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Matière : MANAGEMENT STRATÉGIQUE Année universitaire : 2019 – 2020

Équipe pédagogique : Pr. S. OULFARSI / Pr. M. MZAIZ / Pr. H. SAKALLI

Cas 5 : Lenovo : Le PC passe à l’Est


En mai 2005, Lenovo, treizième constructeur mondial de micro-ordinateurs, racheta la division PC
d’IBM, troisième constructeur mondial. Lenovo, qui à l’époque était présent uniquement en Chine,
paya 1,75 milliard de dollars pour prendre le contrôle d’une activité intervenant dans le monde
entier, qui avait fait partie des pionniers historiques de l’industrie, avec le lancement du premier
IBM PC en 1981. Michael Dell, dont l’entreprise était alors le leader mondial de la micro-
informatique, commenta sobrement : « Cela ne marchera jamais. »
Lenovo avait été fondé sous le nom Legend en 1984 par Liu Chanzhi, un chercheur de 40 ans qui
travaillait alors à l’Institut d’informatique de l’Académie chinoise des sciences. Son expérience
incluait notamment le démontage de radars américains récupérés lors de la guerre du Vietnam et la
récolte du riz lors de la Révolution culturelle. Pour obtenir de son institut les 25 000 dollars de
capital qui lui étaient nécessaires pour lancer son entreprise, Liu Chanzhi assura à son directeur
qu’il atteindrait un chiffre d’affaires de 250 000 dollars. Il s’installa dans la vieille salle de garde de
l’institut et se fit prêter d’autres locaux lorsque ce fut nécessaire. Une de ses premières activités fut
la vente de téléviseurs couleur. Cependant, il ne connut le succès qu’en 1987, avec la
commercialisation du premier convertisseur de caractères chinois pour les PC d’importation.
Legend commença véritablement à croître lorsque Liu Chanzhi, grâce à l’appui de son père, qui
occupait un poste élevé au sein du gouvernement chinois, importa des PC à bas prix depuis
Hongkong. En 1988, il publia sa première annonce de recrutement, grâce à laquelle 58 nouveaux
employés rejoignirent Lenovo. Alors que l’équipe d’origine était composée de quarantenaires, ces
nouveaux venus étaient tous âgés de moins de 30 ans, car la Révolution culturelle avait bloqué
l’accès aux études universitaires pendant dix ans, de 1966 à 1976. Parmi les nouvelles recrues
figurait Yang Yuanqing, qui prit la direction de l’activité PC de Legend avant l’âge de 30 ans et qui
devint par la suite le président de la nouvelle entité Lenovo-IBM à 41 ans. C’est cette nouvelle
équipe qui fut à l’origine de la production du premier PC Legend en 1990 et qui permit à
l’entreprise de détenir 30 % du marché chinois en 2005. L’entreprise fut partiellement introduite à
la Bourse de Hongkong en 1994.

1) L’accord
L’opération de rachat de la division PC d’IBM débuta en 2004, avec le soutien du cabinet de conseil
McKinsey et de la banque d’investissement Goldman Sachs. Legend venait d’être rebaptisé Lenovo
en 2003 (pour « Legend Novo » ou « nouveau Legend »). De son côté, IBM voulait se débarrasser
de sa division PC, dont la part de marché aux États-Unis n’était plus que de 4 % et dont la rentabilité
souffrait fortement d’une vive intensité concurrentielle, dominée par Dell et HP. La stratégie d’IBM
consistait à se recentrer sur les services et les gros systèmes, nettement plus lucratifs. Même si IBM
avait aussi reçu une offre de rachat de la part du fonds d’investissement Texas Pacific Group, le prix
proposé par Lenovo était plus élevé. Texas Pacific Group se contenta donc de prendre une
participation dans le capital de la nouvelle entité. IBM en prit pour sa part 13 %, alors que le
principal actionnaire restait l’Académie chinoise des sciences, un organisme gouvernemental, avec
27 %.
Le nouveau président, Yang Yuanqing, avait une vision claire des objectifs de l’entreprise, même
s’il admettait qu’il faudrait pour cela relever plusieurs défis :
Dans 5 ans, je veux que Lenovo soit une marque de PC réputée, dont la croissance sera le double de
celle de son industrie. Je veux des marges importantes et peut-être d’autres activités mondiales au-
delà des PC. Nous sommes au début de cette nouvelle entreprise, ce qui nous permet de définir les
fondements de sa culture. Les trois mots que je souhaite utiliser pour la décrire sont confiance,
respect et harmonie.

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Il ajoutait :
En tant qu’entreprise globale, nous devrons peut-être sacrifier notre vitesse, particulièrement
-pendant notre première phase. Nous devons améliorer notre communication. Nous devons prendre
du temps pour nous comprendre les uns les autres. Cependant, la vitesse était dans les gènes de
l’ancien Lenovo. J’espère qu’elle sera dans les gènes du nouveau Lenovo.

IBM n’avait pas totalement laissé son ancienne activité voler de ses propres ailes. Lenovo avait le
droit d’utiliser les marques IBM et ThinkPad sur ses PC pendant cinq ans. Les équipes
commerciales d’IBM seraient financièrement motivées à vendre des PC Lenovo, tout comme elles
l’avaient été à vendre les PC IBM. IBM Global Services était chargé d’assurer la maintenance et le
support après-vente. IBM détenait deux sièges d’observateurs au conseil d’administration de la
nouvelle entité. Enfin, Stephen Ward, l’ancien directeur de la division PC d’IBM, âgé de 51 ans, avait
été nommé directeur général de Lenovo.

2) Le management du nouveau géant


Cette nomination d’un ancien d’IBM à la tête de la nouvelle entité n’était pas réellement une
surprise. Après tout, près de 80 % du chiffre d’affaires (13 milliards de dollars) venait d’IBM et il
était important de donner aux clients et aux salariés des gages de continuité. Pour autant,
l’entreprise était confrontée à d’importants défis.
Les choses n’avaient pas bien commencé. Lorsque l’équipe chinoise était venue pour la première
fois à New York pour rencontrer l’équipe américaine, personne ne l’avait accueillie à l’aéroport,
contrairement à ce qu’exigeait la politesse en Chine. Par ailleurs, Yang Yuanqing et Stephen Ward
s’étaient opposés sur la localisation du nouveau quartier général : le premier voulait qu’il soit
partagé entre Pékin et New York, alors que le second voulait le maintenir uniquement aux États-
Unis. C’est finalement cette seconde solution qui avait été retenue : le siège fut implanté à Raleigh
en Caroline du Nord et Yang Yuanqing dut déménager aux États-Unis avec sa famille. Dans la
nouvelle organisation, l’ancienne activité d’IBM et l’ancien Lenovo restaient des divisions distinctes.
Pourtant, l’entreprise avait besoin d’être en liaison constante avec la Chine, distante de 13 heures
de vol et de 12 fuseaux horaires. Les téléconférences étaient donc devenues un véritable mode de
vie, les Américains devant appeler soit à 6 heures du matin, soit à 23 heures pour pouvoir joindre
leurs collègues chinois. Les téléconférences se déroulaient toujours en anglais, langue que
beaucoup de Chinois ne maîtrisaient que très imparfaitement, et le langage corporel était
impossible à observer.
La nationalité officielle de l’entreprise – chi-noise – était un problème pour certaines parties
prenantes. IBM avait obtenu par le passé de nombreuses commandes auprès du gouvernement
américain, et certains membres du Congrès lancèrent une campagne de dénigrement, en soulignant
le danger de laisser des « ordinateurs chinois » avoir accès à des domaines sensibles. En
Allemagne, le droit du travail empêchait que les anciens salariés d’IBM soient obligés de rejoindre
Lenovo. Or, nombre d’entre eux préférèrent ne pas être transférés dans la nouvelle entité, ce qui
laissa la filiale exsangue pendant un certain temps. Au Japon, les anciens salariés d’IBM étaient
également mal à l’aise à l’idée d’être dirigés par des Chinois. Enfin, entre les deux cultures
dominantes au sein du nouveau Lenovo, l’américaine et la chinoise, les différences étaient
considérables. Qiao Jian, vice-président des ressources humaines, commentait ainsi la situation :

Les Américains aiment parler. Les Chinois aiment écouter. Au départ, nous nous demandions
pourquoi ils n’arrêtaient pas de parler alors qu’ils n’avaient rien à dire. Mais nous avons appris à être
plus directs lorsque nous avons un problème et les Américains apprennent à écouter.

Les différences culturelles n’étaient pas uniquement nationales. Lenovo était une entreprise jeune
et relativement simple : en gros un seul produit vendu dans un seul pays. À l’inverse, IBM était
beaucoup plus complexe : c’était une multinationale géante, fondée en 1924. L’équipe de direction

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de Lenovo était composée de trentenaires, nettement plus jeunes que leurs collègues d’IBM. L’âge
moyen de la nouvelle entité dans son ensemble était de 28 ans. De même, IBM était célèbre pour ses
procédures et ses routines. Comme le disait Qiao Jian : «Chez IBM, une fois qu’ils ont fixé un horaire
pour une téléconférence, ils le conservent toutes les semaines. Mais pourquoi organiser une
téléconférence si on n’a rien à se dire?» Par ailleurs, dans la culture d’IBM, il était de coutume
d’arriver en retard aux réunions, ce qui était inadmissible du point de vue de Lenovo.

3) Quelques résultats contrastés


Au départ, les réactions au nouveau Lenovo furent positives. Les clients IBM restèrent fidèles et le
cours de l’action commença à monter. Les anciens managers d’IBM toujours en fonction
soulignaient que si auparavant ils étaient un peu des cendrillons dans le vaste empire IBM, ils
travaillaient à présent pour un spécialiste des PC. Le fait qu’un PC Lenovo fabriqué en Chine
bénéficiait d’un coût de main-d’œuvre de seulement 3 dollars constituait un considérable avantage.
Cependant, Dell répondit à cette menace en baissant ses prix de 100 dollars par machine en
moyenne. Cela provoqua un effondrement de la part de marché de Lenovo aux États-Unis, au point
qu’en décembre 2005 Stephen Ward fut remplacé par William Amelio, l’ancien responsable de Dell
pour la région Asie-Pacifique. Au-delà de sa connaissance intime du principal concurrent de
Lenovo, il avait vécu plusieurs années à Singapour et comprenait bien les spécificités du
management asiatique :
Grâce aux 5 années que j’ai passées en Asie, il y a une chose que j’ai apprise… c’est d’être très patient.
De par mes fonctions je dois avoir un sens de l’urgence et de l’exigence, mais au contact de ces
différences culturelles, j’ai appris à tempérer mes élans de façon à être plus efficace.

William Amelio commença par réduire les coûts en supprimant 1000 postes, soit 10 % de la main-
d’œuvre de Lenovo hors de Chine. Il intégra les anciennes activités IBM et Lenovo en une seule
structure. L’entreprise lança une nouvelle gamme de PC sous la marque Lenovo, à destination des
PME américaines, un marché traditionnellement négligé par IBM. Afin d’améliorer son impact sur
ce segment, Lenovo renforça ses relations avec les grands groupes de distribution américains tels
que Office Depot. La part de marché aux États-Unis commença à remonter de nouveau au-dessus de
4 %. Au niveau mondial, grâce notamment aux positions acquises sur le marché asiatique, la part de
marché de Lenovo était proche de 8 %, ce qui en faisait le troisième constructeur mondial, derrière
HP (environ 18 % de part de marché) et Dell (environ 15 %), mais devant le Taïwanais Acer
(environ 7 %) et le Japonais Toshiba (environ 4 %). Afin de consolider sa position en Asie, Lenovo
envisageait de pénétrer sur le marché indien, mais il lui fallait aussi améliorer sa position en
Europe.
En 2007, Lenovo tenta de fusionner avec le fabricant de PC européen Packard Bell. Grâce à cette
fusion, Lenovo espérait augmenter très significativement sa part de marché en Europe. Or, c’est son
principal concurrent asiatique, Acer, qui le devança en rachetant successivement l’Américain
Gateway, puis l’Européen Packard Bell. Grâce à ces deux acquisitions, Acer devenait le troisième
constructeur mondial de PC, avec une part de marché de 11 %, alors que Lenovo était rétrogradé à
la quatrième place. Non seulement Lenovo perdait ainsi l’occasion de rééquilibrer sa position en
Europe, mais surtout il laissait un très puissant concurrent y occuper une position enviable : sur le
marché européen, Acer avait d’ores et déjà dépassé Dell et était désormais au coude à coude pour la
première place avec HP.
L’année 2008 fut riche en rebondissements. Sur le plan marketing, Lenovo profita des jeux
Olympiques de Pékin – dont il était l’un des principaux sponsors – pour accroître très
significativement sa notoriété mondiale. Cela lui permit de retirer le logo IBM de ses produits deux
ans avant la date prévue. Par ailleurs, William Amelio – dont le contrat de trois ans s’achevait – fut
remplacé à son poste de directeur général par Yang Yuanqing, alors que Liu Chanzhi prenait les
fonctions de président. Enfin, avec l’annonce de très bons résultats (hausse du chiffre d’affaires de
17 % à 16,3 milliards de dollars et hausse du résultat avant impôts de 232 % à 513 millions), le

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cours de l’action Lenovo connut une forte croissance, ce qui poussa IBM à revendre sa participation.
En juillet 2008, la part d’IBM dans le capital de son ancienne filiale était tombée à moins de 5 %.
Quelques mois plus tard, un fonds d’investissement contrôlé par le gouvernement chinois acquit
27 % du capital de Lenovo, devenant ainsi son principal actionnaire.
En 2009, le ralentissement de l’économie chinoise toucha assez fortement Lenovo, qui subit une
baisse de son chiffre d’affaires de 6 % et de son résultat de 94 %. Le groupe annonça alors un plan
de suppression de 2 500 emplois. Dès 2010, les ventes (16,6 milliards de dollars) et les résultats
(176 millions) repartirent à la hausse. Après avoir très fortement chuté en 2009, le cours de l’action
retrouva son niveau de 2008. Lenovo fut le fournisseur des équipements informatiques pour
l’exposition universelle de Shanghai, qui se déroula de mai à octobre 2010. Sur le marché chinois,
Lenovo détenait alors une part de marché des PC de plus de 35 %, ce qui représentait 48 % de son
chiffre d’affaires. Parallèlement, Lenovo était devenu la troisième marque de téléphones mobiles
sur le marché chinois avec des modèles tels que LePhone, un smartphone présenté comme «un
concurrent de l’iPhone d’Apple adapté aux clients chinois».
Sources : lenovo.com ; L. Zhijun, The Lenovo Affair, Wiley, 2006 ; Business Week, 9 mai 2005, 22 décembre 2005, 20 avril
2006 et 7 août 2006 ; Financial Times, 8, 9 et 10 novembre 2005 ; Les Echos, 8 novembre et 4 mai 2010, 23 février 2009 ;
L’Expansion, 8 janvier 2009.
Questions
1. Quelles sources nationales d’avantage concurrentiel Lenovo peut-il retirer de son implantation en
Chine ? En quoi cela peut-il être un inconvénient ?

2. Quel type de stratégie internationale conseilleriez-vous à Lenovo : l’exportation simple,
l’approche multidomestique, l’exportation complexe ou l’approche globale ?

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