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Pratique / Zoom
Neurophysiologie de la
fonction proprioceptive et
récupération postlésionnelle
CMPR de Rennes-Beaulieu, fondation santé des étudiants de France et URU 425 Philippe Le Cavorzin
« Noyaux gris centraux et comportements », université de Rennes 1, 41, avenue des
Buttes-de-Coësmes, 35700 Rennes, France
RÉSUMÉ
Mots clés
L'article décrit la neuroanatomie et la neurophysiologie de la proprioception. La récupération de
celle-ci après lésion semble s'organiser à partir d'informations essentiellement visuelles. Cette Neurophysiologie
étude introduit une réflexion quant à la contribution de la proprioception à l'élaboration de la Proprioception
conscience du soi. Récupération
Niveau de preuve. – Non adapté.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords
Neurophysiology
Proprioception
Recovery
SUMMARY
The article describes the neuroanatomy and neurophysiology of proprioception. Postlesional
recovery seems to depend essentially on visual information. The study considers the role of
proprioception in the establishment of consciousness of self.
Level of evidence. – Non applicable.
© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Figure 1. Récepteurs proprioceptifs. À gauche : les fuseaux neuromusculaires sont sensibles à l'étirement musculaire. Ils transmettent les
signaux proprioceptifs via des fibres afférentes Ia, II. À droite, les organes tendineux de Golgi sont sensibles à la tension. Ils transmettent
ces signaux via des fibres du groupe Ib.
D'après Kandel, 2000.
les tendons et aponévroses, le derme palmaire et Globalement, on peut considérer que ces deux systè-
plantaire. . . mes sont chacun organisés autour de trois neurones
Ces mécanorécepteurs sont variés et on décrit, par disposés en série.
exemple (Fig. 1) : Au sein de la voie lemniscale :
les fuseaux neuromusculaires, sensibles à l'étirement le premier neurone naît au contact des récepteurs,
(amplitude, vitesse), situés dans les muscles chemine dans le nerf périphérique jusqu'au ganglion
squelettiques ; rachidien (qui contient le corps cellulaire). Il gagne
les organes tendineux de Golgi, sensibles à la ten- ensuite la moelle où il suit un trajet ascendant dans les
sion, localisés dans les tendons et aponévroses ; cordons postérieurs de la substance blanche, jus-
les corpuscules de Pacini, sensibles aux déformations qu'aux noyaux bulbaires de Goll, Burdach et Von
mécaniques et à la pression, localisés dans les apo- Monakow, où il fait synapse avec le deuxième
névroses, le derme palmaire et plantaire ; neurone ;
on peut y associer les organes vestibulaires, situés ce deuxième neurone croise la ligne médiane (il
dans l'extrémité céphalique et fournissant des infor- « décusse ») au niveau du bulbe et se termine dans
mations relatives à la position de la tête dans l'espace. le noyau ventral postéro-latéral du thalamus (VPL). Il
Ces différents canaux proprioceptifs fournissent des passe, au niveau du tronc cérébral, dans le ruban de
informations complémentaires, voire redondantes Reil médian (ou lemnisque médian, qui donne ainsi
(vitesse d'étirement, position angulaire, accélération son nom à la voie lemniscale) ;
de la tête. . .), qui sont ensuite transmises au cerveau, le troisième neurone prend naissance dans le VPL du
via différentes voies sensitives ascendantes, pour y être thalamus et gagne le cortex sensitif primaire postcen-
intégrées. tral (cortex pariétal, aire S1 ou circonvolution pariétale
ascendante). Cette projection préserve la spécificité
des différentes modalités sensitives. Ainsi, parmi les
Voies proprioceptives ascendantes différentes aires corticales composant le cortex S1,
Deux systèmes sensitifs ascendants transmettent les l'aire 3a de Brodman intègre les informations d'origine
informations provenant des capteurs proprioceptifs péri- musculaire (fuseaux neuromusculaires), l'aire 2 les
phériques aux centres nerveux supérieurs. Schémati- informations issues des récepteurs à la pression.
quement, la voie lemniscale conduit les informations Au plan fonctionnel, cette information sensorielle parti-
proprioceptives conscientes ainsi que la sensibilité exté- ciperait au rétrocontrôle des mouvements des membres
roceptive épicritique ; les voies spinocérébelleuses ainsi qu'au maintien de la posture. Elle permet en effet
conduisent la sensibilité proprioceptive inconsciente. d'actualiser la progression de la réalisation d'un
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PHYSIOLOGIE LÉSIONNELLE ET
RÉCUPÉRATION FONCTIONNELLE
Au plan physiologique, la proprioception contribuerait
globalement à la réalisation des mouvements lents,
susceptibles d'être corrigés en cours d'exécution, illus-
trant une variété de contrôle moteur, dite contrôle rétro-
actif ou contrôle en « boucle fermée ». Ce mode de
contrôle utilise, en pratique, les informations senso-
rielles provenant des récepteurs périphériques afin de
calculer l'erreur entre le mouvement effectivement réa-
lisé et le mouvement programmé. Il permet ainsi une
correction « en temps réel » du mouvement [9]. Ce type
de contrôle moteur a été bien formalisé, au plan théo-
rique, par Adams [10,11].
Le modèle d'Adams fait intervenir le concept de trace
mnésique de l'action. Dans cette conception, une pre-
mière trace mnésique permet la sélection et l'initiation
de la réponse motrice (phase de lancement). Elle repré-
sente, selon Adams, un « programme moteur
modeste », responsable du choix de la direction de
cervelet (5), puis, pour une partie d'entre elles, dans le thalamus
(6), pour atteindre enfin le cortex moteur primaire (Cm, 8). Au
Figure 3. Représentation schématique des systèmes proprioceptifs. contraire, les fibres de la voie lemniscale décussent dans le bulbe,
Les capteurs périphériques transmettent des signaux mécaniques au niveau des noyaux de Goll et de Burdach (G-B), puis montent
à un premier neurone afférent à la moelle spinale. Celui-ci suit un dans le tronc cérébral (4) au niveau du ruban de Reil médian ou
trajet ascendant au sein des cordons postérieurs de la substance lemnisque médian (R). Ce deuxième neurone fait relais avec un
blanche (D), pour la voie lemniscale (1), ou fait relais avec un troisième neurone (7) dans le thalamus (Th), qui se projette enfin
deuxième neurone au niveau médullaire, pour les voies sur le cortex pariétal primaire (Cp).
spinocérébelleuses (voies spinocérébelleuses directes et croisées : Adapté de Kahle, 1987
Sp-Ce, 2 et 3). Ces dernières se projettent au niveau du cortex
cérébelleux, avant faire relais dans certains noyaux profonds du
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l'action et de l'impulsion initiale vers la cible. Au cours du l'inverse, chez des patients privés d'information proprio-
mouvement, la trace mnésique est ensuite relayée par ceptive, à cause d'une neuropathie sensitive affectant
une trace perceptive (phase de contrôle), où le retour les fibres de gros diamètre [14], la précision du geste
proprioceptif va permettre au sujet d'optimiser la préci- lors de mouvements de pointage de cible est altérée
sion de son geste. Selon le modèle d'Adams, la trace (Fig. 4).
perceptive va peu à peu constituer la valeur de réfé- Ces patients sont également incapables, en l'absence
rence du geste à produire. Ainsi, exécuter un mouve- d'information visuelle, de maintenir stable un angle arti-
ment reviendrait en quelque sorte à chercher à retrouver culaire [15]. On observe chez eux une dérive de la
les sensations qui constituent l'image interne de l'action. position articulaire, comme si le programme moteur
Au plan théorique, le modèle d'Adams permet d'intro- semblait pouvoir suffire à organiser la tâche, mais
duire le concept de « sensori-motricité », où la percep- nécessitait d'être périodiquement réactualisé grâce
tion devient nécessaire à l'action. De manière aux informations issues de la périphérie.
complémentaire, dans une conception projective du Ces constatations expérimentales sont proches des
système nerveux, Berthoz a formulé une expression tableaux cliniques observés en pathologie. Ainsi, les
dynamique de la perception, présentée comme une lésions du cortex pariétal peuvent être à l'origine de
anticipation des conséquences de l'action [12]. La per- véritables tableaux ataxiques. L'ataxie pariétale « ciné-
ception pourrait ainsi avoir pour rôle de comparer une tique » est mise en évidence lors de l'épreuve de pré-
prédiction motrice (obtenue par simulation interne de hension aveugle du pouce, les yeux fermés : le doigt
l'action) à la réalité de la performance réalisée. « cherché » (du côté malade) est difficilement atteint. La
Au plan expérimental, la contribution de la perception composante statique de l'ataxie pariétale constitue la
à l'action est bien mise en évidence lors d'épreuves où le « main instable ataxique », où l'on observe une insta-
retour proprioceptif est modifié. Par exemple, il est pos- bilité posturale des doigts, principalement lors de
sible de produire expérimentalement des illusions de l'épreuve du serment. Les troubles s'aggravent lors
mouvement par stimulation tendineuse vibratoire [13]. de l'occlusion des yeux, s'accompagnent de troubles
Le mouvement illusoire est perçu dans la direction cor- sensitifs profonds, et s'améliorent lors des stimulations
respondant à un étirement du tendon stimulé. À sensitives. Ces manifestations motrices anormales
Figure 4. Trajectoires de la main au cours d'une tâche de d'atteinte de cible chez un sujet sain (à gauche) et chez un patient atteint d'un
trouble proprioceptif (à droite). Notez la réduction de la précision du geste en cas de déficit proprioceptif.
D'après Ghez et al., 1995.
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Encadré 1
La femme « désincarnée »1
L'histoire clinique de cette patiente – elle se pré-
nomme Christina – débuta d'une façon inhabi-
tuelle, qui contribua sans doute à proposer
initialement un diagnostic psychiatrique. La nuit
précédant l'apparition des premiers symptômes,
Christina fit en effet un rêve angoissant : « elle
rêvait qu'elle oscillait de façon extravagante,
qu'elle était instable sur ses pieds et sentait
à peine ce qu'elle tenait dans ses mains, les-
Figure 5. Atteinte des cordons médullaires postérieurs dans la
quelles battaient l'air et laissaient tomber tout
syphilis (tabes dorsalis). La coloration utilisée révèle la destruction ce qu'elles attrapaient ». Le lendemain, les pre-
spécifique des cordons postérieurs (zone dépigmentée). miers symptômes de la maladie furent exacte-
Image : Washington University. ment ceux ressentis dans le rêve. Le premier
diagnostic évoqué fut celui d'hystérie de conver-
sion. Néanmoins, le jour suivant, les symptômes
s'apparentent cliniquement, bien que les causes en s'aggravèrent : « Christina pouvait à peine
soient différentes, à certains tableaux cérébello- s'asseoir, son corps se dérobait. Elle ne sentait
spasmodiques secondaires à une atteinte des lobules plus son corps, se sentait "désincarnée'' ». Elle
paracentraux [16], pouvant aller jusqu'à constituer un ne pouvait rien tenir dans ses mains sans le
tableau pseudo-athétosique.
contrôle de la vue ; elle ne pouvait tenir debout
Des déficits proprioceptifs peuvent également s'obser-
ver en cas de lésion médullaire atteignant les cordons qu'en regardant ses pieds. L'examen neurologi-
postérieurs (Fig. 5), comme réalisé historiquement dans que révéla un déficit proprioceptif très profond,
le tabès dorsalis (atteinte des cordons médullaires pos- diffus, laissant presque intactes les autres mo-
térieurs au cours des complications neurologiques de la dalités sensitives et motrices. La ponction
syphilis). lombaire permit de faire le diagnostic de (poly-
Il en est de même en cas de lésion périphérique focale, radiculo) névrite, d'une forme vraisemblablement
touchant un tronc nerveux ou une racine postérieure. exclusivement sensitive.
Dans ce cas, le contexte de lésion aigue suivie d'une Durant les semaines, mois et années qui suivirent,
phase séquellaire, permet de mieux suivre la dyna- le déficit proprioceptif demeura à l'identique,
mique de la récupération fonctionnelle. constituant les séquelles de cette atteinte diffuse
En pratique cependant, les atteintes proprioceptives les
des fibres sensitives de gros diamètre. Néan-
plus sévères, mais aussi les plus rares, sont vraisem-
moins, la patiente (avec l'aide d'une équipe de
blablement celles observées en cas d'atteinte périphé-
rique diffuse, comme lors des lésions diffuses des fibres rééducation inventive) sut s'y « adapter » et réus-
sensitives de gros diamètre. Dans son recueil de cas sit à recouvrer une autonomie de vie quotidienne
cliniques hors du commun [17], le neurologue britan- presque identique à celle qu'elle possédait avant
nique O. Sacks rapporte le cas d'une jeune femme sa maladie. Christina dut utiliser la « vision » pour
souffrant d'un tel déficit proprioceptif massif d'origine compenser son déficit proprioceptif. Elle disait :
périphérique (Encadré 1), qui, au-delà de l'aspect pure- « cette proprioception, c'est en quelque sorte les
ment moteur des troubles, rappelle le rôle de la pro- yeux du corps, le moyen par lequel le corps se voit
prioception dans la conscience de soi, évoqué par lui-même ». Ainsi, elle ne put d'abord rien faire
Sherrington. sans contrôle visuel : « ses mouvements furent
Il s'agit là d'une situation exceptionnelle, qui permet d'abord gauches et artificiels, puis devinrent pro-
néanmoins d'aborder la question délicate de la récupé-
gressivement plus naturels, mais dépendants du
ration postlésionnelle des systèmes proprioceptifs, pour
laquelle bien peu de données sont disponibles dans la contrôle visuel ». Progressivement, ce contrôle
littérature. Dans le cas présenté, le tableau clinique peut visuel s'automatisa, se substituant au contrôle
être considéré comme séquellaire d'une lésion aiguë et proprioceptif défaillant. Durant le premier mois,
la récupération fonctionnelle s'organise vraisemblable- Christina demeura « aussi flasque qu'une pou-
ment dans ce cas grâce à des mécanismes de plasticité pée de chiffon ». Trois mois après le début de
cérébrale. Dans cette hypothèse, on peut probablement
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CONCLUSION
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celui de la perception abordée comme simulation [15] Rothwell JL, Traub MM, Day BL, Obeso JA, Thomas PK,
interne de l'action, proposé par Berthoz, permettent Marsden CD. Manual performance in deafferented man. Brain
encore d'élargir la réflexion aux mécanismes d'élabo- 1982;105:515–42.
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L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet [19] Bard C, Fleury M, Teasdale N, Paillard J, Nougier V. Contri-
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