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CHAPITRE 15

La durabilité des bétons de ciment


prompt naturel

D. SOMMAIN

Résumé
Le ciment prompt naturel d’une composition chimique proche des ciments Port-
land se distingue de ceux-ci de par une composition minéralogique spécifique.
Cette dernière formée à une température comprise entre 800 et 1200 °C procure
à ce ciment naturel une prise rapide de l’ordre de quelques minutes. La prise est
suivie immédiatement d’une montée en résistance qui s’effectue en deux temps:
rapide de la fin de prise à quelques heures puis continue dans le temps pendant
de nombreux mois. Cette composition minéralogique spécifique avec une quasi
absence de portlandite confère une bonne tenue aux eaux agressives et à la pol-
lution urbaine prouvée sur plus de 150 ans.
Mots-clés
ATTAQUE SULFATIQUE, BÉLITE, CHAUX ROMAINE, CIMENT NATUREL, CIMENT ROMAIN,
CUISSON BASSE TEMPÉRATURE, EAUX AGRESSIVES, HYDRATATION RAPIDE, MAYÉNITE,
POLLUTION URBAINE.

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

1. INTRODUCTION
Le ciment prompt naturel (CNP) ne se distingue pas des ciments Portland par sa
composition chimique mais par sa composition minéralogique spécifique lui con-
férant un temps de début de prise très rapide (2 minutes) suivi une minute après, dès
la fin de prise, par un durcissement immédiat, rapide et progressif dans le temps.
Les applications qui découlent de ces propriétés de rapidité sont celles qui récla-
ment une remise en service tout aussi rapide, telles que : des mortiers de scellement,
de réparation et de maçonnerie rapide, d’étanchéité, d’arrêt de venue d’eau…
Ces propriétés ont donné satisfaction aux utilisateurs au cours du temps. Ce ci-
ment est fabriqué depuis plus de 150 ans; de nombreux ouvrages anciens à base
de ce liant sont encore en service et visitables à l’heure actuelle. À une époque où
il est souvent exigé une durée de service de 100 à 120 ans, le ciment prompt na-
turel est une solution originale de durabilité.
Dans ce chapitre, il sera abordé la composition minéralogique assurant les pro-
priétés de rapidité et de durabilité du CNP. Un exemple de comportement sur plus
de 120 ans face aux agressions urbaines sera explicité. La tenue aux eaux agres-
sives sera développée. Nous verrons que pour une application de qualité durable
des dosages spécifiques doivent être utilisés.

Histoire des ciments naturels


Au début du XIXe siècle, dans toute l’Europe, une émulation se créa pour remplacer
les fameux mélanges chaux et pouzzolanes datant de l’époque romaine. La pouzzola-
ne, importée d’Italie, était chère et de qualité très inégale. Dans l’esprit du siècle des
lumières, pour des raisons économiques, d’indépendance nationale et de recherche de
technicité pour aller vers plus d’hydraulicité de nombreux chaufourniers se mirent à
cuire des calcaires moins purs de manière empirique avec plus ou moins de bonheur.
En 1818, Louis Vicat [VIC 18] développe, devant l’Académie des sciences qui l’ap-
prouva, pour la première fois la théorie de l’hydraulicité (propriété des liants de durcir
sous l’eau) en démontrant scientifiquement le rôle de la teneur en argiles dans les cal-
caires de l’époque. En utilisant le rapport argile/chaux, il définit « l’indice d’hydrauli-
cité » ce qui lui permit de classer les chaux et ciments naturels de l’époque
(figure 15.1) et d’inventer les ciments artificiels en reconstituant des mélanges de
chaux et d’argile.
C’est avec cette même clairvoyance que L. Vicat conseilla la première fabrication in-
dustrielle de Ciment Prompt Naturel en 1842 à Grenoble [VIC 40, DUM 60] sur les lieux
même d’une exploitation de chaux où affleure un calcaire argileux qu’il trouva [VIC 27,
VIC 26] en 1827. Son fils Joseph continua la fabrication de ce ciment naturel en Char-
treuse sur le site de « la Pérelle » où il est toujours fabriqué. Du fait des qualités intrin-
sèques de sa matière première, le ciment prompt naturel Vicat traversa les siècles pour
être aujourd’hui le seul ciment naturel produit en quantité industrielle dans le monde.

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La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

Indice d'hydraulicité ((silice + alumine)/chaux)

0,1 0,31 0,5 0,65


1 700
ciment Portland artificiel
Température de cuisson (°C)

1 500
ciment
chaux faiblement prompt
1 300 ciment Portland
hydraulique naturel
naturel

1 100
ciment naturel
chaux chaux chaux
900 grasse moyennement
hydraulique

700
chaux éminemment chaux limite
hydraulique
500
0 5 10 15 20 25 30 35
Argile (%)

Figure 15.1 : classification de L. Vicat.


Il s’agit de la première classification vraiment scientifique des liants hydrauliques. Elle résulte des
premiers travaux de L. Vicat qui a reproduit artificiellement un liant hydraulique en réalisant la
cuisson d’un mélange de calcaire et d’argile. Cette classification est basée sur la proportion d’ar-
gile et sur l’indice d’hydraulicité qui se calcule en faisant le rapport (silice + alumine)/chaux. En
fonction de la température de cuisson des différents liants, il est possible de situer les premiers
liants chaux et ciment naturel par rapport aux ciments modernes.
À cette époque, partout ailleurs, des ciments naturels aussi appelés « ciments
romains » ou « chaux romaines » ou tout simplement chaux hydrauliques sont fabri-
qués à partir de calcaire ayant une teneur en argile plus importante que les ciments
Portland actuels [ECK 28]. De fait la composition chimique de ces liants naturels
[MER 06] est très variée et s’étend des clinkers Portland actuels aux laitiers
(figure 15.2) Le procédé de cuisson de l’époque, cuisson en four droit à température
inférieure à 1200 °C, n’était pas adapté pour combiner totalement la chaux avec la
silice. Pour garder le maximum d’hydraulicité, l’extinction de cette chaux vive, com-
me il se fait actuellement pour les chaux hydrauliques naturelles, n’était pas souhai-
tée. C’est la raison pour laquelle la teneur en chaux devait être plus basse donc une
matière première riche en argile. Cette absence de chaux vive explique la différence
d’appellation entre ciment naturel et chaux hydraulique naturelle alors qu’ils ont en
commun les mêmes minéraux mais en proportion différente.

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

2. CARACTÉRISTIQUES DU CIMENT PROMPT NATUREL


2.1. Composition chimique et minéralogique : un liant bélitique activé
par des aluminates très réactifs
Le ciment prompt naturel (CNP) résulte de la cuisson de matériaux issus d’un seul
et même banc de marnes situé à la base du crétacé du massif de la Chartreuse en
Isère. Ce banc présente une composition chimique très constante avec un titre en
carbonate (teneur en carbonate de calcium et de magnésium exprimé en CaCO3)
de 72 pour 78 avec les clinkers Portland. Il est donc proche d’un cru de clinker
Portland classique mais avec toutefois des singularités qui en font un matériau
unique. Cette marne, extrêmement fine et homogène associe dans un même ma-
tériau calcaire et argiles, le tout très intimement mêlé. Aucun correcteur de com-
position n’est ajouté d’où son appellation de ciment naturel. Les pierres extraites
de la carrière souterraine sont concassées et cuites en blocs de 2 à 20 cm de dia-
mètres dans des fours droits.
0 100

10 90

20 80 Pouzzolanes
30 70
O
Ca

60
SiO

40 Ciments haut-fourneau CEM III


Laitiers
50 50
Ciments naturels Ciments alumineux
2

(d'après [MER 06]) 60 40


Ciments sulfo-alumineux
Clinkers Portland 70 30
Ciment prompt naturel
80 20
90 10
Chaux hydraulique
100 0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Al2O2

Figure 15.2 : localisation du ciment prompt naturel dans le triangle CaO-SiO2-Al2O3,


d’après [MER 06].

Le ciment prompt naturel comme les clinkers Portland se positionne globalement


entre les domaines des chaux hydrauliques et des ciments naturels.
L’originalité du CNP ne provient pas d’une composition chimique particulière
(tableau 15.1 et figure 15.2), elle est très voisine de celle d’un clinker Portland,
mais plutôt d’une cuisson à température basse et à large spectre thermique de
600 à 1200 °C.
Il en résulte la formation à l’état solide avec peu de phases fondues d’une vaste
gamme de minéraux :
– une partie de la pierre n’est pas suffisamment chauffée ; elle est simplement
déshydratée d’où la perte au feu élevée et la présence de résidu insoluble ;

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La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

– à température plus élevée, toute une famille d’aluminates plutôt pauvres en


chaux se forment : C4AF, C3A, C12A7, C4A3 S et C2AS. Des traces de monoalu-
minate de calcium sont présentes. Malgré leur variété, la somme de tous les alu-
minates hydrauliques présents dans le CNP ne dépasse guère 20 % du total des
phases, cette valeur reste dans la fourchette des ciments artificiels qui renferment
couramment entre 16 et 21 % d’aluminates ;
– la bélite (C2S) est très largement majoritaire, représentant près de la moitié du
liant ce qui fait du CNP un liant bélitique. L’alite (C3S), principal constituant des
ciments artificiels, n’est ici présente qu’en très faibles quantités car s’il y a réac-
tion, elle est locale et très partielle. La combinaison silice-chaux est assez équili-
brée puisque la formation de chaux vive (CaO) est minime (de l’ordre de
quelques %).
Le CNP renferme également en faibles quantités d’autres phases telles que le pé-
riclase, des sulfates alcalins, des sulfates de calcium et calco-alcalins qui jouent
un rôle très important lors de l’hydratation du liant.
Tableau 15.1 : composition chimique et minéralogique type du CNP.

PF 975 °C SiO2 Al2O3 Fe2O3 CaO MgO SO3 K2O Na2O

9% 18 % 7,5 % 3,5 % 53 % 4% 3,5 % 1% 0,5 %

Chaux Autres dont


C3S C2S C3A C4AF C12A7 C4A3 S Périclase Calcite Sulfates
libre phases amorphes

5-15 % 40-60 % 6 ± 2 % 9 ± 2 % 3 ± 1 % 3 ± 1 % 4 ± 1 % 2 ± 2 % 10-15 % 3 ± 1 % 10-15 %

La cuisson à basse température donne naissance à des minéraux de très petite


taille dont certains mal cristallisés sont plus réactifs que dans un clinker de ciment
artificiel. Contrairement à ce dernier, le CNP ne reçoit aucun ajout de gypse ou
d’anhydrite pour réguler sa prise. La seule source de soufre provient donc des dif-
férents sulfates présents naturellement dans le ciment.
L’autre particularité de cette cuisson à une température moins élevée qu’un ci-
ment Portland est un bilan thermique faible de l’ordre de 65 % de celui d’un
CEM I. À cette contribution au développement durable s’ajoute le fait que les
émissions de CO2 de décarbonatation du CNP représentent 80 % de celui des
CEM I.

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

2.2. Hydratation du CNP : deux phases d’hydratation originales


Les réactions d’hydratation se font en deux phases distinctes : la première très
rapide grâce aux aluminates très réactifs et la seconde grâce à la réaction à
moyen et long terme de la bélite.
Les premiers hydrates commencent à se former juste après le gâchage. L’hydra-
tation très rapide d’une partie du C12A7 et du C3A en présence de soufre prove-
nant des divers sulfates alcalins, et de chaux hydratée donne naissance à des
hydrates d’aluminium sulfocalciques de type monosulfoaluminate de calcium
(réactions 1 et 2). L’hydratation du C4AF (réaction 3) en présence toujours des
sulfates de la solution interstitielle poursuit cette formation. Le C4A3 S , qui s’hy-
drate plus tardivement (quelques heures), apporte une nouvelle quantité de mono-
sulfoaluminate qui se rajoute à la précédente (réaction 4). En général, au bout de
48 heures une bonne partie des aluminates est hydratée ainsi que le peu de C3S
alors que l’hydratation de la bélite n’a pas encore commencé (réaction 5), celle-
ci ne débute qu’au bout de quelques jours. Entre les deux les résistances mécani-
ques évoluent peu, elles reprennent entre 5 et 7 jours avec l’hydratation progres-
sive de la bélite.
C12A7 + 7Ca2+ + 7 SO42– + 9 Ca(OH)2 + 75 H2O → 7 C3A.CaSO4.12H2O (1)

C3A + Ca2+ + SO42– + 12 H2O → C3A.CaSO4.12H2O (2)


C4AF + SO42– + 13 H2O → C3(A,F)CaSO4.12H2O + 2OH– (3)

C4A3 S + 8 Ca2+ + 2 SO42– + 36 H2O + 12OH– → 3C3A.CaSO4.12H2O + 6H2O (4)


C2S + 2 H2O → C-S-H + Ca(OH)2 (5)
Contrairement à l’alite, que l’on trouve en abondance dans les ciments artifi-
ciels, l’hydratation de la bélite ne donne naissance qu’à une faible quantité de
portlandite (hydroxyde de calcium). Au bout de quelques semaines d’hydrata-
tion, une pâte ou un mortier de CNP renferme donc une bonne part d’hydrates
stables (monosulfoaluminate de calcium, C-S-H). Ces minéraux sont beaucoup
moins sensibles aux altérations que la portlandite ou les aluminates de calcium.
L’observation au microscope électronique à balayage de pâtes et mortiers de CNP
âgés de plus d’un mois révèle une texture souvent compacte (figures 15.3 et 15.4),
fermée, peu poreuse. La plupart des hydrates formés (monosulfoaluminates et C-
S-H) sont de très petites tailles et très imbriqués les uns dans les autres. Les auréo-
les de transitions entre la pâte et les granulats, qui sont souvent des zones privilé-
giées pour la circulation des solutions d’altération, sont ici fines, pauvres en
portlandite, peu poreuses, d’où une durabilité accrue du matériau.

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La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

Figure 15.3 : aspect de la pâte de CNP dans un mortier,


rapport sable/ciment = 1/3 E/C = 0,5 à 56 jours
(image au microscope électronique à balayage).

Figure 15.4 : aspect de l’auréole de transition pâte/granulat dans un mortier


rapport sable/ciment = 1/3 à 56 jours (image au microscope électronique à balayage).

2.3. Normalisation et agrément technique européen


La norme NF P15-314 définit les spécifications des caractéristiques chimiques et
mécaniques du ciment prompt naturel. Le Laboratoire d’essais des matériaux de
la Ville de Paris, dans le cadre de l’attribution de la marque NF vérifie la confor-
mité de cette norme.
La norme NF P15-317 Ciments pour travaux à la mer le reconnaît apte pour les
travaux à la mer.

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

Un agrément technique européen (ETA-07/0019) atteste la conformité du produit


aux spécifications techniques harmonisées (annexe ZA) de la norme à laquelle il
se réfère (NF EN 197-1). Cette procédure permet d’obtenir le marquage régle-
mentaire CE.

3. DURABILITÉ DES MORTIERS ET BÉTONS DE CIMENT


PROMPT NATUREL
3.1. Une solution rapide et durable, une montée en résistance
sur plusieurs années
Les deux caractéristiques principales du ciment prompt naturel (CNP) en ce qui
concerne l’évolution des résistances dans le temps sont :
– une montée très rapide des résistances dès la fin de prise ;
– une progression continue sur plusieurs années.
Le tableau 15.2 montre cette évolution des résistances. L’hydratation des miné-
raux alumineux (C12A7, C4AF et C3A) et dans une moindre mesure sulfoalumi-
neux (C4A3 S ) est responsable de cette montée rapide en résistance de la prise
jusqu’à quelques jours.
Bien que la teneur en alumine soit relativement faible (7,5 %), les interactions
positives entre les différents minéraux alumineux lors de l’hydratation en font
un système très réactif en terme de prise et de durcissement ce qui facilite la mise
en service rapide des travaux.

Tableau 15.2 : montée en résistance à court et long terme


(mortier de rapport sable/ciment =1/1, E/C=0,38).

Échéances 15 min 1 heure 3 heures 1 jour 7 jours 28 jours

Valeurs (MPa) moyennes 5,5 7 9 15 23 32

Spécifications NF P15-314 >4 >6 >8 > 10 >14 > 19

Échéances 3 mois 6 mois 1 an 2 ans 5 ans 10 ans

Valeurs (MPa) moyennes 40 46 52 60 63 67

L’hydratation lente de la bélite (C2S) assure ensuite la montée en résistance sur


plusieurs années. Ce silicate dicalcique apporte donc un potentiel d’hydratation
dans le temps et une possibilité « d’autocicatrisation » d’éventuels dommages
tels qu’une microfissuration au jeune âge. Il s’agit donc d’une propriété de du-
rabilité importante.

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La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

3.2. Durabilité face aux agressions de la pollution urbaine


Le fait que le ciment prompt naturel soit fabriqué avec pratiquement le même pro-
cédé (four droit) depuis les années 1850 jusqu’à maintenant et que de nombreux édi-
fices construits il y a plus d’une centaine d’année soient encore fonctionnels, nous
donne un recul unique pour caractériser la durabilité dans le temps de ce ciment.
La ville de Grenoble a un patrimoine du XIXe siècle riche en constructions à base
de ce ciment naturel. Le Cercle des partenaires du patrimoine [CAI 05a, CAI 05b]
a mené un programme de recherche concernant les ciments naturels Isérois et leurs
altérations. Une enquête de terrain a tout d’abord permis de recenser une soixan-
taine d’édifices sur l’Isère utilisant des ciments naturels. Un bon état de conserva-
tion de ces bétons anciens a été constaté. Deux principales altérations de surface
ont, toutefois, été observées : un phénomène d’érosion laissant apparaître les gra-
nulats (figures 15.5 et 15.6) et un phénomène d’écaillage de surface associé à des
croûtes noires (figure 15.7). Le phénomène d’érosion a été observé sur la quasi-
totalité des bâtiments alors que l’écaillage ne concernait que quelques édifices.
Des analyses physico-chimiques ont ensuite été menées sur des échantillons pré-
levés sur cinq sites représentatifs. Elles ont permis d’identifier des microstructu-
res se rapprochant de celles du ciment prompt actuel, confirmant des données
historiques concernant les matériaux de construction des édifices. Elles ont éga-
lement conduit à caractériser les mécanismes d’altération.

Figure 15.5 : exemple d’altération Figure 15.6 : exemple d’altération


par érosion sur un moellon en ciment par érosion sur un décor de façade
naturel, église Saint-Bruno de Grenoble à Grenoble [CAI 05a]
[CAI 05a] (photo Cercle du patrimoine). (photo Cercle du patrimoine).

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LA DURABILITÉ DES BÉTONS

Figure 15.7 : phénomène d’écaillage associé au développement de croûtes noires sur le


lycée Champollion de Grenoble [CAI 05a] (photo Cercle du patrimoine).

3.2.1. Les phénomènes d’écaillages


(exemple des piliers du lycée Champollion datant de 1882)
Des observations au microscope électronique à balayage (figure 15.8) ont révélé
de nombreuses cristallisations de gypse en surface et en subsurface des zones
écaillées.

Zone 4 Zone 3 Zone 2 Zone 1


Surface Pâte de ciment
externe carbonatée

Cristaux
de gypse

Béton carbonaté Veines Croûte noire


Gypse cristallisé
dans les microporosités de cristaux
de la pâte de gypse

Figure 15.8 : cartographie EDS montrant la répartition du soufre (cristallisations de


gypse) dans la subsurface des échantillons prélevés dans la zone écaillée
du lycée Champollion [CAI 05a].

Des cartographies élémentaires, réalisées par spectrométrie à dispersion d’énergie


(EDS), ont montré plusieurs formes de cristallisation du gypse localisées dans
quatre principales zones présentant des microstructures différentes en fonction de
la profondeur :
• zone 1 : zone d’environ 200 µm d’épaisseur, localisée en surface et principale-
ment, composée de gypse. Elle correspond à la croûte noire observée en surface

834
La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

qui provient certainement d’un apport de soufre externe probablement causé par
la pollution urbaine ;
• zone 2: zone très microfissurée d’environ 500 µm d’épaisseur localisée en sub-
surface, les cristallisations de gypse sont localisées dans des microfissures paral-
lèles à la surface. Ce gypse est de type palissadique avec une croissance perpen-
diculaire à la surface ;
• zone 3: zone plus compacte d’environ 2,5 mm d’épaisseur, de nombreuses
cristallisations de gypse ont été observées dans les microporosités de la pâte ;
• zone 4: elle correspond au béton carbonaté. Sa morphologie est représentative
des zones non écaillées. Les cristallisations de gypse ne sont plus détectées sauf
dans le cas de fissures se propageant depuis la surface.
Ces formes cristallines du gypse ainsi que leurs localisations présentent de nom-
breuses similitudes avec les mécanismes d’altération des pierres liés à la présence
de croûte noire [BRO 96]. Cette dernière correspond à un dépôt de surface cons-
titué de gypse cimentant d’autres particules apportées par l’environnement exté-
rieur telles que les cendres volantes, des suies. Les cristallisations internes de
remplissage de type palissadique constatées dans les microfissures et les porosités
des pierres altérées sont du même type que celles observées dans la zone 2.
3.2.2. Les phénomènes d’érosion
(exemple de l’église Saint-Bruno datant de 1874)
Bien qu’un faible enrichissement en soufre ait été constaté sur les 5 premiers mil-
limètres, sans doute lié à un apport externe causé par la pollution urbaine, le phé-
nomène d’érosion semble principalement lié à une dissolution associée à l’eau de
pluie.
3.2.3. Carbonatation
Les différentes mesures ont montré une profondeur de carbonatation variant de 15
à 30 mm seulement.
Sur une soixantaine d’édifices recensés (en béton âgé de plus d’une centaine
d’années), quelques-uns présentent une altération conséquence d’une attaque
sulfatique due à la pollution urbaine. Ces altérations, qui n’affectent le béton
que sur quelques millimètres, sont tout à fait comparables à celles observées sur
les pierres d’après [BRO 96]. Étant donné l’âge plus que centenaire des bétons
étudiés, leur faible profondeur de carbonatation confirme leur bonne tenue dans
le temps.

835
LA DURABILITÉ DES BÉTONS

3.3. Résistance aux eaux agressives


La réponse du CNP aux agressions extérieures est dictée par sa composition mi-
néralogique spécifique ainsi que par sa porosité.
• La portlandite est très peu présente dans le ciment hydraté, de ce fait, sa disso-
lution par une attaque acide a peu d’effet et la formation de gypse secondaire par
substitution avec les sulfates lors d’une attaque sulfatique est peu importante. La
réaction entre ce gypse secondaire avec des reliquats de C3A anhydre ou le
monosulfoaluminate de calcium pour la formation d’ettringite secondaire est
donc réduite. Cette ettringite secondaire se formant dans un milieu pauvre en
chaux ne provoque pas d’expansion [BAR 92]. La figure 15.9 montre un com-
portement similaire à un ciment de qualité PM ES en présence d’eau sulfatée.
• L’hydratation lente du C2S donne un potentiel d’hydrate se développant dans
le temps permettant la formation d’une faible perméabilité (figure 15.10).
• Les résultats des essais de longue durée (50 ans) effectués sur des cubes de
bétons de CNP immergés dans la zone de marnage dans le port de La Rochelle,
ayant permis au CNP d’obtenir la norme NF P15-317, confirment la bonne tenue
du ciment prompt naturel à l’eau de mer.

1 000
Expansion (μm/m)

800

600

400

200

0
0 50 100 150 200 250 300 350
Jours
n° 1 n° 2 n° 3 n° 4

Figure 15.9 : comportement en présence d’eau sulfatée.


Des éprouvettes (2,5 × 2,5 × 28cm) de mortier de CNP (courbes 1 et 2) de rapport sable/ciment = 1/2
et de E/C = 0,40 et de mortier de CEM I 52,5 N PM ES (courbes 3 et 4) de rapport sable/ciment = 1/3
et de E/C = 0,50 ont été conservées en immersion totale (courbe continue) ou en cycle mouillage sé-
chage journalier (courbe pointillée) 16 heures d’immersion et 8 heures de séchage dans une solution
de sulfate de magnésium concentrée à 50 g/L d’eau pendant un an.

836
La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

Perméabilité

1,E-10

1,E-11
Coefficient 1,E-12
de perméabilité
(m/s) 1,E-13

1,E-14

1,E-15
CEM II 42.5 1/3 CNP 1/1
Composition
28 jours 3 mois 6 mois 12 mois

Figure 15.10 : évolution du cœfficient de perméabilité d’un mortier de CNP.


Mortier de CNP (rapport ciment/sable = 1/1, E/C = 0,38) et d’un mortier de CEM II 42,5 (rapport ci-
ment/sable = 1/3, E/C = 0,5) Les dosages testés sont différents car ils correspondent à ceux habituel-
lement utilisés sur chantier.

4. LES RÈGLES D’UTILISATION POUR UNE BONNE


DURABILITÉ
Le temps de prise rapide et les dosages doivent être maîtrisés pour une bonne
qualité d’application et surtout pour avoir une bonne garantie de durabilité. Il
faut veiller à ne pas se faire surprendre par la prise rapide car cela entraîne une
perte de maniabilité irréversible. Remalaxer le mortier ou le béton après le dé-
but de prise ainsi qu’effectuer un rajout d’eau ne fait qu’altérer la précipitation
et la cristallisation des minéraux en augmentant la porosité.

Le ciment prompt naturel est utilisé dans les mortiers et bétons. Le maximum de
compacité pour une bonne durabilité est obtenu comme avec les autres liants en
optimisant le squelette granulaire des granulats (voir le chapitre 3).
4.1. Un dosage spécifique et compatibilité de l’adjuvantation
Afin que les résistances aux jeunes âges se développent de manière optimale et
que la durabilité soit maximum, il est conseillé d’utiliser un rapport eau/ciment
inférieur à 0,5, idéalement à 0,4. Afin d’avoir une maniabilité acceptable par les
utilisateurs, cela implique des dosages recommandés [VIC 03, BAR 96] plus éle-
vés que ceux des ciments Portland, de l’ordre de 600 à 900 kg/m3 pour les mor-
tiers et de 400 à 600 kg/m3 pour les bétons.

Même à ces dosages élevés, le retrait du ciment prompt naturel n’est pas supérieur
à ceux des ciments Portland à leur dosage usuel. Il est possible d’utiliser le ciment
prompt naturel à des dosages inférieurs et des E/C supérieurs à ceux recomman-

837
LA DURABILITÉ DES BÉTONS

dés pour des usages peu sollicités mécaniquement et ne nécessitant pas une dura-
bilité maximum.
L’emploi d’adjuvant réducteur d’eau peut permettre de baisser ces dosages re-
commandés en respectant le rapport eau/ciment optimum. Les familles de plasti-
fiant et superplastifiant adaptées sont par ordre d’efficacité : les polycarboxylates
spécifiques aux liants rapides, les lignosulfonates, les polynaphtalènes sulfonates
et les polymélamines sulfonées. Pour les autres adjuvants, leur compatibilité avec
le ciment prompt naturel doit être vérifiée par des essais préalables.
4.2. Maîtrise du temps de prise, emploi
La prise rapide du ciment prompt naturel ne laisse du temps disponible que
pour mettre en œuvre de faibles quantités (de l’ordre de quelques litres). L’em-
ploi de retardateur devient donc évident pour gâcher de grands volumes de bé-
tons.

Le retardateur le plus efficace est l’acide citrique. Comme autre facteur influant
sur le temps de prise, la température est à prendre en considération (tableau 15.3).
Tableau 15.3 : facteurs modifiant le temps de prise (pâte pure, E/C = 0,36).

Température (°C) 5 10 20 30

Temps de prise en fonction Début de prise (min) 5 3 1,5 1


de la température Fin de prise (min) 6 4 2 1,5

Acide citrique (%) 0 0,3 0,6 0,8

Temps de prise réglable Début de prise (min) 1,5 5 15 21


par l’ajout d’acide citrique à 20 °C Fin de prise (min) 2 6 16 24

5. CONCLUSION
Fabriqué depuis plus d’un siècle et demi, le ciment prompt naturel offre des réfé-
rences sur toute cette période. Son comportement vis-à-vis des agressions indus-
trielles et urbaines a été étudié. L’attaque sulfatique due aux ambiances urbaines
n’affecte que la peau du béton sur quelques millimètres. En profondeur le béton
reste sain. Cela explique que de nombreux ouvrages et édifices soient encore en
service à l’heure actuelle.
Bien qu’ayant une composition chimique proche des clinkers de ciment Portland,
il en diffère au niveau de sa composition minéralogique du fait de sa cuisson à une

838
La durabilité des bétons de ciment prompt naturel

température moins élevée. Cette composition minéralogique originale et inhabi-


tuelle donne lieu à une hydratation ingénieuse en deux phases :
– les aluminates apportent la rapidité, la prise se produit quelques minutes après
hydratation ;
– les silicates composés essentiellement de bélite donnent une montée en résis-
tance sur plusieurs années.
Il en résulte des propriétés de durabilité, comme une bonne résistance aux eaux
agressives, essentiellement dues à la quasi-absence de portlandite et à une faible
porosité.
Ce ciment présente une solution originale de durabilité qui a fait ses preuves sur
plus de 150 ans.

Bibliographie
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839
LA DURABILITÉ DES BÉTONS

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