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L’apport de la gestion mentale dans la prise en charge des dysphasiques

Les spécificités de la dysphasie du point de vue de la gestion mentale

Cet article a été rédigé d'après un séminaire animé par France PAGES sur la prise en charge des enfants
dysphasiques en orthophonie avec l'approche de la Gestion Mentale et d'après une conférence que
nous avons donnée à l'hôpital de La Timone à Marseille sur ce sujet.

La Gestion Mentale propose un autre point de vue, une approche centrée sur le sujet et la manière
dont il perçoit, évoque, réfléchit, mémorise, etc…Nous allons voir comment, de ce point de vue, on
aborde les difficultés des enfants dysphasiques.
La mixité des évocations mentales est ce qui nous permet de structurer le monde et nos
apprentissages. Plus une évocation est riche de stratégies variées, plus elle a de chances d'amener une
bonne compréhension, une mémorisation et une réflexion efficaces, et plus elle permet d'inventer,
de créer.

L'enfant ordinaire construit son langage en prolongeant le son perçu par une représentation sonore et
visuelle nécessaire à la compréhension de ce qu'il a entendu. Il a à sa disposition ces représentations
pour s'exprimer.
C'est le cas par exemple des enfants présentant des retards de langage, même si leur approche
phonologique n'est pas toujours adaptée. Ils ont la possibilité d’avoir accès à un paramètre 1 auditif
ou verbal : ils peuvent traiter de l’entendu, avoir la prosodie, la musique des mots. Leur langage pourra
se structurer, même tardivement.

L'enfant dysphasique lui se donne des représentations mentales presque exclusivement visuelles,
quelles que soient les modalités sensorielles sollicitées.
Par exemple, s'il entend sonner une cloche, pour peu qu'il ait déjà fait le lien entre le son et l'objet, il
revoit mentalement l'image d'une cloche.
Mais lorsqu’il évoque une cloche, le son ne vient pas spontanément accompagner l’image, encore
moins le mot :" cloche".
L'enfant dysphasique ne gère pas les sons, les mots, comme signifiants, faute d'accrochage
phonologique avec les images mentales de ces sons ou de ces mots.

Les images mentales de cet enfant sont donc presque exclusivement visuelles :
-images concrètes, de réalité (la cloche)
-souvent en couleur et précises
-images globales avec peu de détails
-statiques ou dynamiques

On retrouvera chez cet enfant les particularités observées dans ce type d'évocation :
-nécessité d'avoir des exemples (le discours explicatif ne lui convient pas)
-il a besoin de multiples exemples illustrés pour accéder au concept, car il raisonne par induction.
-Il gère davantage les différences que les similitudes dans ses comparaisons
-Enfin, la gestion de l'espace est beaucoup plus efficace que la dimension temporelle et la
séquentialité (qui peuvent par contre être gérées dans un espace visualisé comme nous le verrons
pour la prise en charge).

Le fonctionnement original de l'enfant dysphasique impose des lois qui guideront notre prise en charge
avec l'appui de la Gestion Mentale :

-1- Tout d'abord : LE RESPECT DE SA METHODOLOGIE MENTALE. Il fonctionne avec ses images de
réalité, concrètes, vivantes, il n'a que cela à quoi se raccrocher et sur quoi prendre appui, ainsi qu'à ses
sensations proprioceptives et ses expériences. C'est à nous de nous y adapter et de trouver les moyens

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de l'aider à accéder au langage dans la sécurité de ses habitudes mentales. Ceci est un des points
essentiels en Gestion Mentale.

-2- S’APPUYER SUR DU VU MENTAL : pour tout nouvel apprentissage, nous allons donner à voir, puis
à entendre, successivement, mais jamais les deux en même temps. En effet, si nous présentons à cet
enfant l'image ET le son, le mot, il va gérer l'image mais pas le son.
Imaginons donc une perception visuelle et auditive présentée ensemble à l’enfant : je montre ET je
nomme « une maison ». L’évocation de l’enfant dysphasique sera visuelle et la perception auditive
n’est pas évoquée. Si je lui demande de restituer cette information, il n’a pas accès au mot mais à
l’image de la maison. Nous verrons tout à l'heure plus précisément comment nous procédons pour lui
permettre de coder le son ou le mot et de développer l'écoute mentale à partir de son évocation
visuelle.

-3- LAISSER DU TEMPS à l'enfant pour évoquer et construire, ne pas présenter trop vite des
informations successives. Lui laisser également le temps nécessaire à son évolution linguistique qui ne
sera pas le même temps que pour un autre enfant (ayant un retard de langage, par exemple).

La prise en charge de l'enfant dysphasique en fonction des troubles :

Tout d’abord, quelques mots à propos de son évolution : on sait qu’elle sera longue, et l’intervention
devra être précoce. Cet enfant a souvent des résultats non homogènes : on va valoriser ses réussites.
Il vit la douleur et le désespoir de ne même pas pouvoir se parler son désespoir. Les parents se
culpabilisent souvent et il faudra les aider à garder la communication avec leur enfant, même si ce
n’est pas facile à faire avec un enfant qui ne s’exprime pas, ou qui articule si mal. On va permettre aux
parents d’assister à quelques séances, souvent, ils apprécient cela car ils sont démunis, et ils prennent
conscience pendant la séance de la compétence de leur enfant. Ce travail en commun nous permettra
de les guider dans leur communication avec leur enfant, en leur disant bien que nous les savons
compétents pour communiquer avec lui de toutes sortes de manières, mais que nous pouvons les aider
à respecter l’originalité de son fonctionnement. L’enfant dysphasique veut communiquer et s’il est
anticipé comme être de parole, il cherchera à se faire comprendre. On va par exemple conseiller aux
parents pour les comptines, de les mimer dans un premier temps, puis de les raconter à l’enfant. Il
faudra développer son écoute mentale sur des supports visuels en utilisant le mime sur des contes
imagés, les mimiques, commenter ce qu’il vit, ses émotions à partir par exemple de petits symboles
comme ceux qui sont présentés ici (schémas des émotions), on va aussi leur conseiller d’agir devant
lui, puis de nommer ce que l’on fait, l’aider à être attentif aux sons sur une perception visuelle (par ex
le pchh de la cocotte), d’augmenter la prosodie en privé seulement (jamais devant les autres)

LE TRAVAIL EN SEANCE AVEC L’ENFANT

La prise en charge des troubles phonologiques et des troubles praxiques :

Ces enfants auraient besoin d’une représentation visuelle des étapes de la production du son, sinon
ils ne savent pas corriger le son qu’ils ont émis. Ils entendent que ce qu’ils produisent est différent,
mais ils n’ont aucune image visuelle sur laquelle s’appuyer pour la correction. De plus, contrairement
aux enfants qui gèrent la perception auditive, ils ont des difficultés de succession temporelle, donc ils
ne perçoivent pas bien les étapes de la production des sons pour accéder aux mots. On va donc
procéder comme pour le S de serpent, mais on va rajouter le dessin de l’articulé en étapes que l’enfant
pourra conserver en mémoire pour corriger ses erreurs. Pour chaque son, on proposera à l’enfant
jeune un objet réel, par exemple un serpent en plastique ou en peluche, qui symbolisera le son S et
qui pourra être manipulé et servir de support à l’intégration du son oral et écrit.

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Le travail du manque du mot :

Ces enfants ont l’image de l’objet, de l’animal, mais pas l’accrochage phonologique du mot. On utilisera
la pédagogie que nous avons détaillée tout à l’heure pour leur apprendre à coder mentalement les
mots.
On choisira de commencer par ce qui est visible et sensible : pour les petits, on travaillera à partir
d’objets concrets et quotidiens au début.

Pour le mot « vélo » , par exemple, on va progressivement demander à l'enfant d’évoquer d’abord
l’image, puis le mot écrit, et l’articulé, puis la globalité, avant de lui donner le mot qu’il va évoquer puis
oraliser à son tour. on fera donc une fiche visuelle contenant l'image, le mot écrit et l'articulé que
l'enfant pourra évoquer globalement.
L’enfant passera d’une conscience grapho-phonémique, puis orthographique à une conscience
verbale du mot.
On ira progressivement vers le conceptuel, les mots qui parlent les sentiments, le ressenti ….

Les substantifs seront abordés par catégories avec un ancrage visuel, en variant les représentations
pour permettre la généralisation, grâce à l’objet, l’image, le dessin, le schéma de l’articulé, des
étiquettes portant le mot écrit. On constituera avec l’enfant un carnet d’images où les mots seront
classés par catégories, afin de toujours donner une globalité à l’enfant. Ce fichier sera ouvert pour

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pouvoir toujours s’enrichir de nouveaux mots. Ces images et ces mots seront évoqués régulièrement
à la maison afin de permettre à l’enfant de reprendre et d’inscrire durablement ces mots dans son
langage.

L’apprentissage de la lecture sera un support nécessaire et favorisant pour l’apprentissage du langage


oral. Le but est au début non pas d’apprendre à lire mais d’offrir un codage visuel comme support à
l’oral. L’écrit va permettre la généralisation des notions abordées. On pourra par exemple conseiller
de placer à la maison des étiquettes portant le nom de l’objet placées sous les objets. L’enfant pourra
y avoir recours si nécessaire.

On travaillera de même en premier les notions spatiales pour aller vers les notions temporelles.
Les actions visibles et quotidiennes seront abordées les premières, avec l’aide du mime et des
manipulations. L’infinitif sera retenu au début. Les temps seront abordés dans la spatialité à l’aide de
schémas, de pictogrammes, histoires en images, …

L’aggramatisme et les troubles syntaxiques :

Ces troubles sont directement liés à l’absence ou à la difficulté de gestion de la temporalité : les mots
qui apportent du temps seront les plus touchés :on trouve peu ou pas de pronoms ; souvent, pas de
mots de liaison sauf quelques prépositions spatiales simples, les verbes sont souvent à l’infinitif car les
temps, qui parlent le degré d’aboutissement de l’action, sont mal gérés. La structure de la phrase est
ainsi simplifiée car il n’y a pas de représentation mentale de la temporalité et de la successivité.
On va donc aider l’enfant dans sa compréhension en lui donnant à voir et en parlant dans le
prolongement (jamais les deux ensemble).

Les pronoms seront abordés dans le VECU. Le « je » et le « tu », le « moi » et le « toi » doivent être
agis pour que l’enfant en saisisse la REVERSIBILITE. L’enfant à qui l’on dit « c’est à toi » conçoit que
« toi » c’est lui et va utiliser ce mot en parlant de lui-même. Ici aussi, l’écrit va nous permettre de lui
faire saisir la réversibilité de ce « toi » : on va par exemple utiliser des étiquettes « MOI », « JE » et
« TOI », « TU » dans l’action et la manipulation d’objets donnés, échangés.

Les structures de la langue ne sont pas respectées par l’enfant dysphasique :


Les prépositions par exemple seront abordées avec lui en commençant par les notions spatiales, avec
des représentations visuelles symboliques, comme ici sur ce schéma (voir schéma) : Par exemple le
dessin d’une boîte assortie d’une flèche pour les notions « sur, sous, dans devant, derrière,… ». On
abordera de même les notions « chez, à, de,… ». On travaillera l’origine et la destination, par des
manipulations, des images symboliques. Enfin, les notions temporelles pourront être abordées,
toujours avec une spatialisation : les notions» avant, après », par exemple, seront mimées, jouées,
vécues puis verbalisées. Le support écrit là aussi est intéressant.

Le travail des conjonctions simples sera aussi effectué en utilisant le support visuel. Il est à noter que
les conjonctions poseront longtemps problème à ces enfants en compréhension et en expression, à
l’oral et à l’écrit. Elles introduisent des notions de causalité, conséquence, successivité des actions
dans le temps, qui sont difficiles à intégrer pour ces enfants. Une phrase comme : « il ne sort pas quand
il pleut », contient à la fois une causalité donnée par le « quand », et une succession temporelle dans
la gestion des deux informations évoquées.

À ce propos, nous insistons beaucoup, en Gestion Mentale, sur la nature des liens logiques contenus
dans les expressions linguistiques à l’oral et à l’écrit : (cf. schéma des liens logiques). En effet, qu’il
s’agisse de SÉRIATION spatiale, temporelle, spatio-temporelle, de liens d’ATTRIBUTION, comme
l’inclusion, l’exclusion, la fusion, l’union, l’intersection ou bien de liens d’ANALOGIE par différence
ou similitude, il faudra montrer à l’enfant et lui représenter spatialement ces liens logiques pour l’aider

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à accéder au langage : on va lui montrer par exemple que l’adjectif fusionne avec le nom : quand on
lui dit : « une pomme rouge », il peut évoquer la pomme en image et il peut saisir la fusion de pomme
et rouge. Par contre, si on lui dit « un panier de pommes rouges », il devra gérer visuellement à la fois
la fusion pour « pommes rouges » et l’inclusion des pommes dans le panier. C’est facile car il peut
mentalement les faire sortir du panier et les y replacer, alors qu’il ne peut pas séparer « rouge » des
« pommes » sans changer l’expression « pommes rouges ». Cela est très important, car si l’enfant gère
l’inclusion en fusion, il n’accèdera pas à une compréhension correcte et à une généralisation des
notions. S’il gère : « un panier de fruits » en fusion, cela signifie que le panier et les fruits sont un tout
et lorsqu’il rencontrera un panier contenant autre chose que des fruits, il ne saura pas lui donner le
nom de « panier ».

D’autre part, cette gestion des liens logiques sera primordiale pour la compréhension écrite et
l’orthographe lorsque l’enfant sera scolarisé.

On va donc demander à l’enfant de faire exister dans sa tête les notions abordées et de les faire
bouger, se déplacer, se modifier, pour qu’il puisse accéder à une motilité dans sa compréhension et
sa manipulation du langage.
Ici aussi, LE SUPPORT ECRIT, avec des étiquettes qui se promènent d’un contenant à l’autre, par
exemple, sera utile pour gérer les liens logiques.

CONCLUSION

Dans ce court exposé, il ne nous est pas possible de détailler toutes les situations d’apprentissage,
notamment celles où il faudra travailler la grammaire et les notions syntaxiques.
Mais gardons à l’esprit l’axe fondamental du travail avec les dysphasiques :
leur donner en préalable à tout apprentissage un support visuel à évoquer, avec la préoccupation
principale de donner à voir en particulier ce qui ne se voit pas- en respectant le protocole que nous
avons détaillé : sur l’évocation de ce qu’ils ont vu, ils pourront accrocher du « dit ».

Nous aimerions pour finir insister sur le changement de point de vue que nous a apporté la Gestion
mentale :
Plus que l’analyse fine des troubles et symptômes présentés par l’enfant, c’est l’analyse de ses
modalités mentales qui précisent notre diagnostic et qui guident notre travail rééducatif ;
C’est en partant de ce que sait faire l’enfant, de ce qui représente sa sécurité mentale et son
efficacité, qu’il pourra, en étant aidé, accéder à ce qu’il ne sait pas faire, ce qui constitue le trouble,
le handicap.

En mettant l’accent sur les compétences de l’enfant, en le rendant acteur conscient de la construction
de son langage et de sa pensée, avec l’aide de ses parents, nous agissons dans le respect de sa
particularité et de ses différences pour qu’il surmonte son handicap.

La Gestion mentale nous apporte aussi un outil précieux d’analyse des processus mentaux qui sous-
tendent la réalisation d’une tâche.
Bien sûr, les orthophonistes n’ont pas attendu la gestion mentale pour rééduquer leurs patients, mais
celle-ci donne une direction et une richesse inappréciables en faisant découvrir à chacun le pouvoir de
sa pensée sur ses aptitudes et ses inaptitudes.

Car la Gestion mentale est une pédagogie de la tolérance : on peut aider un enfant en connaissant les
contenus de pensée qu’il privilégie, on l’accompagne en lui reconnaissant le droit à ses différences, sa
complexité, voire ses contradictions, de telle sorte qu’il puisse s’enrichir de ce qu’il n’est pas, en faisant
confiance à ses capacités d’adaptation et d’évolution.

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