernementale pour lui permettre de
progresser vers un idéal démocratique est celle de la responsabilité. « La responsabilité est le passif
qui vient équilibrer l’actif de tout pouvoir »647 rappelle Pierre Rosanvallon. C’est en vertu du principe
de responsabilité que les citoyens sont autorisés à exercer une certaine forme de surveillance et de
contrôle à l’égard de l’Administration publique. Celle-ci a pour mandat de servir l’intérêt public et
elle doit être imputable à l’endroit de ses mandants, les citoyens.

Rosanvallon parle plus précisément de la « responsabilité-reddition de comptes », laquelle se


décline en trois volets : (A) la diffusion de la comptabilité de l’Administration publique, (B)
l’obligation pour celle-ci de justifier les actes qu’elle entend poser et (C) l’évaluation postérieure des
programmes et politiques qu’elle met en œuvre. C’est donc en ouvrant ses livres, en justifiant et en
permettant que soient évalués ses actes, que l’Administration fait preuve de responsabilité

A – Diffuser la comptabilité

La mise à la disposition du public de la comptabilité de l’Administration « s’inscrit dans le


registre de la lisibilité, dans son acceptation la plus passive »648. C’est pourquoi des organismes tels
que le vérificateur général du Québec ou encore le directeur parlementaire du budget du Canada sont
essentiels. D’une part, ils incitent l’Administration publique à gérer les fonds publics de manière
responsable, en la plaçant sous une surveillance continue. D’autre part, elles facilitent la lisibilité des

647
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 253; Olivier BEAUD et Jean-Michel BLANQUER (dir.), La responsabilité
des gouvernants, coll. Droit, Paris, Descartes, 1999, p. 12 cités par P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 253.
648
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 269.

258
finances publiques en décortiquant des données très techniques et en les commentant, ce qui permet
aux citoyens d’exercer leur jugement critique vis-à-vis de celles-ci.

B – Justifier les actes

Quant à l’obligation pour l’Administration publique de justifier les actes qu’elle pose,
« c’est dans ce cadre que prend sens l’idée de la démocratie comme régime qui oblige un pouvoir à
s’expliquer »649. Encore ici, cette idée n’est pas très éloignée de celle de lisibilité. Rosanvallon précise
que le type de justification auquel il réfère est de nature interactive, relationnelle. L’Administration
doit s’expliquer publiquement dans un forum ouvert. Ce forum doit permettre à toutes les parties
intéressées de s’exprimer, questionner et critiquer les propositions formulées par l’Administration.

Lorsqu’on pense à cette obligation qui incombe à l’Administration publique de se justifier,


l’image qui vient tout de suite en tête est celle de la période des questions à l’Assemblée nationale
lors de laquelle l’opposition questionne le gouvernement et lui demande de rendre des comptes à
l’égard de son administration. Mais comme le souligne Rosanvallon en traitant des risques de réduire
l’exigence de justification à la seule joute parlementaire « la difficulté est que le propre de
l’opposition est de procéder à une agglomération des critiques pour contester en bloc la validité d’une
politique considérée comme “générale”. D’où la nécessité ressentie par beaucoup de citoyens de
“dépolitiser” cette forme d’exercice de la responsabilité »650.

Il importe donc de prolonger cet exercice de justification à l’extérieur de l’arène politique


traditionnelle. L’Administration doit s’expliquer auprès des associations citoyennes, dans les médias
sociaux et partout où elle peut entrer en relation avec l’opinion publique. Toutefois, comme
Rosanvallon le souligne, l’opinion publique n’est plus, comme elle l’était jadis, monopolisée par les
voix de quelques corps intermédiaires (syndicats, médias et associations). Elle a maintenant une
« existence matérielle » grâce notamment au web sur lequel elle circule de toutes les façons et dans
toutes les directions. L’opinion publique « apparaît du même coup comme monstrueuse, multiforme,

649
Id., p. 270.
650
Id.

259
contradictoire, mêlant les rumeurs les plus insensées et les exposés les plus réfléchis, expression de
la vie réelle et projection en même temps de toutes les peurs et de tous les fantasmes »651.

Par conséquent, l’Administration ne peut plus apprécier l’opinion publique comme elle le
faisait auparavant. L’on sait pourtant à quel point il est important pour l’Administration publique, en
particulier dans la perspective de la démocratie administrative que nous défendons, de bien saisir les
attentes du public avec lequel elle interagit. Cela est tellement vrai qu’il arrive que la loi lui enjoigne
de fonder certaines de ses décisions sur l’opinion du public. C’est d’ailleurs précisément le cas dans
le domaine des contrats publics québécois. Rappelons en effet que la LCOP oblige l’AMF à ne
délivrer des autorisations de contracter avec l’État qu’aux entreprises qui satisfont aux critères élevés
d’intégrité auxquels le public est en droit de s’attendre652. Cette règle perd tout son sens si
l’Administration n’est pas en mesure de prendre le pouls du public pour connaitre ce à quoi il s’attend
en matière d’intégrité. Permettons-nous ici de mentionner que l’état actuel des choses, tel que nous
l’avons analysé dans la première partie, n’aide en rien à donner à cette obligation la portée qu’elle
devrait avoir.

Le fait que l’existence matérielle de l’opinion publique se décline en un nombre incalculable


de voix, parfois contradictoires, parfois incompréhensibles, rend la tâche très difficile pour
l’Administration. Comment peut-elle bien saisir l’opinion publique et comment peut-elle faire preuve
de responsabilité si l’on n’a pas la même compréhension du mandat qui lui a été confié ? Rosanvallon
suggère d’aider l’opinion publique à s’organiser, à se structurer : « Il est donc nécessaire pour donner
son plein effet à l’exercice de la responsabilité-justification que se trouvent peu à peu les moyens de
constituer l’opinion, au sens propre du terme. C’est là encore la question de la formation d’un nouveau
type d’organisations citoyennes, ayant une fonction de canalisation et de structuration de l’expression
sociale qui est posée avec urgence »653.

C – Évaluer les actes

Ce que Rosanvallon nomme la « responsabilité-évaluation » consiste en somme à mesurer


« l’effectivité et l’efficacité des politiques publiques »654. Dans cette perspective, être responsable

651
Id., p. 271‑272.
652
Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 21.27.
653
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 272.
654
Id.

260
commande de faire preuve d’introspection vis-à-vis de l’atteinte ou non des résultats préétablis
collectivement, de se questionner sur ce qui a fonctionné ou non dans un projet. Il s’agit d’un exercice
de réflexivité qui oblige l’Administration publique à interroger continuellement ses pratiques, à viser
l’amélioration continue en regard de l’objectif d’intérêt public qu’elle est censée servir. Cette
responsabilité-évaluation fait écho à la théorie deweyenne de la démocratie comme enquête. Dans les
deux cas, tout projet public, tel que celui qui fait l’objet d’un contrat public par exemple, ne doit pas
être envisagé comme un acte isolé de l’Administration publique. Il s’inscrit dans une continuité de
projets et ce qui fait le succès de l’un, c’est la capacité de tirer profit des expériences des autres projets
réalisés auparavant.

Notons que cette idée d’évaluer de façon plus systématique les actes de l’Administration
publique n’est pas étrangère aux préoccupations qui avaient été recensées par l’Ordre des architectes
du Québec dans le cadre des consultations menées auprès de la société civile québécoise et d’une
gamme très variée de parties intéressées par l’architecture. L’Ordre a rapporté que « [l]es participants
[rencontrés] ont aussi demandé que les projets fassent systématiquement l’objet d’évaluations post-
occupation afin de documenter ce qui fonctionne bien ainsi que ce qui fait problème dans les
nouveaux bâtiments, dans une perspective d’échange d’information et d’amélioration continue »655.
C’est donc dire que les techniques d’évaluation dans le milieu des contrats publics sont non seulement
souhaitables, mais également souhaitées.

La théorie deweyenne de la démocratie, au même titre que la théorie démocratique de


Rosanvallon, voit dans les techniques d’évaluation, telles que les audits par exemple, de puissants
instruments démocratiques. La sociologue Isabelle Berrebi-Hoffmann, dans un article portant sur les
procédés d’évaluation le rappelle d’entrée de jeu : « Le philosophe pragmatiste américain John
Dewey décrit le politique comme une expérimentation sociale et l’évaluation comme le signe d’une
démocratie avancée. L’évaluation s’impose à ses yeux comme une pratique nécessaire au sein d’une
logique démocratique moderne »656.

Dans cet article, Isabelle Berrebi-Hoffmann nous met toutefois en garde contre le risque de
réduire ces techniques d’évaluation à « une logique comptable avec les effets pervers de la réduction

655
ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, préc., note 40, p. 23.
656
Isabelle BERREBI-HOFFMANN, « Évaluation et élitisme : d’une alliance à l’autre », (2010) 128-1 Cahiers
internationaux de sociologie 79, 83‑84.

261
au quantitatif de ce qui n’est pas a priori mesurable ». Trop souvent, l’on confie à des évaluateurs
(auditeurs internes, agences de notation, etc.) le mandat d’évaluer une politique publique ou on projet
public avec des indicateurs qui ne sont pas suffisamment adaptés pour rendre compte de la réalité
sociale. La cause se trouve entre autres dans une « volonté de construction de mêmes indicateurs
simplifiés pour tous et toutes [et cela] pose dans [la] rationalité même [du fonctionnement de l’État]
un problème logique »657. Le risque est alors d’« automatiser le jugement »658, de confondre la
satisfaction des indicateurs avec la satisfaction des besoins sociaux qu’ils sont censés exprimer.

Pierre Issalys a bien montré que certaines techniques d’évaluation, telles que les analyses
d’impact, pouvaient constituer des vecteurs démocratiques659. Toutefois, encore faut-il que celles-ci
passent de la rationalité économique qui les conditionne actuellement à une rationalité de légitimité.
L’auteur mentionne en introduction de son article que « [l]’évaluation prospective des projets de loi,
des projets de règlement, voire même d’un ensemble encore plus large de mesures étatiques, est
aujourd’hui pratiquée dans un grand nombre de pays »660. Examinant le fonctionnement de ces
pratiques au Canada et dans certains pays d’Europe, il remarque que celles-ci ont été initialement
pensées – et qu’elles le sont encore pour beaucoup - sous l’égide d’une « conception néolibérale de
l’action d’un État minimal » en ce sens où « l’analyse d’impact est présentée comme l’une des
techniques susceptibles de garantir que l’action publique soit subordonnée à l’objectif d’efficacité
optimale du système économique [et] comme devant concourir à l’efficacité de l’action publique par
la maximisation des résultats de cette action et la minimisation de ses coûts »661.

Les pratiques qui ont été examinées par le professeur Issalys sont emprisonnées dans la même
logique économico-budgétaire que les contrats publics québécois dont nous avons analysé en détail
le cadre normatif. Or, si nous souhaitons affranchir les contrats publics de cette logique, il ne faut
surtout pas les soumettre à des procédés d’évaluation qui auraient comme logique intrinsèque la
recherche de l’efficacité. Il faut plutôt, comme le propose le professeur Issalys à l’égard des dispositifs
d’évaluation en général, viser un élargissement de cette perspective économico-budgétaire de manière

657
Id., 88‑89.
658
Id., 89.
659
Pierre ISSALYS, « Analyse d’impact et production normative: de l’efficacité à la légitimité », Revista da
Faculdade de Direito da Universidade Federal de Minas Gerais 2013.245.
660
Id., 246.
661
Id., 250.

262
à ce que les projets qui font l’objet des contrats publics soient évalués de manière plus qualitative et
plus inclusive, qu’ils s’adaptent au « retour du complexe et du politique »662.

En somme, lorsqu’on jumelle les thèses défendues par Rosanvallon et Dewey aux constats
du professeur Issalys, il faut en retenir deux choses à l’égard du pouvoir contractuel de l’État.
Premièrement, que les techniques évaluatives peuvent constituer un important vecteur de
démocratisation des contrats publics. Elles permettent aux organismes publics qui contractent
d’évaluer la qualité de leurs procédures et de leurs projets en fonction des résultats attendus de ceux-
ci. L’évaluation en amont des projets qui font l’objet des contrats publics (analyse prospective
d’impacts) et l’évaluation en aval de ceux-ci (analyse des résultats) fournissent des informations
essentielles à l’ensemble des parties prenantes impliquées dans la recherche de ce qui est d’intérêt
public et leur permettent, a posteriori, d’évaluer la conformité du projet à l’intérêt public. Par
exemple, si dans un contexte donné, l’on juge qu’il est dans l’intérêt public qu’un projet soit réalisé
dans le respect des normes environnementales les plus strictes étant donné qu’il est situé sur les rives
d’un cours d’eau, une analyse prospective d’impact permettra d’anticiper les conséquences
environnementales des différents scénarios envisageables. Une fois le projet réalisé, d’autres analyses
pourront être menées afin de vérifier si le scénario retenu a été aussi respectueux de l’environnement
que ce qui était souhaité. Dans l’affirmative, l’on conclura que le scénario retenu était le bon et à
l’inverse, ces mêmes analyses permettront de réajuster le tir lors de prochains projets.

En second lieu, il faut retenir que l’évaluation des projets qui font l’objet des contrats publics
doit se faire selon une approche démocratique si l’on veut éviter de tomber dans une logique purement
économique comme celle qui domine, dans bien des cas, les pratiques examinées par le professeur
Issalys. Par démocratique, il faut entendre la possibilité de soumettre les processus d’évaluation à un
débat public inclusif capable de rendre compte de la réalité sociale et de la complexité politique qui
prévalent dans chaque contexte. C’est ce qui permet d’évaluer concrètement si un projet correspond
à ce qui est jugé dans l’intérêt public. Cela est nécessaire pour sortir de ce « sentiment que l’évaluation
prospective réalisées selon les méthodes d’[analyses d’impact] en usage laisse subsister bien des
“angles morts”, c’est-à-dire des impacts inaperçus et pourtant extrêmement significatifs pour certains
acteurs sociaux »663.

662
Id., 263.
663
Id.

263
*****

Pour conclure sur le sujet de la responsabilité des pouvoirs adjudicateurs, ajoutons que cette
responsabilité signifie également que ces pouvoirs doivent répondre de leurs engagements en regard
de la loi. Les tribunaux jouent à cet égard un rôle important en ce qu’ils veillent à la légalité des actes
de l’Administration. Au Québec, l’État, que ce soit dans le cadre de ses activités contractuelles ou
autrement, est assujetti au pouvoir général de contrôle judiciaire de la Cour supérieure. Chaque fois
qu’un citoyen estime que l’Administration publique n’a pas agi conformément au droit en vigueur, il
peut saisir la Cour supérieure afin de demander l’annulation de l’acte commis en violation de la loi.
Il aura droit au même remède si l’Administration a posé un acte en violation de la procédure prescrite,
ou autrement dit, en violation de son devoir d’agir équitablement. Il est évidemment essentiel que les
tribunaux puissent veiller à la légalité des actes posés par l’Administration publique. Cela renforce
sans aucune doute la responsabilité de l’Administration vis-à-vis de ses mandants. Par contre, cela
n’est pas suffisant. L’accessibilité à la justice étant ce qu’elle est et le contexte d’adversité qui
caractérise tout recours judiciaire ne peuvent être les seuls moyens de contrôler la responsabilité de
l’Administration publique. C’est pourquoi les autres modalités de la responsabilité gouvernementale
(comptabilité ouverte, justification et évaluation) sont aussi importantes pour assurer aux citoyens et
à l’ensemble des parties prenantes impliquées dans les contrats publics que le pouvoir contractuel de
l’État soit exercé de façon responsable.

Paragraphe III – Faire preuve de réactivité et d’interactivité

La troisième qualité démocratique qui devrait caractériser l’exercice du pouvoir contractuel


de l’État est celle que Pierre Rosanvallon nomme la « réactivité », en référence au concept anglais de
responsiveness. Dans le contexte où les citoyens se sentent de moins en moins écoutés et qu’ils ont
l’impression de n’avoir aucune emprise sur les affaires publique, cette qualité devient indispensable
selon Rosanvallon. La réactivité est, dans cette perspective, la capacité des pouvoirs publics d’être à
l’écoute des citoyens et d’ajuster leurs actions en conséquence. Une Administration publique qui fait
preuve de réactivité est une administration qui se montre disponible et accessible tout en étant capable
de traduire concrètement en actes les besoins qu’elle cherche constamment à capter et à décoder.

264
Par ailleurs, il nous apparait important de prendre nos distances vis-à-vis de la connotation
« citoyens-clients » que revêt très souvent la notion de responsiveness dans la littérature664. C’est pour
cette raison qu’il nous semble préférable de ne pas parler de réactivité sans souligner le caractère
interactif qui devrait caractériser toute démarche visant à exiger de la part de l’Administration qu’elle
soit à l’écoute des besoins de la population. C’est pour cette raison que nous écrivons que
l’Administration publique, lors de l’exercice de son pouvoir contractuel, devrait faire preuve de
réactivité et d’interactivité. Nous ne croyons pas que cela dénature la pensée de Pierre Rosanvallon.
Au contraire, dans la section de son livre qui est consacrée au principe de réactivité, il parle à maintes
reprises de l’importance de faire interagir les pouvoirs publics avec la société. Citant François Guizot,
il estime en effet qu’il y aurait lieu de redonner pleine mesure à cette idée que l’exercice d’un pouvoir
public doit s’appuyer sur une connaissance aussi juste que possible de la société : « Tout
gouvernement, pour assurer sa survie, doit satisfaire aux besoins de la société qu’il régit et chercher
ses racines dans les intérêts moraux et matériels de son peuple »665. Selon Rosanvallon, Guizot a été
l’un des précurseurs de cette idée d’interactivité sociale dans l’exercice des pouvoirs publics. Il s’agit
aujourd’hui d’achever cette idée « en développant et en radicalisant ces intuitions, et en leur donnant
une forme institutionnelle »666. C’est l’institutionnalisation de cette interaction qui a le potentiel de «
redonne[r] du pouvoir aux citoyens en obligeant les gouvernants à mieux réagir à leurs attentes »667.

D’autre part, pour que l’Administration publique puisse mieux réagir aux attentes du public
et qu’elle puisse se placer en situation d’interaction, encore faut-il que les citoyens puissent
s’exprimer et que les canaux de communication à leur disposition leur donnent la possibilité de
participer de façon effective à la définition de l’intérêt public. Car, comme le remarque Pierre

664
Voir l’article d’Eran Vigoda qui explique très en quoi la NGP a fait du citoyen un client à satisfaire, le
dépouillant ainsi de son rôle politique dans l’élaboration des politiques publiques de toutes sortes. Eran VIGODA,
« From Responsiveness to Collaboration: Governance, Citizens, and the Next Generation of Public
Administration », (2002) 62-5 Public Administration Review 527. Voir également le texte de David Giauque
qui fait remarquer que le fait de transformer le citoyen en simple client a des conséquences collatérales sur
l’organisme public en tant que tel : « Le corollaire en est que les institutions sociales qui sont liées aux différents
rôles ainsi subordonnés sont elles-mêmes soumises à la logique dominante. Par exemple, quand un citoyen ou
un contribuable devient avant tout un client des services publics, l’institution gouvernementale s’en trouve
également changée. Si le citoyen est simplement un client, alors il est clair qu’il est uniquement concerné par
le service final (la prestation), non pas par le processus du gouvernement ni par ses valeurs ultimes. La pratique
confirme cette attitude et une partie de l’idée de la responsabilité démocratique est ainsi perdue. » David
GIAUQUE, « Science et management public ou l’histoire d’une relation ambiguë. Le cas de la nouvelle gestion
publique », (2002) 4-1 Éthique publique, 10, en ligne : <http://journals.openedition.org/ethiquepublique/2480>
(consulté le 23 décembre 2018).
665
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 282. Citant François GUIZOT, Archives philosophiques, politiques et
littéraires, t.1, no 3, 1817, p. 274.
666
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 287.
667
Id.

265
Rosanvallon, « les modes d’expression de la société […] doivent être refondés, tant ils sont
aujourd’hui atrophiés, rétrécis aux manifestations d’une démocratie négative ou à la réduction
sondagière comme à l’atomisation des réseaux sociaux »668.

Réduites à de tels modes d’expression, les prises de position des citoyens se limitent trop
souvent à un appui ou à un rejet de ce qui est proposé ou réalisé par l’Administration publique.
L’expression citoyenne consiste alors à choisir son camp, soit on est contre, soit on est pour. C’est
d’ailleurs le danger que présentent plusieurs démarches consultatives menées par les pouvoirs publics
dans différents contextes. L’on présente un projet ou une politique aux citoyens et on leur demande
de dire si ça leur convient ou non. Nous sommes bien loin d’une démarche interactive de co-
construction où le public est invité à penser le projet ou la politique en amont, de concert avec les
pouvoirs publics. Faire participer plutôt que consulter est un mode de captation de l’expression
citoyenne beaucoup plus à même de traduire les attentes du public dans toute leur complexité. C’est
également ce qui permet à l’Administration de réagir adéquatement aux attentes du public et de
pouvoir qualifier son action de réactive.

C’est dans ce contexte qu’il faut viser une meilleure interaction entre les pouvoirs publics et
les citoyens. C’est le prérequis pour stimuler la réactivité des premiers vis-à-vis des attentes des
seconds. Cette interaction doit s’articuler autour d’une conception du public qui soit fidèle à la
diversité des contextes dans lesquels chacun se trouve. Pour Rosanvallon, « le mot “peuple” ne peut
s’appréhender que dans la diversité des conditions sociales et des épreuves de vie qui en déclinent la
réalité pratique »669.

Pour institutionnaliser ces démarches d’interaction entre l’Administration publique et les


citoyens, Rosanvallon suggère quelques pistes de réflexion sur le plan pratique. Il propose entre autres
d’instaurer des institutions permanentes, telles que des « organisations de vigilance citoyenne
spécialisées dans la surveillance des gouvernants (en matière de réactivité, d’exercice des
responsabilités ou de critique de la parole politique, par exemple) et menant un travail d’implication,
de formation et d’information des citoyens »670. Dans le domaine des contrats publics, il pourrait être

668
Id., p. 287‑289.
669
Id., p. 297‑298.
670
Id., p. 385.

266
intéressant au Québec de s’inspirer d’organismes tels que Open Governement Partnership671 ou
encore d’élargir la mission d’organismes tels que Nord Ouvert672, lequel se consacre à une mission
semblable, mais qui pourrait développer un axe de vigie dédié entièrement à l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État.

Rosanvallon suggère aussi, et cela nous semble particulièrement propice dans le domaine des
contrats publics, d’instaurer des instances interactives temporaires, lesquelles « pourraient prendre la
forme de conférences ad hoc mises sur pied pour examiner, à l’écart des logiques partisanes, de grands
enjeux sociaux »673. Sur le plan de leur mission, il précise qu’elles « pourraient avoir comme tâche
principale de proposer un cadre et une méthode d’organisation d’un débat public plus large, une
Autorité du débat démocratique étant chargée de les mettre en place – élargissant ainsi à de grandes
questions transversales ce que tente de faire en France la Commission nationale du débat public sur
des projets spécifiques, en matière d’environnement ou d’aménagement du territoire »674.

Il serait tout à fait opportun de tenir un grand débat public sur les enjeux des contrats publics
québécois. Au-delà des débats ponctuels qui pourraient être organisés à l’égard de certains projets
publics afin de déterminer, dans le contexte particulier de ceux-ci, ce que constitue l’intérêt public, il
serait en effet important de tenir une grande discussion sur la façon d’organiser de manière générale
l’activité contractuelle de l’État. Il serait souhaitable, par exemple, de soumettre à la discussion la
pertinence de maintenir la règle du plus bas soumissionnaire conforme. Ou encore de discuter du
poids relatif qui devrait être accordé à certains critères tels que le respect de l’environnement ou la
proportion minimale de « contenu local ». L’idée de soumettre tous les cocontractants de l’État à un

671
Basée à Washington D.C., cette organisation qui n’est pas exclusivement citoyenne, mise sur l’interaction
entre la société civile et des représentants de l’Administration publique et se consacre notamment à la vigie des
actions gouvernementales qui visent à favoriser la transparence : « Open Government Partnership brings
together government reformers and civil society leaders to create action plans that make governments more
inclusive, responsive and accountable. In the spirit of multi-stakeholder collaboration » « About OGP », Open
Government Partnership, en ligne : <https://www.opengovpartnership.org/about/about-ogp> (consulté le 14
décembre 2018). L’organisme décrit sa mission en ces termes : « OGP’s vision is that more governments
become sustainably more transparent, more accountable, and more responsive to their own citizens, with the
ultimate goal of improving the quality of governance, as well as the quality of services that citizens receive.
This will require a shift in norms and culture to ensure genuine dialogue and collaboration between
governments and civil society ». « Mission and Strategy », Open Government Partnership, en ligne :
<https://www.opengovpartnership.org/mission-and-strategy> (consulté le 14 décembre 2018).
672
« Fondé en 2011, Nord Ouvert est le principal organisme sans but lucratif du Canada spécialisé dans les
données ouvertes, les gouvernements ouverts, la participation communautaire, les villes intelligentes et la
technologie civique. » « À propos de nous », NordOuvert, en ligne : <http://www.nordouvert.ca/a-propos>
(consulté le 14 décembre 2018).
673
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 299.
674
Id.

267
test préalable d’intégrité, comme c’est actuellement le cas, devrait aussi être débattue. A fortiori, le
contenu de cette norme d’intégrité devrait lui aussi faire l’objet d’une réflexion et d’une discussion.
Bref, l’objectif serait d’établir en commun, sous la forme de ce qui pourrait ressembler à des états
généraux sur le pouvoir contractuel de l’État, les grandes règles qui gouvernement les contrats
publics. Ce serait là, à notre avis, la première étape à franchir pour libérer l’activité contractuelle de
l’État de la rationalité budgétaire qui la domine et qui s’est imposée d’elle-même, sans réflexion sur
ce qui fait que le pouvoir contractuel de l’État s’exerce dans l’intérêt public.

Notons au passage que cette discussion a déjà commencé, comme nous le mentionnions
brièvement dans l’introduction de cette thèse, avec la vaste consultation menée par l’Ordre des
architectes du Québec en 2017. Cette démarche a permis d’adresser plusieurs questions ayant trait à
l’encadrement des contrats publics québécois, dont la fameuse question du plus bas soumissionnaire
conforme. Le Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture publié par l’Ordre au terme
de sa consultation en fait explicitement mention :

D’emblée, un consensus émerge parmi les participants à nos activités de consultation :


la règle du « plus bas soumissionnaire » dans l’octroi de contrats municipaux est un
obstacle à la qualité architecturale, car elle pousse les architectes à réduire le temps qu’ils
consacrent à la conception et à la recherche des meilleures solutions. Le critère du prix
peut subsister dans le choix des soumissionnaires, mais il ne devrait pas être décisif, ce
qui permettrait d’accorder au moins autant de poids aux critères relatifs à la qualité de la
candidature. […] Par ailleurs, la « règle du plus bas soumissionnaire » est toujours en
vigueur pour le choix des entrepreneurs, et ce, tant au niveau municipal que provincial.
Or, notre consultation a permis de recueillir de nombreux témoignages déplorant cette
pratique. En choisissant l’option la moins coûteuse, on risque d’obtenir une exécution
moins soignée et d’avoir à composer avec des demandes d’« extras » de la part
d’entrepreneurs qui ont – sciemment ou non – sous-évalué le prix demandé au départ.675

Enfin, nous ne pouvons conclure cette section sans parler d’un élément absolument
incontournable pour assurer que toute démarche d’interaction entre l’Administration publique et la
société puisse se dérouler de façon inclusive : l’existence d’un tiers indépendant. Pour s’assurer que
l’exercice démocratique du pouvoir contractuel de l’État suive une démarche inclusive, il importe
d’institutionnaliser une instance qui soit en mesure de protéger la participation des parties les moins
outillées pour participer au débat. Cela sera d’autant plus important lorsque le projet public faisant
l’objet du contrat est appelé à se concrétiser au sein d’une communauté où le public est généralement

675
ORDRE DES ARCHITECTES DU QUÉBEC, préc., note 40, p. 23.

268
considéré comme étant plus « vulnérable ». L’importance, en pareilles circonstances, d’un « tiers
garant » est bien exprimée par Loïc Blondiaux :

Cette condition, c’est le plus souvent l’intervention d’un tiers garant, d’un pouvoir
arbitral et neutre, placé à équidistance entre les différents acteurs en présence, autonome
par rapport au décideur et capable de faire respecter les règles du jeu de la concertation.
Ce tiers garant peut prendre des formes différentes selon les dispositifs : comité de
pilotage indépendant pour les conférences de citoyens, Commission nationale du débat
public, médiateur ou facilitateur dans d’autres configurations.676

La compatibilité entre l’institutionnalisation de la participation et la préservation de son


caractère démocratique dépend précisément de l’existence d’une autorité indépendante chargée de
veiller à ne pas faire prévaloir l’importance du consensus sur l’importance de la critique :

Au final, l’institutionnalisation de la participation démocratique n’aboutit pas


nécessairement à l’éradication des conflits et à la production d’un consensus sous l’égide
de l’autorité politique organisatrice. Les dispositifs contemporains de participation et de
délibération sont toujours le lieu d’une tension entre la recherche d’un consensus et
l’expression d’une critique, qui pourra prendre d’autant plus facilement appui sur les
principes dont la procédure se réclame que les règles du jeu seront claires et défendues
par une autorité indépendante. Le caractère démocratique de ces nouvelles institutions
de la démocratie tient précisément à l’impossibilité que l’une de ces logiques puisse
l’emporter sur l’autre.677

L’existence d’un « tiers garant » nous semble par ailleurs souhaitable non seulement pour
assurer le caractère inclusif et démocratique de tout débat public, mais également pour maintenir la
confiance des citoyens envers les dispositifs participatifs à mettre en place dans le domaine des
contrats publics.

Section IV - Exiger certaines qualités de la part des agents publics et de la part des
cocontractants de l’État

Dans la dernière partie de son ouvrage, Pierre Rosanvallon traite des qualités qui devraient
caractériser les personnes qui sont titulaires de charges publiques, ce qu’il nomme « les figures du
bon gouvernant »678. À ses yeux, il importe de s’y intéresser, car « [l]a qualité des acteurs du monde

676
L. BLONDIAUX, préc., note 635, 146.
677
Id.
678
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 305.

269
politique devient une variable clef du jugement des citoyens, et de l’efficacité de l’action aussi ».
Mettre l’accent sur la qualité des agents publics et non seulement sur les paramètres de leur action est
dorénavant incontournable. Il écrit : « Quand les idéologies déclinent, quand la définition de l’intérêt
général s’avère plus problématique et quand l’avenir paraît incertain et menaçant, ce sont en effet les
talents et les vertus des gouvernants, pour employer des mots d’autrefois, qui font significativement
retour et servent de points de repère ».

Ces figures du bon gouvernant sont à même de contribuer à l’instauration d’une démocratie
de confiance, elle-même partie intégrante, avec la démocratie d’appropriation que nous venons de
voir, du cadre général de la démocratie d’exercice que Rosanvallon appelle de ses vœux.

Ce sont ces figures de bon gouvernant qui sont susceptibles de redonner confiance dans la
démocratie comme régime politique. Rosanvallon traite de deux grandes qualités que tout bon
titulaire de charge publique devrait posséder : « l’intégrité » et le « parler vrai ». De telles qualités
sont certainement susceptibles de contribuer à rétablir l’intégrité des procédures d’octroi des contrats
publics. Il nous semble particulièrement important de miser sur de telles qualités sachant que la
confiance du public a été grandement ébranlée dans la foulée des révélations de la Commission
Charbonneau.

D’autre part, ces qualités des agents publics ne peuvent suffire à instaurer une démocratie de
confiance dans le domaine des contrats publics. Il faut également que ces qualités définissent le
comportement des cocontractants de l’État. Lorsqu’une entreprise privée réalise un contrat public,
elle se trouve momentanément investie d’une mission de service public. Il est alors normal pour la
population de s’attendre à ce que les qualités qu’elle exige généralement de l’Administration publique
conditionnent aussi le comportement des partenaires de cette dernière.

Paragraphe I – Du côté de l’Administration publique

Par « parler vrai », Rosanvallon renvoie à un langage politique « créat[eur] de liens et vecteur
d’intercompréhension, d’un côté, et permettant d’explorer efficacement la réalité, de l’autre
(productrice de sens et de connaissance) »679. Il peut sembler difficile, à première vue, de relier cette

679
Id., p. 327.

270
caractéristique à l’activité contractuelle de l’État, mais en y pensant bien, un projet public
démocratique, au même titre que les politiques publiques en général dont parle Rosanvallon, implique
« de donner un langage à ce que vivent les gens, de rendre lisibles l’action publique, ses objectifs et
ses vicissitudes, de trouver les mots qui expriment à un moment donné le sens d’une épreuve ou d’une
fierté collective »680.

Cet appel à l’authenticité des gouvernants procède d’un objectif plus large qui consiste à
rendre lisible l’action publique. Parler vrai est aussi une composante d’un agir communicationnel de
qualité. Dans le cadre d’un échange entre des parties qui souhaitent identifier ce qui est d’intérêt
public, la véracité des arguments et des données communiquées est essentielle pour que le débat
puisse se faire correctement et en toute connaissance de cause.

La seconde qualité dont devraient faire preuve les agents publics est celle de l’intégrité. Selon
Pierre Rosanvallon, « l’exigence d’intégrité des gouvernants s’inscrit certes toujours dans une […]
tradition de rejet de la corruption comme subversion morale et institutionnelle d’un bon ordre
politique. Mais elle a en même temps changé de nature et pris une importance accrue, du fait du
passage d’une politique des programmes à une politique des personnes »681. Le fait que l’accent soit
désormais sur les personnes plutôt que sur les programmes a eu des répercussions sur la façon dont
est perçu l’intérêt public. Puisque celui-ci est aujourd’hui « plus difficile à appréhender dans son
contenu positif, [il] a tendu à être plus modestement assimilé à une forme : celle de l’identification
positive des personnes aux fonctions qu’elles occupent »682.

Dans la perspective de Rosanvallon, l’intégrité d’un gouvernant peut prendre différentes


formes. Elle est parfois assimilée au dévouement et à la loyauté dont celui-ci fait preuve dans le cadre
de ses fonctions. À l’inverse, un agent public qui est soupçonné de prioriser ses propres intérêts au
détriment de ceux qu’il est censé défendre attirera une forte réprobation publique. L’intégrité peut
également être assimilée à la modération et à la parcimonie dont ils font preuve dans l’exercice de
leurs fonctions. Rosanvallon entend ici leur aptitude à ne surtout pas « gaspiller » de fonds publics,
l’opinion publique sur ce point étant particulièrement sensible. Notons que cette sensibilité entretient
probablement des liens avec l’assimilation généralisée de l’intérêt public à sa dimension budgétaire.

680
Id., p. 328.
681
Id., p. 353.
682
Id.

271
Être intègre, c’est également « parler vrai », faire preuve d’authenticité, ce qui recoupe l’autre qualité
discutée plus tôt.

L’intégrité peut également être assimilée à une question de transparence. Rosanvallon renvoie
aux idées défendues par Jean-Jacques Rousseau selon qui « la transparence était […] la base de toute
morale [et pour qui le] juste rapport à autrui impliquait […] de bannir le secret et la dissimulation ».683
L’idéal de transparence défendu par Rousseau représentait bien plus qu’une vertu personnelle, il
s’agissait du prérequis nécessaire pour qu’un tissu social puisse se construire. C’est en étant
transparents les uns envers les autres que les individus se rendaient disponibles à la construction d’un
lien social. Rosanvallon l’exprime très bien en écrivant que « l’authenticité à laquelle correspondait
cette transparence faisant coïncider l’individuel et l’universel. »684.

Enfin, nous croyons utile d’enrichir cette définition de l’intégrité chez les agents publics par
certains travaux qui ont été menés en éthique publique et dont nous nous limiterons à dire quelques
mots. Comme le mentionne Pierre Bernier, « dans tous les systèmes démocratiques, des normes de
conduite élevées dans le service public constituent à nouveau une question politique essentielle et
prioritaire pour les gouvernements »685. Celui-ci affirme que c’est la responsabilité qui devrait en
premier lieu guider l’action des agents publics :

[L]’exercice de la responsabilité à tous les échelons de la chaîne hiérarchique qui est au


cœur du système administratif public, comporte cinq obligations, qui doivent être
satisfaites simultanément : prévoir et prévenir ; agir à temps ; le cas échéant, réparer ;
rendre compte des activités, des résultats obtenus, des moyens utilisés et, implicitement,
des aptitudes manifestées ; accepter de se soumettre à une évaluation et à la sanction
(positive ou négative) qui en découle et dont la nature et les critères d’application doivent
être connus à l’avance686

683
Id., p. 357. Rosanvallon qualifie la transparence défendue par Rousseau d’utopique, non pas le sens péjoratif
qui est souvent associé à cette expression de nos jours, mais dans le sens d’un idéal réaliste alimenté par un
imaginaire qui permet de mieux discerner les contours de cet idéal. Rosanvallon cite le passage suivant du
Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité parmi les hommes pour étayer son propos: « Si j'avais
eu à choisir le lieu de ma naissance, j'aurais choisi une société d'une grandeur bornée par l'étendue des facultés
humaines, c'est-à-dire par la possibilité d'être bien gouvernée […]: un État où tous les particuliers se connaissant
entre eux, les manœuvres obscures du vice ni la modestie de la vertu n'eussent pu se dérober aux regards et au
jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connaître, fit de l'amour de la patrie l'amour
des citoyens plutôt que celui de la terre ». J.-J. ROUSSEAU, préc., note 218, p. 5.
684
P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 359.
685
P. BERNIER, préc., note 30, 1.
686
Id., 5.

272
Dans un texte portant sur les « valeurs contemporaines de la fonction publique québécoise »,
Louis Sormany, actuellement secrétaire adjoint à l’éthique et à la législation au sein du Conseil
exécutif du Québec, note l’importance pour les agents publics d’épouser certaines valeurs
démocratiques dans le cadre de la mission de service public qui leur est confiée, ce qui implique pour
ceux-ci d’être imputables687, loyaux688 respectueux des lois689 et disposés à servir l’intérêt public690.
À ces valeurs, s’ajoutent celles que l’auteur qualifie de professionnelles. Celles-ci « comprennent,
notamment, la compétence professionnelle, l’excellence, l’efficacité, la franchise, l’objectivité et le
souci de bien informer, la fidélité à la confiance nécessaire de la part du public et la recherche de la
qualité des services publics mis à la disposition des citoyens »691. Les agents publics devraient
également être animés par des valeurs éthiques dont l’auteur énumère quelques exemples :
« l’intégrité, la neutralité, la prise effective de responsabilités, la prudence, la justice, l’impartialité,
la fiabilité, la discrétion, le respect de la loi et des procédures établies et la saine gestion des ressources
publiques »692. Enfin, il importe pour les agents publics de développer certaines valeurs liées aux
personnes que l’auteur décrit comme pouvant être qualifiées d’existentielles. Ces valeurs que l’on
peut incarner ou vivre sont, notamment, la rigueur, la modération, le savoir-vivre, le sens de la mesure,
le sens de la responsabilité, la compassion et l’empathie »693.

S’il est vrai que les différents codes d’éthique auxquels sont assujettis les élus, les
fonctionnaires ou encore les agents publics qui sont également membres d’ordres professionnels
peuvent parfois faire état de valeurs comme celles que nous venons d’évoquer, ces codes ne peuvent

687
« L’obligation de rendre compte est l’un des fondements d’un gouvernement démocratique dans un régime
parlementaire. Cette obligation va de pair avec l’autorité. C’est cette obligation qui distingue l’autorité légitime,
car elle exige, de la part des détenteurs du pouvoir, qu’ils rendent compte de la façon dont ils l’exercent, de la
qualité de leur gouverne et de leur gouvernance, ainsi que de l’étendue de leurs efforts pour apporter des
solutions aux problèmes et améliorer les choses du domaine public » L. SORMANY, préc., note 30, 2.
688
« Les fonctionnaires doivent faire preuve d’autant de loyauté qu’ils doivent manifester de rigueur et de
franchise dans les conseils donnés à leurs supérieurs. La loyauté à l’égard de l’intérêt public, tel qu’il est
représenté et interprété par le gouvernement démocratiquement élu et exprimé dans les lois adoptées par
l’Assemblée nationale, est l’une des valeurs considérées comme les plus fondamentales de la fonction publique.
De nombreuses autres valeurs, telles que l’intégrité, la justice et l’impartialité y sont liées ou en tirent leur
force » Id., 3.
689
« La fonction publique doit être animée par une conviction indéfectible quant au respect des lois et quant au
devoir de les défendre avec intégrité, impartialité et discernement. Comme les fonctions qu’elle doit exercer
ont une influence sur les droits de la population du Québec, elles ne peuvent être exécutées avec légitimité,
justice et équité que dans un cadre où la loi prime et où les règles établies sont appliquées » Id.
690
« Le désir et l’obligation de servir l’intérêt public sont les fondements normatifs de l’emploi dans le secteur
public. Donner en tout temps la priorité au bien public et à l’intérêt public, abstraction faite de tout intérêt
particulier ou personnel, tout cela représente à la fois la récompense et le tribut à payer pour être investi du
statut de fonctionnaire » Id.
691
Id., 4.
692
Id., 5.
693
Id., 6.

273
suffire à eux seuls. Tel que mentionné dans le rapport de la Commission Charbonneau, « [l]a
valorisation de comportements conformes aux normes éthiques de la part des acteurs des systèmes
publics constitue […] un élément central de la lutte à la collusion et à la corruption. Pour y parvenir,
les recommandations formulées ne peuvent se limiter à l’adoption de codes d’éthique : elles doivent
favoriser l’acquisition des connaissances et encourager la réflexion sur les comportements attendus
de la part des agents qui exercent des pouvoirs publics »694.

Enfin, soulignons qu’il est vain de faire porter l’éthique sur les seules épaules des agents
publics. Les très nombreuses qualités que nous venons d’évoquer sont bien entendu tributaires des
institutions publiques et de la façon dont celles-ci sont organisées et régies. Comme le font remarquer
André Lacroix et Yves Boisvert dans la conclusion de l’ouvrage qu’ils ont dirigé, Marchés publics à
vendre, « Au-delà des personnes et des marchés publics, il y a bien sûr les institutions publiques. Il
faut s’assurer d’y implanter des modes de gestion qui ne seront pas entièrement centrés sur la
performance, mais accorderont aussi une place importante à la qualité, au service aux citoyens et à la
mission de l’État »695.

Paragraphe II - Du côté des cocontractants de l’État

Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette thèse, les cocontractants de l’État
sont généralement sélectionnés en fonction du prix de leur prestation et non en fonction de leur
propension à servir l’intérêt public ou à incarner les valeurs démocratiques généralement attendues
de la part de ceux qui les mandatent. Ce faisant, la réalisation de services publics par des tiers soulève
de nombreuses questions : les comportements attendus de la part des administrations publiques, tels
que l’imputabilité, la transparence et l’intégrité, peuvent-ils être exigés de la part des acteurs privés ?
Ces derniers sont-ils aussi enclins à servir l’intérêt public ?

Nous sommes d’avis que les cocontractants de l’État, qui se trouvent momentanément et par
extension investis d’un rôle d’agents publics, sont mieux disposés à servir l’intérêt public lorsque le

694
F. CHARBONNEAU et R. LACHANCE, préc., note 14, p. 87.
695
André LACROIX et Yves BOISVERT, Marchés publics à vendre : éthique et corruption, Montréal, Liber, 2015,
p. 256.

274
cadre juridique et contractuel dans lequel ils évoluent les incite à cultiver un jugement éthique et à
faire preuve d’intégrité.

Nous ne croyons toutefois pas qu’il soit nécessaire d’assujettir les cocontractants de l’État à
toutes et à chacune des obligations qui incombent aux acteurs gouvernementaux. Nous n’adhérons
pas à la thèse de ceux qui, comme Kimberly N. Brown696, préconisent d’élargir la portée du contrôle
constitutionnel aux entreprises qui réalisent des services publics. S’il est vrai que l'économie et les
entreprises exercent une influence considérable dans nos sociétés, l’idée de favoriser l’adoption de
certaines valeurs clés chez les cocontractants de l’État plutôt que de les astreindre à toutes les
obligations qui incombent à l’Administration, nous paraît plus raisonnable. Nous faisons nôtres les
propos du juge La Forest dans l’arrêt Mckinney c. Université de Guelph qui explique en quoi les actes
qui ne sont pas imputables au gouvernement ne sont pas visés par la Charte canadienne :

C'est un choix délibéré qu'il faut respecter. Nous ne savons pas vraiment pourquoi ce
point de vue a été retenu, mais plusieurs raisons semblent s'imposer. Historiquement, les
déclarations des droits, dont celles des États-Unis constitue l'exemple constitutionnel par
excellence visant le gouvernement. C'est le gouvernement qui peut adopter et appliquer
des règles et qui peut porter atteinte péremptoirement à la liberté individuelle. Seul le
gouvernement a besoin de se voir imposer des contraintes dans la Constitution afin de
préserver les droits des particuliers. Il est vrai que les atteintes aux droits des particuliers
peuvent provenir d'autres sources. Cela est particulièrement vrai dans un monde ou la
vie économique est largement dominée par le secteur privé dont les institutions
puissantes ne sont pas directement touchées par les forces démocratiques. Mais le
gouvernement peut soit les règlementer soit créer des organismes distincts afin de
protéger les droits de la personne et de promouvoir la dignité humaine (…)697

Si nous souscrivons à l’idée qu’il puisse être légitime d’exiger une certaine responsabilité
sociale de la part des entreprises698, nous croyons que cette exigence devient incontournable dans le
cadre de l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Pour qu’une relation de confiance puisse

696
K.N. BROWN, préc., note 5. Jean-Philippe Robé soutient lui aussi qu’il est nécessaire d’assujettir les
entreprises à un certain contrôle constitutionnel, mais dans les faits, ses recommandations tendent surtout à
imposer certaines supra-normes aux entreprises, dont le contenu s’inspirerait des exigences constitutionnelles
imposées aux acteurs gouvernementaux : Jean-Philippe ROBÉ, « Comment s’assurer que les entreprises
respectent l’intérêt général », (2014) 64-4 L’Économie politique 22. Cela nous semble plus réaliste et
raisonnable que la théorie avancée par Kimberley N. Brown.
697
McKinney c. Université de Guelph, préc., note 8, p. 262. Les italiques sont de nous.
698
Jean-Claude JAVILLIER, « Responsabilité sociétale des entreprises et Droit : des synergies indispensables
pour un développement durable », dans Jean-Claude JAVILLIER (dir.), Gouvernance, droit international et
responsabilité sociétale des entreprises, Genève, Organisation internationale du Travail (Institut international
d’études sociales), 2007, p. 24, en ligne : <http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---
inst/documents/publication/wcms_201144.pdf>.

275
s’installer entre les parties impliquées dans un projet public, encore faut-il que chacune de celles-ci
soit intègre et disposée à s’entraider. Pour que les cocontractants de l’État facilitent le travail
d’élaboration du contenu de l’intérêt public dans les projets où ils sont impliqués, il faut comme nous
l’avons vu, qu’elles mettent leurs savoirs professionnels à la disposition du public, qu’elles fassent
bénéficier de leur expertise et qu’elles soient dignes de confiance.

La théorie républicaine de l’État a bien montré que la décentralisation du pouvoir étatique


législatif au profit du pouvoir étatique exécutif implique plus que jamais de cultiver la vertu des
citoyens et en particulier des « citoyens » corporatifs. Il en va de même pour l’externalisation de plus
en plus importante des services publics vers le privé. Le privé doit être vertueux et encore plus
lorsqu’il joue le rôle du public.

At the beginning of the previous century, progressive and new liberal thinkers worried
about the power of private wealth versus commonwealth and the possibility of a new
feudalism built upon new forms of unchecked private coercion in a moderning world. In
response, they reinvigorated older conceptions of republican government for the general
welfare and crafted new instruments of public power to regulate and control private
excess in the public interest. At the beginning of a new century of globalizing capital and
a relentlessly aggrandizing private sphere, their warnings and their remedies might still
hold the most important lessons that America legal and political history can provide.699

Ajoutons par ailleurs que les personnes morales de droit privé ont un impact si considérable
sur la qualité de vie des citoyens - parfois même plus grand que celui du gouvernement - que l’absence
de règles contraignantes sur le plan de la responsabilité sociale conduit inévitablement à une
soumission de la société à la loi du marché : « it has been argued that firms’ decisions influence
workers’ lives as much as governments’ decisions; that managers have as much power over workers
as public officials have over citizens; or that large companies influence the society as much as the
state does »700.

Dans cette perspective, un bon gouvernement doit cultiver la citoyenneté responsable de ses
cocontractants. Pourquoi n’aurait-il pas recours à son pouvoir contractuel pour ce faire ? Dans son
livre Buying Social Justice : equality, government procurement, and legal change701, le professeur

699
W. J. NOVAK, préc., note 299 à la page 40.
700
Iñigo GONZÁLEZ-RICOY, « Firms, States, and Democracy: A Qualified Defense of the Parallel Case
Argument », (2014) 2 Law, Ethics and Philosophy, 33.
701
C. MCCRUDDEN, préc., note 245.

276
Christopher McCrudden soutient qu’il est pertinent de relier le pouvoir contractuel de l’État à certains
objectifs sociaux comme la promotion de la diversité dans l’emploi par exemple. Sur la capacité du
pouvoir contractuel de l’État à engendrer des changements sociaux et contre ceux qui critiquent
systématiquement le recours à des acteurs privés pour réaliser certains mandats publics, nous
répondons qu’ils négligent l’hypothèse qu’il s’agit peut-être d’un moyen très efficace de préserver
les valeurs publiques en les exportant dans l’univers privé. L’État peut sélectionner ses fournisseurs
en fonction d’une variété de critères. Il pourrait être envisageable par exemple de favoriser certaines
formes juridiques plus à même de contribuer au développement d’une communauté. Comme
mentionné précédemment, les entreprises d’économie sociale en constituent un bon exemple702. Il
serait également possible d’encourager certaines cultures d’entreprise mettant l’accent sur la
diversité, l’équité et le respect de l’environnement par exemple : « The power of government may
well increase in a contractual regime as the state extends its control over, and dependence upon,
private sector institutions. »703.

La promotion de certaines valeurs dans le cadre de l’octroi des marchés publics pourrait
inspirer les entreprises et la société civile en général dans leur façon d’entretenir leurs relations
contractuelles. Rappelons à ce sujet l’arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique
de l’Ontario cité précédemment704, dans lequel le juge La Forest a reconnu le potentiel du
gouvernement à promouvoir certaines valeurs en donnant l’exemple. Il importe d’insister à nouveau
sur cet aspect de l’arrêt. D’une part, cette idée renforce les arguments que nous avons faits plus tôt au
sujet des qualités qui devraient caractériser les agents publics ainsi que l’Administration publique
dans son ensemble. D’autre part, cette posture admet qu’il est possible de cultiver certaines valeurs
chez les cocontractants de l’État

Mais comment connaître les valeurs d’une entreprise ? Une organisation est-elle apte à
cultiver sa citoyenneté responsable au même titre qu’une personne physique ? Concernant le statut
de « personne » pouvant être reconnu aux entreprises, il importe de noter que cette reconnaissance
existe depuis fort longtemps. Historiquement, les entreprises devaient bénéficier d’une sanction
royale ou équivalente pour exister juridiquement. Le principe est aujourd’hui similaire : une
entreprise doit répondre à certaines exigences pour exister au registre des entreprises du Québec. Il

702
Loi sur l'économie sociale, préc., note 53.
703
Jody FREEMAN, « The Private Role in Public Governance », (2000) 75-3 New York University Law Review,
569.
704
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, préc., note 300.

277
est intéressant de noter que l’une des exigences en vigueur autrefois était de se conformer au bien
commun, ou du moins de ne pas en violer les principes :

Il n’est donc pas surprenant que Blackstone précise à propos du cinquième droit : « Mais
aucune société commerciale n’a le droit d’établir des statuts qui affecteraient les
prérogatives du roi ou du bien commun (...) à moins qu’ils soient approuvés par le
chancelier, le ministre des finances et les juges en chef ou les juges des assises dans leur
juridiction ; et, même s’ils sont approuvés, en cas de conflit avec la loi, ils sont
annulés ».705

Une personne morale fonctionne à bien des égards comme une personne physique. Elle prend
parole, elle prend position, elle juge, elle s’engage. On pourrait même affirmer qu’il est plus aisé de
prédire les actes d’une entreprise que ceux d’un individu. D’une certaine manière, elle plus lisible
qu’un individu, en ce sens que l’on peut connaître sa vision, sa mission ainsi que ses valeurs. Elle se
positionne sur ses intentions commerciales en adoptant un plan stratégique par exemple. Lorsqu’elle
est publique, c’est-à-dire cotée en bourse, elle doit divulguer une série d’informations qui permettent
aux investisseurs d’évaluer sa « personnalité ». En somme, nous croyons qu’il est possible de
connaître et d’évaluer les valeurs d’une entreprise et que ce faisant, il est réaliste d’exiger des
cocontractants publics qu’ils respectent certaines valeurs.

L’obligation décrite par Philip Pettit qui imposait jadis aux entreprises de ne pas contrevenir
au bien commun s’est progressivement transformée en une obligation de ne pas violer l’ordre public,
ce qui est beaucoup moins exigeant. Une entreprise peut aujourd’hui agir à l’encontre de l’intérêt
public tout en se conformant à l’ordre public. En modifiant la LCOP par l’adoption de la Loi 1, le
législateur québécois opère en quelque sorte un retour aux sources vis-à-vis de l’ancienne
responsabilité morale relatée par Pettit. Nous estimons toutefois que le chemin qui reste à parcourir
est encore important. Nous croyons également que le chemin emprunté n’est peut-être pas le meilleur.
La LCOP impose aux entreprises qui veulent obtenir des contrats publics de « satisfaire aux exigences
élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre ». Pour l’heure, cette exigence se
traduit essentiellement par une vérification de l’absence d’antécédents judiciaires chez la personne
physique ou morale qui souhaite obtenir des contrats publics. Or, chez des auteurs comme Mark S.
Swartz, il existe trois leviers incontournables pour favoriser une culture organisationnelle éthique :
l’appropriation par l’organisation et ses membres de valeurs éthiques par l’entremise de politiques et

705
Philip PETTIT, Deniz OZYILDIZ et Benjamin BOUDOU, « Deux sophismes à propos des personnes morales »,
(2014) 56-4 Raisons politiques 5. Les italiques sont de nous.

278
pratiques en faisant la promotion, la mise en place d’un « formal ethics program » donnant lieu à de
la formation sur le code d’éthique de l’organisation à titre d’exemple et finalement l’omniprésence
d’un « ethical leadership » dans l’organisation, lequel doit notamment s’exprimer par l’exemplarité
des dirigeants706.

Il n’est pas de notre intention de détailler l’ensemble des démarches à mettre en œuvre pour
cultiver une culture organisationnelle éthique chez les cocontractants de l’État. Nous souhaitons
simplement attirer l’attention sur le fait que les nouvelles règles en vigueur au Québec constituent
une avancée intéressante sur ce plan, mais qu’elles devraient faire l’objet d’une réflexion plus poussée
pour porter les fruits escomptés. Dans un rapport récent, la Vérificatrice générale du Québec
mentionnait d’ailleurs que : « L’examen du processus de délivrance d’une autorisation de contracter
soulève des questionnements par rapport au degré d’atteinte de l’objectif de la Loi sur l’intégrité en
matière de contrats publics. La pertinence des exigences demandées aux entreprises de même que la
cohérence de certaines décisions alimentent ces questionnements » et elle soulignait « L’AMF ne
dispose d’aucun mécanisme de révision indépendant du groupe qui effectue les activités relatives à
la délivrance de l’autorisation de contracter. Étant donné les conséquences importantes des décisions
de l’AMF sur les entreprises demanderesses, un tel mécanisme contribuerait à accroître la pertinence
des exigences de même que la cohérence des décisions prises à leur endroit »707.

Quelques mots également en réponse à ceux qui s’opposent à ce que l’État exige certaines
qualités de la part de ses cocontractants au motif que cela peut nuire à la libre concurrence. Dans son
texte « Le renforcement des critères de sélection permet-il d’augmenter l’intégrité ou les risques de
corruption ? »708, Christian Bordeleau conclut que cette pratique nuit à la libre concurrence et
« qu’une des meilleures protections des marchés publics contre la corruption est la force de la
concurrence »709. Pour lui, les marchés dominés par des monopoles ou des oligopoles sont très
vulnérables aux problèmes de corruption et il faut par conséquent tout mettre en œuvre pour stimuler
la concurrence entre les soumissionnaires. La mise en place de critères de sélection tels que ceux qui

706
Mark S. SCHWARTZ, « How to Minimize Corruption in Business Organizations : Developing and Sustaining
an Ethical Corporate Culture », dans Ronald J. BURKE, Edward C. TOMLINSON et Cary L. COOPER (dir.), Crime
and corruption in organizations : why it occurs and what to do about it, Farnham, Ashgate, 2011, p. 273‑296.
707
VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale
pour l’année 2018-2019. Audit particulier. Autorisation de conclure des contrats et sous-contrats publics.,
Québec, 2018, p. 1 (faits saillants).
708
C. BORDELEAU, préc., note 23 à la page 107.
709
Id., p. 122

279
ont été ajoutés à la LCOP suite à l’adoption de la Loi 1 ferait précisément le contraire dans cette
perspective.

Nous reconnaissons l’importance de stimuler la concurrence dans le contexte des contrats


publics. Pour permettre à un organisme public de bénéficier du meilleur cocontractant, peu importe
les qualités qu’il convient d’exiger de celui-ci du point de vue de l’intérêt public, il est logique de
penser que plus il y aura de soumissionnaires qualifiés, plus il y aura de chances qu’une soumission
avantageuse soit retenue. Nous croyons cependant que le raisonnement suivi par Christian Bordeleau
dans le texte précité nous prive de bien des solutions qui ne requièrent pourtant pas de grandes
concessions sur le plan de la protection de la libre concurrence.

L’une de ces solutions pourrait être de modifier le régime d’autorisations de contracter tel
qu’il est actuellement envisagé par la LCOP. Nous pourrions nous inspirer des lois et règlements en
matière de santé et sécurité au travail pour que tout contractant dispose d’un taux de performance qui
soit continuellement révisé à la lumière de différents critères. L’absence d’antécédents judiciaires
reliés à des infractions criminelles ou fiscales pourrait être maintenue. L’appréciation de la prestation
de l’entreprise dans le cadre d’anciens contrats publics pourrait être prise en compte. Une évaluation
indépendante de la responsabilité sociale de l’entreprise pourrait également être menée et influer sur
le taux de performance.

Du point de vue de la concurrence, cette perspective serait plus avantageuse. Elle pourrait
même favoriser l’essor de nouveaux joueurs si l’on décidait d’accorder aux nouveaux contractants un
taux initial de 100 %, à l’instar du régime applicable en matière de santé et sécurité au travail. Pour
éviter qu’un contractant ayant un faible taux démarre une autre entreprise avec les mêmes employés
et les mêmes administrateurs, associés ou actionnaires, nous pourrions envisager des règles similaires
à celles qui s’appliquent encore ici en matière de santé et sécurité au travail. L’entreprise serait alors
considérée comme « continuateur » et se verrait appliquer le même taux que la précédente710. Dans
la même veine, il pourrait être intéressant de s’inspirer des paramètres de la Loi concernant les
propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds qui vise à « accroître la sécurité

710
Le Règlement sur le financement, RLRQ, c. A-3.001, r. 7, art. 170 prévoit que : « Aux fins de l'article 314.3
de la Loi et du présent chapitre, est considéré une opération l'acte juridique à la suite duquel le risque assuré
d'un premier employeur, le devancier, se retrouve chez un autre employeur, le continuateur, qui continue, en
tout ou en partie, les activités du premier. Elle comprend également la fusion à la suite de laquelle le risque
assuré des employeurs qui fusionnent, les devanciers, se retrouve chez l'employeur issu de la fusion, le
continuateur, qui continue, en tout ou en partie, les activités des employeurs qui fusionnent. »

280
des usagers sur les chemins ouverts à la circulation publique et de préserver l'intégrité de ces
chemins »711 et qui utilise une cote de sécurité pour ce faire.

Nous pouvons également penser à des pratiques s’inspirant de ce qui se fait actuellement en
Côte d’Azur et qui vise à fonder l’octroi des contrats publics d’architecture sur un pré-classement des
firmes en fonction « de leurs références, de leurs compétences et de leurs moyens humains »712. Des
exemples de ce genre mériteraient d’être étudiés davantage pour voir s’il y a lieu de les
institutionnaliser de façon plus systématique.

Ces idées que nous avançons ont pour objectif d’alimenter la discussion sur les moyens qui
devraient être préconisés pour favoriser le développement – ou la consolidation - d’une culture
éthique chez les cocontractants de l’État. Nous n’avons pas la prétention d’avoir identifié avec
justesse et de manière complète les paramètres à l’intérieur desquels cette culture éthique pourrait
être évaluée et stimulée. Au même titre que la plupart des dispositifs participatifs que nous avons
tenté de décrire dans cette partie, l’objectif est de donner un visage concret à nos propositions, mais
nous croyons que celles-ci devraient être soumises à une « enquête » avec tout ce que cela implique
dans la perspective deweyenne du terme.

711
Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, RLRQ, c. P-30.3,
art. 1.
712
Cette pratique est le fruit d’une entente intervenue entre plusieurs acteurs de la commande publique en Côte
d’Azur : « Une charte départementale de la commande publique de maîtrise d’œuvre a été signée, le 15
décembre [2015], par le Syndicat des architectes de la Côte d’Azur, le Conseil régional de l’Ordre des
architectes Provence-Alpes-Côte d’Azur et plusieurs collectivités des Alpes-Maritimes, sous la présidence du
préfet du département. Par cette charte déontologique, les maîtres d’ouvrage s’engagent à fonder leur analyse
des offres, en premier lieu, sur les compétences, les références et les moyens des équipes. En contrepartie, le
syndicat et l’ordre des architectes s’engagent à éclairer les personnes publiques sur les modalités de mise en
œuvre d’une procédure adaptée respectueuse du droit et de leur autonomie. La situation est grave, mais pas
désespérée. Pour lutter contre le dumping des prix et les sous-estimations trompeuses qui continuent de
gangréner la maîtrise d’oeuvre, les architectes des Alpes-Maritimes ont pris l’initiative de rédiger une charte
déontologique de la commande publique adaptée à leur secteur […] cette charte vise à renouer un dialogue
constructif entre la maîtrise d’œuvre et les donneurs d’ordre publics afin que ces derniers utilisent des critères
de choix pertinents pour sélectionner des équipes et donc des projets de qualité en MAPA. Pour ce faire, la
charte préconise de classer d’abord les cabinets d’architecture en fonction de leurs références, de leurs
compétences et de leurs moyens humains. Puis de prendre en compte le prix de chacun, dans une deuxième
phase d’analyse des offres, pour enfin discuter avec les prestataires sur la base de données pertinentes et
saines. » ARCHITECTURE ET COMMANDE PUBLIQUE AQUITAINE, « Une charte pour bien choisir la maîtrise
d’œuvre », Les actualités d’A&CP (26 janvier 2016), en ligne : <https://www.a-
cp.fr/actualites.php?actualite_id=7260> (consulté le 18 décembre 2018).

281
*****

Plusieurs pratiques ont été mises de l’avant dans les sections précédentes. Il a également été
question des qualités qui devraient caractériser l’action contractuelle étatique autant que celles dont
devraient faire preuve chacune des parties prenantes qui interviennent à l’une ou l’autres des étapes
du cycle de vie d’un projet public. Ces pratiques, ces caractéristiques et ces qualités forment les bases
d’une démocratie administrative vivante, appliquée à l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Mais
pour s’assurer de leur mise en œuvre effective, faut-il miser sur une réforme des politiques en vigueur
ou du droit légiféré ?

Section V - Inscrire la réforme envisagée à l’intérieur du droit légiféré

Bien que le cadre théorique proposé par Rosanvallon nous semble propice pour revoir le
mode l’exercice du pouvoir contractuel de l’État à l’aune d’une approche plus démocratique et ce
faisant, plus à même de cerner l’intérêt public, il nous semble important de faire quelques remarques
sur les limites des solutions qu’il préconise. Si nous souscrivons à l’idée d’une démocratie
administrative qui opère sur un mode interactif, il nous semble primordial d’inscrire ce projet à
l’intérieur d’une réforme juridique donnant au droit légiféré un rôle accru. Contrairement à plusieurs
critiques713, nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de choisir entre, d’un côté, une vision purement
horizontale du pouvoir social, et de l’autre, l’institutionnalisation de ces pouvoirs par la médiation du
droit étatique. Entendons-nous bien, nous ne reprochons pas à Rosanvallon de poser la question en
ces termes, c’est tout simplement qu’il nous semble important de prendre position dans ce débat qui
est en bonne partie occulté dans son ouvrage.

Nous sommes d’avis qu’il existe une façon de faire vivre concrètement la démocratie
administrative dans le domaine des contrats publics à l’aide d’une réforme qui investirait d’abord le
terrain du droit légiféré, non pas pour qu’il impose une certaine vision de l’intérêt public, mais plutôt
pour assurer, protéger et valoriser l’interaction entre tous les acteurs qui interviennent aux différents

713
Voir entre autres : Robert NOZICK, Anarchie, État et utopie, 3e éd., coll. Quadrige, n°406, Paris, PUF, 2016;
David D FRIEDMAN, Vers une société sans État, Paris, Belles Lettres, 1992; Murray Newton ROTHBARD,
L’éthique de la liberté, Paris, Belles Lettres, 1991.

282
stades d’un contrat public. La loi n’a pas de parti pris intrinsèque contre une certaine horizontalité
des pouvoirs. Nous croyons au contraire qu’elle peut s’en faire l’alliée.

S’il est vrai que pour Rosanvallon, l’État et la société civile sont indissociables et doivent être
continuellement en relation714, il ne dit pas précisément quelle devrait être la place du droit légiféré
dans la démocratie d’exercice qu’il appelle de ses vœux est qui est censée permettre une meilleure
interaction entre le pouvoir exécutif et la société civile. Or, cette question est importante, car bon
nombre des idées qu’il avance, dont celles auxquelles nous avons souscrits dans les sections
précédentes, pourraient très bien prendre vie dans des politiques administratives, dans des codes de
conduites internes, dans des plans stratégiques, dans des directives ou dans des guides. Or ces
dispositifs n’ont pas de force contraignante et restent bien souvent sujet à la volonté des personnes
auxquelles ils s’adressent715. Même si ces instruments peuvent avoir une certaine force normative
auprès de leurs destinataires, ne serait-ce que parce qu’ils y adhèrent par conviction ou parce qu’il
existe des sanctions non juridiques associées à leur non-respect, ceux-ci restent confinés à l’intérieur
de la sphère du « non-droit » entendu au sens du droit mou, c’est-à-dire du droit non contraignant
d’un point de vue juridique.

S’il nous semble utile de miser sur le droit légiféré dans le contexte actuel, c’est parce que la
conception budgétaire de l’intérêt public, telle qu’elle se dégage aujourd’hui du cadre normatif
applicable aux contrats publics, s’explique entre autres par le silence de la loi - ou du moins par son

714
Il dit s’être inspiré en grande partie des Leçons de sociologie d’Émile Durkheim pour développer les
principes de la démocratie d’exercice et en particulier l’idée que l’État et la pensée sociale ne peuvent être
pensés séparément : « [L’État] soulignait Durkheim, est aussi “l’organe de la pensée sociale”. C’est de ce point
de vue qu’il fallait donc, pour lui, concevoir la démocratie. Elle correspondait à la forme de société dans laquelle
gouvernement et société interagissent en permanence (alors que dans les régimes despotiques ou aristocratiques
le pouvoir est caractérisé par son isolement). “Plus la communication devient étroite entre la conscience
gouvernementale et le reste de la société, plus cette conscience s’étend et comprend de choses, plus la société a
un caractère démocratique”, écrivait-il », P. ROSANVALLON, préc., note 59, p. 300, citant Émile DURKHEIM,
Leçons de sociologie. Physique des moeurs et du droit (1898-1900), Paris, Presses Universitaires de France,
1950, p. 102.
715
Mentionnons toutefois que dans sa thèse de doctorat en droit, la professeure France Houle s’est intéressée à
la juridicité et à la validité des règles administratives et qu’elle en vient à la conclusion qu’il y a lieu de
reconnaitre le caractère juridique de certaines règles administratives et ce faisant, leur force contraignante en
droit. Voir France HOULE, Les règles administratives et le droit public: aux confins de la régulation juridique,
Montréal, Université de Montréal, 1999. Cela étant, cette position ne fait pas encore l’unanimité chez les auteurs
et les tribunaux refusent dans bien des cas de donner une valeur juridique à ces instruments. Voir notamment le
chapitre de Patrice Garant sur la notion de règlement dans P. GARANT, préc., note 27, p. 269‑287 : « Certains
actes ont toutes les apparences du règlement sans en être : il s'agit de ce que la doctrine appelle l'acte
pararéglementaire appelé soit directive, instruction, énoncé de politiques , politique administrative , circulaire
interprétative, etc. Ces nombreux textes ont une grande utilité, mais n'ont surtout qu'une valeur incitative ou
interprétative »

283
ambiguïté – sur la notion d’intérêt public et sur le processus qu’il convient de préconiser pour en
élaborer le contenu. La réticence du législateur à considérer cette question laisse le champ libre aux
autres producteurs de normes, dont ceux qui ont été analysés dans la première partie de cette thèse et
qui ont contribué à une forger une conception unidimensionnelle de l’intérêt public. Comme le
souligne François Ost dans son ouvrage À quoi sert le droit?, nous vivons actuellement dans une
société où les normativités sont en concurrence, ce qui est selon lui le « résultat du déclin de la
position centrale et déterminante du droit dans ce [qu’il] a appelé le “tout culturel” (la rationalité
dominante d’une société à un moment donné de son histoire) – situation qui conduit à rabattre
fortement ses prétentions, et, pour tout dire, à n’envisager son rôle que de façon contournée, sa
normativité semblant se diluer dans un vaste ensemble indistinct »716. Dans ce contexte de
« concurrence des normativités », il faut se demander ce que le droit a à offrir de plus que ses
concurrents. Nous croyons qu’en regard de la réforme envisagée, le droit, et plus particulièrement le
droit légiféré, constitue l’instrument à privilégier. Mais pourquoi miser sur celui-ci plutôt que sur
d’autres instruments normatifs ?

Avant de répondre à cette question, précisons d’abord que notre parti pris en faveur du droit
légiféré ne signifie pas pour autant un rejet de la pertinence ou de la légitimité des autres producteurs
de normes. Nous sommes bien conscients que le Parlement est aussi à même d’adopter une loi injuste
qu’une compagnie est en mesure d’adopter une politique interne juste. L’exercice légitime d’un
pouvoir peut être le fruit d’une loi tout comme des convictions morales d’une personne qui n’est
contrainte par aucune règle de droit717. Tout est une question de contexte.

Or, ce contexte, c’est celui que nous avons décrit dans la première partie de cette thèse, à
savoir l’exercice d’un pouvoir contractuel envisagé selon une rationalité économique où la question
de l’intérêt public se pose surtout en termes de coûts. Ce contexte, c’est également celui d’un cadre
normatif qui n’accorde pratiquement aucune place aux citoyens, lesquels sont pourtant les usagers et
les bénéficiaires des projets publics. L’on présume que leur intérêt sera satisfait grâce à la concurrence

716
François OST, À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, coll. Penser le droit, n°25, Bruylant, 2016,
p. 331 et suivantes.
717
En conclusion de son livre et évoquant différents auteurs ayant écrit sur le droit nazi au début du 20e siècle,
François Ost précise que « le formalisme juridique n’a pas réussi à contenir les menaces, et fut lui-même
emporté dans la tourmente n’opposant finalement que peu de résistance à sa dénaturation ». Il se demande
immédiatement après si « [l]e recours se trouvait-il plutôt dans la référence au droit naturel et à des valeurs
matérielles supérieures au droit positif ? ». À cela il répond par l’affirmative en ajoutant que « ce sont ces
valeurs qui inspireront la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme qui
jettent les bases d’une reconstruction juridique du monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. » Id.,
p. 558‑559.

284
que se livreront des entrepreneurs désireux de décrocher des contrats publics. Pour ces raisons et
toutes les autres que nous avons décrites, il nous est apparu judicieux de recourir à la démocratie
administrative comme cadre général de refondation de la notion d’intérêt public lors de l’exercice du
pouvoir contractuel de l’État.

Nous avons longuement décrit, à l’aide des théories développées par Rosanvallon et par
Dewey les caractéristiques, les avantages et les exigences de cette démocratie administrative. Le
temps est maintenant venu de se prononcer sur les moyens à préconiser pour la mettre en œuvre. La
solution idéale peut faire débat, mais nous croyons malgré tout utile de tracer les grandes lignes de
celle que nous avons en tête, bien conscients que nous nous exposons ainsi à la critique, mais
également ravis d’amorcer un débat sur cette importante question.

Cette solution en est une qui passe d’abord et avant tout par l’action législative, non pas pour
définir un contenu préétabli de l’intérêt public, mais pour exiger des entités publiques qui octroient
des contrats publics, de recourir aux dispositifs participatifs les plus adéquats pour s’assurer que
chaque projet public soit pensé et réalisé en faisant appel à un dosage équilibré entre les savoirs
d’usage des citoyens et les savoirs d’experts des professionnels. Le législateur délègue actuellement
le pouvoir d’élaborer le contenu de l’intérêt public à des organismes publics, à des entrepreneurs et
des professionnels qui sont à merci du jeu de la libre concurrence. Le législateur doit selon nous
déléguer le pouvoir d’élaborer le contenu de l’intérêt public au public, et recourir pour ce faire, à des
dispositifs participatifs encadrés par des règles de droit. Pourquoi par l’entremise de règles de droit ?

Parce qu’à l’instar de François Ost, nous pensons « que le droit a toujours manifesté une
grande capacité d’“internormativité” – cette faculté de s’approprier des contenus normatifs qui lui
sont extérieurs [ce qui est] l’illustration de sa fonction sociale la plus importante, celle d’assurer une
médiation générale, un arbitrage global des multiples champs sociaux, complémentaires ou en
conflit »718. Par contre, comme celui-ci le fait remarquer, « savoir si le droit est encore en mesure
d’exercer cette fonction est précisément l’enjeu crucial de la question à un moment où les contrôles
de validité juridique semblent marginalisés, voire instrumentalisés, par les contrôles de performance
qu’impose l’idéologie managériale, et l’obsession de l’uniformisation »719. L’interrogation
fondamentale qu’il pose, « à quoi sert le droit ? » résulte de cette question. Le fait qu’on « annonce

718
Id., p. 5.
719
Id.

285
la crise, le déclin, l’évaporation [et] la dissolution » du droit depuis un certain temps déjà implique
que l’on se questionne sur « son apport spécifique aux relations sociales [et sur] la plus-value qu’il
imprime à la gouvernance ». Expliquant la pertinence de revenir à une question aussi radicale et
fondamentale, il ajoute : « [s]i nous devions désormais nous passer du droit, au moins saurions-nous
ce que nous perdons ; nous pourrions aussi nous demander si les fonctions, hier assumées par le droit,
sont encore (et sous quelles formes ?) prises en charge par d’autres registres normatifs, voire d’autres
techniques de conduite sociale »720.

Pour comprendre ce que nous aurions à perdre en nous passant du droit et pour saisir la
pertinence d’y faire appel en l’espèce, il convient de décrire ici ce que François Ost qualifie de
« finalités intrinsèques » du droit. Celles-ci sont au nombre de trois et doivent être envisagées de
façon combinée : « (1) définir un équilibre social général, (2) susceptible d’être imposé par la
contrainte, et cependant (3) de nature à être remis en cause dans le cadre de procédures
déterminées »721. En quoi ces finalités sont-elles propres au droit ? Ost précise ce qui suit à ce sujet :

La formulation nuancée et balancée de ces trois finalités indique, par ailleurs, que la
véritable spécificité du droit tient dans le lien dialectique qui les réunit : sa plus-value
réside dans la mise en œuvre combinée et simultanée de ces trois finalités. Séparées et
dissociée, elles ne lui sont pas nécessairement spécifiques – pis : elles conduiraient, si le
droit devait s’y vouer exclusivement, à de graves déséquilibres (qu’il suffise d’imaginer
ce que serait un droit poursuivant exclusivement l’imposition de la contrainte, ou, à
l’inverse, l’organisation de sa remise en cause)722.

Une mise en œuvre « combinée et simultanée de ces trois finalités » nous semble
particulièrement porteuse pour refonder l’exercice du pouvoir contractuel de l’État selon une
rationalité démocratique. La première d’entre elles, celle qui cherche à « définir un équilibre social
général à vocation opératoire » peut être associée aux règles de droit qui contribuent à dégager ce qui
est d’intérêt public. Cette finalité repose sur un enjeu bien terre à terre, celui de « réaliser la
coordination des actes et projets les plus diversifiés du plus grand nombre d’acteurs [alors qu’]au plan
éthique, l’enjeu de cette prise en compte généralisée est la reconnaissance de l’individualité (et

720
Id.
721
Id., p. 337.Pour illustrer ces trois finalités, et plus particulièrement la dialectique qui opère entre elles, Ost
utilise les trois symboles de l’allégorie de la justice, à savoir la balance, le glaive et le bandeau : « La balance
peut être aisément associée à l’équilibre et au compromis, de même que le glaive évoque directement la
mobilisation possible de la contrainte. Quant au bandeau, si on admet qu’il symbolise le retour réflexif sur soi,
on n’hésitera pas à la rapprocher de l’aptitude permanente au contrôle et à la révision » (note de bas de page
591 à la page 339)
722
Id., p. 8‑9.

286
partant, de la dignité) du plus grand nombre de personnes »723. Dans le cas qui nous occupe, une
action législative traduisant cette finalité pourrait très bien avoir pour objet de codifier les paramètres
généraux d’un processus visant à faire surgir ce qui est d’intérêt public pour chaque projet public724.
De telles règles pourraient exiger de l’organisme public adjudicateur qu’il implique les citoyens
concernés par un projet dans le processus de conception des plans et devis. Cela pourrait également
se traduire par l’ajout d’une nouvelle disposition dans la LCOP visant à institutionnaliser la
participation du public aux étapes jugées pertinentes dans le cycle de vie d’un projet public. Il s’agit
ici de réfléchir à la façon dont l’action législative peut faire œuvre utile en regard de la
démocratisation du pouvoir contractuel de l’État au même titre que l’a fait la Loi sur la justice
administrative pour encadrer l’obligation d’agir avec équité des organismes qui y sont assujettis.

Le droit joue un rôle de médiateur, ce que François Ost désigne sous l’expression « Le droit
comme médiation »725. À l’instar de Ost qui développe une partie de sa réflexion à partir des travaux
de Jürgen Habermas, il nous semble utile de reproduire ce passage de l’ouvrage phare Droit et
démocratie : entre faits et normes pour expliquer en quoi la démocratisation des pouvoirs publics doit
recourir au droit légiféré pour assurer son effectivité :

C’est pourquoi je propose de considérer le droit comme le médium qui permet au pouvoir
fondé sur la communication de se transformer en pouvoir administratif. En effet, une
telle transformation a le sens d’un acte conférant les pleins pouvoirs dans le cadre de ce
qu’autorise la loi. L’idée d’État de droit peut alors être interprétée, d’une façon générale,
comme l’exigence de lier le système administratif régulé par le code du pouvoir, à un
pouvoir législatif fondé sur la communication et de le dégager des interférences du
pouvoir social, autrement dit de la force factuelle d’intervention des intérêts
privilégiés.726

La dernière partie de cet extrait est importante. Lorsque Habermas écrit que l’État de droit
peut soustraire le pouvoir social « de la force factuelle d’intervention des intérêts privilégiés », il
indique clairement qu’une société démocratique ne peut advenir sans le concours d’un État de droit,

723
Id., p. 355.
724
Une telle façon d’envisager l’action législative (qui met l’accent sur le processus et qui délègue le pouvoir
décisionnel à d’autres acteurs) comporte certains défis : « le risque n’est pas mince qu’en partageant, voire
déléguant, la fonction de formation des compromis sociaux, la puissance publique n’abdique sa responsabilité
de garante de l’intérêt général, et ce, au profit des partenaires les mieux à même de faire valoir leurs intérêts
sectoriels ». Id., p. 402. Par conséquent, le législateur doit s’efforcer de mettre en place un processus qui soit
en mesure de tenir compte des rapports de forces qui existent sur le terrain et de tout faire pour en assurer
l’équilibre.
725
Id., p. 381 et suivantes.
726
J. HABERMAS, préc., note 57, p. 169.

287
lequel est chargé de veiller à la possibilité pour cette société de ne pas être dominée par des intérêts
privilégiés. Il en va de même à l’égard des contrats publics. Pour que la rationalité du pouvoir
contractuel cesse d’être dominée par une conception budgétaire et qu’il se fonde désormais sur
conception démocratique de l’intérêt public, il doit pouvoir compter sur le secours de la loi. Pour le
dire autrement, le droit légiféré permet une régulation de l’économie par l’intérêt public et non
l’inverse. Autrement, nous persisterons dans une voie où c’est la rationalité budgétaire qui domine
toute conception de l’intérêt public.

Quant à la seconde finalité intrinsèque au droit, celle qui permet « un équilibre susceptible
d’être imposé par la contrainte réglée », Ost précise que cette contrainte doit être « génératrice de
confiance » par opposition à une conception axée sur la coercition et la peur. Il explique à ce sujet
qu’ « [i]mposer un ordre juridique par la contrainte ne résulte pas seulement de l’exercice d’un
pouvoir coercitif extérieur (vis coactiva), mais aussi, et certainement principalement, du crédit que
les destinataires portent à sa légitimité (vis directiva), lui assurant ainsi une effectivité durable »727.
Dans le cas qui nous occupe, pourquoi la démocratie administrative envisagée devrait-elle s’inscrire
à l’intérieur de paramètres juridiques susceptibles d’être imposés par la contrainte ? Car des règles
contraignantes sont susceptibles de générer une confiance mutuelle entre les pouvoirs publics et les
citoyens, bien plus que des procédés non contraignants. Les dispositifs qui permettent à la population
de participer à des décisions publiques en constituent d’excellents exemples. Prenons le cas du budget
participatif qui en vigueur dans certaines juridictions. Imaginons un instant que la concrétisation des
projets imaginés par les groupes citoyens à partir des enveloppes budgétaires auxquelles ils ont accès
soit sujette à l’approbation du gouvernement ou encore que celui-ci puisse en modifier l’essence et
les usages à son entière discrétion. L’adoption d’un budget participatif doit pouvoir contraindre les
pouvoirs publics aussi bien que les citoyens qui y ont participé à son élaboration. Autrement, plus
personne ne voudra se prêter à l’exercice de consacrer temps, énergie et ressources à la réalisation
d’un tel projet. Comme le souligne François Ost, le principe de la primauté du droit repose sur le
principe que les autorités qui édictent des règles s’engagent en même temps à les respecter. Il précise
à ce sujet :

Voilà précisément ce qui distingue un régime de droit d’une gestion managériale : alors
que, dans le premier, sont édictées des règles générales auxquelles on se tient,
garantissant ainsi à la fois l’égalité devant la loi et la sécurité dans la durée, le manager
n’est tenu, quant à lui, ni à la généralité de sa régulation, ni à la convergence entre les
intention[sic] affichées et les actes posés. C’est que son principe d’action est l’efficacité,

727
F. OST, préc., note 731, p. 431‑432.

288
tandis que l’impératif des dirigeants dans l’État de droit est le maintien de la confiance
mutuelle.728

Enfin, en ce qui a trait à la troisième finalité du droit, celle qui consiste en la possibilité de
remettre en cause l’équilibre préalablement produit, celui-ci est évidemment « associée aux idées de
contestation, [de] recours, [de] révision, [de] correction, [et d’]abrogation [renvoyant] à la nature
agonistique de la production du droit, et au caractère controversé de sa logique »729, François Ost fait
remarquer qu’elle est fort probablement celle qui que l’on reconnaît le plus facilement comme étant
propre au droit, et surtout, celle qui suscite le plus d’attention à l’heure actuelle730. Dans le contexte
des contrats publics, il ne fait pas doute que le cadre juridique actuellement en vigueur offre une large
place à cette troisième finalité. Les soumissionnaires ont régulièrement recours aux tribunaux afin de
remettre en cause la façon doit le pouvoir contractuel de l’État a été exercé. Il est également à prévoir
que les règles qui adoptées par le législateur québécois dans la foulée de la mise sur pied de l’Autorité
des marchés financiers vont accentuer l’importance de cette troisième finalité731. Par contre, l’étude
du cadre normatif applicable aux contrats publics québécois révèle également que cette troisième
finalité du droit reste largement attachée aux remises en cause des modes d’attribution et de
sollicitation choisis et exercés par les autorités publiques. La jurisprudence étudiée montre très
clairement que les débats dont sont saisis les tribunaux ne portent quasiment jamais, ou du moins très
accessoirement, sur des questions de conception des projets faisant l’objet des contrats publics.
Autrement dit, les tribunaux sont fréquemment sollicités pour déterminer si un contrat a été octroyé
de façon légale (choix du bon de mode d’adjudication, choix du bon soumissionnaire, etc.) mais très
rarement sur la façon dont le projet est envisagé. Cela découle de toute évidence de l’accent que met
le législateur québécois sur les modes de sollicitation et d’adjudication des contrats publics et de son
silence sur tout ce qui touche à la conception des projets publics et sur la façon qu’il convient de

728
Id., p. 442. Sur cet aspect, Ost s’appuie notamment sur travaux de Lon Fuller sur la moralité du droit.
729
Id., p. 465.
730
Il fait ce constat sur la base de trois phénomènes : « La faveur dont jouit la dimension “contestatrice” du
droit contemporain – une certaine nature interrogative et comme toujours en suspens– doit se comprendre sur
fond d’un contexte marqué par trois phénomènes enchevêtrés : une conception de la démocratie basée sur la
dignité des individus plus que sur la souveraineté des États, une sérieuse montée en puissance des juges (et la
perte corrélative du monopole du législateur dans la détermination de l’intérêt général), et aussi l’importance
croissante des instances et juridictions supranationales dans la production du droit – les trois phénomènes se
renforçant du reste mutuellement. » Id., p. 446‑447.
731
Sous ce nouveau régime, de nombreux mécanismes dont désormais à la disposition des personnes qui
souhaitent remettre en cause la façon dont un contrat a été octroyé ou encore la façon dont un appel d’offres est
envisagé. Les nouvelles règles mettent l’accent sur les mécanismes de plainte et de surveillance. En ce sens,
l’AMP constitue désormais un forum de prédilection pour quiconque souhaite interroger ou contester les modes
de sollicitation et d’adjudication des contrats publics québécois. Mentionnons par ailleurs remarquer que le
cadre actuel laisse peu de place à une remise en cause de tout ce qui touche à la conception des projets qui font
l’objet des contrats publics.

289
préconiser pour que ce processus de conception ainsi que les autres étapes du cycle de vie des projets
publics se nourrissent des savoirs d’usage et d’experts susceptibles de dégager ce qui est d’intérêt
public.

Cela nous amène à traiter du rôle accru (mais non exclusif) qu’il convient selon nous
d’accorder au droit légiféré pour démocratiser l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Si nous en
appelons à l’action législative pour concrétiser la réforme envisagée, ce n’est pas parce qu’il n’existe
aucune disposition législative et réglementaire venant baliser l’activité contractuelle de l’État. Notre
analyse du cadre normatif nous révèle plutôt le contraire. Le problème découle plutôt de l’objet des
dispositions étudiées. Celles-ci portent, comme nous l’avons vu, presqu’exclusivement, sur les modes
de sollicitation et d’attribution des contrats publics. Toute la question de la conception des projets
publics est laissée à la discrétion des parties (autorités publiques, professionnels, entrepreneurs, etc.)
qui sont appelés à intervenir à ce stade. Puisque le droit légiféré est silencieux sur cette question, les
contestations judiciaires ne portent pas davantage sur ce volet important de l’exercice contractuel de
l’État. Les parties qui saisissent les tribunaux le font sur la base de violations alléguées aux règles de
droit en vigueur et le débat porte alors sur l’objet de ces règles de droit. Autrement dit, pour qu’il
existe un véritable débat sur des questions comme celles-ci : « Le projet qui fait l’objet du contrat
public respecte-t-il les exigences de fond exprimées par ses futurs usagers ? », « Le processus de
conception du projet a-t-il permis aux citoyens d’être entendus ? », « Le processus d’adjudication du
contrat a-t-il pris en compte les critères environnementaux identifiés préalablement par les experts et
citoyens consultés? », encore faut-il que le droit légiféré en traite.

D’autre part, cette problématique est accentuée du fait que les tribunaux sont malgré tout
appelés à se prononcer sur la notion d’intérêt public. Comme nous l’avons vu le contentieux judiciaire
portant sur les contrats publics est important. Même si ces litiges portent essentiellement sur des
questions qui ont trait aux modes d’adjudication et de sollicitation des contrats publics, les tribunaux
sont inévitablement appelés à se prononcer sur la notion d’intérêt public et il arrive parfois qu’il soit
question du processus contractuel dans son ensemble, incluant l’étape de la conception. Cela est
inévitable, car les tribunaux doivent administrer une preuve complexe composée notamment des plans
et devis du projet et entendent des témoins qui peuvent dire des choses qui ne concernent pas
nécessairement le cœur du litige. Les principes qu’ils énoncent et l’interprétation des règles qu’ils
sont appelés à appliquer peuvent avoir pour résultat d’influencer les organismes publics dans la façon
dont ils envisagent leur activité contractuelle, du stade de la conception au stade de la réalisation.
Mais les tribunaux doivent « faire » avec ce qu’ils ont. L’on demande aux juges de ne pas perdre de

290
vue la notion d’intérêt public lorsqu’il est question de contrat public et en même temps, on leur confie
la tâche de trancher des litiges qui ne concernent bien souvent que les modes de sollicitation et
d’adjudication. Ils sont donc amenés à se prononcer, parfois directement, parfois indirectement, sur
ce qui est d’intérêt public, mais à l’intérieur d’un cadre d’analyse qui repose sur des règles qui ont
trait aux modes de sollicitation et d’adjudication. Ce qui est d’intérêt public par rapport à l’octroi
des contrats publics peut facilement être interprété par les autorités publiques comme étant ce qui est
d’intérêt public par rapport au contrat dans son ensemble. Les principes jurisprudentiels sont ainsi
amenés à régir une portion de l’activité contractuelle qui n’est pas encadrée par la loi.

François Ost mentionne au sujet de l’interaction entre les différentes finalités que « les
arbitrages sociétaux relevant de la première finalité sont-ils, pour l’essentiel, le produit d’un droit
légiféré, voire constitutionnalisé, tandis que les remise en cause [troisième finalité] s’opèrent plutôt
par le canal d’ajustements administratifs et de corrections juridictionnelles ». Cet extrait que nous
venons de citer est tiré d’une section qui traite des risques qui peuvent découler d’un régime qui met
surtout l’accent sur la troisième finalité au détriment de la première. Ost écrit au sujet du déséquilibre
qu’il observe dans certaines juridictions et qui n’est pas sans rappeler une certaine image de la nôtre
en regard du pouvoir contractuel de l’État :

On peut donc, sans risque d’erreur, présumer que les multiples glissements, observés
dans cette section, du premier vers les seconds, traduisent une dérive qui, à terme,
menace l’équilibre des finalités elles-mêmes. Comme si, moins capables de donner un
contenu à l’intérêt général au plan sociétaire global, nous en venions à oublier les mérites
du droit légiféré, au profit d’une valorisation unilatérale de la régulation jurisprudentielle
ou des régulations négociées sectorielles732.

Notre propos ne vise à remettre en question la valeur ou la légitimité des décisions judiciaires.
Au contraire, la possibilité de remettre en cause une règle de droit par l’entremise d’une contestation
judiciaire ou autrement présente des vertus indéniables. Cela permet aux règles établies par le
législateur (finalité ayant trait à l’équilibre social) d’être continuellement remise en cause, de
s’adapter au contexte social, aux valeurs partagées dans un contexte donné et à une époque
particulière. C’est ce qui donne au droit une dimension « (auto)-interrogative [ayant trait à] sa

732
F. OST, préc., note 731, p. 531.

291
division principielle entre règle générale et décision particulière – division qui ne manque pas de
produire une tension entre régulation uniformisante et application différenciante »733.

Nous croyons utile de dire encore quelques mots sur le rôle accru qu’il convient d’accorder
au droit légiféré dans le cadre de la réforme envisagée. Celui-ci possède certains attributs indéniables
que l’on peut aisément associer à la démocratie d’appropriation décrite par Rosanvallon. En général,
le droit légiféré se veut visible, lisible et accessible. Il peut évidemment exister certaines exceptions,
notamment dans des juridictions où il est difficile de consulter les lois et règlement ou encore lorsque
ceux-ci sont écrits dans un langage totalement inaccessible. Cela étant, il n’en demeure pas moins
que le droit légiféré est généralement régi par des règles de publicité qui le rend plus facile
d’appropriation.

L’autre élément qu’il importe de préciser est que le droit légiféré peut servir de remède contre
la vision atomisée et individualiste de la société qui a été largement amplifiée par la rationalité
budgétaire qui est actuellement à l’œuvre, tant dans le domaine des contrats publics que dans les
autres sphères de la vie en général. Si nous voulons que les citoyens qui composent la société puissent,
en tant qu’usagers des projets publics, participer démocratiquement à la conception de ces projets et
s’investir concrètement aux différentes étapes du cycle de vie d’un projet public, il faut compter sur
un médium tel que le droit légiféré :

Si les règles morales expriment, à travers ce qui est dans l’intérêt égal de tous, une
volonté absolument générale, les règles juridiques, quant à elles, expriment, entre autres,
la volonté particulière des membres d’une communauté juridique déterminée. Et tandis
que la volonté libre d’un point de vue moral reste en quelque sorte virtuelle, ne disant
que ce que tout un chacun pourrait rationnellement accepter, la volonté politique d’une
communauté juridique, si elle est censée assurément s’accorder avec les idées morales,
n’en est pas moins tout à la fois l’expression d’une forme de vie intersubjectivement
partagée, d’intérêts donnés et de fins choisies de façon pragmatique. La nature des
questions politiques fait que, dans le médium du droit, l’établissement des normes de
comportement s’ouvre en quelque sorte à des fins collectives.734

En somme, il s’agit de confier à la fois à l’État et aux citoyens qui le composent le mandat de
refonder l’intérêt public dans des termes politiques, qui ne se laisseront dominer par aucune de ses
dimensions, qu’il s’agisse de l’économie ou d’une autre. Pour ce faire, il importe de reconnaitre la

733
Id., p. 447.
734
J. HABERMAS, préc., note 57, p. 170.

292
capacité normative de l’État de droit eu égard à la réelle possibilité pour les individus qui composent
la société d’exprimer, de façon libre et éclairée, le contenu de l’intérêt public

Comme nous nous sommes efforcés de le montrer, les contrats publics sont aujourd’hui
dominés par une logique budgétaire. Il s’agit donc d’emprunter une démarche semblable à celle que
nous venons d’évoquer pour rééquilibrer les forces en jeu, à la différence toutefois qu’il ne s’agit pas
des mêmes puissances qui sont à l’œuvre. Plutôt que de rééquilibrer les forces inégales des parties
qui interviennent à un contrat de travail par le recours au droit du travail, il convient dans le cas des
contrats publics, de recourir au droit administratif pour rééquilibrer la relation inégale entre les
impératifs politiques et économiques qui conditionnent l’activité contractuelle des organismes
publics. Le droit joue un rôle capital dans cette entreprise de rééquilibrage, c’est lui qui assure aux
citoyens de pouvoir refaire surface dans le paysage de la commande publique. Il ne s’agit pas de
rééquilibrer une situation dans laquelle ils sont inférieurs, mais de les faire réapparaître dans un décor
où ils brillent actuellement de par leur absence.

Enfin, ajoutons qu’au moment d’écrire ces lignes, venait de paraître en France le Code de la
commande publique, lequel vise à consolider dans un grand code l’ensemble des textes législatifs,
réglementaires et des règles issues de la jurisprudence portant sur les contrats publics. L’idée de réunir
toutes ces règles à l’intérieur d’un seul et même code était notamment motivée par un désir de
simplifier et de clarifier un environnement juridique parfois incertain et source d’insécurité juridique,
notamment pour les praticiens : « Le Code de la commande publique a été fait par et pour les
praticiens […] Il offre une plus grande simplicité d’utilisation, et une sécurité juridique renforcé : tout
est consolidé dans un seul document »735.

En guise de conclusion, nous reproduisons ci-dessous un extrait du Rapport au Président de


la République relatif à l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative
du code de la commande publique qui témoigne bien de certaines des qualités du droit légiféré :

L'intégration des dispositions applicables aux contrats de la commande publique au sein


d'un code unique, présentées de manière ordonnée et cohérente, constitue un moyen
essentiel de renforcer l'accessibilité du droit. La codification représente également un
enjeu de simplification administrative pour l'ensemble des parties prenantes de la
735
Il s’agit des propos de Laure Bédier, directrice des affaires juridiques du Ministères de l'Économie, des
Finances, de l'Action et des Comptes publics, recueillis par Le Moniteur.fr, site d’information dédié aux
professionnels de la construction, de l’aménagement et de l’énergie :

293
commande publique (pouvoirs adjudicateurs, entités adjudicatrices et opérateurs
économiques), qui pourront plus facilement appréhender les règles qui leur sont
applicables dans un code qu'au travers de textes épars. Favorisant la lisibilité du droit
français de la commande publique, cette codification favorise également sa compétitivité
au service des entreprises et des investisseurs.736

736
Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant
partie législative du code de la commande publique, (2018), JORF n°0281 du 5 décembre 2018 texte n° 19, en
ligne : <https://www.legifrance.gouv.fr/eli/rapport/2018/12/5/ECOM1818593P/jo/texte/fr> (consulté le 22
décembre 2018).

294
Tout ce qu'on a trouvé à dire
C'est combien?

Fred Pellerin

Conclusion générale

Les contrats publics ont pour finalité l’intérêt public. Les auteurs s’entendent sur ce principe
et les tribunaux ne cessent de le rappeler. Pourtant, aucun texte de loi ayant pour vocation de régir
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État ne nous renseigne sur ce que signifie l’intérêt public. C’est
ce silence de la loi, conjugué au contexte social des dernières années (qui a ébranlé toute certitude
vis-à-vis du fonctionnement adéquat de notre système d’attribution des contrats publics) qui est à
l’origine de cette thèse.

Cherchant à découvrir ce que pouvait bien signifier l’intérêt public dans le contexte de
l’exercice du pouvoir contractuel de l’État, nous avions pour hypothèse initiale que celui-ci se
concevait essentiellement en termes budgétaires. Les règles de droit et la jurisprudence que nous
avons étudiées de façon préliminaire avant d’entamer cette recherche nous laissaient penser que la
rationalité économique avait une emprise si forte sur le cadre normatif applicable aux contrats publics
qu’elle avait peut-être eu pour effet d’opérer une confusion entre les notions mêmes d’intérêt public
et de budget, de sorte qu’un contrat public conforme au budget soit par le fait même conforme à
l’intérêt public. Bref, qu’il ne soit plus nécessaire de se demander si tel ou tel contrat public est conçu,
octroyé et exécuté dans l’intérêt public, mais simplement de se demander ce qui en est des coûts à
chacune de ces étapes.

Ces intuitions étaient alimentées par des constats que toute personne qui s’intéresse de près
ou de loin à l’activité contractuelle des organismes publics québécois est en mesure de faire.
Premièrement, le fait que les contrats publics soient encore et la plupart du temps octroyés aux
soumissionnaires ayant présenté le plus bas prix conforme. Même si la qualité attendue des biens ou
des services commandés peut être précisée dans des documents d’appel d’offres, il n’en demeure pas
moins que le critère décisif pour départager les aspirants cocontractants sera bien souvent celui du
prix. D’autre part, quiconque porte un tant soit peu attention au contentieux des contrats publics
remarque rapidement l’abondance de celui-ci et à quel point les tribunaux ont tendance à se réfugier

295
dans l’objectivité du prix pour trancher les différends dont ils sont saisis. Enfin, depuis un certain
temps déjà, de très nombreux acteurs impliqués dans le domaine des contrats publics dénoncent la
facilité avec laquelle les entrepreneurs peuvent « jouer » avec les règles en proposant de bas prix et
en facturant des extras par la suite737. Quant aux organismes publics, ceux-ci se plaignent d’être
emprisonnés dans un système qui les oblige à faire affaire avec les moins-disants plutôt qu’avec les
plus compétents.

Or, s’il advenait que notre hypothèse soit fondée et que nous devions conclure que le cadre
normatif applicable aux contrats publics était effectivement dominé par une conception budgétaire de
l’intérêt public, il serait alors nécessaire de réfléchir à une façon de refonder l’intérêt public. Pourquoi
? Parce que l’aspect budgétaire ne constitue que l’une des dimensions de l’intérêt public et non pas
l’intérêt public en tant que tel. Il est même possible d’envisager que dans certains cas, l’aspect
budgétaire n’ait aucune valeur en regard de l’intérêt public.

Nous avons donc entamé notre enquête sur ce que constitue l’intérêt public dans le contexte
des contrats publics en identifiant les liens qu’entretiennent les deux notions de contrat public et
d’intérêt public et en décrivant leur portée respective.

Ces deux notions sont en étroite relation parce que le particularisme du contrat public en droit
québécois repose précisément sur sa finalité d’intérêt public. Autrement dit, ce qui distingue les
contrats publics des contrats privés et ce qui fait en sorte qu’on applique aux contrats publics des
règles particulières (exorbitantes du droit commun), c’est qu’ils sont censés servir l’intérêt public.
Cela n’est pas anodin. Les contrats publics bénéficient de certains « privilèges législatifs », car ils ont

737
Dans un article s’apparentant à un texte d’opinion daté du 15 décembre 2017, des juristes pratiquant en droit
de la construction demandaient s’il était possible au Québec de se départir de la règle du plus bas
soumissionnaire conforme et des inconvénients qu’elle entraîne. Ils débutaient leur texte ainsi : « Au Québec,
tant au niveau provincial que municipal, l'attribution de contrats de travaux ou de fournitures de matériaux par
des organismes publics semble toujours majoritairement gouvernée par la règle du plus bas soumissionnaire.
La commission Charbonneau a pourtant mis en lumière les multiples inconvénients de cette méthode : risque
relatif à la qualité des infrastructures et des services, pression indue sur les marges des soumissionnaires,
incitatif à générer des « extras », risque de collusion, etc. Malgré le débat ayant entouré cette commission, il ne
semble pas que cette pratique ait fondamentalement changé, les autorités se concentrant davantage sur la
transparence de l'identité des parties, la provenance des sommes d'argent et la fréquence des demandes pour des
« extras » par les soumissionnaires individuels » B. D. GROSS et G. MOUNIER, préc., note 10.

296
pour finalité l’intérêt public. Sans cette finalité particulière, il n’y a tout simplement plus lieu de
considérer les contrats privés et les contrats publics comme deux choses distinctes.

Puisque nous avions pour ambition d’étudier la conception dominante de l’intérêt public telle
qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics, nous avons ensuite précisé la
portée de ce que nous entendons par contrat public. Expliquant que ceux-ci visent les contrats
d’approvisionnement, de services et de travaux de construction des organismes publics québécois y
compris les municipalités, nous avons aussi pris soin d’expliquer que ces contrats ont pour objet des
projets publics. Qu’il s’agisse d’approvisionner l’État en biens ou de lui rendre des services
professionnels ou techniques, ou encore de réaliser des travaux de construction à son bénéfice,
chacune de ces « commandes publiques » constitue un projet public qui a un cycle de vie. Celui-ci se
décline en plusieurs étapes : l’identification des besoins, la définition du projet, la planification
opérationnelle, l’exécution du projet, la clôture de celui-ci et enfin son évaluation rétrospective. Il
nous a semblé important de décrire ces étapes, car chacune d’entre elles représente un terreau
particulier où la façon dont on envisage l’intérêt public peut différer. Chacune de ces étapes est
également régie par des règles particulières, ce qui nous a permis de dégager le contenu du cadre
normatif à étudier.

Quant à la notion d’intérêt public, nous avons vu que celle-ci agit comme boussole pour les
pouvoirs publics. C’est l’intérêt public qui guide l’action gouvernementale, qu’il s’agisse d’octroyer
des contrats, de délivrer des permis, d’exproprier un résident d’un territoire donné ou encore
d’imposer des taxes particulières. L’intérêt public n’a pas de contenu préétabli. Il a plutôt des
fonctions. La première est de fonder l’existence du pouvoir public en tant que tel. Nous reconnaissons
par exemple à l’État le pouvoir d’exproprier des résidents parce que sans ce pouvoir, certains projets
publics ne pourraient jamais voir le jour. L’intérêt public a aussi pour fonction de fixer les buts de
l’Administration publique. C’est par exemple au nom de l’intérêt public que l’État agit contre les
changements climatiques ou contre la réduction des inégalités sociales. Enfin, l’intérêt public sert
aussi à fixer les limites des pouvoirs publics. Cela signifie que l’État et ses préposés ne peuvent pas
tout faire. Au premier chef, cela signifie qu’ils ne peuvent pas contrevenir à la loi. L’obligation pour
les pouvoirs publics de s’exercer dans les limites fixées par la loi procède de cette notion d’intérêt
public.

297
Nous avons aussi vu que l’intérêt public, sur le plan de la détermination de son contenu, a
été pensé sous l’angle de deux grandes traditions. La première, d’inspiration utilitariste conçoit
l’intérêt public comme l’agrégat des intérêts particuliers de chaque membre qui compose la société.
La seconde, d’inspiration volontariste, considère que l’intérêt public transcende les intérêts
particuliers de chaque membre de la société, à la fois distinct et supérieur à ceux-ci. L’État et le droit
n’auront évidemment pas le même rôle selon que l’on épouse une conception utilitariste ou
volontariste de l’intérêt public. Dans le premier cas, l’État ne devra surtout pas interférer dans la
poursuite des intérêts particuliers de chaque individu, car c’est en s’attachant à la poursuite de leurs
intérêts particuliers que les membres qui composent une société concourent naturellement à la
formation de l’intérêt public. Dans une telle perspective, les règles de droit ne sont légitimes que si
elles s’accordent avec l’idée d’offrir toute la liberté nécessaire aux individus pour qu’ils soient en
mesure de poursuivre leurs intérêts particuliers. Dans une conception volontariste de l’intérêt public,
le rôle de l’État et du droit est tout autre. L’État a pour fonction d’incarner ce qui est commun dans
les intérêts particuliers de chacun. Il est le dépositaire de ce que les individus ont en commun et doit
veiller à protéger « l’intérêt du groupe » contre les intérêts égoïstes de chacun de ses membres. Les
règles de droit doivent correspondre à cet objectif et faire primer l’intérêt public sur les intérêts privés
de chacun. C’est en « oubliant » ses intérêts particuliers et en s’efforçant de voir dans l’intérêt de ses
semblables ce qui est juste également pour soi que les membres d’une société peuvent concourir à
établir le contenu de l’intérêt public. L’État et les règles de droit qui sont en vigueur doivent contribuer
à ce dessein.

L’intérêt public est une notion perméable. La portée des fonctions qui lui sont dévolues, qu’il
s’agisse de fonder l’existence de certains pouvoirs publics ou de fixer les buts et les limites de ceux-
ci, est largement tributaire du contexte économique, social et politique à l’intérieur duquel les
pouvoirs publics sont exercés. Les dernières décennies ont été caractérisées par la libéralisation des
échanges et la promotion de la libre concurrence dans toutes les sphères de la vie économique. Cela
a eu des conséquences certaines sur la façon d’envisager l’exercice du pouvoir contractuel de l’État.
L’encadrement contemporain des contrats publics québécois a été pensé en fonction des prémisses
suivant lesquelles l’ouverture des marchés et la protection de la libre concurrence sont les ingrédients
parfaits pour permettre à l’État de trouver les meilleurs cocontractants. Le fonctionnement de
l’Administration publique, sur le plan interne comme externe, a été influencé de façon importante par
la culture d’efficacité de la Nouvelle gestion publique dont les racines puisent dans des modèles
hérités de ce qui a fait le succès de certaines entreprises privées. Le citoyen que l’Administration
publique doit servir est devenu un client à satisfaire. L’action gouvernementale est quant à elle

298
devenue légitime dans la mesure de son efficacité. Ce n’est donc plus au prisme de l’intérêt public
que le citoyen-client juge de la légitimité des pouvoirs exercés par l’Administration publique, mais
en fonction du respect des principes chers à la Nouvelle gestion publique. Le contexte politique et
social des dernières années, en particulier au Québec, a également été caractérisé par une forte remise
en question du bon fonctionnement de certains modèles de l’Administration publique. Le système
d’attribution des contrats publics québécois a été passé au crible par la Commission Charbonneau
après qu’une série de scandales aient révélé l’omniprésence de la collusion et de la corruption dans
les contrats publics de construction. En réponse à cette situation, le gouvernement québécois a adopté
une série de réformes législatives ayant pour objectif d’assujettir les cocontractants de l’État à
certaines normes d’intégrité. De telles réformes s’inscrivent dans une pratique qui est de plus en plus
courante à l’étranger et qui consiste à lier le pouvoir contractuel de l’État à certains objectifs
environnementaux et sociaux.

En somme, l’on remarque que l’intérêt public sert à légitimer les pouvoirs publics, que ce soit
sous l’angle de leurs fondements, de leurs buts ou de leurs limites. Selon la tradition utilitariste, le
contenu de l’intérêt public est formé de la somme des intérêts particuliers et légitimes de chacun
tandis que dans son versant volontariste, l’intérêt public fonde sa légitimité sur ce que les individus
ont en commun. Dans tous les cas, ce que l’on constate, c’est que l’intérêt public est synonyme de
légitimité. Pour reprendre l’expression du professeur Didier Truchet que nous avons utilisée à maintes
reprises dans les pages précédentes, l’intérêt public sert à « mettre de la légitimité dans la légalité ».
Ce que l’on constate également, c’est que le contenu de l’intérêt public n’est jamais fixé à l’avance
et qu’il vise dans tous les cas, à satisfaire les intérêts d’une communauté de personnes, que celle-ci
soit vue comme un tout ou comme la somme des individus qui la composent.

Forts de ces précisions sur ce que revêtent les notions de contrat public et d’intérêt public et
mieux informés sur le contexte économique, politique et social au sein duquel elles évoluent, nous
nous sommes employés à dégager la conception dominante de l’intérêt public telle qu’elle se dégage
du cadre normatif applicable aux contrats publics. Pour ce faire, il nous est apparu logique de
commencer notre analyse en regardant les éléments du cadre normatif qui font nommément référence
à la notion. Comme nous l’avons mentionné d’entrée de jeu, l’intérêt public n’est défini par aucune
disposition législative. Toutefois, il existe certains articles dans les textes de loi et certains dispositifs
non juridiques applicables aux contrats publics qui font précisément référence à l’intérêt public. Nous
avons alors cherché à voir ce que ces éléments juridiques et non juridiques pouvaient nous révéler à

299
l’égard sur la façon dont est conçue la notion dans le cadre de l’exercice du pouvoir contractuel de
l’État.

Nous avons alors découvert que l’intérêt public peut être invoqué par un organisme public
pour être exempté de la procédure d’appel d’offres à laquelle aurait normalement été assujetti l’octroi
d’un contrat738. L’analyse que nous avons faite montre que cela peut se produire lorsqu’il y a une
absence de concurrence sur le marché et que tout porte à croire qu’un seul soumissionnaire répondrait
à l’appel d’offres. Il devient alors préférable de lui octroyer le contrat de gré à gré pour éviter le temps
et les coûts associés à la préparation d’un appel d’offres publics. Les organismes publics invoqueront
également que l’appel d’offres ne servirait pas l’intérêt public lorsqu’ils sont placés dans une situation
d’urgence et qu’un contrat doit être octroyé rapidement. Nous avons également répertorié quelques
cas où l’intérêt public a été invoqué pour pouvoir poursuivre une relation d’affaires avec un
fournisseur plutôt que retourner en appel d’offres et de courir le risque de devoir poursuivre un projet
déjà entamé avec un nouveau partenaire. Dans tous les cas, nous avons remarqué que l’intérêt public
permet d’échapper à la procédure d’appel d’offres public. Nous avons aussi constaté que pour pouvoir
échapper à l’appel d’offres public, l’organisme public doit démontrer que cette procédure ne servirait
pas l’intérêt public. Outre l’urgence ou la sécurité des personnes et des biens, c’est l’absence anticipée
de concurrence qui sera alors invoquée. Nous en avons retenu deux choses. Premièrement, que l’appel
d’offres public et le processus de mise en occurrence qui en découle sont présumés servir l’intérêt
public. Deuxièmement, qu’il est possible de démontrer qu’un appel d’offres public ne servirait pas
l’intérêt public s’il y a une absence de concurrence sur le marché. En somme, intérêt public et libre
concurrence prennent ici le sens de deux expressions synonymes.

L’autre situation où il est nommément question d’intérêt public est celle où le législateur a
prévu qu’un contrat pourrait être conclu (ou continué) avec une entreprise qui est pourtant
inadmissible aux contrats publics739. L’analyse que nous avons faite des situations où il été fut permis
à une entreprise inadmissible aux contrats publics de poursuivre des contrats déjà entamés laisse
entendre que l’objectif était surtout d’éviter l’interruption de plusieurs projets publics d’envergure en

738
Rappelons que la Loi sur les contrats des organismes publics, préc., note 97, art. 13 (4) prévoit qu’un contrat
public normalement assujetti à la procédure d’appel d’offres peut être octroyé de gré à gré « lorsqu’un
organisme public estime qu’il lui sera possible de démontrer, compte tenu de l’objet du contrat et dans le respect
des principes énoncés à l’article 2, qu’un appel d’offres public ne servirait pas l’intérêt public »
739
Rappelons que depuis l’entrée en vigueur de la Loi 1, une entreprise qui veut faire affaire avec l’État doit
obtenir une autorisation à cet effet et que cette autorisation ne lui est consentie que si elle satisfait aux
« exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre », Id., art. 21.27.

300
même temps. L’autre conclusion à laquelle il nous semble logique d’arriver est que les contrats qui
présentent une nature intuitu personae, tels que ceux qui portent sur la conception de plans et devis,
ont moins de chance d’être interrompus lorsque le prestataire devient inadmissible en cours de route.
Du côté des nouveaux contrats, nous avons constaté que le Conseil du trésor avait « levé »
l’inadmissibilité de certaines entreprises lorsque cela était justifié par des motifs ayant trait à la
sécurité des personnes ou des biens, à l’urgence de la situation, au respect des échéanciers, au
maintien des emplois dans une région éloignée ou en raison d’une absence de concurrence dans un
domaine d’expertise en particulier. Dans ces cas, il est plus difficile de se prononcer sur une
conception particulière de l’intérêt si ce n’est celle de permettre de résoudre des situations
exceptionnelles que la loi ne peut anticiper.

L’analyse de certaines politiques de gestion contractuelle rendues disponibles par des


organismes publics nous a également permis de constater que la notion d’intérêt public était souvent
utilisée pour rappeler aux destinataires de ces politiques les raisons qui permettent de se soustraire de
la procédure d’appel d’offres public. Nous avons également constaté que certaines politiques de
gestion contractuelle érigent l’intérêt public au rang de valeur fondamentale. Par contre, la description
qui en est faite laisse entrevoir qu’il n’y a sans doute pas eu une réflexion très approfondie sur le sens
à donner à cette expression. Dans un cas, l’intérêt public est défini comme étant une conduite exempte
de conflits d’intérêts. Dans un autre, il est défini comme une composante essentielle de l’excellence.

Étant mieux renseignés sur ce que peut signifier l’intérêt public dans les cas où le législateur
et les organismes publics y font nommément référence, nous nous sommes ensuite tournés vers le
cadre juridique dans son ensemble pour comprendre son fonctionnement général et voir ce qu’il peut
nous révéler en regard de l’intérêt public. Nous avons alors constaté que les règles juridiques
applicables aux contrats publics portent quasi exclusivement sur les modes de sollicitation et sur les
critères d’attribution des contrats publics. Quiconque survole les textes de loi qui encadrent l’activité
contractuelle étatique remarquera assez rapidement que le législateur s’est surtout employé à régir les
moyens d’octroyer les contrats publics plutôt que les finalités de ceux-ci. Nous avons également
remarqué qu’en faisant de l’appel d’offres public le principal mode de sollicitation des contrats
publics, le législateur cherche d’abord et avant tout à favoriser la libre concurrence. Cet objectif
l’emporte sur les autres finalités pourtant prévues par la loi telles que le respect des orientations
gouvernementales en matière de développement durable et d’environnement. Le fait d’assujettir les
contrats publics à un cadre juridique presque entièrement dédié à l’assurance d’une saine concurrence
témoigne de l’emprise de la logique économique dans la régulation de l’activité contractuelle étatique.

301
Il nous est ensuite apparu nécessaire de vérifier sur quoi cette concurrence devait porter. Le
fait que les aspirants cocontractants de l’État soient appelés à rivaliser les uns contre les autres en
regard de la qualité de leur prestation, du prix de celle-ci ou de la responsabilité sociale de leurs
activités, révèle des conceptions bien différentes de l’intérêt public. Nous avons alors constaté que le
principal critère d’attribution des contrats publics québécois est fondé sur le principe du plus bas prix
conforme. Bien que les organismes publics soient autorisés dans bien des cas à inclure des critères
ayant trait à la qualité des soumissions proposées et même à favoriser des entreprises issues de
l’économie sociale, il n’en demeure pas moins que le prix reste le critère d’attribution de référence et
celui qui demeure le plus simple à utiliser. Ce constat, jumelé au modèle concurrentiel que nous
avions mis en évidence plus tôt, venait confirmer notre hypothèse initiale, à savoir que le cadre
normatif applicable aux contrats publics est dominé par une conception budgétaire de l’intérêt public.
L’ensemble des règles qui régissent l’activité contractuelle de l’État sont fondées sur la prémisse que
l’intérêt public est adéquatement servi si l’on met en place un régime qui s’assure de trouver la
prestation la plus concurrentielle économiquement parlant.

Cela étant, dans un domaine comme celui des contrats publics, l’on ne peut faire abstraction
des normes qui sont induites par la jurisprudence. Les principes qui s’en dégagent sont d’une
importance capitale, non seulement pour leur valeur sur le plan juridique, mais aussi sur le plan
interprétatif. L’ambiguïté intrinsèque de la notion d’intérêt public qui fait en sorte que l’expression
peut recevoir plusieurs significations. Nous nous permettons de citer à nouveau le professeur Albert
Mayrand qui faisait si bien remarquer que « [l]a loi [ou un principe en découlant], lorsqu’elle présente
du doute ou de l’ambiguïté, commande au juge de l’interpréter. Cette mission oblige le juge à lire
entre les lignes de la Ioi; mais, c'est fatal, tous n'y lisent pas la même chose »740.

L’analyse de la jurisprudence portant sur le contentieux des contrats publics a été


extrêmement révélatrice. Cette partie de notre analyse est de loin celle qui a été la plus utile pour voir
le visage concret de l’intérêt public lorsqu’il est question de l’exercice du pouvoir contractuel de
l’État. Nous avons observé que les tribunaux ont tendance à s’en remettre aux variables budgétaires
pour trancher les litiges dont ils sont saisis. Cela s’explique possiblement en raison de l’absence de
subjectivisme qui est généralement associée aux données chiffrées. Le prix est un critère d’octroi qui
peut être séduisant pour ceux qui sont appelés à arbitrer des différends. La neutralité axiologique et
l’apparente objectivité qu’il incarne en font un jalon qui est moins susceptible d’être débattu que des

740
A. MAYRAND, préc., note 52, 797.

302
critères tels que l’expérience, la compétence ou la qualité d’une soumission. L’analyse
jurisprudentielle que nous avons faite nous a également permis de noter que les juges avaient tendance
à utiliser l’expression contribuables lorsqu’il était question de l’intérêt des citoyens741. Le fait de
préférer l’expression contribuable à celle de citoyen nous semble particulièrement révélateur d’une
lecture de l’intérêt public axée d’abord et avant tout sur la protection des fonds publics.

D’autre part, l’étude des grands arrêts de la Cour suprême du Canada rendus sur le sujet des
contrats publics nous a permis de comprendre les origines de cette tendance des tribunaux à associer
l’intérêt public à la protection des fonds publics. Nous avons effectivement remarqué qu’à travers les
différents principes développés par la Cour suprême au fil du temps, tels que la règle du contrat A et
du contrat B, il y avait l’idée générale selon laquelle la libre concurrence est garante de l’intérêt public
dans le domaine des contrats publics. Plusieurs passages des arrêts étudiés montrent que les principes
qui doivent régir l’activité contractuelle étatique sont rattachés à l’idée que les organismes publics
seront mieux servis - et l’intérêt public également – si la concurrence entre les aspirants cocontractants
de l’État est parfaite. La plupart des questions en litige sont résolues à l’aide de la règle qui prévoit
que tous les soumissionnaires doivent être traités sur un pied d’égalité. Le débat ne porte pas sur ce
qui est dans le meilleur intérêt du public, mais sur la façon dont les soumissionnaires ont été traités.
Les passages de certains arrêts montrent même que certains juges assimilent la négociation entourant
la conclusion d’un contrat public à celle qui aurait cours dans une négociation entre deux parties
privées. L’organisme public et son cocontractant sont alors considérés comme des agents
économiquement rationnels qui cherchent à tirer profit d’une négociation. Un tel raisonnement fait
toutefois abstraction du contexte intrinsèquement public dans lequel se déroule tout projet faisant
l’objet d’un contrat public. En voulant à ce point protéger une saine concurrence entre les aspirants
cocontractants de l’État, les tribunaux ont contribué, sans doute involontairement, à confiner les
organismes publics dans un exercice qui les incite à concentrer tous leurs efforts sur le respect
minutieux du processus d’appel d’offres plutôt qu’à chercher à concevoir le meilleur projet et à choisir
le meilleur soumissionnaire. Par ailleurs, l’idée qu’un organisme public puisse tout prévoir et
transposer de façon intégrale et exacte ses besoins à l’intérieur d’un document d’appel d’offres est
très discutable. Dans la même veine, l’idée que les soumissionnaires concentrent tous leurs efforts à
trouver le point optimal entre le respect des critères prévus dans les documents d’appel d’offres et la
maximisation de leurs profits, est tout aussi discutable. Un tel système perd de vue la question centrale

741
Des expressions telles que les suivantes sont récurrentes : « en fonction du meilleur intérêt des
contribuables » ou « les fonds des contribuables montréalais » ou encore « ce qui est dans l’intérêt de la Ville
et, directement ou indirectement, des contribuables montréalais ».

303
qui devrait être posée dans tout projet qui fait l’objet d’un contrat public. Comment concevoir et
réaliser celui-ci dans le meilleur intérêt public ?

Nous avons également noté que dans le cadre des demandes d’injonction présentées par des
soumissionnaires déçus, les tribunaux se montrent généralement réticents à suspendre le processus
d’appel d’offres et que cela est d’autant plus vrai, lorsque l’organisme public dont la décision est
contestée s’apprête à octroyer un contrat au plus soumissionnaire ayant présenté le plus bas prix.
L’analyse de ces jugements révèle aussi que les tribunaux concluent généralement qu’il est contraire
à l’intérêt public de retarder plus longuement le processus d’appel d’offres qui fait l’objet de la
contestation dont ils sont saisis. Évaluant le critère de la balance des inconvénients, les juges font
souvent valoir qu’il est dans l’intérêt public que le projet se réalise le plus rapidement possible et qu’il
serait davantage préjudiciable, en regard de l’intérêt public, de suspendre l’appel d’offres pour que le
contrat soit octroyé au soumissionnaire qui aurait potentiellement dû être retenu. Or, cet argument
nous semble circulaire, car dans la quasi-totalité des cas, les projets qui font l’objet d’un appel d’offres
ont tout avantage à être réalisés rapidement et à l’intérieur des échéanciers fixés. Les juges font
également remarquer que ces projets sont importants, car ils visent à améliorer le système de transport
en commun d’une collectivité ou à desservir celle-ci en eau potable. Ils tablent sur cette importance
pour justifier la conclusion selon laquelle les appels d’offres contestés ne devraient pas être
suspendus. Or, tous les projets qui font l’objet d’un appel d’offres présentent ces caractéristiques
d’utilité sociale. Leur finalité est de servir l’intérêt public et il va de soi que si ceux-ci ne peuvent pas
être réalisés aussi promptement que prévu, la collectivité en subira un préjudice. La véritable question
qui devrait être posée est généralement évacuée du débat et consiste simplement à évaluer s’il est
dans l’intérêt public que le soumissionnaire retenu soit celui qui réalise le contrat convoité.

Dans les litiges qui portent sur la qualification des irrégularités contenues dans une
soumission, nous avons observé que l’incidence de l’irrégularité sur le prix constitue un facteur
déterminant pour sceller le sort des contestations dont sont saisis les tribunaux. Lorsqu’un
soumissionnaire déçu plaide que la soumission de son compétiteur aurait dû être rejetée, le tribunal
vérifiera si les irrégularités invoquées à l’égard de la soumission retenue sont mineures ou majeures.
Si l’irrégularité invoquée a une incidence sur le prix de la soumission, la règle veut que celle-ci soit
déclarée majeure ce qui entraîne de facto le rejet de la soumission retenue.

304
Notre analyse de la jurisprudence confirme elle aussi l’hypothèse que nous avions émise au
départ. Les principes développés par les tribunaux ainsi que l’interprétation que font les juges de
l’intérêt public atteste d’une conception budgétaire de la notion. Cela étant, nous avons également
répertorié un certain nombre de jugements qui font figure d’exception et qui montrent que cette
conception dominante n’est pas absolue. La plupart des jugements qui font « bande à part » ont été
rendus dans le cadre de litiges qui mettaient en cause les nouvelles dispositions de la LCOP visant à
exiger de la part des cocontractants de l’État qu’ils fassent preuve d’intégrité. Dans le cadre de ces
jugements, l’intérêt public a été interprété comme devant donner préséance à cette exigence
d’intégrité peu importe l’impact que celle-ci puisse avoir sur le bassin de soumissionnaires potentiels
auquel les organismes publics ont accès, lequel est nécessairement réduit. Dans ce cas particulier, la
dimension éthique de l’intérêt public s’est avérée plus déterminante que celle qui a trait à la
concurrence.

À la lumière de ces constats, nous avons conclu que la conception dominante de l’intérêt
public, telle qu’elle se dégage du cadre normatif applicable aux contrats publics, est essentiellement
budgétaire. L’exercice du pouvoir contractuel de l’État est envisagé selon une rationalité économique
où la question de l’intérêt public se pose surtout en termes de coûts. Or, comme nous l’avons mis en
évidence lors de notre analyse de la notion d’intérêt public, concevoir cette notion sous l’angle d’une
seule dimension est problématique. C’est le caractère polymorphe de l’intérêt public, le fait qu’il
s’agit d’une notion perméable capable de baliser l’exercice des pouvoirs publics en fonction de ce qui
est légitime dans chaque cas d’espèce qui en fait toute la valeur. Réduire l’intérêt public à une seule
de ses dimensions, qu’il s’agisse du budget, de l’esthétique, de la durabilité ou de l’échéancier, n’est
pas souhaitable, car c’est faire fi de l’ensemble des besoins et aspirations qui peuvent être pertinentes
aux yeux du public dans un contexte donné.

D’autre part, et c’est un élément que nous n’avions pas anticipé avant d’entamer notre
recherche, mais nous avons été étonnés de remarquer à quel point le public n’était pas impliqué à
aucun des stades du cycle de vie des projets publics. Alors que le pouvoir contractuel de l’État est
censé servir l’intérêt public, les citoyens – qui sont dans les faits les principaux bénéficiaires des
projets et ceux à qui appartient en principe la définition du contenu de l’intérêt public – sont
complètement exclus du processus qui mène à la réalisation d’un projet public. Le cadre normatif
présume que leur intérêt sera satisfait grâce à la concurrence que se livrent des entrepreneurs désireux
de participer aux projets publics et qui sont par le fait même appelés à donner le meilleur de ce qu’ils
ont à offrir. L’on présume également que l’Administration publique est en mesure de s’assurer que

305
les projets, au stade de leur conception, de leur exécution et de leur évaluation, répondent aux attentes
de la communauté qui en a besoin. Or, nous avons bien vu que la rationalité budgétaire qui est à
l’œuvre à chacune des étapes d’un projet public est loin de garantir que ceux-ci répondront
effectivement aux attentes complexes, contextuelles et plurielles du public.

À lui seul, le fait que l’intérêt public soit dominé par une conception univoque justifie un
exercice de refondation. Pour lui permettre de retrouver sa vocation qui consiste à « mettre de la
légitimité dans la légalité » encore faut-il que cette légitimité puisse être pensée en fonction de la
panoplie de dimensions que suppose l’intérêt public. L’objectif n’est pas de récuser ou de
marginaliser la dimension budgétaire, laquelle n’est certainement pas dénuée d’importance dans bien
des projets publics. C’est simplement que son importance est relative et qu’elle est susceptible de
varier d’un projet à l’autre. Or, le fait que l’intérêt public soit confondu avec une seule de ses
dimensions empêche de voir l’importance relative de chacune de ses dimensions. La refondation à
envisager implique ce faisant de recentrer l’exercice du pouvoir contractuel sur la satisfaction de
l’intérêt public conçu comme cadre de légitimité capable d’intégrer les points de vue de tous les
acteurs sociaux concernés. Cette refondation implique également de faire réapparaitre le public dans
un processus qui vise précisément à satisfaire son intérêt.

Pour toutes ces raisons, il nous est apparu pertinent de recourir à la démocratie administrative
comme cadre général de refondation de la notion d’intérêt public lors de l’exercice du pouvoir
contractuel de l’État. Le concept de démocratie administrative, tel qu’il est envisagé en droit
administratif, vise à revoir la relation entre les citoyens et l’Administration publique à l’aune de l’idéal
démocratique. Celle-ci peut être définie « comme le processus d’exportation ou de diffusion de
principes issus de la sphère politique de la démocratie parlementaire – principes de publicité, de
participation, de délibération et de motivation – vers la sphère administrative »742. Les principes qui
sous-tendent le concept de démocratie administrative et les dispositifs démocratiques qu’il suppose,
nous ont semblé particulièrement propices pour répondre aux lacunes qui caractérisent le modèle
actuel. D’une part, il remet le citoyen au cœur des projets publics qui lui sont destinés. Ensuite, il
permet de repenser l’intérêt public au cas par cas, en fonction de ce qui est légitime dans chaque

742
François LAFARGE, Fabrice LARAT et Michel MANGENOT, « Introduction. La démocratie administrative »,
(2011) 137‑138-1‑2 Revue française d’administration publique 7, 8.

306
contexte donné. Il extirpe ainsi le pouvoir contractuel de l’État de l’emprise de toute conception
unidimensionnelle.

Nous avons cru utile d’enrichir le concept de démocratie administrative à l’aide de la théorie
deweyenne de la démocratie et du concept de démocratie d’exercice développé par Pierre
Rosanvallon. La conjugaison de ces théories nous permet d’envisager de façon concrète ce à quoi
pourrait ressembler le processus d’élaboration du contenu de l’intérêt public lors de l’exercice du
pouvoir contractuel de l’État. Dans la perspective de John Dewey, les projets publics doivent faire
appel aux savoirs d’usage des citoyens et aux savoirs professionnels des experts. Ceux-ci sont
complémentaires. À l’instar de tout processus démocratique, il faut envisager les projets publics de
manière interactive et avec pragmatisme. Cela signifie que toutes les parties prenantes concernées par
un projet public doivent interagir afin de déterminer ce qui est d’intérêt public, en fonction du
contexte particulier dans lequel s’inscrit le projet743.

Or, la mise en place de dispositifs participatifs au sein de l’Administration publique n’est pas
exempte de défis. Certains auteurs tels que Loïc Blondiaux, Alice Mazeaud et Magali Nonjon ont
remarqué que l’objectif fondamental derrière ceux-ci, à savoir de rendre l’action publique plus
légitime, n’était pas toujours rencontré. Observant certains dispositifs implantés en France et ailleurs,
ils constatent la difficulté de ces dispositifs à traduire les aspirations et les besoins des franches les
plus vulnérables de la population et remarquent que les citoyens sont difficiles à mobiliser,
notamment parce qu’ils ont l’impression que les pouvoirs publics ne font que les consulter sans tenir
véritablement compte de leurs opinions.

Pour éviter les pièges contre lesquels nous mettent en garde ces auteurs et pour aller encore
plus loin dans le développement de contrats publics exercés à l’aune de la démocratie administrative,
nous avons trouvé dans l’ouvrage de Pierre Rosanvallon, Le bon gouvernement, un allié très précieux.

743
Comme le fait remarquer une auteure qui a consacré de nombreux textes à la théorie deweyenne de la
démocratie : « La participation du public au gouvernement est donc beaucoup plus complète, exigeante et
constituante que la participation qui nous est familière, à savoir surveiller les gouvernants, les critiquer ou les
acclamer, et voter une fois de temps en temps. Dans la perspective ouverte par le pragmatisme, la fonction
politique des citoyens ne récuse pas le système représentatif mais le complète utilement en sécurisant d’une
manière inégalable à la fois les libertés des individus et ce que Dewey appelait, à la suite de Jefferson, « le mode
de vie démocratique ». Que cette philosophie pragmatiste soit l’avant-garde de la démocratie participative n’est
pas douteux. Qu’elle lui ajoute cette épaisseur culturelle et sociale dont les dispositifs participatifs aujourd’hui
ne sont pas encore dotés est une raison pour s’y rapporter et y trouver un éclairage irremplaçable ». J. ZASK,
préc., note 593.

307
Constatant une concentration de plus en plus grande des pouvoirs publics entre les mains du pouvoir
exécutif, Rosanvallon estime que le remède à ce qu’il nomme le « mal-gouvernement » consiste à
démocratiser le pouvoir exécutif. Il dessine pour ce faire les contours d’une démocratie d’exercice
qui se décline en deux volets. Une démocratie d’appropriation qui permet aux citoyens de se
réapproprier la chose publique grâce à la lisibilité, à la responsabilité et à la réactivité du pouvoir
exécutif. Et une démocratie de confiance qui consiste à exiger des gouvernants certaines qualités
telles que l’intégrité et le « parler vrai », lesquelles sont susceptibles de redonner confiance aux
citoyens et contribuer ce faisant à leur mobilisation à l’intérieur des institutions démocratiques.

Sur la base de ces principes, nous avons tenté de tracer les contours d’un pouvoir contractuel
exercé de façon lisible, responsable et réactive. Nous avons alors avancé quelques idées visant à
concrétiser une telle entreprise. Nous avons tout d’abord souligné l’importance de mettre l’accent sur
la lisibilité des contrats publics. La transparence de l’activité contractuelle étatique n’est pas
suffisante pour permettre aux parties concernées de se l’approprier. Les différentes parties prenantes
impliquées dans les contrats publics doivent s’efforcer de rendre leurs préoccupations lisibles et
divulguer leur compréhension des enjeux propres au projet dans lequel ils s’investissent. Les citoyens
doivent rendre leurs besoins intelligibles et les experts doivent permettre à ces derniers de comprendre
les enjeux techniques associés à chaque projet. Deuxièmement, nous avons insisté sur le fait que les
organismes publics doivent exercer leur pouvoir contractuel de façon responsable, ce qui signifie de
justifier leurs actes et d’évaluer en amont et en aval les conséquences de ceux-ci en regard de l’intérêt
public. En troisième lieu, nous avons expliqué ce que pourrait signifier, pour l’Administration
publique, de faire preuve de réactivité et d’interactivité lors de l’exercice de son pouvoir contractuel.
Il s’agit essentiellement de se rendre suffisamment disponible et accessible pour réagir adéquatement
aux besoins de la société. Cela implique d’interagir avec la société de manière à permettre aux
citoyens d’exercer leur autorité en regard des projets publics qui les concernent744.

Dans la foulée des propositions énoncées par Pierre Rosanvallon, nous avons ensuite identifié
les qualités dont devraient faire preuve les agents publics et les cocontractants de l’État pour concourir
à l’exercice démocratique du pouvoir contractuel de l’État. Tout comme Rosanvallon, il nous semble

744
Il s’agit d’une certaine façon de donner sens à ces propos d’Émile Durkheim : « L'État, avons-nous dit, est
l'organe de la pensée sociale. Ce n'est pas à dire que toute pensée sociale émane de l'État. Mais il en est de deux
sortes. L'une vient de la masse collective et y est diffuse ; elle est faite de ces sentiments, de ces aspirations, de
ces croyances que la société a collectivement élaborés et qui sont épars dans toutes les consciences. L'autre est
élaborée dans cet organe spécial qu'on appelle l'État ou le gouvernement. L'une et l'autre sont étroitement en
rapports ». É. DURKHEIM, préc., note 534, p. 73.

308
difficile d’envisager un projet de démocratisation des pouvoirs publics sans exiger certaines qualités
de la part de ceux qui exercent ces pouvoirs. Cela est d’autant plus vrai dans le contexte où la
confiance des citoyens envers leurs institutions est devenue largement tributaire du crédit qu’ils
accordent aux individus qui incarnent ces institutions. Il s’agit donc dans ce contexte de favoriser, à
la fois chez les agents publics et chez les cocontractants de l’État – ces derniers se trouvant par
extension investis d’une mission de service public – certaines qualités susceptibles d’assurer
l’exercice de leurs pouvoirs dans l’intérêt public entendu ici sous l’angle d’une rationalité
démocratique.

Enfin, nous nous sommes demandé si les propositions dont nous venions de tracer les
contours auraient avantage à s’inscrire dans une réforme juridique donnant au droit légiféré une large
place ou à l’intérieur de dispositifs non juridiques tels que des politiques de gestion contractuelle, des
directives internes ou des lignes de conduite destinées aux organismes adjudicateurs. Sans renoncer
à la possibilité de tabler sur des dispositifs non juridiques, il nous a semblé plus adéquat d’inscrire les
réformes envisagées à l’intérieur de mesures juridiques qui pourraient prendre la forme d’un Code de
la commande publique comme celui qui vient tout juste d’être adopté en France. L’idée n’est pas
d’épouser le contenu de celui-ci, sur lequel nous n’avons d’ailleurs pas fait porter notre analyse, mais
plutôt de miser sur le potentiel que présente un instrument juridique de cette nature en termes de
structuration et d’organisation des normes. Le droit, et en particulier le droit légiféré, nous semble
particulièrement avantageux pour concrétiser la rationalité démocratique sur laquelle devrait être
fondée l’exercice du pouvoir contractuel de l’État. Le droit possède certaines finalités intrinsèques
qui, lorsqu’elles sont envisagées de façon simultanée, lui donnent une valeur ajoutée par rapport aux
autres instruments normatifs. Nous pouvons effectivement compter sur le droit pour « qu’il définisse
un équilibre social général à vocation opératoire, qu’il soit en mesure de l’imposer par une contrainte
réglée, génératrice de confiance, et qu’il soit également susceptible d’assurer sa remise en cause dans
le cadre de procédures déterminées »745. Les propositions que nous avons formulées auraient avantage

745
Sur le fait que ces trois finalités sont spécifiques au droit, François Ost précise : « La formulation nuancée
et balancée de ces trois finalités indique, par ailleurs, que la véritable spécificité du droit tient dans le lien
dialectique qui les réunit : sa plus-value réside dans la mise en œuvre combinée et simultanée de ces trois
finalités. Séparées et dissociées, elles ne lui sont pas nécessairement spécifiques – pis : elles conduiraient, si le
droit devait s’y vouer exclusivement, à de graves déséquilibres (qu’il suffise d’imaginer ce que serait un droit
poursuivant exclusivement l’imposition de la contrainte, ou, à l’inverse, l’organisation de sa remise en cause).
F. OST, préc., note 731, p. 8‑9.

309
à s’inscrire à l’intérieur de paramètres juridiques pensés selon un juste équilibre entre ces trois
finalités.

Parmi les raisons qui nous font opter pour une réforme qui s’inscrirait à l’intérieur du droit
légiféré, il y a aussi l’objectif de rendre visible l’ensemble des normes qui doivent régir l’activité
contractuelle de l’État. Le droit légiféré, contrairement aux dispositifs non juridiques, est régi par des
règles de publicité qui le rend perceptible par tous. Les règles induites par la jurisprudence rencontrent
également cette qualité, mais dans une moindre mesure. Quant aux dispositifs non juridiques tels que
les directives internes ou les politiques de gestion contractuelle, celles-ci sont susceptibles de souffrir
d’un certain déficit sur le plan de leur cohérence et de leur accessibilité. Cela nous amène à souligner
certaines limites de la recherche que nous avons menée et dont nous venons de rendre compte. Ces
limites résident dans notre incapacité à saisir complètement et avec exactitude la façon dont les parties
qui interviennent de façon concrète dans les projets publics conçoivent l’intérêt public. Même s’il
n’est pas déraisonnable de croire que la conception dominante de l’intérêt public, telle qu’elle se
dégage des règles juridiques, de la jurisprudence et des dispositifs non juridiques que nous avons
analysés, joue sans doute un rôle important dans les pratiques des personnes qui conçoivent et
exécutent les contrats publics, il n’en demeure pas moins que leurs agir ne suit peut-être pas les mêmes
logiques que celles que nous avons mises en évidence. Ce n’est pas parce que le droit prescrit un
comportement que celui-ci se produit de façon identique à cette prescription. Il serait donc souhaitable
de confronter les conclusions de notre recherche à la réalité telle qu’elle se vit sur le terrain des
contrats publics. Une recherche empirique ayant pour objectif de cerner la conception de l’intérêt
public telle qu’elle se dégage des pratiques et des comportements des différentes parties prenantes
qui interviennent dans les projets serait à envisager comme suite logique de la recherche que nous
avons menée.

310
Table de la législation

TEXTES CONSTITUTIONNELS

Acte de Québec de 1774, 14 Geo. III, c. 83 (R.-U.).


Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

TEXTES FÉDÉRAUX

Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, c. C-34.


Loi sur l’expropriation, L.R.C. 1985, c. E-21.

TEXTES PROVINCIAUX

Charte de la Ville de Gatineau, RLRQ, c. C-11.1.


Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01.
Code municipal, RLRQ, c. C-27.1.

Décret 1119-2011 concernant la constitution de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion


des contrats publics dans l’industrie de la construction, (2011) 44 G.O. II, 4767.

Loi concernant la lutte contre la corruption, RLRQ, c. L-6.1.


Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, RLRQ, c. P-
30.3.
Loi édictant la Loi concernant la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange canadien et visant la
conformité des mesures relatives aux contrats des organismes publics avec cet accord, l’Accord de
commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario et l’Accord économique et commercial
global entre le Canada et l’Union européenne et ses États membres, LQ 2010, c. 10.
Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, L.Q. 2002, c. 37.
Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal et la Société
d’habitation du Québec, L.Q. 2018, c. 8.
Loi prévoyant certaines mesures afin de lutter contre la criminalité dans l’industrie de la
construction, L.Q. 2009, c. 57.
Loi sur l’autorité des marchés publics, RLRQ, c. A-33.2.1.
Loi sur l’économie sociale, RLRQ, c. E-1.1.1.
Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, L.Q. 2012, c. 25.
Loi sur la Communauté métropolitaine de Montréal, RLRQ, c. C-37.01.
Loi sur la Communauté métropolitaine de Québec, RLRQ, c. C-37.02.
Loi sur la divulgation d’actes répréhensibles dans l’intérêt public, LY 2014, c. 19.

311
Loi sur la financière agricile du Québec, RLRQ, c. L-0.1.
Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.
Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, RLRQ, c. D-8.1.
Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19.
Loi sur les contrats des organismes publics, projet de loi n°17 (présentation - 11 mai 2006), 2e
sess., 37e légis. (Qc).
Loi sur les contrats des organismes publics, projet de loi n°17 (adoption - 15 juin 2006), 2e sess.,
37e légis. (Qc).
Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c. C-65.
Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire, RLRQ, c. E-14.1.
Loi sur les infrastructures publiques, RLRQ, c. I-8.3.
Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de
la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment, L.Q. 2011, c. 35.
Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité
et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, L.Q. 2017, c. 13.
Règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics (projet),
(2018) G.O. II, 4231.
Règlement sur certains contrats d’approvisionnement des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r.
2.
Règlement sur certains contrats de services des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r. 4.
Règlement sur l’adjudication de contrats pour la fourniture de certains services professionnels,
RLRQ, chapitre C-19, r. 2.
Règlement sur le financement, RLRQ, c. A-3.001, r. 7.
Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics, RLRQ c. C-65.1, r.
5.
Tarif d’honoraires pour services professionnels fournis au gouvernement par des architectes,
RLRQ c C-65.1, r. 9.
Tarif d’honoraires pour services professionnels fournis au gouvernement par des ingénieurs,
RLRQ c C-65.1, r. 12.

ENTENTES MULTILATÉRALES

Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario, 1er octobre 2009, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-avec-letat/cadre-normatif-de-la-gestion-
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Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et du Nouveau-Brunswick, 3 octobre 2008,
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Directive concernant la gestion des risques en matière de corruption et de collusion dans les
processus de gestion contractuelle, C.T. 216501 du 14 juin 2016, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/gesti
on_risques.pdf.>.
Directive concernant la reddition de comptes en gestion contractuelle des organismes publics, C.T.
217155 du 5 juillet 2016, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/redd
ition_comptes.pdf.>.
Directive concernant les frais de déplacement des personnes engagées à honoraires par des
organismes publics, C.T. 212379 du 26 mars 2013, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/cadre_normatif/frais
_deplacement.pdf.>.
Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, en ligne :
<https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/infrastructures_publiques/directive_gestion
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Politiques

Politique concernant les Contrats d’approvisionnement, de services et de travaux de construction,


en ligne :
<file:///Users/Antoine/Downloads/contrats_approvisionnement_services_travaux_constructi
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Montréal, en ligne :
<http://www.cvm.qc.ca/cegep/reglesPolitiques/Documents/Politiques/politique_approvision
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<https://placedesarts.com/sites/default/files/09122013-politique-autorisation-contrats-
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l’Université Laval, en ligne :
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Politique de gestion contractuelle concernant la conclusion de contrats d’approvisionnement, de
services et de travaux de construction de l’École de technologie supérieure, en ligne :
<https://www.etsmtl.ca/A-propos/Direction/Politiques-
reglements/Politique_gestion_contractuelle.pdf>.
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processus d’appel d’offres des contrats des organismes publics.
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<http://csdm.ca/wp-content/blogs.dir/6/files/PolitiqueAttributionContrats.pdf>.
Politique du CHU de Québec-Université Laval en regard des lignes internes de conduite
concernant la gestion des contrats d’approvisionnement, de services, de travaux de
construction et aux contrats en matière de technologies de l’information, Politique no 741-
01, en ligne : <https://www.chudequebec.ca/getmedia/f1482693-2b17-41e1-b228-
7c5aa5179513/741-01_POL_gestion_contrats_CHUdeQbc-
UL_RECUEIL.aspx+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=ca>.

Publications diverses

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Sûreté du Québec (SQ), Service électronique des appels d’offres (SEAO), 16 août 2018.
CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE LA MONTÉRÉGIE-EST. Réfection
maçonnerie - Elisabeth-Lafrance, Service électronique des appels d’offres (SEAO), 25
juillet 2018.
CIUSSS DU CENTRE-SUD-DE-L’ÎLE-DE-MONTRÉAL (CCSMTL). Entente de services pour activités
de développement d’habilités de travail 2017-2018, Service électronique des appels
d’offres (SEAO), 16 novembre 2017.
DIRECTION DE LA REDDITION DE COMPTES ET DU SOUTIEN À L’ENCADREMENT DES CONTRATS
PUBLICS, Statistiques sur les contrats des organismes publics 2017-2018, Québec,
Secrétariat du Conseil du trésor, 2019.
DIRECTION DES IMMOBILISATIONS - MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS.
Processus d’élaboration d’un projet de construction - Guide à l’intention des
professionnels du ministère, responsables des projets d’immobilisation, 2005.
INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC. Fourniture d’essais d’aptitudes avec analyse
de résultats, Service électronique des appels d’offres (SEAO), 10 juillet 2018.
MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES ET DE L’HABITATION, « Gestion contractuelle », en ligne :
<https://www.mamh.gouv.qc.ca/gestion-contractuelle/gestion-contractuelle/#c6995>
(consulté le 23 décembre 2018).
MINISTÈRE DES TRANSPORTS, DE LA MOBILITÉ DURABLE ET DE L’ÉLECTRIFICATION DES
TRANSPORTS. Cahier des charges et devis généraux – Services professionnels - Édition
2018, Gouvernement du Québec, 2018.

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RÉGIE DE L’ASSURANCE MALADIE DU QUÉBEC. Service d’assistance technique et de maintenance
pour les produits Microsoft (Contrat Entreprise), Service électronique des appels d’offres
(SEAO), 23 mars 2018.
SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR. Documents d’appel d’offres à l’intention des organismes
publics - Appel d’offres fondé uniquement sur le prix, V2019-06-12.
———, Documents d’appel d’offres à l’intention des organismes publics - Appel d’offres fondé
uniquement sur une évaluation de la qualité pour l’octroi d’un contrat de services, V2019-
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SOUS-SECRÉTARIAT AUX MARCHÉS PUBLICS DU CONSEIL DU TRÉSOR DU QUÉBEC, « Types de
contrats », Faire affaire avec l’État, en ligne : <https://www.tresor.gouv.qc.ca/faire-affaire-
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954532-duchesneau-a-la-tete-dune-unite-anticollusion.php> (consulté le 17 décembre
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officiellement établie au Québec », Le Devoir (19 février 2011), en ligne :
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est-officiellement-etablie-au-quebec> (consulté le 17 décembre 2018).
LESSARD, D., « Charest lance la commission Charbonneau sur la construction », La Presse (19
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337
Annexe I

ACCORDS DE LIBÉRALISATION DES MARCHÉS PUBLICS


SEUILS D’APPLICATION
CONTRATS D’APPROVISIONNEMENT
Accord ACI/
1 2 2 EQO
Entités ALEC ACCQO AECG AQNY AMP
1 2006
AQNB
Ministères et organismes budgétaires 25,3 k$ 25,3 k$ 365,7 k$ 25,3k$ 649,1 k$

Autres organismes du gouvernement 25,3 k$ 25,3 k$ 365,7 k$ 25,3 k$

Éducation 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Santé et services sociaux 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Domaine municipal3 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Entreprises du gouvernement à vocation


505,4 k$ 505,4 k$ 649,1 k$
industrielle ou commerciale
Entreprises de services publics 505,4 k$ 505,4 k$ 731,4 k$

CONTRATS DE SERVICES
Accord ACI/
1 2 2 EQO
Entités ALEC ACCQO AECG AQNY AMP
1 2006
AQNB
Ministères et organismes budgétaires 101,1 k$* 101,1 k$ 365,7 k$ 101,1 k$ 649,1 k$

Autres organismes du gouvernement 101,1 k$* 101,1 k$ 365,7 k$ 101,1 k$

Éducation 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Santé et services sociaux 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Domaine municipal3 101,1 k$ 101,1 k$ 365,7 k$

Entreprises du gouvernement à vocation


505,4 k$ 505,4 k$ 649,1 k$
industrielle ou commerciale
Entreprises de services publics 505,4 k$ 505,4 k$ 731,4 k$
* Les contrats de publicité et de relations publiques sont visés à l’AQNB à partir de 200 k$.

CONTRATS DE TRAVAUX DE CONSTRUCTION


Accord ACI/
1 2 2 EQO
ALEC ACCQO AECG AQNY AMP
Entités 1 2006
AQNB
Ministères et organismes budgétaires 101,1 k$ 101,1 k$ 9,1 M$ 101,1 k$ 9,1 M$

Autres organismes du gouvernement 101,1 k$ 101,1 k$ 9,1 M$ 101,1 k$

Éducation 252,7 k$* 101,1 k$ 9,1 M$

Santé et services sociaux 252,7 k$* 101,1 k$ 9,1 M$

Domaine municipal3 252,7 k$* 101,1 k$ 9,1 M$

Entreprises du gouvernement à 5 053 900 $ 5 053 900 $ 9,1 M$


vocation industrielle ou commerciale
Entreprises de services publics 5 053 900 $ 5 053 900 $ 9,1 M$

Société des alcools du Québec 5 053 900 $ 5 053 900 $ 9,1 M$ 100 k$**
Société des loteries du Québec
Visé par Selon
Hydro-Québec (HQ) l’ALEC 5 053 900 $ 9,1 M$ politique
5 053 900 $ d’HQ***
* Ouverture à partir de 100 000$ aux entrepreneurs du Nouveau-Brunswick.
** Pas d’obligation d’attribuer les contrats par appel d’offres public.
*** Ouverture aux entrepreneurs de l’Ontario si l’appel d’offres est ouvert à l’ensemble des
entrepreneurs du Québec ou uniquement aux entrepreneurs de l’Outaouais.
1. Les seuils de l’ALEC et de l’ACCQO sont indexés tous les deux ans en fonction de l’inflation.
2. Il est à noter que les seuils de l’AMP et de l’AECG sont fixés en droits de tirage spéciaux (DTS). Les seuils en
dollars canadiens ne sont présentés ici qu’à titre indicatif. Ces seuils sont ajustés tous les deux ans en fonction de
er
l’évolution du taux de change DTS-dollars canadiens. Le dernier ajustement a eu lieu le 1 janvier 2018.
3. Conséquemment à la sanction le 19 avril 2018 de la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le
domaine municipal et la Société d’habitation du Québec (2018, chapitre 8), les entités du domaine municipal en
appliquant les lois municipales, se conformeront à l’AECG.
1
Sous-secrétariat aux marchés publics -19 avril 2018

338
LISTE DES ACRONYMES

ACI : Accord sur le commerce intérieur;


(continue à s’appliquer aux appels d’offres lancés avant le 1er juillet 2017)
ou

ALEC : Accord de libre-échange canadien;


(s’applique aux appels d’offres lancés le ou après le 1er juillet 2017)

ACCQO : Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l’Ontario;

AECG : Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne;

AQNB : Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et du Nouveau-


Brunswick;

AQNY : Accord intergouvernemental sur les marchés publics entre le gouvernement du


Québec et le gouvernement de l’État de New York;

EQO2006 : Entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de l’Ontario sur la


mobilité de la main-d’œuvre et la reconnaissance de la qualification
professionnelle, des compétences et des expériences de travail dans l’industrie
de la construction (2006);

AMP : Accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale de commerce.

Sous-secrétariat aux marchés publics –19 avril 2018

339
Annexe II

RÉGIME GÉNÉRAL CONCERNANT LA PASSATION DES CONTRATS MUNICIPAUX1


Contrats dont la dépense est inférieure au seuil obligeant l’appel d’offres public (moins de 101 100 $) :
Seuils Règles applicables
• De gré à gré ou, le cas échéant, selon les règles prévues dans le règlement sur la gestion
Jusqu’à 24 999 $
contractuelle (RGC) de l’organisme municipal
• Invitation écrite auprès d’au moins deux fournisseurs respectant un délai minimal de réception des
soumissions de 8 jours ou, le cas échéant, selon les règles prévues dans le RGC de l’organisme municipal
De 25 000 $ à 101 099 $
• Utilisation obligatoire d’un mode d’adjudication comprenant un système d’évaluation et de pondération
des offres pour les services professionnels

Contrats dont la dépense est égale ou supérieure à 101 100 $2 :


Types de contrats Seuils Règles applicables
Assurance et travaux autres À partir de
• Publication dans un journal pendant au moins 8 jours
que ceux de construction 101 100 $

• Publication dans le système électronique d’appel d’offres approuvé par


le gouvernement (SEAO) et dans un journal pendant au moins 15 jours
De 101 100 $
à 252 699 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs
ou d’entrepreneurs ayant un établissement au Québec, au Nouveau-Brunswick
ou en Ontario

Construction • Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours


De 252 700 $
à 9 099 999 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 30 jours
À partir de
9 100 000 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada ou en Union européenne
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours
De 101 100 $
à 365 699 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs
ou d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada
Approvisionnement
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 30 jours
À partir de
365 700 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada ou en Union européenne
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours
De 101 100 $
à 365 699 $ • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs
ou d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada
Services
Pour les services Pour les services couverts3 par l’Accord économique et commercial global (AECG) :
professionnels, utilisation • Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 30 jours
obligatoire d’un mode • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
d’adjudication comprenant À partir de d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada ou en Union européenne
un système d’évaluation et 365 700 $
de pondération des offres Pour les services non couverts par l’AECG :
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours
• Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs
ou d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada
Pour les services rendus par un avocat ou un notaire :
• Invitation écrite auprès d’au moins trois fournisseurs respectant un délai minimal
de réception des soumissions de 8 jours
De 101 100 $ Pour les services rendus par un ingénieur, un architecte, un arpenteur-géomètre,
à 365 699 $ un comptable ou un médecin vétérinaire :
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours
• Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
Services professionnels d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada
à exercice exclusif
Pour les services rendus par un avocat ou un notaire :
Utilisation obligatoire • Invitation écrite auprès d’au moins trois fournisseurs respectant un délai minimal
d’un mode d’adjudication de réception des soumissions de 8 jours
comprenant un système
d’évaluation et de Pour les services rendus par un ingénieur ou un architecte :
pondération des offres • Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 30 jours
À partir de • Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs ou
365 700 $ d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada ou en Union européenne
Pour les services rendus par un arpenteur-géomètre, un comptable
ou un médecin vétérinaire :
• Publication dans le SEAO et dans un journal pendant au moins 15 jours
• Possibilité de considérer seulement les soumissions de fournisseurs
ou d’entrepreneurs ayant un établissement au Canada

1
L’information fournie dans ce document ne couvre que certaines obligations légales en matière de passation des contrats municipaux. En tout temps,
les organismes municipaux sont tenus de se référer à leur cadre légal.
2
Le seuil de la dépense d’un contrat qui ne peut être adjugé qu’après une demande de soumissions publique, les plafonds de la dépense permettant

de la (2018, chapitre 8).

3
Les services couverts par l’AECG sont les suivants : a) les services de messagerie et de courrier, y compris le courrier électronique; b) les services
de télécopie; c) les services immobiliers; d) les services informatiques, y compris ceux de consultation en matière d’achat ou d’installation de logiciels
ou de matériel informatique et ceux de traitement de données; e) les services d’entretien ou de réparation d’équipement ou de matériel bureautique;
f) les services de consultation en gestion, sauf les services d’arbitrage, de médiation ou de conciliation en matière de gestion des ressources
humaines; g) les services d’architecture ou d’ingénierie, sauf ceux reliés à des travaux de construction d’infrastructure de transport; h) les services
d’architecture paysagère; i) les services d’aménagement ou d’urbanisme; j) les services d’essais, d’analyse ou d’inspection en vue d’un contrôle
de qualité; k) les services de nettoyage de bâtiments, y compris l’intérieur; l) les services de réparation de machinerie ou de matériel.

340
EXCEPTIONS PRÉVUES PAR LA LOI ET LE RÈGLEMENT
RELATIVEMENT AUX RÈGLES APPLICABLES À LA PASSATION DE CONTRATS
PAR LES ORGANISMES MUNICIPAUX
• Tarif gouvernemental pour un contrat d’approvisionnement ou un contrat pour la fourniture de services
(art. 573.3 (1º) Loi sur les cités et les villes (ci-après LCV), 938 (1º) du Code municipal (ci-après CM))
• Contrat relatif à la fourniture d’assurances, d’approvisionnement ou de services, soit avec un organisme public,
soit avec un fournisseur unique4
(art. 573.3 (2º) LCV, 938 (2º) CM)
• Contrat d’assurance ou contrat pour la fourniture de services autres que ceux couverts par l’AECG ou que ceux en matière
de collecte, de transport, de transbordement, de recyclage ou de récupération des matières résiduelles, qui est conclu avec
un organisme à but non lucratif
(art. 573.3 (2.1º) LCV, 938 (2.1º) CM)
• Contrat conclu avec une coopérative de solidarité qui répond aux conditions prescrites dans la loi
(art. 573.3 (2.2º) LCV, 938 (2.2º) CM)
• Contrat pour la fourniture de services couverts par l’AECG qui est conclu avec un organisme à but non lucratif et qui comporte
une dépense inférieure à 365 700 $
(art. 573.3 (2.3º) LCV, 938 (2.3º) CM)
• Contrat d’approvisionnement qui est conclu avec un organisme à but non lucratif et qui comporte une dépense inférieure
à 365 700 $
(art. 573.3 (2.4º) LCV, 938 (2.4º) CM)
• Contrat relatif à des biens meubles ou à des services reliés au domaine artistique ou culturel
(art. 573.3 (4º) LCV, 938 (4º) CM)
• Contrat de camionnage par le biais d’un permis de courtage
(art. 573.3 (3º) LCV, 938 (3º) CM)
• Fourniture d’espaces médias pour campagne de publicité ou promotion
(art. 573.3 (5º) LCV, 938 (5º) CM)
• Contrat qui découle de l’utilisation de logiciel ou progiciel et vise :
- à assurer la compatibilité avec des systèmes, progiciels ou logiciels existants
- la protection de droits exclusifs (droits d’auteur, brevets, licences exclusives)
- la recherche ou le développement
- la production d’un prototype ou d’un concept original
(art. 573.3 (6º) LCV, 938 (6º) CM)
• Contrat de services professionnels nécessaire dans le cadre d’un recours judiciaire ou quasi judiciaire
(art. 573, 4ºb du premier alinéa du paragraphe 1, 573.3.0.2 LCV, 935, 4ºb du paragraphe 1, 938.0.2 CM)
• Contrat conclu avec le concepteur de plans et devis découlant d’un contrat ayant fait l’objet d’une demande de soumissions

(art. 573.3, 2e alinéa LCV, 938, 2e alinéa CM)


• Contrat conclu avec le concepteur des plans et devis découlant d’un contrat ayant fait l’objet d’une demande de soumissions
pour la surveillance des travaux liés à une prolongation de leur durée dans le cadre d’un contrat à prix forfaitaire
(art. 573.3, 2e alinéa LCV, 938, 2e alinéa CM)
• Contrat de services professionnels à exercice exclusif pour lesquels le règlement du gouvernement détermine qu’aucune demande
de soumissions n’est requise (cela vise en pratique les contrats pour les services rendus par un médecin,

(art. 573.3, dernier alinéa et 573.3.0.1 LCV, 938, dernier alinéa et 938.0.1 CM)
• Contrat relatif à l’exécution de travaux d’enlèvement, de déplacement ou de reconstruction de conduites ou d’installations d’aqueduc,

des conduites ou des installations, soit avec une entreprise d’utilité publique pour un prix qui correspond à celui normalement exigé
(art. 573.3 (7º) LCV et 938 (7º) CM)
• Contrat relatif à la fourniture de services par un fournisseur qui, dans le domaine des communications,
de l’électricité ou du gaz, est en situation de monopole
(art. 573.3 (8º) LCV et 938 (8º) CM)
• Contrat relatif à l’entretien d’équipements spécialisés qui doit être effectué par le fabricant ou son représentant
(art. 573.3 (9º) LCV et 938 (9º) CM)
• Contrat relatif à l’exécution de travaux sur l’emprise de la voie ferrée exploitée comme telle et qui est conclu
avec le propriétaire ou l’exploitant de celle-ci
(art. 573.3 (10º) LCV et 938 (10º) CM)
• Pouvoir d’urgence du maire – Contrat pour cas de force majeure
(art. 573.2 LCV, 937 CM)
• Contrat accordé pendant un état d’urgence
(art. 47, Loi sur la sécurité civile, 2001, c. 76)
• Contrat faisant l’objet d’une dispense du ministre
(art. 573.3.1 LCV, 938.1 CM)
• Acquisitions par l’entremise du Centre des services partagés du Québec
(art. 573.3.2 et 29.9.2 LCV, 938.2 et 14.7.2 CM)
• Contrat octroyé par un président d’élection durant la période électorale dans les cas où une situation exceptionnelle
peut mettre en péril la tenue de l’élection
(art. 70.1 Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités)

pour s’assurer du caractère unique du fournisseur.

Document révisé en août 2018

341
Annexe III

342
343

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