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CHAPITRE II : LE PRINCIPE DE LEGALITE

L’Administration est soumise au respect de la loi, entendue lato sensu, qu’elle émane d’elle
ou qu’elle lui soit extérieure. C’est le sens du principe de légalité qui est l’une des composantes
de l’Etat de droit. La légalité, définie largement, englobe une diversité de sources qu’il convient
d’étudier (Section 1). Un contrôle est organisé pour assurer son respect ou en sanctionner les
violations (Section 2). Elle comporte cependant des limites (Section 3).

SECTION I : LES SOURCES

I- Les sources écrites

A- le bloc de constitutionnalité

B- Les traités et les normes dérivées

C- La loi et le règlement

II-Les sources non écrites

A- La jurisprudence

B- Les principes généraux du droit

Toutes ces normes s’imposent à l’Administration dans son action quotidienne. Pour l’y
contraindre ou l’y encourager s’exercent certains contrôles.

SECTION II : LE CONTRÔLE DE LA LEGALITE


Ce contrôle qui permet notamment de sanctionner les violations du principe de légalité peut
revêtir un caractère administratif ou juridictionnel.

I- Le contrôle administratif
Le contrôle administratif est un contrôle interne à l’Administration. Il s’exerce diversement.

1. Il peut être hiérarchique. Dans ce cas, il est exercé de plein droit par le chef ou le supérieur
hiérarchique sur ses subordonnés, même en l’absence de texte. Il s’agit d’un principe général

1
du droit. Il comporte au profit du supérieur hiérarchique les pouvoirs d’injonction, d’annulation,
de reformation (modification ou correction). Ce contrôle peut être exercé spontanément ou à la
suite d’une demande présentée par un administré (recours hiérarchique)

2. De même, l’autorité qui a pris une décision illégale peut toujours la rapporter ou la
retirer sans attendre l’intervention de son supérieur, si certaines conditions sont réunies.
Cette même autorité peut également abroger la décision dans les conditions fixées par la
jurisprudence administrative.

3. Ce contrôle peut être encore de tutelle, dans le cadre de la décentralisation technique ou


par service. Il se traduit alors par un contrôle sur les organes des entités décentralisées sous
tutelle (dissolution des Conseils municipaux, révocation des maires, suspension des organes des
collectivités, etc.) ou par divers procédés portant sur les actes pris par ces organes (approbation,
autorisation préalable, annulation…).

4. Ce contrôle administratif peut être exercé par les AAI précédemment étudiées. A titre
d’exemple, en matière de marchés publics, l’Autorité nationale de régulation des marchés
publics a été instituée en Côte d’Ivoire pour assurer le respect de la règlementation relative aux
marchés publics. A ce titre, elle peut procéder à l’annulation des marchés irrégulièrement
passés.

5. On ne peut également passer sous silence l’existence des corps d’inspection, comme
l’Inspection générale d’Etat investie notamment d’« une mission générale de contrôle et
d’inspection du fonctionnement normal et régulier des services publics » ou les inspections
prévues par les décrets portant organisation de certains ministères.

II- Le contrôle juridictionnel


Le contrôle juridictionnel emprunte principalement deux voies : la mise en jeu de la
responsabilité de l’Administration et le recours pour excès de pouvoir.

La première voie autorise à demander réparation à l’Administration pour les conséquences


dommageables d’un acte juridique, notamment illégal qu’elle a accompli (dans le cadre de la
responsabilité pour faute) ou d’un acte matériel ayant provoqué un dommage. La victime doit
alors alléguer l’existence d’une faute, un préjudice, le lien de causalité entre la faute et le
préjudice. Bien entendu existe la responsabilité sans faute.

La seconde voie permet de demander et d’obtenir éventuellement l’annulation d’un acte


administratif illégal. Nombreux sont les moyens ou cas d’ouverture qui peuvent être invoqués,

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c’est-à-dire les irrégularités susceptibles de donner lieu à l’annulation. Il y en a cinq qui relèvent
soit du contrôle de la légalité externe (incompétence et vice de forme et de procédure), soit du
contrôle de la légalité interne (détournement de pouvoir, violation de la loi).

-L’incompétence : elle signifie que l’autorité qui a pris la décision n’avait pas le pouvoir légal
(elle a perdu son investiture, elle ne l’a jamais eue, elle accompli un acte au-delà de ses
attributions, elle est restée en deçà de ses compétences). Cette irrégularité est d’ordre public.
Aussi, le juge doit-elle la soulever d’office si les parties négligent de le faire. Elle peut être
éventuellement couverte par la théorie du fonctionnaire de fait ou des circonstances
exceptionnelles.

En effet, une personne non investie ou non régulièrement investie est légalement incompétente :
tous ses actes qui ont été pris sur le fondement de son acte de nomination (supposé ou irrégulier)
devraient en conséquence être réputés nuls également.
Mais les conséquences de ces annulations peuvent être extrêmement graves si la fonction a été
exercée pendant une longue durée. La juridiction administrative a donc conçu la théorie des
fonctionnaires de fait dans un souci pragmatique de sécurité juridique. Elle a ainsi affirmé dans
plusieurs arrêts : « ce fonctionnaire irrégulièrement nommé aux fonctions qu'il occupe doit être
regardé comme investi desdites fonctions tant que sa nomination n'a pas été annulée ». C'est-à-
dire que les actes passés par le fonctionnaire avant l'annulation sont réputés valides.
Le but de la théorie est la nécessité d'assurer le fonctionnement régulier des services publics et de
préserver la sécurité juridique des actes administratifs, et la stabilité des situations juridiques :

• Le premier fondement est celui de l'apparence. Le juge administratif a ainsi admis


la théorie des fonctionnaires de fait quand le public a raisonnablement ignoré
l'irrégularité de l'investiture. Cela a également été le cas lors d'une délégation de
compétence irrégulière, d'une nomination ou d'une élection illégale ou encore d'un
maintien irrégulier après la retraite de l'agent.
• Le second fondement est celui de la nécessité de la continuité du fonctionnement
des services publics, notamment en application de la théorie des circonstances
exceptionnelles. Cela peut être le cas lorsque les autorités légales ont disparu, à la
suite d'une guerre ou d'une insurrection.
La théorie des fonctionnaires de fait s'applique de manière large puisqu'elle s'applique à tous les
agents administratifs. La jurisprudence l'a ainsi admise pour des élus et pour des dirigeants
d'entreprises publiques.

-Le vice de forme et de procédure : il concerne la violation des règles de forme et de procédure
prescrites par le droit ou encore l’obligation de motivation, lorsque celle-ci est imposée1. Celles-
ci doivent être respectées sous peine d’illégalité. Il faut toutefois indiquer que les règles en la
matière ne sont pas toujours aussi simples, le juge distinguant entre les formalités substantielles

1
Celle-ci n’est pas imposée en principe (CSCA 28 janvier 1998, Falzon Henry c/ Ministère du travail).

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et celles qui ne le sont pas et dites accessoires ou secondaires. Seule la violation des formalités
substantielles entraine l’annulation, étant considérées comme ayant eu véritablement une
influence sur les décisions administratives prises, au contraire des formalités accessoires.

-Le détournement de pouvoir : contrairement aux trois premiers moyens, il est relatif à la
légalité interne de l’acte. Il concerne le but poursuivi par l’administration, le mobile qui guide
son action. Ainsi, il y a détournement de pouvoir lorsque l’autorité administrative use de ses
pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés par la loi. Il peut s’agir
d’un but étranger à l’intérêt général ou encore d’un but d’intérêt général mais différent de celui
pour lequel les pouvoirs ont été confiés. Quel que soit le cas de figure, le juge est appelé à
scruter les intentions de l’administration pour se faire une opinion sur le détournement de
pouvoir (CE, Barel, 1954 ; Dame Diawar Zelato c/ ministère de la fonction publique, CSCA 31
juillet 1986). Cela dit, ce moyen ne joue pas toujours en faveur de l’annulation de l’acte, par
exemple en cas de compétence liée. L’autorité administrative devait prendre l’acte (CE 11
janvier 1935, Gras). De même, s’il y a plusieurs motifs et qu’un seul est légal, le détournement
de pouvoir ne jouera pas (CE 28 juillet 1958, Dumey), sauf si le but illégal est déclaré
déterminant par le juge (CE 13 juillet 1962, Breart de Boisanger) ;

- La violation de la loi : ce cas d’ouverture pourrait à lui seul englober tous les autres. Mais il
renvoie précisément aux violations ou irrégularités qui entachent le contenu de l’acte, à savoir
celles qui sont en rapport avec les motifs de fait ou de droit qui justifient l’acte administratif.
On parle d’erreur de droit ou d’erreur de fait.

L’erreur de droit consiste dans l’application erronée de la loi, l’administration mettant en œuvre
une règle inexistante ou inapplicable (absence de base légale) ou interprétant mal la norme
applicable (erreur dans l’interprétation de la loi).

L’erreur de fait vise à s’assurer de la matérialité des faits qui justifient l’acte, leur exactitude
(contrôle de la matérialité des faits) et l’exactitude de leur qualification juridique (contrôle de
la qualification juridique). Par le premier, le juge vérifie que les faits qui ont servi de base à la
décision se sont réellement produits, sinon la décision manque de base légale (CE Camino, 14
janvier 1916 ; CSCA, 20 février 1963, By Jules). Par le second, le juge vérifie que les faits qui
se sont produits rentrent dans une catégorie juridique qui justifie que l’acte soit pris : ils doivent
être de nature à justifier la décision (CACS, Néa Gaou Maurice, 15 mars 1989 : un retard de 14
jours mis à rejoindre son poste ne constitue pas un refus de rejoindre son poste et ne saurait être

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constitutif d’un abandon de poste. Pour retenir cette qualification, il aurait fallu que ce refus
soit « déterminé et catégorique » affirme le juge).

Le principe de légalité ainsi défini n’est pas d’une portée absolue.

SECTION 3 : LES LIMITES DU PRINCIPE DE LEGALITE


Ces limites résultent d’abord des limites de la légalité normale qui s’efface pour laisser place
à une légalité de crise ou exceptionnelle qui élargit les pouvoirs de l’administration, dans des
circonstances qu’il conviendra de préciser. Ces limites proviennent aussi dans des circonstances
ou le contrôle juridictionnel de l’administration est exclu. C’est l’hypothèse des des actes de
gouvernement.

I- Les limites résultant des circonstances exceptionnelles


Dans certaines situations graves, l’Administration ne saurait tout à la fois respecter
strictement la légalité, assurer l’ordre public et faire fonctionner les services publics. Ces
situations graves ou exceptionnelles assouplissent ou font même disparaitre les contraintes
résultant de la légalité en période normale. Elles sont organisées par les textes ou par la
jurisprudence. Ainsi la doctrine distingue entre les circonstances exceptionnelles organisées par
les textes et la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles.

A- Les circonstances exceptionnelles résultant des textes


Elles prennent en Côte d’Ivoire leur fondement dans la constitution et la loi et confèrent des
pouvoirs étendus aux autorités exécutives. Il en est ainsi des circonstances de crise prévues par
l’article 73 de la constitution du 8 novembre 2016 (équivalent de l’article 48 de la constitution
du 1er août 2000), de l’état de siège prévu par l’article 105 de la constitution et de l’état
d’urgence organisé par la loi n°59-231 du 7/11/1959.

1. L’article 73 de la constitution du 8 novembre 2016, inspiré de l’article 16 de la constitution


française du 4 octobre 1958 dispose : « lorsque les institutions de la République, l’indépendance
de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont
menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures
exceptionnelles exigées par ces circonstances, après consultation obligatoire du Président de
l’Assemblée nationale, du Président du Sénat et du Président du Conseil constitutionnel… ».
Lorsque les conditions de recours à l’article 73 sont remplies, le Président de la République
concentre entre ses mains, les pouvoirs législatifs et exécutifs. Il peut prendre des mesures dites

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exceptionnelles pour faire face à la situation de crise, comme la situation de guerre de 2002 qui
a d’ailleurs donné l’occasion, en 2005, au Président de la République, de mettre en œuvre pour
la première fois les pouvoirs présidentiels de crise prévus à l’article 48 de la constitution du 1er
août 2000 (décision de rendre éligibles à titre exceptionnel des candidats à l’élection
présidentielle, modification par ordonnance du Code électoral). En France, l’usage de l’article
16 de la Constitution du 04 octobre 1958 par le Général de Gaulle, a permis la création d’un
tribunal militaire spécial auquel pouvait être déféré par décret « les auteurs et complices des
crimes et délits contre la sureté de l’Etat et contre la discipline des armées, commis en relation
avec les événements d’Alger », avec pouvoir d’instruction confiée au parquet militaire.
Ces mesures exceptionnelles rompent avec la légalité normale. Ce régime exceptionnel
explique d’ailleurs que la décision de mettre en œuvre les pouvoirs de crise ait pu être
considérée comme un acte de gouvernement, insusceptible, en cela, de faire l’objet d’un recours
juridictionnel. Ainsi en a décidé le Conseil d’Etat français dans l’arrêt Rubin de Servens du 2
mars 1962.
Au-delà de cette première décision, la question se pose du sort des autres mesures pouvant être
prises dans le cadre de la mise en œuvre de ces pouvoirs de crise. S’agit-il d’actes administratifs
ou législatifs ? Ces mesures peuvent-elles être contrôlées ? Des réponses sont apportées à ces
questions par le Conseil d’Etat français, la Chambre administrative de la Cour suprême et le
Conseil constitutionnel ivoirien.
Les deux premières juridictions établissent une distinction entre les décisions présidentielles
intervenues dans le domaine de la loi et celles prises dans le domaine règlementaire. Elles
considèrent les premières comme des actes législatifs à l’égard desquelles elles déclinent leur
compétence et les secondes comme des actes administratifs qui peuvent, du fait de cette nature,
faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant elles (Cf. arrêt Rubin de Servens du
2 mars 1962 ; UNAGCI c. Ministre de l’emploi et de la fonction publique, arrêt n°34 du
22 juin 20112).

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Par suite de perturbations dans le fonctionnement du service public de la justice, à cause d’une grève illimitée
observée par tous les greffiers de Côte d’Ivoire qui protestaient contre les modifications du projet de décret portant
modalités particulières d’application de l’ordonnance n°2008-16 du 11 février 203 portant statut des greffiers, le
Président de la République, pour lutter contre toute obstruction au bon déroulement de la justice et au processus
électoral et de sortie de crise a pris, sur le fondement de l’article 48 de la Constitution, la décision n°2009-19 du
14 décembre 2009 portant mesures spéciales relatives à la grève des greffiers. Cette décision autorise le Ministre
de la Justice et le Ministre de la fonction publique à recruter pour la période allant du mardi 15 décembre 2009
jusqu’à la fin des élections, en qualité de greffier ad hoc, toute personne ayant les compétences nécessaires pour
accomplir cette tâche. En application de cette décision, le ministre de la fonction publique déclare admises 430
personnes au concours de recrutement exceptionnel pour l’accès aux emplois de secrétaires et attachés des greffes
et parquets au titre de l’année 2009 par les décisions n°311 et 312 du 19 janvier 2010. Estimant ces décisions
illégales, l’Union nationale des greffiers de CI, après avoir exercé en vain un recours gracieux, saisit le 22 juillet

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Est-ce à dire que les actes considérés comme législatifs ne pourraient faire l’objet d’aucun
contrôle juridictionnel ? Le Conseil constitutionnel ivoirien dans une décision du 26 juin 2014
apporte une réponse négative à cette interrogation puisqu’il accepte de connaître, par voie
d’exception, de ces actes 3.
2. Comme l’article 73, l’article 105 de la constitution institue une légalité de crise sous
l’appellation « état de siège ». L’état de siège peut être défini comme un régime de légalité
spéciale à des circonstances de crise auxquelles les pouvoirs publics doivent faire face. Il est
déclaré « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à
main armée »4. C’est la condition de fond.
Si cette condition est remplie, l’état de siège peut être décrété en Conseil des Ministres (c’est
la condition de forme). Le Parlement se réunit alors de plein droit, s’il n’est en session.
Toutefois, la prorogation de l’Etat de siège au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que
par le Parlement, chacune des deux chambres se prononçant à la majorité simple des membres
en fonction.
Quelles sont les conséquences de l’état de siège ?

Les lois du 9 août 1849 et du 3 avril 1878 rendues introduites en Côte d’Ivoire par le décret
du 30 décembre 1916 prévoient une extension et un transfert des pouvoirs de police à l’autorité
militaire. En application de ces textes, l’autorité militaire dispose de plusieurs pouvoirs :

- procéder à des perquisitions à toute heure de la journée ;


- se faire remettre des armes et munitions appartenant aux particuliers ;
- restreindre la liberté d’aller et de venir ;
- interdire les publications et réunions susceptibles d’entrainer le désordre ;

2010, la CACS. Elle allègue : la méconnaissance du statut général de la fonction publique qui réserve aux
fonctionnaires les emplois civils de l’Etat et précise leur mode de recrutement ; la violation du décret n°93-609 du
2 juillet 1993 portant modalités particulières d’application du SGFP qui réserve aux assistants de greffes et
parquets l’aspiration aux fonctions de greffiers ad hoc ; la violation du décret n°2000-396 du 24 mai 2000 qui
prévoit limitativement les cas de création d’emplois contractuels. En définitive, les décisions attaquées auraient
« outrepassé les termes de la décision présidentielle du 14 décembre 209 en recrutant des greffiers pour une durée
indéterminée ». Mais selon la CACS, « les décisions du 19 janvier 2009…n’ont pas méconnu les dispositions de
la décision du 14 décembre 209 qu’elles exécutent qui a autorisé le recrutement des greffiers ad hoc « jusqu’à la
fin des élections », laquelle n’est pas encore intervenue ; …d’autre part, …les décisions n°311 et 312, mesures
d’exécution de la décision du 14 décembre 2009 intervenue en une matière législative et qui a été prise par le PR
pendant la période d’application des pouvoirs exceptionnels, sur le fondement de l’article 48 de la Constitution,
présente le caractère d’un acte législatif dont il n’appartient pas à la CA de connaître ».
3
DÉCISION N° CI-2014-139/26-06/CC/SG du 26 juin 2014 relative au recours par voie d’exception
d’inconstitutionnalité soulevée par la société APM Terminals Côte d’Ivoire en ce qui concerne l’article 31 de la
décision n° 001/PR du 11 janvier 2012 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de
commerce.
4
Cf. la loi du 3 avril 1878 relative à l’état de siège.

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- éloigner les repris de justice et les personnes non domiciliées dans les lieux soumis à l’état de
siège.
Les juridictions militaires sont compétentes pour « connaître des crimes et délits contre la sûreté
de l’Etat, contre la constitution, contre l’ordre et la paix publique, quelle que soit la qualité des auteurs
principaux et les complices…Après la levée de l’état de siège, elles continuent de connaître des crimes
et délits dont la poursuite leur avait été déférée ».

3. L’état d’urgence est institué par la loi n°59-231 du 7/11/1959 adoptée alors que la Côte
d’Ivoire est encore une République autonome. Conformément à son article 1er, l’état
d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril
imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements qui, par leur
nature ou leur gravité, sont susceptibles d’entraver la bonne marche de l’économie ou les
services publics ou d’intérêt social (par exemple des calamités naturelles publiques, comme des
inondations, tremblements de terre, etc.).

Lorsque ces circonstances surviennent, l’état d’urgence peut être déclaré par décret du
Président de la République. En conséquence, les pouvoirs du ministre de l’intérieur sont élargis.
Il peut interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et heures fixés par
arrêté ; instituer des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est
réglementé ; ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons ou
lieux de réunion ; interdire, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou
entretenir le désordre ; ordonner la remise des armes et munitions et prescrire leur dépôt entre
les mains des autorités et dans les lieux désignés à cet effet ; éloigner des personnes suspectées
d’être dangereuses pour la sécurité publique ; prononcer l’assignation à résidence.
Le décret déclarant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, stipuler que le
personnel nécessaire à la continuité des services économiques et sociaux pourra faire l’objet de
réquisitions. De la même façon, le Président de la République peut, par une disposition
expresse, conférer aux autorités administratives ou judiciaires le pouvoir d’ordonner des
perquisitions à domicile, de jour et de nuit ; habiliter les mêmes autorités à prendre toutes les
mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui
des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations
théâtrales. Ces mesures amenuisent, on peut le voir, considérablement les libertés publiques.

En dehors du pouvoir constituant et du législateur, le juge a élaboré sa propre théorie des


circonstances exceptionnelles. Celle-ci affecte également le régime de la légalité normale.

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B- La théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles
Cette théorie a été initialement construite par le Conseil d’Etat français, à l’occasion de la
première guerre mondiale (CE, Heyriès, 28 juin 1918), faisant ainsi valoir que dans certaines
hypothèses qui sont tout à fait exceptionnelles, comme la guerre ou une grève, l’Administration
peut, sans craindre d’être sanctionné, enfreindre les règles de la légalité ordinaire.

Comme les hypothèses précédemment étudiées, cette solution est sous-tendue par l’idée
suivante : les règles encadrant l’activité administrative ne peuvent être identiques en temps de
paix, de guerre ou de crise. A situation de crise, légalité de crise. Ainsi, la violation de la légalité
normale est excusée par les circonstances exceptionnelles, qui doivent exister lors de la prise
de l’acte. C’est justement au nom de ces circonstances exceptionnelles que le juge administratif
a validé la suspension des garanties accordées par une loi à des fonctionnaires durant la guerre
(CE, 28 juin 1918, Heyriès). Précisément, il a reconnu la légalité d’un décret qui a autorisé la
suspension pendant la première guerre mondiale de la loi de 1905 imposant de communiquer
son dossier à tout fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires5.

C’est également au nom de ces mêmes circonstances qu’il reconnaît légales des mesures
prises par des particuliers organisés en comités et s’étant substitués à une municipalité
défaillante et en fuite durant la deuxième guerre mondiale pour permettre l’approvisionnement
en nourriture des habitants de la commune pendant l’invasion de la France par l’Allemagne
(CE, 5 mars 1948, Marion). C’est l’application de la théorie du fonctionnaire de fait.

L’arrêt Dame Dol et Laurent rendu par le Conseil d’Etat le 28 février 1919 illustre
parfaitement « la substitution à la légalité normale d’une légalité de crise, moins contraignante
pour l’administration et plus restrictive pour l’exercice des libertés publiques ». Il fait suite à
trois arrêtés pris par le préfet de Toulon en 1916 interdisant « à tous propriétaires de cafés, bars
et débits de boissons, de servir à boire à des filles, tant isolées qu'accompagnées et de les

5
Par un décret du 10 septembre 1914, le Gouvernement avait suspendu l'application aux fonctionnaires civils de
l'État de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 qui exige la communication à l'agent de son dossier avant toute
mesure disciplinaire prise à son encontre, afin de pouvoir procéder sans délai aux déplacements et aux nominations
qui s'imposaient selon lui. M. Heyriès, qui avait été révoqué sans que son dossier ne lui ait été préalablement
communiqué, attaqua cette mesure en excipant de l'illégalité du décret du 10 septembre 1914.
En temps normal, le Conseil d'État aurait donné raison au requérant dès lors qu'il est constant qu'un décret, acte du
pouvoir réglementaire, ne peut suspendre l'application de dispositions législatives. Mais le Conseil d'État, en
l'espèce, lui donna tort. Il jugea en effet que, en vertu de la Constitution, en l'espèce l'article 3 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875, il incombe aux pouvoirs publics "de veiller à ce que, à toute époque, les
services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, et à ce que les difficultés résultant
de la guerre n'en paralysent pas la marche".

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recevoir dans leurs établissements (…), à toute fille isolée de racoler en dehors du quartier
réservé et à toute femme ou fille de tenir un débit de boissons ou d'y être employée à un titre
quelconque » sous peine de sanctions (dépôt au "violon" des filles par voie disciplinaire ainsi
que leur expulsion du camp retranché de Toulon en cas de récidive et la fermeture au public des
établissements où seraient constatées des infractions auxdits arrêtés). Contestant la légalité de
ces arrêtés, les dames Dol et Y..., se disant filles galantes, ont formé un recours tendant à
l’annulation pour excès de pouvoir desdits arrêtés, estimant que ces mesures ont été prises en
dehors des pouvoirs qui appartenaient au préfet maritime. Rejetant leur requête, le Conseil
d’Etat affirme :

« …les limites des pouvoirs de police dont l'autorité publique dispose pour le maintien de
l'ordre et de la sécurité, tant en vertu de la législation municipale, que de la loi du 9 août 1849,
ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts
de la défense nationale donnent au principe de l'ordre public une extension plus grande et
exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ». Il poursuit :
« Considérant que si, dans ce but certaines restrictions ont dû être apportées à la liberté
individuelle en ce qui concerne les filles et à la liberté du commerce en ce qui concerne les
débitants qui les reçoivent, ces restrictions, dans les termes où elles sont formulées, n'excèdent
pas la limite de celles que, dans les circonstances relatées, il appartenait au préfet maritime de
prescrire ; qu'ainsi, en les édictant, le préfet maritime a fait un usage légitime des pouvoirs à
lui conférés par la loi ».

Dans sa décision du 4 mai 2011 proclamant Alassane Ouattara Président de la République,


le Conseil constitutionnel fait application de cette théorie lorsqu’il valide rétroactivement les
décisions prises par le Président de la République depuis décembre 2010.

Le recours à cette théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles ne signifie


point l’exercice d’un pouvoir arbitraire, hors de toute légalité. Comme déjà précisé, la légalité
n’a pas disparu, la légalité de crise se substitue à la légalité normale. Cette légalité de crise est
encadrée par le juge, comme l’indique l’espèce Dol et Laurent.

En effet, face au péril que constitue l’élargissement des pouvoirs de l’Administration, les
citoyens ne sont pas démunis. En effet, ils disposent de la protection du juge qui exerce un
contrôle sur l’exercice par l’Administration de ses pouvoirs de crise. Celui-ci vérifie que les
circonstances sont bien exceptionnelles et permettent de transiger momentanément avec les
libertés publiques et la légalité ordinaire ; il s’assure, aussi à la requête des administrés, que les

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mesures prises sont limitées dans le temps, à la période durant laquelle les circonstances les
justifient ; qu’elles sont adaptées et proportionnelles au but légitime poursuivi.

II- Les actes de gouvernement

Les actes de gouvernement permettent de faire la preuve que l’Administration peut


exceptionnellement échapper au contrôle de légalité. Comme bien de notions du droit
administratif ivoirien, la théorie de l’acte de gouvernement a été empruntée à la France.

L’acte de gouvernement est considéré en doctrine comme un acte accompli par des autorités
administratives et qui ne peut faire l’objet d’aucun recours juridictionnel. Autrement dit, il ne
peut servir à engager la responsabilité de l’Etat et ne peut faire l’objet d’aucun recours pour
excès de pouvoir.

La théorie de l’acte de gouvernement est d’origine jurisprudentielle. On la retrouve notamment


dans l’arrêt RUBIN DE SERVES du 02 MARS 1962 qui considère comme tel, la décision par
laquelle le Président de la République française recourt à l’article 16 de la constitution Française
de 1958.

En droit Ivoirien, on retrouve la notion pour la première fois semble-t-il dans un arrêt de la
chambre constitutionnelle de la Cour Suprême en date du 21 Novembre 1990 (arrêt n°10).

La chambre constitutionnelle y déclare : « Le fait pour le ministère de l’intérieur de ne pas


porter sur la liste définitive publiée une candidature même dûment enregistrée constitue
un acte de gouvernement qui échappe à la compétence de la Chambre constitutionnelle ».

Quel est le critère qui permet d’identifier l’acte de gouvernement ?

La réponse à cette question semble improbable du moins incertaine. On a pu dire que l’acte de
gouvernement est un acte inspiré par un mobile politique ou encore qu’il était relatif à la
fonction gouvernementale sans que ces critères renseignent précisément sur ce qui permet
véritablement de reconnaitre l’acte de gouvernement.

C’est pourquoi, aujourd’hui la méthode la plus appropriée pour découvrir l’acte de


gouvernement est celle qui consiste à se référer à la jurisprudence administrative de façon à
retrouver les actes qualifiés d’acte de gouvernement par le juge administratif ou plus
généralement par les juges : C’est la méthode dite empirique.

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De ce point de vue, on peut distinguer entre les actes internes des autorités exécutives
notamment dans leurs rapports avec le parlement et les actes des autorités exécutives relatifs
aux relations internationales.
A titre d’exemple, pour les premiers, sont des actes de gouvernement l’initiative des lois
(Conseil d’Etat 29 Novembre 1968, arrêt Tallagrand), les décrets de promulgation des lois
(CE 03 Novembre 1943, Arrêt Desreumeaux, S.1934 page 9).
En ce qui concerne les actes relatifs aux relations internationales, ont été considérés comme
actes de gouvernement : le décret de mise en œuvre d’une mesure d’embargo (CE 29
Décembre 1997 Société Héli-Union), la décision d’engager des forces militaires au Kossovo
(CE 05 Juillet 2000 Mégret et Mekhantar, AJDA 2001 Page 95), une note verbale du ministre
des affaires étrangères relative à une demande d’extradition (CE 26 Juillet 1985 Mlle SOLIS
ESTARITA, AJDA 1985 Page 628).
Pour des développements plus complets, voir Agathe Van Lang, Geneviève Gondouin,
Véronique Inserguet-Brisset, Dictionnaire du droit administratif, Sirey, 6ème édition,
2012.

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