Vous êtes sur la page 1sur 5

MOOC « Éthique de la recherche »

MOOC « Éthique de la recherche»


Module 1 - Séquence 1
Analyser les enjeux éthiques de la recherche (méthodologie)

Nous avons vu ce qu'était l'éthique, comment elle s'articulait à l'intégrité


scientifique, la déontologie, on va se demander : qu'est ce que c'est
qu'une formation à l'éthique de la recherche dans un contexte où il y a
une prolifération de discours, de réglementations ? Finalement, pourquoi
est-ce que c'est important pour un doctorant d'avoir une formation à
l'éthique de la recherche ? D'abord, ce qu'il faut voir c'est que aujourd'hui
les métiers de la recherche s'inscrivent dans des sociétés pluralistes,
c'est-à-dire des sociétés où il y a des convictions, des visions du monde
qui relèvent de cultures différentes et qui relèvent d'intérêts divergents.
Donc il y a une attente au niveau de l'individu de faire des choix sur les
valeurs auxquelles il tient et aussi d'assumer les responsabilités qui sont
liées à ces choix. Et cette attente de la société, elle est vraie aussi pour
le doctorant : on estime qu'il choisit de faire une thèse, qu'il choisit de
travailler dans tel laboratoire sur telle thématique et on attend donc qu'il
assume les responsabilités qui sont liées à ce travail de thèse. Or
souvent on est confronté à des dilemmes, c’est-à-dire des situations où il
n’y a pas forcément une bonne solution et où il faut néanmoins
s'engager dans telle ou telle voie.

Oui, ainsi par exemple, lorsque l'avortement a été dépénalisé, eh bien


les médecins ont été confrontés à un dilemme qu'ils ne connaissaient

septembre 2018
MOOC « Éthique de la recherche »

pas au préalable, puisque avant la loi disait que l'avortement était


interdit, donc la question ne se posait pas. Et dès lors que l'avortement
été dépénalisé, il leur a fallu se poser la question morale est-ce que je
pratique cet avortement ? Est-ce que je le refuse ? Il leur a fallu assumer
cette responsabilité. Alors, profitons-en pour signaler que la loi n'est pas
l'éthique et que des, eh bien, des choses légales peuvent parfaitement,
ne pas être morales, et l'inverse est vrai également. Prenons un autre
exemple : un doctorant en train de mener son travail de recherche qui
constaterait, eh bien, des choses immorales dans le laboratoire dans
lequel il travaille, que fait-il ? Est-ce qu'il dénonce ces choses ? Si elles
sont très très graves, au risque bien sûr de pénaliser sa carrière, ou bien
ne dit-il rien pour pouvoir poursuivre son travail en toute quiétude ?

Alors cette question des dilemmes, des choix à faire, des conflits de
valeurs, on voit qu'elle est assez différente de ce que vous avez pu
apprendre ou mieux approfondir dans le MOOC que sur l'intégrité
scientifique qui relève donc des bonnes pratiques, telles qu'elles sont
déterminées de façon consensuelle par la communauté des chercheurs.
Alors qu'est ce que ça veut dire s'interroger sur les valeurs et les enjeux
moraux de la recherche, de MA recherche ? On va voir que c'est d'abord
se poser un certain nombre de questions, et la première question, c'est
de savoir qu'est ce que c'est qu'être un bon chercheur ?
Alors, est-ce que cela veut dire publier beaucoup ? Publier dans des
revues avec des impacts factor élevés ? Est-ce que cela veut dire
essentiellement dupliquer des résultats déjà publiés pour montrer s’ils
sont reproductibles ou non ? Est-ce que cela veut dire, eh bien, publier

septembre 2018
MOOC « Éthique de la recherche »

toujours sur le même thème ? Ou au contraire ? Au contraire, se


passionner pour un sujet et essayer envers et contre tout d'approfondir
ce sujet et de mettre en évidence quelque chose, quitte à ne pas
recevoir de bourse pour son travail de recherche, et donc quitte à galérer
beaucoup, beaucoup plus. Alors, on peut citer l'exemple de
Grothendieck, un mathématicien extrêmement valable et célèbre dans
les années 1970, qui, lorsqu'il s'est rendu compte que l'Institut Henri
Poincaré dans lequel il travaillait, était financé par l'armée, a renoncé à
ses recherches.
Deuxième question : est-ce qu'il y a des actes qui seraient
fondamentalement mauvais ? Non seulement illégaux – peut-être légaux
ou illégaux – mais mauvais. Vous savez que aujourd'hui dans le contexte
de la bioéthique, il y a des recherches qui sont interdites en France, par
exemple le clonage humain, ou certains types de recherches sur certains
embryons, et la question qui se pose c'est de savoir : est-ce que je dois
respecter ces interdictions, ou est-ce que je pourrai aller pratiquer ma
recherche ailleurs ? La question de savoir s'il y a des actes que je ne
devrais jamais faire en tant que chercheur, c'est une question par
exemple qui a été soulevée lors du procès de Nuremberg ou lors de
l'affaire de Tuskegee où les chercheurs se sont rendus compte qu'il y
avait des limites à ne pas franchir en aucune occasion.
Alors une autre grille de lecture est de s'intéresser aux conséquences
de sa recherche. Les conséquences ne sont pas toujours faciles à
évaluer dans leur intégralité, et bien sûr on ne peut pas assumer toutes
les conséquences d'une recherche donnée, mais néanmoins il ne faut
pas non plus décliner toute responsabilité, et à ce titre on pourrait citer

septembre 2018
MOOC « Éthique de la recherche »

l'exemple de Oppenheimer qui, pendant la Seconde guerre mondiale, a


mené la recherche sur la bombe atomique, qui était un projet
absolument gigantesque qui impliquait l'armée, l'industrie, la recherche
académique. Projet qui, en l'espace de trois ans, a abouti à la bombe
atomique, laquelle bombe a été jetée sur les villes d'Hiroshima et
Nagasaki en mai août 1945. Et c'est seulement après que ces deux
bombes ont été lancées qu'Oppenheimer est venu trouver le président
des Etats-Unis pour lui dire qu'il avait du sang sur les mains. C'était trop
tard, il n’y avait plus rien à faire… alors aurait-il dû anticiper ? S'il avait
renoncé à la recherche aurait-il été remplacé par quelqu'un d'autre ?
Sans doute, cette recherche aurait-elle quand même été menée à bien,
mais néanmoins, on voit bien qu'il ne peut pas décliner toute
responsabilité et il a effectivement du sang sur les mains.
Une autre approche possible pour pratiquer l'éthique de la recherche,
c'est l'éthique de la discussion. Il s'agit alors de mettre en place des
espaces-temps, où différentes personnes vont argumenter sur leur
analyse de tel ou tel dilemme et essayer de faire émerger une prise de
décisions qui soit consensuelle et qui aura donc une valeur éthique
justement parce que elle a été co-construite dans un espace rationnel où
chacun a été à la recherche de la bonne décision.
Alors ce qu'on voit c'est que l'éthique de la recherche c'est d'abord des
questionnements, des questionnements rigoureux, qui s'intéressent à
l'agent, à l'acte, aux conséquences, aux procédures requises pour
produire des choix qui sont assumés en termes de valeur éthique. Pour
conclure, l'éthique contemporaine se veut résolument pragmatique : c'est
une éthique qui vise à produire une enquête ancrée dans une situation

septembre 2018
MOOC « Éthique de la recherche »

déterminée où apparaît un problème éthique qui va se traduire par des


choix, une prise de décision. Donc la première attitude c'est d'analyser la
situation dans laquelle je me trouve, d'essayer de formuler le problème
dans sa dimension éthique et de déboucher sur une décision que je
peux argumenter, justifier, et dont je pourrais assumer les
conséquences.
Je prends juste un exemple sur ce genre de questionnement qu'on peut
avoir sur notre recherche. Aujourd'hui et vous les doctorants vous êtes
particulièrement concernés, il y a une incitation à publier vite, parce qu'il
faut publier beaucoup, et donc on voit qu'il y a une valeur associée à la
rapidité, à la vitesse de l'obtention de résultats, du nombre de
publications. Mais finalement, il faut bien se rendre compte que ce choix
de la vitesse, c'est un choix de valeurs, c'est un choix éthique : est-ce
que je l'assume vraiment ? En termes de qualité de publication, en terme
de maîtrise des conséquences de mon travail de recherche, certains
chercheurs, proposent de défendre une autre optique, de la slow
science: une science qui accepte d'être plus lente pour être justement de
bonne qualité, c'est-à-dire d’assumer les exigences de la rigueur
scientifique.

septembre 2018

Vous aimerez peut-être aussi