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Presse Med Form 2021; 2: 371–372

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DR EPANOCYTOSE
www.sciencedirect.com

Dossier thématique

Éditorial
La drépanocytose : une maladie du globule
rouge à tropisme vasculaire

Pablo Bartolucci 1,2

Disponible sur internet le : 1. Université Paris Est Créteil, Inserm, institut Mondor de recherche biomédicale
1 septembre 2021 (IMRB), Creteil, France
2. Hôpital H. Mondor A, Assistance Publique–hôpitaux de Paris, service maladies
génétiques du globule rouge, Chenevier, Créteil, France

Correspondance :
Pablo Bartolucci, Université Paris Est Créteil, Inserm, Institut Mondor de Recherche
Biomédicale (IMRB), Créteil, France.
pablo.bartolucci@aphp.fr

Sickle cell disease: A red blood cell disease with vascular tropism

L a drépanocytose a souvent contribué à une meilleure compréhension de phénomènes


pathologiques sur le plan moléculaire et physiologique. Mais au-delà de son caractère génétique
simple, la drépanocytose demeure une pathologie mystérieuse.
Elle est l'archétype d'une maladie monogénique due à une mutation unique du gène de la b
globine aboutissant à la synthèse anormale d'une hémoglobine, appelée HbS. Celle-ci a la
propriété de polymériser une fois qu'elle a relargué son oxygène. Les patients peuvent être
homozygotes (forme SS) ou hétérozygote composite, c'est-à-dire associer à la mutation bS une
autre mutation, principalement bC (SC) ou b–thalassémique (Sb+ ou Sb0).
Le phénotype peut être extrêmement variable d'un patient à l'autre, mais aussi au cours de la vie
pour un même individu. La drépanocytose est l'une des rares maladies pouvant affecter tous les
organes – en témoignent le recours à la greffe rénale, cardiaque ou hépatique chez certains
patients très sévères.
Au-delà de l'anémie hémolytique presque constante, la drépanocytose se caractérise par un
tropisme vasculaire qui en fait toute la gravité. Il ne s'agit pas d'une manifestation vasculaire
unique, mais de manifestations vasculaires multiples, aiguës et chroniques, que sous-tendent des
phénomènes physiopathologiques complexes. Différentes approches thérapeutiques peuvent
ainsi être envisagées. Pourquoi une pathologie érythrocytaire, d'un point de vue moléculaire,
a-t-elle une présentation systémique vasculaire ? Les organes peuvent souffrir d'hypoxie, par la
baisse du transport de l'oxygène du fait de l'anémie, et par la perte d'affinité de l'hémoglobine S
quand celle-ci est polymérisée. Par ailleurs, cette hémoglobine anormale est responsable de
propriétés anormales des globules rouges. Historiquement, leur déformation en faucille a été
considérée comme la cause essentielle de l'occlusion vasculaire ou « vaso-occlusion », par
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tome 2 > n84 > octobre 2021


10.1016/j.lpmfor.2021.08.007
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P. Bartolucci
Éditorial

obstruction mécanique entraînant une ischémie tissulaire. En La vasculopathie cérébrale a une physiopathologie probable-
effet, les globules rouges doivent se déformer pour passer ment encore plus complexe. Elle est la première cause d'acci-
à travers les petits capillaires qui ont un diamètre 20 % inférieur dent cérébral de l'enfant et de l'adulte jeune dans le monde.
au plus gros de nos globules rouges. Mais à l'occlusion méca- Cette atteinte portant sur des territoires vasculaires précis (ter-
nique s'ajoute une occlusion médiée par une adhérence cellu- minaison carotidienne, début de la cérébrale moyenne et anté-
laire pathologique, résultant d'interactions avec la paroi des rieure) apparaît entre l'âge de 2 et 10 ans. Elle est de type
vaisseaux via l'activation de molécules d'adhérence jouant proliférant, pouvant mener à des occlusions, responsables de
comme des « velcros ». L'inflammation, par exemple déclen- troubles de la perfusion cérébrale. Le risque d'accident cérébral
chée par une infection, majore ces interactions qui font inter- persiste tout au long de la vie lorsque les lésions vasculaires sont
venir non seulement les globules rouges, les cellules définitives. Aux effets de l'hémolyse sur la paroi des vaisseaux,
endothéliales mais également les leucocytes et les plaquettes. s'ajoutent des troubles hémorrhéologiques, en partie secondai-
Ces phénomènes occlusifs provoquent au niveau des os, bien res aux importants besoins en oxygène du cerveau en déve-
innervés et non extensibles, un œdème inflammatoire. Le loppement. Des variations génétiques autres que celles des
ressenti par le patient est celui d'une douleur atroce, de broie- globines, ont été retrouvées pour expliquer la susceptibilité plus
ment ou d'écrasement, limitée dans le temps, appelée la crise importante chez certains individus.
vaso occlusive osseuse. Elle peut se compliquer d'un phéno- Enfin, d'autres atteintes d'organe, d'origine vasculaire, demeu-
mène similaire au niveau pulmonaire, appelé syndrome thora- rent encore mal comprises, telles que la rétinopathie drépano-
cique aigu ou encore hépatique, la crise hépatique aiguë. cytaire qui par bien des aspects ressemble à celle de la
Néanmoins, de nombreuses anomalies érythrocytaires, mem- rétinopathie diabétique. On peut supposer que des mécanismes
branaires ou hémorrhéologiques, concourent également à la épigénétiques semblables soient à l'œuvre, pouvant expliquer
genèse d'une vasculopathie chronique avec un effet cumulatif ces similarités dont l'origine serait, dans un cas l'hyperglycémie
au cours du temps. Ainsi, par exemple, les manifestations et dans l'autre, l'hémolyse intravasculaire.
rénales et l'hypertension pulmonaire (cardiaque ou artérielle En conclusion, la drépanocytose est un modèle d'atteinte vas-
pulmonaire) se voient principalement chez l'adulte, responsa- culaire aiguë et chronique affectant les vaisseaux de petits et
bles d'une part croissante de la mortalité. L'hémolyse intra moyens calibres. Les articles de ce dossier vous permettront de
vasculaire liée à la polymérisation de l'hémoglobine S est mieux en appréhender les présentations et vous guideront dans
responsable d'effets chroniques délétères sur les vaisseaux et le suivi et les traitements. Les centres de référence et de
les glomérules rénaux. L'hémolyse active les cellules endothé- compétence sont à votre disposition pour la prise en charge
liales par des voies inflammatoires, parfois proliférantes ou de ces patients souvent complexes, à bien des égards.
fibrosantes, et affecte leur capacité à modifier leur calibre
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
(vaso-réactivité). Ainsi, le NO, puissant vasodilatateur de durée d'intérêts.
de vie brève, est absorbé par l'hémoglobine libre dans le plasma
qui le détourne de son effet sur les cellules musculaires lisses,
réduisant leur relaxation.
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Presse Med Form 2021; 2: 373–379

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Dossier thématique

Mise au point
Les crises vaso-occlusives de la
drépanocytose

Jean-Benoît Arlet 1,2,3, Geoffrey Cheminet 1,2,3, Slimane Allali 2,3,4

Disponible sur internet le : 1. Département de médecine interne, hôpital européen Georges Pompidou (AP-
1 septembre 2021 HP), 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France
2. Centre des syndromes drépanocytaires majeurs, thalassémies et autres maladies
constitutionnelles du globule rouge et de l'érythropoïèse, France
3. Université de Paris, France
4. Service de pédiatrie générale et maladies infectieuses ; hôpital Necker-Enfants
malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France

Correspondance :
Jean-Benoît Arlet, Département de médecine interne, hôpital européen Georges
Pompidou (AP-HP), 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France.
jean-benoit.arlet@aphp.fr

Résumé
Les plus fréquentes complications aiguës de la drépanocytose sont les crises vaso-occlusives
osseuses et les syndromes thoraciques aigus. La douleur osseuse, par son intensité, est une
urgence antalgique. Le syndrome thoracique aigu doit être recherché par un examen physique
pulmonaire quotidien minutieux chez un patient en crise, car d'évolution parfois fulgurante et
source d'une importante morbi-mortalité. L'asplénie fonctionnelle rend les patients drépanocy-
taires plus sensibles aux infections bactériennes (pneumocoque, méningocoque, salmonelle. . .)
qui peuvent aussi favoriser la survenue des crises vaso-occlusives. Le traitement des crises
modérées est possible en ambulatoire, mais la nécessité d'administration de morphine, une
fièvre élevée ou tout signe pulmonaire imposent l'hospitalisation. La transfusion érythrocytaire est
à réserver aux situations graves et ne doit surtout pas être systématique en raison des risques
d'alloimmunisation auxquels elle expose. La séquestration splénique aiguë est surtout observée
chez l'enfant de moins de 5 ans et impose une transfusion urgente.

Summary
Vaso-occlusive crisis in sickle cell disease

Bone vaso-occlusive crisis and acute chest syndrome are the two main complications of sickle cell
disease leading to hospital admission. Treatment of acute bone vaso-occlusive crisis is an
emergency because of the intensity of pain, which is often unbearable. Acute chest syndrome
is potentially fatal and must be adequately searched and treated. Sickle cell patients are more
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10.1016/j.lpmfor.2021.08.013
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J-B Arlet, G. Cheminet, S. Allali
Mise au point

prone to infections, a trigger of vaso-occlusive crisis. Moderate crises can be treated ambulatory,
but hospitalization is necessary as soon as morphine delivery is needed, in case of high fever or in
case of any pulmonary symptom. Blood transfusion can be necessary in severe forms of vaso-
occlusive crisis but should not be systematic. Acute splenic sequestration occurs mostly in children
under five years of age and requires urgent transfusion.

L es crises vaso-occlusives (CVO) aiguës drépanocytaires tou-


chent préférentiellement les os, les poumons, la rate et plus
plus tôt), surviennent les CVO osseuses typiques, les CVO abdo-
minales et les STA.
rarement le foie. Chez l'homme, elles peuvent également être La CVO osseuse est le premier motif d'hospitalisation à tout âge
responsable d'un priapisme. de la maladie.
Les CVO débutent dès la petite enfance (à partir de l'âge de
6 mois) pour une majorité de patients homozygotes SS. Leur Les crises vaso-occlusives (CVO) osseuses
physiopathologie est liée à des phénomènes occlusifs vasculai- La douleur osseuse, soudaine et souvent très intense, est décrite
res médiés par les globules rouges falciformés mais aussi des par les patients comme « un broyage atroce des os » ou
leucocytes et des plaquettes activés. En plus de l'obstruction « l'impression de se faire rouler sur un membre par un camion
mécanique des capillaires et veinules post-capillaires, une adhé- qui passe puis recule, puis revient. . . ». C'est la manifestation
rence anormale des globules rouges et des leucocytes à l'endo- principale de la drépanocytose. Elle est due à l'œdème inflam-
thélium vasculaire, des phénomènes inflammatoires, un stress matoire survenant dans la moelle osseuse et sous-périosté. Il
oxydatif et un déficit en monoxyde d'azote (NO), puissant vaso- convient de rechercher systématiquement un facteur déclen-
dilatateur capté par l'hémoglobine « libre » sont aussi impliqués chant susceptible d'aggraver la polymérisation de l'hémoglo-
dans la physiopathologie [1,2]. La fréquence et le type des bine S, responsable de la falciformation des hématies
évènements vaso-occlusifs aigus varient beaucoup selon l'âge (encadré 1). Parfois, aucun facteur déclenchant n'est trouvé.
du patient, le génotype de la drépanocytose et certains facteurs Les patients peuvent parvenir à gérer cette douleur à domicile
épigénétiques. Les patients drépanocytaires de génotypes SS et mais bien souvent son intensité les conduit en urgence à l'hô-
S-b0thalassémique sont généralement plus symptomatiques et pital pour recevoir une antalgie puissante par morphiniques.
avec des atteintes plus graves que les sujets SC et S- L'évolution à craindre devant une CVO osseuse est la survenue
b+thalassémiques. d'un STA.
Nous abordons dans cet article la CVO osseuse et abdominale, le Dactylite ou syndrome pied-main une présentation
syndrome thoracique aigu (STA) et la séquestration splénique classique chez l'enfant de moins de 2 ans
aiguë mais nous ne traitons pas des accidents vasculaires céré- Cette complication survient chez environ 25 % des enfants de
braux (AVC) ni du priapisme dont la physiopathologie ainsi que moins de 2,5 ans [3]. Il s'agit d'une CVO osseuse qui touche
les prises en charge préventives et curatives sont spécifiques. préférentiellement les diaphyses des os du carpe ou du tarse, et
se manifeste par une tuméfaction douloureuse uni- ou bilatérale
Reconnaître les principales manifestations des mains ou des pieds, parfois fébrile. Les signes inflamma-
aiguës toires locaux peuvent être marqués. Le diagnostic est avant tout
clinique et ne nécessite pas d'examen complémentaire (sauf si
Les premières complications vaso-occlusives au cours de la vie
une infection ostéoarticulaire est suspectée). Cette crise est
d'un patient drépanocytaire sont habituellement les dactylites
résolutive en quelques jours avec un traitement
et la séquestration splénique aiguë. À partir de 2 ans (et parfois
symptomatique.

CVO osseuse de l'enfant et de l'adulte


Elle se manifeste par des douleurs osseuses aiguës intenses
Glossaire
touchant les métaphyses et les diaphyses des os longs, puis par
AVC accident vasculaire cérébral ordre décroissant les vertèbres, le bassin, les côtes, et les os du
CVO crise vaso-occlusive
Hb Hémoglobine crâne. Un ou plusieurs os peuvent être touchés. La crise peut
NO monoxyde d'azote durer de quelques heures à plusieurs jours. L'intensité aussi est
SDRA syndrome de détresse respiratoire aiguë variable, permettant dans certains cas de gérer les crises à domi-
SSA séquestration splénique aiguë
STA syndrome thoracique aigu cile. Même si une fièvre modérée peut accompagner la CVO,
celle-ci doit faire systématiquement rechercher une infection,
un STA, ou une thrombose. Des signes inflammatoires locaux
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Les crises vaso-occlusives de la drépanocytose
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Encadre 1 [1]. Une augmentation très importante (LDH > 1000 UI/L)
Facteurs déclenchants des crises vaso-occlusives osseuses. constitue un critère de gravité et se voit classiquement dans
les hémolyses post transfusionnelles retardées (pouvant surve-
Fièvre et déshydratation :
 chaleur ;
nir dans le mois suivant une transfusion) et les nécroses médul-
 transpiration ;
laires étendues [4].
 diarrhées ; La radiologie osseuse standard initiale est normale, elle est
 vomissements. inutile en pratique.
Inflammation : L'évolution d'une CVO osseuse est habituellement favorable en
 infection ; quelques jours sous traitement symptomatique. En cas d'arthrite
 poussée de maladies inflammatoires ; ou de douleur osseuse très localisée et persistante, une ponction
 variations climatiques et exposition au froid ;
articulaire ou osseuse (si possible) doit être discutée, avant
 baignade en eau < 25 8C ;
toute antibiothérapie, pour écarter une arthrite infectieuse ou
 application de glace après un traumatisme.
microcristalline (chez l'adulte), ou une ostéite. L'échographie
Facteurs psychologiques : permet de chercher une arthrite quand le diagnostic clinique
 stress ou traumatisme ;

 anxiété ;
n'est pas évident, chez l'enfant notamment, ou un décollement
 dépression ;
sous-périosté. L'IRM est peu performante pour discriminer les
 examen scolaire ou professionnel ; signaux inflammatoires d'une CVO et ceux d'une infection, et
 toute intervention chirurgicale ; nécessite une grande expertise de l'os drépanocytaire. Cela
 notamment en cas d'anesthésie prolongée. permet cependant en cas de suspicion infectieuse de guider
Hypoxie tissulaire : une ponction osseuse ou un geste chirurgical [4].
 effort physique intense ;

 altitude ;
Les CVO abdominales
 voyage en avion ; Ce sont des complications de l'enfant drépanocytaire, favorisées
 apnée du sommeil ; par la constipation. Les douleurs sont diffuses avec souvent des
 obstruction des voies aériennes supérieures ; signes d'iléus fonctionnel : météorisme abdominal, parfois arrêt
 asthme ; des gaz et des matières et/ou vomissements. Il n'y a habituel-
 pneumopathie ; lement pas de défense ou de contracture, ni d'hépato-spléno-
 embolie pulmonaire ;
mégalie et l'Hb est généralement stable. Il faut bien sûr éliminer
 insuffisance cardiaque ou respiratoire sévère.
les autres causes possibles de douleur abdominale de l'enfant
Acidose : avant de retenir la CVO. En cas de doute, une échographie
 acidose tubulaire rénale ;
abdominale permet de chercher une autre cause de douleur
 infection sévère ;

 diarrhées ;
abdominale, notamment une complication lithiasique.
 hypercapnie.
Chez l'adulte, les CVO abdominales sont exceptionnelles. Ainsi,
Médicaments :
toute douleur abdominale doit faire chercher un diagnostic
 corticoïdes, différentiel : pathologie biliaire, pancréatite, infection urinaire,
 vasoconstricteurs . . . appendicite, affection gynécologique, constipation liée aux
opiacés, CVO hépatique ou séquestration splénique..
Le syndrome thoracique aigu (STA)
Le STA est le plus souvent secondaire à une CVO osseuse,
persistants doivent faire évoquer une infection ostéo-articulaire, compliquant environ 20 % des CVO hospitalisées de l'adulte,
un infarctus osseux, ou un hématome sous-périosté [4]. en moyenne 3 jours après l'admission [5]. Il peut plus rarement
Les examens complémentaires sont inutiles au diagnostic des survenir de manière inaugurale (plus fréquent chez l'enfant). Il
CVO osseuses et doivent être limités. Une hyperleucocytose est classiquement défini par l'association d'une fièvre et/ou
modérée à polynucléaires neutrophiles est fréquente. L'hémo- d'un ou plusieurs signes respiratoires (douleur thoracique, dys-
globine (Hb) est habituellement proche de l'Hb de base du pnée, toux, expectoration, anomalies auscultatoires) et d'un
patient [1,4]. Ainsi, l'aggravation franche de l'anémie (> 2 g/ nouvel infiltrat pulmonaire radiologique [4].
dL d'Hb), doit faire chercher une autre explication que la crise Le retard radio-clinique ne permet pas toujours d'avoir un
(infection à Parvovirus B19, paludisme, toxicité médicamen- diagnostic radiologique initial de certitude mais la clinique suffit
teuse, carence en vitamine B12 ou folates, séquestration splé- souvent au diagnostic, notamment lorsqu'un nouveau foyer de
nique (ou exceptionnellement hépatique), maladie crépitants ou un souffle tubaire d'une ou des deux bases appa-
hématologique centrale. . .). La CRP est souvent élevée. Les raît, associé à une augmentation de la fréquence respiratoire
LDH augmentent modérément par rapport à leur taux de base (FR) (habituellement  20/mn chez l'adulte), même sans
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tome 2 > n84 > octobre 2021


J-B Arlet, G. Cheminet, S. Allali
Mise au point

confirmation radiologique. Ainsi, tout signe physique pulmo-


naire chez un patient drépanocytaire est un STA jusqu'à preuve
du contraire. Il convient bien sûr dans ce cas de rechercher une
infection pulmonaire, virale ou bactérienne, qui peut mimer
mais aussi se compliquer de STA. À l'inverse, une douleur
thoracique isolée sans anomalie auscultatoire et sans foyer
radiologique ne peut suffire au diagnostic.
Le STA est à l'origine d'un allongement significatif de la durée de
séjour hospitalier, d'un nombre important de transferts en soins
intensifs et d'un recours plus fréquent aux transfusions qu'en cas
de CVO simple [5,6]. La mortalité qui lui est directement attri-
buable varie de 1 à 4 % chez des patients adultes hospitalisés
selon les études et la période [7], et jusqu'à 13 % chez des
patients adultes de réanimation [8], en faisant une des pre-
mières causes de décès [9,10]. Chez l'enfant, la mortalité du STA
est beaucoup plus faible, récemment estimée à 0,2 % dans une
large étude américaine multicentrique portant sur plus de 20 Figure 1
000 épisodes de STA [11]. Syndrome thoracique aigu chez une adulte drépanocytaire :
Un STA doit être cherché systématiquement chez un patient Radiographie thoracique standard de face montrant une opacité
hospitalisé pour CVO par une auscultation pulmonaire, au mini- alvéolaire bi-basale
mum quotidienne, et la mesure pluriquotidienne de la fré-
quence respiratoire et de la saturation transcutanée en
oxygène (SpO2). Il faut insister ici sur l'éducation des équipes radiographie thoracique peut montrer des condensations alvéo-
infirmières, chez un patient drépanocytaire en crise, à relever laires prédominant nettement aux bases, parfois bilatérales
systématiquement, une fois par équipe, la fréquence respira- (figure 1). Une radiographie initiale normale ne permet pas
toire [4]. d'écarter un syndrome thoracique du fait du retard radio-cli-
Lorsque le diagnostic de STA est suspecté ou établi, il faut en nique. Le scanner thoracique peut être utile en particulier dans
chercher les signes de gravité (encadré 2) au moins deux fois les formes graves pour évaluer l'étendue de l'atteinte paren-
par jour, étant donné le potentiel évolutif rapide (en quelques chymateuse et écarter une thrombose de l'artère pulmonaire,
heures parfois) vers un syndrome de détresse respiratoire aigu pouvant compliquer les STA dans près de 20 % des cas graves
(SDRA). La biologie est inutile au diagnostic, mais les gaz du [12]. Enfin, l'échographie pulmonaire pourrait une aide intéres-
sang permettent d'évaluer la gravité (encadré 2). La sante permettant d'éviter des examens irradiants pour le diag-
nostic et le suivi du STA [13].

Encadre 2 La séquestration splénique aiguë (SSA)


Critères de gravité d'un syndrome thoracique aigu (d'après Elle est définie par l'augmentation brutale de la taille de la rate
Habibi et al. [4]). de plus de 2 cm par rapport à sa taille antérieure (ou par rapport
au rebord costal si elle n'était pas palpable auparavant) associée
Critères cliniques :
 Polypnée > 30/min ou bradypnée < 10/min ;
à une baisse de l'hémoglobinémie de plus de 2 g/dL ou de plus
 Respiration superficielle, difficulté à la parole ; de 20 % par rapport à la concentration basale. Les réticulocytes
 Troubles de conscience ; sont classiquement normaux ou augmentés et une baisse
 Anomalies auscultatoires étendues ; concomitante des plaquettes est habituellement observée.
 Atteinte rénale ou cardiaque associée(s) ; Cette complication est la conséquence du blocage brutal de
 Tachycardie > 120/min, signes d'insuffisance cardiaque droite. globules rouges au sein des zones de filtration de la rate. Elle
Critères biologiques : touche environ 10 % des nourrissons SS ou S-b0thalassémiques
 PaO2 < 60 mmHg en air ambiant ou nécessité > 4 L/min
et survient en moyenne vers l'âge de 18 mois chez les patients
d'O2 pour SpO2 > 98 % ; présentant ces génotypes [14]. Elle est beaucoup plus rare et
 pH < 7,35 et/ou PaCO2 > 50 mmHg ;
tardive chez les patients SC ou S-b+thalassémiques, du fait d'une
 Insuffisance rénale aiguë ;

 Atteinte pulmonaire radiologique > 2 lobes.


persistance d'une rate fonctionnelle avec parfois splénomégalie.
Après l'âge de 5 ans et en particulier chez l'adulte SS, la SSA est
Critères radiologiques :
 atteinte pulmonaire radiologique bilatérale ou dépassant 2 lobes. très rare, du fait de l'involution progressive de la rate par
ischémie aboutissant à une atrophie et une asplénie
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Les crises vaso-occlusives de la drépanocytose
DR EPANOCYTOSE

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fonctionnelle. Dans plus de la moitié des cas, la SSA est favorisée Encadre 3
par un événement fébrile intercurrent [14]. Principes de traitement de la crise vaso-occlusive
La présentation clinique comporte des signes d'anémie aiguë drépanocytaire.
(pâleur conjonctivale marquée, apathie chez l'enfant) pouvant
Antalgiques :
être associés à des signes de choc (tachycardie, allongement du  palier 1, 2 voire 3 en hospitalier, suivant l'évaluation de la
temps de recoloration cutanée, hypotension artérielle). L'évolu- douleur ;
tion rapide redoutée est le choc hypovolémique et le décès.  moyens locaux :

 bouillotes chaudes,

Les CVO hépatiques  massages,

Elles peuvent survenir isolément ou en association à une CVO  TENS (stimulation électrique externe),

osseuse, et se manifestent le plus souvent par une hépatalgie,  patch de lidocaïne (Versatis®).

une cytolyse et/ou une cholestase ictérique, avec un risque Thérapies adjuvantes :
 relaxation ;
élevé d'évolution vers une défaillance hépatique aiguë. La
 hypnose ;
séquestration hépatique, associant, en plus de la douleur hépa-
 musicothérapie ;
tique, une hépatomégalie brutale, une anémie profonde, et
 hydroxyzine si anxiété ;
parfois une cytolyse hépatique majeure, représente une compli-
 kétamine faible dose.
cation rare mais gravissime qui impose le recours à une trans-
Hyperhydratation :
fusion érythrocytaire en urgence. Une insuffisance ventriculaire  intraveineuse (sérum physiologique ou polyionique G5, de
droite avec un foie cardiaque est un diagnostic différentiel volume adapté aux antécédents cardiaques et néphrologiques) ;
à évoquer systématiquement.  ou per os.

Alcalinisation :
Prise en charge des manifestations aiguës  par eau de Vichy, gélules de bicarbonate de sodium.

Le traitement de toute CVO comprend : d'une part, le traitement Spirométrie incitative (ex : Respiflow®) :
 Travail d'ampliation thoracique au minimum 3 fois par jour.
symptomatique de la douleur, et d'autre part, la lutte contre les
Oxygénothérapie nasale :
facteurs susceptibles de la pérenniser ou de l'aggraver. Les  chez l'adulte (2 L/min en moyenne) ;
principes généraux du traitement sont résumés dans  non systématique chez l'enfant.
l'encadré 3. Prévention des complications thromboemboliques :
 anticoagulation préventive dès l'âge de la puberté.
Traitement d'une CVO osseuse simple en Prévention et traitement de la constipation :
ambulatoire  traitements laxatifs, lavements évacuateurs ;
On recommande une hydratation orale abondante, du repos, un  traitement du facteur déclenchant.

maintien au chaud, et un traitement antalgique de palier 1 et/


ou 2 en fonction de l'intensité de la douleur. Une alcalinisation
par eau de Vichy et une oxygénothérapie (si disponible à domi-
cile) peuvent également être préconisées.
Chez l'enfant, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)  des douleurs intenses ne cédant pas sous antalgiques de palier
sont souvent utilisés, contrairement à l'adulte (crainte de la
2;
néphrotoxicité et efficacité non démontrée) [4,15]. La prescrip-  tout signe fonctionnel respiratoire ;
tion de morphiniques de palier 3 à domicile est à proscrire. Outre  des signes inflammatoires ostéo-articulaires ;
le risque de dépendance, on considère en France qu'une douleur  des diarrhées et/ou vomissements importants ;
nécessitant un palier 3 justifie une évaluation médicale avec  et tout autre symptôme inhabituel.
surveillance pulmonaire rapprochée à la recherche d'une évolu-
tion en STA, peu compatible avec l'automédication. Traitement hospitalier de la CVO osseuse
Une antibiothérapie à activité anti-pneumococcique (amoxicil- Les patients drépanocytaires doivent être prioritaires aux
line le plus souvent) est préconisée en cas de fièvre élevée, si urgences.
une consultation médicale rapide n'est pas possible chez un L'analgésie est multimodale et associe des traitements antalgi-
patient adulte. ques de pallier 1 (paracétamol ;  ibuprofène chez l'enfant)
Les critères de consultation hospitalière urgente sont : à de la morphine ou de la nalbuphine quand elle est suffisante
 toute fièvre chez l'enfant (sauf fièvre < 38,5 8C bien tolérée
chez l'enfant.
chez un enfant > 3 ans, auquel cas une consultation en méde- On réalise habituellement une titration de morphine IV, puis un
cine de ville est possible [15]) ; relais par pompe PCA (analgésie contrôlée par le patient) ou par
 une fièvre persistante et/ou > 398 chez l'adulte [4] ;
injections espacées. La voie sous-cutanée ou orale est une
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tome 2 > n84 > octobre 2021


J-B Arlet, G. Cheminet, S. Allali
Mise au point

alternative, notamment si la perfusion est difficile (toutefois Traitement de la CVO abdominale de l'enfant
cette perfusion est généralement nécessaire chez l'enfant Le traitement est symptomatique, associant la mise à jeun voire
pour assurer une hyperhydratation). La titration initiale IV l'aspiration digestive douce, des antalgiques, des lavements
comprend une dose de charge de morphine de 0,1 mg/kg évacuateurs et une hyperhydratation.
puis des réinjections de 3 mg toutes les 5-10 minutes chez L'utilisation de morphine doit être très prudente car elle peut
l'adulte et de 0,025 mg/kg toutes les 5 min chez l'enfant, aggraver l'iléus fonctionnel.
jusqu'à l'obtention d'une intensité douloureuse < 4 sur Les AINS sont contre-indiqués, même si la perforation intesti-
l'échelle visuelle analogique (EVA) ou < 7 sur l'échelle pédia- nale est exceptionnelle.
trique EVENDOL [4,14]. La surveillance doit être rapprochée : La prévention repose sur une hyperhydratation quotidienne,
FR, SpO2, vigilance, EVA. une alimentation riche en fibres et un traitement laxatif au long
Une réévaluation médicale pluriquotidienne du patient et de la cours.
prescription est nécessaire. Si le patient n'est pas soulagé, il faut
reprendre la titration. Chez l'enfant, en absence de soulagement Traitement du syndrome thoracique aigu
sous morphine, il est proposé l'inhalation de MEOPA (mélange Le traitement de la CVO osseuse est à poursuivre. On y adjoint
équimolaire oxygène-protoxyde d'azote, également utilisé en systématiquement dès qu'il existe une fièvre > 38 8C une anti-
première étape du traitement antalgique à l'arrivée aux urgen- biothérapie probabiliste couvrant le pneumocoque (amoxicil-
ces, en association avec la nalbuphine ou la morphine) vingt line) chez l'adulte [4]. Chez l'enfant, l'introduction d'une
à trente minutes, sans dépasser trois inhalations par jour (risque antibiothérapie probabiliste plus large par céphalosporine de
de toxicité neurologique par interaction avec le métabolisme de 3e génération et macrolides est systématique devant tout STA
la vitamine B12) [15]. L'utilisation de faibles doses de kétamine [4].
en bolus ou en continu peut également être utilisée dans les Tout critère de gravité doit conduire à intensifier la surveillance
formes hyperalgiques. clinique, réaliser des gaz du sang, discuter un transfert en soins
D'autres thérapeutiques antalgiques adjuvantes sont résumées intensifs et élargir l'antibiothérapie (céphalosporine de 3e géné-
dans l'encadré 3. ration et macrolides) si ce n'est déjà le cas.
Les corticoïdes sont à proscrire car ils sont pourvoyeurs de CVO. Une transfusion ou un échange transfusionnel doit être réalisé
En cas d'anxiété importante, il faut éviter les benzodiazépines en cas de signe de gravité et en l'absence de contre-indication
(dépresseurs respiratoires) et préférer l'hydroxyzine (Atarax®). transfusionnelle (cf. infra). L'échange transfusionnel doit être
Il est important de prescrire systématiquement une kinésithé- répété (idéalement par érythraphérèse) dans les formes très
rapie respiratoire incitative, qui a montré son efficacité dans la sévères sans amélioration rapide.
prévention du syndrome thoracique aigu de l'enfant [16]. Les L'utilisation de la ventilation non invasive peut être nécessaire,
données sont plus controversées chez l'adulte mais nous le et le recours à la ventilation mécanique est plus rare [7,8,18].
recommandons en France [4,17]. La survenue d'un STA doit, à la fin de l'hospitalisation et avant la
D'autre part, une prévention des complications thrombo-embo- sortie du patient, faire discuter la mise en route d'un traitement
liques, favorisées par l'alitement et l'inflammation secondaire de fond (hydroxyurée, ou plus rarement un programme trans-
à la CVO, est nécessaire dès le début de la puberté et repose sur fusionnel) dans le but de prévenir la récidive de STA et de CVO, et
une anticoagulation préventive. de diminuer la mortalité [4].
La prévention et le traitement de la constipation (favorisée par
la morphine) est également importante (traitements laxatifs et Les indications de transfusion dans les CVO et STA
lavements évacuateurs). La majorité des CVO simples ne requièrent pas de transfusion,
Enfin, l'asplénie fonctionnelle peut survenir très précocement mais cette dernière peut se discuter lors d'une CVO hyperalgique
chez l'enfant drépanocytaire ; ainsi toute fièvre accompagnant ne répondant pas au traitement analgésique maximal ou lors
une CVO doit faire craindre une infection bactérienne potentiel- d'effets secondaires importants des morphiniques.
lement sévère, notamment à germes encapsulés, et justifie Dans les STA graves, l'apport d'hémoglobine normale (HbA) par
généralement chez l'enfant l'introduction d'une antibiothérapie transfusion simple ou échange transfusionnel manuel (saignée-
probabiliste par céphalosporine de 3e génération IV [15]. transfusion) ou automatisé (érythraphérèse) permet d'enrayer
Chez l'adulte correctement vacciné, ces infections à germes le phénomène de vaso-occlusion et d'améliorer l'apport d'oxy-
encapsulés sont plus rares. Ainsi, la fièvre isolée au cours gène aux tissus. La recherche d'antécédent d'incident transfu-
d'une CVO de l'adulte ne suffit pas à justifier d'une antibiothé- sionnel auprès du patient et dans son dossier est essentielle et
rapie. Une fièvre > 38,5 8C fera discuter l'administration d'une peut contre-indiquer l'utilisation de la transfusion en raison des
antibiothérapie à activité anti-pneumococcique après les pré- risques d'alloimmunisation et d'hémolyse post-transfusionnelle
lèvements bactériologiques effectués, sauf si l'on suspecte une retardée. Une saignée simple peut être utile pour diminuer
ostéomyélite. l'hyperviscosité chez les patients dont l'Hb est > 11 g/dl.
378

tome 2 > n84 > octobre 2021


Les crises vaso-occlusives de la drépanocytose
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Traitement d'une séquestration splénique aiguë insuffisante et la survenue de complications potentiellement
Il s'agit d'une urgence transfusionnelle. L'objectif est de restau- sévères. Un syndrome thoracique aigu doit être systématique-
rer une volémie efficace et de corriger l'anémie aiguë par la ment dépisté par un examen respiratoire minutieux au mini-
transfusion (tout en essayant de ne pas dépasser le chiffre d'Hb mum quotidien. Une transfusion de globules rouges (sous forme
de base afin d'éviter une hyperviscosité sanguine lors du relar- d'une transfusion simple ou souvent d'un échange transfusion-
gage des hématies séquestrées). La prévention primaire et nel) est indiquée dans les formes graves de complications
secondaire passe par l'éducation des parents à reconnaître aiguës : STA, séquestration splénique. L'éducation thérapeu-
une pâleur cutanéo-muqueuse inhabituelle, voire à palper la tique du patient est primordiale pour la prévention et le trai-
rate, afin de se rendre immédiatement aux urgences devant tement précoce de ces complications. Un traitement de fond par
toute suspicion de SSA. Une récidive de SSA survient dans près hydroxyurée réduit la survenue des complications vaso-occlu-
de 60 % des cas. Elle doit alors faire discuter une splénectomie sives aiguës.
totale ou partielle ou la programmation de transfusions men-
Déclaration de liens d'intérêts : Pr JB Arlet déclare des interventions
suelles jusqu'à la splénectomie [19]. ponctuelles pour Addmedica et Novartis, avoir été pris en charge
à l'occasion de congrès scientifiques par Novartis France et Addmedica.
Essais cliniques : en qualité d'investigateur principal des études STAND,
Conclusion GBT 440, SIKAMIC.
les autres auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
Les CVO osseuses, sources d'intenses douleurs, sont la « signa-
ture » de la maladie drépanocytaire. La connaissance des moda-
lités de prise en charge est essentielle pour éviter une antalgie

Références
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of acute chest syndrome in adult patients Morpho-functional evaluation of lung
379

tome 2 > n84 > octobre 2021


Presse Med Form 2021; 2: 380–387

DR EPANOCYTOSE en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/lpmfor
www.sciencedirect.com

Dossier thématique
Mise au point

Complications chroniques au cours


de la drépanocytose chez l'adulte

Antonio Morabito, Sylvain Le Jeune

Disponible sur internet le : Hôpital Avicenne, Centre de référence maladies constitutionnelles rares du globule
1 octobre 2021 rouge et de l'érythropoïèse, service de médecine interne, 125, rue de Stalingrad,
93000 Bobigny, France

Correspondance :
Sylvain Le Jeune, Hôpital Avicenne, Centre de référence maladies constitutionnelles
rares du globule rouge et de l'érythropoïèse, service de médecine interne, 125, rue
de Stalingrad, 93000 Bobigny, France.
sylvain.le-jeune@aphp.fr

Points essentiels
Éviter les médicaments néphrotoxiques et rechercher systématique une protéinurie.
Prévoir une échographie abdominale régulière chez les patients non cholécystectomisés.
Prévoir des radiographies des hanches et épaules régulières.
Programmer un fond d'œil annuel systématique.
Réaliser un électrocardiogramme et une échographie cardiaque initiale systématique puis à prévoir
en fonction de la clinique (découvertes fortuites de sténoses ou d'anévrysmes).
Réaliser au moins un bilan respiratoire et neurologique puis à programmer en fonction de la
clinique et des événements intercurrents.
Prescrire une supplémentation en vitamine D.
Lutter contre la sécheresse cutanée.
Éviter corticoïdes et diurétiques.

Key points
Chronic complication in sickle cell disease in adults

Avoid nephrotoxic drugs and systematically look for proteinuria.


Provide regular abdominal ultrasound in non-cholecystectomized patients.
Schedule regular X-rays of the hips and shoulders.
Schedule a systematic annual fundus examination.
Carry out an electrocardiogram and an initial systematic cardiac echography, then schedule them
according to the clinical situation (incidental findings of stenosis or aneurysms).
Perform at least one respiratory and neurological workup, then schedule according to the clinic
and intercurrent events.
380

tome 2 > n84 > octobre 2021


10.1016/j.lpmfor.2021.09.019
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Complications chroniques au cours de la drépanocytose chez l'adulte
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Prescribe vitamin D supplementation.
Fight against skin dryness.
Avoid corticoids and diuretics.

L a survie des patients drépanocytaires s'est significativement


améliorée en Occident ces 20 dernières années grâce au recul de
éventuellement néphrotique, aboutissant à terme à une insuf-
fisance rénale.
la mortalité infantile, aux progrès dans la prise en charge des L'atteinte tubulaire se manifeste par un très fréquent défaut de
complications aiguës et chroniques, et à l'utilisation croissante concentration des urines (hyposthénurie) exposant à la déshy-
de l'hydroxyurée notamment (figure 1). L'espérance de vie des dratation, et plus rarement par un défaut d'acidification des
patients drépanocytaires reste cependant amputée d'une ving- urines avec acidose métabolique (38 % des adultes).
taine d'années par rapport à celle de la population générale. La La néphropathie drépanocytaire a pour conséquence des per-
drépanocytose tend à devenir une affection chronique de turbations du métabolisme phosphocalcique (hypocalcémie,
l'adulte, marquée par l'apparition progressive d'atteintes viscé- hyperphosphorémie, hyperparathyroïdie secondaire) et une
rales dégénératives, dont la prévalence augmente avec l'âge. diminution de la production d'érythropoïétine participant à l'ag-
Une prise en charge des facteurs de risque et un dépistage gravation de l'anémie.
régulier de ces atteintes est fondamentale, associés à l'instaura- Des hématuries micro ou macroscopiques sont possibles (13 à
tion des traitements lorsque cela est nécessaire. Le médecin 30 % des patients), souvent associées à un infarctus rénal voire
traitant du patient drépanocytaire joue dans ce contexte un rôle une nécrose papillaire. La découverte d'une hématurie doit faire
primordial dans la coordination et le suivi de la prise en charge. chercher par IRM et cytologie urinaire un exceptionnel carci-
Cette revue a pour objectif de présenter un panorama des nome médullaire rénal (plus fréquent chez le sujet
complications chroniques, dégénératives de l'adulte drépano- drépanocytaire).
cytaire, avec les moyens actuels de leur prévention, dépistage et Chez les patients hétérozygotes SC, l'atteinte rénale est plus rare
traitement. et plus tardive, sans hyperfiltration mais l'hématurie est plus
fréquente [1–3].
Atteinte rénale L'ensemble des atteintes rénales décrites ci-dessus, favorise la
L'atteinte rénale est une complication majeure de la drépano- survenue d'une insuffisance rénale chronique (11,6 % des
cytose, et la deuxième cause de mortalité par complication patients), dont le pronostic est sévère. La répétition d'agressions
chronique chez l'adulte drépanocytaire. Elle peut se manifester rénales lors des épisodes vaso-occlusifs, septiques ou hypovo-
sous la forme d'une atteinte glomérulaire ou tubulaire, le plus lémiques, l'hypertension artérielle relative, l'anémie, la prise
souvent asymptomatique. Elle évolue de façon silencieuse, ou d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), le génotype
est responsable d'hématuries, touchant au total plus de 80 % APOL1 sont autant de facteurs de risque de néphropathie,
des patients drépanocytaires adultes. cependant de niveau variable.
L'atteinte glomérulaire se manifeste initialement par une hyper- Le dépistage repose sur la recherche régulière d'une protéinurie
filtration (débit de filtration glomérulaire > 130 mL/min/ ou d'une hématurie (cf. encadré 1).
1,73m2) souvent présente dès les premières années de vie. Le traitement repose essentiellement sur l'hydratation adaptée
Elle peut évoluer vers une microalbuminurie (30 à 68 % des au stade de l'atteinte rénale, avec alcalinisation des urines (eau
adultes) puis une protéinurie (40 à 68 % des adultes), de Vichy), l'éviction des médicaments néphrotoxiques

Figure 1
Intérêt du traitement par
hydroxyurée en fonction du
niveau de preuve
381

tome 2 > n84 > octobre 2021


A. Morabito, S. Le Jeune
Mise au point

Encadre 1 (essentiellement cérébrale moyenne-cérébral antérieure). Ils


L'atteinte rénale en pratique sont souvent associés à une vasculopathie cérébrale des terri-
toires antérieurs intracrâniens (carotides interne, cérébrale
Éviter les médicaments néphrotoxiques (AINS notamment).
moyenne, cérébrale antérieure), et plus rarement des carotides
Dépister annuellement une éventuelle protéinurie sur une
internes extra crânienne, sous la forme de sténoses ou occlu-
bandelette urinaire.
 Si bandelette positive : protéinurie sur échantillon rapportée à la sions artérielles qui se développent au cours de l'enfance avec
créatininurie : un risque de complications cérébrales qui persiste toute la vie
 si positive, débuter un traitement par IEC ou SARTAN après avis et (AVC et troubles cognitifs). L'absence de vasculopathie sténo-
suivi néphrologique, avec contrôle tous les 3 mois, sante, l'atteinte des territoires postérieurs, ou la survenue d'un
 si négative, recherche de microalbuminurie sur échantillon AVC chez un patient SC et Sß+Thal doit faire évoquer de principe
rapportée à la créatininurie : une autre cause, principalement cardioembolique (ou un syn-
- si positive : discuter au cas par cas l'introduction d'hydroxyurée drome des anti phospholipides). Les principaux facteurs de
avec drépanocytologue (idéalement dans le cadre d'un risque identifiés sont : en tout premier le génotype SS, l'anémie,
protocole), contrôle tous les 3 à 6 mois, la réticulocytose, l'hyperleucocytose, un taux d'hémoglobine
- si négative : surveillance annuelle ;
 si bandelette négative : recherche annuelle par bandelette
fœtale bas, l'hypertension artérielle, l'hypoxie nocturne
notamment.
urinaire.
Si hématurie : échographie rénale systématique.
Des AVC hémorragiques sont décrits dans un quart des cas, avec
Suivi systématique du débit de filtration glomérulaire et des un pic de fréquence entre 20 et 29 ans, le plus souvent en
pressions artérielles. relation avec une rupture d'anévrisme intracrânien (11 % des
patients contre 3 % dans la population générale) ou un réseau
Moya-Moya secondaire aux occlusions carotidiennes chez les
patients SS-Sß8Thal.
Les atteintes vasculaires cérébrales les plus fréquentes chez
(notamment des AINS). Bien que l'on ne connaisse pas leur l'adulte sont des surtout des lésions de la substance blanche
efficacité sur la protection néphronique à long terme chez les (les infarctus cérébraux sont plus rares) (39 % des patients
patients drépanocytaires, les inhibiteur de l'enzyme de conver- à 18 ans) découverts sur l'IRM cérébrale. Ils apparaissent en
sion de l'angiotensine (IEC) ou antagoniste des récepteurs à l'an- hypersignal T2 FLAIR dans la substance blanche périventricu-
giotensine II (sartans) sont indiqués en cas d'albuminurie laire, le centre semi-ovale ou les noyaux gris centraux. Ils sont
[1,3,4,5] et diminuent la vitesse d'installation de l'insuffisance à l'origine de déclins cognitifs significatifs [7,8].
rénale [6]. Une hypertension artérielle est traitée, avec un La prise en charge en urgence des AVC ischémiques ou hémor-
objectif tensionnel ambitieux (< 120/80 mmHg) et une surveil- ragiques chez l'adulte drépanocytaire doit être idéalement réa-
lance rapprochée (MAPA ou autocontrôle rigoureux). L'initiation lisée en unité spécialisée neuro-vasculaire connaissant la
précoce et prolongée d'un traitement par hydroxyurée semble drépanocytose [1]. Elle fait appel aux échanges transfusionnels,
offrir une protection rénale chez les patients albuminuriques, idéalement par érythraphérèse pour l'AVC ischémique, ou
mais ceci reste cependant à confirmer. L'épuration extra-rénale manuel pour l'AVC hémorragique, avec un objectif
est responsable d'un mauvais pronostic chez le patient drépa- d'HbS < 30 % (ou d'HbA > 50 % pour les drépanocytaires SC).
nocytaire (risque de mortalité augmenté par 2,8 en cas de La fibrinolyse est possible en l'absence de contre-indications,
dialyse par rapport aux patients non drépanocytaires) ; actuel- mais après avoir éliminé formellement un réseau Moya-Moya
lement, le recours rapide à la greffe rénale est donc à envisager du fait du risque hémorragique. Les modalités de dépistage de
dès que possible. l'atteinte vasculaire cérébrale ne sont en revanche pas encore
bien codifiées chez l'adulte, cependant il convient de réaliser au
Atteinte neurologique moins une fois une ARM et IRM cérébrale à l'âge adulte, puis
Les complications neurologiques de la drépanocytose sont une avec une fréquence adaptée à la situation (encadré 2).
cause majeure de morbi-mortalité, notamment du fait des
séquelles cognitives et motrices. Elles se caractérisent principa- Atteinte cardiovasculaire
lement par la survenue d'accidents vasculaires cérébraux, dont L'atteinte cardiovasculaire constitue la première cause de mor-
la prévalence globale était évaluée à 3,75 % dans l'étude talité par complication chronique chez l'adulte drépanocytaire,
Cooperative Study of Sickle Cell Disease (CSSCD), touchant elle a touché 17 % des patients dans une série autopsique. Sa
24 % des patients SS et 10 % des patients SC avant 45 ans. physiopathologie implique principalement le retentissement de
Il s'agit d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques l'anémie chronique sur le système cardiovasculaire avec une
dans les trois-quarts des cas, touchant le territoire cérébral augmentation du débit cardiaque, une diminution des résistan-
moyen et les zones jonctionnelles sous corticales ces périphériques, une surcharge volumique systémique, une
382

tome 2 > n84 > octobre 2021


Complications chroniques au cours de la drépanocytose chez l'adulte
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Encadre 2 supérieure à 80 mmHg est associée à un risque augmenté
L'atteinte neurologique en pratique d'AVC, d'insuffisance rénale et de mortalité et doit faire discuter
l'introduction d'un traitement anti-hypertenseur [1]. Enfin, la
 Accident vasculaire cérébraux ischémiques et hémorragiques.

drépanocytose augmente le risque de survenue d'une embolie
Infarctus cérébraux silencieux et déclin cognitif précoce.

pulmonaire par 3,7, et plus encore pendant la grossesse (risque
Stratégie de dépistage peu codifiée chez l'adulte :
 angio-IRM cérébrale initiale,
multiplié par 30), avec un risque de récidive élevé, estimé
 ou si symptômes neurologiques, à 30 % à 5 ans (encadré 3).
 ou si indication à un traitement anti-thrombotique ;
 Avis spécialisé pour le suivi et la prise en charge. Atteinte pulmonaire
La très grande majorité des patients drépanocytaires (90 %) ont
une fonction pulmonaire anormale. Il s'agit le plus souvent d'un
syndrome restrictif séquellaire de syndromes thoraciques aigus
élévation relative des pressions artérielles, enfin l'effet toxique (STA) antérieurs, parfois associée à de la fibrose pulmonaire,
de l'hémolyse intravasculaire. L'atteinte cardiaque entre, dans la couplé à un déclin progressif du volume expiratoire, constituant
majorité des cas, dans le cadre des cardiomyopathies restrictives à lui seul un facteur de risque de mortalité. On trouve fréquem-
à haut débit et à fonction systolique conservée. Il est fréquem- ment dans ce contexte diverses anomalies pleuro-parenchyma-
ment noté à l'échographie une dilatation de l'oreillette et du teuses au TDM thoracique prédominant aux lobes inférieurs
ventricule gauche et un hyper-débit cardiaque. La présence (bandes parenchymateuses, épaississement des septum inter-
d'une dysfonction systolique associée à une élévation de la lobulaires, épaississements pleuraux, lobules secondaires dila-
vitesse de régurgitation tricuspide constitue un facteur de risque tés, bronchectasies. . .).
indépendant de mortalité, la présence d'une dysfonction dias- La fréquence de l'asthme au cours de la drépanocytose est
tolique (plus fréquente) également [1,9]. difficilement évaluable du fait de nombreux signes cliniques
Les évènements ischémiques myocardiques sont possibles chez communs entre les deux pathologies, cependant certaines don-
les patients drépanocytaires mais touchent plus fréquemment la nées suggèrent que l'asthme s'associe chez le patient drépa-
microcirculation myocardique que les artères coronaires, excep- nocytaire à une plus grande fréquence de STA, de crises vaso-
tion faite des patients hétérozygotes SC [1,10]. occlusives (CVO) et à un sur-risque de mortalité. Les broncho-
La prise en charge de l'insuffisance cardiaque chez les patients dilatateurs et les corticoïdes inhalés restent le traitement de
drépanocytaires fait souvent appel aux diurétiques de l'anse, et fond de première ligne [12].
aux traitements habituels de l'insuffisance cardiaque, même si Un tiers des patients drépanocytaires présentent une vitesse de
ceux-ci n'ont pas été spécifiquement évalués dans la population régurgitation tricuspide supérieure à 2,5 m/s en échographie
drépanocytaire. Certaines données sont en faveur de l'hydro- cardiaque (et surtout 2,8 m/s), devant faire suspecter une
xyurée et des échanges transfusionnels dans la cardiopathie hypertension pulmonaire (HTP), et ce paramètre s'accompagne
drépanocytaire [11]. d'un risque de mortalité 5 fois plus élevé. En cas de suspicion
Les patients drépanocytaires adultes SS-Sß8 Thal ont un profil d'HTP, l'avis d'un centre de référence doit être pris. On note que
tensionnel plus bas que la population générale (en relation sur les données du cathétérisme cardiaque droit, la majeure
notamment avec l'anémie et l'hyperdébit). Une pression arté- partie de ces patients ont un hyperdébit cardiaque sans HTAP.
rielle systolique supérieure à 130 mmHg ou diastolique Dans 25 % des cas l'HTP sera confirmée (6 à 10 % des patients
drépanocytaires), dans la moitié des cas d'origine post-capillaire
et dans l'autre moitié, d'origine pré-capillaire (hypertension
Encadre 3 arterielle pulmonaire). La présence d'une HTP est corrélée
L'atteinte cardiovasculaire en pratique à la valeur du NT-pro-BNP (> 164 pg/mL) et aux résultats du
test de marche de 6 minutes (inférieure à 333 m), qui amélio-
 Cardiomyopathie restrictive à haut débit et à fonction systolique
rent la valeur prédictive positive de l'échographie cardiaque de
conservée.

25 % à 67 %.
Plus rarement : hypertension artérielle pulmonaire pré ou post-
capillaire.
Une diminution de la capacité de diffusion pulmonaire est
 Électrocardiogramme et échographie cardiaque au bilan initial observée chez une faible proportion de patient (15 %), parfois
puis en suivi régulier. en rapport avec une hypertension pulmonaire, semblant éga-
 Seuils et objectifs tensionnels plus faibles chez le patient lement être un facteur prédictif de mortalité [13] (encadré 4).
drépanocytaire.
 Sur-risque de maladie thrombo-embolique veineuse (embolie Atteinte ostéoarticulaire
pulmonaire). L'ostéonécrose aseptique épiphysaire fémorale ou humérale,
souvent bilatérale, touche notamment la moitié des
383

tome 2 > n84 > octobre 2021


A. Morabito, S. Le Jeune
Mise au point

Encadre 4 objectif de concentration sérique > 30 ng/mL. La place d'un


L'atteinte pulmonaire en pratique traitement par biphosphonate n'est pas codifiée ici de façon
spécifique.
 Pas de bilan fonctionnel respiratoire systématique.

Les déformations vertébrales, touchent 40 % des patients. Elles
Radiographie thoracique initiale puis selon la symptomatologie.

se caractérisent par un aplatissement des plateaux vertébraux
EFR, DLCO et gazométrie artérielle à réaliser si :
 antécédents de syndrome thoracique aigu,
avec déformation biconcave en « H » ou en « bouche de
 pathologie pulmonaire associée, poisson » ; elles prédominent sur le rachis dorsal et sont rare-
 majoration d'une dyspnée existante, ment symptomatiques [1,15] (encadré 5).
 dyspnée disproportionnée au degré de l'anémie.
 Oxymétrie nocturne éventuellement associée à une polygraphie Atteinte ophtalmologique
nocturne si doute sur hypoxie nocturne Les atteintes ophtalmologiques sont fréquentes. Elles touchent
 Le dépistage de l'hypertension pulmonaire repose sur la mesure
40 % des patients adultes homozygotes et 70 % des patients
de la vitesse de régurgitation tricuspide associée au NT-Pro-BNP
hétérozygotes SC.
et éventuellement au test de marche de 6 min
Elles sont essentiellement rétiniennes par occlusion de la micro-
vascularisation périphérique ; elles évoluent vers une rétinopa-
thie proliférante pouvant se compliquer d'hémorragies intra-
vitréennes et de décollement de la rétine, conduisant éventuel-
homozygotes SS avant 35 ans. Les facteurs de risque identifiés lement à la cécité chez 12 % des patients non traités [1,16]. Les
sont l'âge, le sexe masculin, le surpoids, la leucopénie, l'asso- signes visuels les plus évocateurs de progression de la rétinopa-
ciation à une alpha-thalassémie, le profil vaso-occlusif (CVO thie semblent être un flou visuel et des myodésopsies [17]. Une
fréquentes ou antécédent de STA). L'examen clinique note atteinte maculaire peut être associée dans 30 % des cas, indé-
souvent une douleur au niveau de l'articulation concernée, pendamment du génotype [1,18]. Les principaux facteurs de
une diminution de l'amplitude articulaire et une asymétrie de risque de rétinopathie sont le génotype SC, la présence d'un
la longueur des membres, mais l'ostéonécrose peut être asymp- diabète, l'âge et le sexe masculin.
tomatique. Le dépistage s'effectue via la radiographie osseuse, Toute baisse d'acuité visuelle doit conduire à un examen oph-
mais celle-ci peut être normale dans les stades précoces. Il ne talmologique urgent, les causes les plus fréquentes sont une
faut pas se limiter à l'analyse de l'articulation douloureuse mais atteinte maculaire, une hémorragie intra-vitréenne, plus rare-
rechercher des atteintes sur les articulations asymptomatiques ment une occlusion de l'artère ou de la veine centrale de la
et ne pas hésiter à compléter les radiographies par une IRM. Le rétine ou un accident vasculaire cérébral.
traitement est avant tout chirurgical : l'évolution naturelle Le dépistage et le suivi reposent sur un fond d'œil annuel,
nécessite dans 85 % des cas la mise en place d'une prothèse ; éventuellement complété d'une angiographie rétinienne (clas-
un traitement conservateur (forage ou ponction concentration sification de la rétinopathie de Goldberg). Le traitement repose
réinjection de cellules mésenchymateuses) peut être proposé sur la photo-coagulation laser des zones ischémiques et pro-
aux stades précoces avant affaissement de la tête fémorale. liférantes [1]. Certaines données suggèrent un rôle protecteur
L'efficacité de l'hydroxyurée dans cette indication reste à déter- de l'hydroxyurée sur la survenue de rétinopathie (encadré 6).
miner [1,14].
L'ostéoporose touche jusqu'à 80 % des patients ; elle augmente Atteintes ORL
le risque de fractures ; elle doit faire rechercher une carence en
Les atteintes ORL se manifestent essentiellement par des verti-
vitamine D (75 % des patients) associée à une hyperparathy-
ges, une hypoacousie ou un syndrome obstructif des voies
roïdie secondaire. Le bénéfice de la supplémentation en vita-
aériennes supérieures.
mine D au cours de la drépanocytose repose sur un faible niveau
de preuve mais doit être systématiquement proposée avec un
Encadre 6
L'atteinte ophtalmologique en pratique
Encadre 5
L'atteinte ostéoarticulaire en pratique  Fond œil annuel systématique plus ou moins associé à une
angiographie rétinienne.
 Dépistage systématique de l'ostéonécrose aseptique épiphysaire  Une baisse brutale de l'acuité visuelle nécessite un examen
par radiographie éventuellement associée à une IRM.
ophtalmologique en urgence
 Décharge de l'articulation à la phase aiguë, prise en charge  Pas d'acétazolamide en cas de glaucome chez le patient
chirurgicale si persistance.
drépanocytaire.
 Supplémentation systématique en vitamine D.  Rechercher une maladie auto-immune devant des yeux secs.
384

tome 2 > n84 > octobre 2021


Complications chroniques au cours de la drépanocytose chez l'adulte
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Devant la survenue de vertiges, une cause neurologique est d'entités peuvent être associées : hépatites virales, hémochro-
éliminée en premier lieu (accident vasculaire cérébral de loca- matose, lithiases biliaires, cholangiopathie spécifique.
lisation cérébello-vestibulaire). Les explorations ORL sont la Les hépatites virales sont plus fréquentes chez les patients
suite logique. Les vertiges étant le plus souvent liés à des drépanocytaires, le plus souvent asymptomatiques. Elles sont
phénomènes vaso-occlusifs touchant la microcirculation de diagnostiquées sur une élévation des transaminases persistant
l'oreille interne. La recherche d'hypoacousie associée sera sys- en dehors des crises vaso-occlusives (CVO). Leur traitement
tématique. Dans tous les cas, il convient de chercher une suit les recommandations en population générale. La réalisa-
hyperviscosité sanguine ou à l'inverse une aggravation de l'ané- tion des sérologies virales doit être systématiquement
mie ; une saignée ou une transfusion peuvent alors être dis- proposée.
cutées. Le traitement est par ailleurs essentiellement L'hémochromatose, conséquence des transfusions répétées
symptomatique (hydratation, oxygénothérapie, anti-vertigi- est généralement asymptomatique jusqu'au stade de cirrhose.
neux, rééducation vestibulaire) ; les corticoïdes et les diuréti- Le suivi de la surcharge martiale est réalisé par dosage de la
ques sont à éviter. ferritinémie et du coefficient de saturation de la transferrine,
L'hypoacousie, de fréquence variable, touchant préférentielle- qui peuvent cependant être pris en défaut. L'IRM hépatique
ment les drépanocytaires SS, se manifeste par une altération de avec mesure de la charge hépatique en fer, plus sensible, peut
la réception sensorielle bilatérale ou unilatérale initialement être proposée pour des valeurs de ferritinémie > 1000 mg/L (?)
aux hautes fréquences puis aux basses fréquences. Une atteinte ou d'un coefficient de saturation de la transferrine > 40 %,
unilatérale doit craindre un neurinome du nerf VIII. L'hydroxyu- notamment en cas d'élévation des transaminases chez des
rée peut avoir un effet bénéfique sur l'amplitude des oto- patients polytransfusés. Le traitement repose sur les chéla-
émissions acoustiques. La survenue d'une surdité brusque est teurs du fer (indiqués en cas de transfusions multiples ou de
une urgence, elle nécessite de contacter le centre référent charge hépatique en fer > 125 mmol/g à l'IRM) ou les sai-
[1,19–21]. gnées, avec un objectif de ferritinémie inférieure à 500 mg/
Près de la moitié des patients drépanocytaires ont un syndrome L. Un bilan martial annuel doit être réalisé, l'hémochromatose
obstructif des voies aériennes supérieures, le plus souvent en peut rarement survenir chez des patients vierges de toutes
rapport avec une hypertrophie amygdalienne, parfois favorisé transfusions.
par le surpoids. On doit l'évoquer devant une majoration de la Les lithiases biliaires sont relativement fréquentes (25 à 58 %
fréquence des CVO, des CVO d'horaire nocturne ou un priapisme. des cas), notamment chez les patients homozygotes SS. Elles
Une oxymétrie nocturne éventuellement complétée d'une poly- sont constituées de pigments biliaires, conséquence de la majo-
graphie nocturne sont réalisées en complément de l'exploration ration de l'excrétion de bilirubine liée à l'hémolyse chronique.
ORL. Le traitement consiste essentiellement en une amygda- Elles peuvent être favorisées par une maladie de Gilbert asso-
lectomie (ou un traitement plus conservateur par laser), l'hydro- ciée. Elles sont dans la moitié des cas radio-opaques. Elles
xyurée peut également avoir un effet bénéfique [1,22,23] restent souvent asymptomatiques mais peuvent favoriser les
(encadré 7). CVO. Leur traitement repose sur la cholécystectomie, qui doit
être proposée dès les stades précoces (sludge avec coliques
Atteinte hépatique hépatiques, microlithiases).
La prévalence de l'atteinte hépatique chronique (toute cause Une cholangiopathie spécifique d'origine ischémique (choles-
confondue) au cours de la drépanocytose est estimée à 10 %. tase intra-hépatique chronique), peut apparaître suite à la répé-
Elle touche préférentiellement les patients homozygotes SS ; il y tition de CVO touchant la vascularisation terminale des voies
a une évolution vers une cirrhose dans 30 % des cas. Une variété biliaires. Souvent asymptomatique, elle se manifeste biologi-
quement par une élévation de la bilirubine conjuguée et des
phosphatases alcalines, plus ou moins associée à une majora-
tion des transaminases et une baisse du TP, cette dernière étant
Encadre 7 un critère de gravité. La confirmation nécessite une biopsie
L'atteinte ORL en pratique hépatique. Sa prise en charge peut justifier un programme

d'échanges transfusionnels voire parfois une transplantation
Éliminer l'urgence neurovasculaire devant des vertiges.

hépatique (parfois réalisée en urgence dans les cas de CVO
L'hypoacousie brutale est une urgence thérapeutique.
 Éviter les corticoïdes et les diurétiques.
hépatique). Hyperplasie nodulaire focale et fibrose périsinusoi-
 Évoquer un syndrome obstructif de voies aériennes supérieures dale sont des atteintes classiques. L'hypertension portale doit
avec hypoxie nocturne devant des crises plus fréquentes, être recherchée et écartée.
nocturnes ou un priapisme. On recommande la recherche systématique d'hépatites auto-
 Pas de bilan systématique ORL mais guidé par les symptômes. immunes et de surcharge en cuivre en cas de perturbations
prolongées des tests hépatiques.
385

tome 2 > n84 > octobre 2021


A. Morabito, S. Le Jeune
Mise au point

Encadre 8 Encadre 9
L'atteinte hépatique en pratique L'atteinte cutanée (ulcères de jambes) en pratique

 Sérologies virales systématiques.  Éviter les traumatismes locaux.


 Surveillance systématique du bilan hépatique et martial.  Lutter contre la sécheresse cutanée.
 Vaccination contre l'hépatite B systématique.  En cas d'ulcère :
 Échographie abdominale systématique chez les patients non  soins locaux,
cholécystectomisés.  dépistage et traitement d'une insuffisance veineuse sous-jacente.
 Le fibrotest n'est pas interprétable chez le patient drépanocytaire.

De façon générale, l'interprétation du bilan hépatique est limi- transitoirement la posologie après avis d'un référent spécia-
tée par l'hémolyse chronique, mais l'augmentation du taux de lisé. Les échanges transfusionnels sont parfois proposés sans
bilirubine conjuguée, la baisse du taux d'albumine et l'élévation preuve réelle de leur efficacité. Les autogreffes de peau ou le
prolongée des taux d'ALAT sont de bons marqueurs d'hépatopa- traitement par pression négative n'ont jamais été évaluées
thie chronique. La bilirubine conjuguée et la ferritine pourraient mais peuvent aider à passer un cap. Une supplémentation
être des facteurs biologiques prédictifs de mortalité. nutritionnelle en Zinc, vitamine D ou en acide folique, mais
En cas d'hépatopathie terminale quelqu'en soit l'origine, une aussi l'administration de bosentan pourrait avoir un effet
transplantation hépatique peut être proposée, plutôt chez les bénéfique sur la cicatrisation. Une prise en charge chirurgicale
patients sans comorbidités importantes (cardiovasculaire ou de l'insuffisance veineuse peut être proposée lorsqu'elle est
pulmonaire notamment) et sous couvert d'un programme significative. On recommande également de prévenir les trau-
d'échange transfusionnel. Elle est néanmoins grevée d'un lourd matismes des membres inférieurs (chaussage adapté, crème
pronostic (67 % de survie à 3 ans, 44 % à 10 ans) [24–27] hydratante, se prémunir des piqûres d'insectes, éviter les
(encadré 8). perfusions aux membres inférieurs) et de stopper un éventuel
tabagisme [28–30] (encadré 9).
Atteinte cutanée
Les ulcères chroniques de jambe sont la complication cutanée
Conclusion
la plus fréquente au cours de la drépanocytose. Favorisés par La survenue progressive et souvent asymptomatique d'attein-
de petits traumatismes, ils peuvent être simples ou multiples, tes viscérales chroniques chez l'adulte drépanocytaire repré-
volontiers rétro-ou sus malléolaires, fréquemment très dou- sente une source majeure de handicap et de mortalité. Les
loureux (sans lien avec la taille) et invalidants. Leur pronostic facteurs de risque et manifestations cliniques de ces compli-
est souvent médiocre, avec une cicatrisation lente et difficile, cations sont proches de ceux de l'enfant, notamment pour
des risques élevés de surinfection et de récidive. Les facteurs l'atteinte rénale et cérébrale. Néanmoins certaines atteintes
de risque identifiés sont l'âge, l'homozygotie SS, un faible taux sont plus spécifiques de l'adulte, telles que l'HTAP ou la car-
d'hémoglobine, un faible taux d'hémoglobine fœtale et un diopathie, dont les déterminants sont encore largement
antécédent d'ulcère (risque de récidive multiplié par 23). Les méconnus. Des avancées importantes dans le dépistage et
facteurs de bon pronostic sont essentiellement liés aux carac- le traitement des complications chroniques ont été réalisées
téristiques de l'ulcère, à savoir une surface inférieure à 8 cm2 et ces dernières décennies. La prise en charge nécessite un
une évolution inférieure à 9 semaines. La présence d'une réseau de soins coordonnés. Un bilan systématique annuel
alpha-thalassémie et un taux élevé d'hémoglobine fœtale sont est nécessaire pour dépister les atteintes aux stades précoces,
également plutôt bénéfiques. Par analogie avec les ulcères la prise en charge leurs facteurs de risque, et la proposition
veineux (une insuffisance veineuse s'associe dans 30 à 90 % d'un éventuel traitement préventif ou curatif. Le médecin
des cas d'ulcères chez le sujet drépanocytaire), une contention traitant joue ainsi un rôle clef dans la structuration du suivi
veineuse et des soins locaux sont réalisés. Le traitement du patient drépanocytaire.
antalgique reste souvent insuffisant. Les effets potentiels
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
(négatifs ou positifs) de l'hydroxyurée sont pour le moment liens d'intérêts.
controversés, il peut être nécessaire d'en diminuer
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Complications chroniques au cours de la drépanocytose chez l'adulte
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
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387

tome 2 > n84 > octobre 2021


Presse Med Form 2021; 2: 388–396

DR EPANOCYTOSE en ligne sur / on line on


www.em-consulte.com/revue/lpmfor
www.sciencedirect.com

Dossier thématique
Mise au point

Drépanocytose : les spécificités d'atteinte


d'organe chez l'enfant

Corinne Guitton

Disponible sur internet le : CHU de Bicêtre, centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs et
1 septembre 2021 autres pathologies constitutionnelles du globule rouge, service de pédiatrie
générale, 78, avenue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin Bicêtre, France

corinne.guitton@aphp.fr

Points essentiels
La drépanocytose est la maladie génétique dépistée à la naissance la plus fréquente en France.
La dysfonction splénique débute dès les premiers mois de vie et joue un rôle majeur dans la
susceptibilité accrue aux infections bactériennes chez les jeunes patients.
L'association d'une antibioprophylaxie quotidienne, d'un calendrier vaccinal renforcé et l'éduca-
tion des patients et leurs familles permettent de diminuer le risque d'infection.
La drépanocytose est la première cause d'accident vasculaire cérébrale (AVC) chez l'enfant, hors
période néonatale, avec un risque de 11 % avant l'âge de 18 ans.
La vasculopathie cérébrale drépanocytaire est dépistée efficacement par le Doppler trans-cranien
(DTC) qui permet de stratifier le risque d'AVC et de débuter un traitement préventif.
Les complications dégénératives rénales, neurocognitives, rétiniennes, osseuses ou encore car-
diaques peuvent débuter dès l'enfance et doivent être recherchées systématiquement afin d'être
traitées précocement.
La transition de la pédiatrie vers les soins pour adultes des jeunes patients drépanocytaires est un
enjeu capital.

Key points
Sickle cell disease: The specifics of organ damage in pediatrics

Sickle cell disease is the most common genetic disease detected at birth in France.
Splenic dysfunction begins in the first months of life and plays a major role in the increased
susceptibility to bacterial infections in young patients.
The combination of daily antibiotic prophylaxis, an enhanced immunization schedule and
education of patients and their families can reduce the risk of infection.
Sickle cell disease is the leading cause of cerebrovascular accident (stroke) in children, outside the
neonatal period, with an 11% risk of stroke before the age of 18.
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10.1016/j.lpmfor.2021.08.006
© 2021 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Drépanocytose : les spécificités d'atteinte d'organe chez l'enfant
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Sickle cell cerebral vasculopathy is effectively screened for by transcranial Doppler allowing
grading of the risk of stroke and preventive treatment to be started.
Degenerative renal, neurocognitive, bone, retinal or even cardiac complications can begin in
childhood and should be systematically investigated in order to be treated early.
The transition from pediatrics to adult care for young sickle cell patients is a critical issue.

L a drépanocytose est une hémoglobinopathie autosomique


récessive. C'est la maladie génétique congénitale dépistée à la
particulier, à dépister les complications d'organe et/ou décider
d'une intensification thérapeutique. Ces progrès ont permis de
naissance la plus fréquente en France. En 2019, un nouveau-né réduire, de façon significative, la mortalité et morbidité infantile
est atteint pour 1303 naissances (1/1485 en métropole et 1/ [1,2]. Ainsi, plus de 95 %, voire 97 %, des patients drépano-
461 en Outre-Mer), soit 586 nouveaux cas pour l'année, dont cytaires atteignent désormais l'âge adulte dans les pays aux
51 % en le de France, selon les données du Centre national de ressources médicales développées.
coordination du dépistage néonatal. Ainsi, depuis l'année 2000, Cette prise en charge s'appuie sur le protocole de diagnostic et
date de la généralisation du dépistage sur l'ensemble du terri- de soins (PNDS), en cours d'actualisation, permettant d'harmo-
toire français, ce sont plus de 9000 cas infantiles qui ont été niser les pratiques et la création de centres de référence, avec le
identifiés. plan maladies rares en 2005, étoffés depuis 2017, de centres de
Les malades homozygotes SS représentent 70 % des patients et compétence labellisés répartis sur l'ensemble du territoire [3].
sont habituellement les plus symptomatiques. Mais l'expression Ce dispositif doit permettre à tout enfant atteint de drépano-
phénotypique de la maladie est très variable d'un individu cytose en France d'être suivi par un médecin référent, dans un
à l'autre à génotype identique, et d'une période à l'autre pour de ces centres, et ce, en lien avec les professionnels de santé de
un même individu. Cette hétérogénéité s'explique en partie par proximité.
une physiopathologie complexe combinant :
 une anomalie de l'hémoglobine S particulièrement instable

à l'état désoxygéné, responsable de la falciformation du glo- La drépanocytose, une pathologie


bule rouge et entraînant des phénomènes vaso-occlusifs et infectieuse nécessitant une prise en charge
une hémolyse ; pédiatrique particulière
 une augmentation de l'adhésion des hématies drépanocytai-
Les infections chez les enfants et les adolescents drépanocytai-
res, mais aussi des plaquettes et neutrophiles activés aux res ont été longtemps la première cause de mortalité. Dans les
parois de l'endothélium vasculaire altérant la rhéologie cohortes historiques, avant la mise en place des mesures anti-
sanguine ; infectieuses préventives, les sujets drépanocytaires avaient un
 un état pro-inflammatoire et une atteinte de l'endothélium
risque d'infections bactériennes invasives graves à germes
vasculaire de la microcirculation, mais aussi des gros encapsulés plus particulièrement aux Streptococcus pneumo-
vaisseaux. niae et Haemophilus influenzae de type b, mais aussi ménin-
Ces différents phénomènes rendent compte des caractéristiques gocoques et salmonelles, responsables de tableaux invasifs
cliniques et biologiques observées : sévères de localisations variées (sepsis, méningite, pneumonie,
 une hémolyse chronique constante responsable de l'anémie
ostéomyélite). Ainsi, l'incidence des bactériémies chez les
mais qui peut être absente pour certains génotypes ; enfants drépanocytaires de moins de 3 ans était 30 à 100 fois
 des manifestations aiguës appelées crises vaso-occlusives
supérieure à celle observée chez des enfants du même âge avec
(CVO) touchant essentiellement les os et pouvant être parti- un risque de mortalité de 24 % et un risque de méningites
culièrement douloureuse, mais tout organe peut être concerné bactériennes à Streptococcus pneumoniae 300 fois plus élevé
(rate, intestins, poumons, cerveau, etc.) ; [4,5].
 un risque infectieux accru, maximal à l'âge pédiatrique, lié
Cette susceptibilité infectieuse est plurifactorielle. Elle est liée,
à l'asplénie et susceptible d'engager le pronostic vital ; en premier lieu, à une dysfonction splénique avec une asplénie/
 des atteintes d'organes chroniques et insidieuses qui sont au
hyposplénie fonctionnelle qui débute précocement dès les pre-
premier plan à l'âge adulte, mais dont certaines débutent dès miers mois de vie, mais aussi à un défaut d'activation du
l'âge pédiatrique et en sont même une spécificité comme la complément, une altération du chimiotactisme des polynucléai-
vasculopathie cérébrale. res neutrophiles, un défaut de maturation des lymphocytes B et
Le dépistage néonatal permet une prise en charge précoce avec des facteurs génétiques [6].
une antibioprophylaxie quotidienne, un programme vaccinal Cette morbi-mortalité d'origine infectieuse a été considérable-
élargi et un suivi médical régulier systématique visant, en ment réduite grâce à l'antibioprophylaxie et un calendrier
389

tome 2 > n84 > octobre 2021


C. Guitton
Mise au point

Figure 1
Schéma de vaccination renforcé chez l'enfant drépanocytaire (hors rattrapage)
BCG : tuberculose – DTCaPHibHepB : vaccin hexavalent Diphtérie/Tétanos/Coqueluche acellulaire (Ca)/Poliomyélite/Hémophilus influenzae de type b (Hib)/Hépatite B (HepB) ;
DTCaP : vaccin combiné Diphtérie/Tétanos/Coqueluche acellulaire (Ca)/Poliomyélite ; dTcaP : vaccin combiné Diphtérie avec dose réduite d'anatoxine diphtérique (d)/Tétanos/
Coqueluche avec dose réduite d'antigène coquelucheux (ca)/Poliomyélite) ; dTP : vaccin combiné Diphtérie/Tétanos/Poliomyélite avec dose réduite d'anatoxine diphtérique
(d) ; ROR : vaccin trivalent Rougeole/Oreillons/Rubéole

vaccinal renforcé sans oublier l'éducation des familles et des tenant compte de la nécessité d'une couverture maximale
médecins en cas de fièvre. précoce et de sa faisabilité en pratique courante.
L'antibioprophylaxie est introduite précocement dès l'âge de À ces mesures préventives combinant antibioprophylaxie et
2 mois par de la pénicilline V orale (Oracilline®) en 2 prises vaccinations, il faut ajouter la nécessité d'une antibiothérapie
quotidiennes au moins à la posologie de 100 000 UI/Kg/j systématique et précoce lors de tout épisode fébrile (T > 3885) y
jusqu'à 10 kg, puis 50 000 UI/Kg/j sans dépasser 2 millions compris d'allure viral [3]. En effet, bien que le risque d'infection
d'UI/J [7]. La durée de cette antibioprophylaxie n'est pas invasive à pneumocoque ait été estimé à 1,9 % depuis l'avè-
consensuelle, mais elle est nécessaire au moins jusqu'à l'âge nement du schéma vaccinal renforcé, le taux de mortalité reste
de 5 ans, la susceptibilité aux infections invasives à pneumo- élevé à 11,5 % chez l'enfant drépanocytaire [9]. Ainsi, tous
coque étant réduite après cet âge. Cependant, elle ne disparaît soignants, patients et son entourage doivent être sensibilisés
pas totalement au-delà, avec actuellement une augmentation à la nécessité d'une consultation médicale dans les meilleurs
de souches non couvertes par les vaccins antipneumococciques délais pour la réalisation d'un examen clinique, voire d'examens
disponibles. En France, cette antibioprophylaxie est souvent complémentaires ; c'est d'autant plus nécessaire que le patient
prolongée jusqu'au début de l'adolescence, surtout s'il y a un est âgé de moins de 3 ans et/ou en cas de fièvre
antécédent de splénectomie chirurgicale ou de sepsis élevée > 3985 et/ou mal tolérée. Cette antibiothérapie est alors
à pneumocoque. volontiers parentérale, en milieu hospitalier, avec habituelle-
Le calendrier vaccinal est adapté pour tous les enfants drépa- ment une C3G. Un traitement ambulatoire est possible chez les
nocytaires avec un schéma renforcé contre les infections inva- patients, âgés de plus de 3 ans, sans facteurs de gravité clinique
sives à pneumocoques comportant 3 doses à 2, 3, 4 mois et un ou biologique ayant un entourage familial fiable en utilisant une
rappel à 11 mois avec le vaccin conjugué à 13 valences (Pre- antibiothérapie probabiliste active sur le pneumocoque comme
venar 13®) suivi d'une injection de vaccin polysaccharidique l'amoxicilline prescrite au moins à 100 mg/kg/j en 3 prises [3].
23 valence à 2 ans (Pneumovax®) puis d'un seul rappel cinq
après. Les vaccins contre les sérogroupes de méningocoques A, Les atteintes chroniques d'organes
B, C, Y et W et la vaccination annuelle contre la grippe sont caractéristiques de l'âge pédiatrique
également recommandés [8]. Ces vaccins sont pris en charge Chez l'enfant, mais surtout l'adolescent, peuvent apparaître les
à 100 % dans le cadre de la drépanocytose. Un exemple de complications dégénératives liées à la dysfonction vasculaire
schéma adapté hors rattrapage est présenté sur la figure 1 en chronique avec une atteinte rénale, hépatique, rétinienne,
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Drépanocytose : les spécificités d'atteinte d'organe chez l'enfant
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
osseuse ou encore cardiaque, source de lourdes morbidités et de notée dans le carnet de santé afin de servir de mesure de
mortalité chez les adultes. La dysfonction splénique et la vas- référence.
culopathie cérébrale sont des spécificités pédiatriques.
La vasculopathie cérébrale
La dysfonction splénique Épidémiologie
Outre le risque infectieux lié à l'asplénie fonctionnelle déjà L'AVC est une des complications les plus sévères de la drépa-
évoquée, il existe d'autres complications spléniques chez nocytose dans l'enfance ; il n'est pas rare. Une étude américaine
l'enfant porteur d'une drépanocytose. La perte de la fonction- de suivi de plus de 4000 malades, pendant 10 ans, dont
nalité splénique est précoce chez l'enfant drépanocytaire de 700 enfants depuis la naissance, a retrouvé un risque spontané
génotype SS et Sb0-thalassémique, et déjà présente chez 87 % d'AVC de 11 % à 20 ans, 15 % à 30 ans chez les patients SS et Sb0
des nourrissons âgés en moyenne de 13 mois [10]. Cette [13]. Ces AVC étaient majoritairement ischémiques avant 20 ans
dysfonction est plus tardive pour les autres génotypes, proba- avec un risque maximum entre 2 et 9 ans, et hémorragiques
blement après l'âge de 10 ans chez les patients SC. L'expression entre 20 et 29 ans. Ainsi, la drépanocytose est la cause la plus
de la dysfonction splénique est imprévisible et non corrélée à la fréquente d'AVC chez l'enfant hors période néonatale.
taille de la rate. Elle inclut la survenue de séquestration splé- À ce risque d'AVC clinique, se rajoute celui des AVC dit « silen-
nique aiguë (SSA), de séquestration splénique chronique (ou cieux » auquel il faut préférer le terme d'anomalies de la
hypersplénisme), une splénomégalie et une atrophie splénique substance blanche correspondant à des lésions ischémiques
secondaire à l'installation progressive d'une fibrose post isché- visibles en IRM en séquence T2 FLAIR ne se traduisant pas
mique. Chacune de ses manifestations peuvent se combiner [6]. par des signes neurologiques moteurs ou sensitifs mais pour-
La séquestration splénique aiguë survient principalement chez voyeurs d'une atteinte cognitive [14]. Ces lésions de la sub-
les enfants de moins de 3 ans porteur de la forme SS ou stance blanche sont déjà observés avant l'âge de 6 ans et
Sb0 thalassémique (Sb0) avec une fréquence de 13 à 25 % augmentent en nombre et en taille dans le temps avec une
selon les séries [11]. Elle est définie par une augmentation prévalence de 37 % à l'âge de 14 ans [15].
brutale de la taille de la rate de plus de 2 cm, associée à une Le développement du Doppler transcrânien (DTC), de l'IRM et de
chute du taux d'hémoglobine de plus de 2 g/dL. Elle s'accompa- l'angio-IRM ces 30 dernières années a permis la détection fiable
gne généralement d'une thrombopénie modérée et est souvent de cette vasculopathie cérébrale et d'identifier ainsi les patients
déclenchée par une infection virale. C'est une urgence théra- à haut risque d'AVC et de débuter une prise en charge théra-
peutique, le pronostic vital peut être engagé par défaillance peutique de prévention.
circulatoire de l'anémie aiguë, et impose une transfusion de Physiopathologie
concentré érythrocytaire dans les meilleurs délais. Une récidive La vasculopathie cérébrale de la drépanocytose comporte une
survient chez 2/3 des patients surtout si le 1er épisode est atteinte de la microcirculation distale liée à l'effet sludge (ralen-
survenu avant l'âge de 2 ans. Un programme transfusionnel tissement et agrégation des globules rouges dans les petits
mensuel est habituellement débuté après le 2e épisode suivi vaisseaux) et/ou une atteinte proximale des gros vaisseaux,
éventuellement d'une splénectomie après l'âge de 2–4 ans sténosante et progressive. Ces sténoses sont habituellement
selon les équipes. Il n'existe pas de traitement préventif de circonférentielles, pouvant aboutir à une occlusion et affectent
la SSA. L'éducation des familles dès l'annonce diagnostique, afin essentiellement le système carotidien (siphon et segment ter-
de leur apprendre à surveiller attentivement les signes clini- minal des artères carotides internes (ACI) dans leur portion
ques, tels que la pâleur et l'augmentation de la taille de la rate intracrânienne, mais aussi cervicale, les artères cérébrales
à la palpation de l'hypocondre gauche, est essentielle et a moyennes (ACM) et cérébrales antérieures (ACA) dans leur
montré son efficacité dans la réduction de la mortalité par segment proximal) [16,17]. L'obstruction progressive peut
SSA [12]. s'accompagner d'un développement de réseau de collatérales
L'hypersplénisme s'accompagne d'une augmentation chronique de type Moya-Moya exposant secondairement à un risque d'AVC
du volume de la rate, et d'une bi-voire tricytopénie avec une hémorragique. Le mécanisme de ce remodelage vasculaire
réticulocytose réactionnelle élevée (> 15 %) ; il n'est pas rare aboutissant à une hyperplasie de l'intima et de la média est
bien que sa prévalence soit inconnue. Elle est plus fréquente en multifactoriel (agression de l'endothélium vasculaire par les
cas d'HbF élevée ou de trait a-thalassémie associé. Cet hyper- drépanocytes anormalement adhérents, rigides et l'hémolyse,
splénisme est parfois difficile à différencier d'épisodes modérés hyperdébit lié à l'anémie, lésions inflammatoires de reperfusion
de SSA répétées. résultant d'évènements occlusifs transitoires, dysrégulation du
La splénomégalie modérée (1 à 2 cm du rebord costal gauche) tonus ou encore état d'hypercoagulabilité).
sans conséquence hématologique est habituellement décrite L'artériopathie sténosante ne concerne que les formes majeures
chez le très jeune enfant avant que ne survienne l'atrophie de syndrome drépanocytaire homozygotes SS et les Sb0. Elle est
splénique, en Europe et aux USA. La taille de la rate doit être responsable de 75 % des AVC cliniques avec des lésions touchant
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tome 2 > n84 > octobre 2021


C. Guitton
Mise au point

Figure 2
Imagerie de la vasculopathie
cérébraleA. Doppler
transcrânien. B. Angio-IRM :
sténoses des 2 siphons
carotidiens ; C. IRM, séquence
T2 : hypersignaux de la
substance blanche,
témoignant de l'atteinte de la
microcirculation avec des
lésions ischémiques
bilatérales

préférentiellement le cortex cérébral, bilatérales dans la moitié syndrome thoracique aigu (STA) récent ou répété et l'hypoxie
des cas. Elles peuvent être précoces, dès l'âge de 18 mois, et nocturne [18]. Les 2/3 des patients récupèrent complètement
progresser pendant des mois ou des années avant la survenue sur le plan moteur, mais les séquelles cognitives sont quasi
de l'accident clinique ischémique. Le risque de récidive des AVC constantes, et ce, d'autant plus que l'AVC est survenu à un jeune
sur ces vasculopathies sténosante est important, souvent le fait âge. En l'absence de traitement, l'AVC récidive dans 67 % des cas
de phénomènes de bas débit dans les zones jonctionnelles dans les 12 à 24 mois suivant le premier épisode [15].
également appelées « les derniers prés ». Les lésions ischémi-
ques secondaires à la micro-vasculopathie, impliquées dans 1=4
des AVC sans forcément de vasculopathie du polygone de Willis,
peuvent se voir dans toutes les formes de drépanocytose SS, Diagnostic, facteurs de risque radiologique
Sb0, Sb+, et SC. Le mécanisme dans ce cas est de nature plutôt Le Doppler transcrânien (DTC)
hémodynamique ou éventuellement vaso-occlusif. Les territoi- Le DTC permet d'enregistrer les vitesses circulatoires au niveau
res dit jonctionnels, particulièrement sensibles aux variations de des artères de la base du crâne (figure 2A) et de détecter une
débit de perfusion sont le plus concernés par ce mécanisme et accélération focalisée anormale, dépistant ainsi une sténose
les infarctus dans ces zones touchent préférentiellement la artérielle. Les vitesses enregistrées sur les différents axes vas-
substance blanche. culaires du polygone de Willis et carotidiens internes permettent
de stratifier le risque de survenue d'un infarctus cérébral symp-
Présentation et facteurs de risques cliniques tomatique : risque très faible (moins de 1 % d'AVC par an) pour
Les AVC sont ischémiques dans 75 % des cas et hémorragiques une vitesse < 170 cm/s, risque élevé (plus de 20 % d'AVC dans
dans les autres cas. Les symptômes cliniques les plus fréquents les 12 mois et 50 % dans les 30 mois) pour une vites-
sont l'hémiparésie, l'aphasie ou la dysphasie avec ou sans se > 200 cm/s, risque intermédiaire pour les vélocités entre
convulsions. L'AVC peut survenir sans prodrome ou lors d'une 170 et 199 cm/s [19]. Selon les séries, environ 10 à 30 %
CVO. Parfois, il peut être favorisé par l'hyperviscosité induite par des enfants drépanocytaires SS ou Sb0 sont concernés par un
une transfusion trop importante ou au contraire par une saignée DTC pathologique avec des vitesses > 200 cm/s avant l'âge de
trop abondante lors d'un échange transfusionnel. Les facteurs de 9 ans. En l'absence d'anomalie du DTC à l'âge de 10 ans, le risque
risque de survenue d'AVC identifiés sont une anémie sévère de d'un premier évènement vasculaire cérébral dans l'adolescence
base (< 7 g/dL), une hypertension artérielle systémique, un est réduit [15]. Le DTC est ainsi le principal marqueur de risque
antécédent d'accident aigu transitoire (AIT), un antécédent de de la vasculopathie cérébrale.
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Drépanocytose : les spécificités d'atteinte d'organe chez l'enfant
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
Figure 3
Stratification du risque
d'infarctus artériel cérébral
selon les résultats du
doppler-transcrânien et
recommandations de
dépistage radiologique de la
vasculopathie cérébrale chez
l'enfant drépanocytaire
DTC : doppler transcrânien ; IRM :
imagerie par résonance magnétique ;
ARM : angiographie par résonance
magnétique.

L'IRM cérébrale et l'angio-IRM intracrânienne et cervicale au long cours. L'objectif est de maintenir un taux d'HbS < 30–
(ARM) 35 % de façon prolongée ;
 en cas de vitesses intermédiaires (170–200 cm/s), la surveil-
L'ARM cérébrale montre des lésions constituées, conséquences
déjà tardives. Ces lésions sont des sténoses artérielles ou encore lance du DTC sera rapprochée à tous les 3–6 mois [3,21]. Il est
des infarctus silencieux correspondant à des lésions ischémiques également recommandé de réaliser une imagerie cérébrale
d'au moins 3 mm de plus grande longueur de la substance par IRM et angio-IRM devant des vélocités pathologiques ou
blanche et visible sur au moins 2 incidences (figure 2B et C) intermédiaire mais sans urgence. La figure 3 résume cette
[20]. L'angio-IRM a une sensibilité inferieure au DTC, qui détecte stratégie.
les sténoses constituées, mais aussi des anomalies rhéologiques Ainsi, dans une cohorte de suivi d'enfants dépistés pour la
alors même que l'angio-IRM est encore normale. En revanche, drépanocytose dès la naissance, la détection systématique
alors que les infarctus silencieux visibles en IRM sont un facteur des DTC pathologiques et la mise en place d'un programme
de risque d'accident constitué symptomatique, ils peuvent être transfusionnel précoce a permis de diminuer le risque
observés sans anomalie au Doppler. De même, les vitesses cumulatif d'AVC avant l'âge de 18 ans à 1,8 %, versus
mesurées au DTC ne sont pas prédictives du risque de survenue 11 % dans l'histoire naturelle de la maladie [15]. Lorsque
de ces infarctus silencieux. les vitesses se normalisent sous programme d'échange
transfusionnel et en l'absence d'anomalie sur l'Angio-
Stratégies thérapeutiques : prévention primaire et IRM, les transfusions peuvent être arrêtées dans certaines
secondaire conditions, elles sont relayées par un traitement par hydro-
Il existe des recommandations internationales de prise en xyurée, avec néanmoins un risque de récidive du DTC
charge des patients drépanocytaires SS ou Sbeta0. pathologique voire d'AVC.
Ainsi, il est préconisé à partir de l'âge de 18 mois–2 ans et jusqu'à La place de la greffe de moelle osseuse en tant que stratégie de
l'âge de 16 ans, la réalisation annuelle d'un DTC : prévention primaire du PHRC français DREPAGREFFE a évalué
 si les vitesses sur les différents axes sont normales (< 170 cm/ l'évolution de la vasculopathie cérébrale après une allogreffe
s), on poursuit le dépistage avec un contrôle annuel ; géno-identique versus un programme transfusionnel classique
 si les vitesses sont pathologiques (> 200 cm/s), c'est une [22]. Les résultats montrent une supériorité de la greffe et
indication formelle à débuter rapidement un programme pourraient la faire discuter chez l'enfant qui a un donneur
transfusionnel mensuel (transfusions simples ou échanges familial identifié, et ce, dès le stade de vitesses pathologiques
transfusionnels associant une saignée et une transfusion) au DTC.
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tome 2 > n84 > octobre 2021


C. Guitton
Mise au point

Après la survenue d'un premier AVC chez un patient drépano- créatininurie > 3 mg/mmol), sa prévalence augmente avec
cytaire, la stratégie recommandée est de débuter sans attendre l'âge pour atteindre 80 % à 40 ans.
une thérapeutique d'échange transfusionnel, ce qui permet de La rétinopathie proliférante drépanocytaire
diminuer de 90 % le risque de récurrence [23]. L'objectif du Elle est secondaire aux occlusions vasculaires des artérioles
programme transfusionnel est de maintenir un taux d'hémo- précapillaires et capillaires de la circulation périphérique de la
globine S < à 30–35 % et il doit être poursuivi à vie sauf s'il existe rétine. Elle est classifiée en cinq stades allant des occlusions
un donneur HLA compatible dans la famille afin de réaliser une périphériques (stade 1) asymptomatique au décollement de la
greffe de moelle osseuse. La greffe permet de réduire le risque rétine (stade 5) potentiellement cécitante. Sa prévalence est
de récidive d'AVC à 5 % versus 10 % pour le programme plus élevée chez les patients SC, avec 8 % d'atteinte avant
transfusionnel. 18 ans, contre 0,6 % pour les patients SS et plus précoce avec
L'hydroxyurée, molécule très utile dans la prise en charge des un âge médian d'apparition de 13 ans (9–18 ans) contre 16 ans
patients drépanocytaires symptomatiques, est moins efficace pour le génotype SS [27]. Le dépistage annuel des lésions doit
que le programme transfusionnel pour la prévention des réci- débuter dès l'âge de 6 ans chez les enfants SC et 10 ans pour les
dives des AVC avec un risque persistant de 20 % et est réservée patients SS par un examen du FO systématique et régulier, les
aux situations d'impasse transfusionnelle et en l'absence de complications peuvent être prévenues par un traitement laser.
donneur HLA compatible.
L'ostéonécrose de la tête fémorale
Parfois bilatérale, elle concerne 10 % des enfants drépanocy-
Autres complications d'organes d'évolution
taires et est 2 fois plus fréquente chez les patients SS [28]. Un
chronique
diagnostic et une prise en charge précoces limitent les séquel-
Le retard de croissance pondérale les. Elle se manifeste par une boiterie d'installation progressive,
Décrit dans les séries historiques, il est devenu rare avec l'amé- des douleurs de la hanche d'horaire mécanique, ou parfois
lioration de la prise en charge. Mais le retard statural, secondaire trompeuses, localisées au genou, décrites par les patients
en partie au retard pubertaire de 2–3 ans, reste fréquemment comme différentes de celles des CVO, mais souvent il n'y pas
observé chez les garçons porteurs d'une drépanocytose. Ce ou peu de manifestations cliniques. Le dépistage se fait par une
retard pubertaire est d'origine centrale et ne nécessite pas radio de bassin de face et de profil qui est recommandée à partir
d'exploration particulière sauf s'il se prolonge, mais il peut être de l'âge de 6 ans. L'IRM permet d'évaluer l'étendue de la
source d'anxiété chez l'adolescent qu'il faut rassurer quant au nécrose et les risques de déformation de la tête fémorale. Le
pronostic de taille finale adulte, celui-ci n'est pas impacté. traitement est à discuter en milieu orthopédique spécialisé.
L'hyperhémolyse chronique Les complications cardiaques
Elle est responsable de l'apparition de lithiases pigmentaires Elles se résument majoritairement à une cardiopathie dilatée
chez 25 % des enfants drépanocytaires dont 42 % vont se hyperkinétique à fonction ventriculaire gauche normale (aug-
compliquer [24]. L'échographie abdominale réalisée systéma- mentation du débit cardiaque lié à l'anémie et aux troubles de
tique annuelle à partir de l'âge de 3 ans ou en cas de douleur transport de l'oxygène) mais une hypertension artérielle pul-
abdominale fébrile et/ou d'accentuation de l'ictère permet le monaire doit être cherchée.
diagnostic de lithiase (ou de sludge) et de ses complications. En Les recommandations de la Haute Autorité de santé préconisent
cas de lithiase même asymptomatique, une cholécystectomie « un bilan annuel » pour dépister et traiter précocement les
est recommandée, sans urgence. complications spécifiques de la maladie [3]. Le tableau I résume
les examens à réaliser et l'âge de début de la surveillance.
L'atteinte rénale
Elle est fréquente et précoce, avec des conséquences très délé- La transition à l'âge adulte est une étape
tères chez l'adulte. L'atteinte tubulaire avec un défaut de clé
concentration maximale des urines (hyposthénurie) est cons- Les patients drépanocytaires peuvent développer dès l'adoles-
tatée dès les premières années de vie ; elle favorise l'énurésie cence les premiers signes d'une atteinte d'organe. C'est aussi la
handicapante et souvent prolongée avec une prévalence de période où la fréquence des CVO douloureuses est habituelle-
50 % entre 5 et 10 ans et 25 % entre 14 et 17 ans, une ment maximale. Ces complications imposent un suivi médical
polyuropolydipsie (réveils nocturnes pour boire) et la déshydra- plus strict et parfois une intensification thérapeutique impli-
tation favorisant la survenue de CVO [25,26]. La restriction quant une observance de qualité. Ces nécessités surviennent
hydrique est contre-indiquée dans la prise en charge. L'atteinte dans une période de fortes transformations psychiques, physi-
glomérulaire est plus tardive, en partie en rapport avec l'hyper- ques et relationnelles et vont se télescoper avec le besoin
filtration. Une microalbuminurie est recherchée systématique- d'expérimenter ses limites et la croyance en sa propre immor-
ment lors des bilans annuels (rapport microalbuminurie/ talité, caractéristiques de l'adolescence. C'est dans ce contexte
394

tome 2 > n84 > octobre 2021


Drépanocytose : les spécificités d'atteinte d'organe chez l'enfant
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
TABLEAU I
Bilan annuel de dépistage des complications d'organe.

Complication d'organe Examen Âge de début de la surveillance Rythme de surveillance

Vasculopathie cérébrale DTC pour les patients SS et Sb0 18–24 mois Annuel
IRM-ARM cérébrale et cervicale 6 ans (ou si DTC pathologique) En fonction de l'évolution ou
tous les 5 ans ?a

Lithiases pigmentaires Échographie abdominale 3 ans Annuel et en fonction de


la clinique

Atteinte rénale Créatinémie et ratio microalbuminurie/créatininurie 6 ans Annuel

Ostéonécrose Radio du bassin 6 ans En fonction de la clinique

Cardiopathie et hypertension Échographie cardiaque avec mesures des 6 ans Annuel


artérielle pulmonaire pressions artérielles pulmonaires
Rétinopathie drépanocytaire Fond œil 6 ans pour les patients SC Annuel
10 ans pour les patients SS

DTC : doppler transcranien ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; ARM : angiographie par résonance magnétique.
a
Il n'existe pas de consensus sur le rythme de surveillance de l'IRM-ARM cérébrale en l'absence de DTC pathologique ou lorsque la 1 ère IRM cérébrale réalisée à 6 ans est normale.

particulier que s'ajoute la problématique du passage de la prise locales (consultation binôme pédiatre/médecin adulte, infir-
en charge du secteur pédiatrique vers le secteur de médecine mière coordinatrice. . .) pour encadrer au mieux cette étape
pour adulte. particulière [30]. L'éducation thérapeutique quand cela est pos-
Or, cette transition est une période particulièrement sensible sible, permet d'évaluer et de développer les compétences
chez les patients drépanocytaires. En effet, ce sont les 18–25 ans médicales de l'adolescent malade mais aussi de promouvoir
qui ont le plus fort taux de consultations aux urgences avec un ses ressources psychologiques et de déterminer ses objectifs
nombre important d'hospitalisations, qui reçoivent le moins de socioprofessionnels. Le médecin traitant doit être largement
traitement de fond bien que justifié et qui ont un risque accru de impliqué dans ce processus, il est un des rares soignants référent
décès précoce [1,29]. permanent durant cette période de grand changement. Il favo-
La gestion de la maladie au quotidien, l'autonomisation et la rise ce passage en veillant à la continuité de la prise en charge
préparation au passage vers le monde adulte, sont ainsi des spécifique mais aussi globale du patient. L'objectif est de garan-
enjeux majeurs. Ce processus est long, aussi la transition doit tir la qualité de la prise en charge et du pronostic, l'adhésion aux
être anticipée et abordée dès le début de l'adolescence. Le but soins à un âge où la compliance est souvent difficile et favoriser
est d'amener les patients et leurs familles à une maturité idéale une bonne qualité de vie. . . avec le moins de complications
avant d'effectuer le moment venu le transfert vers le secteur possibles.
adulte, plutôt que de fixer un âge idéal, généralement établi par
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
le timing administratif institutionnel afin de limiter le risque de d'intérêts.
rupture de suivi spécialisé.
Les équipes pédiatriques et adultes doivent élaborer, ensemble,
les modalités de ce passage en tenant compte des ressources

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tome 2 > n84 > octobre 2021


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tome 2 > n84 > octobre 2021


Presse Med Form 2021; 2: 397–400

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Dossier thématique

Mise au point
Les traitements de la drépanocytose :
hydroxyurée, allogreffe et nouvelles
approches

Gonzalo De Luna 1, Pablo Bartolucci 2

Disponible sur internet le : 1. AP–HP, hôpital Henri-Mondor, centre de référence des syndromes drépanocytaires
1 octobre 2021 majeurs, thalassémies et autres pathologies rares du globule rouge et de
l'érythropoïèse, service de médecine interne, Paris, France
2. Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB), université Paris Est Créteil,
Inserm, Créteil, France

Correspondance :
Pablo Bartolucci, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, hôpital H. Mondor A,
Chenevier, service maladies génétiques du globule rouge, Créteil, France.
pablo.bartolucci@aphp.fr

Résumé
L'hydroxyurée (HU) était encore jusqu'à quelques mois la seule molécule efficace permettant de
réduire la fréquence des crises vaso-occlusives (CVO) drépanocytaires et la gravité de la maladie.
Trois nouvelles molécules, le crizanlizumab, la L Glutamine et le voxelotor, ont obtenu l'agrément
par l'Agence Américaine des Produits Alimentaires et Médicamenteux américaine (FDA), et ont
une Autorisation Temporaire d'Utilisation (ATU) en France voire une AMM pour le crizanlizumab.
Dans cet article nous aborderons l'HU et ces nouveaux traitements.

Summary
Sickle cell disease treatments : hydroxyurea, allogeneic transplantation and new
approaches

Until a few months ago, hydroxyurea (HU) was the only effective molecule to reduce the
frequency of vaso-occlusive crises (CVO) in sickle cell disease and the severity of the disease.
Three new treatments crizanlizumab, L-glutamine and voxelotor, have been approved by the US
Food and Drug Administration (FDA) and have a "Temporary Use Authorization'' in France, and
even a Marketing Authorization ("AMM'') for crizanlizumab. In this article we will discuss about HU
and these new treatments.

Hydroxyurée prospective multicentrique américaine, portant sur 299 adultes,


L'hydroxyurée (HU) est pour le moment utilisée dans la pré- qui mit en évidence une importante réduction d'incidence des
vention des manifestations aiguës de la maladie. Cet usage crises vaso-occlusives (passant de 4,5 à 2,5 crises par an) et des
thérapeutique préventif fut admis à la suite d'une étude syndromes thoraciques aigus (STA) [1]. Le suivi à long terme de
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10.1016/j.lpmfor.2021.09.017
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G. De Luna, P. Bartolucci
Mise au point

233 patients sur 9 ans montra également une réduction de fréquence des CVO, montrant par la même l'absence de lien
mortalité de 40 % et une amélioration des paramètres biolo- direct entre l'hémolyse et les CVO. Le traitement était bien toléré.
giques [2]. Son usage initial était sous-tendu par sa propriété Cette étude a également permis de montrer une amélioration
à augmenter le taux d'hémoglobine fœtale (HbF) : l'HbF empê- des paramètres indirects d'hémolyse (bilirubine et réticulocytes
chant l'élongation des polymères d'hémoglobine S, une aug- par exemple). Dans une étude de phase II, l'absence d'élévation
mentation du pourcentage d'HbF améliore donc la maladie. Il a de l'érythropoïétine (EPO) a également suggéré que l'oxygéna-
par ailleurs été montré que l'HU diminue l'adhérence des GR et tion tissulaire rénale n'était pas diminuée.
des leucocytes aux parois vasculaires (cellules endothéliales et La problématique de cette nouvelle molécule reste encore sa
protéines de la matrice sous-endothéliale), ainsi que les inter- place dans l'arsenal thérapeutique. Ses effets sur l'anémie et
actions globules rouges-leucocytes. L'indication ayant l'autori- l'hémolyse, sans réduction des CVO, suggèrent un effet béné-
sation de mise sur le marché (AMM) porte actuellement sur des fique sur les atteintes d'organe qui restent à démontrer.
patients ayant des crises vaso-occlusives récurrentes nécessitant
une hospitalisation ou ayant fait un STA. Son efficacité préven- Augmentation d'expression de l'hémoglobine fœtale
tive ou curative sur les complications chroniques de la maladie Pendant la vie fœtale et durant les premiers mois de vie, la
est évoquée mais non démontrée, avec cependant deux situa- protéine HbS anormale est produite à des niveaux très faibles
tions en cours de validation. parce que l'hémoglobine fœtale (HbF) (expression du gène de g-
Il a été montré qu'un relais des échanges transfusionnels par globine) est encore majoritaire. De plus l'HbF a un effet anti-
l'HU en prévention primaire des AVC chez des enfants ayant polymérisant important. Lors du « switch » des hémoglobines au
normalisé leur vitesse au doppler trans-crânien et n'ayant pas de cours de la première année de vie, l'HbF est remplacée par
sténose visible à l'ARM était possible [3]. Cette attitude est l'hémoglobine adulte, qui est l'HbS chez les patients drépano-
également adoptée chez des adultes jeunes qui sont en pro- cytaires. C'est alors que les symptômes apparaissent. Chez les
gramme d'échange transfusionnel pour cette indication avec enfants plus âgés et les adultes, un niveau plus élevé d'HbF est
une ARM normale. associé à une moindre gravité de la maladie dans la drépano-
Une étude prospective française [4] a par ailleurs suggéré que le cytose, comme cela a été observé chez les personnes ayant une
traitement par HU sur une durée de 6 mois permettait d'amé- persistance héréditaire de l'HbF. La production d'HbF est ainsi une
liorer le rapport albuminurie sur créatininurie (ACR) chez cible thérapeutique majeure naturelle. La première molécule
58 patients, qui est un marqueur d'atteinte glomérulaire. Une utilisée pour induire l'expression d'HbF est l'hydroxyurée, sans
étude contrôlée est en cours pour valider l'usage potentiel de que l'on n'ait totalement élucidé son mécanisme d'action. Cette
l'HU dans les atteintes rénales drépanocytaires. augmentation est relativement lente sur plusieurs semaines.
Au-delà des deux organes, il est probable que l'HU puisse La décitabine est une molécule connue pour permettre l'aug-
protéger ou améliorer d'autres atteintes chroniques d'organe. mentation d'expression de du gène codant la chaine de gam-
maglobine (HBG1 et 2) par une déplétion de l'ADN
Cibles thérapeutiques et mécanismes méthyltransférase 1 (la DNMT1 est l'enzyme modifiant la chro-
intrinsèques érythrocytaires matine qui maintient les marques de méthylation sur l'ADN par
Effet sur la polymérisation division cellulaire).
Un axe de recherche thérapeutique prometteur est celui des Par ailleurs, des études génétiques ont montré que certains
molécules anti-polymérisation ou « anti sikling » de l'hémoglo- polymorphismes de FOXO3 (régulateur de la population lym-
bine (Hb). La polymérisation de l'Hb nécessite que la molécule phocytaire) étaient associés à une augmentation d'expression
soit dans sa conformation désoxygénée « T ». Le voxelotor (GBT d'HbF. Il a été montré que la metformine augmentait l'expres-
440, médicament oral en prise journalière) est un traitement qui sion de FOXO3. Actuellement une étude de phase I est en cours
vise à maintenir l'hémoglobine dans sa conformation « R » avec cette molécule.
oxygénée empêchant la formation du polymère mais augmen- D'autres molécules qui ciblent l'augmentation de l'HbF sont en
tant l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène. Il est à espérer cours d'analyse dans des études précliniques.
que l'augmentation de l'hémoglobine prédomine sur ce dernier
effet qui pourrait être négatif en termes de relargage d'oxygène Oxydation et adhérence
aux tissus. Par ailleurs, si la réduction de la polymérisation La vaso-occlusion est également associée à des phénomènes
s'accompagne d'une diminution de l'hémolyse intra vasculaire, d'adhérence pathologiques. Ceux-ci impliquent non seulement
il est probable que cela ait un impact positif sur la vasculopathie les globules rouges (GR) et les cellules endothéliales mais
drépanocytaire chronique liée à l'hémolyse. également les leucocytes et probablement les plaquettes. Ainsi,
L'étude HOPE [5] de phase 3, multicentrique, internationale, l'administration de facteur stimulant les colonies de granulocy-
randomisée, en double insu, a démontré l'efficacité du tes (G-CSF) a entraîné des cas graves de CVO. Le niveau des
voxelotor sur l'amélioration de l'anémie, mais sans modifier la leucocytes est également un facteur indépendant de mortalité
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tome 2 > n84 > octobre 2021


Les traitements de la drépanocytose : hydroxyurée, allogreffe et nouvelles approches
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et de STA. L'adhérence des leucocytes à l'endothélium de 90 % des patients drépanocytaires [7,8], mais est grevée
commence par le phénomène de rolling qui implique les sélec- d'un risque de réaction du greffon contre l'hôte (GVH) et d'une
tines puis l'interaction avec ICAM1 et VCAM1. Parmi les méca- mortalité non négligeable, plus importante chez l'adulte que
nismes d'action de l'hydroxyurée, la diminution des propriétés chez l'enfant. Cependant ces deux risques ont nettement dimi-
d'adhérence des GR, des leucocytes et des cellules endothéliales nué depuis l'emploi d'une stratégie à conditionnement atténué
est relativement rapide de même que la réduction quantitative (associant l'alemtuzumab, la radiothérapie 3 Gy et le sirolimus),
des leucocytes. permettant une survie globale selon les séries de 94 % ainsi
Par ailleurs, la polymérisation de l'HbS est responsable de phé- qu'une survie sans maladie chez 87 % des patients en absence
nomènes d'oxydation qui participent à l'hémolyse et indirecte- de cas rapporté de GVH [9]. Sachant qu'un donneur géno-iden-
ment à la vaso-occlusion. La L-glutamine est un acide aminé qui tique n'est présent que pour 20 % des patients, la transplanta-
joue sur la synthèse du NADH (co-enzyme de méthémoglobine tion haplo-identique (« à moitié compatible ») élargirait la
réductase pour réduire l'Hb oxydée), permettant une augmenta- possibilité de donneurs disponibles [10,11], mais elle nécessite
tion du potentiel d'oxydoréduction (ou potentiel redox) et une une plus grande immunosuppression, avec un risque de GVH et
augmentation du NADH. Une étude de phase III a montré une de mortalité encore importants. Enfin, avec la réduction des
réduction d'incidence de 25 % des CVO (médian 3 vs 4 ; risques de GVH et de mortalité grâce aux stratégies de condi-
p = 0,005) ainsi qu'une réduction des hospitalisations de 33 % tionnement atténué, l'indication de l'allogreffe s'est élargie
(2 vs 3 ; p = 0,005) avec une diminution d'incidence de syndrome chez les adultes ayant un donneur géno-identique, rejoignant
thoracique aigu (STA). La méthodologie a cependant été critiquée les indications pédiatriques, à savoir les crises vaso- occlusives
par l'EMA, principalement du fait d'un déséquilibre des sorties répétées ou une atteinte d'organe débutante.
d'étude (37 % pour le groupe L glutamine vs 25 % pour le groupe Thérapie génique
placebo) ; elle est disponible sous forme d'une prescription en La thérapie génique est une option de traitement encourageante
ATU nominative. Ce produit a eu aussi l'autorisation de la FDA. de la drépanocytose pour les patients dépourvus d'un donneur
Le crizanlizumab est un anticorps monoclonal humanisé compatible. Elle consiste à modifier génétiquement les cellules
IgG2 kappa qui se lie à la P-sélectine et bloque les interactions souches du patient et à les réinjecter après une chimiothérapie
avec ses ligands, principalement la P-sélectine glycoprotéine myéloablative, permettant de remplacer les cellules souches défec-
ligand 1 (PSLG1). La liaison de la P-sélectine à la surface de tueuses. Plusieurs stratégies existent, dont le but était initialement
l'endothélium activé et des plaquettes bloque les interactions de produire une hémoglobine « thérapeutique » qui va s'opposer
entre les cellules endothéliales, les plaquettes, les globules rouges à la polymérisation de l'HbS ; ou plus récemment de corriger
et les leucocytes. L'étude SUSTAND de phase 3 [6], comparant deux directement la mutation responsable de la maladie. Les vecteurs
doses de crizanlizumab au placebo, a montré une réduction de lentiviraux (LV) de nouvelle génération, portant un gène sain de la
l'incidence des CVO sur 50 semaines, en combinaison ou sans HU. bétaglobine , ont été les premiers à être employés. Plusieurs essais
En revanche, il n'y avait aucune différence concernant les para- cliniques avec différents types de vecteurs sont en cours dans le
mètres d'hémolyse, ou la qualité de vie. Le pourcentage d'évè- monde ; les premiers résultats sont encourageants en ce qui
nements indésirables était de 10 %, plus important qu'avec le concerne la production soutenue d'hémoglobine thérapeutique,
placebo, mais sans différence de décès entre les groupes. L'étude l'amélioration des paramètres biologiques, un besoin transfusion-
de sous-groupes a montré une moindre efficacité chez des patients nel moindre et une meilleure qualité de vie. D'autres stratégies de
déjà sous HU, qui continuaient à souffrir de plus de 5 CVO par an. La thérapie génique visant à induire l'expression de l'hémoglobine
dose de 5 mg/kg a obtenu l'approbation de la FDA. Une ATU en fœtale sont en cours, par transduction lentivirale ou technologie de
France a été obtenue depuis octobre dernier pour la prévention des type CRISP/Cas-9, de même qu'un projet de correction de la
CVO récurrentes chez les patients âgés de 16 ans et plus. Le mutation bS elle-même par cette dernière approche.
crizanlizumab peut être administré en association avec HU ou Ces résultats sont à nuancer avec les risques hypothétiques
en monothérapie chez les patients chez qui le traitement par à long terme, en particulier carcinologiques ; ainsi, ont été
HU est inapproprié ou inadéquat. signalés récemment deux cas de leucémie aigüe pour lesquels
on ne connaît pas encore le lien de causalité exact. Des études
Traitements curatifs de suivi à long terme seront donc nécessaires pour évaluer
Greffe allogénique de cellules souches l'innocuité de la thérapie génique.
hématopoïétiques
L'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) de Déclaration de liens d'intérêts : Les auteurs sont consultants pour Global
Blood Therapeutics, Novartis, BlueBirdBio, Add Medica.
donneurs géno-identiques dans la fratrie est curative chez plus
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tome 2 > n84 > octobre 2021


G. De Luna, P. Bartolucci
Mise au point

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400

tome 2 > n84 > octobre 2021


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Le conseil génétique
des hémoglobinopathies :
aspects biologiques et cliniques

Frédéric Galactéros

Disponible sur internet le : Génétique clinique et médecine interne, groupe hospitalo-universitaire Henri-
1 septembre 2021 Mondor, Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP–HP), université Paris Est, IMRB -
U955 - Équipe no 2, Créteil, France

frederic.galacteros@aphp.fr

Résumé
Le conseil génétique de la drépanocytose n'a pas d'autre but que de fournir au couple désireux de
procréer, mais aussi à toute personne désireuse de comprendre les enjeux génétiques qui la concerne,
des connaissances qui ne peuvent être délivrées que fondées sur une caractérisation diagnostique la
plus robuste possible. Ces conditions doivent être réunies pour lui permettre un choix procréatif avisé.

Summary
Genetic counselling for hemoglobinopathies: Biological and clinical aspects

The purpose of genetic counseling in sickle cell anemia (historically known as drepanocytosis) is to
transmit knowledge on the subject not only to couples wishing to procreate, but also to any
person wishing to understand the challenges posed by single gene inheritance disorders. The
relevant information must necessarily be based on the soundest possible diagnostic characte-
rization, which is instrumental to elaboration of an informed reproductive choice.

Les hémoglobines et leurs gènes  et définitif alpha.

Les gènes de l'hémoglobine ont un développement ontogé- Les gènes alpha sont en tandem par deux sur chaque chromo-
nique qui est sous-tendu par l'expression séquentielle des gènes some 16.
de type « alpha » positionnés sur le chromosome 16 et ceux de Le groupe des gènes « bêta » sont au nombre de cinq :
 un gène embryonnaire ;
type « bêta » sur le chromosome 11. Les hémoglobines humai-
 deux gènes fœtaux gamma ;
nes sont des tétramères associant deux globines de type
 deux gènes définitifs delta et bêta (le gène delta est très
« alpha » à deux globines de type « bêta ».
Les deux types de globines « alpha » sont : faiblement exprimé, environ 1,5 % et bêta 48,5 %, soit au
 embryonnaire ; total 50 %).
401

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En conséquence, une mutation portant sur un seul gène alpha d'Afrique de l'Ouest centrée sur la Côte d'Ivoire, et les diasporas
affecte 50 % de la fonction alpha globine du locus, et au total qui en sont issues.
25 % pour le génome diploïde. La forme hétérozygote typique associe une polyglobulie micro-
Une mutation delta n'a jamais de traduction clinique. cytaire à une augmentation à plus de 3,3 % de l'hémoglobine
Une mutation bêta a une expression d'environ 100 % du locus et A2 qui résulte de l'expression des gènes delta. Les carences en
au total 50 %. folates ou cobalamine et en fer peuvent interférer à condition
Les gènes gamma sont doubles et groupés en tandem. Le gène g d'être importantes : les premières en masquant la microcytose ;
le plus en 50 est appelé Gg et l'autre Ag. Leur expression relative la seconde en l'accentuant ou la créant, et en abaissant le taux
(Ag/Gg) évolue après la naissance de 2/3 à 2/1 en même temps d'hémoglobine A2. Au cours des carences en fer, le taux d'hémo-
que leur expression globale (qui a commencé à diminuer au globine A2 baisse en proportion de l'importance de la carence. En
cours du dernier trimestre de la grossesse) s'amenuise rapide- moyenne, les valeurs d'hémoglobine à l'hémogramme sont
ment pour devenir inférieure à 3 % après un an. Les mutations inférieures de 2 g chez les hétérozygotes par rapport aux réfé-
gamma ont donc une expression qui varie rapidement, au rences. Ainsi, les seuils d'anémie qui leur sont applicables doi-
maximum au cours des 6 mois qui encadrent l'accouchement. vent tenir compte de ce contexte génétique : 10 g/dl pour les
femmes non enceintes, 11 g/dl pour les hommes.
Les hémoglobinopathies Chez les patients qui ont des valeurs d'hémoglobine inférieures
Ne seront décrites que celles ayant un retentissement clinique à ces seuils, il faut rechercher une cause associée d'anémie, a
notable. En effet si environ 1800 variations génétiques des fortiori s'il y a des signes physiques ou cliniques, en règle
gènes de l'hémoglobine ont été décrites, seules quelques cen- absents chez les simples hétérozygotes b thalassémiques :
taines modifient le phénotype érythrocytaire.  ictère ;

Les hémoglobinopathies appartiennent à deux grandes  splénomégalie ;

catégories :  lithiase pigmentaire des voies biliaires ;

 les défauts de synthèse d'un type de protéine globinique ; ce  surcharge en fer spontanée

sont les thalassémies ;  marqueurs d'hémolyse positifs.

 les variants structuraux qui perturbent les propriétés fonction- Les causes associées d'origine génétique sont particulièrement
nelles du tétramère : importantes à caractériser quand il s'agit de conseil génétique :
 trouble de la solubilité pour la mutation responsable de la les gènes alpha surnuméraires ; les déficits enzymatiques (G6PD
drépanocytose ; ++, Pyruvate kinase) ; les déficits membranaires (sphérocytose,
 dégradation accélérée pour les hémoglobines instables ; stomatocytose).
 altération du transport de l'oxygène pour les hémoglobines Quand il s'agit de pronostiquer la gravité future d'une éventuelle
à affinité modifiée et les hémoglobines oxydées en bêta thalassémie homozygote, ou d'une éventuelle association
méthémoglobine. S/b thalassémie au cours d'un conseil génétique destiné à un
couple d'hétérozygotes, on ne peut se dispenser d'une caracté-
Les thalassémies
risation moléculaire des gènes a et b de l'hémoglobine. Il y a un
Elles sont soit spécifiques d'un gène de globine et on parle alors
certain degré de corrélation phénotype/génotype qui permet
de g, d, b ou a thalassémies, soit d'un groupe de gènes : db, gdb,
de supposer que le retentissement d'une b+ thalassémies peut
et quelques autres délétions au locus « bêta ». Au locus « alpha »
être moins drastique que celui d'une b8, mais cela n'a rien
quand un seul des deux gènes alpha en tandem est défectif on
d'absolu ; par exemple dans les formes composites E/b8Tha-
parle d'a+thalassémies, et quand ce sont les deux,
lassémies, certains patients auront dès l'enfance une dépen-
d'a8thalassémies.
dance aux transfusions et d'autres une anémie sans
Les bêta thalassémies retentissement majeur.
Les nécessités de conseil génétique pour les formes composites Il existe des pièges diagnostiques. Certains peuvent être évités
S/bthalassémie imposent de savoir caractériser le versant btha- par la confrontation des éléments biologiques de base : certai-
lassémique de ce risque. nes b Thalassémies ne sont pas microcytaires mais l'hémoglo-
Il existe une grande variété de mutations abolissant plus ou bine A2 est augmentée ; d'autres sont microcytaires et non
moins complètement la synthèse finale de globine bêta par le ferriprives, mais l'hémoglobine A2 n'est pas augmentée et
gène affecté. Cependant dans beaucoup de populations concer- risquent d'être considérées par défaut comme des a thalassé-
nées, il y a 4 ou 5 mutations plus fréquentes qui constituent plus mies. D'où le caractère indispensable d'une caractérisation en
de 80 % des cas. Dans de nombreuses régions fortement génétique moléculaire de tels membres de couples dont le
impaludées, les populations comprennent plus de 5 % d'hété- conjoint est hétérozygote S.
rozygotes : nombreuses zones du pourtour méditerranéen, Inde, Il existe aussi des formes mimétiques acquises des b thalassé-
Pakistan, le Moyen-Orient, toute l'Asie du Sud-est, la zone mies au cours des hyperthyroïdies et certains traitements
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Le conseil génétique des hémoglobinopathies : aspects biologiques et cliniques
DR EPANOCYTOSE

Mise au point
antiviraux au cours de l'infection à VIH provoquent une aug- Encadre 1
mentation de l'hémoglobine A2 associée ou non à une micro- Indications du DPN dans les formes génétiques de
cytose inflammatoire. drépanocytose

Les variantes du trait b globine S Indications privilégiées :


 homozygotie S ;
Le trait S a une expression clinique propre très réduite et
 hétérozygotie composite S/S Antilles, ou C/S Antilles ;
fonctionne plus comme un facteur de risque que comme un
 hétérozygotie composite S/b8Thalassémie ;
état pathologique intrinsèque [1]. Son expression est modulée  hétérozygotie composite S/b+Thalassémie avec % HbA < 10 ;
par les associations fréquentes avec les alpha thalassémies qui  hétérozygotie composite S/Trait D Punjab ;
la réduisent et les gènes alpha surnuméraires qui l'augmentent.  hétérozygotie composite S/O Arab.
Le piège diagnostique le plus fréquent résulte de la confusion Indications non privilégiées :
entre un trait S avec le résultat de l'étude de l'hémoglobine chez  hétérozygotie composite S/C ;

un homozygote S transfusé. Certains variants a globine peuvent  hétérozygotie composite S/Lepore ;

donner, associés à une homozygotie S, l'allure électrophorétique  hétérozygotie composite S/E asiatique ;

 hétérozygotie composite S/B+Thalassémie avec % HbA > 10.


d'un trait S. De multiples autres scénarii trompeurs de cette sorte
peuvent être rencontrés.
Les gènes b globine porteurs du trait S peuvent aussi acquérir
une seconde mutation (en cis) qui peut ou non avoir deux
effets : principales indications de diagnostic prénatal sont regroupées
 soit une modification des caractéristiques électrophorétiques
dans l'encadré 1.
qui ne permettent pas de suspecter d'emblée la présence de la
mutation S, ou à l'inverse l'absence de modification qui ne
Déroulé de la consultation initiale
permet pas de suspecter une forme particulière du trait S ;
 soit une modification des propriétés de polymérisation de la Il faut d'emblée, et de façon si besoin répétée, faire comprendre
désoxy hémoglobine S native ; aggravée ou atténuée. que les décisions appartiennent au couple et singulièrement à la
En pratique il faut réaliser systématiquement un test de solu- femme enceinte. Tous les points doivent être abordés au fil d'un
bilité (Test d'Itano) lors de la caractérisation primaire de tout dialogue dont le couple doit avoir l'initiative. Il n'y a pas d'ordre
variant de l'hémoglobine et compléter par une étude molécu- particulier à suivre, car au final les couples posent toutes les
laire des gènes de l'hémoglobine au moindre doute ou quand il questions qui leur semblent utiles et les réponses complètent et
y a un conseil génétique à réaliser. initient les questions suivantes. Les points du conseil génétique
à discuter sont détaillés ci-dessous.
Le conseil génétique de la drépanocytose Circonstances générales ayant amené à la
[2–5] consultation
Comme tout conseil génétique, il doit être patient, informatif et Les circonstances générales ayant amené à la consultation sont :
 motivations personnelles, ou simple adressage ;
discursif et surtout non directif. Le couple et singulièrement la
 Situation de famille ;
femme doivent être accompagnés dans leur choix final quel qu'il
 histoire de la grossesse actuelle (Imprévue ; opportunité ;
soit. Toute hémoglobinopathie peut ou doit faire l'objet d'une
information génétique, non seulement auprès des porteurs antécédents obstétricaux ; FIV. . .) ;
 antécédents familiaux de la maladie ; ou chez des proches ;
mais aussi vers les personnels soignants afin d'éviter les défauts
 connaissance préalable de la maladie (Utilisation si besoin du
et les excès de prise en charge. Un certain nombre de situations
peuvent donner lieu à un diagnostic prénatal (DPN), voire à une nom vernaculaire de la maladie) ;
 connaissance des modalités de transmission et du risque
procédure de diagnostic préimplantatoire (DPI). Encore plus que
dans le cas général, la validité des conseils génétiques délivrés génétique ;
 connaissance préalable du statut génétique personnel des
dans l'optique d'un diagnostic prénatal repose sur une caracté-
risation rigoureuse des génotypes des protagonistes du couple parents ;
 modalités de prise en charge de la maladie ;
parental. C'est dire qu'il ne faut pas se contenter d'informations
 validité des tests génétiques préalables.
partielles et ne pas hésiter à reprendre la caractérisation molé-
culaire du couple. Quand l'accès à la caractérisation paternelle Modalités techniques des prélèvements fœtaux
est indisponible, il est possible de tenir compte des informations Les modalités techniques des prélèvements fœtaux sont :
épidémiologiques de la région d'origine du père, mais cela ne  nécessité de l'échographie de datation ;

peut garantir que la réponse à des questions ciblées comme le  nécessité des prélèvements ADN parentaux ;

risque de formes homozygotes S ou b thalassémiques. Les  procédure de prélèvement selon le terme (tableau I) ;
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F. Galactéros
Mise au point

 explications sur les suites si l'IMG est demandée ou non ;


TABLEAU I  explications sur les suites si le résultat du DPN est favorable.
Les différents types de prélèvement et les risques afférents.
Signature des consentements personnels et
Type de prélèvement Date Risque de présentation du parcours
fausse couche Cela concerne :
 ADN parentaux ;
Biopsie de villosité choriale Entre 11 et 13 SA 1%
 ADN fœtal ;
Ponction de liquide amniotique À partir de 16 SA 0,5 %
 fiche donnant les facilités de contact avec les différents

interlocuteurs.

Consultation d'annonce
 retentissements maternels (Douleur. . .) ; Elle doit réunir les mêmes interlocuteurs que la consultation
 contraintes et limites de l'analyse génétique ; initiale et être proposée sans délai dès lors que le laboratoire
 cas particulier des grossesses multiples. prévient d'une disponibilité proche du résultat. Elle peut per-
Présentation des bénéfices et risques du diagnostic mettre au couple de poser d'ultimes questions et, si besoin, de
prénatal demander un soutien psychologique [6].
Les bénéfices et risques sont : Dans les cas où la grossesse est poursuivie, il faut réexpliquer
 risques maternels physiques et psychologiques ; l'existence du dépistage néonatal et les modalités de récupéra-
 risques fœtaux. tion rapide du résultat. Un signalement de la future naissance
peut être adressé au laboratoire régional de dépistage néonatal
Modalités d'une éventuelle interruption de pour faciliter la transmission du résultat, tout particulièrement si
grossesse pour ce motif le DPN n'a pas été effectué.
Les modalités d'une éventuelle interruption de grossesse sont : Enfin il faut donner, si le besoin est ressenti par le couple, des
 selon le terme ;
informations pour une autre grossesse et pour la procédure de
 retentissements maternels et éventuelle prise en charge
DPI [7].
psychologique.
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
Modalités de l'annonce du résultat du DPN d'intérêts.
Les modalités de l'annonce du résultat du DPN sont :
 consultation physique avec le conseiller ;

Références
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