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Philosophie et sciences sociales

I : La socialisation

1) Présentation d'une notion centrale en sociologie

La notion de socialisation désigne "la façon dont


la société forme et transforme les individus" (Muriel
DARMON).

- Ensemble des processus par lesquels


l'individu est construit ("formé",
"modelé","façonné", "conditionné") par la
société dans laquelle il vit,
processus au cours desquels l'individu
acquiert ("apprend", "intériorise",
"incorpore", "intégre") des façons de
faire, de penser et d'être qui sont
situées socialement.

Distinction entre la socialisation primaire et la


socialisation secondaire selon le cycle de vie : la
socialisation primaire a lieu lors de l'enfance et de
l'adolescence, la socialisation secondaire à l'âge
adulte.

- La socialisation d'un individu est


continue : elle va de sa naissance
jusqu'à sa mort.

Autre distinction, subtile mais féconde : les


processus de socialisation renvoient aux processus de
fabrication des dispositions, tandis qu'on parle
d'expériences socialisatrices pour "mettre l'accent sur
ce que les contextes d'actions vécus "impriment" comme
changement, modification, transformation sur les
acteurs"(Bernard LAHIRE).

Poids prépondérant de la socialisation primaire, en


particulier de la socialisation familiale, car :

- L'enfant est un être particulièrement


influençable sur lequel les premières
expériences ont une très forte prise,

- Il a expressément besoin, à son plus


jeune âge, que des personnes l'entourent pour
ne pas (ou ne plus) être un animal,

- Les premières influences


socialisatrices s'imposent à lui. Il ne
choisit pas ses parents ni l'action
qu'ils vont avoir sur lui. Elles
prennent place dans un contexte
affectif : les "autruis significatifs" sont
les personnes les plus importantes dans la
construction de soi,

- Les premières expériences vont


constituer les filtres à travers
lesquels l'individu va ensuite percevoir le
monde extérieur : parce qu'elles viennent en
premier, elles déterminent (en partie) les
expériences suivantes.

"Bien que l'enfant ne soit pas seulement passif au


cours de sa socialisation, c'est néanmoins l'adulte qui
établit les règles du jeu. L'enfant peut jouer le jeu
avec enthousiasme ou résister obstinément. Mais il
n'existe pas d'autre jeu, hélas [...] Comme l'enfant ne
dispose pas du moindre choix en ce qui concerne ses
autruis significatifs, son intériorisation de leur
réalité particulière est quasi-inévitable. L'enfant
n'intériorise pas le monde de ses autrui significatifs
comme un monde possible parmi beaucoup d'autres. Il
l'intériorise comme le monde, le seul monde existant et
concevable, le monde tout court."(BERGER et LUCKMANN,
"La Construction sociale de la réalité").

Outre les parents, il y a une pluralité d'instances


de socialisation, parmi lesquelles :

- La famille élargie,

- Les groupes de pairs,

- Les industries culturelles (médias,


films, série),

-Activités extra-scolaires (religion,


club de sport, cosnervatoire de
musique...),

- L'école.

La socialisation familiale est au principe de la


réception et de l'assimilation de l'éducation scolaire,
et donc des inégalités scolaires. Certaines
socialisations familiales sont mieux ajustées que
d'autres aux attentes de l'école.

- Deux instances importantes dans la


socialisation secondaire : la
socialisation professionnelle et la
socialisation conjugale.

2) La socialisation de classe
Classes et classements (cf. l'article "Quand les
enfants parlent l'ordre social").

La notion d'habitus désigne chez Pierre BOURDIEU un


ensemble de dispositions durables, des manières de
sentir, de goûter, de voir, de penser et d'agir
acquises par la socialisation. C'est le passé
incorporé, "l'histoire faite corps", sous forme de
schèmas de perception et d'action. L'habitus est le
principe générateur des pratiques.

- Habitus national,

- Habitus de classe,

- Habitus individuel.

Les travaux de Pierre BOURDIEU se centrent surtout


sur l'habitus de classe :

- Il y a une socialisation de classe qui


construit des habitus de classe,

- Ce qui se joue dans la famille ne


dépend pas seulement de la faamille : il faut
se pencher sur les structures sociales
plus larges qui l'englobent. En d'autres termes,
où est-ce que la famille se situe
socialement ?

- Cela ne signifie pas que les individus


d'une même classe sont interchangeables, mais
qu'ils vont très probablement avoir des goûts,
des pratiques, des styles de vie, des manières de
voir ou de penser proches,

- L'habitus obéit à un double


mouvement : l'intériorisation de
l'extériorité (incorporation des
structures sociales) et extériorisation de
l'intériorité (pratiques),

- La métaphore de l'incorporation
signifie que l'habitus est tellement
ancré en nous qu'il devient une sorte de
"seconde nature". Pour cette raison,
l'habitus fonctionne en-deçà de la
conscience (c'est l'oubli de l'histoire ou
l'amnésie de la genèse),

- Le processus d'incorporation désigne


autant les "apprentissages par corps" que
les choses immatérielles (exemple du capital
culturel).

Pour Pierre BOURDIEU, l'habitus est dans la plupart


des cas cohérent et unifié.

- "Pour moi, pas pour moi" : c'est


l'intériorisation de ce qui est possible ou
impossible, accessible ou
inaccessible,

- Stratégies inconscientes : les


pratiques improbables sont exclues,

- L'habitus comme amor fati,


l'acceptation du destin (social),

- L'habitus est mu par un conatus : il


tend à persévérer dans son être et à
sélectionner les situations, les
contextes et les pratiques qui le
renforcent, qui le mettent à l'abri des
crises.

Pourtant, il existe des situations de décalages, de


désajustements de l'habitus, à commencer par les
migrations ou les déplacements de grande amplitude dans
l'espace social.

- Les cas des immigrés algériens (La


Double Absence d'Abdelmalek SAYAD),

- Le cas des "transfuges de classe" ou


"transclasses",

- Dans ces cas de conflits entre habitus


primaire et secondaire, il y a trois
possibilités :

- le nouveau chasse l'ancien,

- l'ancien résiste au nouveau


( hystérésis de l'habitus),

- le nouveau se mêle à l'ancien


("sabir culturel").

De l'habitus de classe à l'habitus individuel :


L'Homme pluriel de Bernard LAHIRE.

- Pour Bernard LAHIRE, les grands


déplacements sociaux sont certes rares et
exceptionnels, mais ils donnent à voir un
trait plus général des sociétés contemporaines.
Dès lors, qu'on se place à l'échelle de
l'individu, on s'aperçoit que celui-ci et
souvent le produit complexe et singulier
d'expériences socialisatrices multiples,

- L'individu singulier est


nécessairement pluriel : entre la
famille, l'école, les groupes d'amis, les
clubs ou associations, les médias, l'enfant est
de plus en plus confronté à des sphères de
socialisation multiples et parfois
contradictoires,

- Lorsqu'un individu a été placé dans


une pluralité de contextes sociaux non
homogènes, son stock de dispositions,
d'habitudes ou de capacités ne sera pas
unifié,

- D'où la formule lahirienne : "passé


incorporé (dispositions)+contexte
d'action présent=pratiques"

- L'habitus fonctionne dans "un jeu plus


complexe d'activation et d'inhibition" dans
lequel les différentes dispositions "peuvent se
combiner partiellement entre elles dans certaines
situations, ou fonctionner parfois
indépendamment les unes des autres dans d'autres
situations" (code switching et code
mixing).

3) Classes sociales et pratiques culturelles

a) Les apports de La Distinction de Pierre BOURDIEU...

Enquête qui croise des statistiques poussées et des


entretiens dans le but de comprendre la distribution
sociale des goûts (alimentaires, artistiques, etc.),

Variabilité des préférences selon les fractions de


classes,

La distribution des préférences dans la population


n'obéit pas au hasard : les goûts sont situés
socialement,
"Les goûts classent" et ils classent autant les
oeuvres que ceux qui opèrent un jugement de goût. C'est
la problématique de la légitimité culturelle :

- Une oeuvre ou une pratique culturelle


devient légitime à partir du moment où elle
est adoptée par les catégories sociales
supérieures, les groupes qui possèdent le plus
de capital culturel et économique et qui
occupent les positions les plus hautes,

- La légitimité (et donc les


hiérarchies) culturelle est néanmoins
intériorisées par tous, y compris les
catégories populaires : c'est elle qui
fonde les inégalités devant la culture.

b) ...Enrichis par des critiques

Reproduisant l'enquête aux Etats-Unis dans les


années 1990, Richard PETERSON s'aperçoit d'un
brouillage des frontières entre le légitime et
l'illégitime, entre la culture savante et la culture
populaire.

- La différence se ferait désormais


entre omnivores (pluralité de pratiques
culturelles, à la fois légitimes et
populaires) et univores (restreints à un seul
registre),

- Les omnivores font généralement parti


des classes sociales supérieures et les
univores des classes populaires,

- Cette évolution de "la distinction"


s'explique selon PETERSON par la
mobilité sociale qui a permis à des
membres issus de milieux populaires
d'accéder aux classes supérieures.

Bernard LAHIRE arrive à une conclusion similaire


dans son ouvrage La Culture Des Individus.

- Il conteste la thèse d'une cohérence


des pratiques culturelles dans le degré de
légitimité,

- Des pratiques très légitimes peuvent


coexister avec des pratiques bien moins
légitimes,

- On constate souvent aujourd'hui un


fort éclectisme culturel (et donc des
phénomènes de dissonance culturelle) chez
un même inidividu,

- Pour expliquer cela, il faut prendre


en compte, d'une part, la pluralité des
contextes dans lesquels les pratiques
culturelles se situent et, d'autre part, la
pluralité des socialisations, le réseau
complexe de déterminations sociales,

- Les contextes d'action, ce sont par


exemple le cadre familial, le cadre
professionnel ou le cadre amical, les
périodes de vacances ou non... Ces
contextes se prêtent plus ou moins au
relâchement des contraintes qui pèsent sur
les pratiques,

- Les socialisations hétérogènes


génèrent des dispositions plus
écléctiques, donnant lieux à des goûts plus
diversifiés.

- L'appartenance durant l'enfance et


l'adolescence à des groupes aux
valeurs contrastés : famille, école,
groupes de pairs...

- La mobilité sociale (petits et


grands déplacements),

- Les influences conjugales qui


viennent modifier les dispositions
et les positions familialements
acquises,

- Les classes sociales sont moins


rigides et cloisonnées qu'avant :
fréquentation de groupes de
sociabilités plus diversifiés
socialement.

Les individus sont donc traversés par des


influences plurielles : leurs goûts sont écléctiques et
la gamme des pratiques (de la plus légitime à la moins
légitime) varie en fonction des contextes.

Infirmation ou déplacement des frontières de la


légitimité culturelle ?

- Le travail de Bernard LAHIRE ne remet


pas pour autant en cause la persistance de
hiérarchies et dde frontières
culturelles entre les groupes sociaux,

- Les pratiques dissonantes donnent lieu


à des écarts plus ou moins amples,

- Tous les écarts ne se valent pas : le


champs des possibles culturels, même s'il
s'est diversifié et élargit, demeure
limité,

- C'est ce qui fait dire à Philippe


COULANGEON que "l'inégalité culturelle est
aussi fondée sur l'inégale plasticité
des répertoires mobilisables et sur la maitrîse de
leur mobilisation dans des contextes adéquats"
(COULANGEON, Sociologie Des
Pratiques Culturelles).

- Différence de légitimité selon les


oeuvres écoutées au sein d'un même
genre musical,

- Question de la réception,

- Les différences sociales dans les


pratiques culturelles n'ont pas
disparu : elles se sont
reconfigurées et déplacées,

- Ce qui distingue aujourd'hui


culturellement les individus, c'est
leur degré d'écléctisme,

- En matière de goûts musicaux,


l'écléctisme éclairé se voit peu à
peu érigé en norme du "bon goût",
tandis que l'enfermement dans des
répertoires singuliers devient une
manifestation du goût "vulgaire".

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