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Dossier thématique
Éditorial
La drépanocytose : une maladie du globule
rouge à tropisme vasculaire
Disponible sur internet le : 1. Université Paris Est Créteil, Inserm, institut Mondor de recherche biomédicale
1 septembre 2021 (IMRB), Creteil, France
2. Hôpital H. Mondor A, Assistance Publique–hôpitaux de Paris, service maladies
génétiques du globule rouge, Chenevier, Créteil, France
Correspondance :
Pablo Bartolucci, Université Paris Est Créteil, Inserm, Institut Mondor de Recherche
Biomédicale (IMRB), Créteil, France.
pablo.bartolucci@aphp.fr
Sickle cell disease: A red blood cell disease with vascular tropism
obstruction mécanique entraînant une ischémie tissulaire. En La vasculopathie cérébrale a une physiopathologie probable-
effet, les globules rouges doivent se déformer pour passer ment encore plus complexe. Elle est la première cause d'acci-
à travers les petits capillaires qui ont un diamètre 20 % inférieur dent cérébral de l'enfant et de l'adulte jeune dans le monde.
au plus gros de nos globules rouges. Mais à l'occlusion méca- Cette atteinte portant sur des territoires vasculaires précis (ter-
nique s'ajoute une occlusion médiée par une adhérence cellu- minaison carotidienne, début de la cérébrale moyenne et anté-
laire pathologique, résultant d'interactions avec la paroi des rieure) apparaît entre l'âge de 2 et 10 ans. Elle est de type
vaisseaux via l'activation de molécules d'adhérence jouant proliférant, pouvant mener à des occlusions, responsables de
comme des « velcros ». L'inflammation, par exemple déclen- troubles de la perfusion cérébrale. Le risque d'accident cérébral
chée par une infection, majore ces interactions qui font inter- persiste tout au long de la vie lorsque les lésions vasculaires sont
venir non seulement les globules rouges, les cellules définitives. Aux effets de l'hémolyse sur la paroi des vaisseaux,
endothéliales mais également les leucocytes et les plaquettes. s'ajoutent des troubles hémorrhéologiques, en partie secondai-
Ces phénomènes occlusifs provoquent au niveau des os, bien res aux importants besoins en oxygène du cerveau en déve-
innervés et non extensibles, un œdème inflammatoire. Le loppement. Des variations génétiques autres que celles des
ressenti par le patient est celui d'une douleur atroce, de broie- globines, ont été retrouvées pour expliquer la susceptibilité plus
ment ou d'écrasement, limitée dans le temps, appelée la crise importante chez certains individus.
vaso occlusive osseuse. Elle peut se compliquer d'un phéno- Enfin, d'autres atteintes d'organe, d'origine vasculaire, demeu-
mène similaire au niveau pulmonaire, appelé syndrome thora- rent encore mal comprises, telles que la rétinopathie drépano-
cique aigu ou encore hépatique, la crise hépatique aiguë. cytaire qui par bien des aspects ressemble à celle de la
Néanmoins, de nombreuses anomalies érythrocytaires, mem- rétinopathie diabétique. On peut supposer que des mécanismes
branaires ou hémorrhéologiques, concourent également à la épigénétiques semblables soient à l'œuvre, pouvant expliquer
genèse d'une vasculopathie chronique avec un effet cumulatif ces similarités dont l'origine serait, dans un cas l'hyperglycémie
au cours du temps. Ainsi, par exemple, les manifestations et dans l'autre, l'hémolyse intravasculaire.
rénales et l'hypertension pulmonaire (cardiaque ou artérielle En conclusion, la drépanocytose est un modèle d'atteinte vas-
pulmonaire) se voient principalement chez l'adulte, responsa- culaire aiguë et chronique affectant les vaisseaux de petits et
bles d'une part croissante de la mortalité. L'hémolyse intra moyens calibres. Les articles de ce dossier vous permettront de
vasculaire liée à la polymérisation de l'hémoglobine S est mieux en appréhender les présentations et vous guideront dans
responsable d'effets chroniques délétères sur les vaisseaux et le suivi et les traitements. Les centres de référence et de
les glomérules rénaux. L'hémolyse active les cellules endothé- compétence sont à votre disposition pour la prise en charge
liales par des voies inflammatoires, parfois proliférantes ou de ces patients souvent complexes, à bien des égards.
fibrosantes, et affecte leur capacité à modifier leur calibre
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
(vaso-réactivité). Ainsi, le NO, puissant vasodilatateur de durée d'intérêts.
de vie brève, est absorbé par l'hémoglobine libre dans le plasma
qui le détourne de son effet sur les cellules musculaires lisses,
réduisant leur relaxation.
372
Dossier thématique
Mise au point
Les crises vaso-occlusives de la
drépanocytose
Disponible sur internet le : 1. Département de médecine interne, hôpital européen Georges Pompidou (AP-
1 septembre 2021 HP), 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France
2. Centre des syndromes drépanocytaires majeurs, thalassémies et autres maladies
constitutionnelles du globule rouge et de l'érythropoïèse, France
3. Université de Paris, France
4. Service de pédiatrie générale et maladies infectieuses ; hôpital Necker-Enfants
malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
Correspondance :
Jean-Benoît Arlet, Département de médecine interne, hôpital européen Georges
Pompidou (AP-HP), 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France.
jean-benoit.arlet@aphp.fr
Résumé
Les plus fréquentes complications aiguës de la drépanocytose sont les crises vaso-occlusives
osseuses et les syndromes thoraciques aigus. La douleur osseuse, par son intensité, est une
urgence antalgique. Le syndrome thoracique aigu doit être recherché par un examen physique
pulmonaire quotidien minutieux chez un patient en crise, car d'évolution parfois fulgurante et
source d'une importante morbi-mortalité. L'asplénie fonctionnelle rend les patients drépanocy-
taires plus sensibles aux infections bactériennes (pneumocoque, méningocoque, salmonelle. . .)
qui peuvent aussi favoriser la survenue des crises vaso-occlusives. Le traitement des crises
modérées est possible en ambulatoire, mais la nécessité d'administration de morphine, une
fièvre élevée ou tout signe pulmonaire imposent l'hospitalisation. La transfusion érythrocytaire est
à réserver aux situations graves et ne doit surtout pas être systématique en raison des risques
d'alloimmunisation auxquels elle expose. La séquestration splénique aiguë est surtout observée
chez l'enfant de moins de 5 ans et impose une transfusion urgente.
Summary
Vaso-occlusive crisis in sickle cell disease
Bone vaso-occlusive crisis and acute chest syndrome are the two main complications of sickle cell
disease leading to hospital admission. Treatment of acute bone vaso-occlusive crisis is an
emergency because of the intensity of pain, which is often unbearable. Acute chest syndrome
is potentially fatal and must be adequately searched and treated. Sickle cell patients are more
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prone to infections, a trigger of vaso-occlusive crisis. Moderate crises can be treated ambulatory,
but hospitalization is necessary as soon as morphine delivery is needed, in case of high fever or in
case of any pulmonary symptom. Blood transfusion can be necessary in severe forms of vaso-
occlusive crisis but should not be systematic. Acute splenic sequestration occurs mostly in children
under five years of age and requires urgent transfusion.
Mise au point
Encadre 1 [1]. Une augmentation très importante (LDH > 1000 UI/L)
Facteurs déclenchants des crises vaso-occlusives osseuses. constitue un critère de gravité et se voit classiquement dans
les hémolyses post transfusionnelles retardées (pouvant surve-
Fièvre et déshydratation :
chaleur ;
nir dans le mois suivant une transfusion) et les nécroses médul-
transpiration ;
laires étendues [4].
diarrhées ; La radiologie osseuse standard initiale est normale, elle est
vomissements. inutile en pratique.
Inflammation : L'évolution d'une CVO osseuse est habituellement favorable en
infection ; quelques jours sous traitement symptomatique. En cas d'arthrite
poussée de maladies inflammatoires ; ou de douleur osseuse très localisée et persistante, une ponction
variations climatiques et exposition au froid ;
articulaire ou osseuse (si possible) doit être discutée, avant
baignade en eau < 25 8C ;
toute antibiothérapie, pour écarter une arthrite infectieuse ou
application de glace après un traumatisme.
microcristalline (chez l'adulte), ou une ostéite. L'échographie
Facteurs psychologiques : permet de chercher une arthrite quand le diagnostic clinique
stress ou traumatisme ;
anxiété ;
n'est pas évident, chez l'enfant notamment, ou un décollement
dépression ;
sous-périosté. L'IRM est peu performante pour discriminer les
examen scolaire ou professionnel ; signaux inflammatoires d'une CVO et ceux d'une infection, et
toute intervention chirurgicale ; nécessite une grande expertise de l'os drépanocytaire. Cela
notamment en cas d'anesthésie prolongée. permet cependant en cas de suspicion infectieuse de guider
Hypoxie tissulaire : une ponction osseuse ou un geste chirurgical [4].
effort physique intense ;
altitude ;
Les CVO abdominales
voyage en avion ; Ce sont des complications de l'enfant drépanocytaire, favorisées
apnée du sommeil ; par la constipation. Les douleurs sont diffuses avec souvent des
obstruction des voies aériennes supérieures ; signes d'iléus fonctionnel : météorisme abdominal, parfois arrêt
asthme ; des gaz et des matières et/ou vomissements. Il n'y a habituel-
pneumopathie ; lement pas de défense ou de contracture, ni d'hépato-spléno-
embolie pulmonaire ;
mégalie et l'Hb est généralement stable. Il faut bien sûr éliminer
insuffisance cardiaque ou respiratoire sévère.
les autres causes possibles de douleur abdominale de l'enfant
Acidose : avant de retenir la CVO. En cas de doute, une échographie
acidose tubulaire rénale ;
abdominale permet de chercher une autre cause de douleur
infection sévère ;
diarrhées ;
abdominale, notamment une complication lithiasique.
hypercapnie.
Chez l'adulte, les CVO abdominales sont exceptionnelles. Ainsi,
Médicaments :
toute douleur abdominale doit faire chercher un diagnostic
corticoïdes, différentiel : pathologie biliaire, pancréatite, infection urinaire,
vasoconstricteurs . . . appendicite, affection gynécologique, constipation liée aux
opiacés, CVO hépatique ou séquestration splénique..
Le syndrome thoracique aigu (STA)
Le STA est le plus souvent secondaire à une CVO osseuse,
persistants doivent faire évoquer une infection ostéo-articulaire, compliquant environ 20 % des CVO hospitalisées de l'adulte,
un infarctus osseux, ou un hématome sous-périosté [4]. en moyenne 3 jours après l'admission [5]. Il peut plus rarement
Les examens complémentaires sont inutiles au diagnostic des survenir de manière inaugurale (plus fréquent chez l'enfant). Il
CVO osseuses et doivent être limités. Une hyperleucocytose est classiquement défini par l'association d'une fièvre et/ou
modérée à polynucléaires neutrophiles est fréquente. L'hémo- d'un ou plusieurs signes respiratoires (douleur thoracique, dys-
globine (Hb) est habituellement proche de l'Hb de base du pnée, toux, expectoration, anomalies auscultatoires) et d'un
patient [1,4]. Ainsi, l'aggravation franche de l'anémie (> 2 g/ nouvel infiltrat pulmonaire radiologique [4].
dL d'Hb), doit faire chercher une autre explication que la crise Le retard radio-clinique ne permet pas toujours d'avoir un
(infection à Parvovirus B19, paludisme, toxicité médicamen- diagnostic radiologique initial de certitude mais la clinique suffit
teuse, carence en vitamine B12 ou folates, séquestration splé- souvent au diagnostic, notamment lorsqu'un nouveau foyer de
nique (ou exceptionnellement hépatique), maladie crépitants ou un souffle tubaire d'une ou des deux bases appa-
hématologique centrale. . .). La CRP est souvent élevée. Les raît, associé à une augmentation de la fréquence respiratoire
LDH augmentent modérément par rapport à leur taux de base (FR) (habituellement 20/mn chez l'adulte), même sans
375
Mise au point
fonctionnelle. Dans plus de la moitié des cas, la SSA est favorisée Encadre 3
par un événement fébrile intercurrent [14]. Principes de traitement de la crise vaso-occlusive
La présentation clinique comporte des signes d'anémie aiguë drépanocytaire.
(pâleur conjonctivale marquée, apathie chez l'enfant) pouvant
Antalgiques :
être associés à des signes de choc (tachycardie, allongement du palier 1, 2 voire 3 en hospitalier, suivant l'évaluation de la
temps de recoloration cutanée, hypotension artérielle). L'évolu- douleur ;
tion rapide redoutée est le choc hypovolémique et le décès. moyens locaux :
bouillotes chaudes,
Elles peuvent survenir isolément ou en association à une CVO TENS (stimulation électrique externe),
osseuse, et se manifestent le plus souvent par une hépatalgie, patch de lidocaïne (Versatis®).
une cytolyse et/ou une cholestase ictérique, avec un risque Thérapies adjuvantes :
relaxation ;
élevé d'évolution vers une défaillance hépatique aiguë. La
hypnose ;
séquestration hépatique, associant, en plus de la douleur hépa-
musicothérapie ;
tique, une hépatomégalie brutale, une anémie profonde, et
hydroxyzine si anxiété ;
parfois une cytolyse hépatique majeure, représente une compli-
kétamine faible dose.
cation rare mais gravissime qui impose le recours à une trans-
Hyperhydratation :
fusion érythrocytaire en urgence. Une insuffisance ventriculaire intraveineuse (sérum physiologique ou polyionique G5, de
droite avec un foie cardiaque est un diagnostic différentiel volume adapté aux antécédents cardiaques et néphrologiques) ;
à évoquer systématiquement. ou per os.
Alcalinisation :
Prise en charge des manifestations aiguës par eau de Vichy, gélules de bicarbonate de sodium.
Le traitement de toute CVO comprend : d'une part, le traitement Spirométrie incitative (ex : Respiflow®) :
Travail d'ampliation thoracique au minimum 3 fois par jour.
symptomatique de la douleur, et d'autre part, la lutte contre les
Oxygénothérapie nasale :
facteurs susceptibles de la pérenniser ou de l'aggraver. Les chez l'adulte (2 L/min en moyenne) ;
principes généraux du traitement sont résumés dans non systématique chez l'enfant.
l'encadré 3. Prévention des complications thromboemboliques :
anticoagulation préventive dès l'âge de la puberté.
Traitement d'une CVO osseuse simple en Prévention et traitement de la constipation :
ambulatoire traitements laxatifs, lavements évacuateurs ;
On recommande une hydratation orale abondante, du repos, un traitement du facteur déclenchant.
alternative, notamment si la perfusion est difficile (toutefois Traitement de la CVO abdominale de l'enfant
cette perfusion est généralement nécessaire chez l'enfant Le traitement est symptomatique, associant la mise à jeun voire
pour assurer une hyperhydratation). La titration initiale IV l'aspiration digestive douce, des antalgiques, des lavements
comprend une dose de charge de morphine de 0,1 mg/kg évacuateurs et une hyperhydratation.
puis des réinjections de 3 mg toutes les 5-10 minutes chez L'utilisation de morphine doit être très prudente car elle peut
l'adulte et de 0,025 mg/kg toutes les 5 min chez l'enfant, aggraver l'iléus fonctionnel.
jusqu'à l'obtention d'une intensité douloureuse < 4 sur Les AINS sont contre-indiqués, même si la perforation intesti-
l'échelle visuelle analogique (EVA) ou < 7 sur l'échelle pédia- nale est exceptionnelle.
trique EVENDOL [4,14]. La surveillance doit être rapprochée : La prévention repose sur une hyperhydratation quotidienne,
FR, SpO2, vigilance, EVA. une alimentation riche en fibres et un traitement laxatif au long
Une réévaluation médicale pluriquotidienne du patient et de la cours.
prescription est nécessaire. Si le patient n'est pas soulagé, il faut
reprendre la titration. Chez l'enfant, en absence de soulagement Traitement du syndrome thoracique aigu
sous morphine, il est proposé l'inhalation de MEOPA (mélange Le traitement de la CVO osseuse est à poursuivre. On y adjoint
équimolaire oxygène-protoxyde d'azote, également utilisé en systématiquement dès qu'il existe une fièvre > 38 8C une anti-
première étape du traitement antalgique à l'arrivée aux urgen- biothérapie probabiliste couvrant le pneumocoque (amoxicil-
ces, en association avec la nalbuphine ou la morphine) vingt line) chez l'adulte [4]. Chez l'enfant, l'introduction d'une
à trente minutes, sans dépasser trois inhalations par jour (risque antibiothérapie probabiliste plus large par céphalosporine de
de toxicité neurologique par interaction avec le métabolisme de 3e génération et macrolides est systématique devant tout STA
la vitamine B12) [15]. L'utilisation de faibles doses de kétamine [4].
en bolus ou en continu peut également être utilisée dans les Tout critère de gravité doit conduire à intensifier la surveillance
formes hyperalgiques. clinique, réaliser des gaz du sang, discuter un transfert en soins
D'autres thérapeutiques antalgiques adjuvantes sont résumées intensifs et élargir l'antibiothérapie (céphalosporine de 3e géné-
dans l'encadré 3. ration et macrolides) si ce n'est déjà le cas.
Les corticoïdes sont à proscrire car ils sont pourvoyeurs de CVO. Une transfusion ou un échange transfusionnel doit être réalisé
En cas d'anxiété importante, il faut éviter les benzodiazépines en cas de signe de gravité et en l'absence de contre-indication
(dépresseurs respiratoires) et préférer l'hydroxyzine (Atarax®). transfusionnelle (cf. infra). L'échange transfusionnel doit être
Il est important de prescrire systématiquement une kinésithé- répété (idéalement par érythraphérèse) dans les formes très
rapie respiratoire incitative, qui a montré son efficacité dans la sévères sans amélioration rapide.
prévention du syndrome thoracique aigu de l'enfant [16]. Les L'utilisation de la ventilation non invasive peut être nécessaire,
données sont plus controversées chez l'adulte mais nous le et le recours à la ventilation mécanique est plus rare [7,8,18].
recommandons en France [4,17]. La survenue d'un STA doit, à la fin de l'hospitalisation et avant la
D'autre part, une prévention des complications thrombo-embo- sortie du patient, faire discuter la mise en route d'un traitement
liques, favorisées par l'alitement et l'inflammation secondaire de fond (hydroxyurée, ou plus rarement un programme trans-
à la CVO, est nécessaire dès le début de la puberté et repose sur fusionnel) dans le but de prévenir la récidive de STA et de CVO, et
une anticoagulation préventive. de diminuer la mortalité [4].
La prévention et le traitement de la constipation (favorisée par
la morphine) est également importante (traitements laxatifs et Les indications de transfusion dans les CVO et STA
lavements évacuateurs). La majorité des CVO simples ne requièrent pas de transfusion,
Enfin, l'asplénie fonctionnelle peut survenir très précocement mais cette dernière peut se discuter lors d'une CVO hyperalgique
chez l'enfant drépanocytaire ; ainsi toute fièvre accompagnant ne répondant pas au traitement analgésique maximal ou lors
une CVO doit faire craindre une infection bactérienne potentiel- d'effets secondaires importants des morphiniques.
lement sévère, notamment à germes encapsulés, et justifie Dans les STA graves, l'apport d'hémoglobine normale (HbA) par
généralement chez l'enfant l'introduction d'une antibiothérapie transfusion simple ou échange transfusionnel manuel (saignée-
probabiliste par céphalosporine de 3e génération IV [15]. transfusion) ou automatisé (érythraphérèse) permet d'enrayer
Chez l'adulte correctement vacciné, ces infections à germes le phénomène de vaso-occlusion et d'améliorer l'apport d'oxy-
encapsulés sont plus rares. Ainsi, la fièvre isolée au cours gène aux tissus. La recherche d'antécédent d'incident transfu-
d'une CVO de l'adulte ne suffit pas à justifier d'une antibiothé- sionnel auprès du patient et dans son dossier est essentielle et
rapie. Une fièvre > 38,5 8C fera discuter l'administration d'une peut contre-indiquer l'utilisation de la transfusion en raison des
antibiothérapie à activité anti-pneumococcique après les pré- risques d'alloimmunisation et d'hémolyse post-transfusionnelle
lèvements bactériologiques effectués, sauf si l'on suspecte une retardée. Une saignée simple peut être utile pour diminuer
ostéomyélite. l'hyperviscosité chez les patients dont l'Hb est > 11 g/dl.
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Mise au point
Traitement d'une séquestration splénique aiguë insuffisante et la survenue de complications potentiellement
Il s'agit d'une urgence transfusionnelle. L'objectif est de restau- sévères. Un syndrome thoracique aigu doit être systématique-
rer une volémie efficace et de corriger l'anémie aiguë par la ment dépisté par un examen respiratoire minutieux au mini-
transfusion (tout en essayant de ne pas dépasser le chiffre d'Hb mum quotidien. Une transfusion de globules rouges (sous forme
de base afin d'éviter une hyperviscosité sanguine lors du relar- d'une transfusion simple ou souvent d'un échange transfusion-
gage des hématies séquestrées). La prévention primaire et nel) est indiquée dans les formes graves de complications
secondaire passe par l'éducation des parents à reconnaître aiguës : STA, séquestration splénique. L'éducation thérapeu-
une pâleur cutanéo-muqueuse inhabituelle, voire à palper la tique du patient est primordiale pour la prévention et le trai-
rate, afin de se rendre immédiatement aux urgences devant tement précoce de ces complications. Un traitement de fond par
toute suspicion de SSA. Une récidive de SSA survient dans près hydroxyurée réduit la survenue des complications vaso-occlu-
de 60 % des cas. Elle doit alors faire discuter une splénectomie sives aiguës.
totale ou partielle ou la programmation de transfusions men-
Déclaration de liens d'intérêts : Pr JB Arlet déclare des interventions
suelles jusqu'à la splénectomie [19]. ponctuelles pour Addmedica et Novartis, avoir été pris en charge
à l'occasion de congrès scientifiques par Novartis France et Addmedica.
Essais cliniques : en qualité d'investigateur principal des études STAND,
Conclusion GBT 440, SIKAMIC.
les autres auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
Les CVO osseuses, sources d'intenses douleurs, sont la « signa-
ture » de la maladie drépanocytaire. La connaissance des moda-
lités de prise en charge est essentielle pour éviter une antalgie
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Dossier thématique
Mise au point
Disponible sur internet le : Hôpital Avicenne, Centre de référence maladies constitutionnelles rares du globule
1 octobre 2021 rouge et de l'érythropoïèse, service de médecine interne, 125, rue de Stalingrad,
93000 Bobigny, France
Correspondance :
Sylvain Le Jeune, Hôpital Avicenne, Centre de référence maladies constitutionnelles
rares du globule rouge et de l'érythropoïèse, service de médecine interne, 125, rue
de Stalingrad, 93000 Bobigny, France.
sylvain.le-jeune@aphp.fr
Points essentiels
Éviter les médicaments néphrotoxiques et rechercher systématique une protéinurie.
Prévoir une échographie abdominale régulière chez les patients non cholécystectomisés.
Prévoir des radiographies des hanches et épaules régulières.
Programmer un fond d'œil annuel systématique.
Réaliser un électrocardiogramme et une échographie cardiaque initiale systématique puis à prévoir
en fonction de la clinique (découvertes fortuites de sténoses ou d'anévrysmes).
Réaliser au moins un bilan respiratoire et neurologique puis à programmer en fonction de la
clinique et des événements intercurrents.
Prescrire une supplémentation en vitamine D.
Lutter contre la sécheresse cutanée.
Éviter corticoïdes et diurétiques.
Key points
Chronic complication in sickle cell disease in adults
Mise au point
Prescribe vitamin D supplementation.
Fight against skin dryness.
Avoid corticoids and diuretics.
Figure 1
Intérêt du traitement par
hydroxyurée en fonction du
niveau de preuve
381
Mise au point
Encadre 2 supérieure à 80 mmHg est associée à un risque augmenté
L'atteinte neurologique en pratique d'AVC, d'insuffisance rénale et de mortalité et doit faire discuter
l'introduction d'un traitement anti-hypertenseur [1]. Enfin, la
Accident vasculaire cérébraux ischémiques et hémorragiques.
drépanocytose augmente le risque de survenue d'une embolie
Infarctus cérébraux silencieux et déclin cognitif précoce.
pulmonaire par 3,7, et plus encore pendant la grossesse (risque
Stratégie de dépistage peu codifiée chez l'adulte :
angio-IRM cérébrale initiale,
multiplié par 30), avec un risque de récidive élevé, estimé
ou si symptômes neurologiques, à 30 % à 5 ans (encadré 3).
ou si indication à un traitement anti-thrombotique ;
Avis spécialisé pour le suivi et la prise en charge. Atteinte pulmonaire
La très grande majorité des patients drépanocytaires (90 %) ont
une fonction pulmonaire anormale. Il s'agit le plus souvent d'un
syndrome restrictif séquellaire de syndromes thoraciques aigus
élévation relative des pressions artérielles, enfin l'effet toxique (STA) antérieurs, parfois associée à de la fibrose pulmonaire,
de l'hémolyse intravasculaire. L'atteinte cardiaque entre, dans la couplé à un déclin progressif du volume expiratoire, constituant
majorité des cas, dans le cadre des cardiomyopathies restrictives à lui seul un facteur de risque de mortalité. On trouve fréquem-
à haut débit et à fonction systolique conservée. Il est fréquem- ment dans ce contexte diverses anomalies pleuro-parenchyma-
ment noté à l'échographie une dilatation de l'oreillette et du teuses au TDM thoracique prédominant aux lobes inférieurs
ventricule gauche et un hyper-débit cardiaque. La présence (bandes parenchymateuses, épaississement des septum inter-
d'une dysfonction systolique associée à une élévation de la lobulaires, épaississements pleuraux, lobules secondaires dila-
vitesse de régurgitation tricuspide constitue un facteur de risque tés, bronchectasies. . .).
indépendant de mortalité, la présence d'une dysfonction dias- La fréquence de l'asthme au cours de la drépanocytose est
tolique (plus fréquente) également [1,9]. difficilement évaluable du fait de nombreux signes cliniques
Les évènements ischémiques myocardiques sont possibles chez communs entre les deux pathologies, cependant certaines don-
les patients drépanocytaires mais touchent plus fréquemment la nées suggèrent que l'asthme s'associe chez le patient drépa-
microcirculation myocardique que les artères coronaires, excep- nocytaire à une plus grande fréquence de STA, de crises vaso-
tion faite des patients hétérozygotes SC [1,10]. occlusives (CVO) et à un sur-risque de mortalité. Les broncho-
La prise en charge de l'insuffisance cardiaque chez les patients dilatateurs et les corticoïdes inhalés restent le traitement de
drépanocytaires fait souvent appel aux diurétiques de l'anse, et fond de première ligne [12].
aux traitements habituels de l'insuffisance cardiaque, même si Un tiers des patients drépanocytaires présentent une vitesse de
ceux-ci n'ont pas été spécifiquement évalués dans la population régurgitation tricuspide supérieure à 2,5 m/s en échographie
drépanocytaire. Certaines données sont en faveur de l'hydro- cardiaque (et surtout 2,8 m/s), devant faire suspecter une
xyurée et des échanges transfusionnels dans la cardiopathie hypertension pulmonaire (HTP), et ce paramètre s'accompagne
drépanocytaire [11]. d'un risque de mortalité 5 fois plus élevé. En cas de suspicion
Les patients drépanocytaires adultes SS-Sß8 Thal ont un profil d'HTP, l'avis d'un centre de référence doit être pris. On note que
tensionnel plus bas que la population générale (en relation sur les données du cathétérisme cardiaque droit, la majeure
notamment avec l'anémie et l'hyperdébit). Une pression arté- partie de ces patients ont un hyperdébit cardiaque sans HTAP.
rielle systolique supérieure à 130 mmHg ou diastolique Dans 25 % des cas l'HTP sera confirmée (6 à 10 % des patients
drépanocytaires), dans la moitié des cas d'origine post-capillaire
et dans l'autre moitié, d'origine pré-capillaire (hypertension
Encadre 3 arterielle pulmonaire). La présence d'une HTP est corrélée
L'atteinte cardiovasculaire en pratique à la valeur du NT-pro-BNP (> 164 pg/mL) et aux résultats du
test de marche de 6 minutes (inférieure à 333 m), qui amélio-
Cardiomyopathie restrictive à haut débit et à fonction systolique
rent la valeur prédictive positive de l'échographie cardiaque de
conservée.
25 % à 67 %.
Plus rarement : hypertension artérielle pulmonaire pré ou post-
capillaire.
Une diminution de la capacité de diffusion pulmonaire est
Électrocardiogramme et échographie cardiaque au bilan initial observée chez une faible proportion de patient (15 %), parfois
puis en suivi régulier. en rapport avec une hypertension pulmonaire, semblant éga-
Seuils et objectifs tensionnels plus faibles chez le patient lement être un facteur prédictif de mortalité [13] (encadré 4).
drépanocytaire.
Sur-risque de maladie thrombo-embolique veineuse (embolie Atteinte ostéoarticulaire
pulmonaire). L'ostéonécrose aseptique épiphysaire fémorale ou humérale,
souvent bilatérale, touche notamment la moitié des
383
Mise au point
Devant la survenue de vertiges, une cause neurologique est d'entités peuvent être associées : hépatites virales, hémochro-
éliminée en premier lieu (accident vasculaire cérébral de loca- matose, lithiases biliaires, cholangiopathie spécifique.
lisation cérébello-vestibulaire). Les explorations ORL sont la Les hépatites virales sont plus fréquentes chez les patients
suite logique. Les vertiges étant le plus souvent liés à des drépanocytaires, le plus souvent asymptomatiques. Elles sont
phénomènes vaso-occlusifs touchant la microcirculation de diagnostiquées sur une élévation des transaminases persistant
l'oreille interne. La recherche d'hypoacousie associée sera sys- en dehors des crises vaso-occlusives (CVO). Leur traitement
tématique. Dans tous les cas, il convient de chercher une suit les recommandations en population générale. La réalisa-
hyperviscosité sanguine ou à l'inverse une aggravation de l'ané- tion des sérologies virales doit être systématiquement
mie ; une saignée ou une transfusion peuvent alors être dis- proposée.
cutées. Le traitement est par ailleurs essentiellement L'hémochromatose, conséquence des transfusions répétées
symptomatique (hydratation, oxygénothérapie, anti-vertigi- est généralement asymptomatique jusqu'au stade de cirrhose.
neux, rééducation vestibulaire) ; les corticoïdes et les diuréti- Le suivi de la surcharge martiale est réalisé par dosage de la
ques sont à éviter. ferritinémie et du coefficient de saturation de la transferrine,
L'hypoacousie, de fréquence variable, touchant préférentielle- qui peuvent cependant être pris en défaut. L'IRM hépatique
ment les drépanocytaires SS, se manifeste par une altération de avec mesure de la charge hépatique en fer, plus sensible, peut
la réception sensorielle bilatérale ou unilatérale initialement être proposée pour des valeurs de ferritinémie > 1000 mg/L (?)
aux hautes fréquences puis aux basses fréquences. Une atteinte ou d'un coefficient de saturation de la transferrine > 40 %,
unilatérale doit craindre un neurinome du nerf VIII. L'hydroxyu- notamment en cas d'élévation des transaminases chez des
rée peut avoir un effet bénéfique sur l'amplitude des oto- patients polytransfusés. Le traitement repose sur les chéla-
émissions acoustiques. La survenue d'une surdité brusque est teurs du fer (indiqués en cas de transfusions multiples ou de
une urgence, elle nécessite de contacter le centre référent charge hépatique en fer > 125 mmol/g à l'IRM) ou les sai-
[1,19–21]. gnées, avec un objectif de ferritinémie inférieure à 500 mg/
Près de la moitié des patients drépanocytaires ont un syndrome L. Un bilan martial annuel doit être réalisé, l'hémochromatose
obstructif des voies aériennes supérieures, le plus souvent en peut rarement survenir chez des patients vierges de toutes
rapport avec une hypertrophie amygdalienne, parfois favorisé transfusions.
par le surpoids. On doit l'évoquer devant une majoration de la Les lithiases biliaires sont relativement fréquentes (25 à 58 %
fréquence des CVO, des CVO d'horaire nocturne ou un priapisme. des cas), notamment chez les patients homozygotes SS. Elles
Une oxymétrie nocturne éventuellement complétée d'une poly- sont constituées de pigments biliaires, conséquence de la majo-
graphie nocturne sont réalisées en complément de l'exploration ration de l'excrétion de bilirubine liée à l'hémolyse chronique.
ORL. Le traitement consiste essentiellement en une amygda- Elles peuvent être favorisées par une maladie de Gilbert asso-
lectomie (ou un traitement plus conservateur par laser), l'hydro- ciée. Elles sont dans la moitié des cas radio-opaques. Elles
xyurée peut également avoir un effet bénéfique [1,22,23] restent souvent asymptomatiques mais peuvent favoriser les
(encadré 7). CVO. Leur traitement repose sur la cholécystectomie, qui doit
être proposée dès les stades précoces (sludge avec coliques
Atteinte hépatique hépatiques, microlithiases).
La prévalence de l'atteinte hépatique chronique (toute cause Une cholangiopathie spécifique d'origine ischémique (choles-
confondue) au cours de la drépanocytose est estimée à 10 %. tase intra-hépatique chronique), peut apparaître suite à la répé-
Elle touche préférentiellement les patients homozygotes SS ; il y tition de CVO touchant la vascularisation terminale des voies
a une évolution vers une cirrhose dans 30 % des cas. Une variété biliaires. Souvent asymptomatique, elle se manifeste biologi-
quement par une élévation de la bilirubine conjuguée et des
phosphatases alcalines, plus ou moins associée à une majora-
tion des transaminases et une baisse du TP, cette dernière étant
Encadre 7 un critère de gravité. La confirmation nécessite une biopsie
L'atteinte ORL en pratique hépatique. Sa prise en charge peut justifier un programme
d'échanges transfusionnels voire parfois une transplantation
Éliminer l'urgence neurovasculaire devant des vertiges.
hépatique (parfois réalisée en urgence dans les cas de CVO
L'hypoacousie brutale est une urgence thérapeutique.
Éviter les corticoïdes et les diurétiques.
hépatique). Hyperplasie nodulaire focale et fibrose périsinusoi-
Évoquer un syndrome obstructif de voies aériennes supérieures dale sont des atteintes classiques. L'hypertension portale doit
avec hypoxie nocturne devant des crises plus fréquentes, être recherchée et écartée.
nocturnes ou un priapisme. On recommande la recherche systématique d'hépatites auto-
Pas de bilan systématique ORL mais guidé par les symptômes. immunes et de surcharge en cuivre en cas de perturbations
prolongées des tests hépatiques.
385
Encadre 8 Encadre 9
L'atteinte hépatique en pratique L'atteinte cutanée (ulcères de jambes) en pratique
De façon générale, l'interprétation du bilan hépatique est limi- transitoirement la posologie après avis d'un référent spécia-
tée par l'hémolyse chronique, mais l'augmentation du taux de lisé. Les échanges transfusionnels sont parfois proposés sans
bilirubine conjuguée, la baisse du taux d'albumine et l'élévation preuve réelle de leur efficacité. Les autogreffes de peau ou le
prolongée des taux d'ALAT sont de bons marqueurs d'hépatopa- traitement par pression négative n'ont jamais été évaluées
thie chronique. La bilirubine conjuguée et la ferritine pourraient mais peuvent aider à passer un cap. Une supplémentation
être des facteurs biologiques prédictifs de mortalité. nutritionnelle en Zinc, vitamine D ou en acide folique, mais
En cas d'hépatopathie terminale quelqu'en soit l'origine, une aussi l'administration de bosentan pourrait avoir un effet
transplantation hépatique peut être proposée, plutôt chez les bénéfique sur la cicatrisation. Une prise en charge chirurgicale
patients sans comorbidités importantes (cardiovasculaire ou de l'insuffisance veineuse peut être proposée lorsqu'elle est
pulmonaire notamment) et sous couvert d'un programme significative. On recommande également de prévenir les trau-
d'échange transfusionnel. Elle est néanmoins grevée d'un lourd matismes des membres inférieurs (chaussage adapté, crème
pronostic (67 % de survie à 3 ans, 44 % à 10 ans) [24–27] hydratante, se prémunir des piqûres d'insectes, éviter les
(encadré 8). perfusions aux membres inférieurs) et de stopper un éventuel
tabagisme [28–30] (encadré 9).
Atteinte cutanée
Les ulcères chroniques de jambe sont la complication cutanée
Conclusion
la plus fréquente au cours de la drépanocytose. Favorisés par La survenue progressive et souvent asymptomatique d'attein-
de petits traumatismes, ils peuvent être simples ou multiples, tes viscérales chroniques chez l'adulte drépanocytaire repré-
volontiers rétro-ou sus malléolaires, fréquemment très dou- sente une source majeure de handicap et de mortalité. Les
loureux (sans lien avec la taille) et invalidants. Leur pronostic facteurs de risque et manifestations cliniques de ces compli-
est souvent médiocre, avec une cicatrisation lente et difficile, cations sont proches de ceux de l'enfant, notamment pour
des risques élevés de surinfection et de récidive. Les facteurs l'atteinte rénale et cérébrale. Néanmoins certaines atteintes
de risque identifiés sont l'âge, l'homozygotie SS, un faible taux sont plus spécifiques de l'adulte, telles que l'HTAP ou la car-
d'hémoglobine, un faible taux d'hémoglobine fœtale et un diopathie, dont les déterminants sont encore largement
antécédent d'ulcère (risque de récidive multiplié par 23). Les méconnus. Des avancées importantes dans le dépistage et
facteurs de bon pronostic sont essentiellement liés aux carac- le traitement des complications chroniques ont été réalisées
téristiques de l'ulcère, à savoir une surface inférieure à 8 cm2 et ces dernières décennies. La prise en charge nécessite un
une évolution inférieure à 9 semaines. La présence d'une réseau de soins coordonnés. Un bilan systématique annuel
alpha-thalassémie et un taux élevé d'hémoglobine fœtale sont est nécessaire pour dépister les atteintes aux stades précoces,
également plutôt bénéfiques. Par analogie avec les ulcères la prise en charge leurs facteurs de risque, et la proposition
veineux (une insuffisance veineuse s'associe dans 30 à 90 % d'un éventuel traitement préventif ou curatif. Le médecin
des cas d'ulcères chez le sujet drépanocytaire), une contention traitant joue ainsi un rôle clef dans la structuration du suivi
veineuse et des soins locaux sont réalisés. Le traitement du patient drépanocytaire.
antalgique reste souvent insuffisant. Les effets potentiels
Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
(négatifs ou positifs) de l'hydroxyurée sont pour le moment liens d'intérêts.
controversés, il peut être nécessaire d'en diminuer
386
Mise au point
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387
Dossier thématique
Mise au point
Corinne Guitton
Disponible sur internet le : CHU de Bicêtre, centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs et
1 septembre 2021 autres pathologies constitutionnelles du globule rouge, service de pédiatrie
générale, 78, avenue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin Bicêtre, France
corinne.guitton@aphp.fr
Points essentiels
La drépanocytose est la maladie génétique dépistée à la naissance la plus fréquente en France.
La dysfonction splénique débute dès les premiers mois de vie et joue un rôle majeur dans la
susceptibilité accrue aux infections bactériennes chez les jeunes patients.
L'association d'une antibioprophylaxie quotidienne, d'un calendrier vaccinal renforcé et l'éduca-
tion des patients et leurs familles permettent de diminuer le risque d'infection.
La drépanocytose est la première cause d'accident vasculaire cérébrale (AVC) chez l'enfant, hors
période néonatale, avec un risque de 11 % avant l'âge de 18 ans.
La vasculopathie cérébrale drépanocytaire est dépistée efficacement par le Doppler trans-cranien
(DTC) qui permet de stratifier le risque d'AVC et de débuter un traitement préventif.
Les complications dégénératives rénales, neurocognitives, rétiniennes, osseuses ou encore car-
diaques peuvent débuter dès l'enfance et doivent être recherchées systématiquement afin d'être
traitées précocement.
La transition de la pédiatrie vers les soins pour adultes des jeunes patients drépanocytaires est un
enjeu capital.
Key points
Sickle cell disease: The specifics of organ damage in pediatrics
Sickle cell disease is the most common genetic disease detected at birth in France.
Splenic dysfunction begins in the first months of life and plays a major role in the increased
susceptibility to bacterial infections in young patients.
The combination of daily antibiotic prophylaxis, an enhanced immunization schedule and
education of patients and their families can reduce the risk of infection.
Sickle cell disease is the leading cause of cerebrovascular accident (stroke) in children, outside the
neonatal period, with an 11% risk of stroke before the age of 18.
388
Mise au point
Sickle cell cerebral vasculopathy is effectively screened for by transcranial Doppler allowing
grading of the risk of stroke and preventive treatment to be started.
Degenerative renal, neurocognitive, bone, retinal or even cardiac complications can begin in
childhood and should be systematically investigated in order to be treated early.
The transition from pediatrics to adult care for young sickle cell patients is a critical issue.
Figure 1
Schéma de vaccination renforcé chez l'enfant drépanocytaire (hors rattrapage)
BCG : tuberculose – DTCaPHibHepB : vaccin hexavalent Diphtérie/Tétanos/Coqueluche acellulaire (Ca)/Poliomyélite/Hémophilus influenzae de type b (Hib)/Hépatite B (HepB) ;
DTCaP : vaccin combiné Diphtérie/Tétanos/Coqueluche acellulaire (Ca)/Poliomyélite ; dTcaP : vaccin combiné Diphtérie avec dose réduite d'anatoxine diphtérique (d)/Tétanos/
Coqueluche avec dose réduite d'antigène coquelucheux (ca)/Poliomyélite) ; dTP : vaccin combiné Diphtérie/Tétanos/Poliomyélite avec dose réduite d'anatoxine diphtérique
(d) ; ROR : vaccin trivalent Rougeole/Oreillons/Rubéole
vaccinal renforcé sans oublier l'éducation des familles et des tenant compte de la nécessité d'une couverture maximale
médecins en cas de fièvre. précoce et de sa faisabilité en pratique courante.
L'antibioprophylaxie est introduite précocement dès l'âge de À ces mesures préventives combinant antibioprophylaxie et
2 mois par de la pénicilline V orale (Oracilline®) en 2 prises vaccinations, il faut ajouter la nécessité d'une antibiothérapie
quotidiennes au moins à la posologie de 100 000 UI/Kg/j systématique et précoce lors de tout épisode fébrile (T > 3885) y
jusqu'à 10 kg, puis 50 000 UI/Kg/j sans dépasser 2 millions compris d'allure viral [3]. En effet, bien que le risque d'infection
d'UI/J [7]. La durée de cette antibioprophylaxie n'est pas invasive à pneumocoque ait été estimé à 1,9 % depuis l'avè-
consensuelle, mais elle est nécessaire au moins jusqu'à l'âge nement du schéma vaccinal renforcé, le taux de mortalité reste
de 5 ans, la susceptibilité aux infections invasives à pneumo- élevé à 11,5 % chez l'enfant drépanocytaire [9]. Ainsi, tous
coque étant réduite après cet âge. Cependant, elle ne disparaît soignants, patients et son entourage doivent être sensibilisés
pas totalement au-delà, avec actuellement une augmentation à la nécessité d'une consultation médicale dans les meilleurs
de souches non couvertes par les vaccins antipneumococciques délais pour la réalisation d'un examen clinique, voire d'examens
disponibles. En France, cette antibioprophylaxie est souvent complémentaires ; c'est d'autant plus nécessaire que le patient
prolongée jusqu'au début de l'adolescence, surtout s'il y a un est âgé de moins de 3 ans et/ou en cas de fièvre
antécédent de splénectomie chirurgicale ou de sepsis élevée > 3985 et/ou mal tolérée. Cette antibiothérapie est alors
à pneumocoque. volontiers parentérale, en milieu hospitalier, avec habituelle-
Le calendrier vaccinal est adapté pour tous les enfants drépa- ment une C3G. Un traitement ambulatoire est possible chez les
nocytaires avec un schéma renforcé contre les infections inva- patients, âgés de plus de 3 ans, sans facteurs de gravité clinique
sives à pneumocoques comportant 3 doses à 2, 3, 4 mois et un ou biologique ayant un entourage familial fiable en utilisant une
rappel à 11 mois avec le vaccin conjugué à 13 valences (Pre- antibiothérapie probabiliste active sur le pneumocoque comme
venar 13®) suivi d'une injection de vaccin polysaccharidique l'amoxicilline prescrite au moins à 100 mg/kg/j en 3 prises [3].
23 valence à 2 ans (Pneumovax®) puis d'un seul rappel cinq
après. Les vaccins contre les sérogroupes de méningocoques A, Les atteintes chroniques d'organes
B, C, Y et W et la vaccination annuelle contre la grippe sont caractéristiques de l'âge pédiatrique
également recommandés [8]. Ces vaccins sont pris en charge Chez l'enfant, mais surtout l'adolescent, peuvent apparaître les
à 100 % dans le cadre de la drépanocytose. Un exemple de complications dégénératives liées à la dysfonction vasculaire
schéma adapté hors rattrapage est présenté sur la figure 1 en chronique avec une atteinte rénale, hépatique, rétinienne,
390
Mise au point
osseuse ou encore cardiaque, source de lourdes morbidités et de notée dans le carnet de santé afin de servir de mesure de
mortalité chez les adultes. La dysfonction splénique et la vas- référence.
culopathie cérébrale sont des spécificités pédiatriques.
La vasculopathie cérébrale
La dysfonction splénique Épidémiologie
Outre le risque infectieux lié à l'asplénie fonctionnelle déjà L'AVC est une des complications les plus sévères de la drépa-
évoquée, il existe d'autres complications spléniques chez nocytose dans l'enfance ; il n'est pas rare. Une étude américaine
l'enfant porteur d'une drépanocytose. La perte de la fonction- de suivi de plus de 4000 malades, pendant 10 ans, dont
nalité splénique est précoce chez l'enfant drépanocytaire de 700 enfants depuis la naissance, a retrouvé un risque spontané
génotype SS et Sb0-thalassémique, et déjà présente chez 87 % d'AVC de 11 % à 20 ans, 15 % à 30 ans chez les patients SS et Sb0
des nourrissons âgés en moyenne de 13 mois [10]. Cette [13]. Ces AVC étaient majoritairement ischémiques avant 20 ans
dysfonction est plus tardive pour les autres génotypes, proba- avec un risque maximum entre 2 et 9 ans, et hémorragiques
blement après l'âge de 10 ans chez les patients SC. L'expression entre 20 et 29 ans. Ainsi, la drépanocytose est la cause la plus
de la dysfonction splénique est imprévisible et non corrélée à la fréquente d'AVC chez l'enfant hors période néonatale.
taille de la rate. Elle inclut la survenue de séquestration splé- À ce risque d'AVC clinique, se rajoute celui des AVC dit « silen-
nique aiguë (SSA), de séquestration splénique chronique (ou cieux » auquel il faut préférer le terme d'anomalies de la
hypersplénisme), une splénomégalie et une atrophie splénique substance blanche correspondant à des lésions ischémiques
secondaire à l'installation progressive d'une fibrose post isché- visibles en IRM en séquence T2 FLAIR ne se traduisant pas
mique. Chacune de ses manifestations peuvent se combiner [6]. par des signes neurologiques moteurs ou sensitifs mais pour-
La séquestration splénique aiguë survient principalement chez voyeurs d'une atteinte cognitive [14]. Ces lésions de la sub-
les enfants de moins de 3 ans porteur de la forme SS ou stance blanche sont déjà observés avant l'âge de 6 ans et
Sb0 thalassémique (Sb0) avec une fréquence de 13 à 25 % augmentent en nombre et en taille dans le temps avec une
selon les séries [11]. Elle est définie par une augmentation prévalence de 37 % à l'âge de 14 ans [15].
brutale de la taille de la rate de plus de 2 cm, associée à une Le développement du Doppler transcrânien (DTC), de l'IRM et de
chute du taux d'hémoglobine de plus de 2 g/dL. Elle s'accompa- l'angio-IRM ces 30 dernières années a permis la détection fiable
gne généralement d'une thrombopénie modérée et est souvent de cette vasculopathie cérébrale et d'identifier ainsi les patients
déclenchée par une infection virale. C'est une urgence théra- à haut risque d'AVC et de débuter une prise en charge théra-
peutique, le pronostic vital peut être engagé par défaillance peutique de prévention.
circulatoire de l'anémie aiguë, et impose une transfusion de Physiopathologie
concentré érythrocytaire dans les meilleurs délais. Une récidive La vasculopathie cérébrale de la drépanocytose comporte une
survient chez 2/3 des patients surtout si le 1er épisode est atteinte de la microcirculation distale liée à l'effet sludge (ralen-
survenu avant l'âge de 2 ans. Un programme transfusionnel tissement et agrégation des globules rouges dans les petits
mensuel est habituellement débuté après le 2e épisode suivi vaisseaux) et/ou une atteinte proximale des gros vaisseaux,
éventuellement d'une splénectomie après l'âge de 2–4 ans sténosante et progressive. Ces sténoses sont habituellement
selon les équipes. Il n'existe pas de traitement préventif de circonférentielles, pouvant aboutir à une occlusion et affectent
la SSA. L'éducation des familles dès l'annonce diagnostique, afin essentiellement le système carotidien (siphon et segment ter-
de leur apprendre à surveiller attentivement les signes clini- minal des artères carotides internes (ACI) dans leur portion
ques, tels que la pâleur et l'augmentation de la taille de la rate intracrânienne, mais aussi cervicale, les artères cérébrales
à la palpation de l'hypocondre gauche, est essentielle et a moyennes (ACM) et cérébrales antérieures (ACA) dans leur
montré son efficacité dans la réduction de la mortalité par segment proximal) [16,17]. L'obstruction progressive peut
SSA [12]. s'accompagner d'un développement de réseau de collatérales
L'hypersplénisme s'accompagne d'une augmentation chronique de type Moya-Moya exposant secondairement à un risque d'AVC
du volume de la rate, et d'une bi-voire tricytopénie avec une hémorragique. Le mécanisme de ce remodelage vasculaire
réticulocytose réactionnelle élevée (> 15 %) ; il n'est pas rare aboutissant à une hyperplasie de l'intima et de la média est
bien que sa prévalence soit inconnue. Elle est plus fréquente en multifactoriel (agression de l'endothélium vasculaire par les
cas d'HbF élevée ou de trait a-thalassémie associé. Cet hyper- drépanocytes anormalement adhérents, rigides et l'hémolyse,
splénisme est parfois difficile à différencier d'épisodes modérés hyperdébit lié à l'anémie, lésions inflammatoires de reperfusion
de SSA répétées. résultant d'évènements occlusifs transitoires, dysrégulation du
La splénomégalie modérée (1 à 2 cm du rebord costal gauche) tonus ou encore état d'hypercoagulabilité).
sans conséquence hématologique est habituellement décrite L'artériopathie sténosante ne concerne que les formes majeures
chez le très jeune enfant avant que ne survienne l'atrophie de syndrome drépanocytaire homozygotes SS et les Sb0. Elle est
splénique, en Europe et aux USA. La taille de la rate doit être responsable de 75 % des AVC cliniques avec des lésions touchant
391
Figure 2
Imagerie de la vasculopathie
cérébraleA. Doppler
transcrânien. B. Angio-IRM :
sténoses des 2 siphons
carotidiens ; C. IRM, séquence
T2 : hypersignaux de la
substance blanche,
témoignant de l'atteinte de la
microcirculation avec des
lésions ischémiques
bilatérales
préférentiellement le cortex cérébral, bilatérales dans la moitié syndrome thoracique aigu (STA) récent ou répété et l'hypoxie
des cas. Elles peuvent être précoces, dès l'âge de 18 mois, et nocturne [18]. Les 2/3 des patients récupèrent complètement
progresser pendant des mois ou des années avant la survenue sur le plan moteur, mais les séquelles cognitives sont quasi
de l'accident clinique ischémique. Le risque de récidive des AVC constantes, et ce, d'autant plus que l'AVC est survenu à un jeune
sur ces vasculopathies sténosante est important, souvent le fait âge. En l'absence de traitement, l'AVC récidive dans 67 % des cas
de phénomènes de bas débit dans les zones jonctionnelles dans les 12 à 24 mois suivant le premier épisode [15].
également appelées « les derniers prés ». Les lésions ischémi-
ques secondaires à la micro-vasculopathie, impliquées dans 1=4
des AVC sans forcément de vasculopathie du polygone de Willis,
peuvent se voir dans toutes les formes de drépanocytose SS, Diagnostic, facteurs de risque radiologique
Sb0, Sb+, et SC. Le mécanisme dans ce cas est de nature plutôt Le Doppler transcrânien (DTC)
hémodynamique ou éventuellement vaso-occlusif. Les territoi- Le DTC permet d'enregistrer les vitesses circulatoires au niveau
res dit jonctionnels, particulièrement sensibles aux variations de des artères de la base du crâne (figure 2A) et de détecter une
débit de perfusion sont le plus concernés par ce mécanisme et accélération focalisée anormale, dépistant ainsi une sténose
les infarctus dans ces zones touchent préférentiellement la artérielle. Les vitesses enregistrées sur les différents axes vas-
substance blanche. culaires du polygone de Willis et carotidiens internes permettent
de stratifier le risque de survenue d'un infarctus cérébral symp-
Présentation et facteurs de risques cliniques tomatique : risque très faible (moins de 1 % d'AVC par an) pour
Les AVC sont ischémiques dans 75 % des cas et hémorragiques une vitesse < 170 cm/s, risque élevé (plus de 20 % d'AVC dans
dans les autres cas. Les symptômes cliniques les plus fréquents les 12 mois et 50 % dans les 30 mois) pour une vites-
sont l'hémiparésie, l'aphasie ou la dysphasie avec ou sans se > 200 cm/s, risque intermédiaire pour les vélocités entre
convulsions. L'AVC peut survenir sans prodrome ou lors d'une 170 et 199 cm/s [19]. Selon les séries, environ 10 à 30 %
CVO. Parfois, il peut être favorisé par l'hyperviscosité induite par des enfants drépanocytaires SS ou Sb0 sont concernés par un
une transfusion trop importante ou au contraire par une saignée DTC pathologique avec des vitesses > 200 cm/s avant l'âge de
trop abondante lors d'un échange transfusionnel. Les facteurs de 9 ans. En l'absence d'anomalie du DTC à l'âge de 10 ans, le risque
risque de survenue d'AVC identifiés sont une anémie sévère de d'un premier évènement vasculaire cérébral dans l'adolescence
base (< 7 g/dL), une hypertension artérielle systémique, un est réduit [15]. Le DTC est ainsi le principal marqueur de risque
antécédent d'accident aigu transitoire (AIT), un antécédent de de la vasculopathie cérébrale.
392
Mise au point
Figure 3
Stratification du risque
d'infarctus artériel cérébral
selon les résultats du
doppler-transcrânien et
recommandations de
dépistage radiologique de la
vasculopathie cérébrale chez
l'enfant drépanocytaire
DTC : doppler transcrânien ; IRM :
imagerie par résonance magnétique ;
ARM : angiographie par résonance
magnétique.
L'IRM cérébrale et l'angio-IRM intracrânienne et cervicale au long cours. L'objectif est de maintenir un taux d'HbS < 30–
(ARM) 35 % de façon prolongée ;
en cas de vitesses intermédiaires (170–200 cm/s), la surveil-
L'ARM cérébrale montre des lésions constituées, conséquences
déjà tardives. Ces lésions sont des sténoses artérielles ou encore lance du DTC sera rapprochée à tous les 3–6 mois [3,21]. Il est
des infarctus silencieux correspondant à des lésions ischémiques également recommandé de réaliser une imagerie cérébrale
d'au moins 3 mm de plus grande longueur de la substance par IRM et angio-IRM devant des vélocités pathologiques ou
blanche et visible sur au moins 2 incidences (figure 2B et C) intermédiaire mais sans urgence. La figure 3 résume cette
[20]. L'angio-IRM a une sensibilité inferieure au DTC, qui détecte stratégie.
les sténoses constituées, mais aussi des anomalies rhéologiques Ainsi, dans une cohorte de suivi d'enfants dépistés pour la
alors même que l'angio-IRM est encore normale. En revanche, drépanocytose dès la naissance, la détection systématique
alors que les infarctus silencieux visibles en IRM sont un facteur des DTC pathologiques et la mise en place d'un programme
de risque d'accident constitué symptomatique, ils peuvent être transfusionnel précoce a permis de diminuer le risque
observés sans anomalie au Doppler. De même, les vitesses cumulatif d'AVC avant l'âge de 18 ans à 1,8 %, versus
mesurées au DTC ne sont pas prédictives du risque de survenue 11 % dans l'histoire naturelle de la maladie [15]. Lorsque
de ces infarctus silencieux. les vitesses se normalisent sous programme d'échange
transfusionnel et en l'absence d'anomalie sur l'Angio-
Stratégies thérapeutiques : prévention primaire et IRM, les transfusions peuvent être arrêtées dans certaines
secondaire conditions, elles sont relayées par un traitement par hydro-
Il existe des recommandations internationales de prise en xyurée, avec néanmoins un risque de récidive du DTC
charge des patients drépanocytaires SS ou Sbeta0. pathologique voire d'AVC.
Ainsi, il est préconisé à partir de l'âge de 18 mois–2 ans et jusqu'à La place de la greffe de moelle osseuse en tant que stratégie de
l'âge de 16 ans, la réalisation annuelle d'un DTC : prévention primaire du PHRC français DREPAGREFFE a évalué
si les vitesses sur les différents axes sont normales (< 170 cm/ l'évolution de la vasculopathie cérébrale après une allogreffe
s), on poursuit le dépistage avec un contrôle annuel ; géno-identique versus un programme transfusionnel classique
si les vitesses sont pathologiques (> 200 cm/s), c'est une [22]. Les résultats montrent une supériorité de la greffe et
indication formelle à débuter rapidement un programme pourraient la faire discuter chez l'enfant qui a un donneur
transfusionnel mensuel (transfusions simples ou échanges familial identifié, et ce, dès le stade de vitesses pathologiques
transfusionnels associant une saignée et une transfusion) au DTC.
393
Après la survenue d'un premier AVC chez un patient drépano- créatininurie > 3 mg/mmol), sa prévalence augmente avec
cytaire, la stratégie recommandée est de débuter sans attendre l'âge pour atteindre 80 % à 40 ans.
une thérapeutique d'échange transfusionnel, ce qui permet de La rétinopathie proliférante drépanocytaire
diminuer de 90 % le risque de récurrence [23]. L'objectif du Elle est secondaire aux occlusions vasculaires des artérioles
programme transfusionnel est de maintenir un taux d'hémo- précapillaires et capillaires de la circulation périphérique de la
globine S < à 30–35 % et il doit être poursuivi à vie sauf s'il existe rétine. Elle est classifiée en cinq stades allant des occlusions
un donneur HLA compatible dans la famille afin de réaliser une périphériques (stade 1) asymptomatique au décollement de la
greffe de moelle osseuse. La greffe permet de réduire le risque rétine (stade 5) potentiellement cécitante. Sa prévalence est
de récidive d'AVC à 5 % versus 10 % pour le programme plus élevée chez les patients SC, avec 8 % d'atteinte avant
transfusionnel. 18 ans, contre 0,6 % pour les patients SS et plus précoce avec
L'hydroxyurée, molécule très utile dans la prise en charge des un âge médian d'apparition de 13 ans (9–18 ans) contre 16 ans
patients drépanocytaires symptomatiques, est moins efficace pour le génotype SS [27]. Le dépistage annuel des lésions doit
que le programme transfusionnel pour la prévention des réci- débuter dès l'âge de 6 ans chez les enfants SC et 10 ans pour les
dives des AVC avec un risque persistant de 20 % et est réservée patients SS par un examen du FO systématique et régulier, les
aux situations d'impasse transfusionnelle et en l'absence de complications peuvent être prévenues par un traitement laser.
donneur HLA compatible.
L'ostéonécrose de la tête fémorale
Parfois bilatérale, elle concerne 10 % des enfants drépanocy-
Autres complications d'organes d'évolution
taires et est 2 fois plus fréquente chez les patients SS [28]. Un
chronique
diagnostic et une prise en charge précoces limitent les séquel-
Le retard de croissance pondérale les. Elle se manifeste par une boiterie d'installation progressive,
Décrit dans les séries historiques, il est devenu rare avec l'amé- des douleurs de la hanche d'horaire mécanique, ou parfois
lioration de la prise en charge. Mais le retard statural, secondaire trompeuses, localisées au genou, décrites par les patients
en partie au retard pubertaire de 2–3 ans, reste fréquemment comme différentes de celles des CVO, mais souvent il n'y pas
observé chez les garçons porteurs d'une drépanocytose. Ce ou peu de manifestations cliniques. Le dépistage se fait par une
retard pubertaire est d'origine centrale et ne nécessite pas radio de bassin de face et de profil qui est recommandée à partir
d'exploration particulière sauf s'il se prolonge, mais il peut être de l'âge de 6 ans. L'IRM permet d'évaluer l'étendue de la
source d'anxiété chez l'adolescent qu'il faut rassurer quant au nécrose et les risques de déformation de la tête fémorale. Le
pronostic de taille finale adulte, celui-ci n'est pas impacté. traitement est à discuter en milieu orthopédique spécialisé.
L'hyperhémolyse chronique Les complications cardiaques
Elle est responsable de l'apparition de lithiases pigmentaires Elles se résument majoritairement à une cardiopathie dilatée
chez 25 % des enfants drépanocytaires dont 42 % vont se hyperkinétique à fonction ventriculaire gauche normale (aug-
compliquer [24]. L'échographie abdominale réalisée systéma- mentation du débit cardiaque lié à l'anémie et aux troubles de
tique annuelle à partir de l'âge de 3 ans ou en cas de douleur transport de l'oxygène) mais une hypertension artérielle pul-
abdominale fébrile et/ou d'accentuation de l'ictère permet le monaire doit être cherchée.
diagnostic de lithiase (ou de sludge) et de ses complications. En Les recommandations de la Haute Autorité de santé préconisent
cas de lithiase même asymptomatique, une cholécystectomie « un bilan annuel » pour dépister et traiter précocement les
est recommandée, sans urgence. complications spécifiques de la maladie [3]. Le tableau I résume
les examens à réaliser et l'âge de début de la surveillance.
L'atteinte rénale
Elle est fréquente et précoce, avec des conséquences très délé- La transition à l'âge adulte est une étape
tères chez l'adulte. L'atteinte tubulaire avec un défaut de clé
concentration maximale des urines (hyposthénurie) est cons- Les patients drépanocytaires peuvent développer dès l'adoles-
tatée dès les premières années de vie ; elle favorise l'énurésie cence les premiers signes d'une atteinte d'organe. C'est aussi la
handicapante et souvent prolongée avec une prévalence de période où la fréquence des CVO douloureuses est habituelle-
50 % entre 5 et 10 ans et 25 % entre 14 et 17 ans, une ment maximale. Ces complications imposent un suivi médical
polyuropolydipsie (réveils nocturnes pour boire) et la déshydra- plus strict et parfois une intensification thérapeutique impli-
tation favorisant la survenue de CVO [25,26]. La restriction quant une observance de qualité. Ces nécessités surviennent
hydrique est contre-indiquée dans la prise en charge. L'atteinte dans une période de fortes transformations psychiques, physi-
glomérulaire est plus tardive, en partie en rapport avec l'hyper- ques et relationnelles et vont se télescoper avec le besoin
filtration. Une microalbuminurie est recherchée systématique- d'expérimenter ses limites et la croyance en sa propre immor-
ment lors des bilans annuels (rapport microalbuminurie/ talité, caractéristiques de l'adolescence. C'est dans ce contexte
394
Mise au point
TABLEAU I
Bilan annuel de dépistage des complications d'organe.
Vasculopathie cérébrale DTC pour les patients SS et Sb0 18–24 mois Annuel
IRM-ARM cérébrale et cervicale 6 ans (ou si DTC pathologique) En fonction de l'évolution ou
tous les 5 ans ?a
DTC : doppler transcranien ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; ARM : angiographie par résonance magnétique.
a
Il n'existe pas de consensus sur le rythme de surveillance de l'IRM-ARM cérébrale en l'absence de DTC pathologique ou lorsque la 1 ère IRM cérébrale réalisée à 6 ans est normale.
particulier que s'ajoute la problématique du passage de la prise locales (consultation binôme pédiatre/médecin adulte, infir-
en charge du secteur pédiatrique vers le secteur de médecine mière coordinatrice. . .) pour encadrer au mieux cette étape
pour adulte. particulière [30]. L'éducation thérapeutique quand cela est pos-
Or, cette transition est une période particulièrement sensible sible, permet d'évaluer et de développer les compétences
chez les patients drépanocytaires. En effet, ce sont les 18–25 ans médicales de l'adolescent malade mais aussi de promouvoir
qui ont le plus fort taux de consultations aux urgences avec un ses ressources psychologiques et de déterminer ses objectifs
nombre important d'hospitalisations, qui reçoivent le moins de socioprofessionnels. Le médecin traitant doit être largement
traitement de fond bien que justifié et qui ont un risque accru de impliqué dans ce processus, il est un des rares soignants référent
décès précoce [1,29]. permanent durant cette période de grand changement. Il favo-
La gestion de la maladie au quotidien, l'autonomisation et la rise ce passage en veillant à la continuité de la prise en charge
préparation au passage vers le monde adulte, sont ainsi des spécifique mais aussi globale du patient. L'objectif est de garan-
enjeux majeurs. Ce processus est long, aussi la transition doit tir la qualité de la prise en charge et du pronostic, l'adhésion aux
être anticipée et abordée dès le début de l'adolescence. Le but soins à un âge où la compliance est souvent difficile et favoriser
est d'amener les patients et leurs familles à une maturité idéale une bonne qualité de vie. . . avec le moins de complications
avant d'effectuer le moment venu le transfert vers le secteur possibles.
adulte, plutôt que de fixer un âge idéal, généralement établi par
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
le timing administratif institutionnel afin de limiter le risque de d'intérêts.
rupture de suivi spécialisé.
Les équipes pédiatriques et adultes doivent élaborer, ensemble,
les modalités de ce passage en tenant compte des ressources
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396
Dossier thématique
Mise au point
Les traitements de la drépanocytose :
hydroxyurée, allogreffe et nouvelles
approches
Disponible sur internet le : 1. AP–HP, hôpital Henri-Mondor, centre de référence des syndromes drépanocytaires
1 octobre 2021 majeurs, thalassémies et autres pathologies rares du globule rouge et de
l'érythropoïèse, service de médecine interne, Paris, France
2. Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB), université Paris Est Créteil,
Inserm, Créteil, France
Correspondance :
Pablo Bartolucci, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, hôpital H. Mondor A,
Chenevier, service maladies génétiques du globule rouge, Créteil, France.
pablo.bartolucci@aphp.fr
Résumé
L'hydroxyurée (HU) était encore jusqu'à quelques mois la seule molécule efficace permettant de
réduire la fréquence des crises vaso-occlusives (CVO) drépanocytaires et la gravité de la maladie.
Trois nouvelles molécules, le crizanlizumab, la L Glutamine et le voxelotor, ont obtenu l'agrément
par l'Agence Américaine des Produits Alimentaires et Médicamenteux américaine (FDA), et ont
une Autorisation Temporaire d'Utilisation (ATU) en France voire une AMM pour le crizanlizumab.
Dans cet article nous aborderons l'HU et ces nouveaux traitements.
Summary
Sickle cell disease treatments : hydroxyurea, allogeneic transplantation and new
approaches
Until a few months ago, hydroxyurea (HU) was the only effective molecule to reduce the
frequency of vaso-occlusive crises (CVO) in sickle cell disease and the severity of the disease.
Three new treatments crizanlizumab, L-glutamine and voxelotor, have been approved by the US
Food and Drug Administration (FDA) and have a "Temporary Use Authorization'' in France, and
even a Marketing Authorization ("AMM'') for crizanlizumab. In this article we will discuss about HU
and these new treatments.
233 patients sur 9 ans montra également une réduction de fréquence des CVO, montrant par la même l'absence de lien
mortalité de 40 % et une amélioration des paramètres biolo- direct entre l'hémolyse et les CVO. Le traitement était bien toléré.
giques [2]. Son usage initial était sous-tendu par sa propriété Cette étude a également permis de montrer une amélioration
à augmenter le taux d'hémoglobine fœtale (HbF) : l'HbF empê- des paramètres indirects d'hémolyse (bilirubine et réticulocytes
chant l'élongation des polymères d'hémoglobine S, une aug- par exemple). Dans une étude de phase II, l'absence d'élévation
mentation du pourcentage d'HbF améliore donc la maladie. Il a de l'érythropoïétine (EPO) a également suggéré que l'oxygéna-
par ailleurs été montré que l'HU diminue l'adhérence des GR et tion tissulaire rénale n'était pas diminuée.
des leucocytes aux parois vasculaires (cellules endothéliales et La problématique de cette nouvelle molécule reste encore sa
protéines de la matrice sous-endothéliale), ainsi que les inter- place dans l'arsenal thérapeutique. Ses effets sur l'anémie et
actions globules rouges-leucocytes. L'indication ayant l'autori- l'hémolyse, sans réduction des CVO, suggèrent un effet béné-
sation de mise sur le marché (AMM) porte actuellement sur des fique sur les atteintes d'organe qui restent à démontrer.
patients ayant des crises vaso-occlusives récurrentes nécessitant
une hospitalisation ou ayant fait un STA. Son efficacité préven- Augmentation d'expression de l'hémoglobine fœtale
tive ou curative sur les complications chroniques de la maladie Pendant la vie fœtale et durant les premiers mois de vie, la
est évoquée mais non démontrée, avec cependant deux situa- protéine HbS anormale est produite à des niveaux très faibles
tions en cours de validation. parce que l'hémoglobine fœtale (HbF) (expression du gène de g-
Il a été montré qu'un relais des échanges transfusionnels par globine) est encore majoritaire. De plus l'HbF a un effet anti-
l'HU en prévention primaire des AVC chez des enfants ayant polymérisant important. Lors du « switch » des hémoglobines au
normalisé leur vitesse au doppler trans-crânien et n'ayant pas de cours de la première année de vie, l'HbF est remplacée par
sténose visible à l'ARM était possible [3]. Cette attitude est l'hémoglobine adulte, qui est l'HbS chez les patients drépano-
également adoptée chez des adultes jeunes qui sont en pro- cytaires. C'est alors que les symptômes apparaissent. Chez les
gramme d'échange transfusionnel pour cette indication avec enfants plus âgés et les adultes, un niveau plus élevé d'HbF est
une ARM normale. associé à une moindre gravité de la maladie dans la drépano-
Une étude prospective française [4] a par ailleurs suggéré que le cytose, comme cela a été observé chez les personnes ayant une
traitement par HU sur une durée de 6 mois permettait d'amé- persistance héréditaire de l'HbF. La production d'HbF est ainsi une
liorer le rapport albuminurie sur créatininurie (ACR) chez cible thérapeutique majeure naturelle. La première molécule
58 patients, qui est un marqueur d'atteinte glomérulaire. Une utilisée pour induire l'expression d'HbF est l'hydroxyurée, sans
étude contrôlée est en cours pour valider l'usage potentiel de que l'on n'ait totalement élucidé son mécanisme d'action. Cette
l'HU dans les atteintes rénales drépanocytaires. augmentation est relativement lente sur plusieurs semaines.
Au-delà des deux organes, il est probable que l'HU puisse La décitabine est une molécule connue pour permettre l'aug-
protéger ou améliorer d'autres atteintes chroniques d'organe. mentation d'expression de du gène codant la chaine de gam-
maglobine (HBG1 et 2) par une déplétion de l'ADN
Cibles thérapeutiques et mécanismes méthyltransférase 1 (la DNMT1 est l'enzyme modifiant la chro-
intrinsèques érythrocytaires matine qui maintient les marques de méthylation sur l'ADN par
Effet sur la polymérisation division cellulaire).
Un axe de recherche thérapeutique prometteur est celui des Par ailleurs, des études génétiques ont montré que certains
molécules anti-polymérisation ou « anti sikling » de l'hémoglo- polymorphismes de FOXO3 (régulateur de la population lym-
bine (Hb). La polymérisation de l'Hb nécessite que la molécule phocytaire) étaient associés à une augmentation d'expression
soit dans sa conformation désoxygénée « T ». Le voxelotor (GBT d'HbF. Il a été montré que la metformine augmentait l'expres-
440, médicament oral en prise journalière) est un traitement qui sion de FOXO3. Actuellement une étude de phase I est en cours
vise à maintenir l'hémoglobine dans sa conformation « R » avec cette molécule.
oxygénée empêchant la formation du polymère mais augmen- D'autres molécules qui ciblent l'augmentation de l'HbF sont en
tant l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène. Il est à espérer cours d'analyse dans des études précliniques.
que l'augmentation de l'hémoglobine prédomine sur ce dernier
effet qui pourrait être négatif en termes de relargage d'oxygène Oxydation et adhérence
aux tissus. Par ailleurs, si la réduction de la polymérisation La vaso-occlusion est également associée à des phénomènes
s'accompagne d'une diminution de l'hémolyse intra vasculaire, d'adhérence pathologiques. Ceux-ci impliquent non seulement
il est probable que cela ait un impact positif sur la vasculopathie les globules rouges (GR) et les cellules endothéliales mais
drépanocytaire chronique liée à l'hémolyse. également les leucocytes et probablement les plaquettes. Ainsi,
L'étude HOPE [5] de phase 3, multicentrique, internationale, l'administration de facteur stimulant les colonies de granulocy-
randomisée, en double insu, a démontré l'efficacité du tes (G-CSF) a entraîné des cas graves de CVO. Le niveau des
voxelotor sur l'amélioration de l'anémie, mais sans modifier la leucocytes est également un facteur indépendant de mortalité
398
Mise au point
et de STA. L'adhérence des leucocytes à l'endothélium de 90 % des patients drépanocytaires [7,8], mais est grevée
commence par le phénomène de rolling qui implique les sélec- d'un risque de réaction du greffon contre l'hôte (GVH) et d'une
tines puis l'interaction avec ICAM1 et VCAM1. Parmi les méca- mortalité non négligeable, plus importante chez l'adulte que
nismes d'action de l'hydroxyurée, la diminution des propriétés chez l'enfant. Cependant ces deux risques ont nettement dimi-
d'adhérence des GR, des leucocytes et des cellules endothéliales nué depuis l'emploi d'une stratégie à conditionnement atténué
est relativement rapide de même que la réduction quantitative (associant l'alemtuzumab, la radiothérapie 3 Gy et le sirolimus),
des leucocytes. permettant une survie globale selon les séries de 94 % ainsi
Par ailleurs, la polymérisation de l'HbS est responsable de phé- qu'une survie sans maladie chez 87 % des patients en absence
nomènes d'oxydation qui participent à l'hémolyse et indirecte- de cas rapporté de GVH [9]. Sachant qu'un donneur géno-iden-
ment à la vaso-occlusion. La L-glutamine est un acide aminé qui tique n'est présent que pour 20 % des patients, la transplanta-
joue sur la synthèse du NADH (co-enzyme de méthémoglobine tion haplo-identique (« à moitié compatible ») élargirait la
réductase pour réduire l'Hb oxydée), permettant une augmenta- possibilité de donneurs disponibles [10,11], mais elle nécessite
tion du potentiel d'oxydoréduction (ou potentiel redox) et une une plus grande immunosuppression, avec un risque de GVH et
augmentation du NADH. Une étude de phase III a montré une de mortalité encore importants. Enfin, avec la réduction des
réduction d'incidence de 25 % des CVO (médian 3 vs 4 ; risques de GVH et de mortalité grâce aux stratégies de condi-
p = 0,005) ainsi qu'une réduction des hospitalisations de 33 % tionnement atténué, l'indication de l'allogreffe s'est élargie
(2 vs 3 ; p = 0,005) avec une diminution d'incidence de syndrome chez les adultes ayant un donneur géno-identique, rejoignant
thoracique aigu (STA). La méthodologie a cependant été critiquée les indications pédiatriques, à savoir les crises vaso- occlusives
par l'EMA, principalement du fait d'un déséquilibre des sorties répétées ou une atteinte d'organe débutante.
d'étude (37 % pour le groupe L glutamine vs 25 % pour le groupe Thérapie génique
placebo) ; elle est disponible sous forme d'une prescription en La thérapie génique est une option de traitement encourageante
ATU nominative. Ce produit a eu aussi l'autorisation de la FDA. de la drépanocytose pour les patients dépourvus d'un donneur
Le crizanlizumab est un anticorps monoclonal humanisé compatible. Elle consiste à modifier génétiquement les cellules
IgG2 kappa qui se lie à la P-sélectine et bloque les interactions souches du patient et à les réinjecter après une chimiothérapie
avec ses ligands, principalement la P-sélectine glycoprotéine myéloablative, permettant de remplacer les cellules souches défec-
ligand 1 (PSLG1). La liaison de la P-sélectine à la surface de tueuses. Plusieurs stratégies existent, dont le but était initialement
l'endothélium activé et des plaquettes bloque les interactions de produire une hémoglobine « thérapeutique » qui va s'opposer
entre les cellules endothéliales, les plaquettes, les globules rouges à la polymérisation de l'HbS ; ou plus récemment de corriger
et les leucocytes. L'étude SUSTAND de phase 3 [6], comparant deux directement la mutation responsable de la maladie. Les vecteurs
doses de crizanlizumab au placebo, a montré une réduction de lentiviraux (LV) de nouvelle génération, portant un gène sain de la
l'incidence des CVO sur 50 semaines, en combinaison ou sans HU. bétaglobine , ont été les premiers à être employés. Plusieurs essais
En revanche, il n'y avait aucune différence concernant les para- cliniques avec différents types de vecteurs sont en cours dans le
mètres d'hémolyse, ou la qualité de vie. Le pourcentage d'évè- monde ; les premiers résultats sont encourageants en ce qui
nements indésirables était de 10 %, plus important qu'avec le concerne la production soutenue d'hémoglobine thérapeutique,
placebo, mais sans différence de décès entre les groupes. L'étude l'amélioration des paramètres biologiques, un besoin transfusion-
de sous-groupes a montré une moindre efficacité chez des patients nel moindre et une meilleure qualité de vie. D'autres stratégies de
déjà sous HU, qui continuaient à souffrir de plus de 5 CVO par an. La thérapie génique visant à induire l'expression de l'hémoglobine
dose de 5 mg/kg a obtenu l'approbation de la FDA. Une ATU en fœtale sont en cours, par transduction lentivirale ou technologie de
France a été obtenue depuis octobre dernier pour la prévention des type CRISP/Cas-9, de même qu'un projet de correction de la
CVO récurrentes chez les patients âgés de 16 ans et plus. Le mutation bS elle-même par cette dernière approche.
crizanlizumab peut être administré en association avec HU ou Ces résultats sont à nuancer avec les risques hypothétiques
en monothérapie chez les patients chez qui le traitement par à long terme, en particulier carcinologiques ; ainsi, ont été
HU est inapproprié ou inadéquat. signalés récemment deux cas de leucémie aigüe pour lesquels
on ne connaît pas encore le lien de causalité exact. Des études
Traitements curatifs de suivi à long terme seront donc nécessaires pour évaluer
Greffe allogénique de cellules souches l'innocuité de la thérapie génique.
hématopoïétiques
L'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) de Déclaration de liens d'intérêts : Les auteurs sont consultants pour Global
Blood Therapeutics, Novartis, BlueBirdBio, Add Medica.
donneurs géno-identiques dans la fratrie est curative chez plus
399
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400
Dossier thématique
Mise au point
Le conseil génétique
des hémoglobinopathies :
aspects biologiques et cliniques
Frédéric Galactéros
Disponible sur internet le : Génétique clinique et médecine interne, groupe hospitalo-universitaire Henri-
1 septembre 2021 Mondor, Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP–HP), université Paris Est, IMRB -
U955 - Équipe no 2, Créteil, France
frederic.galacteros@aphp.fr
Résumé
Le conseil génétique de la drépanocytose n'a pas d'autre but que de fournir au couple désireux de
procréer, mais aussi à toute personne désireuse de comprendre les enjeux génétiques qui la concerne,
des connaissances qui ne peuvent être délivrées que fondées sur une caractérisation diagnostique la
plus robuste possible. Ces conditions doivent être réunies pour lui permettre un choix procréatif avisé.
Summary
Genetic counselling for hemoglobinopathies: Biological and clinical aspects
The purpose of genetic counseling in sickle cell anemia (historically known as drepanocytosis) is to
transmit knowledge on the subject not only to couples wishing to procreate, but also to any
person wishing to understand the challenges posed by single gene inheritance disorders. The
relevant information must necessarily be based on the soundest possible diagnostic characte-
rization, which is instrumental to elaboration of an informed reproductive choice.
Les gènes de l'hémoglobine ont un développement ontogé- Les gènes alpha sont en tandem par deux sur chaque chromo-
nique qui est sous-tendu par l'expression séquentielle des gènes some 16.
de type « alpha » positionnés sur le chromosome 16 et ceux de Le groupe des gènes « bêta » sont au nombre de cinq :
un gène embryonnaire ;
type « bêta » sur le chromosome 11. Les hémoglobines humai-
deux gènes fœtaux gamma ;
nes sont des tétramères associant deux globines de type
deux gènes définitifs delta et bêta (le gène delta est très
« alpha » à deux globines de type « bêta ».
Les deux types de globines « alpha » sont : faiblement exprimé, environ 1,5 % et bêta 48,5 %, soit au
embryonnaire ; total 50 %).
401
En conséquence, une mutation portant sur un seul gène alpha d'Afrique de l'Ouest centrée sur la Côte d'Ivoire, et les diasporas
affecte 50 % de la fonction alpha globine du locus, et au total qui en sont issues.
25 % pour le génome diploïde. La forme hétérozygote typique associe une polyglobulie micro-
Une mutation delta n'a jamais de traduction clinique. cytaire à une augmentation à plus de 3,3 % de l'hémoglobine
Une mutation bêta a une expression d'environ 100 % du locus et A2 qui résulte de l'expression des gènes delta. Les carences en
au total 50 %. folates ou cobalamine et en fer peuvent interférer à condition
Les gènes gamma sont doubles et groupés en tandem. Le gène g d'être importantes : les premières en masquant la microcytose ;
le plus en 50 est appelé Gg et l'autre Ag. Leur expression relative la seconde en l'accentuant ou la créant, et en abaissant le taux
(Ag/Gg) évolue après la naissance de 2/3 à 2/1 en même temps d'hémoglobine A2. Au cours des carences en fer, le taux d'hémo-
que leur expression globale (qui a commencé à diminuer au globine A2 baisse en proportion de l'importance de la carence. En
cours du dernier trimestre de la grossesse) s'amenuise rapide- moyenne, les valeurs d'hémoglobine à l'hémogramme sont
ment pour devenir inférieure à 3 % après un an. Les mutations inférieures de 2 g chez les hétérozygotes par rapport aux réfé-
gamma ont donc une expression qui varie rapidement, au rences. Ainsi, les seuils d'anémie qui leur sont applicables doi-
maximum au cours des 6 mois qui encadrent l'accouchement. vent tenir compte de ce contexte génétique : 10 g/dl pour les
femmes non enceintes, 11 g/dl pour les hommes.
Les hémoglobinopathies Chez les patients qui ont des valeurs d'hémoglobine inférieures
Ne seront décrites que celles ayant un retentissement clinique à ces seuils, il faut rechercher une cause associée d'anémie, a
notable. En effet si environ 1800 variations génétiques des fortiori s'il y a des signes physiques ou cliniques, en règle
gènes de l'hémoglobine ont été décrites, seules quelques cen- absents chez les simples hétérozygotes b thalassémiques :
taines modifient le phénotype érythrocytaire. ictère ;
les défauts de synthèse d'un type de protéine globinique ; ce surcharge en fer spontanée
les variants structuraux qui perturbent les propriétés fonction- Les causes associées d'origine génétique sont particulièrement
nelles du tétramère : importantes à caractériser quand il s'agit de conseil génétique :
trouble de la solubilité pour la mutation responsable de la les gènes alpha surnuméraires ; les déficits enzymatiques (G6PD
drépanocytose ; ++, Pyruvate kinase) ; les déficits membranaires (sphérocytose,
dégradation accélérée pour les hémoglobines instables ; stomatocytose).
altération du transport de l'oxygène pour les hémoglobines Quand il s'agit de pronostiquer la gravité future d'une éventuelle
à affinité modifiée et les hémoglobines oxydées en bêta thalassémie homozygote, ou d'une éventuelle association
méthémoglobine. S/b thalassémie au cours d'un conseil génétique destiné à un
couple d'hétérozygotes, on ne peut se dispenser d'une caracté-
Les thalassémies
risation moléculaire des gènes a et b de l'hémoglobine. Il y a un
Elles sont soit spécifiques d'un gène de globine et on parle alors
certain degré de corrélation phénotype/génotype qui permet
de g, d, b ou a thalassémies, soit d'un groupe de gènes : db, gdb,
de supposer que le retentissement d'une b+ thalassémies peut
et quelques autres délétions au locus « bêta ». Au locus « alpha »
être moins drastique que celui d'une b8, mais cela n'a rien
quand un seul des deux gènes alpha en tandem est défectif on
d'absolu ; par exemple dans les formes composites E/b8Tha-
parle d'a+thalassémies, et quand ce sont les deux,
lassémies, certains patients auront dès l'enfance une dépen-
d'a8thalassémies.
dance aux transfusions et d'autres une anémie sans
Les bêta thalassémies retentissement majeur.
Les nécessités de conseil génétique pour les formes composites Il existe des pièges diagnostiques. Certains peuvent être évités
S/bthalassémie imposent de savoir caractériser le versant btha- par la confrontation des éléments biologiques de base : certai-
lassémique de ce risque. nes b Thalassémies ne sont pas microcytaires mais l'hémoglo-
Il existe une grande variété de mutations abolissant plus ou bine A2 est augmentée ; d'autres sont microcytaires et non
moins complètement la synthèse finale de globine bêta par le ferriprives, mais l'hémoglobine A2 n'est pas augmentée et
gène affecté. Cependant dans beaucoup de populations concer- risquent d'être considérées par défaut comme des a thalassé-
nées, il y a 4 ou 5 mutations plus fréquentes qui constituent plus mies. D'où le caractère indispensable d'une caractérisation en
de 80 % des cas. Dans de nombreuses régions fortement génétique moléculaire de tels membres de couples dont le
impaludées, les populations comprennent plus de 5 % d'hété- conjoint est hétérozygote S.
rozygotes : nombreuses zones du pourtour méditerranéen, Inde, Il existe aussi des formes mimétiques acquises des b thalassé-
Pakistan, le Moyen-Orient, toute l'Asie du Sud-est, la zone mies au cours des hyperthyroïdies et certains traitements
402
Mise au point
antiviraux au cours de l'infection à VIH provoquent une aug- Encadre 1
mentation de l'hémoglobine A2 associée ou non à une micro- Indications du DPN dans les formes génétiques de
cytose inflammatoire. drépanocytose
donner, associés à une homozygotie S, l'allure électrophorétique hétérozygotie composite S/E asiatique ;
peut garantir que la réponse à des questions ciblées comme le nécessité des prélèvements ADN parentaux ;
risque de formes homozygotes S ou b thalassémiques. Les procédure de prélèvement selon le terme (tableau I) ;
403
interlocuteurs.
Consultation d'annonce
retentissements maternels (Douleur. . .) ; Elle doit réunir les mêmes interlocuteurs que la consultation
contraintes et limites de l'analyse génétique ; initiale et être proposée sans délai dès lors que le laboratoire
cas particulier des grossesses multiples. prévient d'une disponibilité proche du résultat. Elle peut per-
Présentation des bénéfices et risques du diagnostic mettre au couple de poser d'ultimes questions et, si besoin, de
prénatal demander un soutien psychologique [6].
Les bénéfices et risques sont : Dans les cas où la grossesse est poursuivie, il faut réexpliquer
risques maternels physiques et psychologiques ; l'existence du dépistage néonatal et les modalités de récupéra-
risques fœtaux. tion rapide du résultat. Un signalement de la future naissance
peut être adressé au laboratoire régional de dépistage néonatal
Modalités d'une éventuelle interruption de pour faciliter la transmission du résultat, tout particulièrement si
grossesse pour ce motif le DPN n'a pas été effectué.
Les modalités d'une éventuelle interruption de grossesse sont : Enfin il faut donner, si le besoin est ressenti par le couple, des
selon le terme ;
informations pour une autre grossesse et pour la procédure de
retentissements maternels et éventuelle prise en charge
DPI [7].
psychologique.
Déclaration de liens d'intérêts : l'auteur déclare ne pas avoir de liens
Modalités de l'annonce du résultat du DPN d'intérêts.
Les modalités de l'annonce du résultat du DPN sont :
consultation physique avec le conseiller ;
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