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L’Affaire du génocide. Bosnie et ...

Revue internationale interdisciplinaire


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58 | 2009-2
Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye
Mémoires et responsabilités de guerre. Les procès de Tôkyô et de La Haye

L’Affaire du génocide. Bosnie et Serbie


devant la Cour internationale de Justice ou
la dénonciation à l’épreuve du droit
international
Lawyering Truth. The Genocide Case (Bosnia vs. Serbia) before the International Court of
Justice, or a Test of Public Denunciation through International Law
Pierre-Yves Condé
p. 109-140
https://doi.org/10.4000/droitcultures.2126
Abstract | Index | Outline | Text | Notes | References | Cited by | About the author
Abstracts
Français English
In 2006 the International Court of Justice rendered its Judgment in the Genocide case brought
thirteen years earlier by Bosnia and Herzegovina against Serbia. The Court held that the July
1995 Srebrenica massacres amounted to genocide and ruled that Serbia, by failing to prevent
the crime and punish those responsible, was in breach of the Convention for the Prevention
and Punishment of the crime of genocide. Because of the discrepancy between these judicial
determinations and Bosnia’s allegations that Serbia was directly responsible for a genocide
committed on her whole territory since 1992 at least, sharp criticisms were leveled at the
decision. Focusing on the oral pleadings in the case, the paper aims at demonstrating the
specific obstacles met by Bosnia in her efforts to lawyer truth.
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Index terms
Mots-clés :
Cour internationale de Justice, dénonciation publique, droit international, génocide en Bosnie,
Srebrenica
Keywords:
Bosnian genocide, International Court of Justice, International Law, public denunciation,
Srebrenica
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Outline
« Srebrenica »
La consolidation des faits avant l’ouverture des audiences
« Srebrenica », aboutissement d’une politique degénocide
« La tragédie de Srebrenica », entre peurs, haines et guerre civile
L’institution internationale de l’État
« Un problème de droit international, somme toute très classique »
Attribuer un crime collectif
Épreuves d’autorité
L’emprise des lois internationales
La « sécurité juridique », rempart contre la guerre
De l’arbitrage à la dénonciation
La valeur relative de la dénonciation publique
Conclusion
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 1   Antonio Cassese, “A Judicial Massacre”, The Guardian / Comment is free, 27
février 2007, non pagi (...)
1« Un massacre judiciaire », tel est le titre d’un article d’Antonio Cassese, ancien Président du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), publié sur le site du Guardian le
27 février 20071, un jour à peine après que la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu son
arrêt dans l’Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide.
 2   Contre la « République fédérative de Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro) » selon
la terminologie o (...)
 3   Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c/ Radovan
Karadžić et Ratko Mla (...)
 4   Élisabeth Claverie, « L’État à l’épreuve du TPI. Le traitement pénal de la politique
de purificat (...)
 5   Signé en 1948 et entré en vigueur en 1951, c’est par ce traité que le néologisme
inventé par Lemk (...)
 6   Mémoire du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, 15 avril
1994, p. 3.
2Cette instance dramatique avait été introduite par la Bosnie-Herzégovine contre la Serbie2
quatorze ans plus tôt, en pleine guerre donc, une guerre dont en 1996 une Chambre du TPIY
observait que « le « nettoyage ethnique » parai[ssait] bien avoir été […] non pas une
conséquence […] mais bien le but […] »3 et dont Élisabeth Claverie a souligné « l’illisibilité
politique générale », jusque dans la série des jugements rendus par le TPIY4. En position de
demandeur, la Bosnie alléguait que la Serbie, partie défenderesse à l’instance, avait violé et
continuait de violer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Au regard de l’histoire du droit international l’affaire était exceptionnelle. Pour la première
fois en effet la CIJ, souvent appelée the World Court en anglais et qualifiée d’« organe
judiciaire principal des Nations Unies » par l’art. 92 de la Charte de l’ONU, seule juridiction
compétente pour connaître d’affaires contentieuses entre États quelle que soit la matière
juridique en cause, était priée de se prononcer sur des actes, de les qualifier et d’en imputer la
responsabilité à un État au regard des dispositions de la Convention Génocide5. La Bosnie
invitait ainsi les juges à brandir devant « toute l’humanité digne de ce nom l’étendard du droit,
toujours dressé et sous lequel tous peuvent encore s’abriter »6.
3En 2007, la Cour a jugé que la Serbie avait enfreint la Convention pour la prévention et la
punition du crime de génocide et continuait de l’enfreindre puisqu’elle n’avait cherché ni à
prévenir le génocide de Srebrenica, ni à en punir les auteurs, en premier lieu Radovan
Karadžić et Ratko Mladić, anciens président et chef d’État-major de la Republika Srpska, la
république autoproclamée des Serbes de Bosnie transformée par les Accords de Paix de
Dayton de décembre 1995 en une entité fédérée de la République de Bosnie-Herzégovine.
Comme les représentants de la Bosnie devant la Cour ainsi que d’autres juristes le
soulignèrent dans divers médias, la Serbie devenait ainsi le premier État dont on ait jugé qu’il
avait violé la Convention Génocide. A cet égard, le verdict prononcé par la Cour est sans
conteste le plus infamant jamais rendu dans l’histoire de la justice internationale. La cause
plaidée par la Bosnie, ce qu’elle « priait la Cour de dire et juger », allait bien au-delà
cependant et c’est de cette disproportion entre la cause défendue et le verdict rendu
qu’Antonio Cassese et bien d’autres s’indignèrent.
 7   Cité par Nicholas Wood, “Bosnian Muslims View Ruling as Another Defeat”, New
York Times, 27 févri (...)
 8   Contre-Mémoire,23 juillet 1997, p. 289-809.
 9   Pour ne donner qu’un seul exemple, le plus flagrant, de ces manœuvres – mais qui
contrairement à (...)
4Tandis que la Bosnie accusait le régime de Milošević d’avoir trois ans durant recherché la
destruction des non-Serbes, la Cour jugea simplement que la Serbie avait laissé faire Karadžić
et Mladić pendant quelques jours – et ne devait donc aucune réparation à la Bosnie, le
prononcé de son jugement valant à lui seul « satisfaction ». Plus précisément, alors que la
Bosnie décrivait un génocide commis sur l’ensemble de son territoire entre 1992 et 1995, la
Cour a considéré que le génocide n’était avéré que dans les massacres qui suivirent la chute
de Srebrenica le 11 juillet 1995, ce qu’avait déjà jugé le TPIY. La Bosnie alléguait également
qu’outre sa responsabilité « par omission », celle de n’avoir ni prévenu ni puni le génocide, la
Serbie portait une responsabilité véritablement active et bien plus lourde donc ; or la Cour
jugea que la preuve n’avait pas été apportée de cette responsabilité de la Serbie jusque dans le
projet et la mise en œuvre du génocide de Srebrenica. A Belgrade, sa décision fut accueillie
avec soulagement par le Premier ministre Vojislav Kostunica notamment dont la Bosnie avait
montré à l’audience des images lors d’une visite aux troupes des Serbes de Bosnie assiégeant
Sarajevo en 1994 : « [the Court] has acquitted Serbia of a serious charge that it had committed
genocide » déclara-t-il7. Enfin, la justification de la requête bosnienne était bien particulière :
il ne s’agissait pas tant de demander à la Cour de déterminer des droits litigieux, en fixant des
dommages dus par exemple, que de confirmer, par une décision insusceptible d’appel, un récit
de la guerre. C’est donc la vérité bien plus que ses droits que disait plaider la Bosnie. Et la
vérité en effet était devenue un enjeu central de cet affrontement judiciaire dont l’intensité
atteignit sans doute son maximum lorsqu’en 1997, deux ans après Srebrenica, la Serbie, niant
en bloc toutes les allégations bosniennes, consacra plus de la moitié de son Contre-Mémoire,
soit pas moins de 520 pages, à égrener les lieux de ce qu’elle présentait comme un génocide
des Serbes8. Lorsqu’en 2006, après treize ans de procédure écrite et de manœuvres
procédurales dilatoires de la Serbie9, l’affaire put enfin être plaidée sur le fond en audience
publique, c’est bien de la vérité et du mensonge, de la lutte contre le révisionnisme, que
l’agent de la Bosnie fit l’enjeu principal de ses plaidoiries :
 10   Cour internationale de Justice, Audience publique tenue le 27 février 2006,
à 10h30, au Palais de (...)
Si les images des massacres commis à l’encontre des non-Serbes de Bosnie-Herzégovine sont
encore gravées dans toutes les mémoires, des dénégations s’élèvent dès à présent,
publiquement, en Serbie : « Nous n’avons rien à voir avec tout ça, Srebrenica est un mythe,
les viols en masse une invention, nous n’étions pas les agresseurs », etc. C’est ce que
beaucoup, beaucoup en Serbie voudraient faire croire à leurs concitoyens.
La position adoptée par le défendeur dans ses écritures en l’espèce constitue d’ailleurs
l’exemple le plus parfait de ce déni. […]
Si cette cause a été portée devant la Cour, si nous continuons aujourd’hui à la défendre
devant elle, c’est pour démasquer cette grossière falsification de l’histoire, pour que lumière
soit faite10.
 11   Antonio Cassese, “A Judicial Massacre”, Ibid.
 12   Par exemple sur le site Srebrenica Genocide : “ICJ – POLITICS & JUSTICE
DON’T MIX. Our Editorial (...)
 13   Florence Hartmann, Paix et Châtiments, Op. cit., ch. 2 « Le procès Milosevic ».
 14   Voir en particulier Florence Hartmann, Ibid. Comme le rappelle Florence
Hartmann, les membres de (...)
5« Un massacre judiciaire » donc pour Antonio Cassese, c’est-à-dire un massacre des faits, un
massacre de la vérité commis par une décision tentant selon lui « to run with the hare and hunt
with the hounds »11. Sa critique a été radicalisée lorsque la Cour a été accusée de s’être
compromise en cédant à des pressions diplomatiques, occidentales notamment12, et non plus
d’avoir simplement trouvé un compromis entre les thèses des parties à l’instance. La décision
des juges de ne pas tenir la Serbie responsable du génocide à Srebrenica accréditerait ainsi la
thèse défendue par les diplomaties des grandes puissances13 : celle d’un massacre
imprévisible, dans lequel leur interlocuteur principal, Slobodan Milošević, n’était pas
impliqué, massacre qu’il n’était donc pas en leur pouvoir d’éviter, malgré la présence au sol
d’un bataillon de Casques Bleus et la disponibilité de forces aériennes sous commandement
de l’OTAN. Selon ces critiques la Cour aurait également été un peu trop sensible au souhait
de ne pas stigmatiser trop durement la Serbie et de la rapprocher de l’Union européenne. Une
décision troublante des juges étaye ces interprétations : leur refus d’accéder à la demande de
la Bosnie – certes particulièrement tardive – priant la Cour d’ordonner à la Serbie de produire
les minutes des réunions de son Conseil supérieur de Défense, minutes dans lesquelles
beaucoup pensent pouvoir trouver les preuves irréfutables de l’engagement délibéré de
Belgrade dans une politique génocidaire en Bosnie14.
 15   Démarche rapportée par Christian Chartier, ancien Chef du Service de Presse, et
Richard J. Goldst (...)
 16   Déclaration à l’AFP le 26 février 2007, reproduite sur le site suivant :
http://www.preserverlaju (...)
6Sans qu’aucun fait avéré puisse prouver ces critiques les plus radicales, de nombreux indices
attestent en tout cas une certaine politisation de la justice. Le fait par exemple que les
positions des juges sur l’arrêt rendu se distribuent le long de lignes géopolitiques assez nettes :
les juges occidentaux siégeant à la Cour ont tous voté en faveur du dispositif de l’arrêt ; les
deux juges issus du monde arabo-musulman l’ont dénoncé dans des opinions dissidentes,
estimant que la preuve avait bien été apportée de la complicité au moins de la Serbie dans le
génocide ; les deux juges issus de l’ancien bloc de l’Est se sont eux aussi séparés de la
majorité mais pour critiquer au contraire une décision trop dure envers la Serbie. Le juge
russe a même exprimé ses doutes sur la qualification de génocide des massacres de Srebrenica
et défendu une interprétation restrictive de l’obligation de prévention inscrite dans la
Convention Génocide. Or son opinion dissidente ne peut guère être lue qu’en continuité avec
ses activités diplomatiques passées : un dimanche de juillet 1995, alors Ambassadeur de la
Fédération de Russie à La Haye, il s’était rendu au TPIY pour demander au Président Cassese
de « geler » les actes d’accusation contre Radovan Karadžić et Ratko Mladić15. Ces lectures
critiques de l’arrêt, décryptant les motivations des juges en-deçà des motifs du jugement,
quoique forcément conjecturales, n’ont donc rien d’improbables. Elles s’appuient d’ailleurs
sur une grammaire de l’interprétation tout à fait classique et partagée par de nombreux
acteurs, quelle que soit leur évaluation de la décision rendue : c’est également un compromis,
mais jugé positivement, que Xavier de Roux, membre de l’équipe de défense de la Serbie
devant la Cour, a déclaré discerner dans l’arrêt : « la Cour a rendu un verdict
d’apaisement »16.
 17   Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Le Seuil, [1971], 1996, p. 281 et
s.
 18   Sur la distinction entre quaestio juris et quaestio facti et l’histoire du modèle du
syllogisme j (...)
 19   Exemples de ces analyses dans le dossier coordonné par Baudouin Dupret, « Le
droit en action et e (...)
 20   Ainsi neuf témoins seulement ont été appelés à déposer devant la Cour au cours
des plaidoiries or (...)
7A reprendre immédiatement ces critiques, quelque convaincantes qu’elles puissent paraître,
et même en vue d’évaluer précisément leur crédibilité, on risquerait, pour paraphraser Paul
Veyne, de raccourcir le questionnaire historiographique plutôt que de l’allonger17. En effet
les dénonciations d’un compromis, d’une compromission, d’un jugement inique ou d’une
erreur de droit, s’appuient toutes implicitement sur l’idéal d’une justice pure de toute
« politique », justice devant s’incliner devant la double objectivité des faits à certifier et du
droit à « appliquer », selon une distinction typiquement moderne de ces deux domaines18 : le
droit, qui est « certain », « dit que… » ; les faits sont là, leur démonstration est tâche aisée ;
presque mécaniquement, les juges n’ont guère qu’à nouer les deux. Je voudrais dans cet
article essayer d’allonger le questionnaire, c’est-à-dire d’ouvrir une possibilité de description,
en examinant certaines pratiques, celles, publiques, des plaidoiries durant les audiences à
travers lesquelles notamment le droit s’objective. Durant neuf semaines, entre février et mai
2006, les équipes juridiques chargées de défendre les parties à l’instance, et auxquelles
appartenaient certains des juristes internationalistes les plus renommés au monde, ont
développé leurs arguments. Ces audiences ne laissent pas place à des échanges rapides,
contrairement à celles tenues devant le TPIY par exemple et devant beaucoup d’autres
juridictions où les tours de parole, les jeux de questions et de réponses, les interrogatoires sont
un objet traditionnel des analyses inspirées de l’ethnométhodologie19 ; devant la CIJ
l’interaction entre les parties est toujours différée d’un tour de plaidoirie à l’autre, les témoins
sont rares et les juges avares de questions20. Elles révèlent cependant une bataille judiciaire
extrêmement âpre dont les enjeux apparaissent jusque dans les opinions dissidentes et les
déclarations individuelles jointes à l’arrêt de la Cour et dont la publication, conforme à une
tradition de common law, éclaire le « secret du délibéré ». Plutôt donc que de critiquer l’arrêt
en m’appuyant sur une objectivité du droit tenue pour acquise, je propose de déplacer le
regard et de prendre pour objet l’objectivation du droit et les conflits dont elle est l’enjeu
durant les audiences.
8Sans doute peut-on souligner la spécificité de cette affaire. Il n’est pas question ici de
dénonciation devant un « Tribunal d’opinion » comme le « Tribunal international sur les
crimes de guerre contre les femmes et l’esclavage sexuel par l’armée japonaise » étudié dans
ce numéro par Nishino Rumiko, mais d’une instance introduite par un État devant une
juridiction interétatique ancienne, permanente et officielle. L’affaire ne vise pas à faire
reconnaître la mémoire des souffrances endurées par une catégorie spécifique de victimes (les
femmes de réconfort de l’armée japonaise) et les droits de ces victimes : elle vise plutôt à faire
nommer comme un tout, comme une politique criminelle (un génocide), une multiplicité de
crimes dont les médias ont largement rapporté les occurrences mais dont dénomination et
schémas d’intelligibilité ont fait l’objet de doutes et de controverses publiques et politiques.
La cause de la Bosnie enfin ne s’appuie ni sur des documents quasi-juridiques récents (le
rapport van Boven de 1993 sur les droits des victimes de violations des droits de l’homme, le
« plan d’action » de la Conférence mondiale de Pékin sur les femmes adopté en 1995), ni sur
une critique du droit international (européocentrique et « masculin ») mais au contraire sur un
instrument juridique classique, un traité, en vigueur depuis plus de cinquante ans (la
Convention Génocide). Elle se déploie donc à l’intersection de champs mémoriel, juridique et
institutionnel très particuliers.
 21   J’évoque, faute d’avoir su trouver une expression meilleure, un conflit
« historiographique », en (...)
9Mon but, faut-il le préciser, n’est évidemment pas de justifier une décision jugée par
beaucoup scandaleuse, à commencer d’ailleurs par le Vice-président de la Cour, mais
d’éclairer la transposition d’un conflit autour de la vérité, puisque c’est ainsi qu’il est dit par
l’agent de la Bosnie dans sa déclaration liminaire, sur le terrain du droit international. Je ne
prétends pas davantage que le lieu du conflit opposant la Bosnie à la Serbie, les enjeux de leur
bataille judiciaire puis de la décision des juges soient purement et simplement juridiques et
que tout se soit joué dans la concurrence des argumentations défendues en public, par écrit
d’abord puis à l’audience – et à cet égard le rapprochement entre l’opinion dissidente du juge
russe en 2006 et sa discrète visite au TPIY en 1995 suffit à mon sens à régler la question de la
« politisation » du délibéré et de l’importance des non-dits. Mon propos est simplement
d’étudier comment un conflit « historiographique »21, plaidé dans un prétoire international
bien particulier, s’est diffracté en une multitude de conflits qui pour n’être en rien autonomes
n’en possèdent pas moins une dimension juridique irréductible. En examinant les descriptions
de Srebrenica lors des audiences je voudrais ainsi souligner comment le droit international
devient un terrain d’affrontements spécifiques, affrontements à travers lesquels est éprouvée
la solidité d’un réseau de catégories et de questions juridiques fondamentales, engageant deux
rapports, historiquement identifiables, au droit et à la justice internationale.

« Srebrenica »
10En 2006, lorsque s’ouvrent les plaidoiries devant la Cour, la Serbie ne nie plus que des
massacres aient eu lieu après la prise de Srebrenica le 11 juillet 1995 par les forces du général
Mladić. L’histoire et la portée de l’événement « Srebrenica » n’en sont pas moins au cœur des
plaidoiries des parties à l’instance. Aboutissement d’un processus génocidaire de grande
ampleur pour la Bosnie, Srebrenica, selon la Serbie, n’est qu’une vengeance folle, fruit de
haines balkaniques tragiquement attisées par une guerre civile.
La consolidation des faits avant l’ouverture des audiences
 22   C’est autour des guerres de Bosnie que la « communauté internationale »
commence à être convoquée (...)
 23   Sur la construction de connaissances publiques sur Srebrenica, voir Cultures et
Conflits, « Srebr (...)
 24   Pour plus de détail voir notamment John Hagan, Justice in the Balkans.
Prosecuting War Crimes in (...)
 25   ICTY, The Prosecutor v. Radislav Krstić, IT-98-33-T, Judgement, 2 August 2001,
§ 84.
 26   En réalité, quoiqu’en bien moins grand nombre, des femmes aussi ont été tuées,
ainsi que de très (...)
 27   La qualification de Srebrenica comme génocide est réaffirmée en janvier 2005
dans le procès de Vi (...)
11Srebrenica ayant été déclarée « zone de sécurité » sous la protection de l’ONU en 1993, sa
chute a symbolisé, après le génocide des Tutsi en 1994, le deuxième grand échec de la
« communauté internationale »22 après 1989. Elle a ainsi fait l’objet de plusieurs rapports
publics entre 1996 et 200223. Cependant c’est essentiellement à travers les enquêtes du TPIY,
dirigées par Jean-René Ruez alors que Mladić niait tout massacre, que se sont construites des
connaissances publiques sur les exécutions, leur déroulement et leur ampleur24. En août
2001, pour la première fois, le Tribunal a qualifié Srebrenica de génocide dans le procès de
Radislav Krstić, général bosno-serbe. La Chambre de première instance estime alors que les
forces des Serbes de Bosnie ont exécuté entre 7000 et 8000 musulmans de Bosnie25.
Contestée par la Défense au motif notamment que n’ont été systématiquement tués que les
hommes en âge de porter les armes, les femmes, vieillards et enfants étant déportés vers le
territoire contrôlé par l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine26, la qualification de
génocide est confirmée par la Chambre d’appel du Tribunal au printemps 2004. Déclaré
coupable de génocide en première instance, mais en appel l’accusation est réduite à une peine
de complicité de génocide27 : un complice a été désigné au terme d’un procès, pas les auteurs
principaux.
 28   Cité dans Michèle Picard, Asta Zinbo, « Sur le Rapport du gouvernement de la
Republika Srpska », (...)
 29   Traduction française partielle de la déclaration adoptée par le Conseil des
ministres lue par le (...)
 30   Le film est diffusé lors de la troisième audience, le 28 février 2006 après-midi. Cf.
CR 2006/4, (...)
12Lorsque débutent les plaidoiries orales devant la CIJ en février 2006 « Srebrenica » a donc
déjà été qualifié de génocide par le TPIY. La Serbie comme la Republika Srpska ont cessé de
nier en bloc la réalité des tueries. En 2004, le gouvernement de la Republika Srpska a ainsi
accepté le rapport d’une Commission dont la préparation avait été ordonnée par la Chambre
des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine, juridiction créée par les Accords de Dayton et
composée de huit juges étrangers et de six juges bosniens. Ce rapport « indique sans aucun
doute possible que des crimes de grande envergure ont été commis dans la région de
Srebrenica en juillet 1995, en violation grave du droit humanitaire international »28,
qualification plutôt vague. En juin 2005, cinq ans après la chute de Milošević, les images de
l’exécution de six jeunes musulmans par des « Scorpions », unité spéciale venue de Belgrade
vers juin 1995, furent diffusées sur une chaîne de télévision serbe ; quelques jours plus tard le
Conseil des ministres serbe condamnait les massacres de Srebrenica et le « régime
antidémocratique de terreur et de mort » que représentaient les tueurs29. Devant la CIJ la
Bosnie rediffusera ce film en rappelant la déclaration du Conseil des ministres30.
 31   Voir les procès de Goran Jelisić, gardien de camp qui se faisait appeler l’Adolf
serbe, Milomir S (...)
13Cependant, les individus accusés de génocide ailleurs qu’à Srebrenica, puis jugés, ont tous
été acquittés de ce crime. A chaque fois, les juges du Tribunal ont estimé que la preuve
n’avait pas été apportée de l’intention spéciale, du dolus specialis qui distingue le génocide du
« simple » crime contre l’humanité : la volonté de détruire, en tout ou en partie, un groupe en
tant que tel31. Ainsi, à l’ouverture des audiences devant la CIJ en 2006, Radovan Karadžić et
Ratko Mladić, accusés de génocide sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine,
sont toujours en fuite et n’ont pu être jugés, les procès par contumace étant impossibles
devant le TPIY. En outre, aucun des accusés déjà jugés devant le TPIY, tous Serbes de
Bosnie, n’appartient officiellement aux structures de la République de Serbie : leurs actes ne
peuvent donc lui être automatiquement attribués. Lorsque la Bosnie se présente devant la CIJ
pour plaider sa cause, quatre Serbes de Serbie il est vrai sont poursuivis par le TPIY pour des
faits liés à Srebrenica : Jovica Stanišić et Frenko Simatović, anciens directeurs de la Sécurité
de l’État et des opérations spéciales au ministère de l’Intérieur à Belgrade ; le général
Momčilo Perišić, ancien chef d’État-major ; Slobodan Milošević. Les trois premiers
cependant ne sont poursuivis que pour crimes contre l’humanité ; transférés à La Haye en
2003 et 2005, les procédures à leur encontre ont alors à peine commencé. Slobodan Milošević
est accusé de génocide à Srebrenica et sur l’ensemble du territoire bosnien. Mais son procès
ne se terminera jamais.
 32   CR 2006/3, 28 février 2006, p. 23. L’Agent de la Bosnie évoque « 7000 à 8000
personnes » : il rep (...)
14L’arrêt Krstić est donc la principale décision judiciaire définitive pouvant servir d’appui à
la cause de la Bosnie devant la Cour internationale de Justice. Au début des audiences, l’agent
de la Bosnie présente ainsi le meurtre de « 7000 à 8000 personnes » et la déportation de
milliers d’autres comme des faits notoires qui n’ont plus besoin d’être prouvés32.
« Srebrenica », aboutissement d’une politique degénocide
 33   “The events of the nine days from July 10-19 1995 in Srebrenica defy description
in their horror (...)
15L’équipe de juristes qui plaide la cause de la Bosnie devant la CIJ peut donc s’appuyer sur
certains faits généralement reconnus. Ils sont encore très insuffisants cependant pour faire
imputer à la Serbie, et non aux Serbes de Bosnie, la responsabilité d’un génocide commis sur
l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine depuis le début des années 1990. Il lui faut
donc effectuer un travail de mise en série, de recontextualisation et de totalisation des faits
selon des principes différents de ceux auxquels se réfèrent les juges du TPIY : dans le procès
du général Krstić en effet, c’est du rôle singulier de l’accusé dans une séquence courte de neuf
jours, du 10 au 19 juillet 1995, que la Chambre de première instance fait explicitement l’objet
de son jugement33.
 34   “Madam President, Members of the Court, the Srebrenica massacre is the best
known and maybe by no (...)
 35   C’est lors de cette première description de la série temporelle longue qui aboutit
aux massacres (...)
 36   CR 2006/23, 20 mars 2006.
16C’est bien une nouvelle description de Srebrenica que propose la Bosnie-Herzégovine aux
juges de la CIJ, inscrivant les neufs jours analysés par le TPIY dans une série temporelle plus
longue34. « Srebrenica », insiste un avocat de la Bosnie, ne prend sens que dans le cadre du
plan de créer une Grande Serbie, plan conçu à Belgrade au plus tard au printemps 1991 et
visant à faire acquérir aux Serbes une bande de territoire de 50 km à l’ouest de la Drina, la
rivière marquant la frontière entre Serbie et Bosnie. Les avocats de la Bosnie consacrent
plusieurs audiences à montrer l’existence d’une pattern, d’un schéma d’action dont la
répétition est reconnaissable durant les trois années du nettoyage ethnique de la Bosnie
orientale, de 1992 à 1995 : dans les communes de l’est de la Bosnie, les Serbes étaient armés
en secret tandis que les membres des autres nationalités devaient rendre leurs armes ; avec des
militaires et paramilitaires venus de Belgrade, des Serbes de Bosnie procédaient ensuite au
« nettoyage ethnique ». Trois traits caractérisent donc la description du contexte de
Srebrenica : les neufs jours de juillet 1995 ne sont que l’aboutissement d’un processus de
« nettoyage ethnique » génocidaire qui, loin d’être spontané, est l’effet d’un plan, d’une
stratégie mise en œuvre avec l’appui de forces spéciales du ministère de l’Intérieur serbe35.
La volonté politique qui y a présidé s’est formée à Belgrade en 1991 au plus tard. Ces thèses
sont corroborées par le témoignage du chef d’État-major des armées britanniques, le général
sir Richard Dannat, qui a servi en Bosnie et a déjà témoigné comme expert militaire pour le
Procureur du TPIY dans le procès Krstić36.
17Cette description du nettoyage ethnique autour des notions de schéma et de plan, de calcul
donc, doit permettre, soutient la Bosnie, de reconstruire et d’identifier, dispersée dans une
multiplicité d’actes, une intention spécifiquement génocidaire. Thomas Franck, professeur de
droit international à l’Université de New York, membre de l’équipe qui plaide devant la CIJ la
cause de la Bosnie-Herzégovine, invite ainsi les juges à une herméneutique
« panoramique » de l’intention, une intention qui est une politique :
 37   CR 2006/6, 2 mars 2006, p. 34.
Bien entendu, les tribunaux pénaux n’ont eu à se prononcer que sur les actes commis par des
personnes accusées à titre individuel. Votre Cour doit, elle, examiner l’ensemble des actes
commis par un grand nombre de personnes ; et depuis ce point de vue panoramique
émergeront les grands schémas [patterns]appliqués en Bosnie, lesquels, ceci apparaîtra
clairement, ne peuvent pas être rejetés au motif qu’il s’agirait d’atrocités isolées, commises
contre des personnes choisies au hasard par quelques individus agissant aveuglément mais
doivent, bien au contraire, être considérés comme une politique concertée de génocide37.
18Au moment de la conclure, Thomas Franck introduit dans sa plaidoirie un nouvel objet de
description : les réactions qu’elle suscite, les plaideurs ayant diffusé de nombreux films
devant la Cour, ce qui dans ce prétoire est une innovation. L’herméneutique de l’intention
génocidaire passe donc par l’enveloppement dans la description de son énonciateur et d’un
destinataire quelconque (« un esprit normal ») ; c’est cet enveloppement qui doit permettre de
prendre la mesure des crimes et de les appeler par leur nom. L’intention génocidaire ne doit
pas être recherchée dans une âme coupable, dans la mens rea du sujet individuel institué par le
droit pénal, ni même dans celles de plusieurs sujets : elle doit être inférée à partir de la mise
en série de différents actes :
 38   CR 2006/7, 2 mars 2006, p. 55-56. Italiques dans le texte original.
Examinons un instant ce schéma d’horreur [pattern of horror] qui permet de conclure à
l’existence d’un génocide délibéré et planifié. Autrement dit, arrêtons-nous un instant pour
examiner encore une fois la question des conclusions à en tirer. La réaction que suscite
l’examen de tous ces faits est un mélange d’horreur et d’ennui.
D’abord, une réaction d’horreur, en raison de la nature des faits. […]
Mais, malgré soi, l’ennui aussi car ces atrocités étaient toujours les mêmes, toujours et encore
les mêmes, partout. […]
Horrible et ennuyeuse, donc, cette répétition d’actes d’une cruauté suprême et d’une banalité
paralysante. A quoi atteint-elle ? Que prouve-t-elle, en droit  ?
La réponse n’est que trop évidente. Elle prouve qu’il y avait un schéma [pattern]. […] Un
esprit normal conclut nécessairement que cette répétition inlassable, dans le même ordre,
selon les mêmes modalités, des meurtres, des actes de torture et des situations de nature à
rendre la vie impossible, l’esprit normal conclut que tout cela ne pouvait pas relever d’un
sadisme simple et aveugle. Il ne s’agissait pas d’un étonnant concours de circonstances
atroces et diaboliques.
Non. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous vous avons infligé l’exposé de tous
ces faits et événements monstrueux, effroyables – et nous sommes conscients du malaise que
vous éprouvez – car vous conclurez inévitablement, vous aussi, à l’existence d’un schéma
[pattern]. Et s’il y avait un schéma, c’est qu’il y avait un plan. Et l’exécution de ce plan était
nécessairement intentionnelle38.
« La tragédie de Srebrenica », entre peurs, haines et
guerre civile
19Durant les audiences, les représentants de la Serbie eux aussi introduisent parfois une
description de l’effet de leurs propres plaidoiries. Leur but, naturellement, est opposé à celui
de la Bosnie et cette description ne porte d’ailleurs que sur l’énonciateur, jamais sur le
destinataire : il ne s’agit pas de sensibiliser mais de justifier une position de défenseur. Ainsi
Xavier de Roux :
 39   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 39. Italiques dans le texte original.
Madame le président, Messieurs les juges, la discussion sur la qualification juridique de cet
événement tragique m’est particulièrement pénible. Elle est difficile car Srebrenica est une
tragédie et la discussion sur la qualification juridique peut sembler extrêmement cynique.
Cependant, nous sommes dans un procès devant votre Cour, devant la plus haute juridiction,
dans un procès où un État, la Serbie-et-Monténégro, est accusé de génocide. Il m’appartient
de vous convaincre que cet État, que l’État de Serbie-et-Monténégro, n’avait aucune intention
génocidaire quelconque dans l’affaire de Srebrenica39.
20Lorsque s’ouvre la procédure orale en effet, la Serbie a changé de stratégie judiciaire :
après avoir prétendu durant la procédure écrite que le seul génocide perpétré avait été commis
contre les Serbes, elle déclare désormais reconnaître les souffrances des victimes bosniaques
et croates. Elle nie cependant que « la tragédie de Srebrenica », et a fortiori les camps, les
déportations, les meurtres, les tortures et l’ensemble du nettoyage ethnique, puissent être
qualifiés de génocide.
 40   Ainsi s’exprime l’Agent de la Serbie : « Madame le président, Messieurs les
juges, la Serbie-et-M (...)
 41   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 26 et 29. Cette qualification est donc totalement
opposée à la juris (...)
 42   Élisabeth Claverie, « L’État à l’épreuve du TPIY. Le traitement pénal de la
politique de purifica (...)
 43   “And all three parties [i.e. Serbs, Croats and Bosniaks] were guilty of war crimes
to one degree (...)
 44   Sur le conflit qui vers 1992 a opposé Lord Owen à Cherif Bassiouni, un des
principaux artisans de (...)
 45   Ian Brownlie répète pas moins de trois fois en une seule audience le même
passage extrait d’un li (...)
 46   “[…] when the Bosnian army in the region was defeated the results were in local
terms the taking (...)
 47   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 27.
 48   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 11.
 49   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 43.
 50   CR 2006/39, 2 mai 2006, p. 59-61 et CR 2006/40, 3 mai 2006, p. 10-28.
21En outre, la description de la guerre par la Serbie est totalement différente de celle
défendue par la Bosnie. Là où la Bosnie s’attache à reconstruire une politique et un processus
de génocide, la Serbie allègue un embrouillamini indescriptible, moins par son horreur que
par sa confusion40. Le conflit armé, « bien plus compliqué que le requérant ne le présente »,
était « une guerre civile et interne, dont le but était le contrôle des territoires » et non « la
tentative du peuple serbe ou de l’État serbe de détruire un autre groupe ethnique, national ou
religieux »41. Les thèses de certains diplomates occidentaux que la Cour a été accusée de
valider dans son verdict sont reprises par la Serbie qui réintroduit ainsi au cœur des plaidoiries
les atermoiements de la « communauté internationale » lorsqu’il fallut qualifier la guerre et
désigner un agresseur42. Appelé à témoigner par la Serbie, le général sir Michael Rose,
commandant de la FORPRONU de janvier 1994 à janvier 1995, développera ces théories de
manière extrême, accusant Izetbegović, disculpant Milošević tout en précisant que « les
Serbes étaient les agresseurs »43. Surtout, alors que Milošević est mort deux jours plus tôt,
c’est essentiellement sur les déclarations de Lord Owen, ancien co-président de la Conférence
internationale pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et bête noire de tous les défenseurs d’une chaîne
d’accusation assez longue pour poursuivre les responsables jusqu’au sommet de l’État
serbe44, que s’appuie Ian Brownlie, professeur de droit international à Oxford, lorsqu’il
affirme que les Serbes de Bosnie agissaient indépendamment de Belgrade et que l’ancien
Président de la Serbie était opposé au siège de Srebrenica, craignant un « bain de sang » si la
ville était prise45. I. Brownlie situe ainsi Srebrenica dans le contexte des affrontements entre
les armées de la Republika Srpska et de la République de Bosnie-Herzégovine, les
Bosniaques utilisant la « zone de sécurité » de l’ONU, qui devait être démilitarisée, pour s’y
retrancher et lancer des attaques contre les villages serbes alentour et l’armée de la Republika
Srpska. Sans prétendre que les Serbes ne faisaient que se défendre, il insiste sur les attaques
bosniaques ; « Srebrenica », conclut-il, est une vengeance locale46. « [P]robablement le crime
le plus épouvantable commis durant cette guerre »47, Srebrenica n’est pas un génocide,
« notion ambivalente utilisée à la fois dans le monde juridique et dans le monde politique »48,
mais un massacre de prisonniers de guerre49 ajoute Xavier de Roux. Quant aux unités
spéciales venues de Belgrade, elles étaient composées de volontaires prétend la Serbie : elles
n’étaient donc pas sous le contrôle de l’armée ou de la police serbes et leurs crimes ne
peuvent lui être imputés50.
 51   Slavoj Žižek, Fragile Absolu ou Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être
défendu ?, Paris, Fla (...)
 52   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 43.
 53   CR 2006/16, 13 mars 2006, p. 49.
 54   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 28-29. L’avocat de la Serbie reprend un thème
également développé pa (...)
 55   Questions posées par une avocate de la Serbie au docteur András Riedlmayer :
« Admettez-vous qu’e (...)
22Dans cette guerre présentée comme typiquement balkanique – et « les Balkans » note
Slavoj Žižek sont à bien des égards le spectre qui hante l’Europe de la raison et de la paix51
–, tous les bourreaux sont aussi des victimes, ou des victimes en puissance au moins, victimes
d’une violence déchaînée par la peur, une peur suscitée chez les Serbes de Bosnie par le
souvenir des crimes de l’État oustacha et de la division SS Handžar52. Les thèmes autour
desquels s’organise la description des événements par la Serbie sont donc à l’opposé de ceux
qui informent les thèses de la Bosnie : peur, vengeance et même la « conscience politique
spécifique »53, différente de celle des Serbes de Serbie, dont sont crédités les Serbes de
Bosnie, tout semble affects et culture exotique là où la Bosnie parle de stratégie calculée, de
mobilisation et de structures organisées selon un plan ourdi à Belgrade. Si la Serbie évoque
parfois, rarement, stratégies et plans, ce n’est pas pour prouver quoi que ce soit aux juges mais
pour insinuer le doute dans leur esprit. Xavier de Roux déclare ainsi que les plaidoiries de la
Bosnie-Herzégovine ne font que prolonger la propagande d’Alija Izetbegović, rappelant que
celui-ci avait « engagé une agence américaine de relations publiques réputée, Rudder & Finn
Global Public Affairs, qui a eu pour tâche de convaincre l’opinion publique internationale que
les musulmans de Bosnie-Herzégovine étaient justement victimes d’un génocide […]
[réussissant ainsi à] très vite faire oublier [se]s propres buts de guerre »54. Lorsque la Bosnie
fait venir, en qualité de témoin-expert, un spécialiste de la destruction de l’héritage culturel
bosniaque, la Serbie présente sa déposition comme un plaidoyer partisan, voire un élément de
la propagande de Rudder & Finn55.

L’institution internationale de l’État


 56   Yan Thomas, « L’institution civile de la cité », Le Débat, n° 74, 1993, p. 23-45.
23Le conflit des descriptions de « Srebrenica » n’engage pas de simples questions de faits et
de morale. Devant les juges en effet, chaque partie produit une description qui se veut
juridiquement pertinente. Cependant, le travail des plaideurs ne se résume pas à écrire
l’histoire en référence à une norme juridique donnée ; il est aussi de définir cette norme selon
laquelle les faits pourront être juridiquement évalués. Les avocats de la Bosnie-Herzégovine
ont du ainsi affronter un autre problème de taille : déterminer les critères juridiques
permettant d’attribuer à un État la responsabilité d’actes commis par des individus. A travers
les controverses développées à l’audience se joue ainsi l’institution internationale de l’État, au
sens par exemple où Yan Thomas a analysé « l’institution civile de la cité »56.
« Un problème de droit international, somme toute très
classique »
 57   Cour internationale de Justice, Application de la Convention pour la prévention et
la répression (...)
24Pourquoi introduire une instance contre la Serbie pour des crimes dont les individus
responsables sont jugés, ou doivent l’être, par le TPIY ? Pourquoi, plutôt que de se désister,
maintenir une plainte alors que le régime de Milošević a été renversé ? Et comment un État
pourrait-il être responsable de crimes, évidemment commis par des personnes en chair et en
os, des « personnes naturelles » dit-on en common law ? Ne serait-ce pas revenir à l’idée
honnie de responsabilité collective ? De telles questions ne sont pas la marque d’une
ignorance des subtilités du droit international, loin de là, puisqu’elles ont été débattues à la
CIJ. En 1996 ainsi, à l’occasion d’une décision de procédure, deux juges ont voulu « exprimer
[leur] inquiétude »57 à l’idée qu’un État puisse être tenu responsable d’un génocide. Du début
jusqu’à la fin de la procédure, la Serbie n’a cessé de clamer que la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide ne prévoyait de responsabilité étatique qu’en
matière de prévention et de répression justement et qu’un État ne saurait en aucun cas être
tenu responsable d’un crime, forcément le fait, selon elle, d’individus.
25A l’audience la Bosnie se défend de vouloir mettre en cause la responsabilité collective
d’un peuple et de chacun de ses citoyens. L’agent de la Bosnie le déclare dès son discours
d’ouverture :
 58   CR 2006/2, 27 février 2006, p. 17.
Madam President, this case is not aimed at the individual citizens of Serbia and Montenegro,
let alone at the individual citizens, my fellow Bosnian citizens, in Republika Srpska. This case
is about State responsibility and seeks to establish the responsibilities of a State which,
through its leadership, through its organs, committed the most brutal violations of one of the
most sacred instruments of international law58.
 59   C’est sur cette question par exemple, traitée par Thomas Franck, que se conclut le
premier tour d (...)
26La Bosnie revient sur la question à plusieurs reprises, cherchant à dissocier le couple
juridico-politique État-nation pour ne viser que l’État comme personne juridique59. Alain
Pellet, professeur de droit international à l’Université Paris X-Nanterre et à l’Institut d’Etudes
Politiques de Paris, tente ensuite de purifier la question pour la formuler en termes strictement
juridiques :
Madame la présidente, il ne me semble pas superflu de rappeler une nouvelle fois non pas
tellement les enjeux politiques, moraux et humains de l’affaire que vous examinez – il me
semble que vous en êtes pleinement consciente : les plaidoiries de mes collègues et amis y ont
insisté et les images terrifiantes que nous avons vues sont plus éloquentes pour montrer
l’indicible que nos pauvres mots – mais de rappeler la question juridique, la seule, qui est
posée à la Cour, même si, bien sûr, elle est liée à ce terrible contexte.
 60   CR 2006/8, 3 mars 2006, p. 11.
Cette question est la suivante : la Serbie-et-Monténégro […] est-elle, en tant qu’État,
responsable, d’une manière ou d’une autre (et c’est un point sur lequel je reviendrai), du
génocide perpétré contre les populations non serbes de la Bosnie-Herzégovine ? N’était son
contexte abominable – mais comment l’oublier ? – c’est donc un problème de droit
international, somme toute très classique, qui vous est posé60.
 61   Déposition du général sir Richard Dannat, CR 2006/23, 20 mars 2006 ; déposition
du général sir Mi (...)
27Si « l’État » est saisi devant la Cour comme personne de droit international, comment cette
persona ficta peut-elle « vouloir » et « agir » ? De quels actes, commis par quelles « personnes
naturelles » peut-elle et doit-elle « répondre », et selon quelles règles ? Ce sont les questions
que posent le professeur Pellet lorsqu’il demande : « La Serbie-et-Monténégro […] est-elle,
en tant qu’État, responsable, d’une manière ou d’une autre, […] du génocide […] ? ». « D’une
manière ou d’une autre », c’est un point sur lequel le plaideur annonce qu’il reviendra, et
plusieurs membres de l’équipe juridique défendant la Bosnie le traiteront plusieurs jours
durant, car il est capital en effet. Lorsque les deux généraux britanniques qui ont servi en
Bosnie témoignent devant la Cour, les questions qui leur sont posées, par les parties puis par
les juges – et ce sont presque les seules questions posées par les juges durant toutes les
audiences – portent sur le degré de contrôle que Slobodan Milošević exerçait, selon eux, sur la
Republika Srpska61.
Attribuer un crime collectif
28Faute de documents officiels qui puissent l’attester de manière irréfutable, comme les
minutes des réunions du Conseil suprême de défense dont la Cour n’a pas exigé qu’elles
soient produites, la Bosnie peine à prouver aux juges que la Serbie a participé à la perpétration
du génocide à travers ses « organes de jure », ceux qui sont soumis à son autorité hiérarchique
– l’armée, les services secrets et la police serbes – et dont l’action engagerait
automatiquement la responsabilité de l’État. Elle défend donc, « subsidiairement », une
deuxième thèse : la Serbie a participé au génocide à travers des groupes qui, parce qu’elle les
contrôlait, doivent être considérés comme ses « organes de facto », c’est-à-dire à travers les
institutions de la Republika Srpska et les « paramilitaires » serbes dont l’indépendance n’était
que de façade. C’est cette thèse subsidiaire que plaide le professeur Pellet :
 62   CR 2006/10, 6 mars 2006, p. 37.
Je vais […] montrer que, même si vous ne considériez pas que la responsabilité du défendeur
est engagée par l’action de ses organes [de jure], elle n’en demeurerait pas moins établie du
fait qu’il a dirigé et contrôlé le comportement génocidaire des personnes, groupes et entités
qui l’ont commis62.
 63   Ibid., p. 40.
29Se pose dès lors une question : celle « de savoir jusqu’à quel degré le contrôle en question
doit s’exercer »63. Alain Pellet lie cette question – qui posée de manière générale concerne
l’attribution à un État des actes commis par des personnes et groupes qu’il contrôle, et ce
indépendamment de la nature de ces actes – à la spécificité des actes dont il est question en
l’espèce, des actes de génocide :
[…] je le reconnais bien volontiers, nous n’avons pas établi que chacun des actes par lesquels
le génocide s’est manifesté avait été ordonné à Belgrade – même si certains l’ont
indiscutablement été comme en ce qui concerne l’établissement d’une zone exclusivement
serbe de 50 kilomètres au-delà de la Drina ou les monstrueux massacres de Srebrenica. Ce
serait d’ailleurs une preuve impossible, une probatio diabolica. D’abord, il y a trop d’actes
génocidaires, trop de meurtres, de viols, de mauvais traitements systématiques, constituant
autant d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des populations non serbes des
territoires contrôlés par les Serbes. Ensuite et surtout, cette preuve, je le crois très
profondément, ne doit pas être exigée en l’espèce compte tenu des caractéristiques si
particulières du crime de génocide.
Dès lors en effet que le génocide n’est pas une addition de violations de droit international
détachables les unes des autres, mais […] un ensemble (l’anglais le dit mieux […] : un ou une
pattern) de comportements contraires au droit international inspirés par une intention unique,
on ne peut pas – et on ne doit pas – se focaliser sur chacun de ces cas particuliers. De même
l’élément subjectif du génocide, le mens rea, c’est-à-dire l’intention génocidaire, ne peut être
que global. De même aussi, l’attribution de ces actes et de cette intention ne peut, elle aussi,
que reposer sur des critères qui ne peuvent être que globaux.
 64   Ibid., p. 46-47.
Il me semble d’autant plus vain d’essayer de décomposer le génocide en vue de procéder à
l’opération d’attribution en une multitude d’actes que, en l’espèce, l’épuration ethnique a été
une entreprise commune : pensée et initiée à Belgrade, elle a été menée à bien – « à mal »
serait sûrement plus exact… – conjointement par le Gouvernement de la [Serbie] et par ses
auxiliaires […] en Republika Srpska64.
 65   Cf. International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, The Prosecutor v.
Duško Tadić, IT- (...)
30On le voit, l’argumentation d’Alain Pellet invoque la spécificité du génocide, partagée à
vrai dire avec les crimes contre l’humanité : celle d’être une politique criminelle, une
« entreprise commune » dit-il en reprenant implicitement une catégorie issue des procès de
l’après-guerre et développée dans la jurisprudence du TPIY pour caractériser des crimes
collectifs65. A intention globale, attestée dans une pattern, critères globaux d’attribution de la
responsabilité à l’État. Ian Bronwlie va tenter, avec succès, de contrer cette argumentation en
arguant que la preuve d’un « contrôle global » de Belgrade sur les auteurs des crimes ne
permet pas, en droit, d’attribuer la responsabilité de leurs actes criminels à la Serbie. Le
contrôle exercé par l’État serbe sur les institutions de la Republika Srpska et les paramilitaires
doit être, dit-il, « effectif » pour que puisse être engagée la responsabilité du Défendeur. A ce
point, crucial, des plaidoiries se joue une épreuve d’autorité : celle de la CIJ face au TPIY.
Épreuves d’autorité
 66   International Court of Justice, Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Ni (...)
 67   International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, The Prosecutor v.
Duško Tadić, IT-94-1 (...)
 68   Pour une analyse de la construction de l’arrêt Tadić précitéje me permets de
renvoyer à mon texte (...)
31Le critère de « contrôle effectif » en effet a été formulé par la Cour vingt ans plus tôt dans
son arrêt Nicaragua. Au début des années 1980, le Nicaragua avait accusé les Etats-Unis de
soutenir la rébellion des Contras ; il les accusait aussi de porter la responsabilité des violations
du droit humanitaire (tortures, viols, meurtres de civils) que ces paramilitaires avaient
commises. La Cour, faisant droit à la plupart des demandes du Nicaragua, avait néanmoins
refusé d’imputer aux Etats-Unis les crimes commis par les Contras : pour qu’elle puisse le
faire, il aurait fallu, disait-elle, que le Nicaragua apporte la preuve que les Etats-Unis
exerçaient sur eux un « contrôle effectif »66. En 1999, la Chambre d’appel du TPIY, présidée
par Antonio Cassese, consacrant une vingtaine de pages à critiquer l’arrêt Nicaragua, avait
statué que la preuve d’un « contrôle global » suffisait à attribuer à un État la responsabilité des
« infractions graves aux Conventions de Genève » commises par des milices67. Tandis que
certains saluèrent dans la décision du TPIY un « progrès » du droit international dans le sens
d’une exigence renforcée d’accountability, d’autres au contraire trouvèrent bien insolente
cette critique de la CIJ, « organe judiciaire principal des Nations unies », par un simple
tribunal ad hoc, nouveau venu dans le paysage de la justice internationale et spécialisé qui
plus est en droit international pénal alors que la compétence matérielle de la CIJ est réputée
« générale »68.
 69   Un exemple entre mille : « Professor Pellet has argued strenuously in favour of a
low standard of (...)
 70   CR 2006/31, 18 avril 2006, p. 39.
 71   Voir notamment CR 2006/8, 3 mars 2006, p. 34 et s.(Pellet) ; CR 2006/10, 6 mars
2006, p. 46 et s. (...)
32Le lecteur peut penser que cette histoire de « contrôle global » ou de « contrôle effectif »
n’est pas très claire. C’est qu’en effet elle ne l’est pas. Sur quoi devrait porter le contrôle : sur
les criminels ou sur les crimes commis ? Aux plaideurs comme aux juges, le droit n’est pas
donné dans une évidence ; il apparaît, ici plus qu’ailleurs, dans les discours qu’ils tiennent à
son sujet, forcément contradictoires lorsque des plaideurs s’opposent, voire confus parfois.
Même la lecture de l’arrêt Nicaragua comme requérant la preuve d’un « contrôle effectif »
n’est qu’une interprétation : celle de la majorité seulement des juges de la Chambre d’appel
du TPIY lorsqu’ils se sont penchés sur cet arrêt. Les acteurs ainsi peinent à interpréter la
jurisprudence, à se faire comprendre et même à se comprendre les uns les autres. Ils n’ont
d’ailleurs pas forcément intérêt à la clarté : tandis que la Bosnie cherche à éclaircir ses thèses
aux yeux des juges, la Serbie les reprend et les déforme pour les obscurcir69. Pour répondre
aux plaidoiries de Ian Brownlie défendant le critère de contrôle effectif, Alain Pellet va
ensuite reformuler sa position en invoquant un « contrôle global effectif »70. Alors que
l’avocat de la Bosnie revient lors de plusieurs audiences sur son argumentation fondée sur une
élucidation du concept de génocide, crime collectif irréductible à une somme de meurtres,
déportations, viols et tortures, Ian Brownlie cadre le débat comme un choix à effectuer entre
les critères de « contrôle global » et de « contrôle effectif », indépendamment de la nature
d’actes dont la Serbie nie de toute façon qu’ils puissent être qualifiés de génocide. S’il discute
les deux critères pour eux-mêmes, c’est donc aussi d’un choix entre la jurisprudence de la CIJ
et celle du TPIY dont il est question71.
 72   Cour internationale de Justice, Affaire relative à l’Application de la Convention
pour la prévent (...)
 73   Ibid.,§ 406.
33La majorité de la Cour a justifié sa décision de ne pas tenir la Serbie responsable du
génocide de Srebrenica en reprenant la question posée par Ian Brownlie : sans considération
de la nature des actes en cause, faut-il appliquer le critère de « contrôle effectif » ou celui de
« contrôle global » ? « C’est donc à la lumière de sa jurisprudence établie »72 que la Cour a
évalué les preuves fournies par la Bosnie, preuves qui de l’aveu même d’Alain Pellet
n’attestaient pas de « contrôle effectif ». Du critère de « contrôle global », elle a remarqué
qu’il « présente le défaut majeur d’étendre le champ de la responsabilité des États bien au-
delà du principe fondamental qui gouverne le droit international de la responsabilité, à savoir
qu’un État n’est responsable que de son propre comportement, c’est-à-dire de celui des
personnes qui, à quelque titre que ce soit, agissent en son nom » et qu’il est « inadapté, car il
distend trop, jusqu’à le rompre presque, le lien qui doit exister entre le comportement des
organes de l’État et la responsabilité internationale de ce dernier »73.

L’emprise des lois internationales


 74   Mireille Delmas-Marty, Études juridiques comparatives et internationalisation du
droit, Paris, Co (...)
34« On sait en effet que la Cour internationale de Justice instituée par la Charte des Nations
Unies n’est qu’une cour d’arbitrage, soumise au bon vouloir des États »74, symbole même
d’un modèle interétatique, certainement pas supraétatique, de production du droit, écrit
Mireille Delmas-Marty, visant implicitement le fait que la compétence de la CIJ repose sur le
consentement des États. Enoncé quatre ans avant que la Cour rende son arrêt dans l’affaire du
Génocide, ce jugement semble rendre la décision prévisible. Ce serait cependant s’interdire de
distinguer différents types de recours, différentes manières de construire une affaire,
différentes pratiques à travers lesquelles le droit international se forme que de vouloir rendre
raison de l’arrêt de 2007 par la seule faiblesse institutionnelle de la CIJ.
La « sécurité juridique », rempart contre la guerre
 75   Sur la constitution du droit international comme spécialité professionnelle, voir
Martti Koskenni (...)
 76   Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France.
1977-1978, « Leçon (...)
 77   Ibid., p. 310.
 78   Ligue internationale et permanente de la paix, Première Assemblée générale. 8
juin 1868, Paris, G (...)
 79   La Ligue est créée à l’issue d’un Congrès international de la paix, « assises de la
démocratie eu (...)
 80   Charles Lemonnier, La Vérité sur le Congrès de Genève, Op. cit., p. 7. Lemonnier
imagine des État (...)
35Le droit international n’est certes pas apparu ex nihilo dans la deuxième moitié du dix-
neuvième siècle mais il s’est alors considérablement transformé. Il devient l’objet d’un
enseignement entièrement détaché de celui de la philosophie75. De plus en plus, il se forme et
transforme par l’adoption de grands traités négociés lors de conférences où les diplomates
sont accompagnés de conseillers juridiques dont les fonctions commencent à
s’institutionnaliser. Il est défendu comme un instrument de prévention de la guerre par des
réseaux extrêmement hétérogènes, composés de juristes, d’économistes, de diplomates, de
parlementaires, de religieux, d’élus locaux, de notables et d’ouvriers, de pacifistes de tous
bords. La cause du droit prend alors une ampleur impressionnante, tant par son objet que par
l’étendue et la diversité des acteurs qu’elle mobilise. Alors que l’horizon d’attente de la
monarchie universelle, du dernier empire, s’est évanoui avec la paix de Westphalie, se dessine
une nouvelle eschatologie politique : celle d’une paix universelle sous le règne du droit des
gens76. Elle s’appuie sur une critique, plus ou moins radicale, du calcul des forces au
fondement de l’équilibre européen, cette diplomatie apparue vers la fin de la Guerre de Trente
Ans et dont le principe fondamental était « une physique des États et non plus un droit des
souverains »77. « Nous voulons que […] ce soit enfin le droit et non plus la force qui décide,
non pas seulement du sort des individus et des villes, mais du sort des nations »78, déclare
Frédéric Passy, fondateur, en 1867, après qu’une guerre a manqué d’éclater en avril entre la
France et la Prusse qui se disputaient le Luxembourg, d’une Ligue internationale et
permanente de la paix qui prend pour devise « la paix par le droit ». Contrairement à la Ligue
internationale de la paix et de la liberté de Lemonnier, créée la même année à Genève à
l’issue d’un Congrès international de la paix79 et qui milite pour « la paix par la liberté »,
tenant « pour impossible de créer un droit international sans renouveler les institutions
politiques européennes »80, la Ligue de Passy refuse de s’engager politiquement.
 81   Cf. par exemple Michel Chevalier, La guerre et la crise européenne, Paris,
Garnier Frères, 1866 ; (...)
 82   Cf. Léon Bourgeois, Pour la Société des Nations, Paris, Gallia, 1913. A noter que
Bourgeois défen (...)
 83   Léon Bourgeois, « L’État de droit entre les nations (Discours prononcé à
l’occasion du jubilé de (...)
36Si le romantisme révolutionnaire de Lemonnier ne peut que le tenir écarté des cercles
d’influence, Passy en revanche va trouver de nombreux alliés dans les milieux républicains et
positivistes qui se gaussent ad nauseam des « rêveurs de la paix ». A côté de considérations
humanitaires, un thème occupe une place centrale au cœur de l’extension des mobilisations :
celui du coût de la guerre81. La guerre ruine les nations, elle fait obstacle au développement
du commerce international, elle favorise les révolutions. En 1872 a lieu, jugé à l’aune de son
retentissement, un événement fondateur : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne décident de
soumettre à un tribunal arbitral l’affaire des Alabama claims, née du soutien britannique aux
corsaires confédérés pendant la guerre de Sécession. Pendant des années, travaillant à établir
la crédibilité politique de leur cause, les défenseurs de l’arbitrage vont sans cesse invoquer le
règlement de cette affaire d’importance entre deux grands États. Léon Bourgeois imagine un
solidarisme international82 et défend « l’État de droit entre les nations »83. Délégué de la
France aux Conférences de la paix de La Haye en 1899 et 1907, il y préside la Commission
dont les travaux aboutissent à l’institution de la Cour permanente d’arbitrage en 1899. Aucun
accord n’est trouvé en revanche qui rende l’arbitrage obligatoire.
 84   Cf. Christianus L. B. de Wolff, Jus gentium methodo scientifica pertractatum, in
quo jus gentium (...)
 85   Laurent Thévenot, « Les investissements de forme », in Cahiers du Centre
d’Études de l’Emploi, «  (...)
37Alors qu’au XVIIIe siècle le « droit de la nature et des gens » de Wolff et Vattel par
exemple est fondamentalement un droit d’universités et de chancelleries, un savoir aux
marges de la gouvernementalité mercantiliste84, dans la deuxième moitié du XIXe siècle le
« droit international » apparaît également comme une technologie de judiciarisation des
relations entre États. En même temps que se développe un champ de « judiciabilité »
internationale dans lequel divers conflits peuvent être traduits en contentieux et « vidés », le
droit international devient aussi un droit pour les arbitres, un dispositif de jugement.
L’arbitrage n’étant pas obligatoire, il faut y intéresser les États et pour cela diplomatie et
exhortations ne suffisent pas : il faut renforcer ce droit, élaborer des procédures, tenter de
codifier les principes et les règles applicables. Il s’agit d’un travail de juristes. La nécessité de
ces « investissements de forme »85 s’impose d’autant plus que depuis Savigny, dont l’autorité
est immense, le droit des gens est réputé pécher par défaut de « sécurité juridique ». Au siècle
du Code civil, ce jugement est rappelé comme une évidence partagée, fondement d’un
programme de travail :
 86   Edgard Rouard de Card, L’Arbitrage international dans le passé, le
présent et l’avenir, Paris, Du (...)
En signalant l’incertitude des principes du droit des gens, M. de Savigny avait montré la voie
que devaient suivre les défenseurs de la paix. Il était, en effet, avant tout nécessaire de
préciser les droits et les devoirs qui doivent régir les nations civilisées. Comment songer à
établir un tribunal suprême, alors qu’aucune loi n’existe pour apprécier la valeur des
prétentions de chaque partie86 ?
De l’arbitrage à la dénonciation
 87   Et qui lui vaut parfois d’être présentée comme l’archétype de l’« old-style
international court » (...)
 88   Cour permanente de Justice internationale, Comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séa (...)
 89   « [D]ebarred from directly acting as an important instrument of peace, the Court
has made a tangi (...)
38Par l’intermédiaire de la Cour permanente de Justice internationale (CPJI), juridiction créée
sous les auspices de la SdN en 1921, la CIJ est l’héritière de la Cour permanente d’arbitrage.
Outre qu’elle aussi siège au Palais de la Paix, construit sur les fonds du Carnegie Endowment
for International Peace en 1913, elle l’est à deux titres plus intéressants. Le fait d’abord
qu’elle ne puisse juger qu’à condition que les parties « consentent » à sa compétence, marque
la plus institutionnelle et la plus évidente de sa généalogie arbitrale87. Le fait ensuite que le
souci de la « sécurité juridique » soit demeuré particulièrement prégnant dans les analyses et
les justifications de son fonctionnement. Il est central dès la mise en forme des sources du
droit international opérée par les rédacteurs du Statut de la CPJI, Statut qui a ensuite servi de
modèle à celui de la CIJ. Lorsqu’à côté des traités et de la coutume internationale ils
inventèrent les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » ces juristes
poursuivaient deux buts en effet : éviter que la Cour, devant les silences du droit
conventionnel et coutumier, doive prononcer un non liquet ; éviter que ses décisions puissent
paraître infondées, arbitraires, imprévisibles, bref : « politiques »88. Le même thème
réapparaît ensuite au cœur des premières analyses du fonctionnement de la Cour89.
 90   Code civil, art. 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition
générale et (...)
39Droit pour les juges, le droit international devient ainsi un droit de juges, ce qui ne signifie
pas, loin de là, qu’il ait cessé d’être un droit de chancelleries : ces juges en effet sont souvent
d’anciens conseillers juridiques du ministère des Affaires étrangères de leur pays, et donc des
anciens plaideurs, en puissance au moins. Ils sont ainsi triplement porteurs d’une exigence de
sécurité : comme avocats dans une cause ; comme conseillers juridiques ensuite, désireux de
pouvoir évaluer avec précision les conséquences juridiques de l’action de leur gouvernement
afin de s’en faire écouter ; comme juges enfin, soucieux d’inspirer confiance et de voir leur
juridiction saisie. Cette constellation d’intérêts explique que la Cour se réfère souvent à sa
propre jurisprudence, pratique d’autant plus remarquable qu’elle n’est prescrite par aucune
règle de stare decisis : inspiré de la prohibition des « arrêts de règlement » dans le Code civil
français90, le Statut de la Cour stipule au contraire que ses décisions ne s’imposent qu’aux
parties à l’instance.
 91   Par exemple lors des guerres balkaniques ; cf. Dzovinar Kévonian, « L’enquête, le
délit, la preuv (...)
 92   La possibilité que des États s’engagent a priori à reconnaître sa compétence, dans
un traité comm (...)
 93   Luc Boltanski, avec Yann Darré et Marie-Ange Schiltz, « La dénonciation »,
Actes de la recherche (...)
 94   Cf. Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, « Du monde social en tant que scène d’un
procès », in Luc (...)
 95   CR 2006/2, 27 février 2006, p. 17.
40Droit pour diplomates, droit pour juges, droit de juges donc, mais aussi droit de plaideurs
bien sûr. Or on peut faire bien autre chose avec du droit international que faire valoir son droit
ou distribuer à chacun le sien, jus suum cuique tribuere selon la formule classique. Dès avant
la Première guerre mondiale ainsi, des commissions d’enquête ont été établies, révélant dans
leurs rapports atrocités et violations du droit de la guerre91. Toutes les affaires traitées par la
Cour ne relèvent pas de la logique d’arbitrage amenant deux États à requérir d’un commun
accord le règlement judiciaire d’un conflit : des mécanismes existent en effet92 dont
l’utilisation a permis de coupler saisine de la Cour et mise en cause de la politique ou de
l’action d’un État selon un régime de dénonciation publique93. Lorsqu’en 1935 la CPJI s’est
prononcée sur la légalité de la réforme nazie du droit pénal à Dantzig, lorsqu’en 1971 la CIJ a
statué que certaines obligations liaient les États envers la « communauté internationale tout
entière », lorsqu’en 1984 elle s’est déclarée compétente pour juger les allégations du
Nicaragua contre les Etats-Unis, lorsqu’en 2004 elle a rendu un avis consultatif sur la licéité
du Mur construit par Israël, à chaque fois la justice internationale s’est trouvée inscrite dans
une économie normative nouant contentieux judiciaire et déploiement d’une cause, procès et
dénonciation publique94, à travers l’invocation d’une « légalité internationale » comme
principe de jugement autant que d’indignation. Lorsqu’en février 2006 la Bosnie dénonce
« the most brutal violations of one of the most sacred instruments of international law »95, ses
plaidoiries, exemplaires de ce rapport au droit et à la justice internationale, peuvent ainsi être
inscrites dans une série d’affaires passées.
La valeur relative de la dénonciation publique
 96   Cf. note 44.
 97   Louis Renault, « Préface » à Albert de La Pradelle, Nicolas Politis, Recueil des
arbitrages inter (...)
41Plusieurs obstacles limitent cependant les possibilités de se saisir du droit international pour
dénoncer un État. Le plus trivial tient évidemment aux différentiels de pouvoir : ainsi en
janvier 1994 quand, sous la menace d’une suspension de l’aide humanitaire, la Bosnie
renonça à accuser le Royaume-Uni d’aider et d’encourager le génocide96. Mais ces obstacles
tiennent aussi aux pratiques proprement juridiques. A l’évidence, les principes de l’économie
arbitrale, « instrumentale », de la justice internationale diffèrent totalement de ceux du
déploiement de grandes causes. L’arbitrage est « un instrument délicat qui ne convient pas à
toutes les affaires, qui doit être manié par des mains expertes et prudentes là où son emploi est
justifié » écrit en 1905 le préfacier du premier Recueil des arbitrages internationaux97. La
doctrine des non justiciable disputes, c’est-à-dire des questions politiques réputées
intraduisibles en contentieux judiciaires, est encore invoquée – sans succès – par les États-
Unis contre le Nicaragua en 1984. La Serbie joue de ces tensions qui n’« expliquent » en rien
la décision rendue par la Cour, mais structurent bel et bien l’espace des conflits dans lequel
s’énoncent tant les plaidoiries que l’arrêt.
 98   « Les meurtres brièvement présentés ci-dessus peuvent constituer des crimes de
guerre et des crim (...)
 99   J’explique en quelques lignes cette stratégie particulièrement contournée. En
1999, la Serbie a i (...)
 100   Par exemple CR 2006/12, 8 mars 2006, p. 11 et 17 ; CR 2006/18, 14 mars 2006,
p. 10 : « Mais peut- (...)
 101   Voir l’analyse de la défense mise en place par Vojislav Šešelj : Élisabeth
Claverie, « Outrage au (...)
42Elle reprend ainsi la grammaire, juridique et politique, de l’arbitrage, insistant sur ses
limites, pour essayer d’éviter que la Cour se prononce. Dans cette affaire en effet, seuls des
actes de génocide peuvent être jugés par la Cour : si la Bosnie a pu accuser la Serbie de
génocide, c’est parce que celle-ci a ratifié la Convention Génocide qui prévoit notamment que
les États contractants consentent a priori à la compétence de la CIJ pour connaître de tout
litige sur son application. Mais faute qu’existe par exemple une Convention sur les crimes
contre l’humanité ou sur les crimes de guerre la Bosnie ne peut demander à la Cour de juger
la responsabilité de la Serbie pour de tels crimes. Les juges le soulignent d’ailleurs dans leur
arrêt98. En contestant la qualification plutôt que l’existence des crimes, la Serbie cherche
ainsi à se soustraire à un jugement. Elle ne cesse en outre de contester la compétence de la
Cour, question déjà tranchée lors de la procédure « préliminaire », et réitère ses objections
jusque dans les plaidoiries normalement consacrées au « fond » de l’affaire99. Cette stratégie,
en soi banale, est doublée d’une tentative de justification politique : seules des poursuites
visant des individus peuvent favoriser la « réconciliation » ; quant aux États, mieux vaudrait
pour eux négocier que s’accuser et s’intenter un procès100. La structure des places à la CIJ,
celles de Requérant, de Défendeur, de Juges, est en outre relativement favorable à la Serbie :
ses avocats peuvent en effet défendre des énoncés quelque peu parents de ceux soutenus par
ces accusés qui devant le TPIY ont du recourir au schème de la défense de rupture, tout en
faisant justement l’économie de cette position d’énonciation101. Si les plaidoiries de la Serbie
« rompent » avec celles de la Bosnie, c’est de bonne guerre judiciaire dira-t-on et la Cour
n’est jamais visée en effet : devant les juges en tout cas, la Serbie peut se présenter comme un
plaideur presque impeccable.
 102   « Si les contradictions [entre juridictions] se multiplient, il sera bien difficile
pour les État (...)
43La Serbie reprend également le thème de la « sécurité juridique ». Ainsi à propos du type
de contrôle à prouver pour lui imputer les actes de la Republika Srpska : six ans avant que la
Serbie invite la Cour à réaffirmer son autorité en préférant le critère de « contrôle effectif » à
celui de « contrôle global », la CIJ a déjà été engagée dans une épreuve d’autorité portée
jusque devant l’Assemblée générale de l’ONU. En effet, la critique de l’arrêt Nicaragua dans
l’affaire Tadić a servi de point d’appui à une alerte à la « fragmentation du droit
international », lancée en 2000 par le Président de la CIJ à l’ONU (qui en 2006, à la retraite, a
quitté la Cour). Cette « fragmentation » est alors présentée comme l’effet de la « prolifération
des juridictions internationales », avec pour conséquence une diminution de la « sécurité
juridique » pour les États102. Les thèmes de la fragmentation du droit et de la prolifération
des tribunaux internationaux sont devenus centraux dans les débats des internationalistes.
Dans leurs controverses, quelles que soient les positions défendues, un même souci domine :
celui de la solidité du « droit international », droit de diplomates, droit pour juges, droit de
juges, un droit qui doit être prévisible. Le type de « vérité » recherchée est tout différent de
celui d’une décision impartiale fondée sur la « loi ». Ainsi lorsqu’en 2000, dans une enceinte
onusienne de juristes, Alain Pellet objecte au Président de la CIJ que le rejet de l’arrêt
Nicaragua par le TPIY est peut-être le fait d’une « bonne » décision, le Président rétorque :
 103   Annuaire de la Commission du droit international, 2000, vol. I,
« Compte-rendu analytique de la 2 (...)
[…] il ne s’agit pas de savoir si une décision est bonne ou mauvaise – ce qui est une question
pour la doctrine –, mais de savoir si une question une fois jugée doit être remise en cause. […]
Compte tenu de la fragilité du droit international, c’est une considération importante,
indépendamment de l’appréciation que l’on peut porter sur le bien-fondé de telle ou telle
décision103.

Conclusion
 104   CR 2006/30, 18 avril 2006, p. 35-37 en particulier.
44Quoi qu’il en soit du bien-fondé des critiques adressées à la Cour, l’examen des plaidoiries
montre à quelles difficultés s’est heurtée la Bosnie-Herzégovine en amont du jugement rendu.
Tout son problème est finalement celui-ci me semble-t-il : sensibiliser les juges à un cas, à
une affaire singulière, à une cause dite à la fois en son nom propre, comme État plaideur,
parens patriae, sujet singulier de droit international, et au nom du droit, sous « l’étendard du
droit » pour reprendre les termes du Mémoire de 1994, une cause qui nécessite en outre, pour
être déployée, portée et défendue, une enquête. Durant la procédure, la Bosnie doit en effet
faire comprendre aux juges le caractère massif des crimes. Comme on l’a vu avec les
descriptions de « Srebrenica », ses plaidoiries prolongent la logique d’investigation du TPIY.
Celles de la Serbie au contraire reprennent les thèmes classiques d’une certaine diplomatie des
années 1990 ; la Bosnie s’en indigne et dénonce leur révisionnisme104.
 105   Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France.
1976, « Cours du 21 (...)
45Or la mesure des crimes allégués, de ce qui est décrit, énoncé dans les plaidoiries, ne peut
être comprise que depuis une certaine position subjective (ce qui ne signifie nullement
« partiale »). L’atteste la manière dont Thomas Franck boucle sa description sur elle-même,
sur son énonciateur et un destinataire abstrait, en évoquant les sentiments d’horreur et d’ennui
que doit susciter sa plaidoirie. En comparant ces positions d’énonciation, on voit ainsi que la
Bosnie tente de faire tenir une vision d’ensemble de « Srebrenica » en maillant un réseau de
faits et de preuves depuis une position à la fois active et affectée, le tout au nom du droit. Au
contraire, lorsque la Serbie se flatte d’être « informée » là où d’autres auraient été
« désinformés » et laisse entendre que les Serbes étaient menacés, qu’ils devaient se défendre
et que le requérant pourrait être accusé à son tour, il me semble qu’elle tient un discours
affilié à celui des « érudits des batailles », férus d’histoire oubliée ou cachée, enfouie ou
occulte, discours qui ne revendique son bon droit qu’« à la fois ancré dans une histoire et
décentré par rapport à une universalité juridique »105 et dont Foucault a analysé dans ses
cours la grammaire proto-raciste.
 106   Voir l’article dans lequel il revient sur sa critique du « droits-de-l’hommisme »
et s’en expliqu (...)
46La qualification de ces positions d’énonciation par les acteurs du procès – et donc, en
dernière instance, par les juges – constitue un enjeu crucial de la genèse du jugement, enjeu
difficilement déchiffrable dans l’arrêt mais transparent dans les plaidoiries. Décrire, comme le
fait Thomas Franck, sa position d’énonciation, c’est évidemment inviter les membres de la
Cour à adopter une certaine position de jugement, une position depuis laquelle comprendre,
mesurer, apprécier la nature des faits exposés. Défendre, comme le fait Alain Pellet, un critère
de « contrôle global » ou de « contrôle global effectif », c’est les inviter à se référer à une
catégorie qui permette de saisir un événement dont la massivité échappe à l’expérience
immédiate, à celle des témoins oculaires, à celle aussi des destinataires d’une description en
plan rapproché d’une scène de crime, et ne peut être appréhendée qu’à travers un travail de
totalisation, de mise en série et donc de reconstruction. Il ne faudrait pas croire pour autant
qu’Alain Pellet « tiendrait » à la catégorie de « contrôle global » et Ian Brownlie à celle de
« contrôle effectif ». Après tout, le « contrôle global » défendu par Alain Pellet a été emprunté
par le TPIY à une décision célèbre de la Cour européenne des droits de l’homme (Loizidou c.
Turquie), en 1996, dans laquelle la formulation de ce critère a permis la victoire du requérant,
défendu par Ian Brownlie. Ce dernier n’est d’ailleurs pas spécialement « conservateur » ou
« souverainiste » : en 1998-1999, il a été avocat des victimes dans l’affaire Pinochet devant la
Chambre des Lords. Alain Pellet à l’inverse, père putatif de l’expression « droits-de-
l’hommisme »106, ne passe pas pour hétérodoxe parmi les internationalistes ; il a été très tôt
sensibilisé en revanche aux guerres de l’ex-Yougoslavie. Les deux plaideurs se distinguent
donc sans doute moins par leurs positions sur le droit international en général que par leur
sensibilisation à l’affaire en cause, par leurs positions in specie. L’économie morale,
subjective, des plaidoiries dans cette affaire, dans cette cause, et l’argumentation sur « un
problème de droit international, somme toute très classique » sont donc solidaires l’une de
l’autre.
 107   CR 2006/12, 8 mars 2006, p. 41.
 108   CR 2006/30, 18 avril 2006, p. 30 et s.
 109   CR 2006/7, 2 mars 2006, p. 57.
 110   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 39.
 111   CR 2006/26, 24 mars 2006, p. 34-56.
 112   CR 2006/23, 20 mars 2006, p. 36.
 113   CR 2006/26, 24 mars 2006, p. 13.
47Indépendamment de la façon dont il me semble pouvoir la caractériser objectivement (une
cause plaidée au nom du droit et soutenue par un travail de reconstruction et de sensibilisation
aux faits), la position de la Bosnie est attaquée, mise en doute par la Serbie. C’est ainsi par
exemple qu’une technique de sensibilisation, la projection de petits films à l’audience, est
dénoncée par la partie adverse : ces vidéos seraient produites « for emotional reasons »107
prétend-on du côté serbe ; la Bosnie répondra longuement, et sur un ton inhabituellement
passionné, à cette critique108. Autre conflit : les références au génocide des Juifs d’Europe.
Thomas Franck ayant suggéré une comparaison entre certains événements et la Nuit de
cristal109, la Serbie s’en offusque110 ; elle introduit une longue discussion sur le nombre des
morts, sans cesse comparé aux six millions de victimes de la Shoah, et fait comparaître en
qualité de témoin-expert un démographe de l’INED, Jean-Paul Sardon111. De manière
caractéristique encore, lorsque Ian Brownlie contre-interroge le général Dannat, appelé à
témoigner par la Bosnie et qui a travaillé sur le procès Krstić, il souligne que sa connaissance
des faits est basée sur des documents112 ; au général Rose au contraire, qui n’a jamais
participé à aucune enquête, il fait confirmer qu’il n’a eu aucun contact avec le Procureur du
TPIY et qu’il parle d’expérience113 : l’expérience du passé est préférée à l’expertise acquise,
la logique de l’enquête, de l’« établissement des faits » et de la mobilisation qu’elle implique,
est implicitement requalifiée comme logique partisane.
 114   CIJ, Génocide, Arrêt, 26 février 2006, § 208.
 115   Voir sur les conflits au sein du TPIY le réquisitoire de Florence Hartmann,
ancienne porte-parole (...)
48La position légitime d’énonciation des plaidoiries est donc relativement indéterminée.
Devant la CIJ, qui en raison de son extraction arbitrale ne dispose d’aucun pouvoir
inquisitorial ou presque, l’enquête, forcément le fait d’une partie, peut être facilement
suspectée de partialité. Or dans son arrêt la Cour déclare « [avoir] admis de longue date que
les allégations formulées contre un Etat qui comprennent des accusations d’une
exceptionnelle gravité doivent être prouvées par des éléments ayant pleine force
probante »114. Elle adopte ainsi une thèse défendue par la Serbie. Entendant des plaidoiries
qui s’inscrivent dans une logique de dénonciation publique, elle adopte surtout un régime de
preuve plus exigeant. Ce qui est en cause, devant la CIJ en 2006 comme au TPIY depuis
1995, c’est donc l’extension du schéma de dénonciation des crimes, de la cause plaidée par le
Procureur au TPIY, de la cause plaidée par la Bosnie devant la CIJ. Dans sa version
institutionnelle la plus large, ce schéma lie Milošević – et donc, automatiquement, la Serbie
– à Srebrenica et qualifie les faits de génocide ; beaucoup cependant s’y sont opposés à un
moment ou à un autre, soit qu’ils doutaient sincèrement, soit sans doute aussi qu’ils
craignaient une dénonciation « excessive » qui, jamais portée, a pourtant menacé le Royaume-
Uni115.
 116   Bruno Latour, La Fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris,
La Découverte, 200 (...)
49On voit enfin dans la remarquable réponse du Président de la CIJ à Alain Pellet en 2000 –
« il ne s’agit pas de savoir si une décision est bonne ou mauvaise – ce qui est une question
pour la doctrine –, mais de savoir si une question une fois jugée doit être remise en cause » –
combien la position d’énonciation des plaidoiries bosniennes est éloignée d’une certaine
position de jugement, liée au statut du droit international, droit de chancelleries, droit pour
juges, droit de juges. Pour le Président de la CIJ, et six ans plus tard pour la majorité de la
Cour, le jugement d’un cas singulier au nom du droit n’est pas seul en cause. Compte autant le
souci d’assurer, de maintenir, au fil des décisions rendues, la certitude, l’objectivité du droit,
une objectivité dont Bruno Latour remarque au terme de son ethnographie du Conseil d’État –
dont le Président de la CIJ cité est membre – qu’elle « a donc ceci d’étrange qu’elle est
littéralement sans objet mais entièrement tenue par la production d’un état mental », garante
de ce « maintien homéostatique du droit [qui] raconte une histoire qui ne concerne que le droit
et permet d’éviter toute surprise en maintenant la sécurité juridique »116.
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Notes
1   Antonio Cassese, “A Judicial Massacre”, The Guardian / Comment is free, 27 février
2007, non paginé,
http://commentisfree.guardian.co.uk/antonio_cassese/2007/02/the_judicial_massacre_of_srebr
.html, consulté le 10 mars 2009.
2   Contre la « République fédérative de Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro) » selon la
terminologie onusienne, « République fédérative de Yougoslavie » tout court pour l’État
concerné qui se prétendait continuateur de la Yougoslavie, plus tard « Serbie-et-
Monténégro », puis « Serbie ». Pour la commodité de la lecture je parlerai toujours de Serbie
dans la suite de ce texte.
3   Tribunal international pénal pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c/ Radovan Karadžić et
Ratko Mladić, Examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de
procédure et de preuve, 11 juillet 1996, p. 40.
4   Élisabeth Claverie, « L’État à l’épreuve du TPI. Le traitement pénal de la politique de
purification ethnique », in Tommaso Vitale (sous la dir.), Alla prova della violenza.
Introduzione alla sociologia pramatica dello stato, Rome, Editori Riuniti, à paraître.
5   Signé en 1948 et entré en vigueur en 1951, c’est par ce traité que le néologisme inventé par
Lemkin en 1944 a été inscrit dans le droit.
6   Mémoire du Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, 15 avril 1994, p. 3.
7   Cité par Nicholas Wood, “Bosnian Muslims View Ruling as Another Defeat”, New York
Times, 27 février 2007.
8   Contre-Mémoire,23 juillet 1997, p. 289-809.
9   Pour ne donner qu’un seul exemple, le plus flagrant, de ces manœuvres – mais qui
contrairement à d’autres, qu’il serait trop long d’expliquer ici, a l’apparence de n’être né que
d’une initiative des dirigeants de la Republika Srpska – un faux a été adressé à la Cour
prétendant que la Bosnie se désistait de l’instance.
10   Cour internationale de Justice, Audience publique tenue le 27 février 2006, à 10h30, au
Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président, en l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Compte-rendu, CR 2006/2, p. 14-16, les
caractères italiques sont un ajout de ma part. Dans la suite de l’article j’abrègerai les
références en ne mentionnant que le numéro du compte-rendu (ici CR 2006/2) et la date de
l’audience. Les plaideurs pouvant s’exprimer, au choix, en français ou en anglais, je les citerai
dans la langue qu’ils utilisent.
11   Antonio Cassese, “A Judicial Massacre”, Ibid.
12   Par exemple sur le site Srebrenica Genocide : “ICJ – POLITICS & JUSTICE DON’T
MIX. Our Editorial Analysis of ICJ’s Recent Ruling : Bosnia vs. Serbia”, http://srebrenica-
genocide.blogspot.com/2007/03/icj-politics-justice-dont-mix.html, consulté le 21 mars 2007.
Voir aussi l’interprétation défendue par Florence Hartmann, ancienne porte-parole de Carla
Del Ponte, Procureur du TPIY, dans son livre Paix et Châtiment. Les guerres secrètes de la
politique et de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007. Voir aussi de Muhamed
Sacirbey, qui fut le premier Agent de la Bosnie devant la Cour et participa aux négociations
des Accords de Dayton et qui rapporte les pressions exercées par les pays « euro-atlantiques »
pour que la Bosnie retire sa plainte : Ambassador Muhamed Sacirbey, “Objectives of Bosnia
and Herzegovina in Filing ‘Genocide Case’ Claim at the International Court of Justice”, 21
May 2007, World Federalist Movement (intervention lors d’un séminaire organisé par le
World Federalist Movement ; disponible naguère sur le site du WFM).
13   Florence Hartmann, Paix et Châtiments, Op. cit., ch. 2 « Le procès Milosevic ».
14   Voir en particulier Florence Hartmann, Ibid. Comme le rappelle Florence Hartmann, les
membres de la Chambre de première instance du TPIY devant laquelle se déroulait le procès
de Slobodan Milošević disposaient d’une partie de ces minutes, que le Procureur avait pu
obtenir de la Serbie à condition de ne pas les divulguer.
15   Démarche rapportée par Christian Chartier, ancien Chef du Service de Presse, et Richard
J. Goldstone, ancien Procureur du TPIY, dans le documentaire Against All Odds de 2003 et
dont on peut trouver la vidéo et le script sur le site Sense Tribunal : http://www.sense-
agency.com/en/multimedia/index.php ?trans =8&mulkat =2, consulté le 18 mars 2009.
16   Déclaration à l’AFP le 26 février 2007, reproduite sur le site suivant :
http://www.preserverlajusticeinternationale.org/articles/002_26-02-2007.pdf, consulté le 18
mars 2009; dans une interview sur son blog : http://xderoux.wordpress.com/2007/03/08/,
consulté le 18 mars 2009. Avant de plaider pour la Serbie devant CIJ, Xavier de Roux, ancien
avocat d’affaires, associé chez Gide, et député UDF de 1993 à 1997 puis UMP de 2002 à
2007, avait été l’avocat du général Momir Talić, principal responsable militaire de la Région
autonome de Krajina (nord-ouest de la Bosnie), accusé notamment de génocide. Le général
Talić est mort en 2003 avant la fin de son procès.
17   Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Le Seuil, [1971], 1996, p. 281 et s.
18   Sur la distinction entre quaestio juris et quaestio facti et l’histoire du modèle du
syllogisme judiciaire, voir le livre de Massimo Vogliotti, Tra fatto e diritto. Oltre la
modernità giuridica, G. Giappichelli Editore, Turin, 2007, p. 54 et s.
19   Exemples de ces analyses dans le dossier coordonné par Baudouin Dupret, « Le droit en
action et en contexte. Ethnométhodologie et analyse de conversation dans la recherche
juridique », Droit et Société, n° 48, 2001.
20   Ainsi neuf témoins seulement ont été appelés à déposer devant la Cour au cours des
plaidoiries orales et sur le fond de l’affaire.
21   J’évoque, faute d’avoir su trouver une expression meilleure, un conflit
« historiographique », entre guillemets, puisque c’est bien de l’écriture de l’histoire qu’il est
question, ce qui ne signifie en rien que les parties à l’instance partagent, comme normalement
des historiens de métier, un même souci de la vérité, ni que les thèses qu’elles développent
devant la Cour soient d’égale valeur. Il est évident que si les deux parties s’appuient sur des
compétences historiographiques, leurs enjeux n’ont rien de commun, la Serbie notamment
cherchant avant tout à éviter qu’un jugement soit rendu – cf. note 9 et infra, troisième partie.
22   C’est autour des guerres de Bosnie que la « communauté internationale » commence à
être convoquée naturellement dans les discours publics ; voir Francis Chateauraynaud, « Une
entéléchie d’après la guerre froide. Note sur les modes d’existence de la communauté
internationale », juillet 2002,
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/43/11/PDF/communaute_internationale.pdf,
consulté le 18 mars 2009.
23   Sur la construction de connaissances publiques sur Srebrenica, voir Cultures et Conflits,
« Srebrenica, dix ans après », n° 65, printemps 2007, textes en line sur le site de la revue :
http://www.conflits.org/index2189.html, consulté le 18 mars 2009.
24   Pour plus de détail voir notamment John Hagan, Justice in the Balkans. Prosecuting War
Crimes in The Hague Tribunal, “Chapter 5 – The Srebrenica ghost team”, Chicago and
London, The University of Chicago Press, 2003.
25   ICTY, The Prosecutor v. Radislav Krstić, IT-98-33-T, Judgement, 2 August 2001, § 84.
26   En réalité, quoiqu’en bien moins grand nombre, des femmes aussi ont été tuées, ainsi que
de très jeunes enfants ; plusieurs ont été violées – durant la guerre, les viols très nombreux et
visant spécifiquement les musulmanes de Bosnie ont été utilisés comme une arme bien avant
Srebrenica.
27   La qualification de Srebrenica comme génocide est réaffirmée en janvier 2005 dans le
procès de Vidoje Blagojević, colonel bosno-serbe commandant la Brigade de Bratunac
impliquée dans les massacres. Déclaré coupable de complicité de génocide en première
instance, en mai 2007 il est acquitté de ce chef d’accusation en appel, la qualification de
Srebrenica comme génocide n’étant pas contestée par la Chambre d’appel.
28   Cité dans Michèle Picard, Asta Zinbo, « Sur le Rapport du gouvernement de la Republika
Srpska », Cultures et Conflits, n° 65, http://www.conflits.org/index2242.html, non paginé,
consulté le 18 mars 2009.
29   Traduction française partielle de la déclaration adoptée par le Conseil des ministres lue
par le professeur Luigi Condorelli, avocat de la Bosnie, in CR 2006/11, 7 mars 2006, p. 10-
11. Le film, réalisé par les auteurs de l’exécution, a été révélé par une chaîne de télévision
serbe le 2 juin 2005, créant un scandale dans la presse internationale et en Serbie puisqu’il
apportait un démenti aux thèses officielles du non-engagement de la Serbie dans les massacres
de Srebrenica. Il fut également diffusé lors du procès Milošević.
30   Le film est diffusé lors de la troisième audience, le 28 février 2006 après-midi. Cf. CR
2006/4, p. 59.
31   Voir les procès de Goran Jelisić, gardien de camp qui se faisait appeler l’Adolf serbe,
Milomir Stakić, ancien président de la cellule de crise de Prijedor, dont dépendait les plus
célèbres camps, Momčilo Krajišnik, ancien président de l’Assemblée des Serbes de Bosnie, et
Radoslav Brđanin, ancien dirigeant de la Région autonome de Krajina, au nord-ouest de la
Bosnie.
32   CR 2006/3, 28 février 2006, p. 23. L’Agent de la Bosnie évoque « 7000 à 8000
personnes » : il reprend donc exactement l’estimation du TPIY dans l’arrêt Krstić sans
chercher à préciser le nombre des victimes, 10000 plutôt selon d’autres estimations.
33   “The events of the nine days from July 10-19 1995 in Srebrenica defy description in their
horror […]. […] The Trial Chamber cannot permit itself the indulgence of expressing how it
feels about what happened in Srebrenica, or even how individuals as well as national and
international groups not the subject of this case contributed to the tragedy. This defendant,
like all others, deserves individualised consideration”, in ICTY, Prosecutor v. Radislav
Krstic, IT-33-98-T, Judgement, 2 August 2001, § 2.
34   “Madam President, Members of the Court, the Srebrenica massacre is the best known and
maybe by now the best documented episode of the prolonged period of ethnic cleansing,
which is central to our case. […] Before I go into a more focused description of what
happened in July 1995, I would like to provide some more context. If we want to give
Srebrenica its proper place in the ethnic cleansing campaign that to a large extent destroyed
the typical Bosnia and Herzegovina of before [the war], we need to look at a larger picture.
‘Srebrenica’ was not a goal in itself, it was merely the finale, the climax, the completion of
what had been the plan all along, at least since the beginning of 1991. We are today
discussing part of that earlier plan. This earlier plan did not focus on Srebrenica alone but
related to all of eastern Bosnia.”, in CR 2006/4, 28 février 2006, p. 37.
35   C’est lors de cette première description de la série temporelle longue qui aboutit aux
massacres de Srebrenica que le film de l’exécution de six jeunes musulmans par les Scorpions
est projeté à l’audience. Des détails sur l’engagement des unités venues de Serbie, en
particulier sur les Kajman, Plavi et Skorpija mentionnés dans des rapports de l’armée bosno-
serbes saisis par la Bosnie-Herzégovine sont donnés dans la Reply of Bosnia and Herzegovina
déposée à la Cour et datée du 23 avril 1998, p. 602-609 et à laquelle les avocats de la Bosnie
renvoient les juges.
36   CR 2006/23, 20 mars 2006.
37   CR 2006/6, 2 mars 2006, p. 34.
38   CR 2006/7, 2 mars 2006, p. 55-56. Italiques dans le texte original.
39   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 39. Italiques dans le texte original.
40   Ainsi s’exprime l’Agent de la Serbie : « Madame le président, Messieurs les juges, la
Serbie-et-Monténégro est accusée du génocide et elle est obligée d’établir la vérité. […] [L]a
complexité du conflit qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995 est telle que ce
conflit est le mieux caractérisé par la maxime de Hobbes bellum omnium contra omnes », in
CR 2006/10, 10 mars 2006, p. 37 et 38.
41   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 26 et 29. Cette qualification est donc totalement opposée à
la jurisprudence du TPIY – cf. introduction et note 3.
42   Élisabeth Claverie, « L’État à l’épreuve du TPIY. Le traitement pénal de la politique de
purification ethnique », in Tommaso Vitale (sous la dir.), Alla prova della violenza, Op. cit..
43   “And all three parties [i.e. Serbs, Croats and Bosniaks] were guilty of war crimes to one
degree or another. […] The responsibility for those war crimes does not lie solely with the
military because of course on all three sides the military were again in support of the civil
power. And so the burden of responsibility for those war crimes undoubtedly goes through the
civil authority, and notably to the top, in the case of Mr. Tudjman ; in the case of Republika
Srpska, Mr. Karadžić ; and in the case of Bosnia-Herzegovina, Mr. Izetbegović. All three
share responsibility for the war crimes and atrocities.”, in CR 2006/26, 24 mars 2006, p. 11.
44   Sur le conflit qui vers 1992 a opposé Lord Owen à Cherif Bassiouni, un des principaux
artisans de la renaissance du droit international pénal, alors président de la Commission
d’experts de l’ONU sur les violations du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie,
voir John Hagan Justice in the Balkans, Op. cit., “Chapter 2 – Experts on atrocity”. Le 15
novembre 1993, l’Ambassadeur de Bosnie-Herzégovine près les Nations unies annonça que
Francis A. Boyle (conseiller juridique du gouvernement bosnien et qui avait déjà préparé la
requête contre la Serbie et fait fonction d’agent de la Bosnie devant la Cour) allait déposer au
greffe de la CIJ une nouvelle requête accusant la Grande-Bretagne d’aider et encourager la
perpétration du génocide. La plainte devait attaquer une diplomatie pro-serbe visant à un plan
de partition de la Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire à une validation du nettoyage ethnique,
ainsi que le soutien britannique à l’embargo sur les ventes d’armes qui ne touchait guère que
les Bosniaques, les Serbes de Bosnie étant armés par la Serbie – cf. Francis A. Boyle, “Trying
to Stop Aggressive War and Genocide against the People and the Republic of Bosnia and
Herzegovina”, daté du 4 avril 1997, http://tribina-bosnjaka.com/agressiv.htm, consulté le 18
mars 2009. En novembre 2000, en tant qu’avocat de l’Association Les Femmes de Srebrenica,
il adressa à Carla Del Ponte une lettre publique lui demandant de poursuivre Lord Owen et
d’autres pour complicité de génocide. Le texte de la lettre se trouve sur le site de l’Association
Les Femmes de Srebrenica : http://www.srebrenica.ba/index.en.php ?link =articles&p =12,
consulté le 18 mars 2009.
45   Ian Brownlie répète pas moins de trois fois en une seule audience le même passage extrait
d’un livre de Lord Owen, cité par l’auteur lui-même dans son témoignage au procès
Milošević : cf. CR 2006/17, 13 mars 2006, p. 13-14, 32 et 41.
46   “[…] when the Bosnian army in the region was defeated the results were in local terms
the taking of revenge. […] No long-term planning was involved and certainly no planning
from Belgrade”, in CR 2006/16, 13 mars 2006, p. 12 (italiques dans l’original). Ian Brownlie
suggérant une équivalence entre les crimes des forces bosniaques et bosno-serbes et visant
explicitement le rôle de Naser Orić, commandant de l’armée de la République de Bosnie-
Herzégovine à Srebrenica, je précise que celui-ci a été jugé pour violation des lois ou
coutumes de la guerre devant le TPIY et entièrement acquitté en 2008.
47   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 27.
48   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 11.
49   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 43.
50   CR 2006/39, 2 mai 2006, p. 59-61 et CR 2006/40, 3 mai 2006, p. 10-28.
51   Slavoj Žižek, Fragile Absolu ou Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ?,
Paris, Flammarion, 2008, ch. 1 « Pour en finir avec le fantôme des Balkans ».
52   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 43.
53   CR 2006/16, 13 mars 2006, p. 49.
54   CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 28-29. L’avocat de la Serbie reprend un thème également
développé par Jacques Vergès dans sa « plaidoirie » pour Milošević – cf. Jacques Vergès,
Justice pour le peuple serbe, suivi de Consultation sur la légitimité du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie. La plaidoirie que j’aurais prononcée devant le Tribunal
pénal international, Paris, L’Âge d’Homme, 2003.
55   Questions posées par une avocate de la Serbie au docteur András Riedlmayer :
« Admettez-vous qu’en 1995, vous avez écrit une lettre à Bill Clinton en demandant la levée
de l’embargo sur les armes pour la Bosnie-Herzégovine ? [Réponse du témoin : « oui »] » ;
« Savez-vous que l’agence de relations publiques américaine, Rudder & Finn travaillait pour
le Gouvernement bosniaque concernant la destruction des monuments culturels ?
[Réponse négative] Elle ne vous a pas contacté ? [Réponse négative] » ; « Seriez-vous
d’accord qu’en fait, votre déposition aujourd’hui ici est plus la déposition d’un avocat que
d’un témoin impartial extérieur ? [Réponse négative] », in CR 2006/22, 17 mars 2006, p. 50,
51 et 54.
56   Yan Thomas, « L’institution civile de la cité », Le Débat, n° 74, 1993, p. 23-45.
57   Cour internationale de Justice, Application de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Arrêt du 11
juillet 1996, « Déclaration commune de MM. Shi et Vereshchetin », p. 632.
58   CR 2006/2, 27 février 2006, p. 17.
59   C’est sur cette question par exemple, traitée par Thomas Franck, que se conclut le
premier tour de plaidoiries au nom de la Bosnie-Herzégovine ; cf. CR 2006/11, 7 mars 2006,
p. 51-58.
60   CR 2006/8, 3 mars 2006, p. 11.
61   Déposition du général sir Richard Dannat, CR 2006/23, 20 mars 2006 ; déposition du
général sir Michael Rose, CR 2006/26, 24 mars 2006.
62   CR 2006/10, 6 mars 2006, p. 37.
63   Ibid., p. 40.
64   Ibid., p. 46-47.
65   Cf. International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, The Prosecutor v. Duško
Tadić, IT-94-1-A, Judgement, 15 July 1999, §§ 172-237. Voir l’article d’Élisabeth Claverie et
Rafaëlle Maison, « L’“entreprise criminelle commune” devant le Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie », in Pierre Truche (sous la dir.), Juger les crimes contre l’humanité.
Vingt ans après le procès Barbie. Actes du colloques des 10, 11 et 12 octobre 2007, École
normale supérieure Lettres et sciences humaines, Lyon, ENS Éditions, à paraître en 2009.
66   International Court of Justice, Military and Paramilitary Activities in and against
Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Judgment of 27 June 1986, § 115.
67   International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, The Prosecutor v. Duško
Tadić, IT-94-1-A, Judgement, 15 July 1999, §§ 99-145.
68   Pour une analyse de la construction de l’arrêt Tadić précitéje me permets de renvoyer à
mon texte “Legal Cosmopolitanism Divided. Stating, Codifying, and Invoking International
Law of State Responsibility”, in Yves Dezalay, Bryant. G. Garth (eds.), Lawyers and the
Construction of the Rule of Law. National and Transnational Processes, à paraître en 2009.
69   Un exemple entre mille : « Professor Pellet has argued strenuously in favour of a low
standard of proof in cases of genocide. […] [H]e argued that because of its special character,
genocide should be accorded a lower standard of proof » déclare Ian Brownlie (CR 2006/16,
13 mars 2006, p. 39). Là où Alain Pellet parle de critère d’attribution d’une intention
collective, Ian Brownlie reprend son argumentation en prétendant qu’il parle d’un régime de
preuve, « a low standard of proof ».
70   CR 2006/31, 18 avril 2006, p. 39.
71   Voir notamment CR 2006/8, 3 mars 2006, p. 34 et s.(Pellet) ; CR 2006/10, 6 mars 2006,
p. 46 et s. (Pellet) ; CR 2006/16, 13 mars 2006, p. 39 et s.(Brownlie) ; CR 2006/17, 13 mars
2006, p. 42 et s. (Bronwlie) ; CR 2006/21, 16 mars 2006, p. 15-17 (Brownlie) ; CR 2006/31,
18 avril 2006, p. 33-39 (Pellet).
72   Cour internationale de Justice, Affaire relative à l’Application de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), Arrêt, 26 février 2007, § 407.
73   Ibid.,§ 406.
74   Mireille Delmas-Marty, Études juridiques comparatives et internationalisation du droit,
Paris, Collège de France / Fayard, 2003, p. 26.
75   Sur la constitution du droit international comme spécialité professionnelle, voir Martti
Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations. The Rise and Fall of International Law, 1870-
1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
76   Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population. Cours au Collège de France. 1977-
1978, « Leçon du 22 mars 1978 », Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 2004, p. 307-308
notamment.
77   Ibid., p. 310.
78   Ligue internationale et permanente de la paix, Première Assemblée générale. 8 juin 1868,
Paris, Guillaumin, 1868, p. 60. Caractères italiques dans le texte original.
79   La Ligue est créée à l’issue d’un Congrès international de la paix, « assises de la
démocratie européenne » (Charles Lemonnier, La Vérité sur le Congrès de Genève, Berne et
Genève, Vérésoff et Guarrigues, 1867, p. 4) tenues sous la présidence d’honneur de Garibaldi
et auxquelles participent notamment Bakounine, Quinet et Leroux. Cf. Annales du Congrès
de Genève (9-12 septembre 1867), Genève, Vérésoff et Guarrigues, 1868.
80   Charles Lemonnier, La Vérité sur le Congrès de Genève, Op. cit., p. 7. Lemonnier
imagine des États-Unis d’Europe ; cf. Ligue internationale de la paix et de la liberté, Rapport
présenté au Congrès tenu à Lausanne le 14 septembre 1869 par Ch. Lemonnier sur cette
question  : Déterminer les bases d’une organisation fédérale de l’Europe, Paris, Librairie des
Sciences sociales, 1869.
81   Cf. par exemple Michel Chevalier, La guerre et la crise européenne, Paris, Garnier
Frères, 1866 ; Paul Leroy-Beaulieu, Les guerres contemporaines (1853-1866). Recherches
statistiques sur les pertes d’hommes et de capitaux, Paris, Guillaumin, « Bibliothèque de la
Paix, publiée par les soins de la Ligue internationale et permanente de la paix », 1868.
82   Cf. Léon Bourgeois, Pour la Société des Nations, Paris, Gallia, 1913. A noter que
Bourgeois défendait aussi l’arbitrage comme technique de règlement des « conflits du capital
et du travail ». La technique se développe dans un champ de problèmes relativement divers.
83   Léon Bourgeois, « L’État de droit entre les nations (Discours prononcé à l’occasion du
jubilé de M. Louis Renault, le 10 mars 1907) », in Pour la Société des Nations, op. cit.,
p. 129-137.
84   Cf. Christianus L. B. de Wolff, Jus gentium methodo scientifica pertractatum, in quo jus
gentium naturale ab eo, quod voluntarii, pactitii et consuetudinarii est, accurate distinguitur,
Halle, 1749, Officina Libraria Rengeriana ; Emmer de Vattel, Le Droit des gens. Ou principes
de la loi naturelle, appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains, 2
Tomes, Londres, 1758. Vattel, dont le traité est devenu l’une des autorités les plus citées
jusqu’au XIXe s., et même encore au début du XXe s., reprend en grande partie Wolff (cf.
Emmanuelle Jouannet, Emmer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international
classique, Paris, Pédone, 1998). Chez l’un comme chez l’autre, les droits des nations, et donc
leurs devoirs les unes envers les autres, viennent de leurs devoirs envers elles-mêmes.
Fondateurs du droit des gens, ces devoirs envers soi-même, erga semetipsum, sont prescrits
par la loi naturelle : ils sont tirés de la nature de l’État qui indique les fonctions à accomplir
par les « Conducteurs de Sociétés ». Il me semble qu’on ne peut comprendre que Vattel parle
du prix des grains, du problème des monopoles, de la balance du commerce, de la nécessité
d’encourager l’amour de la patrie, qu’il s’emporte sur quarante pages contre Rome, les
évêques, les périls que le célibat des prêtres et les vocations religieuses font courir à l’État,
qu’en considérant que le « droit des gens », objet de son traité, est lié pour lui à une certaine
théorie du gouvernement. A cet égard, le « droit de la nature et des gens », c’est un élément de
la gouvernementalité des juristes, ou des diplomates versés dans le droit, ce à travers quoi ils
analysent l’État et lui prescrivent une conduite.
85   Laurent Thévenot, « Les investissements de forme », in Cahiers du Centre d’Études de
l’Emploi, « Les conventions économiques », Paris, Presses Universitaires de France, 1985,
p. 21-71.
86   Edgard Rouard de Card, L’Arbitrage international dans le passé, le présent et l’avenir,
Paris, Durand et Pédone-Lauriel, 1877, p. 81-82. Cet essai a valu à son auteur d’être lauréat
du concours organisé par la Faculté de Droit de Paris sur le thème de l’arbitrage international.
Rouard de Card est alors docteur en droit et deviendra ensuite professeur et membre de
l’Institut du Droit International. Sur l’Institut voir Martti Koskenniemi, The Gentle Civilizer
of Nations, Op. cit..
87   Et qui lui vaut parfois d’être présentée comme l’archétype de l’« old-style international
court » comparée aux « new-style international courts » dont la juridiction est obligatoire et
qui peuvent être saisies par des individus ; cf. Karen Alter, “Private Litigants and the New
International Courts”, Comparative Political Studies, 2006, vol. 39, n° 1, p. 22-49.
88   Cour permanente de Justice internationale, Comité consultatif de juristes, Procès-verbaux
des séances du Comité (16 juin – 24 juillet 1920), La Haye, Van Langenhuysen Frères, 1920,
p. 293-346.
89   « [D]ebarred from directly acting as an important instrument of peace, the Court has
made a tangible contribution to the development and clarification of the rules and principles
of international law », in Hersch Lauterpacht, The Development of International Law by the
International Court, Being A revised Edition of “The development of International Law by
the Permanent Court of International Justice” (1934), London, Stevens & Sons Limited,
1958, p. 5. L’auteur a lui-même été juge à la CIJ de 1954 à sa mort en 1960.
90   Code civil, art. 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».
91   Par exemple lors des guerres balkaniques ; cf. Dzovinar Kévonian, « L’enquête, le délit,
la preuve : les “atrocités” balkaniques de 1912-1913 à l’épreuve du droit de la guerre », Le
Mouvement Social, janvier-mars 2008, p. 13-40.
92   La possibilité que des États s’engagent a priori à reconnaître sa compétence, dans un
traité comme la Convention Génocide par exemple ; à travers des « déclarations facultatives
d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour » que les États qui le souhaitent puissent
déposer au greffe de la Cour ; en sollicitant, via des organes de l’ONU comme l’Assemblée
générale, des avis juridiques qui sont des quasi-procès (par exemple la demande d’avis sur la
licéité de la construction du Mur par Israël).
93   Luc Boltanski, avec Yann Darré et Marie-Ange Schiltz, « La dénonciation », Actes de la
recherche en sciences sociales, 1984, n° 51-1, p. 3-40.
94   Cf. Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, « Du monde social en tant que scène d’un
procès », in Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Nicolas Offenstadt, Stéphane Van Damme
(sous la dir.), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, Paris, Stock,
2007, p. 395-452.
95   CR 2006/2, 27 février 2006, p. 17.
96   Cf. note 44.
97   Louis Renault, « Préface » à Albert de La Pradelle, Nicolas Politis, Recueil des
arbitrages internationaux, Paris, Les Éditions internationales, 1905, repris dans L’Œuvre
internationale de Louis Renault, 1843-1918, Tome III, Paris, Les Éditions internationales,
1933, p. 535. Professeur de droit à la Faculté de Droit de Paris et de droit international à
l’École libre des Sciences politiques, Louis Renault fut le premier jurisconsulte nommé au
Quai d’Orsay, en 1890. Il a participé aux deux Conférences de la paix de La Haye ainsi qu’à
bon nombre d’arbitrages avant la Guerre, toujours en qualité de conseiller.
98   « Les meurtres brièvement présentés ci-dessus peuvent constituer des crimes de guerre et
des crimes contre l’humanité, mais la Cour n’a pas compétence pour en juger. Dans l’exercice
de la compétence que lui confère la convention sur le génocide, elle considère qu’il n’a pas
été établi par le demandeur que ces meurtres constituaient des actes de génocide prohibés par
la Convention. », in CIJ, Génocide, Arrêt, 26 février 2006, § 277.
99   J’explique en quelques lignes cette stratégie particulièrement contournée. En 1999, la
Serbie a introduit une instance contre les États membres de l’OTAN en arguant de l’illégalité
des bombardements effectués sans mandat de l’ONU. Or la Serbie a été déboutée de sa
requête, la Cour trouvant que n’étant pas à l’époque membre de l’ONU, la Serbie n’avait donc
pas de jus standi, de droit d’ester devant « l’organe judiciaire principal des Nations Unies ».
Depuis lors la Serbie soutient que n’ayant pas accès à la Cour en 1999 elle ne peut pas plus
être attraite devant elle. Tout cela n’est pas le fruit d’un heureux hasard pour la Serbie : un de
ses agents a expliqué dans une interview donnée à la presse serbe que sa stratégie avait été de
perdre le procès contre les membres de l’OTAN pour ensuite pouvoir se prévaloir d’une
décision lui permettant de déclarer que la Cour n’avait pas compétence pour connaître d’une
affaire impliquant la Serbie, y compris celle du génocide.
100   Par exemple CR 2006/12, 8 mars 2006, p. 11 et 17 ; CR 2006/18, 14 mars 2006, p. 10 :
« Mais peut-on, aujourd’hui, charger l’histoire des Balkans de cet épouvantable crime qui
heureusement n’a pas été commis au moment même où la région doit s’apaiser, au moment
même où la mission de votre Cour est de concourir à la paix, où il faut arracher la vengeance
à la mémoire des peuples ? ».
101   Voir l’analyse de la défense mise en place par Vojislav Šešelj : Élisabeth Claverie,
« Outrage au Tribunal. La défense mafieuse, une nouvelle forme de défense », Droit &
Société, à paraître en 2009.
102   « Si les contradictions [entre juridictions] se multiplient, il sera bien difficile pour les
États de savoir comment se comporter, et pour les conseillers juridiques des États de
s’acquitter de leur mission. Cette fragmentation du droit international et de la justice
internationale présente un réel danger pour le rôle du droit international dans la vie
internationale » déclare en 2000 le Président de la CIJ d’alors, ancien conseiller juridique du
Quai d’Orsay, devant la Commission du droit international de l’ONU in Annuaire de la
Commission du droit international, 2000, vol. I, « Compte-rendu analytique de la 2658e
séance », p. 384.
103   Annuaire de la Commission du droit international, 2000, vol. I, « Compte-rendu
analytique de la 2658e séance », p. 386-387.
104   CR 2006/30, 18 avril 2006, p. 35-37 en particulier.
105   Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France. 1976,
« Cours du 21 janvier 1976 », Paris, EHESS/Gallimard/Seuil, 1997, p. 44 et 45. Il me semble,
et ce d’autant plus que des plaideurs tels que Ian Brownlie et Xavier de Roux sont plus
passionnément sincères je crois que cyniquement calculateurs, que leurs plaidoiries sont
parentes, par le style et l’insistance sur la « désinformation » au moins, de certains écrits de
Vladimir Volkoff par exemple dont le roman L’Enlèvement, publié aux Éditions du Rocher en
2000, un an donc après l’inculpation de Slobodan Milošević, met en scène le personnage,
assez pauvre cliché à vrai dire, d’un jeune capitaine français, issu d’une vieille souche
bretonne qu’on imagine aisément d’extraction noble immémoriale, catholique et chouanne, et
dont la vocation militaire est éprouvée lorsque ses supérieurs l’envoient enlever en secret le
Président du Monterosso, héros, abandonné aux marches de la Chrétienté, d’un combat
orthodoxe et national contre l’islamisme international, pour le faire ensuite comparaître
devant un Tribunal des Droits de l’Homme sis en Europe du Nord, instrument bien entendu de
l’impérialisme et de la propagande moralisatrice des Etats-Unis. Plusieurs publications des
Éditions L’Âge d’Homme pourraient être extraites de la même veine ; un exemple qui ne sera
sans doute jamais dépassé dans son esthétique propre : le Camerone de Patrick Barriot, qui fut
médecin colonel et servit dans la FORPRONU avant de devoir démissionner de l’armée
française pour avoir refusé de renoncer à sa qualité de « représentant » de la « République
serbe de Krajina », préférant perdre son grade plutôt que « perdre l’honneur » comme il le
dira, comme témoin de la défense, au procès de Slobodan Milošević (audience du 11 janvier
2005, p. 34 858) : « Mon nom est Patrick Barriot. Je n’ai pas besoin de pseudonyme pour
dénoncer les bourreaux et les calomniateurs du peuple serbe. Je suis citoyen de la République
Française, citoyen de la République Serbe de Krajina et citoyen européen. / En tant que
citoyen français je voudrais raviver le souvenir de notre histoire de France ensevelie sous la
poussière journalistique. / Le souvenir du temps où les cloches de Notre Dameannonçaient
aux chrétiens de France la tragique défaite du Prince Lazar face aux envahisseurs turcs
[référence à la bataille de Kosovo Polje en 1389]. […] En tant que citoyen de la République
Serbe de Krajina, je voudrais rappeler certaines choses. La Krajina n’est pas un territoire
“occupé”, ni “annexé”, ni “conquis” par les Serbes depuis 1991. La Krajina est une terre serbe
depuis le IXe siècle. […] / En tant que citoyen européen, je pose la question : “Laisserons-
nous exterminer un peuple qui verse son sang depuis 600 ans pour la défense d’une Europe
libre et chrétienne ?” », in Patrick Barriot, Ève Crépin, On assassine un peuple. Les Serbes de
Krajina, Paris, L’Âge d’Homme, 1995, p. 9, 11 et 12.
106   Voir l’article dans lequel il revient sur sa critique du « droits-de-l’hommisme » et s’en
explique : Alain Pellet, « “Droits-de-l’hommisme” et droit international », Droits
fondamentaux, n° 1, décembre-juillet 2001, p. 167-179, http://www.droits-
fondamentaux.org/article.php3 ?id_article =27, consulté le 8 mars 2009.
107   CR 2006/12, 8 mars 2006, p. 41.
108   CR 2006/30, 18 avril 2006, p. 30 et s.
109   CR 2006/7, 2 mars 2006, p. 57.
110   CR 2006/15, 10 mars 2006, p. 39.
111   CR 2006/26, 24 mars 2006, p. 34-56.
112   CR 2006/23, 20 mars 2006, p. 36.
113   CR 2006/26, 24 mars 2006, p. 13.
114   CIJ, Génocide, Arrêt, 26 février 2006, § 208.
115   Voir sur les conflits au sein du TPIY le réquisitoire de Florence Hartmann, ancienne
porte-parole de Carla del Ponte, réquisitoire qui lui a d’ailleurs valu d’être mise en accusation
à son tour pour « outrage au Tribunal » : Paix et Châtiment, op. cit.. Je rappelle que le
premier représentant juridique de la Bosnie devant la Cour avait annoncé à l’ONU son
intention d’introduire une instance contre le Royaume-Uni, cf. note 44.
116   Bruno Latour, La Fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La
Découverte, 2002, p. 251 et 248.
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References
Bibliographical reference
Pierre-Yves Condé, “L’Affaire du génocide. Bosnie et Serbie devant la Cour internationale
de Justice ou la dénonciation à l’épreuve du droit international”, Droit et cultures, 58 | 2009,
109-140.
Electronic reference
Pierre-Yves Condé, “L’Affaire du génocide. Bosnie et Serbie devant la Cour internationale
de Justice ou la dénonciation à l’épreuve du droit international”, Droit et cultures [Online],
58 | 2009-2, Online since 06 July 2010, connection on 27 January 2023. URL:
http://journals.openedition.org/droitcultures/2126; DOI:
https://doi.org/10.4000/droitcultures.2126
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This article is cited by
 Claverie, Élisabeth. (2012) Mettre en cause la légitimité de la violence d’État.
Quaderni. DOI: 10.4000/quaderni.579

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About the author
Pierre-Yves Condé
Pierre-Yves Condé est membre de l’Institut des sciences sociales du politique (UMR 7220,
CNRS, Université Paris Ouest Nanterre, Ecole normale supérieure de Cachan). Ses recherches
portent sur le droit et la justice internationale. Parmi ses dernières publications : « La justice
internationale entre guerre et espoir de paix », in J. Commaille, M. Kaluszynski (dir.), La
Fonction politique de la justice, Paris, La Découverte, 2007, p. 251-272 ; « Causes de la
justice internationale, causes judiciaires internationales », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 174, septembre 2008, p. 25-32 ; avec Anne Devillé†, coordination du dossier « A
l’épreuve de la violence, figures de la justice transitionnelle », Droit et Société, à paraître en
2009. conde@isp.ens-cachan.fr
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