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DIRECTION GÉNÉRALE
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SECRÉTARIAT GÉNÉRAL
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SOCIOLOGIE GÉNÉRALE
Chargé de cours :
INTRODUCTION
L’intérêt porté à la connaissance de l’humain et de la société peut être situé dans l’antiquité
avec les spéculations sophistiques et socratiques. Alors qu’au IVème siècle avant Jésus Christ,
les efforts de production du savoir étaient essentiellement axés sur la nature, Socrate et les
sophistes portèrent une révolution intellectuelle à retentissement quasi-universel. Ces derniers
en effet, s’étonnaient de ce que leurs contemporains perdraient leur temps à contempler les
oiseaux, les fleurs, à étudier les planètes, et les astres alors que le plus important, estimaient-
ils, était la connaissance de l’homme, de son action et de son propre devoir moral. À ce sujet,
l’injonction delphique : « connais-toi, toi-même » et ces mots de Protagoras : « l’homme est
la mesure de toutes choses » sont suffisamment éloquents. Ainsi, posèrent-ils la suprématie
de l’homme et de la connaissance de celui-ci sur les autres éléments de la nature. Cette
nouvelle épistémologie va se poursuivre à la renaissance, se cristalliser durant les Lumières
avant de se formaliser avec des disciplines comme la sociologie. Si des sciences humaines
comme l’économie et la psychologie ont une existence beaucoup plus ancienne, la sociologie
au contraire, en tant que discipline dotée d’un objet spécifique et d’une démarche scientifique,
date seulement de la seconde moitié, voire même de la fin du XIXème siècle.
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L'objet d'étude de la sociologie, dont les caractères sont fixés par les préceptes de la
philosophie comtiste est le fait social pour la tradition positiviste (DURKHEIM) et l’action
sociale pour les tenants de la sociologie compréhensive (WEBER).
Le fait social s'impose ensuite à l'homme comme une contrainte. Ainsi, le non-respect des
règles de vie sociale peut entraîner une sanction de la part de la société. De plus, le respect de
ces règles conditionne en partie la réussite d'une action.
Durkheim ne nie pas que la société soit un agrégat d'individus. Néanmoins, il considère que le
processus de cette agrégation crée ”quelque chose” qui ne se retrouve pas dans les éléments
agrégés. C'est en fait ce ”quelque chose” qui constitue le fait social.
Pour mieux comprendre cette définition de l’action humaine, il se réfère à sa théorie des
”deux consciences” :
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qu’elles les ont précédées, qu’elles les transcendent et qu’elles leur survivent. La
conscience collective est, pour reprendre l’analogie de DURKHEIM, le ”type
psychique” d’une société particulière ; c’est elle qui donne à une société, ses
caractères distinctifs et singuliers.
Certes, elle ne s’impose de la même manière avec la même intensité d’une société à
l’autre, mais elle est toujours contraignante, coercitive. C’est cette conscience qui
distingue par exemple, le Burkinabè du Français ou de l’Américain.
✓ La conscience individuelle par contre, correspond à la sphère privée de chaque
individu : ses traits de caractère ou de tempérament, ses hérédités, ses expériences
personnelles qui font de lui un être unique et singulier. Pour DURHEIM par exemple,
préférer le bleu au vert relève de la conscience individuelle alors que préférer la
démocratie à la dictature est du domaine de la conscience collective. La conscience
individuelle est aussi l’autonomie relative dont dispose chaque individu dans l’usage
et l’adaptation qu’il peut faire des manières collectives d’agir, de penser et de sentir.
Elle peut être plus ou moins développée, plus ou moins forte selon les individus.
Pour WEBER, l’objet d’étude de la sociologie est l’action sociale. Une action est un
comportement volontaire. Au sens wébérien, « l’action (humaine) est sociale dans la mesure
où, du fait de la signification subjective que l’individu ou les individus qui agissent y
attachent, elle tient compte du comportement des autres et en est affectée dans son cours »
(cité par ROCHER, 1968 : 25). En d’autres termes, c’est l’activité qui, d’après son sens visé
par le ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui par rapport auquel s’oriente son
déroulement (par exemple, jouer au ballon en équipe). De cette brève définition, on peut
retenir trois éléments caractéristiques de l’action sociale :
✓ L’individu ou l’acteur doit agir en tenant compte des autres (ouvrir une porte pour
faire entrer quelqu’un);
✓ L’action sociale doit avoir un sens pour les autres. Pour MONTOUSSE et
RENOUARD (2006), tendre la main pour saluer quelqu’un est l’exemple même de
l’action dont la signification est claire pour tous !
✓ Enfin, pour être sociale, une action doit tenir compte de la manière dont elle va être
interprétée par les autres et de la réaction qu’elle va susciter (faire un don à son
ennemi).
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2. Qu’est-ce que la sociologie ?
Plusieurs définitions ont été données à la sociologie. Toutefois, on peut encore s’orienter en
fonction des deux traditions (durkheimienne et webérienne).
Pour DURKHEIM, la sociologie est une science qui étudie avec une vue d’ensemble et d’une
façon typologique et explicative, les différents degrés de cristallisation de la vie sociale dont
les bases se trouvent dans les états de la conscience collective, irréductibles et opaques aux
consciences individuelles. Ces états se manifestent dans des contraintes, des institutions,
symboles, valeurs, etc.
Pour WEBER, c’est la science qui recherche une compréhension interprétative de l’action
sociale pour arriver par-là, à une explication causale de son sens et de ses effets. Si l’objet de
la sociologie est l’action humaine dans les différents milieux sociaux, cette action pour
WEBER, se définit selon des critères subjectifs aux sujets actifs. Pour lui, les individus
doivent tenir compte du comportement et de la présence des autres, car l’action doit avoir un
sens, une valeur de signe ou de symbole pour les autres tout comme celle des autres a un sens
pour l’acteur individuel.
Dans tous les cas, que l’on appartienne à l’une ou l’autre tradition, il est admis que la
sociologie est la branche centrale des sciences de l’homme qui étudie la société en actes,
c’est-à-dire une science sociale qui s’intéresse à divers aspects et à divers niveaux de la réalité
sociale ainsi qu’à l’homme placé en situation historique et géographique. COMTE,
l’inventeur du concept, affirme que la sociologie est la « science positive des faits sociaux » ;
le fait social étant selon lui, celui qui résulte de la vie en société. Toutes les définitions qu’on
a pu donner à la sociologie ont en commun de s’intéresser à un ou plusieurs aspects
particuliers de la vie humaine en société.
Le 19ème siècle se caractérise à la fois par la nécessité de penser autrement une nouvelle
société qui est en train de naître et par le refus de cette idée. La révolution française et les
tentatives révolutionnaires qui ont scandé le 20 siècle ont déstabilisé l’Europe. Les progrès
rapides de l’industrialisation stimulés par l’exemple anglo-saxon induisent de grands
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bouleversements sur les plans social et économique. Le développement spectaculaire des
sciences de la nature fournit de nouvelles grilles d’analyse des évènements.
La société de l’ancien régime reposait sur l’existence des trois ordres : la Noblesse, le Clergé
et le Tiers-Etat d’une part, d’autre sur une royauté héréditaire. Une nouvelle classe politique,
la bourgeoisie, conteste cette société des privilèges et essaie de mettre en place un ordre social
et politique nouveau, fondé sur l’égalité de tous. Alexis de Tocqueville, distingue nettement
les deux systèmes en conflit, l’ancien régime fondé sur la hiérarchisation des ordres, donc
inégalitaire, et le nouveau qui fait de l’égalité son principe fondateur. Robert NISBET, fait
remarquer dans "la tradition sociologique" qu’aucun évènement historique n’a depuis la chute
de Rome au Vème siècle avant-Jésus Christ, provoqué autant d’émotions, préoccupé autant
d’esprits, ni suscité autant de dogmes et de prédictions concernant l’avenir de l’humanité.
Politiquement, la révolution française se présente comme une grande tragédie, car la France
qui apparaît désormais comme la plus démocratique des Nations d’Europe demeure aussi la
plus figée. Tocqueville voit dans le centralisme administratif et le bureaucratisme l’une des
raisons majeures qui explique l’inéluctable déchirement historique de 1789 qui s’est produit,
contrairement à la révolution des Etats-Unis dans le sang.
Il y avait amplement matière à frapper les esprits, surtout en France où les systèmes politiques
les plus opposés se sont succédé : un empire, deux royautés renversés par des révolutions, une
république éphémère qui procède par suffrage universel en 1848, un nouvel empire, puis une
république qui dure jusqu’à la Grande guerre.
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Du reste, des gens comme SAINT-SIMON, comte et DURKHEIM, y verront les signes d’une
fragilité des sociétés, d’une pathologie de l’organisme social. Il était alors impérieux, de
construire un savoir positif du social pour venir au secours d’une société en pleine
déliquescence.
Si la France a joué un rôle majeur dans la diffusion des idées politiques révolutionnaires,
l’Angleterre pour sa part, a exporté sur le continent le mode de production industriel qui allait
si profondément transformer l’organisation sociale, mais aussi celle de la production et du
travail. Ainsi, on assiste à une déqualification et à une dévalorisation brutale des gestes
artisanaux par les progrès techniques. Progressivement, naît un prolétariat urbain, mouvant et
revendicatif dont les autorités cherchent de plus en plus à contrôler les mouvements en
traquant, en emprisonnant et en expulsant les meneurs. De plus, l'exode rural détruit les
formes traditionnelles d'organisation de la vie sociale. Pour les paysans devenus ouvriers, la
dégradation des conditions de vie et la perte des supports communautaires conduit à une
misère à la fois matérielle et morale. A ce sujet, L’ouvrage "classique Communauté et société
"de Ferdinand TÖNNIES, constitue une représentation forte de la rupture qu'a constitué le
XIXème siècle. Il oppose la chaleur de la communauté, monde affectif mais clos, fondé sur la
famille, à la superficialité de la société, agrégat d'individus ayant d'abord des relations
utilitaires.
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Parallèlement, naît la statistique sociale ou morale, autre source qui alimentera et questionnera
la société. QUETELET, statisticien belge, publie dès 1835 son livre "L’homme et le
développement de ses facultés ou essai de physique sociale". COMTE utilise également cette
dernière expression dans son cours de philosophie positive, mais dans un esprit si différent
qu’il a préféré changer le nom de la discipline en question en l’intitulant sociologie pour
éviter toute confusion avec la physique sociale.
Dans tous les cas, que l’on soit statisticien, moraliste sociologue ou philosophe positif, tous
avaient une seule et même préoccupation : Trouver une solution à la grave crise sociale que
traverse l’Europe.
Le XIXe siècle est notamment marqué par le positivisme scientifique. La biologie, la physique
et la chimie connaissent des progrès spectaculaires qui transforment la façon dont les hommes
perçoivent leur environnement matériel. Ces disciplines participent également à la révolution
industrielle et trouvent des applications techniques qui modifient fortement les modes de vie.
Si avec des instruments nouveaux, la physique poursuit sa mathématisation, c’est sans doute
l’essor de la chimie et de la biologie qui impressionne le plus les contemporains, au point que
les modèles de ces deux sciences servent de paradigme à maintes théories sociologiques. En
Chimie, la grande controverse du siècle porte sur la question de la structure atomique de la
matière ;conception qui rencontre le scepticisme des savants positivistes refusant les
spéculations sur les causes ultimes des phénomènes.
Comme l’on le voit, les progrès des sciences et leurs applications semblent prouver qu'un
discours scientifiquement fondé est capable d'intervenir sur le monde et de répondre aux
nombreux problèmes que pose le siècle.
En conclusion, nous notons que sociologie est cette science de crises, fille de toutes ces
révolutions et des tous ces bouleversements qui en découlent.
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2. Quelques précurseurs de la sociologie
La science sociale, que ce soit durant les Lumières ou au 19ème siècle, présente deux grandes
propriétés : d'une part, elle est souvent le fait de penseurs, ou de communautés de penseurs
qui demeurent isolés par rapport aux institutions officielles de contrôle et de diffusion du
savoir, d'autre part, elle n'est pas encore séparée de la philosophie, de l'économie politique, du
Droit ou de la Morale.
C’est ainsi que MONTESQUIEU, philosophe des Lumières, cherchera à découvrir les
« rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Pour lui, ni la religion ni dans la
métaphysique ne peuvent donner une réponse satisfaisante à ces questions, mais seulement
l’analyse des réalités humaines. Ainsi, il, « Plusieurs choses gouvernent les hommes : le
climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées,
les mœurs d’où il se forme un esprit général qui en résulte ». On voit comment cet effort de
description de ce qui est et non de ce qui doit être se présente comme un pas important vers la
constitution d’une science des faits sociaux débarrassée des gangues spéculatives et
philosophiques.
COMTE assigne une double vocation à la sociologie, non seulement elle doit contribuer au
progrès de l’état des connaissances en complétant le tableau des sciences positives, mais aussi
permettre le passage définitif de la société et de l’humanité à l’état positif. La sociologie en
tant que science globale et totale, doit, estime COMTE, dégager non des causes, mais des lois
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universelles applicables à l’évolution humaine et sociale. De ce point de vue, l’on peut
convenir que COMTE soit l’un des grands précurseurs, sinon le père fondateur de la
sociologie comme discipline qui se veut scientifique.
Karl MARX eut une grande influence sur les sciences humaines et sur la société en général.
Il s’est illustré par son analyse de la société capitaliste et les changements sociaux qu’il a
proposés. En effet, celui-ci pousse beaucoup plus loin que COMTE, l’idée d’une sociologie
de l’action. Le Marxisme comme le positivisme est né de l’analyse des contradictions de la
société industrielle. Et MARX établit une théorie générale de ces contradictions sociales. La
crise de la société industrielle s’explique selon lui par l’existence de deux classes sociales
antagonistes, constamment en conflit pour le contrôle de l’économie et des moyens de
production : La classe des bourgeois, détentrice des moyens de production d’une part, et celle
des prolétaires qui n’ont que leur force de travail à vendre d’autre part.
Une société ainsi stratifiée induit des manières différentes de se rapporter au monde selon les
classes sociales, d’où la permanence du conflit. C’est dans ce sens qu’il affirme que ce n’est
pas la conscience des hommes qui détermine leur être, mais plutôt leur être social qui
détermine leur conscience !
Pour MARX, les prolétaires doivent engager une action courageuse et révolutionnaire pour
conquérir le pouvoir et favoriser l’avènement du communisme, société sans classes, sans
propriété privée, et donc sans conflit.
Henri MENDRAS dit de lui qu’il est le plus grand sociologue du 19ème siècle car son analyse
sur la société capitaliste anglaise est absolument un chef-d’œuvre d’analyse sociologique.
Toutefois, quand le marxisme prétend en tirer des lois générales et les appliquer à l’histoire
pour comprendre l’évolution des sociétés passées et prévoir l’avenir de l’humanité, il pose un
problème épistémologiquement embarrassant. En effet, prétendre appliquer à l’évolution de
l’humanité une théorie tirée d’une enquête limitée à la société industrielle anglaise n’est pas
acceptable. Son explication de l’histoire est hautement discutable et sa prévision de l’avenir
s’est révélée fausse ; ce qui l’a pas empêché de connaître le succès politique que l’on sait et
d’avoir une influence capitale sur les sociétés des 19ème et 20ème siècles.
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Seulement, tout en reconnaissant l’apport de cette théorie aux sciences sociales, il faut noter
qu’elle n’a jamais été confirmée par les faits, et qu’il s’agit d’une doctrine sociale ayant
produit un discours à tendance sociologique.
Jusqu’à ce que Raymond ARON rappelle en 1967, l’attention sur son œuvre,
TOCQUEVILLE n’avait pas été admis au panthéon sociologique.
Pourtant, dans son ouvrage, "l’Ancien régime et la révolution" publié en 1856, il nous a
légués une analyse cohérente et originale sur le passage de la société traditionnelle française à
ordres et états à la société moderne, caractérisée par la concurrence entre des individus
relativement mobiles et statutairement égaux.
Ses études sur la société américaine nous révèlent le même contraste : D’un côté, la société
américaine, notamment celle qui s’est développée sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, est
l’héritière de la société anglaise. Mais d’un autre côté, purgée de toute cette influence
historique, la société américaine poursuit une expérience radicale d’une vigueur incomparable
et probablement unique d’une nouvelle organisation sociale et politique : la démocratisation et
l’égalisation des conditions.
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Nous pouvons remarquer que le discours idéologique (marxisme par exemple) fait souvent
partie intégrante de la réflexion sociale. La frontière entre ce qui relève de l’imaginaire, de la
doctrine, et ce qui relève de la réalité sociale objective s'avère plus ou moins poreuse. Tout se
passe comme si la société et la nature humaine étaient un sujet ouvert, à la portée de tous, où
chacun pouvait donner son opinion sur les changements qu'il souhaiterait voir advenir. La
séparation entre l'action sociale et l'observation sociale n'est pas rigoureusement établie. En
réalité, il n'y a pas encore de démarche stricte dans la réflexion sociologique.
Mieux encore, il affirmera qu'ils sont vraiment des choses, et doivent être débarrassés, dans
leur traitement scientifique, de toutes les prénotions qui en encombrent la saisie rigoureuse
par des sociologues épris de science positive.
Cela signifie-t-il que les faits sociaux seraient-ils assimilables aux phénomènes physiques ?
Tel n'est pas le point de vue de l’auteur. DURKHEIM veut dire que la méthode en sociologie
doit être analogue à la méthode en physique. Or que fait le physicien ? Il tente d'expliquer les
faits du dehors, avec un œil d’extériorité.
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Dire qu'il faut considérer les faits sociaux comme des choses, c'est aussi dire que ces
phénomènes ne sont pas immédiatement transparents pour l'intelligence (pas plus que les faits
physiques) et qu'il faut donc recourir à une démarche inductive utilisant observation et
expérimentation. « Traiter les faits d'un certain ordre comme des choses,dit Durkheim, ce
n'est pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c'est observer vis à vis d'eux une
certaine attitude mentale. C'est en aborder l'étude en prenant pour principe qu'on ignore
absolument ce qu'ils sont et que leurs propriétés caractéristiques, comme les causes
inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être découvertes par l'introspection même la plus
attentive » (2004,préface de la seconde édition, XIII).On y remarquera l'affirmation selon
laquelle il faut rejeter l'introspection (ce n'est pas par une observation même attentive de nous-
mêmes qu'on pourra expliquer le comportement humain) mais aussi l'idée que faire de la
sociologie c'est rechercher les causes des phénomènes c'est-à-dire les expliquer. Toutefois,
cette règle d’or de l’interrogation du social a soulevé de vives controverses (nous y
reviendrons).
La quatrième règle est celle de l’explication des faits sociaux. Pour DURKHEIM, il ne faut
pas se borner à étudier les fonctions d’un phénomène mais s’intéresser à sa cause, en
commençant par ce qui le détermine : c’est le principe de causalité. IL est convaincu que les
faits sociaux ont le pouvoir d’exercer une pression sur les consciences individuelles. Ils ont le
pouvoir de coercition, ils s’imposent aux individus sans que ces derniers en aient conscience.
La méthode de DURKHEIM consiste alors à rechercher l’explication des faits dans la société
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qui est plus que la somme des individus. Tout phénomène social, écrit-il, doit être expliqué
par un autre phénomène social qui lui est antérieur.
Par ailleurs, pour rendre compte d’une institution sociale donnée, appartenant à une espèce
déterminée, on comparera les formes différentes qu’elle présente nous seulement chez les
peuples de cette espèce, mais dans toutes les espèces antérieures. « On ne peut expliquer un
fait social de quelque complexité, écrit DURKHEIM, qu’à condition d’en suivre le
développement intégral à travers toutes les espèces sociales »(Op.cit., 137).
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heureux que dans une société qui lui impose normes et contraintes, DURKHEIM n'est guère
au goût du temps. Pourtant, le visage qu'il donna à la sociologie, la méthodologie qu'il élabora
sont aujourd'hui revendiqués par la communauté scientifique des sociologues comme un bien
commun. S'il n'échappa pas complètement à l'esprit de système, il démontra,le premier avec
une telle force, que la sociologie pouvait être une science positive.
Il n'invente pas la sociologie mais donne à cette science sa méthode. En ce sens, il est peut-
être le plus actuel des sociologues classiques.
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Selon Karl Popper, le critère principal de démarcation entre sciences et pseudo-sciences ou non- sciences est
celui de la falsifiabilité qui veut qu’une thèse puisse être soumise à l’épreuve des faits à l’aide de tests sévères
tendant à la réfuter.
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Référence est faite notamment à Dilthey qui opère une distinction nette entre sciences de la nature et
sciences de l’esprit.
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1. L’épistémologie positiviste et objectiviste des durkheimiens
1.1.Justification et mérites
On comprend dès lors que de telles prémisses épistémologiques puissent inspirer les sciences
humaines. Comme le témoigne l’attitude Giambattista VICO (1668-1744) à la renaissance,
qui s’efforce de suivre la méthode de philosopher qu’il juge la plus assurée, l’empirisme
baconien, mais en le transposant des choses naturelles sur lesquelles il travailla au monde
civil et social. Dans cette démarche, c’est l’attitude qui consiste à écarter soigneusement les
idoles lui semble particulièrement digne d’intérêt. BACON désigne sous ce nom, l’ensemble
des représentations grossières, des idées schématiques et fausses qui sont en mesure
d’ensorceler l’esprit, pour lui faire obstacle à une connaissance véritable des choses. La même
attitude est présente chez BACHELARD en termes de rupture épistémologique et chez
DURKHEIM de rupture avec les prénotions. Une telle posture est beaucoup plus
recommandée aux sciences humaines si l’on veut défendre les frontières de celles-ci d’avec la
métaphysique, la religion ou simplement les savoirs ordinaires. « La vigilance
épistémologique, écrit BOURDIEU (1983 :27), s’impose particulièrement dans le cas des
sciences de l’homme où la séparation entre l’opinion commune et le discours scientifique est
plus indécise qu’ailleurs ». On comprend dès lors le souci d’assimilation parfaite
durkheimienne de « traiter les faits sociaux comme des choses » et celui de COMTE de
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Manière de penser caractéristique du Moyen âge et dominée par la routine et les diktats du maître.
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constituer la sociologie comme une science d’observation : comme la physique céleste ou la
physique terrestre, bref, une "physique sociale" dira t-il précisément.
Comme COMTE en effet, DURKHEIM pense que la sociologie doit devenir scientifique.
Mais, il ira plus que l’inventeur du mot, pour mettre en application l’expérimentation que
préconise le positivisme. Son ambition d’institutionnaliser la sociologie comme discipline et
de l’élever au rang des autres sciences en la dotant d’une méthode, (tant il est vrai qu’il n’ya
pas de science sans méthode) est sans équivoque. C’est ainsi que dans un ouvrage qu’il
intitule expressément "Les règles de la méthode sociologique" publié en 1895, il pose les
bases méthodologiques et épistémologiques d’une étude scientifique des faits sociaux. Après
avoir défini les faits qui relèvent de cet ordre, DURKHEIM énonce la première et la plus
fondamentale des règles à ses yeux :"Traiter les faits sociaux comme des choses" et détachés
des sujets conscients qui se les représentent. Chosifier les faits de société, revient à les
considérer comme des objets d’observation. À l’image du biologiste, le sociologue doit être
extérieur à son objet d’étude. Il lui faut rigoureusement définir cet objet et écarter
soigneusement les prénotions qui nuisent à la recherche scientifique. La seconde préface des
"Règles de la méthode sociologique" dit précisément qu’il s’agit d’adopter une attitude
mentale et non d’assigner un statut ontologique à l’objet.
La volonté durkheimienne d’aligner la sociologie sur les sciences de la nature est d’autant
plus expresse quand il recommande d’appliquer le principe de causalité à la science des faits
sociaux. Parce qu’il a fait ses preuves d’abord dans les sciences physico-chimiques, ensuite
dans les sciences biologiques, puis dans les sciences psychologiques, alors on peut procéder
raisonnablement à son extension dans le domaine du social. Jacques HAMEL (1997) dira que
c’est la réduction sous forme d’objet qui marque la science d’une pierre blanche. On
comprend dès lors le souci d’objectivation et de rigueur méthodologique de DURKHEIM.
1.2.Critiques et limites
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même logique, HAYEK (cité par BOURDIEU et al., 1983 :19) remarque que « les méthodes
que les savants ou les chercheurs fascinés par les sciences de la nature ont si souvent essayé
d’appliquer de force aux sciences de l’homme n’ont pas toujours été nécessairement celles
que les savants suivaient en fait dans leur propre domaine, mais bien plutôt, celles qu’ils
croyaient suivre ». C’est dire comment le miroitement des appels de la méthode féconde des
sciences positives, a pu créer une sorte d’obstacle épistémologique, une sorte de croyance
aveugle, sinon à un scientisme naïf nuisant considérablement à une connaissance objective du
social. Il s’agit d’une forme d’usage subjectiviste et abusif de l’objectivité dans les sciences
sociales bien que le contexte et les circonstances de la recherche ne se prêtent pas à une telle
objectivation. Ce fixisme méthodologique, l’obéissance inconditionnelle à un ensemble de
normes prédéfinies tend à assombrir l’horizon par principe ouvert de la science et de la
découverte. Comme l’écrit à juste titre FEYERABEND, « tout fixisme sémantique rencontre
des difficultés dès qu’il s’agit de rendre raison complètement du progrès de la connaissance et
des découvertes qui y contribuent » (cité par BOURDIEU et al., 1983 :20). Il importe donc,
d’éviter le fétichisme méthodologique et soumettre la pratique sociologique à une critique qui
s’applique, non pas à la science toute faite, mais, comme le recommande BOURDIEU à la
science se faisant. L’épistémologie doit être aussi mobile que la science, évitons, comme le
conseillent CAMPENHOUDT et al. (2006) de nous imposer ou de nous faire imposer une
méthode à titre de canon universel !
La tradition allemande se différencie des autres sur la question des méthodes adaptées aux
sciences sociales. La perspective inaugurée par WEBER est à la fois individualiste et
compréhensive. Ainsi, lorsque WEBER introduit la distinction entre le critère de l’adéquation
causale et celui de l’adéquation significative, il opère une claire distinction entre les prérequis
du modèle compréhensif et ceux du modèle objectiviste : le second intègre des régularités
particulières dans des régularités générales (par exemple, le suicide des veufs dans le suicide
égoïste), le premier cherche en quoi les conduite ainsi décomptées relèvent de la rationalité
des acteurs et soumet l’attribution causale à cette détermination : une relation statistique qui
ne peut renvoyer à un sens subjectivement assignable des actions ne concerne pas la
sociologie.
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WEBER, emploie la science politique, l'économie politique, la philosophie de la culture et le
droit, l'étude des religions, qui sont selon lui, tout comme la sociologie, des « sciences de la
culture ». Selon DILTHEY qui a systématisé cette tradition de pensée, ces sciences sont trop
éloignées des sciences de la nature pour qu'elles puissent s'inspirer de leurs méthodes. Elle
propose une compréhension des phénomènes collectifs plutôt que la recherche de lois. Les
sciences sociales se distinguent par le fait qu’elles mettent l’accent sur la compréhension par
opposition à l’explication. L’homme n’étant pas mu par des lois qui lui sont extérieures, on ne
peut comprendre ses actions qu’en fonction d’une intention intérieure.
En définissant la science comme une forme d’action rationnelle par rapport à un but (la
connaissance objective). WEBER relève cependant qu’elle est en même temps, une vocation
: estimer que la connaissance vaut la peine d’être poursuivie est le résultat d’un choix de
valeurs. Par ailleurs, la science est par essence un édifice inachevé : les connaissances
d’aujourd’hui sont toujours destinées à être dépassées, surtout en sciences humaines, puisque
la société se transforme constamment. WEBER posait ainsi la ligne de démarcation entre
sciences de la nature et celles du social.
Les sciences de la culture en effet, sont définies par trois caractéristiques : elles portent sur la
culture, donc sur des constructions humaines, sur des choix de valeurs ; elles sont
compréhensives et elles sont historiques. Tandis que les sciences naturelles s’intéressent à la
découverte de lois générales, en utilisant des concepts génériques (indépendants des
caractéristiques contingentes des objets), les sciences de la culture au contraire, s’intéressent
à ce qui est spécifique et particulier, proche du concret. Les sciences de la culture sont
axiologiquement neutres : même si elles prennent pour objet d’investigation des valeurs
humaines (ex : la probité), elles s’abstiennent de porter des jugements de valeurs (ex : “ la
probité est une valeur à défendre ”), et se contentent d’établir des rapports aux valeurs (Par
exemple “la probité est une valeur importante dans la société burkinabè ”).
C’est à partir de cette distinction que la tradition sociologique allemande postule que les
sciences humaines doivent tourner délibérément le dos à tout effort d’alignement sur le
modèle des "sciences dures" pour pratiquer leur méthode originale.
Les sciences dites de la culture auxquelles la sociologie est associée, se distinguant de celles
dites de la nature par le fait que les phénomènes qu’elles visent sont pourvues de sens de sorte
que comme le souligne HAMEL(1997), les envisager comme objets montrent qu’ils (ces
objets) témoignent de l’expérience que la culture exprime en faisant de l’humain un sujet. Par
suite, note DILTHEY, « les faits sociaux nous sont compréhensibles du dedans : en nous
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servant de la perception interne de nos propres états, nous sommes capables, jusqu’à un
certain point, de les reproduire » (cité par HAMEL, 1997 : 20).Cette épistémologie d’une
subjectivité intérieure peut effectivement se légitimer en ce sens que l’une des spécificités des
comportements humains est qu'ils se laissent interpréter de façon compréhensible avec un
certain degré d'évidence, laquelle n'est cependant, jamais suffisante en elle-même. Par
exemple, le médecin sait pourquoi il porte des gants pour soigner le malade tandis que ce
dernier tente reconstruire l’acte de soignant n en s’interrogeant avec plus ou moins de succès
sur le pourquoi de son geste.
Le plus souvent, certaines relations intelligibles sont immédiatement perceptibles entre des
actes et des fins, entre des actes de l'un et des actes de l'autre. Les conduites sociales
comportent une texture intelligible que les sciences de la réalité humaine sont capables de
saisir. Toutefois, le sociologue ne comprend pas aussi intuitivement les conduites : il
reconstruit leur sens subjectif comme le reconnaît WEBER. Cette compréhension implique
une capacité extérieure ou supérieure à la raison ou aux démarches logiques des sciences de la
nature. L'intelligibilité n'est pas immédiate en ce sens qu'il serait possible, sans enquête
préalable, de comprendre le sens de la conduite des autres.
Cependant, dans cette conception wébérienne, le fait que nous sommes capables de
comprendre fait que nous pouvons rendre compte de phénomènes singuliers sans passer par
l'intermédiaire de propositions générales.
2.2.Critiques et limites
Le refus plus ou moins justifié d’une vérité qui transcende l’individu, sa lumière intérieure
conduit le plus souvent à un relativisme scepticiste qui nierait même la possibilité d’une
connaissance objective et de la méthode qui y conduit. Ce fut le cas au milieu des années
1970 où un nouveau courant sociologique porté par des noms comme Bruno LATOUR, David
BLOOR estime que puisque la sociologie n’émet pas de jugement de valeur pour définir son
objet, elle n’a pas à distinguer entre les connaissances vraies et les connaissances fausses pour
limiter ses recherches aux connaissances fausses. Cela implique que toute science ; aussi bien
dans son objet que dans ses méthodes et théories, comporte une teinture sociologique
inappréciable. Ainsi posé, la connaissance scientifique n’aurait plus qu’une valeur relative,
fortement dépendante des contextes socioculturels particuliers.
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Le fait le plus gênant à propos des faits, écrit James Robert BROWN, c’est l’étymologie du
mot fait. Du latin « facere » signifie faire ou construire. Bruno LATOUR, comme beaucoup
d’autres qui se plaisent à jouer avec cette histoire étymologique, pense que les faits sont faits
par nous : ils sont socialement construits. Dans son ouvrage auquel a collaboré STEVE ce
point de vue a acquis une certaine vraisemblance pour se bonifier avec un paramètre temps
dans « Science in action »(1989). « En elle-même, une phrase donnée n’exprime, ni fait, ni
fiction : ce sont les autres, plus tard, qui la constituent comme vraie ou fausse » (LATOUR
cité par BROWN4). Cette audacieuse affirmation est dignifiée du titre de « premier principe :
le destin des faits, comme celui des machines, est entre les mains des usagers ultérieurs ; leurs
caractéristiques sont donc la conséquence et non la cause de l’action collective » (idem).
Toute porte à croire alors que le jeu des acteurs de l’histoire, compte bien moins que celui de
leurs spectateurs. C’est le spectateur d’aujourd’hui qui imprime un sens à l’action d’autrefois.
Les affirmations de Copernic, semble t-il, n’étaient ni vraies, ni fausses au XVIème siècle ;
c’est Newton et d’autres au XVIIème siècle qui les ont rendues vraies. D’un mot, pour
LATOUR, Les boîtes noires (« faits scientifiques ») sont le produit de rapports de force
(imposition d’un point de vue) entre les équipes de chercheurs (anecdote des tonnes de tissus
d’hypothalamus) et d’alliances entre des éléments de la nature, des laboratoires, des chaînes
de boîtes noires déjà constituées (dans la littérature scientifique), et des sources de
financement. On voit donc comment un tel relativisme est un déni absolu de science, pas
même les sciences dites naturelles ne peuvent, dans l’esprit de cette épistémologie, prétendre
à des résultats objectifs et définitifs, valables en tout temps et en tout lieu.
Une autre faiblesse de la tradition épistémologique du sens, c’est de croire que c’est
seulement le comportement humain qui est signifiant ou significatif. La nature, bien qu’elle
existe indépendamment de la connaissance humaine, n’acquiert une existence pour l’homme
qu’à partir du moment où celle-ci devient l’objet de son expérience, de sa connaissance donc,
qui en est la première manifestation. De ce point de vue, la nature aussi n’a de fait que par
l’expérience que l’être humain en a, laquelle à bien des égards, découle de sa connaissance. Il
devient donc possible de penser, comme le fait remarquer HAMEL (1997 :21) que « la
nature elle aussi est pourvue d’un sens qui n’est compréhensible que du dedans pour qu’elle
puisse être vue comme objet apte à être expliqué à ce titre ». La distinction opérée par
DILTHEY devient alors obsolète quand la nature ou la culture doivent se prêter chacune à
l’exercice de réduction au statut d’objet de la science. Et cet exercice comporte une
4
In KREMER-MARIETTI (Angèle),1998,Sociologie de la science, Belgique, Hayen, p. 151.
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compréhension (interprétation) pour que l’explication puisse advenir et se réclamer de la
connaissance que la science produit à son propre compte. « En devenant le fait de la
connaissance humaine, écrit HAMEL (1997 :21), la nature et la culture se jouent donc assez
indifféremment en fonction de l’expérience sujette à l’être humain qui les dote d’un sens que
la science s’emploie à réduire, à neutraliser pour qu’elles se conçoivent comme objets
propres à susciter une connaissance qui peut être conséquemment qualifiée d’objectives ».
On voit donc comment l’argument du sens ne peut être invoqué pour renoncer définitivement
d’appliquer aux sciences de l’homme, les méthodes objectives des sciences empiriques. Mais,
comme l’écrit Pierre BOURDIEU (1983 :19) « c’est une constante de l’histoire des idées que
la critique du positivisme machinal serve à affirmer le caractère subjectif des faits sociaux et
leur irréductibilité aux méthodes rigoureuses de la science ».
Ce verdict sévère, apte à dissiper les illusions, leurres et faux semblants, ne concerne pas
seulement les sciences sociales, ne serait –il pas opportun de s’interroger si les sciences dites
positives remplissent absolument ces conditions. Est- on si sûr que les sciences physiques,
parangon de scientificité, s’il en est dans leur sainte trinité : Galilée, Newton, Einstein,
passent-elles l’examen avec succès ? S’interroge Jean Marie BERTHELOT (2001). La
réponse est non, chez POPPER, critiquant le critère de démarcation élaboré par le Cercle de
Vienne comme aboutissant à classer les théories physiques dans la métaphysique ; non, ajoute
KHUN, en montrant que le critère poppérien de la falsification ne joue que secondairement,
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intégré à un ensemble de normes et de valeurs scientifiques et extrascientifiques, définissant à
un moment donné un « paradigme » ; non, enfin chez FEYERABEND, traquant, dans le
discours de GALILEE, les stratégies rhétoriques masquant les démonstrations défaillantes.
GALILEE a montré avec un télescope que la lune avait des montagnes et que leur hauteur
pouvait être mesurée par la longueur de leurs ombres. En le faisant, il espérait réfuter l’idée
aristotélicienne selon laquelle les corps célestes étaient tous des sphères de cristal parfaites,
pourtant, au temps de GALILEE, les télescopes étaient d’une piètre qualité telle que les
énormes inexactitudes de ses dessins pouvaient se voir facilement. GALILEE n’a pas donné
de raisons théoriques, dit FEYERABEND, pour que la supériorité des observations
télescopiques sur l’observation des cieux soit acceptée, et FEYERABEND d’affirmer que la
seule raison de Galilée pour les préférer était qu’elles avaient tendance à confirmer
COPERNIC. Bref, d’après la lecture de FEYERABEND, GALILEE prévalait sur ses
critiques, en vertu d’une propagande astucieuse.
Ce panorama sommaire vient montrer que les sciences du social et celles de la nature
présentent les mêmes insuffisances et que par conséquent les premières peuvent légitimement
se concevoir à l’image des secondes.
L’objectivisme scientiste tout comme la subjectivité scepticiste sont tous deux, des attitudes
condamnables en sciences sociales. « En sciences sociales, il faut se garder de deux travers
opposés : un scientisme naïf consistant à croire que nous pouvons établir des vérités
définitives et que nous pouvons adopter une rigueur analogue à celle des physiciens ou des
biologistes ; où à l’inverse, un scepticisme qui nierait la possibilité même d’une connaissance
scientifique » (QUIVY et CAMPENHOUDT, 2006 :11).Il ne faut pas, comme l’écrit
BOURDIEU, que l’éthique du devoir méthodologique conduise à un ritualisme des
procédures mettant en berne la vigilance épistémologique. C’est d’ailleurs la problématique à
laquelle tente de répondre « La méthode d’analyse en groupe » en mobilisant l’ensemble des
acteurs et des logiques pour l’analyse de tout phénomène social. L’un des présupposés
épistémologiques qui sous-tendent une telle pratique est que les sociologues ne seraient pas
les seuls, sinon les meilleurs interprètes du social. Laisser l’intelligibilité des faits sociaux
entre les seules mains des chercheurs serait réducteur en termes de sens et de science. Il
faudra alors prendre en compte la réflexivité des individus et des situations concrètes dans
lesquelles ils se trouvent. En caractérisant la modernité contemporaine comme doublement
réflexive, GIDDENS, met l’accent sur les interdépendances entre savoirs profanes et savoirs
savants dans un mouvement de va-et-vient entre monde social et la connaissance sociologique
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où celle-ci s’alimente en même temps qu’elle remodèle l’univers social. C’est dans ce sens
que VAN CAMPENHOUDT et al. Parlent d’une continuité et d’une double démarcation
épistémologique. Continuité et non rupture, parce que les savoirs locaux sont une source
d’eau vive pour la science. Double démarcation, tant par rapport aux interprétations familières
des individus que par rapport aux clichés théoriques des chercheurs. Comme l’écrit
CORCUFF, « les enjeux doivent être appréhendés dans leur coproduction sociale entre
acteurs aux positions et aux points de vue divergents » (cité par CAMPENHOUDT et al.
2005 :34). La confrontation des divers points de vue favorise une intelligibilité plus fine et
intersubjective des situations. « Chacun voit ses interprétations particulières ébranlées et
enrichies par celles des autres participants » (CAMPENHOUDT et al. 2005 :42).
Dans la même logique, l’ouvrage « Science as social knowledge »de Helen LONGINO, se
propose de réconcilier l’objectivité de la science avec sa construction sociale et culturelle.
Tout en admettant que la science est bourrée de valeurs, LONGINO fait la distinction entre
l’autonomie et l’intégrité de la science. La science n’est bien sûr pas autonome : elle est sans
cesse sujette à des influences externes. Mais LONGINO refuse aussi la notion de science
« quitte de valeurs » dans un autre sens. D’après elle, l’influence des « valeurs contextuelles »
sur l’observation, le raisonnement, la construction de théories, etc., est tout aussi puissante
que celle des facteurs externes sur bon nombre de buts de la science. Il importe de démêler
laquelle de ces valeurs influe sur quoi et quand. Selon elle, il existe des barèmes
d’acceptabilité rationnelle qui sont indépendants d’intérêts et de valeurs particuliers, mais la
satisfaction de tels barèmes par une théorie ou une hypothèse ne garantit pas que la théorie ou
l’hypothèse soit quitte de valeurs ou d’intérêts. Si les données peuvent être identifiées
indépendamment de toute théorie ; il y a un pas à franchir entre les données et la théorie ; par
conséquent, les données appuient une théorie (sans garantie), mais ne l’appuient que
relativement à un contexte de supposition d’arrière-plan. Qu’il existe un tel pas à franchir et
que les suppositions d’arrière- plan sont nécessaires au raisonnement scientifique, amène
LONGINO à conclure qu’il faut rejeter, l’idée selon laquelle les faits dictent seuls les
théories ; ils ne le font pas sans l’aide d’important facteurs auxiliaires. Et nous contribuons au
progrès scientifique quand nous prenons conscience de la nature de ces facteurs auxiliaires.
Ainsi, le constate t-on, en sciences sociales, l’objectivisme réducteur sera subjectiviste tout
comme la subjectivité scepticiste sera hors de la science. Il faut alors un maniement savant,
mesuré et contextuel des deux attitudes de la part du chercheur.
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sociologique, peut-on encore affirmer que la sociologie reste une science ? Si, oui, l’est –elle
au même titre que les sciences naturelles ?
C’est Jean-Claude PASSERON qui en donne la réponse. Plus de deux décennies après le
métier du sociologue(1968), il est revenu sur le statut épistémologique de la sociologie dans
son ouvrage intitulé”le raisonnement sociologique”(1991). Pour lui, la sociologie est une
science qui ne relève pas de la logique poppérienne. Dans ledit ouvrage,apparaît explicitement
une "épistémologie de l’entre-deux" qui semble aujourd’hui attirer d’éminents esprits.
L’auteur souligne que le domaine de la sociologie est pour son propos un champ de
recherches historiques parmi d’autres ; le « raisonnement de l’entre-deux » est donc celui des
sciences sociales en général, qu’il étudie à travers le cas particulier de la sociologie. Les pôles
de la dualité que sous-tend cette expression sont d’une part la science, telle qu’on la pratique
dans les disciplines dites exactes et naturelles, d’autre part un ensemble de pratiques
discursives couramment regroupées sous des titres tels que la logique naïve ou le sens
commun. Entre ces deux pôles, les constructions des sciences de l’homme auraient pour
particularité de ne pas se prêter à toute validation empirique et au processus de cumul des
connaissances à l’œuvre dans les sciences de la nature. Elles se distingueraient à ce double
titre des versions fortes de la modélisation à l’œuvre dans les sciences de la nature. Toute
théorie sociologique est nécessairement une interprétation de la réalité et de ce fait, ne se prête
pas à la falsifiabilité. Cependant, le statut scientifique de ces constructions est toujours
revendiqué ; il reposerait, écrit PASSERON, sur « un contenu assertorique » ouvert aux
arbitrages de la « postérité savante » que l’auteur oppose aux « formulations de surface »
justiciables de « commutations énonciatrices » sans effet sur la substance de la construction.
La sociologie n’est donc pas non plus assimilable à la littérature ou à une science ”molle”. La
rigueur de la démarche, soutient PASSERON (1991) permet d’en faire une « science
empirique de l’interprétation ».De ce point de vue, la connaissance dans les sciences sociales,
sans basculer dans la connaissance profane, aura un statut scientifique arbitrable et perfectible
par la communauté des chercheurs.
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Ce point fait le tour de ces différentes perspectives théoriques à partir desquelles a été pensée
la société. Toutefois, tous les paradigmes et théories ne pourront pas être abordés car comme
le rappelle Éric SAVARESSE (2007, 148), « il serait fastidieux de vouloir recenser
l’ensemble des paradigmes théoriques à travers lesquels les questionnements en sciences
sociales sont formulés et les énoncés théoriques élaborés ». Ainsi, il sera traité d’un côté, les
courants holistes et déterministes, de l’autre, les théories individualistes et anti-holistes. Ce
choix se justifie dans la mesure où à la suite des travaux de DURKHEIM et de WEBER, la
sociologie moderne reste durablement traversée par la tension entre ces types d’approche du
social : l’un holiste, qui accorde le primat à l’étude des structures sociales et des phénomènes
collectifs, et l’autre individualiste, qui part d’une analyse de l’action individuelle pour
comprendre la société.
Les bases du holisme méthodologique ont été posées par DURKHEIM dès sa publication de
1895 quand il y mentionne clairement que les « faits sociaux doivent être expliqués par
d’autres faits sociaux ». DURKHEIM considère que ce sont les phénomènes sociaux qui
exercent unecontrainte causale sur les individus et non l’inverse. Il en déduit que les faits
sociaux, s’expliquent par d’autres faits sociaux et non par les états de la conscience
individuelle (théorie des deux consciences).
Le holisme est une théorie qui porte une vision globalisante de la société. Elle privilégie
l’explication du local par le global, privilégie, le sociétal sur l’individuel et le système sur les
acteurs. Elle part du postulat selon lequel l’individu étant un produit de la société, son choix
ne saurait être libre, mais plutôt dicté par la société ou la structure à laquelle il appartient.
C’est ce poids de la société ou de la structure sur l’action de l’individu, que BOURDIEU
(1987) désigne par structuralisme. En effet, selon BOURDIEU (1987), il existe dans le monde
social des structures objectives indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui
sont capables d’orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Les
holistes imposent d’étudier les faits sociaux comme un tout, car la société ne saurait être
déduite des comportements individuels. La théorie holiste fait ressortir la primauté de la
société sur le comportement individuel. À la suite de DURKHEIM, plusieurs formes de
holismes se sont développés parmi lesquelles le fonctionnalisme et structuralisme.
1.1.Le fonctionnalisme
Dans sa forme radicale, le fonctionnalisme est un courant qui postule, que les éléments d’une
société forment un tout indissociable, jouent un rôle vital dans le maintien de l’équilibre
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d’ensemble et sont donc tous indispensables. Ce fonctionnalisme présuppose donc la stabilité
et l’intégration des systèmes sociaux, et tend à ramener l’explication des faits sociaux à la
mise en évidence de leurs fonctions puisqu’ils ne sont que par ce à quoi ils servent.
C’est l’esquisse d’une théorie fonctionnaliste dans laquelle les pratiques sociales (la magie
dans son cas), dans une culture donnée, peuvent être comprises en établissant la relation avec
les besoins primaires qu’elles satisfont (ici, le besoin de sécurité). Pour lui, la fonction n’est
rien d’autre que la satisfaction d’un besoin au moyen d’une activité.
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« fonction d’un usage social déterminé est sa contribution au fonctionnement du système
social total ». Pour comprendre la fonction d’une institution ou d’une activité, il convient
donc de la rapporter à la structure sociale globale et de montrer son rôle dans le maintien de
cette structure.
Pour MERTON, on ne peut se limiter aux conséquences positives des éléments : les fonctions
contribuent à l’ajustement tandis que les dysfonctions gênent l’adaptation. On doit donc
nuancer le postulat qui veut que tout élément, tout usage social ait une fonction (remise en
cause du postulat de l’universalité) : un élément peut être plurifonctionnel, dysfonctionnel,
sinon, a-fonctionnel.
Aussi, des éléments peuvent être fonctionnels pour certains individus ou groupes et
dysfonctionnels pour d’autres. Le principe de l’unité fonctionnelle, selon lequel un élément
est toujours fonctionnel et pour le système et pour chacun, est contredit.
Enfin, le postulat de la nécessité fonctionnelle est remis en cause par l’invention des concepts
d’« équivalents » ou de substituts fonctionnels ». Ce postulat énonçant la nécessité
fonctionnelle des activités sociales implique qu’elles sont indispensables au fonctionnement
de la société et que leur disparition menacerait l’équilibre et le maintien de la structure
sociale. MERTON considère pour sa part, qu’une fonction donnée peut être réalisée par
plusieurs activités organisées. Une gamme d’éléments capables dans une situation donnée de
satisfaire une même exigence fonctionnelle existe (substituts fonctionnels). De même, une
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organisation spécifique peut remplir des fonctions diversifiées. Le système social n’est donc
pas nécessairement menacé par la disparition d’une activité fonctionnelle particulière.
Une autre proposition s’appuie sur la distinction entre « fonction manifeste » et « fonction
latente ». La notion de fonction désigne de façon générale en sociologie, « la contribution
d’une institution sociale au maintien du système au sein duquel elle est en interaction avec
d’autres » (par exemple : la fonction des partis au sein d’un système politique démocratique).
Les fonctions manifestes sont les conséquences objectives qui contribuent à l’ajustement ou à
l’adaptation du système, sont comprises et voulues par les participants du système. Une
activité sociale joue le rôle de fonction manifeste lorsqu’elle apparaît comme la conséquence
objective et volontaire du but visé.
Les fonctions latentes sont celles qui ne sont ni comprises, ni voulues ». Par exemple, l’achat
de biens de consommation (nourriture, meubles, automobile…) a pour fonction manifeste de
satisfaire des besoins (se nourrir, meubler sa maison, se transporter, etc.), et pour fonction
latente d’affirmer son statut social (par exemple, consommer des biens de luxe pour signaler
son appartenance aux classes supérieures).
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La prise en compte de ces deux catégories de fonctions représente pour MERTON, un
approfondissement de la connaissance sociologique mais rend plus difficile la pertinence du
diagnostic social puisqu’une activité manifestement dysfonctionnelle peut remplir de manière
latente un rôle positif.
Une dernière proposition mertonienne a trait à son concept de « substitut fonctionnel ». Elle
procède de la réfutation du principe de la nécessité fonctionnelle et des observations sur les
déficiences fonctionnelles. Dans cette perspective, MERTON fait une analyse des fonctions
des appareils des partis politiques américains. En principe, leur fonction principale est la
mobilisation de l’électorat. En réalité, ils fournissent bien d’autres prestations correspondant à
des aspirations qui ne trouvent pas de solution par les canaux institutionnels habituels. Pour
les catégories sociales défavorisées, ils permettront l’obtention d’une assistance financière ou
d’un emploi. Pour les entreprises, ils faciliteront l’obtention d’un marché en échappant aux
procédures bureaucratiques. Dans la société américaine, l’appareil des partis politiques peut
donc être considéré comme un substitut fonctionnel efficace aux carences de la structure
administrative.
1.2.Le structuralisme
On peut définir une structure comme étant un ensemble d’éléments formant un système ; un
tout organisé qui s’impose à ses éléments et qui est capable d’adaptation et d’autoréglage.
Selon LÉVI-STRAUSS (1958), toute structure combine ses éléments de sorte d’une
modification quelconque de l’un d’entre eux amène une modification de tous les autres.
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révolutionné l’approche du langage en montrant que toute langue constitue un système au sein
duquel les signes se combinent et évoluent d’une façon qui s’impose aux acteurs et selon des
lois qui leur échappent.
Mot latin issu du grec, le concept d’habitus est d’origine philosophique. C’est ARISTOTE qui
l’utilisa dans un premier temps pour désigner les dispositions acquises (GRATWIZ, 2001).
DURKHEIM utilisera ensuit la notion dans le sens d’un rapport au monde très cohérent et
durable, au sujet de deux situations historiques particulières : les « sociétés traditionnelles » et
le « régime de l’internat » dans les monastères.
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Pierre Bourdieu se saisit de ce vieux terme qu’il renouvèle et systématise pour en faire un
concept central de sa sociologie de l’action. Selon BERAUD et COULMONT (2008), on
trouverait déjà des éléments constitutifs d’une théorie de l’habitus dès les premières enquêtes
de BOURDIEU en Algérie. Mais, il a fallu attendre jusqu’en 1967 pour qu’il en fournisse le
premier développement systématique. Absent des "Héritiers" (1964), le concept d’habitus est
employé dans la "Reproduction" (1970). Au fil de ses différents ouvrages, il est revenu en de
nombreuses occasions sur son emploi, sans jamais l’avoir entièrement clarifié, estime
HERAN (1987). L’habitus est d’abord présenté comme « comme système de schèmes
intériorisés qui permettent d’engendrer toutes les pensées, les perceptions et les actions
caractéristiques d’une culture, et celles-là seulement » (BOURDIEU, 1967 : 151). Il s’agissait
alors pour Bourdieu de se fonder sur l’architecture gothique étudiée par l’historien d’art
Erwin PANOFSKY, pour montrer que l’artiste-créateur « participe de sa collectivité et de son
époque » par son habitus « qui oriente et dirige, à son insu, ses actes de création les plus
uniques en apparence » (Ibid, 142). À travers cette définition de l’habitus, on comprend que
ce sont les caractéristiques structurelles qui permettent d’expliquer et interpréter les faits et les
comportements individuels. Le consommateur, l’électeur, le délinquant ne sont pas des
monades isolées, ils agissent sous l’influence des groupes et des structures impliqués dans
leur processus de socialisation.
Une dizaine d’année plus tard, la définition a connu une évolution mais aussi une
complexification en ces termes: « systèmes de dispositions durables et transposables,
structures structurées et structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et
organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à
leur but sans supposer la visée consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations
nécessaires pour les atteindre, objectivement réglées et régulières sans être en rien, le produit
de l’obéissance des règles et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit
de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre » (BOURDIEU, 1980 : 88-89). Ces
dispositions sont intériorisées par les agents au cours du processus de socialisation. On
distingue généralement l’habitus primaire (celui du milieu d’origine et de la famille) et
l’habitus secondaire (conféré par les autres cadres et instances de la vie) d’une part, d’autre
part, l’habitus de classes ou de champs. Une telle distinction ne signifie cependant pas que
l’habitus soit différent dans son principe d’un espace à un autre : c’est le même principe
directeur toujours et partout. Les dispositions dont les individus sont dotées et qui sont
génératrices de leurs pratiques, sont le produit de leur passé, de leur histoire individuelle ou
collective et de leurs expériences propres.
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À travers ce nouveau contenu qu’il donne à l’habitus, BOURDIEU se veut moins déterministe
et entend accorder une place aux acteurs sociaux qui sont autant déterminés que relativement
autonomes, autant agis qu’agissant. C’est pour cette raison qu’il se positionne comme un
structuraliste constructiviste qui non seulement prend en compte l’influence des structures
sociales mais aussi l’autonomie des acteurs sociaux capables de discernement et de
construction de sens. L’individu parvient, en dépit des conditionnements successifs qu’il
subit, à générer des comportements nouveaux et différents de ce qu’il a exactement appris.
« Si je suis devenu sociologue, c’est essentiellement afin de mettre un point final à ces
exercices à base de concepts collectifs dont le spectre rode toujours. (…) La sociologie, elle
aussi, ne peut procéder que par des actions d’un, de quelques ou de nombreux individus
séparés. C’est pourquoi, elle se doit d’adopter des méthodes strictement individualistes »
(WEBER, cité par DELLAS et MILLY, 2012 : 364).
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postulat exclut, par exemple, qu’on explique les croyances magiques par la «mentalité
primitive », la «pensée sauvage » ou la « violence symbolique », ces notions faisant appel à
des mécanismes opérant à l’insu du sujet, à l’instar des processus chimiques dont il est le
siège. Il n’implique pas cependant que le sujet soit clairement conscient du sens de ses actions
et de ses croyances.
Cette théorie anti déterministe et anti holiste a connu du succès dans les années cinquante à
soixante aux États-Unis et en France, mais dans des directions multiples au point qu’on puisse
parler aujourd’hui non plus d’un, mais de plusieurs individualismes méthodologiques. Nous
nous limiterons toutefois à deux de ses perspectives : celle de Raymond BOUDON et celle
développée par l’école de Chicago.
La perspective ouverte par BOUDON est à la fois une opposition aux théories holistes et
déterministes, notamment celle de l’habitus de Pierre BOURDIEU et un dépassement de
l’utilitarisme et de l’individu optimisateur chers aux économistes néoclassiques. Elle part du
principe selon lequel, expliquer un phénomène social, collectif, c’est toujours analyser ce
phénomène comme la résultante d’un ensemble d’actions, de croyances ou d’attitudes
individuelles. Tout phénomène social peut être expliqué selon BOUDON comme étant l'effet
émergent d'actions individuelles. Ces actions sont dues aux raisons que chacun a d'agir ou de
croire en fonction de son contexte. Un individu accomplit une action parce qu'il a de bonnes
raisons de le faire et non pas parce qu'il est déterminé par des causalités sociales,
économiques, biologiques, psychiques, dont il n'aurait en outre pas conscience. Pour lui, les
explications sociologiques faisant appel à des concepts comme ceux d'habitus, ou de « forces
sociales » enlèvent à l'individu sa capacité d'agir. Partant de ce principe, BOUDON fait donc
une large place aux actions des individus, à leurs stratégies dans ses analyses.
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L’acteur boudonien est rationnel, mais cette rationalité ne se comprend que relativement à un
contexte de référence limité. À l’homo oeconomicus jouissant d’une rationalité parfaite,
sélectionnant toujours des solutions optimales, il substitue l’homo sociologicus se contentant
de solutions satisfaisantes. Comme l’écrivent DELAS ET MILLY (2012, 237) « les acteurs
(...) disposent de ressources d’actions variables selon les systèmes de contraintes et ont des
logiques d’actions différentes selon les configurations sociales : ils sont parfois acteurs, mais
aussi parfois agents, communiants et commettants ». Mais cela ne signifie nullement, prévient
BOUDON, que les individus sont "manipulés" et que leurs actions sont "programmées" par
des éléments antérieurs tels que l’origine sociale. Dans un tel cadre, les individus sont
supposés n’avoir qu’une conscience imparfaite, voir faussée des raisons qui les ont poussés à
agir. BOUDON condamne aussi bien le sociologisme avec ses théories déterministes que
l’économisme néoclassique avec sa rationalité illimitée. C’est ainsi qu’il emprunte au
sociologue et Prix Nobel d’économie Herbert SIMON, la notion de "rationalité limitée" qui
lui semble plus réaliste. Le comportement de l’agent sera considéré comme rationnel, écrit
BOUDON (1973), à chaque fois que celui-ci pourra invoquer de "bonnes raisons" pour
expliquer ses actions ou ses croyances. Toutes les fois que l’on constate l’apparition de
phénomènes macrosociaux, ou émergents, ceux-ci doivent être analysés comme l’agrégation
de comportements individuels rationnels au sens large du terme. « Il existe assurément des
cas où le modèle rationnel classique s’applique (...), mais le plus souvent, la rationalité doit
plutôt être conçue comme limitée » renchérit-il (BOUDON, 2004 : 56).
C’est une approche qui se développe dans les années cinquante aux États-Unis en réaction au
quantitativisme et au fonctionnalisme de certaines universités américaines. Cette perspective
est issue des enseignements des précurseurs comme MEAD qui officiaient dans les années
1920. Il défendait la vision d’une société construite au travers des interactions individuelles.
Sa thèse est que l'accès au sens des phénomènes, tant subjectifs qu'objectifs, découle
nécessairement d'une interprétation, et que la formation du cadre interprétatif découle des
processus dynamiques d'interaction interindividuelle.
Il est revenu cependant à BLUMER, élève et successeur de MEAD, de forger le concept (en
1937) et de poser ses fondements théoriques. C’est donc lui qui élabore les principes
définissant l’interactionnisme symbolique. Il postule que les humains agissent à l’égard des
choses en fonction du sens qu'ils attribuent à celles-ci lequel sens provient de l’interaction
sociale. Il poursuit en précisant que ces sens sont modifiés à travers un processus interprétatif
utilisé par l’individu pour interagir avec les choses rencontrées (BLUMER, 1969). En effet,
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les individus agissent envers les “ objets ” en fonction des significations que ceux-ci ont pour
eux, et cette signification naît de l’interaction sociale, c’est-à-dire par rapport à autrui. Pour
GOFFMAN, les sociologues doivent parler du point de vue des gens qu’ils étudient parce que
c’est depuis cette perspective que se construit le monde qu’ils analysent. La vie sociale est à
la fois intentionnelle, interprétative et interdépendante. L’interaction, irréductible à une
logique simple de l’action et de la réaction, est avant tout un processus créatif, construit et
ouvert que le sociologue doit saisir en fonction de la situation dans laquelle se trouve l’acteur
et la direction qu’il cherche à donner à son action.
En pratique, le sociologue aura des difficultés à percevoir tous les éléments de l’interaction,
balisée aussi par ce que STRAUSS appelle « des acteurs invisibles » : les parents morts, la
femme quittée, le groupe que l’on représente, etc.
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CONCLUSION
Le savoir sur la société s’est affirmé progressivement et a profité de certaines circonstances
historiques pour se constituer en discipline et en science autonomes. C’est la Révolution
scientifique qui a créé les conditions théoriques de naissance des sciences humaines et
sociales; mais, il a fallu attendre des évènements de l’ordre social et politique pour que la
sociologie voit effectivement la jour. Ce rôle de catalyseur historique a été joué par des
évènements de grande ampleur comme la Révolution industrielle et la Révolution politique
française. Les dysfonctionnements et les dérèglements des mécanismes sociaux et
institutionnels engendrés par ces révolutions demandaient une prise en charge rapide pour
laquelle les sciences formelles et psychologiques se sont révélées incompétentes. C’est ainsi
que COMTE puis DURKHEIM, semblent accouru au chevet d’une société française en pleine
déliquescence, comme son médecin. Cette sociologie comtiste et durkheimienne a depuis lors,
et au fil du temps, pris plusieurs directions et se trouve aujourd’hui, être écartelée entre
plusieurs théories et paradigmes. Mais, davantage que bien de sciences, la sociologie pratique
l’auto-réflexivité inscrite même dans la substance de la modernité avancée comme l’affirme
GIDDENS. Elle ne s’arrête jamais de revenir sur ses pas, d’interroger ses voies et moyens, de
célébrer ses pères fondateurs, comme si le discours qu’elle tient, n’était jamais digne
d’assurance (JAVEAU, 2005). Cette insécurité cognitive réside vraisemblablement dans le
caractère ”mondain” de nombreux discours se réclamant de la discipline. Les sociologues sont
peut-être après tout, les « seuls experts à tenir des propos sur des objets que la plupart des
profanes tiennent pour familiers et sur lesquels ils ne manquent pas eux-mêmes de tenir des
propos qui leur semblent souvent plus pertinents que ceux des sociologues » (JAVEAU,
2005 : 5).Cette réflexivité réflexe permet à la sociologie de garantir la vigilance
épistémologique dont le repli pourrait être catastrophique pour la scientificité de la production
sociologique.
Quant à la pluralité des courants et des paradigmes, considérée autrefois comme un signe de
fragilité scientifique, elle constitue de nos jours une richesse pour la discipline sociologique
en ce sens qu’elle constitue plusieurs angles d’approches pour aborder les phénomènes
sociaux. Les sociologues semblent, de nos jours, être unanimes sur la complémentarité des
différentes approches, même si certaines semblent souvent se prêter plus que d’autres dans
l’analyse de certains faits sociaux en fonction de l’objectif de recherche.
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BORLANDI Massimo et al. (dir.), 2005, Dictionnaire de la pensée sociologique, Paris, PUF.
DELAS Jean-Pierre, MILLY Bruno, 2012, Histoire des pensées sociologiques, Domont , 3ème
édition, Armand colin.
DURAND Jean –Pierre et WEIL Robert, Sociologie contemporaine, 1997, paris, éd. Vigot.
DURKHEIM Émile, 2004, Les règles de la méthode sociologique, paris, 12ème éd. PUF.
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IGNACEGérard et Marc-Antoine GENISSEL,Introduction à la sociologie,1999,Paris, 2èmeéd.,
édition marketing S.A, collection ellipses.
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