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Objet d’étude 

: Le roman

Œuvre intégrale : Sido, Colette


Parcours : La célébration du monde

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Texte de la lecture linéaire 2 : extrait de Sido, Colette

 Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier, un épouvantail à effrayer les


merles, car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux, secoué d’éternuements en
10 série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux chemineaux et
coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais ma
mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où
elle bannissait les religions humaines…

– Chut !… Regarde…

15 Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus,
déchiquetait la chair rosée…

– Qu’il est beau !… chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa


patte ? Et tu vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de
bec pour vider le noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus
20 mûres…

– Mais, maman, l’épouvantail…

– Chut !… L’épouvantail ne le gêne pas…

– Mais, maman, les cerises !…

Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :

25 – Les cerises ?… Ah ! oui, les cerises…

Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris,
un dédain dansant qui me foulait avec tout le reste, allégrement… Ce ne fut
qu’un moment, - non pas un moment unique. Maintenant que je la connais
mieux, j’interprète les éclairs de son visage. Il me semble qu’un besoin
30 d’échapper à tout et à tous, un bond vers le haut, vers une loi écrite par elle
seule, pour elle seule, les allumait. Si je me trompe, laissez-moi errer.

Sous le cerisier, elle retomba encore une fois parmi nous, lestée de soucis,
d’amour, d’enfants et de mari suspendus, elle redevint bonne, ronde, humble
devant l’ordinaire de sa vie :

35 - C’est vrai, les cerises…


Le merle était parti, gavé, et l’épouvantail hochait au vent son gibus
vide.
Analyse linéaire

40 Introduction : (à compléter)

[Présentation de l’auteur]

[Présentation de l’œuvre] Le texte que l’on va étudier se trouve dans le recueil autobiographique et
éponyme : il rappelle la place essentielle du
personnage fondateur qu’a été sa mère Sido pour
45 Colette, une femme exceptionnelle et non
conventionnelle. ( Par exemple elle cachait des
textes de théâtre dans son missel pour lire ce qui
lui plaisait quand elle allait à la messe / elle
refusait de donner des fleurs pour rendre
50 hommage à une personne décédée / elle se disait
contre le mariage / elle refusait que ses enfants
lisent des œuvres pour la jeunesse , ces derniers
n’avaient accès qu’à des livres classiques, que
l’on réserve à un public averti… )

55 [Présentation de l’extrait] Dans le passage qui précède tout juste notre extrait Colette présente le
parcours géographique de sa mère, originaire de
l’Yonne et qui vécut en Belgique avec ses frères,
fréquentant un milieu artistique cultivé et qui
revint dans son pays natal et s’y maria deux fois.
60 Elle s’interroge sur la « rurale sensibilité » de sa
mère et confie son but de la « chanter » de
célébrer sa « clarté originelle ».

C’est à travers une saynète, une anecdote, que Colette dresse le portrait spirituel de sa mère. En effet,
elle raconte comment enfant, elle surprend sa
65 mère sous le cerisier en train d’admirer un merle
qui dévore les cerises, alors même qu’elle avait
placé quelques jours plus tôt des épouvantails
pour les effrayer.

[Problématique]Comment le récit de cette anecdote et l’étonnement de l’enfant permettent-ils de


70 donner au personnage de Sido toute sa
profondeur ?

[Progression du passage étudié / les différentes parties qui composent le texte]

trois mouvements successifs :

75 - Lignes 1 à 6 : la présentation de l’anecdote, son contexte


- Lignes 8 à 17 : le dialogue entre la mère et Colette enfant
- Lignes 18 à la fin du passage : le portait moral de Sido et le retour à la réalité
80

Lignes 1 à 6 : la présentation de l’anecdote, son contexte


Procédés Analyse

Je l’ai vue suspendre, Récit à la première Je = représente à la fois Colette narratrice


personne et l’enfant qu’elle était au moment
raconté – le complément d’objet
(« l’ »)reprend sous forme de pronom
Sido.

Cette anecdote a une fonction explicative


et doit illustrer la « rurale sensibilité » de
Sido, présenter son caractère et la
célébrer…

Elle semble pourtant montrer le


conformisme de Sido qui agit comme le
voisin.

dans un cerisier, Mise en relief du Le cadre du récit confirme la dimension


complément rurale : il s’agit du jardin adoré de la
circonstanciel de maison natale de Colette. L’arbre a une
lieu vocation nourricière : on trouve souvent
des cerisiers dans les jardins privés et les
vergers.

un épouvantail à effrayer les Les merles sont désignés comme des


merles, ennemis à éloigner de l’arbre, qu’il faut
effrayer (épouvanter) par des artifices.

car l’Ouest, notre voisin, Surnom + Le surnom donné montre l’originalité de


enrhumé et doux, secoué périphrase Sido qui considère le monde selon un
d’éternuements en série, ne ordre cosmique qui lui est personnel, dans
manquait pas de déguiser ses lequel les voisins ont des noms de
cerisiers en vieux chemineaux direction géographique !
et coiffait ses groseilliers de
gibus poilus Champ lexical Le voisin est représenté par
sonore touches partielles : sa situation locale, une
caractéristique physique et
Champ lexical sonore(éternuements dus à des allergies),
visuel une caractéristique morale (douceur –
gentillesse) et ses actions pour effrayer les
oiseaux (créations d’épouvantails)

qui transforment les éléments naturels


(cerisiers, groseillers) en éléments
humains (« chemineaux », « gibus »)et
grotesques (« vieux », « gibus poilus »).
Personnifications
(déguiser- coiffer) Montre la volonté du voisin de repousser
l’ennemi par des armes aussi dissuasives
Pluriels que carnavalesques
hyperboliques

Peu de jours après, Complément


circonstanciel de
Marque une ellipse et l’élément
temps
perturbateur du récit (après avoir planté la
je trouvais ma mère sous situation initiale et suspendu les
l’arbre, passionnément épouvantails)
immobile, la tête à la rencontre
du ciel d’où elle bannissait les L’adverbe « passionnément » intensifie
Champs lexicaux du
religions humaines… l’immobilité et la solennité de la situation :
corps et de la
Sido s’oppose aux épouvantails (qui
religion sont mêlés
doivent bouger , qui sont des objets).
Personnification du
ciel « à la rencontre
du ciel » La description de Colette met en valeur la
spiritualité personnelle et naturelle de sa
mère (Sido était athée)
Points de
Suggèrent le temps et l’immobilité de Sido
suspension
comme l’interrogation ou
l’incompréhension de l’enfant ( que fait sa
mère ?).

Lignes 8 à 17 : le dialogue entre la mère et Colette enfant

– Chut !… Regarde… Dialogue Discours direct restitue la spontanéité


de la scène et permet de dresser un
portrait imagé et sonore de la mère

Interjection + Discours spontané et autoritaire :


impératif invitation au silence et à l’observation

Points de suspension Le lecteur est mis dans la situation de


(aposiopèse : le l’enfant et il est invité à participer au
discours est suspendu) spectacle dont il ne connaît toujours
pas l’objet.

Un merle noir, oxydé de vert et Révélation de l’objet (selon


de violet, l’étymologie : ce qui est devant les yeux
de Sido) : il s’agit d’un représentant de
l’ennemi à faire fuir !

Champ lexical de la Les touches picturales redéfinissent


couleur + métaphore l’oiseau de façon extraordinaire
puisqu’il n’est plus noir sous le regard
de Colette : la palette en fait un être
magnifique.

piquait les cerises, buvait le Rythme ternaire (3 Contraste entre la description positive
jus, déchiquetait la chair verbes d’action et l’action barbare de l’oiseau (tel un
rosée… féroces ) charognard)

Utilisation de Souligne le carnage commis par l’oiseau


l’imparfait itératif et et un décalage comique puisque les
duratif victimes ne sont que des cerises.
Personnification des
cerises (chair rosée)

– Qu’il est beau !… chuchotait Phrase exclamative Marque l’étonnement et l’admiration


positive de Sido = fort contraste avec le
ma mère.
vocabulaire guerrier mis en place (les
méfaits de l’oiseau) : portrait moral de
Sido qui ne voit plus que la beauté du
monde animal et non le massacre des
cerises.

Verbe de parole La volonté de s’effacer devant le


spectacle est à la fois sonore(silence) et
visuelle (immobilité) : cela traduit le
profond respect de Sido, son
absorption totale devant la beauté de
l’oiseau.

Et tu vois comme il se sert de Questions rhétoriques A l’usage de sa fille qu’elle veut initier à
sa patte ? Et tu vois les l’amour et au culte de la nature par
mouvements de sa tête et cette Anaphores « Et tu
l’observation : elle l’incite à admirer
arrogance ? Et ce tour de bec vois », verbes de
(importance du regard)
pour vider le noyau ? Et l’observation (voir /
remarque bien qu’il n’attrape remarquer) Sido attire l’attention de l’enfant sur les
que les plus mûres… gestes et le comportement de l’animal
avec un vocabulaire précis et n’insiste
que sur ses qualités (dextérité, fierté,
expertise « les plus mûres »)

Personnification du Tour de bec reprend l’expression « tour


merle de main » / « arrogance » lui prête une
qualité morale

– Mais, maman, Intervention de Qui marquent son indignation


l’épouvantail… l’enfant avec des (« mais ») et son incompréhension
énoncés incomplets (quel est alors le rôle de l’épouvantail ?)
(pas de structure de
Théâtralisation grâce à la spontanéité
phrase, langage oral,
du discours direct
points de suspension)

– Chut !… Répétition de Importance de la scène pour Sido


l’injonction au silence
L’épouvantail ne le gêne pas… Comique de situation : l’attitude de
Sido contredit totalement la raison
pour laquelle elle a suspendu un
épouvantail (ce qu’elle a fait par
conformisme) mais dont le rôle réel est
totalement revu au bénéfice de l’oiseau
dans une inversion des valeurs : le
merle est plus respectable dans sa
beauté que les cerises ne le sont pour
des raisons alimentaires. Dans l’échelle
des valeurs de Sido : la beauté du
monde est supérieure aux besoins de
l’homme.
– Mais, maman, les cerises !… Répétition de Effet comique : l’enfant ne comprend
l’indignation de pas l’attitude de sa mère
l’enfant avec les
mêmes procédés
(phrases incomplètes
etc)

Ma mère ramena sur la terre Verbe d’action : La mère semble être une divinité de la
ses yeux couleur de pluie : amorce du retour à la nature, supérieure et cosmique qui lie
réalité les différents éléments (là la rencontre
du ciel au début du texte et ici vers la
Métaphore
terre)

Donne à Sido une dimension céleste,


Périphrase « couleur comme si elle avait rapporté de son
de pluie » contact visuel avec l’oiseau et le ciel
une part du ciel lui-même

– Les cerises ?… Ah ! oui, les Changement de ton : Le mouvement de retour à la réalité se
cerises… interrogation et fait en deux temps : d’abord par le
exclamation mouvement des yeux et ensuite par la
succèdent aux ordres parole : Sido est double, elle semble
(se taire et admirer) posséder une nature divine,
exceptionnelle, céleste et une nature
humaine, maternelle, plus prosaïque.

Ils marquent ici un temps d’arrêt, une


Points de suspension indétermination de la part de Sido,
arrêtée dans sa contemplation par
l’intervention de sa fille (plus terre à
terre ) !

- Lignes 18 à la fin du passage : le portait moral de Sido et le retour à la réalité

Dans ses yeux passa Expressivité du regard de Sido que


une sorte de frénésie riante, un Colette essaie de déchiffrer 
universel mépris, un dédain
dansant qui me foulait avec Sido semble encore tout entière du
tout le reste, allégrement…  Rythme ternaire et
côté de l’oiseau et de la nature, de
sonorité poétiques
façon immodérée et presque
(assonance en i –
folle(frénésie), dont les valeurs sont
allitération en d)
opposées aux lois humaines (l’enfant ne
Champ lexical de la vaut plus rien, comme le monde
joie( ivre cf « foulait ») entier), dans une joie qui rappelle celle
des bacchantes.

Ce ne fut qu’un moment, - non Champ lexical du feu Dimension cosmique et céleste de Sido
pas un moment unique. qui est associé e au ciel, à la pluie et ici
Maintenant que je la connais aux éclairs et à la lumière
mieux, j’interprète les éclairs Champ lexical de la
de son visage. Il me semble Colette tente de décrypter la
connaissance
qu’un besoin d’échapper à tout personnalité hors du commun de sa
et à tous, un bond vers le haut, Opposition entre mère et propose une interprétation : la
vers une loi écrite par elle « tout » et « elle contemplation de la beauté transforme
seule, pour elle seule, les seule », de façon littéralement sa mère en une personne
allumait. répétée supérieure et insaisissable,
profondément LIBRE, INDIVIDUELLE .

Si je me trompe, laissez-moi Présent d’énonciation Confidence de l’auteur narrateur qui


errer. parvient à restituer dans le présent de
son écriture la figure maternelle
Impératif (laissez-moi) célébrée, qui affirme son désir de
liberté (hérité de sa mère, bien sûr !)

Sous le cerisier, elle Passé simple Retour au récit – verbe qui marque
retomba encore une fois parmi aussi le retour physique à la terre, mais
nous, comme une chute (lourdeur)
Métaphore et zeugma
lestée de soucis, d’amour, Accumulation de termes abstraits et
d’enfants et de mari suspendus, concrets accrochés au personnage
comme des poids qui participent à
elle redevint bonne, ronde, Rythme ternaire de l’achèvement de sa métamorphose et
humble devant l’ordinaire de trois adjectifs
son retour à la réalité
sa vie : mélioratifs et opposés
(par rapport à la
frénésie, au mépris et
au dédain)

- C’est vrai, les Discours direct – Preuve vivante, par la parole que sa
cerises… aposiopèse (rupture mère a repris son « rôle »
du discours)

Le merle était parti, gavé, et Conclusion de Effet comique : le plan pour chasser les
l’épouvantail hochait au vent l’épisode : antithèse merles a échoué : l’épouvantail est
son gibus vide entre « gavé » et totalement démonté, grotesque et
« vide » battu par l’oiseau supérieur et
vainqueur (gavé par opposition au gibus
vide).

Ccl :

85 Par le récit d’un petit souvenir de son enfance celui du sacrifice des cerises par le merle vainqueur,
Colette âgée parvient à redonner vie à la personnalité extraordinaire qu’était sa mère, Sido.
Profondément libre et amoureuse de la nature, elle pouvait se métamorphoser sous les yeux de son
enfant, peu à peu initiée comme elle à sa vénération. Elle parvient dans cette anecdote comique à
restituer l’envergure céleste d’une mère exceptionnelle, grâce à une écriture ciselée et vivante.

90

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