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Médecine Nucléaire 33 (2009) 518–521

Mise au point
¨dèmes et médecine nucléaire : pathologies et explorations
diagnostiques en médecine nucléaire§
Edema: Is there a role for nuclear medicine?
M. Lambert a,*,e, M. Segard b,e, D. Huglo c,e, V. Tiffreau d,e,
M. Perez a,e, C. Lamotte a,e, P.-Y. Hatron a,e
a
Service de médecine interne et d’exploration vasculaire, hôpital Huriez, CHRU de Lille, rue Polonovski, 59035 Lille cedex, France
b
Service de dermatologie, consultation de cicatrisation, hôpital Huriez, CHRU de Lille, 59035 Lille cedex, France
c
Service de médecine nucléaire, hôpital Huriez, CHRU de Lille, 59035 Lille cedex, France
d
Service de rééducation fonctionnelle, hôpital Swingedauw, CHRU de Lille, 59035 Lille cedex, France
e
Université de Lille Nord-de-France, 59000 Lille, France
Reçu le 28 mai 2009 ; accepté le 19 juin 2009

Mots clés : ¨dèmes ; Lymphœdème ; Lymphographie ; Landis

Keywords: Lymphedema; Edema; Lymphography

1. Introduction veineuse centrale et favoriser le passage du sérum dans


l’interstitium. La diminution du débit cardiaque fait diminuer la
Les œdèmes sont définis par une augmentation de la quantité volémie efficace, entraînant la rétention hydrosodée et
de liquide interstitiel, accumulation qui peut être localisée ou favorisant le développement des œdèmes [1]. Ce sont donc
généralisée, évoluant sur un mode aigu, récidivant ou les explorations cardiovasculaires, en particulier l’échocardio-
chronique. L’expression clinique repose sur quelques graphie, qui permettront le diagnostic. De même, une
symptômes cliniques usuels associant une prise de poids, hypoprotidémie liée à une malnutrition, une diminution de la
une augmentation du diamètre des membres inférieurs, avec synthèse protéique, une malabsorption digestive ou une
une expression clinique décrite comme une sensation de pieds à protéinurie d’origine glomérulaire vont entraîner une baisse
l’étroit dans les souliers le soir, des bagues impossibles à enfiler de la pression oncotique, une diminution du volume sanguin et
ou retirer. D’autres territoires peuvent être touchés que ce soit donc une diminution de la volémie efficace entraînant une
les membres supérieurs, le visage, la paroi thoracique ou vasoconstriction rénale, la rétention de sel et d’eau et donc des
abdominale. Ce sont les manifestations viscérales qui œdèmes ne nécessitant pas l’expertise des médecins nucléaires.
nécessitent qu’un diagnostic de la cause sous-jacente soit fait De nombreux médicaments peuvent être à l’origine d’œdèmes,
rapidement afin d’éviter de menacer le pronostic vital. par exemple les inhibiteurs calciques représentent 50 % des
Les maladies entraînant des œdèmes et justifiant l’expertise causes médicamenteuses d’œdèmes des membres inférieurs.
des médecins nucléaires ne sont pas nombreuses. L’insuffisance Les corticostéroïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens
cardiaque qui représente environ 1 % des causes d’œdème est peuvent être aussi à l’origine d’œdèmes des membres
par exemple une étiologie pour laquelle l’expertise du médecin inférieurs tout comme les bêtabloquants, la méthyldopamine,
nucléaire n’est pas nécessaire. En effet, la dysfonction les hormones (estrogènes, progestérone, testostérone) [2].
ventriculaire va entraîner une augmentation de la pression L’insuffisance veineuse superficielle ou profonde entraîne elle
aussi des œdèmes des membres inférieurs ne nécessitant pas le
recours aux explorations isotopiques. De même, les obstacles
§
Présentée lors du 21e séminaire d’hiver du 25 au 31 janvier 2009.
veineux profonds peuvent être à l’origine d’une insuffisance
* Auteur correspondant. veineuse et donc d’œdèmes des membres inférieurs que ce soit
Adresse e-mail : m-lambert@chru-lille.fr (M. Lambert). le classique syndrome de Cockett où l’artère iliaque primitive

0928-1258/$ – see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.mednuc.2009.06.002
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droite comprime la veine iliaque primitive gauche, entraînant


un défaut de retour veineux profond ou des compressions du
réseau veineux profond par des obstacles pelviens bénins ou
néoplasiques. Enfin parfois, le défaut de retour veineux est lié à
une anomalie congénitale des veines intra-abdominopel-
viennes, en particulier l’agénésie de la veine cave inférieure.
Comme nous l’avons déjà souligné, ces causes ne justifient
pas ou exceptionnellement l’expertise du médecin nucléaire.
Nous verrons en revanche que les entéropathies exsudatives
peuvent être à l’origine d’œdèmes et bénéficier d’explorations
isotopiques, mais c’est d’abord le diagnostic du lymphœdème
qui requiert l’expertise du médecin nucléaire.

2. ¨dèmes et médecine nucléaire

2.1. Le lymphœdème

Le lymphœdème [3] est la principale pathologie pour


laquelle le médecin nucléaire peut être sollicité. Il s’agit d’une
pathologie touchant environ 140 millions de personnes dans le
monde. La principale cause de lymphœdème est la compression
et/ou la destruction des lymphatiques. Les adénopathies
satellites d’un cancer, les curages ganglionnaires axillaires
ou lomboaortiques entraînent un défaut de retour lymphatique.
De même, les gestes chirurgicaux abordant une zone richement Fig. 1. Lymphœdème avec effacement des sillons interdigitaux (cliché du
Dr M. Lambert).
vascularisée en lymphatiques, comme le triangle de Scarpa,
peuvent être à l’origine de lésions lymphatiques ralentissant ou
empêchant le retour lymphatique et engendrant ainsi un
lymphœdème. À côté de ces lymphœdèmes secondaires, il
existe des lymphœdèmes primitifs ou idiopathiques d’origine
congénitale qui peuvent se révéler avant l’âge de deux ans et
sont alors qualifiés de « congénitaux ». Ils peuvent devenir
symptomatiques entre deux et 35 ans et sont dits « précoces »,
ou « tardifs » s’ils se révèlent après 35 ans. Ces lymphœdèmes
congénitaux « primitifs » dits tardifs doivent être connus car,
évoluant le plus souvent chez une femme, ils font évoquer une
cause sous-jacente tumorale dont le bilan étiologique s’avérera
négatif, ce qui peut faire multiplier les examens paracliniques
sans bénéfice pour la patiente. Par ailleurs, le lymphœdème
peut accompagner diverses pathologies plus générales, que ce
soit un syndrome de Klinefelter, de Klippel-Trenaunay, un
syndrome de Turner ou une triploïdie. . .
Une entité particulière, le syndrome des ongles jaunes [4],
doit être connue car elle associe un lymphœdème des membres
inférieurs, des ongles de couleur jaunâtre, des épanchements
pleuraux mais aussi des lymphangiectasies digestives
entraînant une entéropathie exsudative.
La sémiologie clinique des lymphœdèmes se caractérise par
un œdème blanc d’un ou plusieurs membres à prédominance
distale, ne prenant pas le godet. Les sillons interdigitaux sont
effacés, la peau difficilement plissable définissant le signe de
Stemmer (Fig. 1). Les chevilles ne sont pas respectées au
contraire des orteils. L’évolution chronique du lymphœdème se
fait vers un tableau de papillomatose définie par les dilatations
des canicules lymphatiques à la surface du revêtement cutané
(Fig. 2). Ce tableau s’accompagne volontiers d’ulcérations avec
exsudation lymphatique et risque de surinfection. À noter qu’un Fig. 2. Papillomatose au cours d’un lymphœdème (cliché du Dr M. Ségard).
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Il peut s’accompagner d’une chaleur et d’une douleur. Il est


secondaire à la dégranulation des mastocytes ou à l’activation de
la voie des bradykinines [8]. L’angiœdème peut être d’origine
allergique, médicamenteuse, héréditaire, idiopathique. . . [9].
Certains angiœdèmes peuvent justifier le recours au médecin
nucléaire pour la réalisation d’un test de Landis visant à évaluer
l’extravasation d’albumine marquée lors du passage du décubitus
à l’orthostatisme. C’est le cas pour l’œdème cyclique
idiopathique [10] qui touche volontiers une femme entre 20 et
30 ans qui présente de façon paroxystique des épisodes d’œdème
segmentaire du visage, des mains, des jambes. Il n’y a pas de
cause sous-jacente à rechercher et le tableau est relativement
typique. Un traitement par diurétique peut améliorer la patiente.
Il ne faut cependant pas méconnaître dans ce contexte
l’éventuelle imputabilité d’un allergène qu’il soit médicamen-
teux comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens, alimentaire
comme les noisettes, les œufs. . .

2.3. La lymphangiectasie intestinale [11]

Cette pathologie est caractérisée par un défaut de retour


lymphatique au niveau de la muqueuse digestive. Ce défaut de
retour lymphatique peut être d’origine hémodynamique, sur un
obstacle, une pathologie inflammatoire, idiopathique. Elle peut
Fig. 3. Lipœdème (cliché du Dr M. Lambert).
donc être secondaire à une péricardite constrictive, un
lymphome digestif, une maladie de Whipple, une tuberculose
lymphœdème peut volontiers s’accompagner d’une insuffi- digestive, une sarcoïdose, une maladie de Crohn, une
sance veineuse qui rend son diagnostic plus difficile. sclérodermie systémique. . .
Le diagnostic différentiel du lymphœdème est l’insuffisance Elle se caractérise cliniquement par des œdèmes diffus liés à
veineuse mais aussi le lipœdème [5] qui est caractérisé par une baisse de la pression oncotique secondaire à l’hypoalbu-
un excès de graisse touchant volontiers les deux membres minémie due à une perte digestive de protéines entraînant par
inférieurs, respectant les chevilles (Fig. 3) dont la composante ailleurs une lymphopénie et une hypogammaglobulinémie. La
graisseuse peut être authentifiée, si nécessaire, par le scanner ou forme primitive, c’est-à-dire sans cause retrouvée, se révèle le
l’IRM. plus souvent avant l’âge de trois ans mais parfois à l’âge adulte.
Le diagnostic du lymphœdème est essentiellement clinique Quelle que soit l’étiologie, la clairance de l’alpha-antitrypsine
mais, en cas de doute, l’expertise clinique peut être confortée digestive sera élevée. Le test isotopique de Gordon-Waldmann
par l’écho-Doppler veineux qui permet d’objectiver un aspect permettra d’évaluer les pertes digestives d’albumine marquée.
feuilleté de l’hypoderme. Le scanner ou l’IRM des membres Le diagnostic sera confirmé par l’endoscopie retrouvant des
inférieurs, même s’ils ne sont pas justifiés, pourraient montrer dilatations lymphatiques soit à l’examen optique (Fig. 4), soit à
un aspect dit en rayon de miel. La lymphoscintigraphie la biopsie muqueuse avec étude anatomopathologique. Le bilan
isotopique indirecte n’est pas indispensable au diagnostic morphologique complémentaire permettra de définir la cause
positif du lymphœdème dont la sémiologie clinique suffit à en sous-jacente, que ce soit grâce à l’échocardiographie [12] ou à
faire le diagnostic mais permet en revanche d’évaluer la zone où la tomodensitométrie thoracoabdominale. Cette pathologie
le débit lymphatique est retardé par un processus lésionnel, que peut se compliquer par un lymphome et surtout d’infections
ce soit tumoral ou traumatique [6]. liées à l’hypogammaglobulinémie. Le traitement consiste
La prise en charge thérapeutique de cette pathologie est essentiellement en l’utilisation d’huile d’acides gras à chaînes
globale, au long cours, et ne peut être que symptomatique : moyennes évitant l’engorgement des canalicules lymphatiques
l’apprentissage des drainages lymphatiques manuels avec et permettant généralement de voir les symptômes cliniques et
autobandage par des bandages peu élastiques permet de réduire biologiques disparaître de façon spectaculaire en quelques
l’importance du lymphœdème. Les soins de pédicurie réduisent semaines.
le risque d’érésipèle. La prise en charge psychologique de cette
maladie chronique est indispensable [7]. 2.4. La lymphangioléiomyomatose

2.2. Les angiœdèmes Cette pathologie rarissime (un à deux cas par million
d’habitants) [13] doit être différenciée du tableau de
L’angiœdème correspond à l’apparition brutale d’un œdème, lymphangiectasies digestives tant sur le plan physiopatholo-
en général segmentaire, touchant la peau ou les muqueuses. gique qu’en terme de pronostic. En effet, histologiquement, il
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poids, une oligurie et un collapsus cardiovasculaire [14]. Sur le


plan biologique, on note une hémoconcentration avec élévation
de l’hématocrite et de façon contradictoire une baisse de
l’albuminémie liée à son passage dans le secteur interstitiel. Le
test de Landis évaluant l’extravasation de l’albumine marquée
permettra de confirmer son passage dans le secteur interstitiel.
Cette pathologie exceptionnellement rare nécessite d’être
connue car la mortalité est extrêmement élevée et liée aux
procédures réanimatoires. L’utilisation des immunoglobulines
intraveineuses améliore nettement la survie des patients [15].

3. Conclusion

Les médecins nucléaires sont rarement sollicités face à un


tableau d’œdèmes segmentaires ou diffus. Le lymphœdème est
certainement l’un des seuls motifs de recours aux radioisotopes.
Pour autant, d’autres pathologies rares peuvent bénéficier de
Fig. 4. Lymphangiectasies digestives (cliché du Dr E. Vaillant). l’expertise des médecins nucléaires. L’utilisation des examens
d’imagerie nucléaire fonctionnelle peut aider le clinicien dans
une démarche diagnostique parfois difficile face à des
pathologies au cours desquelles le pronostic vital peut être
engagé à court terme.

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