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ANNEE ACCADEMIQUE 2019-2020

FACULTE DES SCIENCES DE L’HOMME ET DE LA


SOCIETE
(FSHS)

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

COURS D’INTRODUCTION A LA
SOCIOLOGIE
(Soc 180)

SEMESTRE 1

ENSEIGNANT : M. GNAKOU ALI Pitaloumani


Maître de conférences

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Cours d’introduction à la sociologie, 2019-2020, GNAKOU ALI Pitaloumani, Maître de conférences,
FSHS
OBJECTIF DE L’UE :
L’objectif est de fournir aux étudiants les bases théoriques de connaissance du social en
mettant à leur disposition, les fondements de la vie sociale, de la sociologie et des éléments de
connaissance issue des différentes traditions de recherche en sociologie.

DESCRIPTION DU CONTENU
Le cours présente une vue générale de la sociologie en insistant sur la genèse et l’objet de la
sociologie, ses fondements épistémologiques, l’étude et la connaissance du social. Il décrit la
connaissance du social à partir d’une revue des problématiques fondamentales reposant sur les
concepts qui structurent une étude du social. Il s’agit de l’ordre social, du système social,
rapports sociaux et relations sociales ou interactions.

PUBLIC-CIBLE ET PRE-REQUIS
Ce cours d’introduction à la sociologie est destiné aux étudiants de semestre 1 du département
de sociologie à la Faculté des Sciences de l’Homme et de la Société et à tout public
d’étudiants ayant besoin des informations de base sur la connaissance du social

CONDITIONS DE VALIDATION
Contrôle continu : 50 %, examen : 50 %

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Cours d’introduction à la sociologie, 2019-2020, GNAKOU ALI Pitaloumani, Maître de conférences,
FSHS
Introduction
Le social apparaît sous diverses espèces de phénomènes sociaux dont l’agencement constitue
ce que l’on appelle ordinairement les cultures ou des manières.

Comment naissent ces manières de parler, d’agir, de penser et de sentir acquises par les
individus en tant que formant une société ou un groupe social donné dans le temps et
l’espace ? Ces manières sont culturelles parce que, façonnées par l’action de la vie en société,
ils se transmettent dans le temps de génération en génération et s’opposent à des phénomènes
naturels. On peut dire que tout groupe constitué de manière relativement stable présente des
traits culturels repérables et comparables à ceux d’autres groupes.

Il se pose la question de savoir comment naissent des espèces de phénomènes sociaux dont
l’agencement constitue la culture ?

Selon l’avis partagé des sociologues, les traits sociaux résultent des interactions durables dans
le temps et extensibles dans l’espace que les membres du groupe nouent entre eux. Selon
Marcel Mauss, « Quelles que soient la grandeur et la forme des groupes…), ils présentent tous
ce caractère qui sont formés par une pluralité de conscience individuelle, agissant et
réagissant les unes sur les autres. C’est à la présence de ces actions et réactions, de ces
interactions que l’on reconnaît les sociétés » (Mauss M., Essais de sociologie, Minuit, coll.
Points, Paris, 1971)

Le but du présent cours introductif est de familiariser les étudiants avec le contenu et la
démarche de la sociologie, sous ses aspects à la fois contextuels, d’oppositions traditionnelles
entre approches théoriques, méthodologiques et sous ses aspects conceptuels qui permettent
de penser le social et de le construire dans un raisonnement spécifique. A partir de ce contenu,
le cours entend faire acquérir aux étudiants, des repères analytiques et empiriques, pour
comprendre les développements de la discipline à travers l’héritage laissé par les fondateurs.
Ceci permettra d’aborder à la fois des travaux empiriques qui mettent en lumière les
constructions théoriques, en même temps que les outils conceptuels et théoriques qui
permettent de construire les démonstrations.

Le cours est composé de deux chapitres. Le premier va porter sur l’ordre social et la
régulation sociale et le deuxième les relations sociales.

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Cours d’introduction à la sociologie, 2019-2020, GNAKOU ALI Pitaloumani, Maître de conférences,
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Chapitre 2 : Ordre Social, Structuration Sociale,
Régulation Sociale
Avec cet aspect du cours consacré à l’ordre social à la structuration sociale et à la régulation
sociale, l’étudiant sera en mesure d’indiquer les dimensions de l’ordre social qui régit les
routines quotidiennes de l’individu. Ces routines constituent l’expérience que nous faisons de
l’ordre social. Elles se déroulent avec une certaine ritualisation. Cette ritualisation ne se fait
pas dans le désordre. Elle répond à des exigences, obéit à des obligations. Ces obligations
constituent un ordre qui sert d’englobant aux routines. Toute société, jusque dans le plus petit
de ses fragments témoigne d’un ordre. Nos habitudes sont donc soumises à un ordre
institutionnel, obéissent à des exigences. En d’autre termes, elle repose sur cet ordre et le
propose comme normal, comme allant de soi, comme légitime.
Il va pouvoir constater et expliciter des faits liés à l’ordre social
-les routines quotidiennes de notre vie sociale -la dimension normative du comportement proposé
-l’expérience de la vie sociale à travers les routines ; par les règles sociales ;
-la ritualisation des routines du quotidien ; -inadéquation entre règles, normes et valeur ;
-les systèmes institutionnels qui fondent l’ordre social ; -les dimensions de la légitimation :
-le but de l’ordre social ; -la signification subjective de la légitimité ;
-les dimensions de l’ordre social; -les différentes justifications de la légitimité de
-la coercition qui s’impose aux routines quotidiennes ; l’ordre social;
-la programmation du cadre des comportements -l’apprentissage social des règles ;
habituels par l’ordre social ; -les différents types de règles sociales ;
-l’imposition de l’ordre social aux comportements de -la norme ;
se dérouler d’une certaine manière ; -les valeurs qu’exprime une norme ;
-les contraintes au principe de l’ordre social ; -l’inadéquation entre règles, normes et valeurs ;
-la socialisation de l’individu à l’intériorisation des -hiérarchisation des valeurs : valeurs centrales,
contraintes au principe de l’ordre social ; valeurs périphériques ;
-les différents types d’ordre social ; -désaccord entre ordre légitime et ordre moral ;
-les structures impératives de l’ordre social; -les possibilités de mise à distance, de libre arbitre à
-l’incapacité de l’ordre social à programmer les l’égard des légitimations en cours dans une société ;
comportements individuels ; -les marginaux et les déviants ;
-la faculté de résistance des individus aux structures -la marginalité ;
impératives de l’ordre social ; -le passage de la marginalité à la déviance ;
-les aspects routiniers de la duplicité ; -la réaction sociale ;
-les problèmes de l’ordre social ; -qualification sociale ;
-les images du désordre social ; -l’infraction ;
-les conduites routinières non nécessairement -comportements délinquants ;
uniformes et cohérentes ; -qualification pénale d’un acte ;
-le changement social dans l’ordre social ; -sanctions sociales ;
-la structuration sociale ; -sanctions pénales ;
-la régulation sociale -le crime ;
-les dispositifs de régulation sociale ; -le contrôle social ;
-la légitimité de l’ordre institutionnel ; -le contrôle social formel ;
-l’acceptation des dispositions institutionnalisées; -le contrôle social informel ;
-la légitimation de l’ordre social ; -la stigmatisation ;
- la constitution du stock de connaissance à travers la -la contrainte sociale exercée par différents types de
socialisation ; pouvoir ;
-les zones d’incertitude qui échappent aux contraintes
institutionnelles.
Notre vie quotidienne est faite de routines qui sont des manières de faire, de penser
institutionnalisées.

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1. L’ordre social

1.1 L’ordonnancement social


Chacun de nous fait tous les jours l’expérience de ce qui revêt l’apparence d’un ordre social
qui orientent et encadre nos routines quotidiennes. Il existe un fonctionnement social
institutionnalisé, préexistant qui apparaît comme normal par rapport auquel, au quotidien,
nous pensons, agissons, parlons.
Considérons les routines quotidiennes d’un étudiant à la maison, dans le quartier, dans la rue,
à l’université et dans des groupes spécifiques. Le matin il se réveille à des heures précises afin
d’être à l’heure au cours. Quand il se réveille, il fait sa toilette à un lieu bien déterminé, il se
lave les mains, il se brosse les dents, il fait le ménage, il lit ses cours, il se lave à un endroit
bien défini, il salue ses tuteurs, il se dirige à l’endroit où démarre le bus, là il fait la queue
selon l’ordre d’arriver. S’il va au cours à moto, sur la route, il ne conduit pas comme il veut. Il
ralentit, s’arrête, redémarre, va à une allure selon l’ordre de conduire prescrit par le code de la
route. Arriver au campus, il gare à un endroit considéré comme normal, entre dans l’amphi et
occupe une place qui est libre et non celle qu’il veut. Dès l’arrivée du professeur, il se met au
silence, reste attentif et écoute celui-ci jusqu’à la fin du cours. Avant même qu’il ait droit aux
études, il s’inscrit au niveau académique et pédagogique selon des procédures préétablies dont
il n’a pas le choix.
Disons que les conduites routinières d’un étudiant du début jusqu’à la fin de la journée, du
début jusqu’à la fin de l’année, du début jusqu’à la fin des examens, sont effectivement
ordonnées, répondent à un certain ordonnancement. Elles répondent à des exigences de temps,
d’hygiène, de morale (respect aux tuteurs, respect aux enseignants, respect) de connaissance,
de droit, de sécurité…
Que ce soit à la maison, dans le quartier, dans la rue, au campus ou dans un endroit, nous
agissons non comme on veut, mais selon des exigences ou selon un fonctionnement social
préexistant considéré comme normal, allant de soi. Ce fonctionnement social allant de soi,
parce que considéré comme normal, devient un ordre institutionnel. Il comprend des manières
de faire ou d’agir, de penser, de parler établies.

1.2 Les modes d’ordre social


Comment agit l’ordre social ? De quelles manières l’ordre social ordonne nos
comportements ?
L’ordre social ordonne de deux manières : il programme le cadre de nos comportements
habituels et il impose à ces comportements de se dérouler d’une certaine manière.
L’ordre social ordonne à partir des structures de rapports sociaux ou de pouvoir (des
différenciations hiérarchiques) instaurées et des institutions : la langue qu’on parle dans le
groupe, la religion qui est pratiquée en majorité, le type de pouvoir qui est respecté, des
idéologies, des lois ou règles qui gouvernent un sexe, un âge, un métier, une ethnie, une

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appartenance religieuse) et des conditions sociales liées au statut et à l’origine ( par exemple,
condition d’esclave, condition de femme, condition d’étranger, condition d’ouvrier, condition
de riche ou de pauvre….)
Ces éléments sociaux montrent l’existence d’une structuration des rapports sociaux ou d’une
régulation des comportements des membres les uns à l’égard des autres : les rapports des
individus et groupes les uns avec les autres sont ordonnés, soumis à un ordre. Ces structures
de pouvoir, institutions et conditions sociales, sont des contraintes constituant un poids qui
conditionne les actions, les rapports sociaux et les relations sociales.
L’ordre social, en tant que fonctionnement de la société d’une certaine manière, repose sur un
certain ordonnancement : les enfants obéissent à leur parents, les étudiants respectent leurs
enseignants, les étudiants s’inscrivent dans les écoles ou facultés où ils sont orientés, ils
s’inscrivent à la Direction des Affaires Académiques dans un délai fixé, ils achètent par
semestre les crédits qu’ils sont autorisés à acheter, ils commencent et finissent les cours selon
un emploi du temps préétabli, ils reprennent l’examen dans les UE qu’ils n’ont pas encore
validées… Leurs habitudes n’échappent donc pas à l’institutionnalisation. C’est l’ordre
universitaire.
Une bonne partie de cet ordre social est établie par le pouvoir de la société, notamment les
structures qui décident, agissent, parlent, sanctionnent au nom de la société. Par exemple,
avec la constitution de l’Etat et divers codes et règlements, une personne n’a pas le choix de
ne pas respecter la durée d’un mandat du PR ou d’un élu parlementaire, un homme n’a pas le
choix de ne pas se marier selon le code de la famille au Togo, n’a pas le choix de ne pas
respecter les procédures d’occupation d’une parcelle de terrain, un conducteur n’a pas le
choix de ne respecter une limitation de vitesse, un fonctionnaire n’a pas le choix de ne pas
respecter les ordres justifiés de son chef hiérarchique…

1.3 Le but de l’ordre social


Un individu se plie – t- il spontanément à l’ordre social ?
L’individu, ne se plie pas spontanément à l’ordre social. Au principe de celui-ci figurent des
contraintes plus ou moins pesantes, qui contrarient des déterminations asociales, reposant sur
ce que Durkheim a appelé le « désir infini » de l’homme. La détermination fondamentale de
l’individu, selon certains auteurs, serait un vouloir-vivre qui n’envisagerait pas de limitation
au « déploiement de l’être » (c’est une dimension de l’œuvre de Nietzsche) ou un penchant à
l’égoïsme et une tendance à la démesure (Durkheim). Pour que la société puisse exister, être
produite et reproduite, il faut introduire des limitations aux comportements individuels. Il est
indispensable que l’individu se plie à l’ordre social. Pour qu’il se plie à l’ordre social, il
faut imposer des contraintes aux comportements de se dérouler d’une certaine manière.
C’est le rôle du pouvoir de la société.

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2. Les paliers de l’ordre social

2.1 Ordre total et ordres partiels


L’ordre social qui s’exprime par des règles est-il uniforme ?
L’ordre social s’incarne en institutions plus ou moins durables (certaines d’entre elles peuvent
être très anciennes, comme l’Église, l’Université, la monnaie, etc.) : c’est pour cette raison
qu’on parlera plus précisément d’ordre institutionnel. Celui-ci se divise en ordres partiels,
valant chacun pour une sphère d’activité donnée. On distingue alors un ordre social total et
des ordres partiels.
L’ordre social total est celui de la société ou l’Etat en tant que totalité qui peut être un ordre
démocratique, libéral, socialiste, communiste, monarchique. Les ordres partiels sont par
exemple, l’ordre économique, l’ordre politique, l’ordre rationnel, l’ordre traditionnel, l’ordre
religieux…
Tous les ordres reposent eux-mêmes sur des valeurs qui leur sont propres ; ils font l’objet de
discours légitimateurs et se manifestent par une articulation spécifique valeurs-normes-règles.
Il existe une relation entre l’ordre total et les ordres partiels.
Le système économique, par exemple, fonctionne selon des règles qui lui sont propres et qui
ne peuvent se justifier que par rapport à leur efficacité au sein du système.
Quelle est la relation entre ordre total et ordres partiels?

2.2. Relation entre ordre total et ordres partiels


Il peut arriver que divers ordres partiels apparaissent encore comme légitimes alors que
l’ordre total a perdu toute légitimité. Par exemple, dans un État en proie à l’anarchie politique,
l’armée peut représenter la seule grande institution disposant encore d’une certaine légitimité.
Inversement, au sein d’un ordre total dont la légitimité est peu contestée, ou pas du tout,
certains ordres partiels peuvent avoir perdu toute légitimité ou une part appréciable de celle-
ci. On peut imaginer un système politique accepté par la majorité des citoyens, lesquels,
toutefois, ne reconnaîtraient plus beaucoup de légitimité à l’armée, à l’école et au système
judiciaire. Il est donc permis de dire que si les ordres partiels s’intègrent sans un ordre total,
ils jouissent quand même, par rapport à lui, d’une certaine autonomie. Il ne faut pas perdre de
vue, en effet, que dans la vie quotidienne, les individus ont affaire de manière privilégiée à
des ordres partiels qui leur paraissent plus concrets que l’ordre total qu’ils ne sont amenés à
contester qu’en période de grands bouleversements historiques.
Il n’en reste pas moins que la modification de la structure et du système de légitimations d’un
ordre partiel ne laisse pas de se répercuter sur l’ordre total. L’inverse est évidemment vrai : la
mise en cause de l’ordre total entraîne des conséquences plus ou moins graves pour les ordres
partiels qu’il encadre. Ces conséquences peuvent aller dans le sens de l’affaiblissement de
certains ordres partiels et / ou du renforcement de certains autres, qui apparaissent alors
comme des ordres « refuges ». Leurs valeurs centrales deviennent elles aussi des valeurs
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refuges ; ce peut être le cas des valeurs militaires, comme dans les États traversés par de
graves conflits sociaux, ou les valeurs religieuses, en période de crise économique affectant
sensiblement les populations.
Mais, l’ordre social, fut-il le plus oppressif (l’exemple de camps de concentration, prison,
couvent, armée), parvient-t-il à programmer entièrement les comportements
individuels ? Les individus, comme le laisse penser la sociologie hyper-positiviste, sont-
ils régis par des structures impératives sur lesquelles ils n’auraient aucune prise ?

3. Ordre et structuration sociale

3.1. La duplicité et désordre social


La vision de la sociologie positiviste issue de Durkheim et des théoriciens du structuro-
fonctionnalisme, notamment Parsons, est celle d’un ordre central présentant sur ses marges
quelques zones de désordre, qu’il appartient aux institutions de contrôle social de réduire ou
de contrôler. Cette représentation conservatrice du social n’est plus de mise de nos jours,
même si la quête d’invariants sous-jacents au désordre visible reste l’une des préoccupations
majeures des sociologues et des historiens.
La faculté de résistance des individus que Maffesoli appelle encore la duplicité et multiples
évènements de trouble de l’ordre social, montrent que cette vision de la sociologie positiviste
est une fausse représentation de l’individu et la place importante du désordre dans le social.
Pour Maffessoli, « c’est par la duplicité, plus ou moins consciente, que les individus
apparemment intégrés à l’ordre social gardent un quant à soi qui leur permet de survivre
aux diverses impositions de cet ordre. Il est sans cela impossible de comprendre la
perdurance de l’humble vie quotidienne. » (MAFFESOLI M. La conquête du présent,
PUF, coll. Sociologie d’aujourd’hui, Paris, 1979, 77.)

Les guerres, les révoltes, les dissidences… donnent plutôt l’image d’un profond désordre,
dans lequel des institutions souvent impuissantes s’efforcent de mettre un peu d’ordre. L’idée
qui prédominerait à présent chez les sociologues qui préconisent une conception dynamique
du social, est celle d’un désordre dominant, au sein duquel apparaitraient, pour des durées
plus ou moins longues, des « plages » d’ordre.

3.2. La structuration sociale


Tout n’est pas qu’ordre social. Si on considère la relation entre les institutions et les acteurs
qui les font fonctionner, on constate les innovations, le changement social et le désordre. On
constate que ce n’est pas nécessairement l’ordre qui fait fonctionner les institutions, mais c’est
la façon, la manière dont s’emboitent, s’ajustent et se déterminent mutuellement les
compétences investies par les acteurs dans leurs divers épisodes qui constituent la trame de
leurs existences individuelles, et les cadres fournis et imposés à celles-ci par les systèmes
institutionnels inscrits dans le développement historique. C’est l’idée principale qui se dégage
de la théorie de structuration sociale du sociologue anglais Anthony Giddens (1938). Le
social, pour GIDDENS, se présente essentiellement comme une dualité (et non un dualisme) :
Il souligne que :
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« Les règles et les ressources utilisées par les acteurs dans la production et la reproduction
de leurs actions sont en même temps les moyens de la reproduction du système social
concerné : c’est là l’idée même de la structuration du social. » (GIDDENS A., La
constitution de la société, Op. cit. 68, trad. Française.)
Les règles (normatives) et les ressources (cognitives), dont l’ensemble constitue les
compétences de l’acteur, sont fournies par les systèmes institutionnels. Mis en œuvre par les
acteurs dans le déroulement des épisodes de leurs existences, ils « retournent » au système
social qu’ils contribuent à alimenter en production intersubjectives, lesquelles à leur tour
s’inscrivent dans les structures objectivables du social. Cette vision du social rejoint le
concept d’habitus de Pierre Bourdieu et celui de stock de connaissance de Schütz.
Si la stabilité de la société se maintient, c’est grâce aux dispositifs de régulation fondés dans
les interactions. Pour Anthony Giddens, c’est au travers de la structuration sociale que cette
régulation fonctionne. C’est grâce aux dispositifs de régulation fondés dans les interactions
les plus triviales même, que, hors les périodes d’intense désordre ou d’effervescence non
programmée, comme les guerres, les révolutions, les émeutes ou les explosions
d’enthousiasme populaire, le « social » va son train, et même son « train-train. L’individu agit
en produisant et en reproduisant les pratiques institutionnalisées, donc le système social. Dans
son action, il est déterminé par des règles et des ressources qu’il utilise ou qu’il engage dans
cette production et reproduction. Les règles et les ressources que Giddens désigne comme des
structures, sont alors en même temps, le moyen, la condition et le résultat des actions ou
pratiques qu’elles organisent.
C’est la dualité du structurel dont l’idée fondamentale est que les structures, ensemble de
règles et de ressources, organisent les activités tout autant que les activités les organisent et
leur donnent du sens et une finalité. Cela signifie que les règles et les ressources mobilisées
dans l’action des individus et des collectivités sont en même temps le résultat de l’action et la
condition de celle-ci. C’est de cette façon que, à peu de choses près, demain sera comme
aujourd’hui.
Cette dualité de l’organisé et de l’organisant débouche sur une conception pertinente de
l’action, de la coordination et du changement ; elle permet notamment de « faire le pont »
entre les dynamiques de structuration individuelles et les dynamiques de structuration
collectives.
Mais une question nous vient à l’esprit. Si la régulation sociale se maintient par le fait de la
structuration sociale, à quelle condition les individus souscrivent et continuent à souscrire
à cette régulation sociale, aux dispositions institutionnalisées ?

4. La légitimité de l’ordre social et respect des règles


4.1. Les moyens de légitimation
La réponse à cette question nous renvoie au thème de légitimité de l’ordre social. C’est parce
que l’« ordre social » (plus précisément l’ordre institutionnel) leur parait légitime que les
individus l’acceptent et l’autorisent à se perpétuer. Vu de plus près, cela implique qu’ils

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accordent de la légitimité au pouvoir, ou plutôt aux pouvoirs qui sous-tendent et imposent cet
ordre social.
Quels sont les moyens que les individus mettent en œuvre pour attribuer et reconnaître de la
légitimité à un ordre social ou global ?
Selon les sociologues Peter et Berger, « les moyens utilisés pour maintenir la
qualité de « comme-allant-de-soi » de la société sont appelés légitimations. Ces derniers
vont de l’affirmation très simple « que les choses sont comme ça » aux systèmes moraux,
philosophique et religieux d’explication. » (BERGER P.L., BERGER B.,
Sociology: A biography Approach, op. cit.).
Si nous considérons comme exemple la religion, nous constaterons qu’elle établit des
légitimations ultimes des ordres sociaux de la manière suivante : il naît une conception selon
laquelle l’ordre total de l’univers est prescrit par Dieu. Les institutions et les structures de la
société sont interprétées comme faisant partie de l’ordre constitutif de l’univers, qui est lui-
même le produit de la volonté des dieux. L’ordre social n’est donc qu’un aspect de l’ordre
cosmique. L’incarnation suprême du pouvoir, le souverain, lui-même envoyé des dieux, a
pour fonction de veiller à ce que l’ordre social respecte bien les prescriptions de l’ordre total
de l’univers. Dans les sociétés anciennes et dans certaines sociétés modernes, les institutions
sociales sont établies en fonction de cette conception. Celles qui ne le sont pas, ne sont
acceptées, parce que non considérées comme légitimes.

4.2. Les fonctions de la légitimation


Cependant, cette souscription ne sera suffisante, pour que l’acteur tienne convenablement ses
parties et joue ses rôles de manière conforme, que si le système de règles et ceux des normes
et des valeurs qui le sous-tendent, apparaissent suffisamment légitimes. Simplement dit, il faut
que les règes qu’on lui demande de suivre soient pour lui suffisamment objectivées, donc
justifiées, normales, non susceptibles d’être à tout moment remises en cause. C’est la
légitimation, qui doit en quelque sorte fournir le ciment qui tient en place tout l’édifice social.
« La légitimation en tant que processus est idéalement décrite comme une objectivation de
signification de « second ordre ». La légitimation produit de nouvelles significations qui
servent à intégrer les significations déjà existantes attachées aux processus institutionnels
disparates. La fonction de la légitimation est de rendre objectivement disponibles et
subjectivement plausibles les objectivations de « premier ordre » qui ont été
institutionnalisées. Comme nous définissons la légitimation par cette fonction, sans tenir
compte des motifs spécifiques qui inspirent tout processus de légitimation particulier, il
faudrait ajouter que l’ « intégration » sous une forme ou une autre, est également l’objectif
typique qui motive les légitimateurs. » (Peter BERGER et Thomas
LUCKMANN, La construction sociale de la réalité, op. cit. 127-128
Quelles sont les dimensions de la légitimation ?

4.3. Les dimensions de la légitimation


L’intégration et la plausibilité subjective (la possibilité de comprendre, au sens documentaire
du terme, ce qui fait l’objet de l’intégration) font référence aux deux dimensions de la

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légitimation. Premièrement, la totalité de l’ordre institutionnel doit faire sens pour les acteurs
se trouvant engagés dans divers procès institutionnels. Pour ces acteurs, ou pour un acteur
individuel pouvant être engagé, à divers moments de sa vie, dans ces divers procès
institutionnels, il doit exister un sens « derrière » ce qui, pour eux ou pour lui, constitue la
situation prédominante à un moment donné. Par exemple, un magistrat doit comprendre que
les activités judiciaires et les activités législatives, notamment, sont liées dans un même ordre
institutionnel global. Ceci signifie qu’il ne devrait pas être amené à mettre en cause la
légitimité des lois votées par le parlement et qu’il est ensuite chargé de faire respecter.

La légitimité d’un ordre, c’est d’abord le consensus des destinataires de cet ordre sur sa
légitimité. Peu importent les valeurs qui le fondent, lesquelles peuvent paraître, à un
observateur dégagé, vicieuses, partiales, inhumaines.
La légitimité d’un ordre ne signifie pas qu’il est moralement défendable. La plupart des
Togolais avaient légitimé le pouvoir du Général Eyadema et approuvé certaines de ses
pratiques comme normal : la peine de mort, les animations populaires, certaines formes de
torture.
Autres exemples :
1. Au Rwanda, l’église catholique a légitimé le massacre des Tutsi, alors que les massacres
sont moralement non défendables.
2. Le christianisme avait trouvé légitime, l’apartheid, le racisme
3. Dans beaucoup de pays, l’église catholique trouve légitimes, les révoltes violentes de
l’opposition,
4 Des intellectuels, penseurs, comme Montesquieu avaient trouvé que l’esclavage était
normal.
La légitimité d’un ordre social ne va pas toujours de pair avec la moralité. La légitimité est un
état, mais la légitimation est un procès. Ce qui est légitime est continuellement maintenu dans
sa légitimité par les pratiques sociétales. La légitimation ne concerne pas seulement des
valeurs (aspect normatif) mais aussi des connaissances (aspect cognitif). En réalité, la
légitimation dit à l’individu pourquoi il doit agir et pourquoi les choses sont ce qu’elles sont.

4.4. Les niveaux de la légitimation


Berger et Luckmann distinguent entre autre quatre niveaux de légitimation :
1. La légitimation par le langage. Les choses sont ce qu’elles sont parce qu’elles sont
appelées par leur nom. Exemple : Pour de nombreuses personnes, un comportement
amoureux ne devient légitime, dans le chef des partenaires, que lorsqu’ils se sont déclarés leur
amour. La parole légitime l’acte.

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2. la légitimation par des propositions théoriques rudimentaires qui recouvre surtout des
proverbes, des maximes, des « perles de sagesse », des légendes, des contes populaires, des
chansons anciennes, etc.
Citons quelques exemples : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », « Quand on te frappe
sur la joue gauche, tends la joue droite ; ….
3. la légitimation par les théories explicites. Par celles-ci, un secteur institutionnel est
légitimé en tant que corpus particulier de connaissances. Des légitimations de cette espèce
sont souvent fort complexes, et requièrent, pour être transmises, un personnel spécialisé, qui
agit au travers de procédures formalisées d’initiation et de proclamation. Le droit est un bel
exemple de « théorie explicite », par le fait qu’il est consigné dans des textes accessibles, du
moins en principe, à tous les justiciables, si l’on entend par théorie un « ensemble de
propositions systématiquement organisées sur un sujet déterminé » (Cuvillier).
4. La légitimation par des univers symboliques. Pour exemples d’univers symboliques,
citons : les religions, les idéologies, la science, les « visions du monde » que sont le Parti, la
Cause, la Classe, la Nation, la Race, etc.
L’individu, par socialisations successives, est donc amené à intérioriser le système de règles
en vigueur dans sa société et à y souscrire.
Quel que soit le mode de légitimation, l’individu a toujours affaire à des règles pour pouvoir
tenir ses rôles et jouer correctement ses parties.
Comment prend-t-il connaissance de ces règles ?

5. La constitution de stock de connaissance


5.1. La socialisation et connaissance des règles
Par les socialisations multiples et successives qu’il a subies qui insèrent progressivement les
règles à côté des ressources proprement cognitives, dans son stock de connaissances. Elles
peuvent être les règles de savoir-vivre, de l’orthographe, de la circulation automobile, de
l’utilisation d’un ordinateur personnel, de la pratique sexuelle, les règles de jeu, les règles
d’hygiène, les règles vestimentaires, les règles de mariage et de la vie en couple, les règles de
solidarité, le droit positif…
Si toute règle autorise, interdit, limite, sanctionne, quel comportement propose-t-elle ?
Ou à quoi renvoie-t-elle ?
Quel que soit son objet, toute règle propose un comportement normatif. En d’autres termes,
elle renvoie toujours à une norme, c’est-à-dire un principe d’ajustement d’extension
quasiment universelle, dans le domaine considéré. Selon le dictionnaire de Lalande, une
norme est un « type concret ou formule abstraite de ce qui doit être, en tout ce qui admet un
jugement de valeur : idéal, règle, but, modèle suivant le cas ». On peut dire que, la règle est
l’expression pratique de la norme, qui n’y transparait pas nécessairement. La norme
proclame ce qui doit être ou être fait (ou pensé, ou senti).

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Par exemple dans notre société au Togo, la norme est :
- un homme qui veut épouser une fille demande sa main auprès de ses parents ;
- Une fille qui est dotée reste fidèle à son mari ;
- un homme et une femme mariés vivent ensemble sous le même toit ;
- promenade à la plage pendant les weekends ;

A l’université par exemple


-le début des cours à l’heure prescrite (7h);
-le respect des étudiants dû aux enseignants ;
-la ponctualité et la régularité des étudiants ;
-des questions posées par des étudiants à l’enseignant au cours ;
-l’usage des concepts par les étudiants dans leur raisonnement ;
-des rendez-vous de discussion sollicités par un étudiant ou une étudiante à un enseignant ;
-la recherche de l’excellence par un étudiant ;

5.2. Règles, normes et valeurs


Les normes quant à elles se réfèrent à des valeurs. Les valeurs sont les « attendus de nos
actions ». Il s’agit d’un objet (l’argent), d’un comportement (fournir un effort) ou encore d’un
principe abstrait (l’honneur), auxquels sont attribués une préférence ou une précellence, par
une personne, un groupe ou une société tout entière. Il peut y exister inadéquation entre
règles, normes et valeurs. Exemple de la Pologne qui a été longtemps sous régime de règles
communistes antichrétiennes, alors que le pays était fortement attaché aux valeurs
catholiques.
L’honneur, l’équité, la santé, le bien-être, la « qualité de la vie, l’argent, l’amour, le sexe, la
considération sont des valeurs. Lorsqu’un individu apprend une valeur, celle-ci fait bien partie
du monde-comme-allant-de-soi.
Tableau : Rapport règle, norme et valeur :
Règle Norme Valeurs
Respect des horaires de cours Quitter la maison tôt pour La ponctualité
être à l’heure
S’aligner selon l’ordre d’arriver Se mettre dans la queue L’ordre, le respect du droit de l’autre
derrière le précédent
Etre propre avant de se rendre Se laver régulièrement La propreté, le respect de soi,
au cours
Etre à jour dans la révision de Lire et relire quotidiennement Mise à jour de ses connaissances,
ses cours ses cours rationalité de la gestion du temps social

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de l’étudiant, préparation à l’examen
Respecter ses parents ou tuteurs Obéir aux ordres des parents, La survie, la cohésion de la famille,
l’intégration sociale de l’enfant, la
réussite sociale de l’enfant
Garder sa chambre et la maison Faire régulièrement le La propreté, la prévention des maladies
propres ménage

Nous avons constaté que la plupart des relations de l’acteur sociétal avec d’autres acteurs dans
le monde objectivé, sont orientées par des règles. Les acteurs prennent appui sur des
ressources cognitives socialement partagées. Objectivé, ce monde l’est bien en effet, puisque
les interactions ne sont plus censées se dérouler uniquement en fonction des affects singuliers
des acteurs, mais bien en raison de dispositions institutionnalisées qui s’imposent à ceux-ci de
manière « objective » : règles, rituels, lieux de socialisation, codes, lois, etc. L’acteur, par les
socialisations qu’il a reçues, est amené à souscrire à ce monde objectif, à participer au
renouvellement permanent de son objectivisation en « jouant le jeu » avec le maximum de
sincérité apparente.
Mais la socialisation parvient-elle toujours à atteindre ce but d’intériorisation du
système de règles ?

6. Intégration au système de légitimation et marginalité

6.1. Degré d’intégration et marginalité


Non : À l’égard des légitimations ayant cours dans la société, l’individu garde quelque
possibilité de mise à distance, de libre arbitre. D’où l’existence, dans toutes les sociétés, de
marginaux et de déviants en nombre plus ou moins élevé, selon que l’intégration des
membres de la société à son système de légitimation est plus ou moins distendue.
Quelles sont les causes d’une faible intégration des membres de la société à son système
de légitimation ?
-le caractère plus peuplé ou stratifié de la société ;
- les contacts brutaux d’une société avec d’autres sociétés plus nombreuses et plus puissantes
(c’est le cas de sociétés traditionnelles dans les pays colonisés, confrontées brusquement à la
civilisation occidentale dans un contexte d’occupation brutale et d’exploitation).
La marginalité est la position occupée par des individus se situant à la périphérie du système
des légitimations, qu’ils ne mettent que partiellement en cause ou qu’ils mettent en cause de
manière peu agressive. Les marginaux partagent généralement avec la majorité de la
population un certain nombre de valeurs centrales, tout en rejetant d’autre d’entre elles.
Les individus et les groupes qui se trouvent en marge peuvent avoir pour dessein de modifier
le contenu des légitimations reconnues par la société.

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Toutes les personnes marginales ou qui se proclament marginales, sont-elles
nécessairement tenues à l’écart de la communauté ?

6.2. Marginalité ; qualification sociale et déviance


Non, exemple de sectes dans une société de tolérance religieuse, dont les membres exercent
leur culte en paix et n’encourent aucune réprobation.
Mais, peuvent-ils passer de la marginalité à la déviance ? Si oui par quel processus ?
Oui, ils peuvent se voir dans une trajectoire de la déviance si la réaction sociale est mise en
œuvre.
En effet, il n’y a pas de déviance sans qualification sociale. On n’est pas déviant en soi, mais
bien parce qu’on est qualifié comme tel. Le déviant est, en raison de cette qualification,
l’objet d’une sanction, qui peut aller du simple dénigrement à la punition infamante. Le
déviant n’est pas celui qui enfreint une règle, même très impérative ; c’est celui dont
l’infraction est découverte et qui encourt ainsi la sanction, conséquence logique de la réaction
sociale à sa déviance. Notons encore qu’il n’est pas nécessaire que l’infraction soit volontaire.
Ni même qu’elle résulte d’un acte effectivement accompli. Dans certains pays arabes ou
musulmans, être un chrétien est déjà être déviant. Avant, aux USA, être noir, suffit pour être
considéré comme un déviant. Dans certains pays, être Ibo, suffit pour être considéré comme
un déviant.
Il en va au demeurant de même pour la marginalité : on n’a pas besoin de se proclamer
marginal ou se sentir tel pour être tenu pour marginal : le chômeur est un marginal, comme
l’analphabète, le malade mental, l’homosexuel, le toxicomane, l’alcoolique,

6.3. Qualification pénale et crime


Parmi les comportements déviants, certains enfreignent des règles édictées par les lois, c’est-
à-dire des prescriptions normatives énoncées par le pouvoir politique et mises en œuvre en
son nom par l’appareil de répression officiel, judiciaire et policier. C‘est alors la norme
juridique qui est censée être bafouée. De tels comportements sont dits délinquants. Leurs
paradigme est ce que l’on a coutume d’appeler le crime. Catégorie particulière de la déviance,
le crime relève d’abord d’une qualification pénale. Selon les sociétés et les époques, les
comportements qualifiés de criminels (ou de délictueux, la distinction relevant de notre
vocabulaire juridique) varient considérablement.
En outre, il convient de reconnaitre que la qualification de crime ou de délit par les normes
juridiques et celle qui a cours dans la conscience collective ne se recoupent pas toujours.
Le sens commun peut reconnaitre comme « crimes » des actes qui ne sont sanctionnés
pénalement.
Exemple : l’inceste entre adultes consentants, la prostitution, la sexualité d’un homme avec
une folle ou le cadavre d’une femme ou avec sa belle-mère.

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Ce sont des actes à l’égard desquels le sens commun manifeste une aversion pouvant
entraîner des sanctions sociales éventuellement plus dures que des sanctions pénales. Cette
remarque nous rappelle qu’il n’y a pas d’adéquation nécessaire entre les normes morales
communes, le droit pouvant être motivé par d’autres considérations que celles qui priment
dans la conscience collectives.
Le crime est donc un comportement « hors normes », pouvant entraîner sanction pénale. Si
l’on s’en tient à cette définition, on est amené facilement à envisager la criminalité, c’est-à-
dire l’agrégation de comportements qualifiés juridiquement de criminels.
Le crime montre que quel que soit le pouvoir des légitimations existantes, les individus ne
respectent pas tous ni constamment les règles de l’ordre social, soit par ignorance, soit par
désire conscient de contestation, soit en raison du jeu du « quant à soi » propre, source
d’autonomie et d’anomie.
Dans ce cas, quelle est la pression constante que la société est amenée à exercer pour
que son ordre institutionnel puisse se maintenir.

6.4 Contrôle social et maintien de l’ordre institutionnel


Cette pression est le contrôle social « La société use de moyens variés pour ramener dans le
droit chemin ses membres récalcitrants. Pas de société sans contrôle social.
Même un petit groupe qui ne se retrouve qu’occasionnellement devra comporter des
mécanismes de contrôle s’il ne veut pas se dissoudre très rapidement. Il va sans dire que les
instruments de ce contrôle social seront différents d’une situation sociale à une autre.
L’opposition à la ligne générale peut conduire à une dernière entrevue avec le chef du
personnel s’il s’agit d’une entreprise commerciale, une dernière promenade en voiture s’il
s’agit d’une organisation de criminels. Les méthodes de contrôle mises en œuvre varieront en
fonction des objectifs et de la nature du groupe. » Peter BERGER, Comprendre la sociologie,
Centurion, Paris, 1977, 101, Traduction (revue par C1. Javeau) du célèbre ouvrage de berger,
Invitation to Sociology.
Le terme « contrôle » désigne une surveillance du procès en train de s’accomplir, et non une
vérification à posteriori et correspond donc au concept déjà rencontré de régulation sociale.
Il désigne « le vaste ensemble des processus et phénomènes sociaux ayant pour fonction
d’assurer le maintien de l’ordre social c'est-à-dire le maintien de l’ordre observable dans une
société donnée. »(DANDURAND Y., RIBORDY F. X. (ed.), Crime et société, Editions de
l’Université d’Ottawa, 1980, 12.

6.5. Les modalités de contrôle social


À la suite de Goffaman (Stigmates ; op. cit, 88 et sq.), on distinguera entre deux modalités du
contrôle social

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1. le contrôle social informel, c’est-à-dire assumé par l’ensemble des membres du groupe qui
font en quelque sorte pression sur chacun d’entre eux pour que les règles en usage dans le
groupe soient respectées. Point n’est donc besoin d’agents spécialisés pour exercer le
contrôle. Chacun surveille chacun : la société villageoise traditionnelle offre un bon exemple
de ce type de contrôle. Le déviant court le risque de se faire rappeler à l’ordre par n’importe
qui parmi ses pairs. Il se fera « montrer du doigt », il aura mauvaise réputation et sera tenu à
l’écart, à moins qu’une répression plus grave ne s’abatte sur lui.
2. Le contrôle social formel : c’est celui exercé par des agents spécialisés, compétents dans
des domaines biens déterminés. Le policier, le magistrat, l’instituteur, le douanier, le
contremaître, le médecin, l’animateur socioculturel sont autant de figures possibles de ces
agents. Leur légitimité est attestée par divers attributs qui permettent de les reconnaitre, ou de
supputer leur reconnaissance : uniforme, diplôme, décorum, mandat public, etc.
Les pouvoirs exercent à divers degrés une contrainte sociale, autre version du contrôle, que
l’on trouve dans toutes les circonstances de la vie en commun, qu’il s’agisse du pouvoir
politique, du pouvoir économique(les patrons), du pouvoir culturel (intellectuels) ou encore
du pouvoir religieux (le clergé).
Le contrôle social formel est le fait de la vie moderne, de la vie urbaine qui a engendré un
nombre croissant de catégories de préposés au contrôle social formel. Celui-ci est compatible
avec le respect de la vie privée. Les citoyens ont en fait délégué leur pouvoir de contrôle
mutuel à des spécialistes.
Mais cela signifie-t-il que les modalités de régulation que comporte la vie moderne ne
sont que celles qui relèvent strictement des effets du pouvoir sur les individus ? Les
partenaires des relations interindividuelles peuvent-ils encore exercer le contrôle social
de manière informelle ?
Malgré l’importance que prend le contrôle social formel dans la vie moderne, il subsiste dans
de nombreux cas, des possibilités résiduelles de contrôle social informel. L’ostracisme, les
rumeurs, le refus de dire bonjour, la méfiance, la cessation de communication, l’interpellation
sociale sont des modalités de contrôle social informel qui ne relèvent pas des effets de
pouvoir.
La vie moderne comporte ainsi diverses modalités de régulation qui ne relèvent pas
strictement des effets de pouvoir sur les individus.
Ces différents pouvoirs qui exercent le contrôle social formel peuvent-ils maîtriser les
zones d’incertitude et exercer un contrôle absolu ?

6.7. Zones d’incertitude dans le contrôle social


« Les rapports de pouvoirs ne sont pas des relations de causalité […] ils comportent aussi une
part d’incertitude. Les règles de jeu ne sont pas suffisamment précises pour que le sujet n’ait
aucune marge de décision ; le contrat de travail qui affirme la subordination du salarié ne peut
pas prévoir toutes les éventualités. En outre, la surveillance ne peut guère être permanente et

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porter sur tous les détails de l’activité et elle est coûteuse. Certaines infractions lui échappent,
pour un temps au moins, et le contrôle a vite fait de deviner les lacunes du contrôle.
L’intervention de l’appareil de sanction est elle-même coûteuse et imparfaite : le juge n’arrive
pas à trancher à temps tous les différends, il ne prononce pas toujours le verdict attendu. Du
fait de son caractère impérieux et de son coût, cet appareil de contrôle et de sanction suscite
fréquemment une complicité, une coalition contre lui des autres acteurs en question ; parfois il
la tolère ou la favorise et la stabilise. » (Reynaud J.-D « Action collective et mouvements
sociaux », in Action collective et mouvements sociaux, Chazel F. (s.l.d.), PUF, coll.
Sociologies, Paris, 1993, 259.
Pour nous résumer, nous pouvons voir l’ordre social, ou mieux la régulation sociale, comme
reposant sur des valeurs centrales, incorporées dans des « grands discours » légitimateurs, et
s’exprimant, au palier des interactions individuelles, par des règles qui traduisent en termes
pratiques des normes se rapportant aux diverses dimensions de la vie collective.
Le thème de l’ordre a toujours eu la faveur des courants politiques conservateurs. « Rétablir
l’ordre », « maintenir l’ordre », « prôner l’ordre », sont effectivement des mots… d’ordre que
l’on trouve couramment dans l’arsenal idéologique de la droite que dans celui de la gauche. A
côté des institutions qui incarnent un ordre donné, il peut exister, au sein d’une société, des
mouvements dont le projet volontaire et consciemment entretenu est de protéger cet ordre, et,
au besoin, de le renforcer. Il est même arrivé que des mouvements de ce genre proposent à la
société un « ordre nouveau » (c’était le slogan des nationaux-socialistes, qui rêvait d’imposer
leur conception de cet ordre à l’Europe entière). Cette défense de l’ordre (qui est en soi une
valeur centrale des partis et mouvements politiques conservateurs) ne doit pas être confondue
avec l’exigence fonctionnelle que toute société et tout groupe constitué au sein de la société
rencontrent de reposer sur un ordre, quel qu’il soit. Comme il n’y a pas de société sans
hiérarchie, il n’y en a pas sans ordre ni moyen de contrôle pour protéger cet ordre. Ordre,
cependant, n’est pas nécessairement synonyme de stabilité. Certains ordres peuvent reposer
sur des valeurs centrales telles que le changement ou le progrès et proposer, parmi d’autres, la
règle du dynamisme ou de l’innovation à ceux qu’il concerne. L’ordre démocratique des
sociétés occidentales de l’après Seconde Guerre mondiale s’est fondé sur de telles valeurs.

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Chapitre 2 : les relations sociales
Nous rappelons que l’ordre social, ou mieux la régulation sociale s’exprime par des règles qui
traduisent en termes pratiques des normes se rapportant aux diverses dimensions de la vie
collective. Cet ordre social s’incarne en institutions plus ou moins durables.
Dans notre vie quotidienne, nous sommes engagés dans un système d’interrelations.
Exemple, un étudiant père de famille, rencontre et entre en relation avec sa femme, ses
enfants, les autres membres du ménage, ses voisins. Au campus, il se trouve en relation avec
ses collègues, ses enseignants, le délégué d’amphi, le chef de département, le doyen, les
secrétaires….
Etant donné que cet étudiant père de famille et ceux qu’il rencontre sont différents de par leur
position dans la hiérarchie sociale – différence de genre, d’âge, de condition sociale…. les
manières d’agir, de parler, de répondre ou de réagir, de regarder, d’intervenir, de penser seront
différentes d’un partenaire à l’égard d’un autre. L’un va décider, l’autre va obéir. L’un va
parler l’autre va se taire et ainsi de suite.
Mais ces actions des uns et réactions des autres ne se déroulent pas sans base établie. Les uns
agissent, d’autres réagissent et vice versa selon l’ordre social établie, ordre total ou ordre
partiel. Les relations se déroulent selon la position sociale occupée par chacun dans les
différenciations hiérarchiques et selon les règles de comportement en usage, la religion
pratiquée, la langue, le type de pouvoir qui y respecté, les idéologies dominantes, les règles
qui gouvernent le sexe, l’âge, un métier, une appartenance religieuse, une ethnie.
Cet exposé du cours sur les relations sociales permet aux étudiants de savoir comment la
société ou les phénomènes sociaux se produisent, se reproduisent et changent à travers les
interactions des acteurs sociaux qui agissent et réagissent selon l’ordre social. Ils vont prendre
connaissance des acteurs en interaction dans un processus social, la structure des rapports
sociaux et les institutions qui se réalisent à travers des interactions, les productions, les
reproductions et les changements de la société qui naissent de ces interactions. Ils vont
pouvoir s’exercer à constater et à expliciter :
-les interactions des acteurs les uns avec les autres,
-l’ordre établi des routines quotidiennes ;
- la structure de rapport social dans laquelle se déroulent les interactions ;
-les institutions que les interactions mettent en œuvre ;
-les reproductions de l’ordre social au travers des interactions ;
-les productions sociales des interactions ;
-les changements que produisent les interactions ;
-les cadres formels dans lesquels se nouent les interactions ;
-le micro-monde social dans lequel se déroulent les interactions ;
-le macro-monde social dans lequel se déroulent les interactions ;
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-la constitution de la biographie de l’individu à travers ses rencontres et ses activités
constituant son expérience quotidienne ;
-le déroulement de la trajectoire biographique d’un individu comme une succession de
situations ;
-la typicalité des situations d’interaction ;
-les comportements typiques de l’individu ;
-le fonctionnement de la vie sociale comme un monde -allant- de –soi ;
-l’univers de familiarité des situations et des interactions ;
-la définition de la situation d’interaction par les acteurs ;
-les conséquences d’une définition de la situation ;
-le cadre de référence de la définition de la situation ;
-la prédiction créatrice de la réalité ;
-la prophétie destructrice ;
-action sociale ;
-le sens subjectif de l’action,
-orientation vers autrui de l’action ;
-action sociétale ;
-les motifs de l’orientation de l’action vers autrui ;
-la mise en scène de la vie quotidienne ;
-l’aspect théâtrale des interactions ;
-le monde des contemporains de notre vie quotidienne ;
-le monde des intimes de notre vie quotidienne ;
-les rôles que l’on assume ;
-l’identité sociale résultant des rôles que nous assumons dans la vie sociale ;
-l’identité individuelle ;
-stigmate porté par un individu ;
-identité discréditée résultant d’un stigmate physique ou social ;
- stigmatisation résultant d’un stigmate ;
-l’attribut dévalorisant qui stigmatise ;
-identité sociale réelle ;
-identité sociale virtuelle ;
-le processus relationnel de la stigmatisation ;

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-la production de la déviance par la stigmatisation ;
-désaccord entre l’identité sociale réelle et l’identité sociale virtuelle ;
- surclassement de l’individu par son identité sociale virtuelle ;
-production de la déviance par l’application différentielle des normes et l’étiquetage ;
-l’attachement de l’étiquette de déviant à un comportement indépendamment de la qualité de
l’acte commis ;
- la transgression d’une norme ;
- l’apparition de la déviance de l’interaction, de la réaction sociale ;
-la socialisation de la déviance ;
- la désignation publique ;
- l’adhésion à un groupe déviant ;
-la ritualisation des comportements quotidiens ;
-les rites d’interaction ;
-les rites de présentation ;
-les rites d’évitement ;
-acte de réparation ;
-acte de propitiation ;
- la présence du sacré au sein du monde social manifesté par le rituel ;
-privation du droit à la ritualisation ;
-institutionnalisation des rites d’interaction ;
-la socialisation ;
-apprentissage des situations et des conduites ;
-socialisation primaire ;
-socialisation secondaire
-les fonctions de la socialisation ;
-possession de stock de connaissance ;
-la constitution du stock de connaissance ;
-les zones de stock de connaissance.

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1. interactions et production sociale

1.1 Cadres formels des interactions


C’est à travers donc les relations sociales que se réalisent concrètement la structure des
rapports sociaux, la langue qu’on parle dans un groupe, la religion qu’on y pratique en
majorité, le type de pouvoir qui y est respecté, les idéologies qui y dominent, la condition des
membres. Ces relations sociales ont été appelées, depuis Simmel (1858-1918),
« interactions ». Selon Simmel, « la société dans son sens large, existe quand plusieurs
individus entrent en interaction ». Ces interactions se nouent dans des cadres formels qu’elle
appelle précisément formes, et dont l’étude constitue, selon elle, l’objet même de la
sociologie. Les formes sont les contenants des interactions concrètes, qui en sont aussi les
contenus. Comme exemple de forme d’interaction, on retrouve, la concurrence, l’expression
artistique, le culte religieux, l’enseignement, la sexualité, la circulation ou la conduite,
l’inscription sur la liste des étudiants, le jeu de football, la danse…
La société, en effet, n’est pas « donnée » mais « produite » par les interactions au sein des
formes qui se reproduisent par l’action de celles-ci et leur permettent en retour d’avoir lieu.
Les interactions fabriquent donc la véritable « trame » du social et engendrent son maintien
dans le temps ; elles le produisent et le reproduisent sans cesse.

1.2. Production sociale des interactions


Il faut ici comprendre la production sociale au sens de production, de reproduction et de
production du changement. Les interactions produisent et reproduisent le social. Elles le
produisent par l’action même des individus, qui interagissent les uns avec les autres au sein
même des routines les plus banalisées de la vie quotidienne dans le cadre imposé par les
structures des rapports sociaux.
Elles le reproduisent, par les contraintes qui s’imposent aux actions des individus, notamment
les manières de se conduire qui leur sont imposées par le cadre des interactions, dans but de
maintenir la forme et le contenu de la société. Par exemple dans une société, l’autorité de
l’homme sur la femme, des parents sur les enfants, la langue et le registre de langue qui est
utilisé, les règles de comportement en usage… se maintiennent à travers les interactions par
des manières de faire, de penser contraignantes qui sont apprises et imposées aux membres.
La société se reproduit ainsi par l’intermédiaire d’institutions, dotées d’une capacité plus ou
moins grande d’intégrer des conduites individuelles et de les obliger à se conformer à
certaines représentations entrant dans la catégorie des idéologies, et que l’on appelle aussi
« images-actions », « images-guides ».
La société ne fait que se reproduire de manière immuable au cours des âges ?

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1.3. Interactions et changement social
Les innovations, les modifications, même presque invisibles, survenant au sein des groupes et
des sociétés sont des changements sociaux qui montrent que les interactions ne réalisent pas
que la reproduction sociale, mais aussi la production du social et la production du
changement. Elles produisent la constitution de la société, conservent les formes et les
contenus des relations sociales d’une génération à l’autre et produisent du changement par
l’adoption collective d’innovations ou l’adaptation à des modifications survenant dans
l’environnement.
Dans quel type de monde social ces formes de production sociale se déroulent ?

2. Les mondes sociaux des interactions et biographie de


l’individu
2.1. Les mondes sociaux des interactions
Ces procès de production, pour l’individu, se déroulent dans deux « mondes » dont les confins
communs sont assez imprécis. Peter et Brigitte Berger l’expriment de cette manière :
«] ...] Dans notre expérience de la société, nous habitons simultanément différents
mondes. Premièrement, de façon cruciale et continue, nous habitons le micro-monde de
notre expérience immédiate des autres dans des relations face à face. Au-delà de cette
expérience et avec des degrés variables de signification et de continuité, nous habitons un
macro-monde consistant en des structures beaucoup plus étendues et nous impliquant dans
des relations avec d’autres qui sont presque abstraites, anonymes et lointaines. Ces deux
mondes sont également essentiels à notre expérience de la société et (…) chaque monde
dépend de l’autre pour signifier quelque chose à nos yeux. Le micro-monde et ce qui s’y
passe ne prend sa pleine signification que rapporté à l’arrière-plan du macro-monde qui
l’entoure ; réciproquement, le macro-monde revêt peu de réalité pour nous s’il ne se
concrétise pas constamment dans les rencontres face à face du micro-monde. »
(BERGER Peter., BERGER Brigitte., Sociology: a Biographical Approach,
op. cit. 18-19,)
Le micro-monde constitue l’horizon habituel, quotidien, de l’expérience que fait chacun de
nous de la vie en société, ce que nous appellerons avec d’autres, la socialité, laquelle
désignerait la nature des relations sociales qui s’institue à ce niveau. Il désigne un mode
particulier de production de relations significatives, en rapport avec la vie quotidienne et les
diverses manières de « résister » qu’utilisent les individus à l’égard des contraintes que l’ordre
sociale fait peser sur leur existence. C’est l’abord subjectif de la société, en tant que
l’expérience que nous faisons des autres dans la vie de tous les jours au travers des routines
au sein desquelles nous agissons. Ces routines constituent le tissu de notre existence
quotidienne, laquelle se déroule en présence des autres et en collaboration (amicale ou non, là
n’est pas la question) avec eux.

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2.2. Biographie de l’individu
Ces routines qui constituent l’expérience quotidienne que l’individu fait en présence des
autres et en collaboration avec eux constituent sa biographie. Etant donné que la biographie
comprend les rencontres et les activités de l’individu en commun avec des autres, proches,
familiers ou non, elle est sociétale. Elle est un évènement dont la composition est faite de la
présence de l’autre, de son interaction avec l’individu dans une activité ou action réalisée en
commun.
La biographie est localisée dans l’histoire. L’histoire est donc le produit d’une multitude de
trajectoires individuelles ou d’« itinéraires » individuels.
Comment se déroule en fait la trajectoire biographique ?

2.3. La constitution de la biographie


On se la représente comme une succession de situations, dans lesquelles les individus,
assimilables à des « acteurs » doivent se comporter d’une manière plus ou moins conforme
aux règles de comportement en usage dans leur groupe, lui-même sous-ensemble d’un
ensemble appelé société globale.
On se représente la trajectoire biographique d’un individu comme une succession de
situations, dans lesquelles les individus, assimilables à des « acteurs » doivent se comporter
d’une manière plus ou moins conforme aux règles de comportement en usage dans leur
groupe (lui-même sous-ensemble d’un ensemble appelé société globale).
Avec Goffman (1922-1982), nous définirons les situations sociales comme :
« …] Tous les environnements dans lesquels les personnes présents sont à portée perspective
les unes des autres et sujettes à contrôle mutuel – les personnes elles-mêmes étant définies sur
cette base seulement comme une « réunion ». » GOFFMAN E. Gender Advertising, The Mac-
Millan Press, London, 1979,1.)

2.4. Typicalité des situations d’interactions


Une situation constitue le cadre dans lequel se produisent les interactions sociales. Dans la
vaste majorité des cas, les situations que vivent les acteurs se présentent à eux de manière
typiques et ils savent qu’ils doivent se conduire dans ces situations de manière également
typique. Si nous prenons comme exemple de situation d’interactions, la situation de cours, la
situation d’examen, la situation d’amour sexuel, la situation de vie de couple, la situation de
conduite, la situation de culte, la situation de réunion…, nous constatons qu’à chacune de ces
situations, correspond des comportements appropriés ou typiques. Chaque acteur individuel,
selon sa condition (condition d’épouse, de mari, d’étudiant, d’enseignant, de prêtre, de
fidèle..), sait à peu près comment se comporter. Ce comportement doit lui aussi respecter une
certaine typicalité, c'est-à-dire se dérouler selon les règles connues des divers partenaires, de

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telle manière que ceux-ci ne doivent pas sur le champ « imaginer » autres façons de se
comporter.
Pour les acteurs individuels, ces situations cataloguées et ces interactions répertoriées
confectionnent un univers de familiarité, le contenu d’un « monde-pris-comme-allant-de-
soi », qu’ils ne sont habituellement pas amenés à remettre en question. Pour que cette remise
en question se produise, il faut qu’un événement vienne perturber les routines de la vie
quotidienne ou les mette idéologiquement en cause.
Les comportements de l’individu se déroulent comme des comportements qui vont de soi. Ces
comportements, en faisant fonctionner la vie sociale elle-même, rendent la vie sociale comme
un monde – allant - de soi.
La notion de typicalité soulève une question, celle de savoir ce qui rend possible les
comportements typiques de l’individu correspondant à des situations typiques.

2.5 Familiarité et typicalité


C’est à cause de l’univers de familiarité que les interactions confectionnent et produisent un
« monde-pris-comme-allant-de-soi ». Il se trouve aussi le fait que les acteurs disposent d’un
fonds d’éléments cognitifs communs (la langue, le découpage du temps, le système
hiérarchique, etc.) faisant partie de ce que l’on appelle habituellement la culture d’un groupe
ou d’une société. Tout se passe comme si chacun de nous possédait, dans sa mémoire, les
éléments – répertoire et catalogue, assimilables à des éléments lexicaux- d’une rhétorique
sociale qui serait au principe de la quasi-totalité de nos comportements en société. Pour les
acteurs individuels, ces situations cataloguées et ces interactions répertoriées confectionnent
un univers de familiarité, le contenu d’un « monde-pris-comme-allant-de-soi », qu’ils ne sont
habituellement pas amenés à remettre en question.
De même, si les acteurs individuels par leurs interactions, maintiennent le caractère allant de
soi de la société, du monde de la vie, c’est parce qu’ils interprètent et partagent une même
compréhension de la situation. D’où la définition de la situation.

2. Définition et invention de la situation

3.1. Définition de la situation


À la suite des travaux de W. I. Thomas (1863-1947) et F. Znaniecki (1882-1958), auteurs du
célèbre ouvrage The Polish Peasant in Europe and America (1918-1921), on admet que c’est
la « définition de la situation » qui guide l’action des individus intervenant dans une même
situation d’interaction. Pour ces auteurs, définir la situation signifie la manière dont un groupe
social interprète la situation sociale dans laquelle il se trouve, cette interprétation étant
déterminée par son propre cadre de référence. Le fonctionnement du monde social est fondé
sur le constant travail de définition de situations effectué en commun par des acteurs
disposant d’un fonds d’éléments cognitifs communs (la langue, le découpage du temps, le
système hiérarchique, etc.) faisant partie de ce que l’on appelle habituellement la culture d’un
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Cours d’introduction à la sociologie, 2019-2020, GNAKOU ALI Pitaloumani, Maître de conférences,
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groupe ou d’une société. L’interprétation peut être fausse objectivement, l’essentiel qu’elle
soit tenue pour vraie par les acteurs. La définition de la situation a des conséquences.
Quel est selon ces auteurs, le cadre de référence de la définition consensuelle d’une
situation ?

3.2. Le cadre de référence de la définition de la situation


Le cadre de référence de la définition consensuelle d’une situation est fourni par trois
paramètres, à savoir, le temps, le lieu et le scénario.
Une situation typique donnée se déroule à des moments typiques, dans des lieux typiques et il
s’y déroule des actions typiques. Le repérage de ces trois paramètres repose sur des indices
eux-mêmes familiers : découpage du temps, décors, gestes et paroles appropriés.
Selon le type de situation, l’un ou plusieurs des paramètres peuvent être affectés d’une
« valeur » plus ou moins contraignante. Ainsi, le scénario d’une cérémonie comporte des
gestes et paroles pratiquement tous obligatoires, ce qui n’est pas le cas d’une rencontre de
vieux amis dans un café ou d’une rencontre avec une amie ou un parent qu’on accueille à la
gare routière ou à l’aéroport.
Les comportements ne restent typiques que si la définition de la situation est consensuelle.
Sinon, la définition de la situation et le déroulement prévu de l’interaction ou de l’action en
commun vont être perturbés. La définition de la situation est perturbé lorsqu’il y’a erreur ou
ignorance sur l’un des paramètres que sont le temps, le décor, gestes et paroles appropriés.
La définition consensuelle d’une situation consiste-elle seulement, au demeurant, à
identifier celle-ci ou le travail d’interprétation se limite-elle à une simple lecture ?

3.2 Création d’une nouvelle situation


Cette question nous ramène aux faits de production sociale et d’innovation sociale. On peut
soutenir que toute innovation sociale passe d’abord par une « nouvelle » définition d’une
situation. La définition consensuelle d’une situation ne consiste pas seulement, au demeurant,
à identifier celle-ci, mais éventuellement à l’inventer. Le consensus obtenu sur l’un des
éléments cognitifs de la situation permet aux acteurs de créer une nouvelle situation.
C’est ce que R. K. Merton a appelé la « prédiction créatrice » (self-fulfiling prophecy), par
laquelle une réalité sociale se crée pour la raison même que les acteurs décident qu’elle doit
être créée (si les gens croient que la guerre est inévitable, la guerre finit par arriver). On peut
aussi parler de « prophétie destructrice » (self-destroying prophecy), quand l’action des
acteurs entraîne l’effet inverse de ce qui est escompté (la croyance en une pénurie a de tels
effets sur la production d’un bien qu’il en devient pléthorique).

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4. Action sociale et interaction
Une interaction est amorcée par au moins une action (ou une activité : dans ce sens, ces deux
mots sont synonymes) orientée vers autrui. L’interaction sera complète si autrui répond à
cette action par une action de même nature (orientée sur le premier). Elle comprend l’action
avec son sens, l’orientation vers autrui et la réponse d’autrui.
C’est à Max Weber que l’on doit cette formulation de l’action orientée vers autrui. L’auteur
d’Economie et société, lui, parle d’activité sociale :
« Nous entendons par « activité » (Handeln) un comportement humain (peu importe
qu’il s’agisse d’un acte extérieur ou intime, d’une omission ou d’une tolérance), quand et
pour autant que l’agent ou les agents qui, d’après son sens visé (gemeinten Sinn) par l’agent
ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son
déroulement. » (WEBER M., Economie et société, op. cit. 4.)
Sur quoi repose l’orientation vers autrui par rapport auquel s’oriente son déroulement ?

4.1 Les motifs de l’orientation vers autrui


L’orientation vers autrui repose sur les motifs propres à l’individu, correspondant eux-mêmes
à son système d’intérêts. Ils Sont conditionnés par la « position sociale » qu’occupe l’acteur
individuel, laquelle engendre un « système de disposition » à l’égard des actions sociétales.
Ce système de disposition que Pierre Bourdieu nomme habitus, encadre les stratégies (à long
terme) et les tactiques (à court terme) des acteurs dans ce que l’on pourrait appeler leur
« projet de vie » (ou projet existentiel).
« L’habitus, comme le mot le dit, c’est ce que l’on a acquis, mais qui s’est incarné
de façon durable dans le corps sous forme de dispositions permanentes. La notion rappelle
donc de façon constante qu’elle se réfère à quelque d’historique, qui est lié à l’histoire
individuelle, et qu’elle s’inscrit dans la pensée génétique, par opposition à des modes de
pensée essentialistes (comme la notion de compétence …]). Par ailleurs, la scolastique
mettait aussi sous le nom d’habitus quelque chose comme une propriété, un capital. Et de
fait, l’habitus est un capital, mais qui, étant incorporé, se présente sous les dehors de
l’innéité. » (BOURDIEU P., Questions de sociologie, Minuit, Paris, 1980,
134.)
Selon cet auteur, si l’habitus détermine les manières de répondre à une situation, c’est aussi,
en tant que principe générateur, qui « définit la perception de la situation qui le détermine ».
Cette définition, on le sait, renvoie à une certaine position sur l’échelle des hiérarchies
sociales, globalement rapportée à la « classe », dans l’acception que lui propose Bourdieu,
influencé à la fois par Marx et par Weber. Toutefois, on ne doit pas comprendre ce rapport à
la classe comme une détermination intangible. L’habitus est plutôt le produit d’une
« trajectoire sociale », qui peut impliquer le passage d’une position sociale à une autre. Mais
les ajustements imposés à l’habitus par des situations nouvelles restent contenus dans
certaines limites. En raison de son « système de dispositions incorporées », l’acteur n’est pas
plastique à souhait. Il impose dans une certaine mesure ses définitions à des situations peu
familières.
C’est donc en fonction des dispositions incorporées, des intérêts (immédiats ou à plus ou
moins long terme), des motifs, des cognitions (connaissance des règles culturelles, des motifs,
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intérêts et dispositions des partenaires) que l’acteur « définit les situations dans lesquelles il se
comporte.
On se pose généralement la question de savoir la forme sous laquelle se présentent les
comportements dans une situation d’interaction.

4.2 La forme des interactions : la métaphore théâtrale


C’est le sociologue américain, Erving Goffman qui a proposé, pour rendre compte de ces
modes de comportement, une métaphore féconde, celle du théâtre. D’après lui, les acteurs
sociétaux se comportent formellement comme des acteurs de théâtre, des comédiens. La vie
quotidienne est ainsi « mise en scène » et les acteurs sociétaux y jouent les « parties » que
commandent leur statut social, leur position dans la hiérarchie sociale, les activités spécifiques
auxquelles ils se livrent.
Dans notre vie quotidienne, quels sont les différents types d’environnement social
dans lesquels se déroulent actions théâtrales et nos relations avec les autres ?
Schütz distingue deux mondes ou environnements : la Mitwelt ou monde des contemporain,
par opposition à l’Umwelt ou le monde des intimes. Le monde des contemporains est celui de
groupe secondaire lorsque les relations ne concernent que les rôles sociaux et n’entraînent pas
d’autre engagement que fonctionnel : organisation professionnelle, ville, …Le monde des
intimes est celui de groupe dans lequel l’individu entretient des relations (dites aussi
« primaires ») directes et impliquant un engagement personnel élevé avec ses partenaires :
maison, ménages, famille, pairs, amitié…

4.3. Rôle et identité


Les « parties » que l’acteur joue quand il est en représentation se rapportent toutes aux divers
rôles qu’il doit assumer dans la vie sociale : celui de père, par exemple, d’employé de banque,
de militant syndical, de parent d’élève, de joueur de tennis, etc. ces rôles composent ce qu’on
peut appeler l’identité sociale de l’acteur. Celle-ci correspond aux attentes que les autres
acteurs peuvent émettre à l’égard de celui qui la revêt. On attend d’un père qu’il veille au
bien-être matériel et à l’éducation morale de ses enfants ; d’un employé de banque, qu’il soit
ponctuel et compétent dans les opérations qu’il traite ; d’un militant syndical, qu’il soit
combatif et soucieux de respecter les mots d’ordre ; d’un parent d’élève, qu’il s’intéresse de
près aux résultats scolaires de ses enfants.
L’identité sociale correspond aux attributs typiques qu’une identité a en principe selon son
statut et son rôle, attributs en fonction desquels ses partenaires sont à même de définir
correctement, conjointement avec lui, les situations où ils se trouvent réunis. Par exemple,
parmi les attributs physiques d’un enseignant figurent la ponctualité, la rigueur, l’exemplarité,
l’ouverture aux étudiants, la disponibilité de temps et de l’esprit face aux attentes des étudiant,
l’aptitude pédagogique. Selon la société, ce sont les attributs qu’il doit posséder.

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A côté de notre identité sociale se trouve notre identité individuelle constituée par des
éléments purement biographiques : nom et prénoms, notre date de naissance, les opérations
chirurgicales que nous avons subies, nos peines de cœur,
Existe-t-il un lien entre identité sociale et identité individuelle ?

4.4 Lien entre identité sociale et identité individuelle


A observer l’identité individuelle, on y constate des éléments typiques, comme par exemple le
genre d’école fréquentée par le fils d’un président, l’endroit à la mode où il a passé ses
vacances, l’origine sociale de sa femme, le niveau d’étude de sa femme, son activité, le type
de logement qu’il occupe…
Il existe des éléments de l’identité qui ne correspondent à aucun type d’attributs. Par
exemple : être orphelin, être une jeune fille ou un jeune garçon avec une expérience sexuelle
précoce, être une fille mère, un enfant mère, un adolescent père, un mineur étudiant….). Mais
dans les relations que nous entretenons avec d’autres qui ne font pas partie de notre
environnement immédiat, seuls comptent vraiment les aspects typiques, donc les attributs de
l’identité sociale. Toutefois l’individu ne s’efface jamais totalement derrière ces
caractérisations typiques. Comme le souligne Goffman lui-même :
« …] La caractérisation qu’un individu peut faire d’un autre en vertu de sa capacité à
l’observer et à l’entendre directement est organisée autour de deux formes fondamentales
d’identification : la forme catégorielle qui implique de placer l’autre dans une ou plusieurs
catégories sociales et la forme individuelle par laquelle un individu est rattaché à une
identité unique et distinctive par le moyen de l’apparence, du ton de voix, de la mention du
nom ou d’autres dispositifs différenciateurs de la personne. Cette double possibilité …] est
essentielle pour la vie interactionnelle dans toutes les communautés …]. (« L’ordre de
l’interaction » In les moments et leurs hommes Winkin Y., Seuil/ Minuit, Paris,
1988, 194-195.
Il advient aussi que certains éléments de l’identité individuelle perturbent l’identité sociale.
Disons, que se passe-t-il, lorsqu’un élément de l’identité individuelle constitue un
attribut, une différence physique ou social discrédité ?

4.5 Identité, stigmate et stigmatisation


Cette différence est un stigmate. Goffman, en effet, a appelé stigmate cet élément qui,
lorsqu’il est apparent ou lorsqu’il est révélé, engendre chez l’acteur un handicap plus ou
moins sévère. On a alors affaire à un phénomène de stigmatisation. Lorsque le stigmate est
révélé, il fait passer l’acteur de l’identité sociale virtuelle à l’identité sociale réelle. Le
« stigmate » un attribut qui est visible ou susceptible d’être révélé- jette un discrédit profond
sur l’acteur qui en est porteur. Citons quelques exemples : le paraplégique, le bègue, le père
de famille homosexuel, le cancéreux apparemment bien portant, l’ancien prisonnier.
L’identité virtuelle d’un étudiant ou d’une étudiante respectée dont on apprend qu’elle fut
voleuse, se mue en identité sociale réelle, devient dans les interactions une étudiante voleuse.
L’identité sociale réelle manifeste un certain désaccord avec l’identité sociale virtuelle :
Cet étudiant, diminué aux yeux des autres,
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« tout le temps que l’inconnu est en notre présence, des signes peuvent se manifester
montrant qu’il procède un attribut qui le rend différent des autres membres de la catégorie
de personnes qui lui est ouverte, et aussi moins attrayant, qui, à l’extrême, fait de lui
quelqu’un d’intégralement mauvais, ou dangereux, ou sans caractère. Ainsi diminué à nos
yeux, il cesse d’être pour nous une personne accomplie et ordinaire, et tombe au rang
d’individu vicié, amputé. Un tel attribut constitue un stigmate, surtout si le discrédit qui
l’entraîne est très large ; parfois aussi on parle de faiblesse, de déficit ou de handicape. Il
représente un désaccord particulier entre les identités sociales virtuelles et réelles. »
(Goffman E. Stigmates-Les usages sociaux des handicaps, Minuit, coll. Le
sens commun, Paris, 1975, 12)

4.6 Stigmatisation comme un fait relationnel


En fait, la stigmatisation n’est pas un procès absolu, mais relationnel. Comme l’écrit encore
Goffman : « l’attribut qui stigmatise tel possesseur peut conformer la banalité de tel autre et,
par conséquent, ne porte pas lui-même ni crédit, ni discrédit » (ibid., 13). Ainsi, le fait d’être
homosexuel dans une équipe de football peut entraîner un grave discrédit, alors que le fait
passera inaperçu dans certains milieux artistiques. A l’époque des discriminations raciales
imposées aux USA ou par le régime nazi, le fait d’être noir (aux USA) et juif en Europe,
constituait certes un stigmate de première gravité. Or, il est bien évident qu’être noire ou Juif,
en soit, ne constitue en rien la source d’un discrédit.
La stigmatisation est un processus relationnel. Un individu selon le contexte relationnel peut
être stigmatisé ici et crédité ailleurs.

4.7 Stigmatisation et typification


Des figures de stigmatisés «typiques » sont construites en rapport avec des situations
spécifiques. Il s’en suit pour les porteurs de tels ou tels stigmates qu’ils sont tenus de se
comporter selon les attentes normatives émises à leur endroit par leurs partenaires éventuels.
Un ancien prisonnier pour vole se devra d’être beaucoup plus honnête qu’un « ordinaire ». Un
homosexuel qui ne peut se faire accepter comme tel devra se cacher, donner le change (par
exemple, se marier et avoir des enfants). Un handicapé physique devra accepter son handicap
et ne pas tenter de se comporter comme un homme sans handicap.
Alors, que devient le porteur d’un stigmate lorsqu’il adopte un comportement déviant,
c'est-à-dire en rupture avec les attentes normatives adressées à la catégorie à laquelle il
devrait « normalement appartenir »?

5. Stigmatisation et déviance

5.1 Stigmatisation et construction identitaire


La stigmatisation intervient de manière considérable dans la « fabrication » d’un individu.
Dans un ouvrage qu’elle a consacré à la prostitution, Anne Van Haecht montre que la
stigmatisation de la prostituée conduit celle-ci à devenir ce qu’on la fait devenir. L’auteur
résume ces travaux de la manière suivante :

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« …] Nous avons évoqué la théorie de la stigmatisation due à S. Shoham, théorie
dialectique unissant la personnalité de la prostituée et la nature de son milieu. Cette
théorie expose comment la prostituée a été marquée par ses parents dans un sens négative,
ce qui lui a donné l’occasion d’intérioriser l’image de l’être déviant. Lors de la
cristallisation de la personnalité, ces clichés projetés sur elle servent de support à sa
personnalité, et la frustration qu’elle subit par le rejet de ses parents, la conduit à opérer
un contre-rejet qui fera d’elle une véritable déviante. »
(VAN HAECHT A., La prostituée-Statut et image, Editions de l’Université de Bruxelles,
Coll. Argument et documents, Bruxelles, 1973, 202-203.)
La stigmatisation est un procès de déclassement de l’individu au sein de sa propre catégorie.
Que se passe-t-il lorsque la personne a un attribut qui le surclasse par rapport aux
attentes qu’on adresse normalement à la catégorie à laquelle on le fait appartenir de
manière typique ?

5.2 Désaccord identité sociale virtuelle et réelle


Goffman fait remarquer lui-même :
« …] qu’il existe d’autres types de désaccord (entre identité sociale virtuelle et réelle),
tel celui qui nous fait reclasser un individu d’une catégorie socialement attendue à une
autre, différente mais tout aussi attendue, ou encore celui qui nous incite à déplacer vers le
haut le jugement que nous avions porté sur quelqu’un.» (GOFFMAE.
Stigmates, op. cit. 12-13.
On rencontre les cas qui ont une identité sociale réelle déclassée, alors que leur identité
sociale virtuelle révélée est surclassée ou créditée. Généralement, on attend de l’individu, des
comportements ou caractéristiques typiques conformes au type de personnes auquel il
appartient.
-un chauffeur de taxi en France qui était général de brigade au Togo ;
-une domestique qui fut une ancienne miss au Togo ;
-un mendiant en France qui fut un grand artiste respecté au Togo ;
-la femme d’un chef d’Etat qui fut prostituée ;
-une femme SDF en France qui est fille d’un chef d’Etat en Afrique ;

Ce sont des cas qui montrent l’existence d’attribut qui surclasse l’individu par rapport aux
attentes qu’on adresse normalement à la catégorie à laquelle on le fait appartenir de manière
typique. Les comportements et caractéristiques ne correspondent pas au type de personnes.

A l’inverse du stigmate existerait donc ce que Claude Javeau appelle le chevron (comme on
dit d’un spécialiste qu’il est « chevronné
On retrouve d’autres cas de désaccord entre type de personne et comportements typiques
-un riche qui se comporte comme un pauvre ;
-un pauvre qui se comporte comme un riche ;
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-un enseignant qui se comporte comme un étudiant
-une femme qui se comporte comme une fille
-un chef d’Etat qui se comporte comme un citoyen ordinaire
-un malade qui se comporte comme une personne bien portante
-une sœur religieuse qui se comporte comme une séductrice

Ici le comportement ne correspond pas au type de personne

5.3 Relation sociale et déviance : le modèle séquentiel de Howard


Becker
Becker est convaincu aussi que les groupes sociaux créent la déviance en instituant des
normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains
individus et en les étiquetant comme des déviants. De ce point de vue, la déviance n’est pas
une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application,
par les autres, de normes et de sanctions à un « transgresseur ». Le déviant est celui auquel
cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la
collectivité attache cette étiquette.

Puisque la déviance est, entre autres choses, une conséquence des réactions des autres à l’acte
d’une personne, les chercheurs ne peuvent pas présupposer qu’il s’agit d’une catégorie
homogène. Plus précisément, ils ne peuvent pas présupposer que les individus soupçonnés ont
effectivement commis un acte déviant ou transgressé une norme, car le processus de
désignation n’est pas nécessairement infaillible : des individus peuvent être désignés comme
déviants alors qu’en fait ils n’ont transgressé aucune norme.

Becker a tenté de vérifier deux hypothèses :

1. les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression
constitue la déviance.
2. le caractère déviant ou non d’un acte dépend de la manière dont les autres réagissent ; la
déviance naît donc de l’interaction entre la personne qui commet l’acte et celles qui réagissent
à cet acte.
Becker cherche à comprendre la genèse du comportement déviant, en dépassant les modèles
synchroniques, qui proposent une explication en termes de facteurs concomitants et qui se
basent sur l’analyse multivariée. Il oppose à cette perspective un modèle séquentiel, en
utilisant le terme de carrière déviante, par analogie à la carrière professionnelle, qui prend en

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compte chaque phase de changement, de passage d’une position à une autre. Il distingue ainsi
quatre étapes de la carrière déviante

La première étape est la transgression de la norme. Celle-ci ne suffit pas à désigner le sujet
comme déviant. Il faut que cette transgression ne soit pas qu’occasionnelle

La deuxième étape, l’engagement, survient lorsque la transgression est plus régulière. Elle
implique alors l’entrée dans un mode de vie et un changement d’identité. L’engagement n’est
possible que si les individus « apprennent à participer à une sous culture organisée autour
d’une activité déviante particulière ». C’est le moment de la socialisation de la déviance

La troisième phase, une des plus cruciales, est la désignation publique. Etre reconnu
publiquement comme déviant a des « conséquences importantes sur la participation ultérieure
à la vie sociale et sur l’évolution de l’image de soi de l’individu », dans le sens où l’identité
change aux yeux des autres, où l’individu acquiert un nouveau statut. L’identité déviante est
perçue comme la caractéristique principale, sur laquelle les autres se basent pour définir
l’intégralité de la personne déviante. C’est en quelque sorte une prédiction auto réalisatrice,
car « la manière dont on traite les déviants équivaut à leur refuser les moyens ordinaires
d’accomplir les activités routinières de leur vie quotidienne. En raison de ce refus, le déviant
doit mettre en œuvre des pratiques routinières illégitimes ».

La dernière étape est l’adhésion à un groupe déviant, qui entraîne deux types de
conséquences: les groupes déviants élaborent des rationalisations dans le but de légitimer
l’identité déviante, ce qui permet de penser positivement sa différence et de mettre en
congruence ses valeurs et l’image de soi. De plus, l’appartenance à un groupe déviant facilite
la perpétuation des pratiques déviantes, la sous culture déviante possédant un stock de savoir-
faire et d’expérience collective concernant les manières de garder secrètes les pratiques
déviantes.
Quels que soient le type de situation ou le type de personnes ou les comportements
typiques, comment la typification des relations sociales se maintient et est renforcée ?

6. Les rites d’interaction


6.1. Ritualisation et typification
La typification des relations sociales, selon Goffman, est renforcée par leur ritualisation ou les
rites d’interaction.

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« Le rituel est un acte formel et conventionnalisé par lequel un individu manifeste son respect
et sa considération envers un objet de valeur absolue, à cet objet ou à son représentant. Dans
sa célèbre analyse de la religion, Durkheim divise le rituel en deux classes : le rituel positif et
le rituel négatif. Le type négatif signifie interdiction, évitement, écart. C’est de cela que nous
parlons quand nous considérons les réserves du moi et le droit à la tranquillité. Le rituel
positif consiste à rendre hommage de diverses façons par diverses offrandes, ce qui implique
que l’offrant se trouve d’une certaine manière à proximité du récipiendaire. La thèse classique
est que ces rites positifs affirment et confirment la relation sociale qui unit l’offrant au
récipiendaire. Manquer à un rite positif est un affront ; à un rite négatif, une violation. »
(GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les relations en public, Minuit,
coll. Le sens commun, Paris, 1973, 73.

6.2 Les différents types de rites


L’auteur distingue les rites de présentation et les rites d’évitement
Les rites de présentation » correspondent, dans la vie quotidienne, au « sacré positif ou de
culte » de Durkheim. Il s’agit, par exemple, de tous les gestes et paroles liés à la prise de
contact avec autrui (« bonjour, comment allez-vous ? »). Il s’agit d’actes de « confirmation »
de la bonne marche des relations sociales. Les règles d’étiquette et de savoir-vivre traitent
abondamment de ces manières,
Les « rites d’évitement », correspondent, chez Goffman, au « sacré négatif ou d’interdit » de
Durkheim. Il s’agira alors des gestes et paroles destinés à manifester le respect de la
tranquillité ou de l’intimité d’autrui (par exemple, on baisse la voix quand une personne
s’installe à la même table qu’un groupe qu’elle ne connait pas ; on s’efface pour laisser passer
quelqu’un dans un passage étroit, etc.).
Il s’agit cette fois d’acte de réparation, si la sphère intime des individus concernés a été
effectivement violée ou d’actes de propitiation, si cette sphère est en voie d’être
inévitablement violée.

6.3 Le rituel et le sacré


Durkheim expose ces notions dans son célèbre ouvrage les formes élémentaires de la vie
religieuse. Les rituels manifestent la présence du sacré au sein du monde social. Or, le sacré
se définit essentiellement de manière négative par l’existence d’interdits transgressables.
On distingue le sacré négatif et le sacré positif. L’observance des rituels de l’une et l’autre
espèce est un moyen pour les individus de rendre compte de leur appartenance à un groupe et
de renforcer, ce faisant, l’intégration de ses membres en son sein.
Le sacré négatif consiste à respecter l’interdit en lui-même, transgresser un interdit c’est
provoquer des forces maléfiques qui peuvent compromettre l’existence, non seulement du
transgresseur lui-même, mais du groupe dont il fait partie. Exemple (à identifier au cours) :
Le sacré positif vise à rendre hommage aux forces maléfiques et à se les concilier. Exemple (à
identifier au cours) :
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Dans la société, tous les individus ont droit à la ritualisation.
Peut-il exister des individus non sacrés qui soient exclus de la ritualisation ?

6.4 Privation du droit à la ritualisation


Dans toute société, d’une certaine façon, les individus sont sacrés (il peut arriver que certaines
catégories d’individus sont exclus de cette sacralisation Mais tout dépend de toute société.
Dans certaines sociétés, ce sont les esclaves, dans d’autres, les lépreux, les alcooliques, les
auteurs d’inceste, les accusés de sorcellerie, les criminels… La privation d’un individu de tout
droit à la ritualisation est une manière de lui dénier toute dignité.
La privation ou non d’un individu de la sacralisation se traduit par les rites d’interaction, les
rites de présentation et les rites d’évitement. Les rites de présentation visent l’identité sociale
d’autrui, car c’est au type qu’elle incarne qu’ils s’adressent. Les rites d’évitement s’adressent
à l’identité personnelle.

6.5 Institutionnalisation des rites d’interaction


Il y a dans tout rituel un élément de « standardisation » qui renvoie à des prescriptions
figurant dans la « culture » du groupe ou de la société.
« …] Qu’ils soient fortement institutionnalisés ou quelque peu effervescents, qu’ils régissent
des situations de commune adhésion à des valeurs ou aient lieu comme régulation de conflit
interpersonnels, les rites sont toujours à considérer comme ensemble de conduites
individuelles ou collectives, relativement codifiées, ayant un support corporel (verbal, gestuel,
postural), à caractère plus ou moins répétitif, à forte charge symbolique pour leurs acteurs et
habituellement pour leurs témoins, fondées sur une adhésion mentale, éventuellement non
conscientisés, à des valeurs relatives à des choix sociaux jugés importants, et dont l’efficacité
attendue ne relève pas d’une logique purement empirique qui s’épuiserait dans
l’instrumentalité technique du lien cause-effet. » (RIVIERE CI., Les rites profanes, PUF,
coll. Sociologie d’aujourd’hui, Paris, 1995, 11.
Ritualités ou non, les comportements que les individus observent dans les situations très
diverses qu’ils doivent « traverser » pour parcourir leur « itinéraire »de vie, font l’objet d’un
apprentissage. Cet apprentissage, notons-le, n’est pas tant celui des comportements en tant
qu’ils impliquent des gestes ou des paroles, mais bien du sens que confèrent à ceux-ci les
diverses configurations sociétales et sociales dans lesquelles vivent les acteurs. A sa
naissance, le petit d’homme, le bébé, n’est un homme qu’en puissance. Il doit, pour devenir
un homme, au sens générique du terme, faire l’objet d’un procès d’hominisation qui comporte
précisément les apprentissages des situations et des conduites qui leur sont appropriées.

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7. Socialisation et constitution de stock de connaissance

7.1 La fonction de la socialisation


Devenir homme, s’hominiser, c’est donc avant toute chose se « socialiser ». C’est la raison
pour laquelle les apprentissages sont regroupés sous le vocable de socialisation. Il ne s’agit
pas, au demeurant, d’apprendre simplement à reproduire des comportements, par imitation
comme Gabriel Tarde le croyait, mais bien d’intérioriser le « social » lui-même, c'est-à-dire
ce qu’il a d’objectif pour l’individu : ses règles, ses lois, ses « us et coutumes », ses normes,
ses valeurs. Ainsi, l’individu survenant au monde est-il amené, par étapes, à participer à
l’existence des autres, dans la mesure même où ces autres sont amenés à participer à la sienne.
L’individu doit à même, non seulement de comprendre les définitions que les autres donnent
aux situations qu’il partage avec eux, mais de définir celles-ci dans une perspective de
réciprocité.
Schématiquement, la socialisation a pour but de mettre l’individu en possession de stock de
connaissances communément partagées dans le groupe dont il fait partie. Ce stock est le
résultat d’une production qui s’est opérée au cours de l’histoire, proche ou lointaine, du
groupe. Cette « sédimentation intersubjective » (Berger et Luckmann) devient réellement
« sociale » lorsqu’elle a été objectivée dans un système de signes qui rend possible sa
transmission de génération en génération, et aussi d’un groupe à un autre. Chez les êtres
humains, ce système de signe est le langage articulé
La socialisation, au sens habituel que les sociologues donnent à ce terme, englobe ce que l’on
appelle l’éducation, avec laquelle on la parfois confondue, ainsi qu’en témoigne Durkheim :
« L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas
encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez
l’enfant un certain nombre d’état physiques intellectuels et moraux que réclament de lui et
la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement
destiné. »
(DURKHEIM E., Education et sociologie, PUF, coll. SUP, Paris, 1973, 51.)

Elle a pour fonction, la transmission des savoirs institutionnalisés ou non (dimension


cognitive de la socialisation) et celle des comportements (dimension normative de la
socialisation) et relève d’une grande pluralité d’agences, qui sont parfois en concurrence, mais
qui se trouvent aussi entrainées à travailler de concert : la famille, l’école, les mass médias
l’entreprise, les organismes de formation permanente, la rue, le tourisme, etc. Chacune de ces
agences, du reste, fait l’objet d’une sociologie particulière.
Schématiquement, la socialisation a pour but de mettre l’individu en possession de stock de
connaissances communément partagées dans le groupe dont il fait partie. Ce stock est le
résultat d’une production qui s’est opérée au cours de l’histoire, proche ou lointaine, du
groupe. Cette « sédimentation intersubjective » (Berger et Luckmann) devient réellement
« sociale » lorsqu’elle a été objectivée dans un système de signes qui rend possible sa
transmission de génération en génération, et aussi d’un groupe à un autre

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7.2 Socialisation primaire et socialisation secondaire
Cette socialisation est à la fois primaire et secondaire. La socialisation primaire est celle qui
concerne la transmission des savoirs et des comportements durant la prime enfance. La (ou
les) socialisation(s) secondaire(s) concerne(nt) l’intégration de l’individu dans les divers
« sous-mondes » où son itinéraire le conduit. Un sous-monde peut être défini comme un
ensemble de situations interdépendantes auxquelles l’acteur n’a pas encore été confronté. Les
socialisations secondaires s’inscrivent tout au long de trajectoires de vie qui sont-elles mêmes
typiques.
Par les socialisations successives qui sont imposées à l’individu, celui-ci élargit son stock de
connaissances disponibles (l’expression de Schütz est « stock of knowledge at hand »). Ce
dernier est composé de plusieurs zones, selon le degré de connaissance, allant de ce qui est
tout à fait familier à ce qui est inconnu, mais pressenti.

7.3. Les zones de stock de connaissance


Reprenant sa typologie à William James, Schütz distingue quatre zones dans le stock de
connaissance :
1-La connaissance approfondie, recouvrant le secteur relativement restreint où l’individu a
une connaissance complète, claire et consistante du monde environnant, qu’il s’agisse de son
quoi, de son comment ou de son pourquoi ;
2-La connaissance informative, qui permet à l’individu de vivre dans le monde sans
s’interroger sur son mode d’être, son intérêt ne portant que sur le quoi, et non sur le comment
et le pourquoi ;
3-La connaissance s’appuyant sur la simple croyance, avec toutes les nuances que celle-ci
peut comporter : vraisemblance, confiance en l’autorité, acceptation aveugle, etc.
4-L’ignorance du connaissable : cette zone est celle de la part inconnue de monde, dont
l’individu, cependant, reconnait l’existence
En prenant l’exemple de l’l’automobile dont un individu est le chauffeur habituel,
La connaissance approfondie est sans conteste le mode d’enseignement, le pourquoi se
rapportant aux quelques éléments de pédagogie et de méthode qu’il maîtrise.
La connaissance informative comprend les règles administratives et académiques, ce qui est
interdit, ce qui est autorisé.
La connaissance fondée sur la croyance repose sur l’opinion que les étudiants n’ont pas de
niveau, que le système éducatif au Togo est défaillant, qu’ailleurs c’est mieux qu’ici…..
L’ignorance du connaissable renvoie à l’idée que de nouveaux progrès doivent encore affecter
le fonctionnement de l’enseignement, sans pouvoir en dire plus.
La quasi-totalité du contenu de stock de connaissances a été fournie à l’individu par des tiers.
Très peu de connaissances intervenant dans les interactions reposent sur des expériences
purement personnelles. La maîtrise du langage du groupe dont l’acteur fait partie à titre
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principal est d’un poids considérable dans l’acquisition de ces connaissances et leur mise en
œuvre dans les interactions
En conclusion, nous retenons que dès le plus jeune âge, les individus acceptent les
informations qui leur sont fournis par autrui. Le partage de ces connaissances est le plus sûr
garant de l’ordre social, tant que ce partage n’est pas remis en question. L’ordre n’est garanti
que si les diverses étapes de la socialisation sont acceptées par ceux qui en sont les
« bénéficiaires ». L’ordre social doit apparaitre lui-même comme légitime pour que les divers
ordres partiels qui le composent, à commencer par celui de la première socialisation,
apparaissent comme légitime.

Indications bibliographies complémentaires

- BERGER P.L., BERGER B., KELLNER H., The Homeless Mind, Pelican Books,
Harmondsworth, 1974.
- BOUDON R., Effets pervers et ordre social, PUF, coll. Sociologies, Paris, 1977.
- DURKHEIM E., Le suicide, PUF, coll. Quadrige, Paris, 1981.
- FERRAROTTI F., Une théologie pour athées, Librairie des Méridiens, Paris, 1984 (trad.
française).
- GENARD J.-L., Sociologie de l’éthique, L’Harmattan, Paris, 1992.
- OGLEN A., Sociologie de la déviance, Armand Colin, coll. U., Paris, 1996.
- PADIOLEAU J.-G., L’ordre social. Principes d’analyse sociologique, L’Harmattan, Paris,
1986.
- REUMAUX F., La veuve noire. Message et transmission de la rumeur, Méridiens
Klincksieck, Paris, 1996.
- ROCHE S., Le sentiment d’insécurité, PUF, coll. Sociologie d’aujourd’hui, Paris, 1993.

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ANNEXES
Corrigé type du Devoir Sur Table (DST) SOC 180 (2018-2019)
1. Comment la société se présente à nous comme un ordre

La société se présente à nous comme un ordre à travers :

-les prescriptions sur lesquelles reposent des exigences (actions socialement prescrites
fondées sur des exigences) ;

-les routines reposant sur la mise en œuvre des exigences fondées sur des règles, normes,
valeurs, codes, conventions (des dispositions institutionnalisées) ;

-des institutions ou manières de faire (d’agir) et de pensée stabilisées par les usages, les
pratiques ;

- les structures plus ou moins durables dans lesquelles s’incarne l’ordre social (Ecole, église) ;

-les contraintes qui encadrent les routines quotidiennes en s’exerçant sur les comportements
individuels quotidiens ;

-le contrôle social (formel ou informel) ou des processus et phénomènes sociaux ayant pour
fonction d’assurer le maintien de l’ordre social observable dans une société donnée…

2. Sous quelles formes peut se présenter la légitimation d’un ordre ?

La légitimation d’un ordre se présente sous forme :

-cognitive (connaissance, idées) ;

-symbolique (croyances, représentations collectives, idéologies ;

-axiologique ou normative (valeurs, normes) ;

-règlementaire (règles de droit, constitution, code, textes de lois) ;

-conative (pratiques, actions prescrites, activités, comportements, usages).

3. Quelles sont selon Marx Weber, les justifications sur lesquelles repose la légitimité
d’un ordre social ?

Selon Max Weber, la légitimité d’un ordre repose sur trois différentes justifications ou
fondements :

-fondement traditionnel ou légitimation traditionnelle (les coutumes, croyances


traditionnelles, pratiques culturelles) ;

-fondement charismatique (les qualités du dirigeant, du décideur) ;

-fondement rationnel ou légal (règles hiérarchiquement prescrites) ;


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4. Identifier et définir deux phénomènes révélateurs de l’échec de la socialisation.

Deux phénomènes révélateurs de l’échec de la socialisation sont :

-la déviance : c’est une conduite marginale définie, jugée et sanctionnée par la société sous
forme d’étiquetage ou de stigmatisation (rejet, exclusion, déclassement, dévalorisation
identitaire) à partir des croyances, représentations, pratiques sociales,

-la délinquance : c’est une conduite marginale définie et punie par les agents spécialisés de
l’Etat (police, magistrats ou autorité judiciaires), à partir des lois écrites, des codes…

5. Quels sont les différents types de règles existant dans une société ?

Dans une société, il existe deux types de règles :

-les règles sociales fondées sur la conscience collective (normes et valeurs, us et coutumes,
croyances, représentations communes) résultant des usages et des interactions,

-les règles juridiques élaborées par les appareils de justice de la société à partir des faits
objectifs et des considérations universelles.

6. Quels sont les aspects de l’objectivité du monde social ?

Le monde social est :

-institutionnalisé, sous forme de manières de faire, d’agir et de pensée stabilisées par l’usage,
la pratique

-extérieur aux sujets agissants -impersonnel, indépendant de sujet percevant

7. Quels sont les aspects sociaux sur lesquels repose la qualification sociale d’une
conduite ?

La qualification sociale d’une conduite repose sur :

-les normes et valeurs en cours dans une collectivité,

-les représentations, us et coutumes, croyances, perceptions, images sociales,

-les pratiques culturelles…

8. Quels sont les aspects sociaux sur lesquels repose la qualification juridique ou pénale
d’une conduite ?

La qualification juridique d’une conduite repose sur les règles de droit positif, notamment les
codes, conventions, la constitution.

9. Comment l’ordre social ordonne-t-il nos conduites ?

L’ordre social ordonne nos conduites de deux manières :

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- programmation du cadre des comportements habituels (l’ordre social programme le cadre de
nos comportements habituels),

-imposition des comportements de se dérouler d’une certaine manière (il impose à nos
comportements de se dérouler d’une certaine manière).

10. Citer quatre impositions de la société qui nous contraignent à conduire nos actions
dans de sens déterminés.

Quatre impositions de la société :

-des normes et valeurs,

-des règles,

-des croyances et représentations,

-des pratiques culturelles et sociales.

11. Comment les institutions existant dans la société existent en même temps dans la
conscience de l’individu ?

Les institutions existant dans la société sont des manières de faire, de penser ou de sentir
extérieures aux individus et stabilisées par des usages. Elles sont transmises aux individus qui
les acquièrent à travers le processus de socialisation.

Une fois acquises, elles se maintiennent dans le stock de connaissances ou dans la conscience
des individus qui s’en servent consciemment ou non dans leurs conduites.

12. Indiquer quatre signes de difficulté de la société à programmer entièrement les


comportements individuels.

Quatre signes de difficulté de la société à programmer entièrement les comportements


individuels sont :

-la transgression des normes dominantes ou les formes de déviance existant dans une société,

-les oppositions aux systèmes de légitimation,

-les conflits politiques et sociaux,

-les interprétations différentes ou opposées des prescriptions sociales,

-les diverses crises,

13. Qu’est-ce que la marginalité ?

La marginalité est la position occupée par des individus se situant à la périphérie du système
des légitimations, qu’ils ne mettent que partiellement en cause ou qu’ils mettent en cause de
manière peu agressive.

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14. Qu’est-ce que la déviance ?

La déviance est une conduite marginale définie, jugée et sanctionnée par la société sous
forme d’étiquetage ou de stigmatisation (rejet, exclusion, déclassement, dévalorisation
identitaire) à partir des croyances, représentations, pratiques culturelles ou croyances
traditionnelles, us et coutumes.

15. Quelles sont les réactions variables qu’un marginal peut rencontrer d’un
environnement social à un autre ?

La réaction que rencontre un marginal dans la société est relative. Son comportement tenu
pour déviant dans un certain ordre normatif peut être jugé normal dans un autre ordre
normatif, mais toute société impose ses normes en sanctionnant les écarts.

16. Quel est le lien existant entre règle, norme et valeur ?

La règle est l’expression pratique de la norme qui n’y transparait pas nécessairement. La
norme a besoin de la règle pour son expression pratique, avoir un sens précis, explicite La
norme est un type concret ou formule abstraite de ce qui doit être, ce qui admet un jugement
de valeur : idéal, règle, but, modèle. Elle apporte en même temps une justification à des
attendus de nos actions ou à des objets, comportements ou principes considérés comme des
valeurs. La valeur se réalise à travers des comportements normatifs que propose la règle.

17. Quelles différences existe–il entre valeur centrale et valeur périphérique ?

Les valeurs centrales sont des attendus de nos actions appelées à s’imposer, en principe, au
plus grand nombre dans un groupe ou société, tandis que les valeurs périphériques ne
concernent qu’un nombre limité d’individus ou bien que les règles qu’elles sous-tendent ne
sont point considérées comme aussi impératives.

18. A partir d’un exemple concret de groupe ou milieu social, donner 2 exemples de
valeurs centrales et 2 exemples de valeurs périphériques.

Exemple de valeurs centrales et périphériques de l’université.

Valeurs centrales : discipline ; ponctualité ; régularité ; objectivité dans la pensée, les actes et
le jugement ; excellence ; honnêteté intellectuelle,…

Valeurs périphériques : argent, l’élégance vestimentaire….

19- Quelles sont les conditions pour qu’un ordre social soit légitimé ?

Les conditions pour qu’un ordre social soit légitimé sont :

-les règles, normes et valeurs de l’ordre doivent apparaître suffisamment objectivées, non
susceptibles d’être remises en cause, justifiées, acceptées, fondées, valables.

-les règles, normes et valeurs doivent être objectivement disponibles.

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-les règles, normes et valeurs doivent être subjectivement plausibles, significatives.

20. Qu’est-ce qu’un expert de la légitimation de l’ordre social ?

Un expert de la légitimation de l’ordre social est, dans un micro-monde ou macro-monde


social, toute personne détenteur du pouvoir de juger ou de se prononcer sur la légitimité des
conduites, des faits.

21- Comment un ordre social légitime peut devenir moralement non défendable ?

Un ordre légitime peut devenir moralement non défendable, lorsqu’un consensus est obtenu
sur des règles, normes, valeurs et pratiques qui paraissent vicieuses, inhumaines, partiales,
injustes au regard des principes humains universels et de la morale.

22- Fournir quatre exemples de discontinuité entre légitimité et moralité

Quatre exemples de discontinuité entre légitimité et moralité sont :

-excision approuvée dans certaines collectivités, alors qu’elle constitue une pratique
moralement non défendable,

-le mariage forcé, le mariage des mineurs, légitimé dans certaines collectivités traditionnelles,
-la peine de mort légitimé dans certains pays,

-le lynchage des voleurs légitimé dans certaines sociétés, alors qu’il est condamnable
moralement,

23- Comment un délinquant peut être différent d’un déviant ?

Un délinquant est un marginal qualifié comme tel au regard d’une loi, d’un code par des
agents spécialisés du pouvoir politique de la société (L’Etat et ses institutions)

Il est différent du déviant quand il ne suscite aucune réaction d’hostilité ou d’étiquetage de la


part de la société, alors qu’il est passible de poursuite et de sanctions au regard de la loi

24- Quelles sont les composantes d’un ordre social

Un ordre social comprend :

-les règles, normes, valeurs, pratiques, croyances communes et des manières de faire
stabilisées par l’usage sur lesquelles reposent des exigences sociales,

-des comportements habituels programmés par les exigences fondées sur des règles, normes et
valeurs,

-des routines répondant à des exigences sur lesquelles nous n’avons pas de prise en tant
qu’individu et auxquelles nous répondons par des habitudes et leur ritualisation,

-les contraintes qui encadrent les routines quotidiennes en s’exerçant sur les comportements
individuels quotidiens,
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-la socialisation destinée à faire passer les contraintes dans l’habitus, à les faire intérioriser, de
telle manière que se constitue un surmoi cohérent.

25- A quelles conditions l’ordre social est acquis et adopté par les acteurs membres
d’une société?

L’ordre social est acquis et adopté par les acteurs membres d’une société à condition que :

-les règles, normes, valeurs, pratiques stabilisées par l’usage soit transmises aux individus à
travers la socialisation,

-les règles, normes, valeurs et pratiques soient reconnues légitimes et acquises à travers
l’intériorisation.

26- Quelles différences existe-t-il entre la déviance et la marginalité ?

La différence entre déviance et marginalité :

La marginalité met l’individu à la périphérie du système de légitimation que celui-ci met


partiellement en cause de manière peu agressive, sans que cette conduite entraîne la société à
le tenir à distance ou à le mettre à l’écart en tant que déviant ;

tandis que la déviance est, quant à elle, une marginalité qui entraine comme réaction de la part
de la collectivité, une qualification sociale de déviant se traduisant par l’intolérance, la tenue à
distance, l’étiquetage, sans que la personne recevant cette qualification ait nécessairement
enfreint une règle (confer Howard Becker sur la trajectoire de la déviance).

27- Comment la réaction que rencontre le marginal varie d’un environnement social à
un autre ?

La réaction que rencontre un marginal dans la société est relative.

Son comportement tenu pour déviant dans un certain ordre normatif peut être jugé normal
dans un autre ordre normatif, mais toute société impose ses normes en sanctionnant les écarts.

ou La réaction que rencontre un marginal varie d’un environnement social à un autre, à


travers la mise en œuvre de normes socialement variables par rapport auxquelles, chaque
groupe de façon distincte, réagi aux conduites des individus. Selon la différence de normes
sociales, une conduite marginale perçue et traitée comme une déviance dans un
environnement social, peut être considérée comme normale, acceptable dans un autre. C’est la
variabilité des normes et leur mise en œuvre qui déterminent la réaction sociale face à la
marginalité.

28- Qu’est-ce qu’un délinquant ?

Un délinquant est un déviant qui enfreint les règles édictées par les lois, c’est-à-dire des
prescriptions normatives énoncées par le pouvoir politique et mises en œuvre en son nom par
l’appareil de répression officiel, judiciaire et policier, qui s’appuie sur une qualification
pénale ou juridique fondée sur le droit positif.
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29- Comment la socialisation se révèle-t-elle nécessaire ?

La socialisation se révèle nécessaire en tant que processus permettant à toute collectivité de


transmettre les règles, normes, valeurs, pratiques et croyances communes (conscience
collective) aux individus et de les leur faire acquérir

30- Quels sont les fondements à l’origine de l’inadéquation entre qualification juridique
et qualification sociale d’un acte ?

L’inadéquation entre qualification juridique et qualification sociale a pour fondement, les


orientations d’action différentes.

-La qualification juridique ou pénale repose sur les faits objectivement établis dans un esprit
déterministe, les principes et l’universalisme des règles, alors que

-la qualification sociale d’un acte s’appuie sur les normes et valeurs, les idéologies
dominantes, les croyances traditionnelles, les pratiques culturelles, les us et coutumes.

COMPLEMENTS

1- Quelles sont les institutions sociales que produisent et reproduisent les interactions ?

Les institutions sociales que produisent et reproduisent les interactions sont :

-les institutions stabilisées par les usages,

- les principes divers de hiérarchisation,

-la langue qu’on parle dans le groupe,

-la religion qu’on y pratique en majorité,

-le type de pouvoir qui y est respecté,

-les idéologies qui y dominent.

2- Comment les interactions produisent, reproduisent et font changer les institutions


sociales ?

Les interactions produisent, reproduisent et font changer les institutions sociales à travers :

-les influences exercées par les interactions sur les comportements, les modes de pensée et
l’identité ou la personnalité des individus en relation,

-les significations que les individus attribuent aux conduites de ceux avec qui ils sont en
interrelation,

-les changements de conduite, d’attitudes que chacun adopte suite aux significations assignées
aux actions de l’autre,
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-l’adoption de nouvelles normes et valeurs, croyances ou conduite sous l’influence du
comportement de l’autre et suite à l’interprétation de ce comportement.

3- Comment les interactions qui se déroulent dans le micro-monde diffèrent de celles


dans lesquelles se rencontrent les individus dans le macro-monde social ?

Elles sont différentes parce que :

-elles se déroulent dans un horizon habituel, quotidien de l’expérience que nous faisons de la
vie sociale,

-elles impliquent des individus qui sont liés par des interconnaissances, des rencontres
habituelles, quotidiennes et différentes des relations abstraites, anonymes et lointaines,

-elles constituent des expériences immédiates des autres dans des relations face à face.

4- Fournir quatre exemples de micro-monde et quatre exemples de macro-monde social.

-Micro-mondes : couple, ménage, maison, classe d’élèves ou d’étudiants, une église, une
association…

-Macro-mondes : une ville, une région, un pays, une civilisation…

5- Comment les routines qui constituent le tissu de notre existence quotidienne de la vie
sociale sont-elles sociétales ?

Les routines qui constituent le tissu de notre expérience quotidienne sont sociétales à travers :

-leur déroulement en présence des autres et en collaboration (amicale ou non) avec eux,

- des rencontres et des activités en commun avec des autres, proches, familiers ou non
qu’elles comportent.

6- Comment notre expérience quotidienne de la vie sociale se déroule-t-elle comme une


trajectoire individuelle ou un itinéraire individuel ?

Notre expérience quotidienne de la vie sociale se déroule comme une trajectoire individuelle
ou un itinéraire individuel dans la mesure où :

-elle est localisée dans l’histoire,

-elle est le produit d’une multitude de trajectoires individuelles ou d’« itinéraires »


individuels, -elle est une succession de situations, dans lesquelles en tant qu’individus,
assimilables à des « acteurs » devons se comporter d’une manière plus ou moins conforme
aux règles de comportement en usage dans nos groupes.

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7- Qu’est-ce qu’une situation d’interaction ?

Une situation d’interaction est tout environnement dans lequel les personnes présents sont à
portée perspective les unes des autres et sujettes à contrôle mutuels. C’est tout cadre dans
lequel se produisent les interactions.

8- Comment se présente une situation d’interaction ?

Une situation d’interaction est :

-typique vécue par des individus qui savent qu’ils y doivent se conduire de manière typique,
avoir des comportements appropriés,

-familière, constitué d’un catalogue relativement limité de situations bien connues des acteurs,
auxquelles correspond un répertoire, lui aussi limité, de comportements appropriés.

9- Quelles sont les conditions de maintien du caractère « allant-de-soi » du « monde de la


vie » ?

Les conditions de maintien du caractère allant de soi du monde de la vie sont :

-la typicalité des situations sociales,

-la familiarité des individus aux situations et aux comportements appropriés qu’ils doivent
avoir dans chaque situation typique,

-la définition par les acteurs des situations dans lesquelles ils interviennent, c’est-à-dire son
interprétation.

10- Qu’est-ce que la définition d’une situation ?

La définition de la situation empruntée à W. I. Thomas (1863-1947) et F. Znaniecki


(18821958), signifie la manière dont un groupe social interprète la situation sociale dans
laquelle il se trouve, cette interprétation étant déterminée par son propre cadre de référence.

11- Quelles sont les caractéristiques d’une situation ?

Une situation d’interaction est :

-significative pour les acteurs qui l’interprètent,

-constitutive de leur vérité, étant tenue pour vraie par les personnes qui l’interprètent,

-chargée d’une signification commune aux acteurs disposant d’un fonds d’éléments cognitifs
communs (la langue, le découpage du temps, le système hiérarchique, etc.) faisant partie de ce
que l’on appelle habituellement la culture d’un groupe ou d’une société,

-typique : une situation typique donnée se déroule à des moments typiques, dans des lieux
typiques et il s’y déroule des actions typiques,

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-variable selon la typicalité, les paramètres temps, lieu et scénario.

12- Comment est la définition d’une situation d’interaction ?

La définition d’une situation est :

- partagé, simultanément, par les partenaires dans la même situation,

-constructive d’un monde vrai pour les acteurs, puisqu’elle est tenue pour vraie par les
acteurs, parce que c’est cette interprétation qui guide effectivement leurs actions,

-commune à des acteurs disposant d’un fonds d’éléments cognitifs communs (la langue, le
découpage du temps, le système hiérarchique, etc.) faisant partie de ce que l’on appelle
habituellement la culture d’un groupe ou d’une société, donc consensuelle,

-inventive, créative d’une nouvelle situation. C’est ce que R. K. Merton a appelé la «


prédiction créatrice » par laquelle une réalité sociale se crée pour la raison même que les
acteurs décident qu’elle doit être créée (si les gens croient que la guerre est inévitable, la
guerre finit par arriver). On peut aussi parler de « prophétie destructrice », quand l’action des
acteurs entraîne l’effet inverse de ce qui est escompté (la croyance en une pénurie a de tels
effets sur la production d’un bien qu’il en devient pléthorique).

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Cours d’introduction à la sociologie, 2019-2020, GNAKOU ALI Pitaloumani, Maître de conférences,
FSHS

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