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Les pratiques informelles

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objectifs du cours :
→comprendre ce que sont les pratiques informelles, et ce qu’on entend par ce terme.
→comprendre pourquoi elles sont importantes, afin de comprendre la Russie contemporaine.

Quand on parle d’informel, on ne parle pas d’une spécifité russe.


Avant d’être informelles, les pratiques informelles sont surtout des pratiques, normes sociales,
traditions, coutumes, usages (mais pas que!!)

Ce sont une forme de comportement dans un rapport ambivalent au droit et à la règle.


- droit = règle publique, énoncée, explicite.
On ne peut pas dire que les pratiques informelles sont nécessairement illégales, il ne faut pas les
limiter au contournement de la loi, ou de la règle explicite.
Dans une société, on a des règles fixes, puis un ensemble de procédés pour les interpréter et les
contourner.

2 niveaux  :
- la règle
- son contraire, sa relativisation, son atténuation.

Les pratiques informelles ont une norme, qui impacte les règles du jeu politique.
On a un ensemble informel qui règle les rapports sociaux (dans un milieu donné : milieu carcéral,
élites…).

On peut dire, si on veut les valoriser, qu’elles relèvent de l’inventivité, on décèle un attachement au
lien social.
On peut justifier l’emploi des pratiques informelles pour leur fonction utilitaire.
→marchés publics en Russie, beaucoup de
produits piratés et contrefaçon – qui étaient à l’époque indispensable, puisque inaccessibles ou trop
chers. toute une étude sur l’économie informelle, qui n’existe pas qu’en Russie, en Afrique aussi.
cette économie passe souvent dans les décombres du PNB, et on
en entend peut parler, puisque non formelle, non relayée et non chiffrée.
→bidonvilles, il y a toute une activité très développée, qui pèse beaucoup dans la balance globale
de l’économie d’un pays, mais qui ne sont pas prises en compte. Elles peuvent prendre la forme
d’un échange pas toujours monétisé, ou qui ne passe pas par les institutions bancaires.

Les règles des pratiques sociales informelles :

il faut savoir qu’on agit pas tjrs en connaissant la règle expliquant pourquoi on entreprend une
action.
Ludwig Wittgenstein → « Suivre la règle »(investigation philosophique) :
- la règle et son application
- la capacité de continuer [à faire]
→suite numérique de chiffre pair, on peut produire la suite, mais il est difficile d’expliquer la règle
et de décrire – en dehors d’un niveau superficiel – ce que l’on fait ; dans cet exemple je peux faire
cette suite, car cela peut être appris par imitation.
- donc les pratiques informelles sont avant tout des pratiques sociales, reposant sur
l’apprentissage et l’imitation.

La marge d’interprétation des règles et de leur application :

→ds un jeu comprenant une balle, on peut avoir une règle du type « lancer la balle », mais
cela n’indique pas la trajectoire exacte que la balle doit effectuer, ainsi je peux décider de lancer la
balle en haut ou alors en bas, près ou loin ; on a aussi la notion d’apprentissage.
→ tennis, pour lancer la balle convenablement il est nécessaire d’avoir a son acquis plusieurs
expériences ; si je suis un débutant ou si je suis un tennisman pro, l’habilité ne sera pas la
même et pourtant le lancer est régi par la même règle.
- donc une règle suppose une interprétation.
- pas d’obéissance mécanique, mais apprentissage par imitation.
-cela nécessite du temps, et une immersion culturelle. (On met souvent en œuvre des pratiques sans
les questionner.)

La dimension d’apprentissage :

Michael Polanyj → « Personal Knowledge »(1962) :


insiste sur la dimension d’apprentissage.
→quand on apprend à rouler à vélo,
il ne suffit pas de lire les instructions – l’apprentissage ne se fait pas du tout comme cela. On peut
découper l’apprentissage en plusieurs étapes : celle où on regarde ceux qui roulent afin de les imiter
et celle ou on se lance. C’est en roulant qu’on apprend à rouler.
- Pour s’approprier une règle, il faut d’abord la pratiquer + mémoire du corps à vie.
- On ne fait les gestes naturellement qu’à la suite d’une certaine pratique récurrente.

Dans ce processus, il y a une connaissance implicite. « We know more than we can tell ».
- difficulté de transmission du savoir : il n’est pas explicable.
- on peut décrire des procédés, mais c’est seulement en les pratiquant qu’on apprend véritablement.
→ ds le cas de la cuisine, il y a une recette à suivre et même si on la suit à la lettre et qu’on la
réussit, cela ne veut pas dire que l’on sait cuisiner ; c’est quand on est capable de réagir à différente
situation en modifiant la recette au bon moment que l’on peut dire que l’apprentissage est effectif.
- notion d’intériorisation.

John R. Searle → « The construction of social reality » (1995) :


background = ensemble des significations implicites sur lesquelles reposent nos expressions
conscientes.
- Bcp de présupposés dans la vie sociale :
→ je sais à quoi servent une porte, un escalier, un ordinateur, pas besoin de s’interroger sur le
pourquoi du comment de leur fonctionnement.
- Pour toutes les pratiques sociales, il faut un arrière-plan de présupposés, qu’on ne remet pas en
question, qui permette de se concentrer sur l’objectif, et pas la mise en application.
«  les expressions conscientes reposent sur ces significations implicites, et sur celles qui sont
inscrites dans nos corps ».
→ le danseur est capable de mouvements relativement complexe, mais c’est le résultat d’un
apprentissage, qui devient une sorte de seconde nature.
3 phases :
• ce qu’on fait de façon naturelle, mais gauche
• confrontation à une technique que l’on ne maîtrise pas
• résolution de l’opposition, quand elle devient une seconde nature

- comme les normes ne sont pas explicites, on en sait pas nous-même pourquoi on opère certaines
pratiques ; mais ces normes sont cependant bien utiles à notre fonctionnement et à celui de notre
société.

La sociologie des régimes d’engagement :

Laurent Thévenot : notion de régime d’engagement.


- développe la notion de régimes d’engagement. La justification se rapporte à un « ordre de
grandeur » spécifique. Un individu ne peut pas dire qu’il se rapporte aux autres par rapport à la
grammaire libérale (individuelle, autonome, rationnelle et orientée vers le futur) ou celle d’affinités
personnelles à des lieux-communs (espace ou objet partagé, long apprentissage, orienté vers le
passé, apolitisme). On peut intégrer ces grammaires dans la notion de pratique informelle.

- rites d’hospitalités/accueil de l’étranger, l’habitat (vie en foyer universitaire, droit de propriété),


le partage d’espaces urbains et de la nature, la dissertation, l’ambivalence de la grammaire des lieux
communs mobilisent le travail de l’historien, du sociologue et de l’anthropologue.

Pratiques façonnant l’individu à l’ère soviétique.

Oleg Kharkhordin → дружба en tant que pratique sociale.


- à la base de la division entre « eux » et « nous »
- amitié = amitié au sens littéral, mais aussi collectifs éphémères de personnes travaillant dans la
société, qui développent une connivence (entente secrète ; accord tacite), et ou la distinction entre
formel et informel a tendance à disparaître.

Aleksei Yurchak :
- oбщение ou тусовка = accointance (relation, liaison avec d'autres personnes, avec un milieu
déterminé) en tant que pratiques sociales.
- sont caractérisé(s) par le concept de вненаходимость = exotopie.
- exotopie : se trouver «  hors de »
-concept d’exotopie forgé par Mikhail Bakhtine (philosophe et historien de la littérature), dans
l’ouvrage « Aвтор и герой в эстетической деятельности ».

- ces pratiques sociales, ces cercles informels, se placent par rapport au système
dominant : à la fois in et extra-systémique.
→ fan autour d’une certaines œuvres, qui s’intéresse à la philosophie orientale : on ne conteste pas
ouvertement le système, mais la loyauté envers lui se résume à des gestes et paroles rituels, qui ne
nous engagent pas pleinement ; on n’est pas impliqué et l’on fait ce qui est demandé.
→ voter pour aux réunions du parti – il demande cela, car il est important que tout le
monde ait voté pour le compte rendu, mais on peut dire qu’on est réellement fidèle, car le vrai cœur
est ailleurs.

Anton Oleinik : ambivalence dans ces normes concernant l’univers carcéral.


ambivalence : caractère de ce qui comporte deux composantes de sens contraire, ou de ce qui se
présente sous deux aspects.
- plus les normes sont ambivalents, moins une société est moderne.
- Russie : modernisation inachevée pour plusieurs raisons :
- absence de frontière entre les sphères politiques et économiques privées/publiques,
législatives/exécutives.
- personnalisation des rapports soulignant le caractère duel des normes.

Тусовка : terme qui désigne ces accointances, issu de l’univers carcéral : c’est la
promenade des prisonniers et la place qu’ils occupent dans cet espace, qui est souvent un objet de
contestation.
→ Cet univers est particulier, mais il a une importance culturelle au vu du nombre de
personnes passées par le goulag.
→ Il a joué un rôle quant à la sociabilisation et dans la vie civile.

Définition des pratiques informelles

Alena Ledevna et Myriam Désert :


- pratiques impliquant la circulation d’objets de natures diverses selon des modalités non conformes
aux procédures réglementaires : offre de soins, autorisations administratives, places dans des
établissements scolaires, au cimetière ou sur la liste électorale d’un parti...

- fonctionnent comme par un mécanisme de compensation, parce que la règle est trop rigide, et
une telle rigidité présuppose que la règle ne sera pas entièrement appliquée.
- désignent aussi un régime économique particulier par l’opposition entre économie informelle et
légale, (→ блать)
- aussi un registre de sociabilité où on oppose les relations informelles et conventionnelles.

→ «  puis-je concilier être un bon ami et un bon citoyen ? » si un proche demande une faveur, il
s’agit de répondre à une demande d’ami ; mais du point de vue du système, c’est une pratique
informelle.

- dans un cadre plus étroit, elles sont très souvent en conflit avec le conventionnel fixé par la règle.
→attitude des enseignants quand il s’agit de donner des notes aux étudiants : est-ce qu’on se base
seulement sur la copie ou est-ce qu’on prend en compte son environnement ?

Vecteurs de la transition

- les pratiques informelles peuvent être vues comme un vecteur de la transition. (Myriam Désert).
→pr l’économie de marché, cette transition nécessitait l’emploi de ces pratiques.

- pour comprendre l’économie de marché à la russe, il faut comprendre ces


dernières : avant les réformes de marché, elles existaient, mais après cela elles se sont
adaptées à la monétisation.
À l’époque, l’argent était un moindre problème que l’accès au bien (on avait de l’argent, mais il n’y
avait pas le bien recherché.) Mais avec le passage à l’économie de marché, l’argent prend de plus
en plus d’importance.
→ fin de la perestroïka, ils ont influencé le passage à l’économie du marché, notamment en
convertissant les деревянные рубли en devise / en monnaie courante. Ils ont créé des
infrastructures fonctionnant comme moyen de faire passer les деревянные рубли.
- époque soviet, les échanges entre les entreprises (pas entre les particuliers) se faisaient en monnaie
qu’on ne pouvait convertir, ou обналичить (encaisser / décaisser). → cette monnaie existait sur le
papier, pour les besoins de l’échange. Au moment de la libéralisation/ de l’introduction des
réformes de marché, on convertissait les roubles en monnaie en assurant des salons vidéos, des
agences de voyage, en faisant de l’import-export pour convertir ces roubles – beaucoup de grandes
fortunes de Russie ont commencé comme ça. C’est comme ça qu’ont été créées les premières
banques russes.

Méthodologie et ambivalence des pratiques informelles (Alena Ledeneva)

« Les rapports soviétiques, entre société et pouvoir, étaient loin d’être totalitaires : non seulement
la société n’était pas totalement étatisée, mais elle avait instauré des solidarités de résistance à
l’État. Les réseaux réunis sous l’étiquette de sphère informel, c’est à juste titre qu’on est tenté de
l’assimiler à une sphère civile ».

- on admet pas tjrs les pratiques informelles, donc on utilise l’argot pr les décrire :
→ Блат (népotisme, ou échange de biens en dehors de circuit officiel)
→ Откат (dessous-de-table – ex : échange où la monétisation fait loi)
→ Круговая порука (responsabilité collective)
→ Распил (“scier”, diviser et redistribuer propriété/bénéfices, entente complice)
→ Чёрный пиар (calomnie)
→ Компромат (preuves compromettantes)

- affiche soviétique, avec écrit « Долг депутата - заботиться о благе народа »


- cela montre l’ambivalence des pratiques informelles motivationnelles, fonctionnelles et
substantives
→ ce député a sûrement des amis, une famille, s’il veut les khalass, il va devoir contourner la règle,
et aller à l’encontre de son devoir ici énoncé

L’ambivalence motivationnelle :« le brouillage de la frontière entre le public et le privé dans


l’exercice du pouvoir informel, à travers le contrôle et la cooptation »
- admission hors des conditions habituellement exigées.
- formation d’un réseau patron-client au travers duquel il est possible d’exercer la domination
politique, en impliquant des instruments de gouvernance informelle
→ Телефонное право, qu’on oppose à l’État de droit : époque soviet, un gouverneur pouvait
passer un appel téléphonique pour assurer un verdict favorable.

L’ambivalence fonctionnelle : « needs versus greed ».


- besoin versus avidité / satisfaction personnelle.
- cette pratique peut être justifiée en cas de stratégie de survie, dans le cas d’un service d’entraide
réciproque.
→Russie soviétique, les prix de l’alcool étaient élevés et cette ressource était limitée, donc des
personnes distillaient de l’alcool pour leur propre consommation ou pour le revendre.
→ Cas des datchas, il y avait peu de ressources disponibles, donc certains cultivaient leurs légumes
dans le jardin attenant.

- idée de profiter des lacunes du système, qui ne pourrait pas vivre sans ces pratiques

réelle ambivalence des pratiques informelles :


- elles sont nécessaires au maintien et fonctionnement du système.
- permettent de réaliser des projets, grâce à elles les choses sont faites, mais en même temps elles
minent l’ordre formel / juridique.
→блат: en URSS, le contournement du système est ce qui lui a permis de survivre/de se perpétuer.

- ambivalence substantielle complique l’étude des pratiques informelles.


- sondages servent à très peu de choses, car la plupart du temps, on répond alors que nous-mêmes
on ne sait pas pourquoi on agit de telle ou telle manière.
- « ce qui apparaît pour autrui comme de la corruption peut apparaître pour moi comme un acte
altruiste. »
→ obtenir une place à l’hôpital pour un proche, en soudoyant le médecin, peut être vu comme une
pratique corrompue ; mais en le faisant je n’ai, quelque part, pas le choix, pour le bien de mon
proche.

autre ambivalence : subjectivité quant à la qualification d’une pratique d’informelle pour un


individu lambda.

- ce qu’il reconnaîtra comme informel chez autrui, il peut ne pas le déceler chez lui-même
→ Très souvent, dans les questionnaires, les sociologues demandent aux gens s’ils ont utilisé le
блат  : ils se mettent sur la défensive et répondent par la négative. Mais si, d’un autre côté, on leur
demande si/combien des personnes dans leur entourage ont recours au блат, ils sont tout de suite
plus loquaces, allant même jusqu’à formuler des réflexions sur l’état de corruption du système.
Quand je le fais, de mon point de vue je sers mes proches, mais chez autrui c’est de la
corruption, un acte condamnable…
→ À l’époque de Brezhnev, on était souvent fier de dire qu’une action avait été menée par amitié, et
cela ne traversait pas l’esprit de quiconque qu’il puisse s’agir de favoritisme, alors que d’un autre
pov, oui.

Ledeneva  : les ambivalences ne sont pas nécessairement à condamner.

On peut, à partir du formel, d’une perspective normative, avoir une vision négative des pratiques
informelles : c’est l’approche qu’ont les institutions internationales, mais aussi souvent des autorités
politiques (qui clament lutter contre la corruption).

- Europe de l’Est, processus d’adhésion à l’UE : il y a des volets contre l’informel.


- on peut dire que la cause de l’échec des réformes promues en Russie dans les 80 réside
dans le fait qu’elles ne prennent pas en compte les pratiques informelles :
c’est là où arrive une autre ambivalence :
on ne peut pas abstraire ces pratiques, car elles sont hautement contextualisées, d’où le fait
qu’il est difficile de les généraliser.

Pour le système politique, en termes de réseau, c’est quelque chose que les acteurs eux-mêmes
doivent suivre au jour-le-jour. C’est une réalité très mouvante qui dépend d’un contexte particulier.
→ exemple de l’hôpital, pour définir s’il s’agit de corruption ou d’un geste désintéressé, on doit le
juger au cas par cas.

- les pratiques informelles nous invitent à transgresser les frontières de divers domaines des sciences
sociales, pour obtenir plus d’outils / de clés de compréhension.

- Russie : s’étend sur un grand territoire, ce qui complique l’étude des pratiques informelles,
notamment à cause des disparités régionales ; il faut parler à l’échelle
d’une ville ou d’une région pour être accurate.

- ethnographie / anthropologie, notamment dans l’étude des réseaux, s’entretient avec les acteurs.
- ausculte la parole de l’acteur, qui utilise des termes informels de l’argot pour décrire des pratiques,
sachant que l’acteur lui-même ne sait pas toujours le décrie adéquatement.

- on définit les pratiques informelles en oppositions avec les formelles, tout comme on définit
l’amour en opposition à la haine, et il y a une sorte de yin yang entre ces deux formes de pratiques,
c’est-à-dire qu’elles sont toutes deux nécessaires à l’existence de l’autre
- pas de formel sans informel
-informel : cimente la société, puisqu’il permet la survie du formel.
- quand on mentionne ces pratiques on peut se figurer un « knowing smile », puisque ces pratiques
constituent un « open secret » ; quelque chose d’inarticulé, dont tout le monde connaît l’existence,
mais qui n’est jamais énoncé.

Informel : cadeau ou marchandise→ Présentation des œuvres de Ledeneva (voir diapo 13)

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- ambivalence (1) : l’informel se fond dans les pratiques courantes.


→ Russie : offrir un cadeau au juge = coutume.
alors comment définir s’il s’agit d’un geste désintéressé, qui exprime la gratitude, ou s’il s’agit
d’une forme de corruption ?

- ambivalence (2) : double comportement.


→ sur la motivation au niveau de l’amitié, cette dernière est valorisable pour elle-même, mais elle
a un côté instrumental.

- informel = rôle très important dans l’entretien du réseau, il « enable and empower » un individu
→ l’individu en ressort augmenté, mais la pratique impose une limite à l’autonomie individuelle,
car elle est liée aux pratiques sociales, comme l’amitié.

- cas d’une économie de faveur : important pas seulement d’obtenir un bénéfice, mais aussi
d’entretenir la relation elle-même : on recherche une amitié.
→ lorsqu’on paie quelqu’un c’est une façon de mettre terme à la relation, on est quitte, on ne se doit
plus rien. C’est ce qui différencie Блат et Откат.

Oleg V. Khlevniouk :
- sous Staline, la nomenklatura n’est pas grande (environ 100 personnes), mais il faut compter leurs
familles et leur réseau.
- poste d’académicien en URSS : prestigieux, car on avait le droit à un des produits difficiles à se
procurer.
- selon les pays, on considère le cadeau comme un ciment social ou, au contraire, on peut être dans
un rapport plus instrumental. En Russie, les cercles sont plus petits, et donc les faveurs sont
accordées à un petit nombre de proches.

Le Блат - блат выше совнаркома (« Les amis sont là pour aider »)

Ledeneva  : forme de pratique informelle, qui existe avant tout en URSS, dans un
contexte d’économie des faveurs.
- dimension réseau, puisque c’est aux contacts (cвязы) que sont accordés passes-droits et échanges
de faveurs.
- repose sur le double standard eux et nous, c’est ceux qui sont dans et hors du groupe.

- anthropologues : étudient quelles sont les diverses connotations de свой человек, celui avec
lequel on peut parler ouvertement sans craindre que la parole ne soit utilisée contre nous.

Aleksei Yourchak : parle de свои (люди) pour décrire (dans un contexte plus public) les
нормальные, ceux qui comprennent les règles qui régissent l’espace public, et comment il diffère
de celles régissant l’espace privé.
→ la norme de payer sa cotisation au camp de Somol était une règle de laquelle il fallait
s’acquitter.

- violation de la frontière public / privé, qui est un élément essentiel de l’économie des faveurs en
URSS, puisque le blat dessert aussi bien le régime que les gens ordinaires : il est essentiel pour la
survie du régime officiel.

-idée de «  compensatoire » : puisque la norme est perçue comme étant injuste, la contourner
n’entraîne pas de culpabilité chez l’acteur.

- lien avec la sociabilité, puisque c’est la zone grise entre amitié et usage de l’amitié.
- blat instaure un régime affectif, lorsqu’il s’agit de faire bénéficier un proche, qui peut, autrement,
être hiérarchique, selon qu’il s’agisse de lien fort (personne que l’on côtoie souvent) ou faible
(fréquentation faible).
→ donc on parle de réseau dans le système politique russe, car la
verticale du pouvoir ne résume pas tout : il y a des liens horizontaux, de réciprocités et des liens
verticaux (népotisme).

- amitié = possibilité de s’enrichir, mais aussi de mener plusieurs actions


→ construction du pont de Crimée.
- on s’attend à une réciprocité, car les amis sont là pour aider. À
- époque soviétique : on disait не имей сто рублей, а сто друзей.
→ résume bien le système du блат où les transactions financières ne comptent pas pour grand-
chose, mais où l’échange de faveur est le plus important.

- cette pratique ne disparaît pas, mais elle se transforme.


- compétence acquise profondément inscrite parmi les individus, qui critiquent le système
tout en y participant
- apparition économie de marché et privatisation (1991) : le блат se transforme, et on observe sa
monétisation.

- Круговая порука : - basée sur un principe de responsabilité collective – qui existe d’ailleurs
aussi en Occident – avec une protection mutuelle au niveau régional ou corporatiste.
- cette pratique remonte à la Russie ancienne (milieux populaires)
- dans cette optique, l’individu fait partie d’un groupe, d’un clan, dans lequel il est encouragé à
solliciter un protecteur et à retourner les faveurs.
→ on peut dire que le кормление – même après abolition par Ivan – est resté une pratique
informelle : relation entretenue à long-terme, avec dépendance mutuelle, qui – dans sa forme
contemporaine – peut entraîner des gains à court terme. dans la période soviet, elle a un sens
pratique et des règles non-écrites : un appel téléphonique, les normes éthiques flexibles sont plus
importantes que le droit formel. exerce un mécanisme de peur et de coercition, c’est-à-dire que
l’exclusion du réseau est très redoutée.
- Компромат (preuves compromettantes) peut aussi être utilisé : pour faire partie du cercle il faut
se compromettre, ce qui fournit une preuve au groupe, qui pourra sans servir plus tard, en cas de
déloyauté.
- ce qui prime dans ce système est la loyauté et pas tant la compétence.
- réseaux très importants pour contrôler les ressources et mobiliser les cadres.
→ Gorbatchev, dans un entretien, raconte à Ledeneva qu’il pensait que c’était une question de
personne et non de système, mais il n’est pas si facile de remplacer quelqu’un, puisque le système
entier repose sur la stabilité « apportée » par ce dernier.

не играй с огнём
не лезь на рожон
не беги впереди паровоза
не обостряй где, там не надо

Cистема (système) de Poutine selon Ledeneva :

- conception largement partagée du pouvoir et du système de gouvernement en Russie, qui


illustre la puissance des réseaux informels, basés sur la frontière floue entre amitié et usage de
l’amitié
- consiste à aider les amis au détriment des ressources publiques / corporatives
- recrutement dans les réseaux se fait sur la base de la fidélité, de la dépendance, du consentement
fondé sur le caractère transgressif / compromettant du recrutement kомпромат.
→ On peut s’interroger sur la raison des acteurs à rester dans ce système.

- style de gouvernance de Poutine se résume dans la formule Путин своих не даёт.


- cercle proche de Poutine = une vingtaine de personnes (dont gens de Saint-Petsk qu’il fréquente et
auxquels il accorde sa confiance)

- absence de transparence (негласность) essentielle, et souvent pour les acteurs eux-mêmes.

La transformation du système

- on peut résumer la transformation du système en quatre points :


1. Le fonctionnement interne du système : Blat → Otkat
2. Culture matérielle: Vertushka → Vertu
3. Commandement → signaux subtiles
4. « Doubles pensées » → « Doubles actions »

Vertushka = téléphone de fonction qui symbolisait un privilège.

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