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Technique chirurgicale

Comment je fais :
un tamponnement péri-hépatique
C. Letoublon
Service de Chirurgie Générale et Digestive de l’urgence, CHU-Grenoble.
e-mail : christian.letoublon@ujf-grenoble.fr

Correspondance : C. Letoublon, Service de Chirurgie Générale et Digestive de l’urgence, Hôpital


Michallon, BP 217, F 38043 Grenoble Cedex.

Introduction

Le tamponnement péri-hépatique (TPH) est un procédé thérapeutique à part en-


tière, dont l’indication doit être précoce et la réalisation soigneuse mais rapide. S’il
fut au début souvent choisi en désespoir de cause, il a acquis droit de cité dans l’ar-
senal opératoire des traumatismes graves du foie depuis les années 90. Il a sa place
dans le cadre plus large des « laparotomies écourtées »[1]. Son principe est la réali-
sation de la compression d’un foie sévèrement lésé pour en assurer l’hémostase, et
cela pendant une durée qui va de quelques heures à quelques jours. Cette compres-
sion mécanique s’oppose à une hémorragie devenue « non chirurgicale », ou qui va
le devenir à coup sûr si des gestes de réparation obstinée des lésions sont tentés.
Ses indications sont maintenant bien connues [2-4] et les critères de décision les
plus caractéristiques peuvent être résumés comme suit. On doit d’autant plus vo-
lontiers mettre en place un TPH en présence d’une lésion grave et hémorragique
du foie que : 27
1) la lésion hépatique est profonde, droite (haut située sur le dôme en particulier),
et se « rapproche » du trajet de la veine hépatique droite ;
2) une transfusion de 5 culots au moins a été nécessaire ;
3) le pH est inférieur à 7,25 ;
4) la température centrale est inférieure à 34° ;
5) le patient est polytraumatisé.
Ce procédé est probablement le seul qui, dans les cas les plus graves, peut permettre
de sauver provisoirement la vie du patient, mais les suites de l’intervention sont
fondamentales. L’embolisation artérielle doit alors être systématiquement discutée,
la réanimation est intensive et vise à corriger hypothermie, acidose, coagulopathie
le plus vite possible. La nécessité d’avoir à réintervenir à tout moment doit justifier
une confrontation chirurgien-réanimateur à un rythme soutenu.

Mots-clés : Foie. Technique chirurgicale. Traumatisme. Tamponnement.

J Chir 2004,141, N°1 • © Masson, Paris, 2004


Comment je fais : un tamponnement péri-hépatique C. Letoublon

Installation et incision Reconnaissance de la gravité de la lésion


1 Le patient est en décubitus dorsal strict. Les deux bras 2 C’est une main introduite, prudemment, en direction
restent disponibles pour la réanimation anesthésique. Si un pan- du foie qui saigne qui permet de « deviner » qu’il s’agit d’une
talon anti-G est en place, son ablation est retardée au maximum. lésion grave, profonde, du dôme. Si un ou deux des éléments de
Si le patient est en collapsus sévère ou a dû être massé, une com- gravité cités en introduction sont présents, on ne cherche pas à
pression par le poing de l’aorte sus-coeliaque en sous-xyphoï- comprendre la lésion, mais seulement à stopper l’hémorragie.
dien peut être réalisée pendant l’asepsie. Le champ opératoire
comprend tout l’abdomen et le thorax, et va loin dans les flancs.
L’incision est médiane xypho-sous-ombilicale en traumatolo-
28 gie abdominale. Elle permet un agrandissement en sternotomie
basse dans les cas, exceptionnels, où la veine cave intrapéricar-
dique doit être contrôlée. Si elle ne donne pas un « jour » suf-
fisant sur le foie, un refend horizontal peut être fait, mais si la
décision de TPH est prise suffisamment tôt, elle suffit le plus
souvent pour sa mise en place.

Compression bimanuelle du foie


3 On comprime le foie, d’une part en le tassant sur lui-
même en empaumant largement le foie droit et le lobe gauche
et, d’autre part en le poussant littéralement vers le haut, pour le
comprimer contre le diaphragme, et contribuer ainsi à refer-
mer la ou les fractures et à « contrôler » au mieux possible des
plaies probables de veines sushépatiques ou de leurs branches.
On confie alors cette tâche de compression à l’aide. On profite
de cet instant pour rapidement s’assurer de la présence ou non
d’une autre lésion abdominale, hémorragique ou non. On met
en place un lacs sur le pédicule hépatique dans deux situations :
1) si le projet de TPH mérite d’être rediscuté parce que la si-
tuation est très favorable (patient stable, hémostase évidente et
très facile, équipe chirurgicale et anesthésique solides) ;
2) si le TPH n’est pas efficace (voir plus loin).
J Chir 2004,141, N°1 • © Masson, Paris, 2004
Technique chirurgicale

À ne pas faire : « Aller voir » en tirant sur le foie


4 Mise en place du tamponnement péri hépatique
De grandes compresses sont tassées entre la loge rénale 5 Dans le but de comprendre le type de la lésion et l’ori-
droite et la main gauche de l’aide, qui pousse le foie droit en de- gine du saignement, l’opérateur attire le foie droit vers le bas et
dans, en haut, et en avant. Elles remplacent petit à petit cette vers l’avant. Cette manœuvre peut déclencher une catastrophe
main. Il faut tasser suffisamment de compresses en arrière, mais par aggravation des lésions, ouverture de la plaie et de la veine
prendre garde à ne pas appuyer directement sur la veine cave sushépatique.
inférieure (risque de compression cave, d’anurie, etc.). Du coté
gauche, on réalise la même manœuvre en tassant les compres-
ses entre l’estomac et la face inférieure du lobe gauche qui se
trouve repoussé vers le dehors et vers le haut.

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À ne pas faire : tamponner « sur » le foie


6 Si les compresses sont glissées entre la coupole
diaphragmatique et le dôme hépatique, elles réalisent progres-
sivement la même manœuvre que sur la figure précédente, et
écartent la fracture au lieu de la refermer sur elle-même et con-
tre le diaphragme.
Comment je fais : un tamponnement péri-hépatique C. Letoublon

a b

La fermeture de la paroi
7 Rapide, simple, non compressive. En raison du volume du TPH et de l’oedème intestinal très fréquent, il faut utiliser un
procédé de relaxation et de prévention du syndrome du compartiment abdominal [5]. On a le choix entre trois procédés :
1) La fermeture cutanée pure par surjet, qui peut suffire ; 2) La mise en place d’un « sac de Bogota », feuille de polyane suturée
au bords de l’aponévrose et permettant une relaxation adaptée (a) ; 3) Le « Vacuum Pack » (b) [6], procédé très efficace, rapide, et
de gestion ultérieure très commode. Une feuille de polyane multiperforée est étalée sur les viscères en dépassant les limites de la
laparostomie. Un matelas de compresses remplit l’espace laissé libre entre les berges de la plaie et contient deux drains mis en as-
piration forte et continue (dès leur mise en place et même pendant le transport en réanimation ou en artériographie). Le tout est
recouvert d’un grand stéridrape adhérant jusque dans les flancs.

4) Le dernier choix est l’option « chirurgicale » faite de clampa-


30 Commentaires et conclusions
ges multiples et d’hépatotomies ou d’hépatectomie, et dont les
Lorsque « ça ne marche pas », que le foie saigne trop et que risques sont à notre avis encore supérieurs à l’attitude précédente.
le TPH semble inefficace : Le TPH est un procédé capable de sauver temporairement
1) refaire le TPH, plus tassé ; des patients dans un état critique, permettant au blessé de bé-
néficier de la réanimation la plus intensive et de la radiologie
2) tester le clampage du pédicule, et s’il est efficace considérer interventionnelle. Il peut aussi permettre le transfert dans un
qu’une lésion artérielle importante est en cause ; centre plus spécialisé.
3) choisir alors entre ligature de l’artère hépatique (dangereu- L’ablation du matériel, quand aucune réintervention pré-
se sur un TPH), transfert en urgence en artériographie pour coce n’est déclenchée, trouve sa place à J1 ou J2 si le patient
embolisation, et mise en place d’un lacs occlusif sortant à est stabilisé, mais peut être repoussée entre le troisième et le
travers la paroi pour clamper l’artère pendant le trajet en cinquième jour sans inconvénient. Elle est alors le plus sou-
artériographie ; vent simple à réaliser.

Références
1. Arvieux C, Létoublon C. La laparotomie écourtée. J Chir 2000;137:133-141.
2. Letoublon C, Amroun H, Alnaasan I, Reynaud P, Arvieux C, Faucheron JL. Tam-
ponnement hépatique et chirurgie en deux temps dans le traitement des traumatis-
mes graves du foie. Lyon Chir 1996;92:228-235.
3. Létoublon C, Castaing D. Les traumatismes fermés du foie. Rapport au 98° Congrès
Français de Chirurgie. Paris : Arnette 1996.
4. Létoublon C, Arvieux C. Traitement des traumatismes fermés du foie. J Chir
1999;136:124-129.
5. Decker G. Le syndrome du compartiment abdominal. J Chir 2001;138:270-276.
6. Barker DE, Kaufman HJ, Smith LA, Ciraulo DL, Richart CL, Burns RP. Vacuum
pack technique of temporary abdominal closure: a 7-year experience with 112 pa-
tients. J Trauma 2000;48:201-207.

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