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policy paper

L’ACCORD UE-CANADA :
CHEVAL DE TROIE OU
EXEMPLE À SUIVRE ?
Septembre 2016

Eugenia Bardaro
Policy Paper

L’ACCORD UE-CANADA :
CHEVAL DE TROIE OU
EXEMPLE À SUIVRE ?

Septembre 2016

Eugenia BARDARO | Conseillère CEPESS


Résumé

Négocié pendant cinq ans dans un secret presque total, le CETA, l’accord de libre-échange
conclu entre l’Union européenne et le Canada, est considéré par la Commission comme
l’accord le plus ambitieux que l’UE ait jamais conclu. Le CETA est le premier accord signé
après la signature du Traité de Lisbonne et qui inclut un dispositif de protection des
investissements pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Il présente
d’autres particularités : c’est le premier accord conclu avec un État membre du G8 et il
intègre également les dispositifs du Conseil de coopération réglementaire et d’ouverture
des services sur base d’une liste négative. Dès lors que le Canada et l’Europe jouissent déjà
de fortes relations commerciales et d’investissement, les bénéfices économiques du traité
devraient être relativement limités. Par contre, ce traité aura des impacts importants sur
de nombreux domaines tels que l’agriculture, l’alimentation, les services publics, ou encore
notre politique environnementale. Ces impacts affecteront durablement la vie de nos
citoyens et changeront notre modèle de société, en limitant la capacité des Etats à réguler
et réglementer afin de protéger les investisseurs. Car les enjeux, loin d’être purement
économiques et commerciaux, sont avant tout liés à l’identité et aux valeurs européennes.
L’accord soulève de nombreuses critiques trop vite balayées par ses partisans. Cette étude
présente les principaux impacts de l’accord, tant positifs que négatifs et conclut sur la
nécessité de 1) mettre en place une politique commerciale européenne capable de
répondre aux défis du XXI siècle et 2) de trouver un nouvel équilibre dynamique entre
croissance exogène et croissance endogène, afin de valoriser les acteurs économiques
actifs au sein de l’Union.
TABLE DES MATIERES

Introduction .............................................................................................................. 9

1. RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES ................................................ 11


1.1. Les racines d’un projet de traité ......................................................................... 11
1.2. Les objectifs politiques et stratégiques ............................................................... 13
1.3. Les objectifs économiques et commerciaux ........................................................ 13
1.4. Les bénéfices attendus ..................................................................................... 16

2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES ........................................................... 21


2.1 Libéralisation des services et protection des services publics ................................. 21
2.2 Accès aux marchés publics ................................................................................ 23
2.3 Le règlement des différends ............................................................................. 24
2.4 Mobilité des travailleurs ................................................................................... 29
2.5 Droits de propriété intellectuelle (DPI) ............................................................... 31
2.6 Droit de réglementer et exception culturelle ....................................................... 32
2.7 Le nœud agricole ............................................................................................. 33
2.8 Les Indications géographiques .......................................................................... 38
2.9 L’impact de l’accord sur la santé : une illustration des risques manifestes ............... 41
2.10 Commerce, développement durable et travail ..................................................... 43

3. QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR ? ...................................... 47


3.1 Défendre le multilatéralisme ............................................................................. 47
3.2 Commerce international et croissance endogène ................................................ 48
3.3 Une politique commerciale au service du développement humain ......................... 49
3.4 Une politique commerciale au service du modèle de développement européen ...... 51

Conclusion............................................................................................................... 54

BIbliographie ........................................................................................................... 58
INTRODUCTION
INTRODUCTION

INTRODUCTION

Jusqu'à récemment, les accords de libre-échange (ALE) étaient pour la plupart un


phénomène Nord-Sud caractérisé par une forte asymétrie entre les parties concernées. Cette
asymétrie avait un impact à la fois sur le processus de négociation et sur le contenu des
accords. En effet, les négociations de ce type d’accords étaient souvent rapides et leurs
normes étaient largement reproduites à partir de la législation des pays de l'OCDE et
transplantées via ces accords aux pays en développement. En revanche, le CETA met
ensemble deux grandes économies avancées.
1
Le CETA est le plus important ALE signé par le Canada après l'ALENA et le premier projet
européen de zone de libre-échange avec un pays du G8.

Comme la plupart des ALE conclus dans les années 2000, le CETA est un accord bilatéral,
interrégional, global, guidé avant tout par une volonté politique et fondé sur des règles
2
spécifiques . Il rassemble deux acteurs – l’UE et le Canada – qui sont des contributeurs actifs
à la multiplication actuelle d’accords de libre-échange.
Le Canada a récemment signé un Partenariat transpacifique (PTP) avec onze pays, à savoir
les États-Unis, le Japon, le Mexique, l'Australie, la Nouvelle Zélande, le Chili, le Pérou,
Singapour, la Malaisie, le Vietnam et Brunei ; l'UE est quant à elle en train de négocier un
partenariat de commerce et l’investissement avec les États-Unis (TTIP).

Le CETA ne se limite pas à traiter les questions commerciales telles que les droits de douane
3
et les règles d'origine ; mais il inclut également les questions socio-économiques telles que le
travail, les mesures sanitaires et environnementales. Comme la plupart des accords récents
de libre-échange, le CETA est à la fois plus large dans sa portée et caractérisé par une
4
intégration plus profonde que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) .

On pourrait donc manifestement qualifier cette nouvelle génération d’accords de libre-


échange comme « globaux » ou du « XXI siècle ». Un champ d’application plus large
notamment sur les questions réglementaires et une certaine asymétrie économique entre les
partenaires commerciaux, sont les deux caractéristiques de ces nouveaux accords de libre-
5
échange .

La présente contribution se focalise sur le contexte qui a conduit à la signature du CETA,


analyse dans le détail les principaux domaines couverts par l’accord, et les risques que la
ratification d’un tel accord pourrait avoir pour la défense du multilatéralisme commercial.

1
Accord de libre-échange entre les USA, le Canada et le Mexique.
2
Erick DUCHESNE, Jean-Frédéric Morin, “Negotiating the Next Generation of Bilateral Trade Agreements”,
International Negotiation, vol. 19, 2013.
3
Les “règles d’origine” constituent les critères qui permettent de déterminer l’origine nationale d’un produit : pour
être considéré comme un « produit canadien » ou un « produit européen », une marchandise doit atteindre un
certain niveau de contenu national. S’il est considéré comme un « produit national », il peut bénéficier des
préférences établies par CETA.
4
Henrik HORN, Petros C. MAVROIDIS et André SAPIR, “Beyond the WTO? An Anatomy of EU and US Preferential
Trade Agreement”, The World Economy, 33, 11: 1565–1588, 2010.
5
Erick DUCHESNE et Jean-Frédéric MORIN,op.cit.

9
1. RESSERER LES LIENS
TRANSATLANTIQUES
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

1. RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

1.1. LES RACINES D’UN PROJET DE TRAITÉ

L’idée de mettre en place une zone de libre-échange entre le Canada et l'UE n’est pas
nouvelle, mais pendant de nombreuses années, l'UE a rejeté toute initiative mise en avant
par le Canada.

Lors du sommet Canada-UE de 2004, les autorités canadiennes et européennes décidaient


d’entamer des négociations pour le Trade and Investment Enhancement Agreement (l’Accord
de renforcement du commerce et de l’investissement). Cet accord était conçu pour aller au-
delà des questions d'accès au marché pour couvrir les services, les marchés publics,
l'investissement, la propriété intellectuelle, et les qualifications professionnelles. Après
seulement trois rounds de négociations, le Canada et l'UE annonçaient leur décision
d’interrompre le dialogue, invoquant la nécessité d’attendre l'issue du cycle de Doha de
l'OMC avant de le poursuivre. Peu de temps après la rupture des négociations, un certain
nombre d'acteurs politiques ont travaillé activement pour lancer un nouveau projet d’accord
commercial.

À l'automne 2006, le nouvel Ambassadeur de la Commission européenne à Ottawa faisait


savoir qu'une fenêtre d'opportunité était ouverte si le Canada était intéressé par un
6
partenariat économique étroit avec l'UE . Le gouvernement du Québec, plus que tout autre,
a employé tous ses efforts pour prendre avantage de cette ouverture et réaliser un lobbying
actif auprès de la Commission, des principaux Etats membres de l'UE, ainsi que des autres
provinces canadiennes. L'alignement politique était particulièrement propice au sommet UE-
Canada tenu au Québec en octobre 2008. Du côté européen, la présidence tournante du
Conseil était à ce moment assurée par Nicolas Sarkozy, l'un des chefs d'État européens le
plus réceptif aux arguments du Québec pour la réouverture des négociations commerciales.

Du côté canadien, le Parti conservateur, traditionnellement plus favorable à la libéralisation


En 2009, le
économique que le Parti libéral, a été réélu le 8 décembre 2008 à Ottawa. Le premier
Canada et l’UE ont
ministre du Québec, Jean Charest, présidait le Conseil de la Fédération et avait avec succès
annoncé
convaincu les provinces canadiennes de soutenir le projet. Le soutien des provinces était une
officiellement le
condition préalable importante fixée par l'UE. Dans ce contexte, l'UE et les autorités
lancement des
canadiennes ont convenu de travailler ensemble pour définir la portée d’un accord
négociations pour
économique et commercial. Sept mois plus tard, au Sommet du mois de mai 2009, le Canada
un accord
et l’UE ont annoncé officiellement le lancement des négociations pour un accord
économique et
économique et commercial global.
commercial global.
Pendant cinq ans, d’octobre 2009 à août 2014, les négociateurs européens et canadiens ont
tenu des cycles de négociations tous les trois mois. Le 26 septembre 2014, la fin des
négociations a été célébrée lors d’un sommet UE-Canada, suivi par la publication de
l’intégralité du projet d’accord. L’examen juridique du texte s’est achevé en février 2016. Il
s’agit à présent de procéder à la ratification et la mise en œuvre de l’accord.

6
Patrick LEBLOND ., “The Canada-EU Comprehensive Economic and Trade Agreement: More to It Than Meets the
Eye.” Policy Options, July–August, 2010, 74–78.

11
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

Encadré 1 : La politique commerciale européenne

Qui conduit les négociations ?


En matière de politique commerciale, la Commission européenne négocie au nom de l’Union et
de ses 28 États membres, en consultation avec ces derniers et le Parlement européen (article
207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Au sein de la Commission, c’est la
Direction générale du Commerce, placée sous l’autorité du commissaire chargé du Commerce,
qui mène les négociations en collaboration étroite avec l’ensemble des autres services de la
Commission. Dans le cadre du CETA, la Commission a mené les négociations sur la base d’un
mandat adopté à l’unanimité par les États membres en 2009.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Le CETA a été signé le 26 septembre 2014 par les responsables européens et canadiens, à
l'issue de cinq ans de négociations. Le 29 février dernier, le Canada et la Commission
européenne ont annoncé la fin de l’examen juridique du texte anglais de l’accord. Dans le cadre
de cet examen juridique, des modifications ont été apportées au chapitre sur l’investissement
et notamment au mécanisme de règlement des différends. Le texte sera soumis à l’approbation
du Conseil et du Parlement européen. La Commission espère pouvoir le signer lors du Sommet
UE-Canada de Bruxelles en octobre 2016.
Quel est le processus de ratification ?
Le processus de ratification pour ces accords diffère selon leur nature. Un processus simplifié
est réservé aux accords "non-mixtes" qui ne touchent qu'aux compétences de l'Union
européenne :
1. Une approbation à la majorité qualifiée par les gouvernements des Vingt-Huit Etats
européens réunis en Conseil de l'UE (c'est à dire au moins 55 % des Etats
représentant 65 % de la population européenne)
2. Un vote à la majorité du Parlement européen

Le processus est plus complexe pour les accords "mixtes", car ceux-ci s'introduisent dans les
compétences réservées aux Etats-membres (comme par exemple la propriété intellectuelle ou
l'énergie). La procédure est dès lors la suivante :
1. Une approbation à l'unanimité des Vingt-Huit gouvernements européens réunis en
Conseil de l'UE ;
2. Ensuite, un vote à la majorité du Parlement européen ;
3. Enfin, il sera soumis à la ratification dans chacun des Vingt-Huit Etats européens, par
voie parlementaire ou référendaire. C’est sans doute l’étape la plus délicate, car un
“non” d’un seul parlement saborderait l’accord.

Notons qu’en Belgique, dans le cas où la « mixité » de l’accord est confirmée, la Belgique devra
également soumettre le texte de l’accord aux Parlements des entités fédérées.

En juillet dernier, la Commission a décidé de proposer le CETA comme un accord « mixte ».

Y aurait-il une application provisoire ?


L’Union européenne décide au cas par cas d’appliquer à titre provisoire la partie d’un accord qui
concerne les matières relevant des compétences de l’Union, dans l’attente de la ratification qui
permet l’entrée en vigueur de l’ensemble de l’accord. Cette technique est prévue par le droit
international des traités. Dans le cas d’un accord mixte, elle présente l’avantage de ne pas avoir
à attendre que toutes les procédures de ratification nationales, qui s’étalent sur plusieurs
années, soient achevées pour bénéficier des effets économiques de l’accord, car elle a en
pratique les mêmes effets que l’entrée en vigueur. Ce sont les Etats membres qui en
décideront : le Conseil européen doit se prononcer sur l’opportunité d’une application
provisoire.

12
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

1.2. LES OBJECTIFS POLITIQUES ET STRATÉGIQUES

Pour le Gouvernement canadien, le CETA a avant tout une valeur politique et stratégique
importante. Historiquement, la diversification du commerce a été un thème récurrent pour
les politiciens canadiens. Le CETA pourrait potentiellement rappeler que, si les États-Unis
adoptent un comportement protectionniste, le Canada a d'autres cartes dans sa main. Cela
dit, le gouvernement canadien ne veut certainement pas renoncer à la « relation spéciale »
qu'il entretient avec son puissant voisin.
Le CETA fournit une occasion pour le gouvernement canadien d’afficher une politique
commerciale indépendante. Jusqu'à récemment, la sélection des partenaires d'ALE de la part
du Canada n’était pas le résultat d'une stratégie identifiée, mais une simple réplique des
initiatives américaines. C’est ce qui explique que le Canada ait signé des accords avec le
Mexique, Israël, le Chili, le Costa Rica, le Pérou, la Colombie, la Jordanie et le Panama.
Du point de vue de l’Union européenne, le CETA présente surtout, pour ses défenseurs, un
intérêt stratégique. La volonté de créer une coopération économique plus étroite entre le
Canada et l'UE est encouragée par trois facteurs : 1) le blocage de l'Agenda de Doha pour le
développement à l'OMC ; 2) un changement fondamental dans la puissance économique vers
l’Asie ; et 3) l’importance du Canada en tant que producteur d'énergie, disposant d’un
gouvernement stable et démocratique.
Pour l’Europe, les négociations avec le Canada constituent un modèle archétypique de Pour l’Europe, les
négociations pour les futurs accords de libre-échange. L'UE négocie actuellement des ALE négociations avec
avec plusieurs autres partenaires, y compris l'Inde, l'ASEAN et le MERCOSUR. Il est le Canada peuvent
certainement plus facile pour l'UE de parvenir à un accord avec un pays de l'OCDE comme le servir de modèle
Canada qu'avec les économies émergentes en ce qui concerne notamment un certain pour les futurs
nombre de questions telles que l'accès aux marchés, les services, les normes du travail et la accords de libre-
coopération environnementale. échange
Les négociations dans le cadre du CETA ne peuvent donc s’analyser indépendamment des
autres négociations en cours. Ainsi, l'UE, par exemple, ne pouvait pas accepter une position
de compromis sur la protection des brevets pharmaceutiques dans le cadre du CETA, sachant
que l'Inde, avec qui elle est en train de négocier un ALE, est farouchement opposée à la
position européenne sur cette question. Dans ce dossier de la protection des brevets, la
position adoptée dans le cadre du CETA pourrait par conséquent constituer un précédent
important pour l’UE.

1.3. LES OBJECTIFS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIAUX

Pour le Canada, un accord bilatéral avec l'UE pourrait lui donner un meilleur accès au marché
européen qui représente 500 millions de consommateurs, et l'aider à attirer des
investissements supplémentaires, de la technologie et des travailleurs qualifiés provenant
d’Europe.

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L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

Tableau 1 : Canada - Indicateurs principaux


Indicateurs Unité 2012 2013 2014 2015

Population Millions 34,7 35,1 35,5 35,8


d’habitants

PIB Mds d’€ 1.419,9 1.383,5 1.342,7 1.399,2

PIB € 40.920,7 39.413,7 37.862,2 39.055,4


par habitant
Croissance % 1,7 2,2 12,5 1,2
réelle du PIB

Source : World Economic Outlook

ème
En ce qui concerne le commerce, le Canada est le 11 partenaire commercial le plus
important de l’UE, ce qui représente 1,8 % du commerce extérieur total de l’UE. A titre de
comparaison, les Etats-Unis et la Chine, les deux plus importants partenaires commerciaux
de l’Union, représentent 17,6% et 14,8% du commerce européen.

Tableau 2 : Canada – Indicateurs commerciaux


Indicateur Unité Année Importations Exportations Total Balance
Commerciale
2015 Md 2015 28.231 35.221 64.453 6.990

Classement 2015 12 13 11
comme
Partner EU
Part % 2015 1,6 2,0 1,8
dans le
commerce
de l’UE
Taux de % 2014 2,9 11,3
croissance 2015
annuel
Source : DG Trade, CE

Pour le Canada, l’UE représente le second marché en importance après les États-Unis, avec
9,2% environ du commerce extérieur. La valeur des échanges bilatéraux de marchandises
entre l’UE et le Canada s’est établie à 59 milliards d’euros en 2014. Les machines, les
équipements de transport et les produits chimiques représentent une part prédominante des
exportations de biens européens vers le Canada.

14
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

Graphique 1: Le commerce de biens UE-Canada

Source : DG Trade, CE

Les échanges bilatéraux de services entre l’UE et le Canada se sont élevés à 28 milliards
d’euros en 2015. Parmi les services négociés entre le Canada et l’UE, il y a le transport, la
mobilité, les assurances et la communication.

Graphique 2 : Le commerce de services UE-Canada

Source : DG Trade, CE

En 2014, les investisseurs européens détenaient des investissements représentant plus de


274 milliards d’euros au Canada alors que les stocks d’investissements directs canadiens dans
l’UE s’élevaient à près de 166 milliards d’euros. Ainsi, l’UE a été le deuxième investisseur au
ème
Canada, avec environ 26,3 % des afflux d’IDE du Canada, tandis que le Canada est le 4 plus
grand investisseur dans l’UE (environ 4,3 % de l’IDE de l’UE).

15
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

Graphique 3: Les investissements directs à l’étranger

Source : DG Trade, CE

L’Union européenne et le Canada ont des relations économiques et commerciales de longue


D’un point de vue
date. Toutefois, d’un point de vue purement commercial, le Canada ne représente pas une
commercial, le
priorité pour l’Europe. La signature d’accords de libre-échange entre l’UE et des économies
Canada ne
émergentes offre un plus grand potentiel de croissance par rapport au CETA. Le volume
représente pas
d'échanges actuels avec ces pays émergents est également plus grand que le commerce avec
pour l’Europe une
le Canada. L'Inde et le Brésil, deux pays avec lesquels l'UE négocie actuellement des ALE,
priorité. ème ème
sont respectivement le 9 et le 10 partenaire commercial de l’UE, avec 2,2% et 1,9% des
exportations de l'UE. Le Canada est rarement dans le top 5 des partenaires de l'UE pour
toutes les principales catégories de marchandises, sauf pour l'importation de minerais et de
métaux (notamment l’or, les diamants, les minerais de fer, l'uranium) et pour l'exportation de
produits pharmaceutiques.

Sans surprise, une communication de 2006 identifiait l'ASEAN, la Corée du Sud et le


MERCOSUR comme des partenaires prioritaires pour les négociations d’accords de libre-
échange, et non le Canada. Depuis lors, la Commission a poursuivi sa stratégie. Elle a signé
un ALE avec la Corée du Sud en 2010 et négocie actuellement des ALE avec un certain
nombre de pays y compris l'Inde, Singapour, la Malaisie, l'ASEAN et le MERCOSUR.

1.4. LES BÉNÉFICES ATTENDUS

Pour clarifier leurs gains respectifs attendus, le Canada et l'UE ont conjointement mené une
7
étude d'évaluation d'impact préalable à l'ouverture de négociations . Cette pratique, de plus
en plus commune dans les négociations commerciales, facilite les décisions politiques dans
un contexte d'incertitude en fournissant une base d’évaluation commune. La conclusion de

7
CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic
Partnership: A Joint Study by the European Commission and the Government of Canada, 2008.
http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2008/october/tradoc_141032.pdf

16
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

cette étude conjointe est que le Canada et l'UE pourraient bénéficier du CETA. Cet accord
devrait conduire sur le long terme à une augmentation globale du PIB réel, du total des
exportations, de la balance commerciale et des salaires du Canada et dans l'UE.
L’augmentation du niveau d'activité économique résultant de l’accord a été estimée à 11,6
8
milliards d’euros pour l'UE et de 8,2 milliards d’euros pour le Canada .

Vu que le PIB de l'UE est environ dix fois plus grand que celui du Canada, les gains attendus
Les gains attendus
comme mesure du PIB ont été estimés à 0,08% pour le premier et 0,77% pour le deuxième.
comme mesure du
Néanmoins, les gains en termes absolus restent peu fiables et les évaluations des impacts du
9 PIB ont été
CETA varient considérablement d'une étude à l'autre . Toutes les études d'évaluation,
estimés à 0,08%
cependant, convergent sur le fait que le degré de symétrie n’est pas constant dans les
pour l’UE et à 0,77
différents domaines couverts par l’accord.
pour le Canada
Toujours selon l’étude, la libéralisation du commerce pourrait amplifier les échanges
commerciaux canado-européens de 41,2 milliards de dollars entre 2007 et 2014, soit un
accroissement de 23 %. Près des trois quarts de cette augmentation (29,8 milliards de
dollars) seraient attribuables au commerce de biens. D’après l’étude, les exportations
canadiennes de biens vers l’UE pourraient grimper de 10,1 milliards de dollars (24,3 %)
pendant cette période et les exportations européennes vers le Canada, de 19,6 milliards de
dollars (36,6 %).

Dans l'ensemble, le CETA pourrait bénéficier simultanément tant à l'UE qu’au Canada. L'UE
serait le principal bénéficiaire de la libéralisation des marchés publics et du renforcement des
droits de propriété intellectuelle. Le Canada serait le principal bénéficiaire de la libéralisation
partielle des tarifs douaniers sur le porc, le poisson, les fruits de mer, le blé et le bœuf sans
hormone.

Les services représentent une part significative et comparable de la valeur ajoutée totale au
10
Canada (66,8% de l'activité totale) et dans l'UE (73,6% de l'activité totale) en 2010 . Comme
les obstacles aux échanges de services sont encore élevés dans les deux économies, les
exportations canadiennes et européennes dans les services pourraient se développer à un
11
taux de croissance haute similaire (environ 14%) à la suite du CETA . Cependant, l’expertise
européenne dans les services est plus concentrée dans des secteurs spécifiques, tels que les
télécommunications, le transport maritime et les services financiers. Les fournisseurs de
services européens dans ces secteurs pourraient pénétrer significativement le marché
canadien. Pour le Canada, les gains attendus de la libéralisation des services seront
probablement plus diffusés sur l’ensemble des services.

La question des investissements est un autre domaine où les relations économiques sont
relativement symétriques. Plusieurs chapitres du CETA, y compris l'accès aux marchés, les
services et les droits de propriété intellectuelle, stimuleront probablement les flux

8
Ibidem
9
R. CAMERON., and Loukine KONSTANTIN, Canada-European Union Trade and Investment Relations: The Impact of
Tariff Elimination. Ottawa: DFAIT, 2011.
Colin KIRKPATRICK, et al.,A Trade SIA Relating to the Negotiation of a Comprehensive Economic and Trade Agreement
(CETA) Between the EU and Canada. 2011, Trade 10/B3/B06, 2011 (www.eucanada-sia.org).
10
OECD, OECD Factbook Value Added by Activity, Paris, 2012.
11
CANADA AND EUROPEAN COMMISSION, Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic
Partnership: A Joint Study, op. cit., 2008. Les importations canadiennes de services européens augmenteraient de
7,7 milliards de dollars (13,1 %), tandis que les exportations de services canadiens vers l’UE progresseraient de
3,5 milliards de dollars (14,2 %).

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L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

d'investissements directs à l'étranger (IDE) dans une grande variété de secteurs tels que
l'énergie, les ressources naturelles, l’aérospatiale, le transport, la communication et la
technologie.

Des zones d'incertitude demeurent, telles que l’impact de la protection des investissements
sur les flux d'IDE, l'harmonisation réglementaire et l'impact de la protection accrue des droits
de propriété intellectuelle au Canada.

Il faut néanmoins interpréter avec prudence les résultats d’une évaluation de l’incidence
économique d’un accord commercial. D’abord, dans le cas de l’étude citée, l’incidence prévue
du libre-échange se fonde sur des suppositions quant au résultat des négociations. Par
exemple, l’étude suppose que les augmentations prévues reposent notamment sur la
réussite des négociations du cycle de Doha de l'OMC. Par ailleurs, elle présume la complète
12
élimination des tarifs et des contingents tarifaires dans tous les secteurs industriels et
agricoles, y compris les secteurs sensibles.

Une telle évaluation donne une indication de l’incidence qu’un tel accord commercial pourrait
avoir sur les pays participants, indépendamment de tout autre facteur et sous réserve de
certaines hypothèses.

Par ailleurs, l’étude présente des résultats globaux. Les gains totaux s’accompagnent
pourtant d’une addition de gains et de pertes à des niveaux plus micros, tant au niveau
géographique que sectoriel. Dès lors, quand bien même le résultat total serait positif, il
implique également une diminution d’activité significative dans certains secteurs d’activité. Il
n’est pas garanti que ces pertes soient, au niveau sociétal, compensées par les pertes ailleurs,
ni que les compensations soient observées pour chaque zone géographique.
13
Une récente étude de la Tufts University contredit les projections de croissance et d’emplois
14
mises en avant par l’Union européenne depuis le début des négociations .

L’étude conjointe se base sur le modèle de simulateur, dit d’équilibre général calculable. Or
ce modèle utilise des hypothèses telles que le plein emploi et la stabilité dans l’allocation des
ressources. C’est pour cette raison que, d’après les chercheurs de la Tufts University, l’étude
commanditée par la Commission ne constitue pas une base solide permettant de prendre des
décisions politiques, dans la mesure où celle-ci repose largement sur un modèle économique
inapproprié.

Kohler et Storm proposent une évaluation du CETA basée sur un autre modèle et sur des
hypothèses plus probables en matière de coûts d’ajustement économiques et de directions
Le CETA
politiques.
entraînerait la
destruction de plus Leurs résultats se distinguent radicalement des estimations mises en avant par la
de 200.000 emplois Commission. D’après ces chercheurs, le CETA entraînerait des effets négatifs sur le long
en Europe terme allant jusqu’à la destruction de plus de 200.000 emplois en Europe. Le CETA

12
Les contingents tarifaires sont des quotas d’importation qui permettent à une certaine quantité de marchandises à
droit nul de pénétrer le marché canadien ou européen (par exemple : la viande de bœuf).
13
Pierre KOHLER, Servaas STORM, CETA Without Blinders : How cutting Trade Costs and More Will cause
Unemploymen, Inequality and Welfare Losses, Tufts University, September 2016.
14
L’étude se base sur le même modèle utilisé par Jeronim CAPALDO pour analyser le TTIP. Cfr The Trans-Atlantic
Trade and Investment Partnership: European Disintegration, Unemployment and Instability, 2014, Tufts University.

18
RESSERRER LES LIENS TRANSATLANTIQUES

entraînerait des pertes nettes en termes de PIB. L’Italie subirait une forte contraction de son
PIB (-0,78%), suivie par la France (- 0,65%) et l’Allemagne (- 0,37%).

Ces chiffres démontrent à quel point les résultats peuvent varier en fonction de l’utilisation
d’un modèle d’analyse différent. La décision d’entamer ou non des réformes commerciales
d’envergure ne peut se fonder uniquement sur des études mandatées.

Il est par conséquent d’une importance majeure d’encourager la mise en place de forums où
les hypothèses normatives peuvent être explicitées, les conclusions contradictoires
comparées, les recherches pro forma clairement mises au rebut, et les zones d'incertitude
reconnues. L'établissement d'un forum pour les chercheurs, parallèlement à des forums
existants pour la consultation des parties prenantes, pourrait donner à ce type d’accords
commerciaux de nouvelle génération, la crédibilité et la légitimité nécessaires.

Tableau 3 : Les effets à long terme du CETA sur la croissance et l'emploi

Taux de croissance Perte cumulative Emplois


moyen
% du PIB En milliers
%

Canada -0,12 -0,96 -23

UE (totale) -0,06 -0,49 -204

Allemagne -0,05 -0,37 -19

France -0,09 -0,65 -45

Italie -0,11 -0,78 -42

Royaume-Uni -0,03 -0,23 -9

Autres pays de -0,07 -0,53 -89


l’UE

CETA (totale) -0,07 -0,53 -277

Reste du monde -0,01 -0,06 -80

Source : Kohler et Storm

19
2. UN ACCORD AUX FAILLES
MULTIPLES
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

2. UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES


Le CETA comporte dans sa version consolidée 42 chapitres couvrant un large éventail de
matières. Les 2 premiers sont consacrés au préambule et aux définitions, les 7 derniers
clarifient une multitude de situations juridiques particulières à travers des déclarations
spécifiques (déclaration sur les Vins et spiritueux, sur la République de Saint-Marin, etc.). La
plupart des chapitres portent sur la libéralisation du commerce sur base des principes tels que
le « traitement national » et « la clause de la nation la plus favorisée ». On y retrouve
également des dispositions pour la facilitation du commerce et notamment des procédures
douanières grâce à un échange d’informations automatiques et la mise en place d’un
organisme conjoint pour simplifier les procédures.

2.1 LIBÉRALISATION DES SERVICES ET PROTECTION DES SERVICES


PUBLICS

La libéralisation du commerce des services exige des garanties solides afin d’assurer la
capacité des pouvoirs publics à fournir des services de haute qualité.
15
Dans le CETA , les négociateurs canadiens et européens ont décidé de se baser sur une
approche de liste dite négative en excluant les secteurs de services qui échapperont à la
libéralisation. Aucune restriction autre que celles qui sont explicitement mentionnées n'est
applicable.
Dans la plupart des accords commerciaux, ce sont des listes positives qui sont utilisées : dans
ce cadre, les législateurs listent explicitement les services qui seront libéralisés. Cette
approche positive permet donc aux autorités publiques de conserver un meilleur contrôle sur
les services publics y compris sur les services qui émergeront dans l’avenir. Cela n’est donc
pas le cas pour le CETA. En effet, dans le cadre de l’accord, non seulement les investisseurs
16
bénéficieront de toute libéralisation qui interviendra dans le futur – mécanisme de cliquet –
mais, de plus, aucun retour en arrière - mécanisme du statu quo- ne sera possible.
Ce processus menace la tendance croissante à la re-municipalisation des services de gestion
et de distribution de l'eau (en France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède et Hongrie), et les
services de transport (au Royaume-Uni ou en France). Revenir sur les privatisations du passé
pourrait être considéré comme une violation des accords. Pourtant, les pouvoirs publics
doivent rester maîtres de leur espace et pouvoir éventuellement corriger certaines décisions
dans l’intérêt général, y compris, le cas échéant, en instaurant un cadre régulé.
La Commission minimise les effets des listes positives et prétend que, pour ce qui est des
listes, il s’agit de questions purement techniques. Or comme le souligne Krajewski, la
distinction des approches entre la liste positive et négative est cruciale pour la détermination
de l’impact des accords commerciaux sur les services publics. En particulier, alors qu’une
approche par liste positive permet dans un certain secteur de s’abstenir de prendre des
engagements dans ce secteur, tout simplement en ne l’incluant pas dans leur liste, une
approche par liste négative empêche cette technique : au lieu de cela, les pays doivent
spécifiquement dresser la liste des secteurs exclus dans leurs annexes et aussi mentionner

15
Les dispositions relatives au commerce des services se trouvent dans le chapitre 9.
16
Lorsqu’un gouvernement applique des mesures de libéralisation, ce niveau de libéralisation s’impose.

21
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

positivement les mesures qu’ils souhaitent maintenir, ou délimiter soigneusement une


17
exclusion règlementaire pour des mesures futures .
Quant aux services publics, le CETA ne prévoit pas une exception générale pour les services
d'intérêt général et services d'intérêt économique général pour l'ensemble de l'application de
l'accord, seule une combinaison hiérarchique des exceptions et réserves, laissant des parties
18
du groupe des SIG et SIEG vulnérables aux contestations en vertu de l'accord .

Le chapitre 8 sur « l’investissement » et le chapitre 9 sur « le commerce transfrontalier des


services » ne sont pas applicables, au sens des articles 8.2 et 9.2, aux « activités réalisées dans
l’exercice d’un pouvoir gouvernemental défini comme des activités qui ne sont exercées ni
sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs opérateurs économiques ».
Cette exemption, trop étroite, risque d’exposer des secteurs considérés pourtant comme des
services d’intérêt économique général aux obligations du CETA.
Toutes les réserves formulées par l’UE et le Canada au niveau des investissements se
retrouvent sur deux annexes. « L’annexe I » énumère toutes les mesures et restrictions
existantes que le Canada, d'une part, et l'UE et ses États membres, d'autre part, souhaitent
maintenir à l'égard des prestataires de services et des investisseurs de l'autre partie.
Le second correspond à « l’annexe II », qui énumère également les mesures et restrictions
existantes que les parties souhaitent continuer à appliquer, mais prévoit en outre la
possibilité d'adopter des mesures nouvelles ou différentes (même plus restrictives) à l'avenir.
C’est important pour les secteurs plus sensibles, dans lesquels les parties souhaitent
conserver leur capacité à réglementer l'activité économique, pour des raisons qui leur sont
propres, même si cela implique de limiter l'accès à leurs marchés ou de défavoriser des
prestataires de services et des investisseurs étrangers.
Il est donc légitime d’affirmer que les services publics sont inclus dans les règles de
l’accord. Les exclusions explicites prévues dans le CETA - les services réalisés dans
l’exercice d’une autorité gouvernementale et les services audiovisuels - ne sont pas
suffisantes pour les protéger sans aucun doute possible.

Des risques possibles


En raison de ce manque d'exclusion sans ambigüité des services publics de l'accord, il
semblerait que l'Allemagne ait choisi d'être rassurée en émettant dans l'Annexe II de larges
réserves à propos de la santé et des services sociaux de manière générale c’est-à-dire dans les
cinq domaines couverts par le CETA (Accès aux marchés, Traitement national, Traitement de
la nation la plus favorisée, Prescriptions de résultats, Dirigeants et conseils d’administration) :
« L’Allemagne se réserve le droit d’adopter ou de maintenir toute mesure relative à la
prestation du système de sécurité sociale de l’Allemagne, en ce qui concerne les services qui
peuvent être fournis par diverses entreprises ou entités sur une base commerciale et qui ne
sont donc pas des « services dispensés dans l’exercice exclusif de l’autorité
gouvernementale ». L’Allemagne se réserve le droit d’accorder un traitement plus
avantageux dans le cadre d’un accord commercial bilatéral en ce qui a trait à la prestation de
19
services de santé et de services sociaux » .

17
Markus KRAJEWSKI, Public services in bilateral free trade agreements of the EU. European Federation of Public
Service Union, 2011, p.31.
18
Thomas FRITZ, Public services under attack .TTIP, CETA, and the secretive collusion between business lobbyists and
trade negotiators, eds., AITEC, CEO, EPSU, IGO, TNI, Vienna Chamber of Labour, War on Want, 2015.
19
CETA, p. 1382.

22
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

La Commission a inclus dans l’accord une réserve applicable à toute l’UE pour l’accès au
marché de la fourniture d’eau potable. Cependant, cette réserve se limite à la collecte,
l’épuration et la distribution de l’eau ; les autres activités ne sont donc pas protégées. Une
liste positive excluant la fourniture d’eau potable aurait garanti la juste protection. Pour ce
qui est du traitement des eaux usées, seule l’Allemagne a demandé une réserve pour l’accès
au marché. Une protection générale du traitement des eaux usées n’est pas prévue dans le
cadre du CETA.

L’ouverture réciproque aux investissements est non seulement prévue de manière large
dans le CETA, mais en outre le principe de la liste négative et le mécanisme du cliquet
orientent l’évolution dans une seule direction : celle de la dérégulation et de la
libéralisation toujours accrue. Cette libéralisation toujours plus large porte préjudice à la
justice sociale et au bien-être de l’ensemble des citoyens.

2.2 ACCÈS AUX MARCHÉS PUBLICS

Selon les estimations de l’OMC, l’achat de biens et services au travers des marchés publics
20
représente entre 10 et 15% du PIB dans les pays développés . Ce type de marchés constitue
donc un outil important de développement économique.
Dans le cadre du CETA, le Canada permettra un accès plus complet et plus favorable à ses
marchés publics que dans tous les autres accords de libre-échanges auxquels il participe.
L’UE a notamment obtenu l’ouverture des marchés publics par les provinces et municipalités
canadiennes qui en étaient jusqu’à présent exclues.
Seuls deux domaines dans deux provinces font l’objet de restrictions de la part du Canada :
d’une part les entreprises publiques du secteur de l’énergie dans les provinces de l’Ontario et
du Québec ; d’autre part le domaine des transports publics.
L’inclusion d’un chapitre sur les marchés publics dans le CETA aura une variété d’impacts
économiques qui sont positifs pour certains et négatifs pour d'autres. Le principal effet
attendu de ce chapitre est d'encourager la compétitivité dans le processus d'appel d'offres.
La concurrence accrue peut entraîner des économies pour les autorités publiques
canadiennes. Le CETA permettra probablement aux entreprises de l'UE d'acquérir une
certaine part des marchés publics auxquels elles ne pouvaient pas accéder auparavant, par
exemple dans certains services publics. L’accord permet également aux entreprises
canadiennes de faire quelques gains, bien que relativement moindre, dans le marché
européen.
Le CETA peut créer certains effets positifs en termes de choix plus large des fournisseurs de
services, bien qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer clairement que l’ouverture
des marchés publics améliorera la qualité des biens et services publics.
En revanche, les dispositions contenues dans le CETA risquent aussi d’empêcher les
municipalités d’utiliser les marchés publics pour respecter des objectifs sociétaux comme par
exemple le soutien à l’agriculture locale. Les engagements des provinces ont été aussi élargis
au-delà des engagements prévus dans le cadre de l’accord sur les marchés publics de l’OMC.

20
WORLD TRADE ORGANIZATION, “Government Procurement — WTO and government procurement », 2014.
http://www.wto.org/english/tratop_e/gproc_e/gproc_e.htm

23
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

La plus grande ouverture des marchés publics bénéficiera surtout aux grandes entreprises
européennes. Le CETA ne mentionne que très peu les PME et ne prévoit pas de dispositions
21
spécifiques pour les soutenir. Il ne comporte pas un chapitre spécifique pour les PME . Le
22
Parlement européen, dans sa résolution sur le TTIP, recommandait une telle inclusion .
D’après l’UCM, en Belgique, seules 8,4% des entreprises de moins de 50 personnes réalisent
23
plus de 50% de leur chiffre d’affaires à l’exportation . Pour la plupart d’entre elles, il s’agit
d’exportations vers des pays frontaliers. Les pourcentages pour la « grande » exportation ne
représentent que 0,06%. 63% des entreprises de moins de 50 travailleurs déclarent ne pas
réaliser de chiffre d’affaire à l’exportation.
Quant à la chaîne de valeur, seules 18% tirent plus de 50% de leur chiffre d’affaires de la sous-
traitance de grandes entreprises.
Ces chiffres montrent donc que les PME susceptibles de bénéficier des grands accords tels
que le CETA et le TTIP ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des PME belges.
Au niveau européen, 99.3% des PME européennes n’exportent pas au-delà de l’Union
européenne. Cela veut dire que seule une petite partie des PME serait concernées par
l’accord. En plus, même si le CETA pourrait faciliter des flux commerciaux transatlantiques,
cela pourrait avoir des répercussions négatives sur les flux intra-européens.
L’accord permet de faciliter l’accès aux marchés publics de part et d’autre et pourrait
amener à des réductions de coûts pour les autorités publiques. Toutefois, cette ouverture
bénéficiera principalement aux grandes entreprises, les PME manquant de ressources
pour y accéder. Par ailleurs, aucune clause n’est prévue afin de favoriser
l’approvisionnement local, le développement de circuits courts ou le respect de critères
sociaux ou environnementaux (alors que ces clauses peuvent être aujourd’hui invoquées
au Canada et que nombreux sont ceux qui souhaitent le prévoir au niveau européen).

2.3 LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Dans la plupart des accords internationaux conclus ou en discussion, le règlement des


différends est assuré par l’Investor-state dispute settlement (ISDS), qui instaure des tribunaux
d’arbitrage ad hoc afin de protéger les entreprises d’abus de droit perpétrés par les Etats où
elles s’installent. Il existe actuellement près de 3.200 Traités Bilatéraux d’investissements
24
(BITs) comprenant une clause ISDS . Ce mécanisme est cependant vivement critiqué,
notamment parce qu’il bénéficie largement aux grandes entreprises et par ailleurs parce qu’il
met sur un même pied les revendications commerciales des entreprises et la capacité de
régulation des Etats, menaçant constamment celle-ci.

21
Ferdi DE VILLE, op.cit. p.15.
22
EUROPEAN PARLIAMENT, European Resolution of 8 July 2015 containing the European Parliament’s
recommendations for the European Commission on the negotiations for the Transatlantic Trade and Investment
Partnership, Strasbourg, 8 July 2015.
23
Cfr données de l’UCM, Note technique sur le TTIP, juillet 2015.
24
Elvire FABRY et Giorgio GARBASSO, L’ISDS dans le TTIP : le diable se cache dans les détails, Notre Europe, 13
janvier 2015.

24
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Dans la pratique, plusieurs décisions ont tendu à remettre en cause le droit des États à
légiférer et notamment les législations environnementales, sociales ou sanitaires des Etats
qui allaient à l’encontre des intérêts de certaines entreprises. L’Allemagne a ainsi été
attaquée pour avoir décidé de sortir du nucléaire, et l’Australie pour sa politique antitabac.
De nombreuses inquiétudes se sont également exprimées à propos du manque de
transparence des procédures et des risques de conflit d’intérêt.
Pour répondre aux nombreuses critiques émises sur l’ISDS notamment lors d’une vaste
consultation publique lancée par la Commission européenne en 2014, les négociateurs
européens et canadiens ont profité du « toilettage juridique » pour remanier discrètement,
mais en profondeur, le chapitre le plus controversé du traité : les tribunaux d’arbitrage privés.
L’ISDS a été remplacé par un nouveau système plus transparent et plus stable, baptisé
International Court System (ICS). Les principaux éléments de cette nouvelle approche de
l’Union en matière d’investissements avaient déjà été énoncés par la Commission dans sa
proposition relative au TTIP de novembre 2015.
25
Le nouveau chapitre sur les investissements comprend notamment :
 une formulation plus contraignante quant au droit de réglementer à tous les niveaux
de gouvernement en ce qui concerne la protection des investissements;
 la mise en place d’un tribunal permanent chargé de régler les différends, ce qui
représente une avancée par rapport au système actuel d’arbitrage ad hoc. Les
membres du tribunal ne seront plus nommés par l’investisseur et l’État concernés
par le différend, mais seront nommés à l’avance par les parties à l’accord et selon
des procédures préétablies ;
 des règles d’éthique plus détaillées pour éviter tout conflit d’intérêts ;
 un système permettant de faire appel ;
 l’engagement de l’Union européenne et du Canada de mettre en place une
juridiction multilatérale permanente en matière d’investissements ainsi qu’un
mécanisme d’appel permanent.

Protection des investissements


Le principal risque de dérive concernant le système de l’arbitrage ISDS vient du manque de
précisions quant aux définitions juridiques protégeant les intérêts des entreprises. La
première version du CETA encadrait déjà fortement la notion d’expropriation indirecte, à
laquelle les entreprises se réfèrent souvent pour obtenir des compensations financières en
cas de décision politique défavorable à leurs intérêts ; mais des zones d’ombres subsistaient.
La version révisée du texte de l’accord comprend un nouvel article (8.9) qui garantit que le
droit de réglementer à des fins de politiques publiques est préservé. Il est précisé que les
Parties ont le droit de “modifier [leurs] lois d’une manière qui affecte négativement les
.
investissements ou interfère avec les attentes des investisseurs”
« Pour l’application du présent chapitre, les Parties réaffirment leur droit de réglementer sur
leurs territoires en vue de réaliser des objectifs légitimes en matière de politique, tels que la
protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement ou de la moralité publique,

25
Chapitre 8 : INVESTISSEMENT.

25
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

la protection sociale ou des consommateurs, ou la promotion et la protection de la diversité


culturelle » (voir article 8.9-1).
Cet article précise également que les dispositions relatives à la protection des
investissements ne seront pas interprétées comme un engagement des gouvernements de
ne pas modifier leur cadre juridique : « Il est entendu que le simple fait qu’une Partie exerce
son droit de réglementer, notamment par la modification de sa législation, d’une manière qui
a des effets défavorables sur un investissement ou qui interfère avec les attentes d’un
investisseur, y compris ses attentes de profit, ne constitue pas une violation d'une obligation
prévue dans la présente section » (voir article 8.9-2).
Une autre disposition précise que l’accord n’empêchera pas l’Union de faire appliquer ses
règles en matière d’aide d’État (voir article 8.9-4). L’Europe a également garanti son droit de
restructurer les dettes publiques.
Il s’agit d’avancées importantes vers un système plus transparent et sûr.
Toutefois, de nombreux éléments subsistent et suscitent des craintes quant au caractère
équitable de ce nouveau dispositif. Ainsi, la référence aux attentes légitimes des entreprises
L’accord ne prévoit pas en matière de traitement juste et équitable par les Etats a été conservée (8.10-4), ce qui
de clause d’anti- laissera encore une marge d’appréciation importante aux juges.
contournement qui
De plus, l’accord ne prévoit pas une clause d’anti-contournement, qui aurait empêché
aurait empêché les
clairement les entreprises étrangères de s’installer au Canada pour bénéficier du mécanisme
entreprises étrangères
de règlement des différends et attaquer un pays européen. La Commission européenne
de s’installer au
assure que les autres dispositions de l’accord suffisent à prévenir ce risque, bien qu’elles
Canada pour bénéficier
figurent dans sa proposition formulée dans le cadre du TTIP.
du mécanisme de
règlement des différends Le Canada et la Commission européenne ont également décliné la proposition d’intégrer une
et attaquer un pays pénalité financière pour dissuader les “plaintes frivoles” des entreprises. Ils ont estimé que le
européen principe que le perdant doit supporter les coûts puisse décourager toute plainte
manifestement infondée en droit ou frivole (voir article 8.39).

Un tribunal permanent plutôt que des arbitres


Dans le cadre de l’ISDS, le règlement des différends est assuré par un panel ad hoc composé
de trois arbitres privés, choisis par les parties au conflit. Ils sont souvent soupçonnés de
partialité et de conflits d’intérêts, car il leur arrive de passer d’une affaire à l’autre du rôle
d’avocat à celui d’arbitre. En outre, la procédure se passe parfois dans un huis clos total, sans
aucun document rendu public.
Désormais, l’accord prévoit la mise en place d’un tribunal permanent qui pourra être saisi
pour des demandes relatives à la violation des normes de protection des investissements
définies dans l’accord. Ce tribunal sera composé de quinze juges nommés pour des mandats
de cinq ou dix ans par les autorités canadiennes et européennes, dont cinq ressortissants de
l’UE, cinq du Canada et cinq de pays tiers.
Les parties au litige ne pourront pas choisir leurs juges. Des divisions du tribunal composées
de trois membres seront chargées de l’examen de chaque affaire particulière. Un système
d'affectation aléatoire prémunirait les juges contre tout risque perçu d'interférence de la part
des parties au litige. Pour limiter le risque de conflit d’intérêts, le président du tribunal (tiré au
sort pour deux ans) leur assignera des affaires aléatoirement et selon un principe de rotation.
Quant aux juges, ils devront justifier de qualifications juridiques et d’une expertise en droit
international de l’investissement. Au lieu d’être rémunérés par la défense et l’accusation, ils
recevront des honoraires financés par les autorités canadiennes et européennes (dont le
montant n’a pas encore été précisé).

26
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Ethique et Transparence
Les quinze juges seront soumis à des règles d'éthique strictes. À titre d’exemple, les
membres du tribunal et de la cour d’appel auront l’interdiction d’intervenir comme avocats
ou experts dans d’autres différends en matière d’investissements.Pour favoriser la
transparence, le CETA prévoit une publicité des débats et des documents.
Une des critiques le plus souvent soulevée dans le cadre de l’ISDS concernait les possibles des
conflits d'intérêts. La proposition de la Commission répond à cette préoccupation car elle
prévoit des règles plus strictes pour les juges et la possibilité d’être récusés par les parties en
cas de conflit d’intérêts avéré.
Notons toutefois que la Commission a écarté l’idée d’imposer aux juges une “double
quarantaine” de cinq ans avant et après leur mandat sans intervention comme avocat dans
des affaires impliquant les mêmes parties.

Coûts
Le texte propose de verser aux juges des honoraires mensuels afin de garantir le recrutement
de personnes disponibles à bref délai. « Afin que leur disponibilité soit garantie, une
rétribution mensuelle, dont le montant est établi par le Comité mixte de l’AECG, est versée
aux membres du Tribunal » [article 8.27-12]. Les coûts correspondants seraient partagés
entre les Parties.
Une clause de rendez-vous invite l’Europe et le Canada à prendre des mesures
supplémentaires pour réduire le coût du recours au tribunal pour les PME, afin de le rendre
plus accessible. « Le Comité mixte de l’AECG envisage des règles complémentaires destinées
à réduire le fardeau financier pesant sur les demandeurs qui sont des personnes physiques ou
des petites et moyennes entreprises. Ces règles complémentaires peuvent notamment tenir
compte des ressources financières de ces demandeurs et du montant de l’indemnité La Commission
réclamée » [article 8.39-6]. n’apporte pas de
La Commission n’apporte pas de solutions à la question des coûts prohibitifs des procédures. solutions à la
Pour les petites et moyennes entreprises, il est possible de faire recours à la vidéoconférence question des coûts
(article 8.19) ou de limiter le nombre de membres du tribunal, mais aucune décision n’est prohibitifs des
prise pour l’instant quant au plafonnement des coûts. Or, il s’agit d’une question centrale procédures.
pour les PME, qui sont bien souvent limitées dans leur capacité d’introduire des procédures
en recours. L’ICS, tout comme l’ISDS, pénalise donc les petites et moyennes entreprises.

Un système d’appel
Jamais aucun Traité avec ISDS n’avait jusqu’à présent prévu de mécanisme d’appel des
décisions, ce qui était vivement critiqué, car l’appel est l’un des meilleurs moyens pour
corriger les décisions considérées comme injustes et assurer la cohérence de la jurisprudence.
Le CETA prévoit désormais la création d’une cour d’appel dès l’entrée en vigueur de l’accord
(article 8.28). Elle permettra de contester toute sentence du tribunal sous 90 jours. Les
membres de la cour d’appel seront soumis aux mêmes conditions que les membres du
tribunal, à savoir le niveau de qualification nécessaire dans le cadre des juridictions nationales
et des règles d’éthique.
Les négociateurs n’ont donné quasiment aucun détail sur l’organisation pratique de la
procédure d’appel (la rémunération des membres du tribunal d’appel, les procédures…). Ils
ont renvoyé à une délibération conjointe de l’UE et du Canada sur ces questions et plus
précisément du Comité mixte. Cette délibération devra intervenir “dans les moindres délais”
après l’entrée en vigueur de l’accord. Certains craignent que le report à une période ultérieure

27
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

de la définition des modalités d’appel ne vise à le verrouiller en dehors de l’examen


démocratique, en écartant les parlements de la décision.

Juridiction multilatérale en matière d’investissements


Le CETA appelle à la création d’une cour multilatérale d’investissement au niveau mondial
[article 8.29]. Le texte de l’accord reconnaît qu’un tel mécanisme multilatéral viendra
remplacer le mécanisme bilatéral établi dans le cadre du CETA.
La mise en place d’un organe juridique multilatéral pour la protection des IDE comparable au
Mécanisme de Règlement des Différends de l’OMC représente la meilleure solution pour
promouvoir des règles multilatérales.

La légalité de l’ICS au titre du droit européen


La légalité de l’ICS au titre du droit européen est une question litigieuse. D’après la principale
association des juges allemands (DRB), il n’y a pas de base soutenant l’hypothèse selon
laquelle des systèmes légaux des États membres ne sont pas suffisamment fiables pour
protéger adéquatement les investisseurs étrangers. Si des faiblesses existent dans certains
pays membres de l’UE, elles devraient alors être clairement définies et corrigées.
Le DRB exprime également des doutes considérables en ce qui concerne la compétence de
l’Union européenne pour établir une telle cour internationale. Celle-ci interférerait
gravement avec les systèmes juridiques et législatifs des États membres et de l’Union et
saperait les pouvoirs des juges nationaux au titre du droit européen.
Au titre du droit européen, chaque accord international conclu par l’Union doit être
26
compatible avec les Traités de l’UE . Cela signifie qu’un accord international auquel l’Union
est partie doit être conforme aux règles prévues par le Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE).
27
Dans son Avis 2/13 sur l’adhésion de l’UE à la Convention des droits de l’homme (CEDH)
rendu le 18 décembre 2014, la Cour de justice européenne (CJE) affirme que l’UE ne pourrait
accéder à la CEDH car elle permettrait à la Cour européenne des droits de l’homme
d’interpréter le droit européen affectant ainsi l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE.
Puisque l’un des objectifs fondamentaux de l’ICS est de permettre aux investisseurs de
contester les actes et les décisions de l’UE fondées sur ces actes, un tribunal arbitral ou une
cour d’investissement doivent interpréter le droit européen et lui donner un sens. Elle
affecterait donc la capacité de la CJE à interpréter le droit européen.
L’ICS soulève d’autres problèmes juridiques notamment liés à la détermination du défendeur
dans une affaire. Au titre des accords commerciaux de l’UE, une affaire d’arbitrage peut être
lancée soit contre l’Union européenne soit contre l’État membre concerné. Cependant, la
détermination du défendeur empiète sur la répartition de la compétence entre l’Union et les
États membres. Pour la CJE, ces deux questions relèvent du droit européen et ne peuvent
être tranchées par un organe judiciaire extérieur au contexte institutionnel de l’UE. En aucun

26
TFUE art. 218 (11).
27
Avis 2/13 Adhésion à la CEDH [2014], paras. 246–247.
Tiré de http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=160882&doclang=FR

28
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

cas les arbitres ou juges ne peuvent déterminer qui est le défendeur ou se prononcer sur la
28
répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres .
Au vu des nombreuses interrogations existantes quant à la légalité de l’ICS et afin de clarifier
la compatibilité du CETA avec les Traités européens, il serait nécessaire de demander l’avis Au vu des
de la CJE sur base de l’article 218 (11) du TFUE. Cette procédure n’est ouverte qu’aux États nombreuses
membres, à la Commission, au Conseil et au Parlement européen, et vise à prévenir les interrogations
complications juridiques au cas où l’Union conclurait un accord incompatible avec les Traités quant à la légalité
européens. Cela est possible tant que le Conseil n’a pas pris la décision de conclure un accord. de l’ICS, il serait
Si la décision de la CJE est négative, l’accord envisagé ne pourra entrer en vigueur que s’il est nécessaire de
amendé ou si les Traités sont modifiés. Compte tenu de l’enjeu que le CETA représente et demander l’avis de
afin de clarifier cette question en vue des prochaines négociations d’accords commerciaux, la CJE sur base de
cette possibilité devrait être utilisée. l’article 218(11) du
TFUE
Pour conclure, le mécanisme de règlement des différends ICS prévu dans le cadre du
CETA constitue certes une avancée institutionnelle qui corrige une partie des critiques
avancées à l’encontre de l’ISDS. Toutefois, l’ICS n’est pas un tribunal international, mais
peut être défini comme un tribunal d’arbitrage international permanent. Il reste
prohibitif, risque de mettre les Etats en difficulté eu égard à leur capacité de régulation et
lèse les PME par rapport aux grandes entreprises. Sa légalité au regard du droit européen
devrait être vérifiée.

2.4 MOBILITÉ DES TRAVAILLEURS

Le CETA prévoit de faciliter la mobilité de certaines catégories de travailleurs entre les


Parties à des fins professionnelles et sur base temporaire (chapitre 12). L’objectif des
dispositions sur la mobilité des travailleurs dans le CETA est de favoriser une répartition plus
efficace des compétences et à l'augmentation de la productivité au Canada et dans l'UE.
Le Canada est signataire de plusieurs accords qui garantissent la libre circulation des
29
travailleurs temporaires. Ils comprennent, entre autres, l'ALENA et le GATS . Dans l'ALENA,
les commerçants et les investisseurs, les visiteurs d'affaires et d’autres catégories
professionnelles spécifiques bénéficient de facilités de circulation. Les engagements prévus
30
dans le mode 4 du GATS prévoient la libéralisation du commerce et des services, y compris
le mouvement des professionnels et des experts techniques.
Les dispositions relatives à l’amélioration de la mobilité des travailleurs sont susceptibles
de bénéficier aux deux parties, même si l’on peut craindre une fuite de cerveaux dans
certaines spécialités en fonction de l’attractivité que peut présenter le Canada. Les
critères retenus pour définir les différentes catégories de travailleurs bénéficiant d’une
mobilité accrue semblent de plus trop imprécis et donner lieu à des dérives.
Dans le cadre du CETA, quatre principales catégories de travailleurs seront visées :

28
Laurens ANKERSMIT, « Le RDIE contenu dans les accords commerciaux de l’Union européenne est-il légal au titre
du droit européen ? », IISD, Numéro 1. Volume 7. Février 2016.
29
Accord Général sur les services -The General Agreement on Trade in Services (GATS)
30
Le mode 4 se rapporte à la présence de personnes d'un Membre de l'OMC sur le territoire d'un autre Membre en
vue de la fourniture d'un service. Il ne concerne pas les personnes qui cherchent à accéder au marché du travail dans
le Membre d'accueil, pas plus que les mesures concernant la citoyenneté, la résidence ou l'emploi à titre permanent.

29
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

- les employés mutés au sein de l’entreprise. Ils sont sous-divisés en cadres supérieurs,
spécialistes et stagiaires diplômés ;
- les fournisseurs de services contractuels et les professionnels indépendants ayant un
contrat de 12 mois au moins ;
- des gens d'affaires en visite de courte durée.
- des membres-clés du personnel : investisseurs et visiteurs d’affaires aux fins
d’investissement.
Par ailleurs, l’accord garantit que les personnes détachées au sein de leur entreprise peuvent
être accompagnées de leur conjoint et de leurs familles lorsqu’elles sont temporairement
affectées dans des filiales à l’étranger. Au total, il y a neuf catégories distinctes de travailleurs
couvertes par les dispositions de ce chapitre, ce qui représente un résultat plus ambitieux par
rapport à d’autres accords de libre-échange.
Chaque catégorie est définie à l’article 6 sur base d’un certain nombre de critères. Certaines
expressions dans le texte laissent beaucoup de place à l'interprétation, ce qui est
préoccupant. Par exemple, le concept de « personnel-clé » est défini par sa responsabilité
dans « la création ou le bon contrôle, l’administration et le fonctionnement d’une
31
entreprise » . Dans la pratique, il peut être difficile de discerner si un travailleur est vraiment
essentiel pour le « bon fonctionnement » d'une entreprise.
Comme spécifié à l’article 1, le CETA ne limite ni n’impose des mesures en matière
d'immigration ou d'obligation de visa, qui sont laissées à la discrétion des Parties. Les
travailleurs qui entrent dans un pays par des dispositions d'entrée temporaire prévues dans le
cadre du CETA sont soumis à toutes les lois du travail et à toutes les exigences prévues dans
les lois et règlements des Parties à l’égard du travail. Les mesures de sécurité sociale
continuent de s’appliquer, y compris les règlements sur le salaire minimum et les conventions
collectives sur les salaires.
Le CETA établit également un cadre pour la reconnaissance mutuelle des qualifications
professionnelles sur l’ensemble des territoires de l’UE et du Canada. Le chapitre 13 du CETA
fixe les conditions générales et les lignes directrices à suivre lors de la négociation d’accords
spécifiques à une profession donnée. Cela concerne généralement les professions
réglementées comme celles des architectes ou des avocats.
Plusieurs études ont examiné l’impact du mouvement permanent et temporaire de
travailleurs, par exemple entre les pays développés et en développement, et ont conclu à une
32
corrélation positive entre la mobilité du travail et la croissance .
La mobilité des travailleurs entre l’UE et le Canada ainsi que le cadre de reconnaissance
mutuelle des qualifications peuvent faciliter le commerce et l’investissement. Par ailleurs, on
constatera que, par rapport à l’ALENA, les négociateurs ont veillé à bien circonscrire la notion
de travailleur détaché. Compte tenu du fait que l’Europe et le Canada sont des économies
développées, les effets négatifs devraient en être limités (à l’inverse de dispositions sur le
détachement, y compris intra-européennes, qui favorisent voire incitent au dumping social).

31
CETA, Chapitre 12, article 6.
32
L. A WINTERS., T. L. WALMSLEY, Z. K. WANG, and R. GRYNBERG ,“Liberalising Labour Mobility Under GATS.”
Economic Paper 53, Commonwealth Secretariat, London, 2003.

30
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

2.5 DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (DPI)

Les droits de propriété intellectuelle représentent un élément important de l’économie


européenne. L’industrie créative à elle seule génère 860 milliards d’euros de valeur ajoutée,
33
ce qui représente environ 6,9% du PIB européen .
34
Le Canada offre un niveau de protection intellectuelle inférieur à celui de l'UE . Le Canada
n’accepte pas la brevetabilité des formes de vie supérieures, refuse la prolongation de la
durée des brevets, ne protège pas les droits d'auteur 70 ans après la mort, n’accorde pas de
protection relative aux indications géographiques sur les produits alimentaires, n’offre pas de
35
protection de 10 ans pour la protection des données .
En 2009, l’Enforcement Report de la Commission européenne mettait le Canada dans la liste
des pays avec un faible niveau de protection intellectuelle. Selon ce document, cela était
essentiellement dû au fait que le Canada n’a pas ratifié les principaux traités sur la protection
intellectuelle et aux carences dans la protection pharmaceutique et des indications
36
géographiques .
Le CETA conduira à une harmonisation vers le haut et à une modification des lois
canadiennes en matière de DPI.
Selon le chapitre 22 du CETA, l’UE a notamment obtenu :
1. un système de protection supplémentaire pour les produits pharmaceutiques allant
dans le même sens que le système de protection existant en Europe mais avec une
période plus courte de 2 ans au lieu des 5 ans prévus dans la législation européenne. La
prolongation de la durée de vie des brevets au Canada aura pour effet de retarder la
37
commercialisation de médicaments génériques au Canada ;
2. la prolongation du système actuel de protection des données. Les règlements en
vigueur prévoient une période de « non-dépôt » de six ans durant laquelle aucune
demande pour des médicaments génériques ne sera acceptée ainsi qu’une période de
non-commercialisation de deux ans durant laquelle les médicaments génériques
peuvent passer par l’étape de la préparation au marché, mais ne peuvent pas être
vendus ;
3. un droit de recours pour les entreprises innovantes détenant un brevet
pharmaceutique contre les décisions d’autorisation de mise sur le marché au Canada
qui les placera sur pied d’égalité avec les fabricants de médicaments génériques ;
4. un système de protection aux frontières renforcé pour lutter contre la contrefaçon de
marque, le piratage et la contrefaçon de produits protégés par une indication
géographique.
Le renforcement du DPI au Canada aura probablement un effet positif sur l’économie
européenne. L’UE pourrait notamment bénéficier d’une augmentation des revenus
provenant des licences et royalties. Il serait également bénéfique pour l'industrie

33
TERA CONSULTANTS, Building a Digital Economy: The importance of Saving Jobs in the EU’s Creative Industries,
International Chamber of Commerce, 2010, p.16.
34
EUROPEAN COMMISSION AND GOVERNMENT OF CANADA, op.cit., p. 79-88.
35
Colin KIRKPATRICK, et al., op.cit., p.43
36
EUROPEAN COMMISSION, IPR Enforcement Report, Brussels, 2009, p.10.
37
Bourassa FORCIER M., Négociations de libre-échange Canada-Union européenne : une limite à la gouvernance
souveraine en matière de brevets pharmaceutiques, 2011, p.562.

31
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

38
canadienne de l'édition et l’industrie pharmaceutique innovatrice . Dans le même temps,
ces dispositions auront des effets négatifs sur les consommateurs au Canada, par exemple
39
via l’augmentation des prix des produits éducatifs et pharmaceutiques .
Les dispositions relatives à la protection intellectuelle constituent une avancée
significative par rapport à la réglementation en vigueur au Canada afin de mieux
protéger l’innovation européenne et lutter contre la contrefaçon. Elle se traduira par
une augmentation des prix payés par les consommateurs canadiens.

2.6 DROIT DE RÉGLEMENTER ET EXCEPTION CULTURELLE

Le préambule de l’accord rappelle les principes généraux qui ont conduit à cet accord, à
savoir la croissance et le développement. Il reconnaît également que les dispositions du
projet d’accord « n’ôtent pas aux Parties le droit de réglementer sur leur territoire respectif et
de conserver la latitude nécessaire pour réaliser les objectifs légitimes de leur politique, tels
que la protection de la santé publique, de la sécurité, de l’environnement et des bonnes
mœurs ainsi que la promotion et la protection de la diversité culturelle ».

Le préambule fait également référence à la Convention de l’UNESCO sur la protection et la


promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, protégeant les identités et le
droit des États à mener des politiques culturelles. Bien que les négociateurs canadiens et
européens soient tombés d’accord sur le principe de l’exception culturelle, il semble toutefois
exister un désaccord sur son étendue et sur la manière de rencontrer les obligations du
Canada et de l’UE en ce qui concerne la Convention de l’Unesco.
En effet, dans le chapitre 11 sur le commerce des services, on s’aperçoit que, pour l’Europe,
l’exception culturelle ne concerne que l’audiovisuel, alors que pour le Canada, la
compréhension est plus large et inclut toutes les industries culturelles, c’est-à-dire les livres,
40
magazines, enregistrements audio, musique, radiocommunications etc. .
De même, le chapitre sur les subventions spécifie que les dispositions ne s’appliquent pas aux
subventions ou au soutien gouvernemental aux services audiovisuels dans le cas de l’UE, et
aux industries culturelles dans le cas du Canada. L’exception culturelle semble donc avoir une
portée différente pour le Canada et pour l’UE, laquelle adopte une vision plus restrictive.

38
Jean-Frédéric MORIN, Sustainability Impact Assessment Relating to the Negociations of the Intellectual Property
Chapter of the Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) Between the EU and Canada, Université Libre
de Bruxelles, 2011.
39
Joel LEXCHIN and Marc-André GAGNON, « CETA and pharmaceuticals: impact of the trade agreement between
Europe and Canada on the costs of prescription drugs », Global Health. 2014; 10: 30.
40
Chapitre 11, article 1 : Les dispositions du chapitre ne s’appliquent pas aux mesures concernant : (…) les services
audiovisuels pour l’UE et les industries culturelles pour le Canada

32
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Encadré 2 : L’exception culturelle

L’exception culturelle repose sur l’idée que « les biens et les services culturels, du fait de leur relation
à la culture, sont d’une nature particulière qui va au-delà des seuls aspects commerciaux. Ils
véhiculent des contenus, des valeurs et des modes de vie qui sont partie prenante de l’identité
culturelle d’un pays et reflètent la diversité créatrice des individus ».
Durant la dernière étape des négociations du Cycle de l’Uruguay, certains pays ont considéré que
l’application des principes du GATT4 au commerce des biens et services culturels, ainsi qu’aux droits
d’auteur, menaçait la prise en compte de la spécificité culturelle de ceux-ci en faveur de leurs
aspects purement marchands. C’est ainsi qu’a germé l’idée de mettre en place une dérogation au
sein du GATT pour certains biens culturels. Ces règles spéciales ont été ensuite complétées par
l’adoption d’une « convention internationale plus large, politiquement significative, consacrant la
41
souveraineté des Etats dans le domaine considéré » . En effet, en 2005 la culture s’est vue
reconnaître un statut particulier par l’Unesco avec l’adoption de la Convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles. Il a été ainsi reconnu à chaque partie le droit de
prendre « des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles
sur son territoire », notamment lorsque les expressions culturelles font face « à un risque
d'extinction, à une grave menace, ou nécessitent [...] une sauvegarde urgente ».

Si l’accord affirme clairement la capacité de réglementer afin de poursuivre des objectifs


politiques légitimes, notamment en matière culturelle, la traduction de ce principe est
asymétrique et laisse donc présager des difficultés dans la protection véritable qui pourra
être appliquée aux biens culturels.

2.7 LE NŒUD AGRICOLE

Depuis le lancement de négociations pour le CETA en 2009, l'une des questions les plus
sensibles est celle de la place du secteur agricole. L’agriculture est le responsable principal de
l’échec des négociations de l'OMC et ce secteur a été exclu de la plupart des accords de libre-
échange.
Le Canada et l'UE sont des acteurs majeurs dans le commerce international des produits
agricoles. Le soutien public dont l'agriculture bénéficie de part et d’autre est élevé. Ce
soutien s’accompagne de différentes mesures de protection qui offrent un avantage pour les
agriculteurs de chaque zone et restreignent le commerce, tels que les indications
géographiques (IG) dans l'UE et la gestion de l'offre au Canada.
Toutefois, dans le cadre du CETA, les deux parties ont convenu de libéraliser fortement le
commerce de produits agricoles, à l'exception des produits considérés comme sensibles : le
bœuf, le porc et le maïs sucré pour le UE ; les produits bénéficiant du régime de gestion de
l'offre au Canada, à savoir les produits laitiers, la volaille et les œufs. L’accord décrit la mise

41
Serge REGOURD, « De l’exception à la diversité culturelle », La documentation française, problèmes politiques et
sociaux, n° 904, sept. 2004, p. 6.

33
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

en place de volumes de contingents tarifaires (volume défini sans aucun droit de douane)
sensibles et leurs modalités de gestion.
Au total, le Canada supprimera les droits de douane pour 90,9% de ses lignes tarifaires
agricoles dès l’entrée en vigueur du CETA. Après sept ans, les droits de 91,7% de ces lignes
tarifaires auront été supprimés. Le solde est constitué des produits sensibles qui feront
l’objet d’offres de contingents tarifaires ou seront exclus des engagements de libéralisation
(la volaille et les œufs).
L’UE, pour sa part, supprimera 92,2% de ses droits de douane agricoles au moment de
l’entrée en vigueur de l’accord. Après sept ans, 93,8% de ces droits agricoles seront éliminés.
Pour le reste, il s’agit de produits sensibles pour lesquels des contingents tarifaires
quantitativement limités ont été octroyés (viande bovine, porcine) et d’autres produis qui ont
été exclus (viande de poulet et de dinde, œufs).

Tableau 4 Quantités annuelles de contingents tarifaires convenus pour des produits


canadiens entrant sur le marché européen

Produit Quantité Détails


annuelle

Bœuf 60.540 34.040 tonnes pour la viande réfrigérée de


tonnes bœuf et de veau (selon un calendrier sur six
42
ans et par le système des licences ) ;
15.000 tonnes pour « l’autre viande de bœuf
et de veau » congelée (selon un calendrier
sur six ans et par le système des licences) ;
11.500 tonnes au sein du contingent OMC
existant pour la viande de haute qualité
(fraîche, réfrigérée et congelée).

Porc 79.624 75.000 tonnes selon un calendrier sur six ans


tonnes et par le système des licences ;
4.624 tonnes dès la première année et par le
système des licences, au titre de l’accord
OMC tarifaire spécifique entre l’UE et le
Canada.

Viande 3.000 tonnes


de bison

Maïs 8.000 tonnes


sucré

42
La plupart des méthodes d'allocation des contingents tarifaires prévoient l'attribution de licences.

34
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Les droits de douane seront supprimés sur 8.000 tonnes de maïs doux et 100.000 tonnes de
blé canadiens. Mais surtout, le Canada va pouvoir exporter en Europe plus de 60.000 tonnes
de bœuf et 75.000 tonnes de porc supplémentaires par an. Même si le Canada n’est pas en
mesure, pour l’instant, de remplir ses quotas d’exportation (essentiellement en raison des
standards européens), ces nouveaux contingents seront effectifs 7 ans après l’entrée en
vigueur de l’accord, et les autorités canadiennes auront largement le temps de bâtir des
filières sans hormone (pour le bœuf) et sans ractopamine (pour le porc) uniquement
destinées à l’exportation vers le marché européen.
Les secteurs bovin et porcin sont pourtant des secteurs agricoles sensibles et ces nouveaux
contingents, même s’ils paraissent modestes, peuvent entraîner des bouleversements
considérables pour des filières entières. Or, aucun mécanisme de sauvegarde n’est prévu
pour suspendre le volet agricole du CETA en cas de déséquilibre sur le marché européen.
43
Le Parlement wallon, dans une résolution , a appelé à l’introduction dans le CETA d’une
44
clause dite « d’exception agricole » permettant de mettre en pause l’accord en cas de
difficulté d’absorption du marché européen.
Le Parlement européen quant à lui, dans une résolution sur le TTIP du 8 juillet 2015,
recommandait également l’inclusion d’une clause de sauvegarde qui pourrait être
invoquée lorsque les importations d’un produit portent un grave préjudice au marché
intérieur et notamment à la production alimentaire.
45
Comme le souligne Ferdi De Ville, le CETA ne contient pas de mécanisme de sauvegarde .
La Commission a choisi une logique complètement inverse par rapport à des accords
précédents tels que celui avec la Corée mais également les accords d’association avec la
Colombie et le Pérou, qui incluent une clause bilatérale de sauvegarde.

Tableau 5 Quantités annuelles de contingents tarifaires convenus pour des aliments


européens
Produit Quantité annuelle Détails

Produits 17.700 16.000 tonnes selon un calendrier sur six ans et


laitiers tonnes par le système des licences ;
1.700 tonnes pour les produits dits industriels
selon un calendrier sur six ans et par le système
des licences ;
800 tonnes réallouées dès la première année,
dans le contingent fromage OMC du Canada vers
l’UE de 20.412 tonnes, selon le système des
licences.

43
PARLEMENT WALLON, Résolution sur l’Accord économique et commercial global (AECG), 25 avril 2016.
44
Eugenia BARDARO, Pour une exception agricole en droit international, Policy paper, Cepess, décembre 2015.
45
Ferdi DE VILLE, In pursuit of a consistent European Parliament position on two transatlantic trade agreements.
Analysis of the conformity of CETA with the European Parliament’s 8 July Resolution on TTIP.

35
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

Selon la Commission européenne, la quantité annuelle de contingent tarifaire convenu


pour les produits laitiers représentera une augmentation des exportations européennes de
128% et correspondra à une part de plus de 4% du marché canadien.
Pour sa part, le marché européen sera, dès l’entrée en vigueur de l’accord, totalement
ouvert aux produits laitiers canadiens, sans droits de douane. Cela s’inscrit pleinement
dans la dynamique de libéralisation et d’abandon de politique de régulation prévue
antérieurement au niveau européen. La Commission minimise les effets d’une telle
libéralisation en raison de la faible importation de ces produits du Canada. Moins de 1%
des importations européennes en provenance du Canada concerne le lait et les produits
laitiers. Toutefois, alors que l’Europe est en pleine crise laitière, l’impact pour le secteur
laitier est à nouveau préjudiciable et limite toute possibilité de retour à une régulation plus
forte, alors que le Canada a, de son côté, relativement préservé son secteur laitier dans la
négociation.
En ce qui concerne les subventions agricoles, le CETA prévoit un mécanisme de
consultation si une partie estime que ses intérêts pâtissent ou sont susceptibles de pâtir de
mesures d’aides accordées par l’autre. La Partie visée examine cette demande et s’efforce
« d’éliminer ou de minimiser les effets défavorables de la subvention ou du soutien
gouvernemental sur les intérêts de la Partie requérante en ce qui concerne les produits
46
agricoles et les produits de la pêche » .
Les questions que soulèvent le CETA ne sont pas nouvelles dans les débats politiques
relatifs à l’agriculture. Cet accord se place assez clairement dans la prolongation des
négociations du GATT et de l’OMC. Depuis sa création, l’OMC a pour objectif de libéraliser
le commerce des produits agricoles au même titre que celui de toute autre marchandise,
sans égard à la spécificité de ce secteur. L’accord sur l’agriculture de 1995 s’attaque à une
série de politiques définies comme faussant la logique de marché : les politiques d’accès au
marché (droits de douane, interdictions ou quotas d’importation, prélèvements
variables...), celles de subvention aux exportations et celles de soutien agricole interne.
Le CETA doit également être analysé dans le contexte d’une profonde crise de l’agriculture
européenne, à la fois conjoncturelle et structurelle. Au niveau européen, la nouvelle
orientation de la PAC et notamment l’abandon de la politique régulatrice et la crise de
surproduction qui en a suivi a mené à une chute des prix dans bon nombre de secteurs,
comme le secteur laitier. Sur le plan externe, de la politique commerciale de l’UE soumet
l’agriculture européenne à une concurrence accrue qui se traduit par une dérégulation et une
libéralisation excessives.
Le CETA n’apporte pas de solution à cette crise. Au contraire, il ne fait que renforcer les
tendances actuelles vers la dérégulation en matière agricole et affaiblir le modèle agricole
européen et notamment l’agriculture familiale et paysanne.
L’impact de l’ALENA sur l’agriculture tant au Canada qu’au Mexique est révélateur des défis
47
que ces accords de libre-échanges posent à l’agriculture et à la sécurité alimentaire . Dans le
cadre de l’ALENA, les exportations agricoles ont augmenté, en contrepartie, les agriculteurs
n’ont pas eu une augmentation de leurs revenus. Dans les trois pays de l’ALENA, la
concentration des entreprises dans le secteur agricole s’est intensifiée conduisant à des

46
Chapitre 9 « Subventions », article 4.
47
Voir notamment l’analyse du Policy Alternatives Centre
www.policyalternatives.ca/publications/monitor

36
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

exploitations toujours plus grandes, l'utilisation accrue d’intrants chimiques, et des prix
48
toujours plus faibles pour les producteurs .
Un parallèle peut être fait entre les conséquences de l’ALENA sur l’agriculture et ce qu’on
pourrait s’attendre dans le CETA.
Libéraliser davantage le marché européen et augmenter les exportations ne sont pas une
solution durable à la crise agricole. Au contraire, l’intensification de la concurrence pesant sur
les producteurs a des conséquences multiples : sur les prix et donc les revenus des
agriculteurs, sur la population agricole et rurale, sur la perte d’identité territoriale, sur la
49
qualité et la sécurité des produits, sur l’environnement .
La question n’est donc pas simplement agricole. Elle relève d’un choix de société : quelle
agriculture et quelle alimentation voulons-nous ?
Les choix que nous opérons aujourd’hui auront des répercussions majeures pour l’avenir et
surtout il sera difficile voire impossible de faire marche en arrière. Or les questions
agricoles, la qualité et la sécurité de nos produits nous affectent tous en tant que
consommateurs et nous obligent à être doublement attentifs aux choix qui seront pris.
L’objectif de ces traités est d’éliminer un maximum de « barrières au commerce ». Le
champ couvert recouvre donc non seulement des droits de douane ou normes techniques,
mais aussi les réglementations qui protègent l’environnement, les droits sociaux ou encore
les normes d’hygiène et les consommateurs. Ces traités dits « de nouvelle génération »
auront donc un effet durable sur notre vie quotidienne.
Ainsi, le CETA ne mentionne pas explicitement le principe de précaution (qui prévoit que,
lorsqu’il n’est pas garanti qu’un produit n’a pas d’impact sur la santé ou sur
l’environnement, sa commercialisation est interdite). Le CETA n’offre donc aucune
garantie contre une remise en question de celui-ci. Or, c’est au nom de ce principe, ancré
dans le droit européen, que l’UE a par exemple interdit l’importation de bœuf aux
hormones, l’utilisation de certains antibiotiques en élevage, certains pesticides ou OGM.
Ce principe permet de protéger les citoyens, particulièrement dans le domaine de
l’alimentation, de la santé ou de l’environnement. Il autorise le législateur à exiger la
preuve qu’un produit ou un aliment mis sur le marché est inoffensif et à prendre des
mesures de précaution, telles que son interdiction, en cas de doute scientifique. Il est donc
fondamental que tout traité de libre-échange le garantisse sans équivoque.
50
Selon un récent rapport , le CETA n’inclut pas une référence claire au principe de
précaution. Ainsi, il est probable que les règlementations européennes sur l’alimentation,
existantes et futures, soient davantage contestées, retardées, ou même carrément
bloquées avant leur adoption. L’étude montre, entre autres, l’impact que le CETA et le
TTIP pourraient avoir sur les règles qui encadrent les pesticides, les perturbateurs
endocriniens, les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les nanotechnologies.
L’accord poursuit la logique de libéralisation et de dérégulation du secteur agricole,
sans aucune attention à d’autres dimensions cruciales en matière agricole telles que la
souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire, la vitalité de la vie rurale et des

48
FOOD SAFETY, Agriculture and Regulatory Cooperation in the Canada-EU Comprehensive Economic and Trade
Agreement (CETA), August 2016.
49
Eugenia BARDARO, Pour une exception agricole en droit international, op.cit.
50
Peter-Tobias STOLL, Wybe Th. DOUMA, Nicolas de SADELEER et Patrick ABNEL, CETA, TTIP and the EU
precautionary principle, étude commanditée par Foodwath, juin 2016.

37
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

revenus des agriculteurs ou encore la protection de l’environnement et de la


biodiversité.

2.8 LES INDICATIONS GÉOGRAPHIQUES

La protection des dénominations est prévue par l’Accord sur les Aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) sous l’expression « Indications
géographiques » et se définit comme suit : « Aux fins du présent accord, on entend par
indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant
originaire du territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où
une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée
51
essentiellement à cette origine géographique » .
L’UE considère cependant la protection actuelle comme étant trop restreinte et cherche à
52
promouvoir son propre système . Du point de vue européen, les négociations sur l’accès aux
marchés en matière agricole doivent inclure une protection internationale de la spécificité et
53
de la qualité des produits alimentaires . Les indications géographiques représentent un
instrument clé de promotion de la qualité et de la compétitivité de l’agriculture européenne
et, de plus, un moyen de soutenir concrètement les petits producteurs. La protection des IG
est devenue donc une priorité pour l'UE dans tous les accords de libre-échange qui sont en
54
cours de négociation .
Les différences existantes entre le système canadien et européen de protection des produits
alimentaires - Indications géographiques et système des marques - ont représenté un des
enjeux les plus complexe des négociations pour le CETA.
Les Indications géographiques constituent une forme de propriété intellectuelle. L'idée
centrale derrière la protection des indications géographiques (IG) est que certains produits
ont des qualités inhérentes liées à leur lieu de production telles que le sol ou les conditions
climatiques, ou encore la culture et les traditions liées à la confection, qui les différencient de
produits similaires. L’UE recourt aux indications géographiques pour établir et définir la
provenance précise (pays ou région) de certains produits (principalement des vins, des
fromages et des viandes).
Le Canada, quant à lui, a adopté pour les aliments un système de certification de marques de
55
commerce . Par conséquent, certains des termes d’indication géographique employés par
l’UE font partie de marques de commerce au Canada ou sont considérés comme des termes
génériques permettant de décrire des aliments préparés à l’aide d’ingrédients spécifiques ou
produits selon des normes de fabrication précises. Par exemple, au Canada, l’appellation
Parmigiano Reggiano décrit un certain type de fromage, sans égard à son lieu de fabrication ;

51
ADPIC, article 22.
52
Josué MATHIEU., « L’influence du bilatéralisme sur le multilatéralisme : le cas des indications géographiques »,
Dynamiques internationales, 2010, pp. 2-3.
53
David VIVAS-EUGUI, « Negociations on Geographical Indications in the TRIPS Council and their effect on the WTO
Agricultural Negociations », Journal of World Intellectual Property, vol. IV, n.5, 2001, pp. 717-718.
54
Kenneth HEYDON et Stephen WOOLCOCK, The rise of Bilateralism. Comparing American, European and Asian
Approaches to Preferential Trade Agreements, Tokyo, United Nations University Press, 2009, pp. 128-129.
55
Daniele GIOVANNUCCI, Tim JOSLING, William KERR, Bernard O’Connor et May T YEUNG, Guide to Geographical
Indications – Linking Products and Their Origins, International Trade Centre, Geneva, 2009.

38
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

dans l’UE, ce fromage doit être produit au moins en partie dans une région particulière
d’Italie pour pouvoir porter cette appellation.
Au contraire du système de marque utilisée au Canada et aux États-Unis où les noms sont la
propriété d’une entreprise ou d’une association, les IG constituent un droit collectif. Ils ne
peuvent pas être achetés, vendus ou affectés à d'autres titulaires de droits. Aussi,
contrairement à des marques, l'UE prend un rôle direct dans l'application de leur protection
par des traités internationaux ou des accords bilatéraux. L'UE est le leader mondial dans les
IG, avec plus de 6.000 indications enregistrées dont plus de 5.000 sont pour des vins et des
56
spiritueux et plus de 800 pour des produits alimentaires .
Depuis le début des négociations, l'UE a placé la reconnaissance de ses IG comme l’une de
ses priorités. Alors que le Canada a déjà reconnu les IG de l'UE pour les boissons alcoolisées Depuis le début des
(Accord UE-Canada sur les vins et les spiritueux, 2004), l’Europe a demandé la protection des négociations, l’UE a
IG pour les produits agricoles et des denrées alimentaires. placé la
reconnaissance de
Dans le cadre du CETA, l’UE a obtenu que le Canada accorde le niveau de protection le plus ses IG comme l’une
élevé à la grande majorité des dénominations figurant sur la liste proposée par la de ses priorités.
Commission, à l’exception partielle de 21 dénominations qui étaient en conflit avec des
dénominations déjà utilisées au Canada.
Au total, 145 indications géographiques seront protégées dans le cadre de cet accord. Ce
chiffre ne représente qu’environ 10% des 1.400 IG recensées au niveau intra-européen.
Notons qu’aucune des IG belge ne figure dans la liste acceptée par le Canada. Cela veut dire
qu'il serait possible de retrouver sur le marché du jambon d'Ardenne ou du fromage de Herve
en réalité « made in Canada ». Si pour l’instant, l'importance économique de nos
dénominations sur le marché canadien est limitée, force est de constater qu’elles ne
bénéficieront pas de la même protection. Cela crée de facto une discrimination entre les
différentes IG existantes.
Le Canada, quant à lui, devra prévoir les moyens juridiques pour empêcher l'utilisation d’une
indication géographique figurant à l’annexe 1 et qui, selon le cas :
 n’est pas originaire du lieu d’origine indiqué à l’annexe I pour cette indication
géographique;
 est originaire du lieu d’origine indiqué à l’annexe I pour cette indication
géographique, mais n’a pas été produit ou fabriqué en conformité avec les lois et les
règlements de l’autre Partie qui s’appliqueraient si le produit était destiné à la
consommation dans le territoire de l’autre Partie.
Cette protection s’applique même dans le cas où la véritable origine du produit est indiquée
ou elle est employée en traduction ou accompagnée d’expressions telles que « genre »,
« type » ou autres.
Il s’agit d’un résultat très positif. Il est remarquable que le Canada ait accepté d’accorder une
protection comparable à celle garantie par le droit de l'UE. C'est une réalisation très
satisfaisante en elle-même, mais en même temps aussi un utile précédent pour les
négociations futures avec d'autres pays. La reconnaissance d’une liste des indications
géographiques en vigueur dans l’UE pourrait constituer un défi de taille pour les producteurs
agricoles et les épiciers canadiens et ceux qui produisent, distribuent ou vendent des produits
similaires.

56
Ibidem

39
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

En ce qui concerne les produits canadiens, aucun d’entre eux ne sera protégé. En effet,
En ce qui concerne
l’Annexe B qui est censés lister les produits canadiens protégés, est un tableau blanc.
les produits
Toutefois, l’article 7.7 spécifie que des indications géographiques supplémentaires pourront
canadiens, aucun
être ajoutées à l'avenir pour chacune des Parties.
d’entre eux ne sera
protégé En vertu de l’article 7.4, l’application des indications géographiques au sein du marché
canadien est considérée comme une affaire privée devant être réglée devant les tribunaux.
Chaque partie doit prévoir des mesures administratives d’application de la loi, dans la mesure
prévue par son droit interne, pour interdire à une personne de fabriquer, de préparer, de
vendre ou d’importer un produit ou de faire la publicité d’un produit qui risque de créer une
fausse impression quant à l’origine.

Protection limitée
Des droits limités liés aux indications géographiques ont été accordé pour cinq fromages :
l’Asiago, la Feta, la Fontina, le Gorgonzola et le Munster. En vertu de l’article 7.6, il sera
possible de maintenir l’utilisation de ces indications pour des produits déjà présents sur le
marché canadien à la date du 18 octobre 2013. En revanche, les futurs utilisateurs ne
pourront pas commercialiser leurs produits sous ces dénominations que si celles-ci
s’accompagnent d’indications telles que « style » « type » « genre » ou « imitation » ou autres
et est combinée à une indication lisible et visible de l’origine géographique du produit
concerné.
Huit dénominations seront protégées en tant qu’IG, mais l’utilisation de traductions anglaises
57
ou françaises de ces dénominations sera autorisée, si elle n’induit pas le consommateur en
erreur quant à la véritable origine du produit.
Le Canada conserve le droit d’utiliser des éléments de termes comportant plusieurs parties,
par exemple : le « Brie de Meaux » sera protégé, mais le terme brie peut être utilisé seul ; la
« Mortadella de Bologne » sera protégée mais les termes « Mortadella » et « Bologne »
pourront être utilisés.
Cinq noms d’IG de l’UE (Canards à foie gras du Sud-ouest, Szegedi szalami, Prosciutto di
Parma, Prosciutto S. Daniele, Prosciutto Toscano) qui se heurtent à des marques canadiennes
antérieures, coexisteront avec ces marques. Il s’agit d’une solution de compromis positive
pour l’UE. Pour la première fois dans un pays de « common law » on déroge au principe selon
lequel le droit le plus ancien l’emporte. En fait, jusqu’à présent, l’utilisation de l’IG originale
pouvait être considérée comme illégale en raison du conflit avec la marque commerciale
canadienne.
Le contentieux sur le Jambon de Parme illustre bien cette question. La Maple Leaf Meats au
Canada a déposé le terme « Parma » en 1971. Dans les années 1990, le consortium européen
qui détient l’IG « Prosciutto di Parma » a commencé à commercialiser son produit au Canada.
Maple Leaf Meats a poursuivi les Européens pour violation de sa marque et a gagné. Par
conséquent, le produit européen ne peut être vendu au Canada en utilisant le nom de Parme.
Ce différend est au cœur des fondements philosophiques des deux principales méthodes de

57
Orange Valencia, Jambon forêt noire, Bacon tyrolien, Parmesan, Bière bavaroise, Bière Munich, Comté, St George.
Par exemple les producteurs canadiens pourraient utiliser les équivalents en anglais et en français pour le jambon
forêt noire mais pas le terme allemand.

40
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

protection de cette forme de la propriété intellectuelle à l'échelle internationale : les marques


58
et les systèmes spécifiques des IG .
Ces protections pourraient conduire à des différends commerciaux par les entreprises ou
pays exportateurs de ces produits au Canada notamment par les Etats-Unis. Les produits
fabriqués aux États-Unis et qui seront, grâce au CETA, protégés par les IG, devront être
rebaptisés sous un autre nom avant d'être légalement exportés au Canada.
Pour conclure, la protection des Indications Géographiques, même en tenant compte des
compromis adoptés pour certains produits, représente une avancée importante. Elle
impliquera une augmentation des exportations de ces produits. Toutefois, en vue de la
conclusion d’accords futurs, il est important que certaines des exceptions prévues par
l’accord CETA soient améliorées.

2.9 L’IMPACT DE L’ACCORD SUR LA SANTÉ : UNE ILLUSTRATION DES


RISQUES MANIFESTES

Le secteur de la santé illustre de manière significative les risques liés à la mise en œuvre de
l’accord de libre-échange avec le Canada.
Selon la Commission européenne, les services d’assurance maladie des organismes
d’assurances maladie obligatoire ainsi que ceux des mutualités, lorsqu’ils sont délégués par
l’Etat, sont exclus des accords de libre-échange.
Pourtant, l’analyse de l’accord montre que les termes tels que services publics ou services
d’intérêt général (SIG) ne sont pas clairement mentionnés dans le CETA. Les mutualités
belges qui sont des SIG pourraient être impactées par l’accord.
L’approche par liste positive/négative dans les négociations de services, la protection accrue
des droits de propriété intellectuelle et l’affaiblissement des normes (comme les normes
alimentaires par exemple), la protection des investissements sont autant de domaines qui
pourraient avoir un impact sur la santé publique et l’accès aux médicaments.

Les services publics et l’exception de la clause d’autorité gouvernementale


L’Accord général sur le commerce des services (AGCS), négocié en 1994 dans le cadre de
l’OMC, englobe pratiquement toutes les activités de services, en excluant uniquement « les
services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental ». L’exemption est définie
comme « tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un
ou plusieurs fournisseurs de services ».
Le CETA inclut une exception similaire en précisant que les chapitres sur l’investissement et
sur le commerce transfrontalier des services ne sont pas applicables aux « Activités réalisées
dans l’exercice d’un pouvoir gouvernemental » (articles 8.2 et 9.2), définis comme « des
activités qui ne sont exercées ni sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou
plusieurs opérateurs économiques. » (Articles 8.1 et 9.1).

58
Crina VIJU., William A. KERR, Cherine MEKKAOUI, Everything is on the table: Agriculture in the Canada-EU Trade
Agreement, CATPRN Commissioned Paper, 2010.

41
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

Cette exception est dès lors critiquée comme étant très étroite. Comme Krajewski l’a
souligné «[ceci] semble être un consensus croissant dans la littérature académique et dans la
pratique commerciale qui (...) ne couvre que les activités gouvernementales qui sont
considérées comme essentielles aux fonctions régaliennes (police, système judiciaire) (...)
Cela signifie que la plupart des services publics, y compris la sécurité sociale, la santé, les
services d'enseignement ainsi que des services "network-based et universels ne sont pas
couverts par cette clause d'exemption ». De ce fait, la plupart des services publics, en ce
compris la sécurité sociale, pourraient ne pas être couverts par la règle d’exception et risque
d'être exposés aux obligations du CETA

La garantie du respect des politiques de promotion de la santé et de prévention


Dans le texte de l’accord, l’article 8.9 affirme clairement le droit des Parties à « réglementer
dans leurs territoires dans le but d’atteindre des objectifs politiques légitimes, tels que la
protection de la santé publique, la sécurité, l'environnement ou la moralité publique, la
protection sociale ou du consommateur ou la promotion et la protection de la diversité
culturelle. Plus précisément, le simple fait qu'une Partie réglemente, notamment par le biais
d'une modification de ses lois, d'une manière qui affecte négativement un investissement ou
interfère avec les attentes d'un investisseur, en ce compris ses attentes de bénéfices, ne
constitue pas une violation d’une obligation en vertu du présent article ».
Ce nouveau chapitre sur les investissements et singulièrement l’article 8.9 répondent aux
craintes de voir le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats
supplanter l’autorité des Etats en matière de protection de l’intérêt général.
Cette disposition doit bien entendu être saluée. Reste néanmoins à savoir si elle est
suffisante pour maintenir la pleine capacité des Etats de maintenir et développer les
politiques de promotion de la santé et de prévention sans crainte de recours des investisseurs
vu le peu de précisions quant à son étendue et son champ d’application. Ainsi, l’exclusion de
compensations au profit des investisseurs n’est pas clairement exprimée.

Les subsides
Le CETA inclut un chapitre sur les subsides avec une obligation de notification à l’autre
Partie. Aucune disposition dans ce chapitre semble empêcher une des deux Partie à
interrompre l’octroi d’une subvention. Toutefois, les subsides restent assujettis aux principes
du traitement juste et équitable ainsi qu’aux compensations en cas de pertes ou
expropriation.

Le mécanisme de Règlement des Différends


Ce mécanisme, comme souligné dans la section 2.5, fait peser, même dans sa version
améliorée, de nombreux risques sur la capacité des Etats à règlementer et leur l’autonomie,
ne serait-ce qu’en raison du coût de ces procédures.
Ainsi, il n’est pas exclu que des organismes d’assurance maladie privés à but lucratif
poursuivent des gouvernements nationaux de l’UE afin de contester les systèmes de
protection de la santé en ce qui concerne par exemple la tarification et le remboursement et
le traitement équitable de l’ensemble des acteurs.
L’accord n’inclut aucune disposition stricte pour préserver l’intérêt public au regard des
notions d’expropriation et de traitement juste et équitable.
L’accord soumet les SIG et SIEG aux obligations de libre accès, empêchant l’Union
européenne de les exclure des règles du marché, comme c’est le cas actuellement dans le
marché intérieur de l’Union.

42
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Au niveau national et des entités fédérées, il constitue un frein à la liberté d’organiser la


délivrance de ces services sur leurs territoires ; en effet, ces décisions peuvent être remises en
cause par les investisseurs par un mécanisme particulier de protection des investissements et
peuvent donner lieu à des compensations financières.
La Belgique, dans les annexes du texte qui permettent d’exclure certains domaines du champ
d’application du Traité, n’a pas posé d’exception générale pour les services de santé, les
services sociaux ou le système de sécurité sociale. Rappelons que l’Allemagne a posé une
exception générale afin de préserver les services publics. La simple existence de l’exception
allemande, nous montre que le risque pour nos services publics et d’intérêt général est bien
réel.
Aucune garantie n’est donc offerte pour préserver notre système qui est fondé sur la
collaboration étroite entre les pouvoirs publics et des acteurs privés, que ce soit dans le
secteur des soins (hôpitaux, maisons médicales…), de l’aide aux personnes (aide à domicile),
de la sécurité sociale (mutualités, syndicats), des services sociaux…
Comme souligné par le Collège Intermutualiste, « c’est le principe même des Services
d’Intérêt Général, caractéristiques de l’économie sociale de marché de l’UE, qui est en péril ».
Le CETA n’offre donc pas de garanties suffisantes pour préserver un système de santé et
un accès aux soins abordables et de qualité pour tous les citoyens.

2.10 COMMERCE, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET TRAVAIL


59
Le CETA inclut un chapitre sur le « Commerce et le développement durable » et deux
60 61
chapitres sur le « Commerce et le travail » et le « Commerce et l’environnement » . Le
chapitre global sur le « Commerce et développement durable » contient les objectifs, les
principes de coopération et de promotion dans le domaine de développement durable, ainsi
que des arrangements institutionnels nécessaires pour leur application. Les deux autres
chapitres contiennent des engagements plus précis.
Les dispositions du CETA prévoient notamment :

- Le droit de chaque Partie de définir ses priorités en matière de droit du travail,


d’établir le niveau de protection des travailleurs et d’adopter ou de modifier en
conséquence sa législation et ses politiques, conformément à ses engagements
internationaux en matière de travail, tout en garantissant des niveaux élevés de
protection.

- L’adhésion aux normes et accords internationaux. Dans le domaine du travail, cela


implique le respect des normes fondamentales du travail de l’OIT et notamment la
Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998. Pour
l’environnement, les engagements concernent la mise en œuvre des accords
multilatéraux (Kyoto, Paris…).

59
Chapitre 23
60
Chapitre 24
61
Chapitre 25

43
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

- Une clause de non-dérogation est prévue pour empêcher l’une ou l’autre partie
d’alléger les normes du travail et les normes environnementales pour faciliter le
commerce et l’investissement.

- La création d’un organisme chargé de mettre en œuvre et de surveiller la


conformité aux engagements établis, avec la participation de la société civile, est
prévu.

Le Canada et l’UE s’engagent donc à maintenir des normes élevées en matière de protection
de l’environnement et des travailleurs et à examiner et évaluer les répercussions de l’accord
sur le développement durable.
Toutefois, les dispositions relatives au développement durable et à la protection des
travailleurs ne sont mentionnées explicitement que dans les Chapitres 23, 24 et 25 de
l’accord, ainsi que dans son préambule. Aucune mention de ces engagements n’est reprise
dans les autres parties de l’accord. Il est par conséquent difficile d’y voir un engagement
contraignant eu égard à la multiplicité des dispositions qui détaillent les parties plus
spécifiques de l’accord. La prise en compte des normes environnementales ou du travail dans
le cadre des marchés publics, par exemple, n’est pas contraignante.
En ce qui concerne le droit du travail, le Canada n’a ratifié que 6 des 8 conventions de base de
l'OIT. Le chapitre sur le « Commerce et le travail » affirme les aspirations des deux parties à
ratifier et à mettre en œuvre efficacement les 8 conventions de base, ainsi que de
promouvoir l’Agenda pour le travail décent. Toutefois, ces engagements ne sont pas
exécutoires devant le mécanisme de règlement des différends applicable au reste de
l’accord. Le respect de ces engagements est simplement promu par le biais de consultations
gouvernementales, de groupes consultatifs nationaux et d'experts qui peuvent émettre des
recommandations.
Les formules utilisées dans les chapitres 22 et 24 consacrés au développement et à
l’environnement ne sont pas contraignantes juridiquement. Alors que l’article 24.3 précise
que le commerce ou l’investissement ne peuvent affaiblir ou réduire le niveau de protection
du droit de l’environnement, il est immédiatement précisé que les procédures visant à faire
respecter ce niveau ne doivent être ni « inutilement complexes ou trop coûteuses ». Cela
limite fortement la portée d’engagements européens et canadiens en la matière.
Aucun mécanisme de sanction n’est prévu en cas de transgression des règles. En matière de
commerce et d’investissement, une nouvelle juridiction supranationale privée et parallèle est
prévue. En matière environnementale, on se contente de coopérer et d’échanger des bonnes
pratiques. Le déséquilibre entre ces différentes dimensions est flagrant.
Cette harmonisation réglementaire à la baisse trouve une illustration marquante dans le
domaine des sables bitumineux. En octobre 2014, après l’achèvement des négociations sur le
CETA, l’Union européenne a modifié sa directive sur la qualité des carburants pour faciliter
l’exportation de pétrole à haute intensité de carbone. La Commission européenne a fini par
supprimer une mesure du projet de directive sur la qualité des carburants selon laquelle le
pétrole issu de sables bitumineux aurait dû être étiqueté comme très polluant. Elle ouvre
ainsi la porte aux importations des sables bitumineux de l’Alberta...
Le CETA pourrait par conséquent compromettre la capacité de l’UE de mettre en œuvre les
réglementations appropriées pour satisfaire à ses objectifs climatiques et faciliter la
transition vers un système économique bas carbone. Les effets juridiques du CETA
pourraient impliquer des larges restrictions sur la capacité d’action des Etats au titre des
dispositions relatives au règlement des différends investisseur-Etat, limiter les normes
relatives à l’intensité carbone ou encore restreindre les programmes relatifs aux énergies
renouvelables.

44
UN ACCORD AUX FAILLES MULTIPLES

Ainsi, l’existence d’un mécanisme de coopération réglementaire dont l’objectif est


d’harmoniser les législations des deux côtés de l’Atlantique pourrait empêcher de facto de
nouvelles législations sur de nombreuses questions environnementales et climatiques. En
effet, toute mesure législative jugée incompatible avec le traité CETA par l’organe de
coopération réglementaire devra être modifiée en conséquence ou tout simplement
abandonnée. Si, malgré les recommandations de l’organe de coopération réglementaire, une
partie du traité passait outre, alors les investisseurs privés auraient la possibilité de les
poursuivre par les biais de l’ICS. Le chapitre sur l’investissement octroie en effet d’importants
droits aux investisseurs, notamment au titre du « traitement juste et équitable » et
l’indemnisation pour les réglementations considérées comme constituant une expropriation
indirecte. Ces droits pourront être réclamés par les entreprises pour contester des mesures
gouvernementales relatives au changement climatique.
Lors du Sommet de Paris, des engagements importants ont été pris pour lutter contre le
changement climatique et ses répercussions. Il va sans dire que le CETA et les autres accords
de libre-échange ne doivent pas remettre en question cet engagement. Or l’absence de
clauses protectrices et d’objectifs précis dans le cadre du CETA pour la protection de
l’environnement, est interpellante.
Les éventuels effets du CETA sur la politique climatique européenne devraient être analysés
en profondeur. Les dispositions du CETA mais également des autres accords de libre-
échanges devraient être pleinement compatibles avec les objectifs de lutte contre le
changement climatique, et même les soutenir.
.

45
3. QUELS ACCORDS
COMMERCIAUX POUR
L’AVENIR ?
QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR

3. QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR


L’AVENIR ?

3.1 DÉFENDRE LE MULTILATÉRALISME

Alors que les négociations commerciales multilatérales du cycle de Doha durent depuis 2001,
l'Union européenne, comme d'ailleurs le Canada, ont fait le choix de multiplier les accords
bilatéraux de commerce et d'investissement.
Le début des années 1990 est marqué par une très forte accélération de la création d’accords
commerciaux régionaux. Au début des années 1990, il y avait 50 accords régionaux dont
seulement 6 avaient un réel contenu. En 2001, il y en avait 200 et aujourd’hui, on dénombre
62
400 accords régionaux. L’exception prévue par l’article XXIV du GATT a fini par devenir la
pratique courante. Cette multiplication soulève des inquiétudes quant à la pérennité du
système commercial multilatéral.
L’UE est de plus en plus engagée sur la voie des accords préférentiels de libre-échange. Elle a
signé environ 50 accords régionaux avec notamment les pays de la Méditerranée, les autres
pays européens et ses anciennes colonies qui représentent 1/3 de son commerce. Elle vient
de finaliser un accord avec le Canada qui doit encore être ratifié. Elle est engagée dans une
série de négociations en cours avec le Japon, l’Inde et les Etats-Unis.
Dans ses déclarations, l’UE s’est toujours fortement engagée dans le multilatéralisme
commercial défendu par l’OMC, considéré comme plus équitable et plus garant des droits de
l’ensemble des parties. Mais depuis l’enlisement du cycle de Doha, elle a développé une
nouvelle stratégie d’ouverture commerciale bilatérale. Alors qu'un ambitieux accord
multilatéral pourrait être plus souhaitable, un moratoire mondial sur les accords bilatéraux
est politiquement irréaliste et légalement inapplicable. Même un succès du cycle de Doha
n'aurait pas mis fin à la vague actuelle du bilatéralisme. Par conséquent, le débat ne doit pas
être présenté comme un choix dichotomique entre multilatéralisme et bilatéralisme. Au
contraire, la question-clé est de savoir comment gérer les frictions entre les deux niveaux de
63
négociations tout en essayant de trouver des nouvelles voies pour le système multilatéral .

Dans le contexte actuel, caractérisé par l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène
internationale ainsi que des défis mondiaux tels que les enjeux environnementaux et
climatiques, les déséquilibres financiers et l’augmentation de la précarité, l’Union
européenne doit pouvoir mettre en avant son agenda, son rôle et étendre son influence
normative régionale et mondiale. Ce nouveau rôle de l’Europe dans le monde reposerait sur
plusieurs principes, à commencer par la défense et le développement du multilatéralisme
institutionnalisé. L’Union européenne doit encourager la coopération multilatérale
dynamique et pluraliste qui inclurait des règles et procédures communes et serait un
processus ouvert, par opposition à une alliance exclusive. L’UE doit surtout encourager des

62
Les parties contractantes reconnaissent qu'il est souhaitable d'augmenter la liberté du commerce en développant,
par le moyen d'accords librement conclus, une intégration plus étroite des économies des pays participant à de tels
accords. Elles reconnaissent également que l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange
doit avoir pour objet de faciliter le commerce entre les territoires constitutifs et non d'opposer des obstacles au
commerce d'autres parties contractantes avec ces territoires.
63
WARWICK COMMISSION, The Multilateral Trade Regime: Which Way Forward?, Coventry, The University of
Warwick, 2007.

47
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

relations entre Etats allant au-delà de la réciprocité spécifique au profit d’une réciprocité
diffuse.

Pour l’UE, les négociations d’accords de libre-échanges doivent être l’occasion d’en tirer le
meilleur parti pour renforcer, lorsque c’est possible, le multilatéralisme. Pour cela, l’UE
devrait mettre en avant sa volonté de situer ce type de négociation dans un cadre
multilatéral et, dans un deuxième temps, d’en généraliser les résultats. Compte tenu de
l’impact politique et économique sur le commerce international que la prolifération de ce
type d’accords engendre, ils devraient être considérés comme des accords ouverts à d'autres
partenaires qui pourraient se joindre sur base de conditions claires et prédéfinies. Ils
devraient également se référer autant que possible aux institutions multilatérales existantes
et élargir certains privilèges à d'autres membres de l'OMC.
Enfin, tout accord doit être conçu comme un accord dynamique prévoyant un cadre
d'adaptation pour l'avenir et des négociations continues y compris sur des questions non
initialement prévues. Il est indispensable, en particulier et vu les blocages actuels au sein de
l’OMC, de mettre de nouvelles thématiques à l’ordre du jour des négociations telles que la
coopération scientifique et l’accès à la connaissance, la cohérence entre les accords
climatiques successifs et les accords commerciaux, la lutte contre l'évasion fiscale ou encore
la régulation bancaire.

3.2 COMMERCE INTERNATIONAL ET CROISSANCE ENDOGÈNE

L’Europe est traversée par de multiples crises et secouée par des défis importants qui
remettent en question la base même du projet européen. Les dirigeants européens font
preuve de manque d’audace pour apporter des réponses. La Commission, quant à elle,
continue à promouvoir des vieilles recettes sans remettre en question sa stratégie. Le
développement du commerce international et l’ouverture inconditionnelle des marchés
européens, sont-ils réellement, dans le contexte actuel de chômage élevé et de croissance
faible, une stratégie soutenable pour l’Europe ? Retrouver le chemin de la croissance en ne se
basant que sur l’augmentation en volume du commerce, nous rendra dépendants des
marchés extérieurs, et plus fragiles sur le long terme. L’Europe doit plutôt retrouver un
équilibre dynamique plus solide entre sa croissance exogène, stimulée par le commerce
international et les investissements extérieurs, et sa croissance endogène, s’appuyant sur un
tissu économique dynamique, innovant et performant d’entreprises en son sein. La politique
commerciale doit bien davantage, dans cette perspective, être utilisée comme un outil
stratégique au service de cette dynamique, plutôt que comme objectif en soi.
Le soutien à la
Le soutien à la croissance endogène passe notamment par le renforcement de la dynamique
croissance
entrepreneuriale européenne, en particulier pour les PME. Nous avons vu à de multiples
endogène passe
reprises plus haut que le CETA portait peu d’attention aux contraintes auxquelles sont
par le
confrontées les PME. Le soutien à l’internalisation des PME, tant dans le contexte intra-
renforcement de
européen que dans un cadre extra-européen devrait faire l’objet d’une attention soutenue
la dynamique
par l’Europe.
entrepreneuriale,
en particulier pour D’autre part, l’avenir économique européen passe nécessairement (et les exemples récents
les PME. mais qui s’égrènent depuis de nombreuses années le démontrent à souhait) par une stratégie
industrielle et économique stable dans le temps, dynamique et cohérente. Le manque
d’intégration dans l’utilisation par l’Europe des différents outils dont elle dispose au service
de cette stratégie est frappant. Cette stratégie industrielle doit s’appuyer sur au moins quatre
piliers : une vision stratégique de l’approfondissement du marché intérieur, par

48
QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR

l’établissement notamment de normes de produit poussant les entreprises à la pointe de la


technologie et de l’efficience environnementale ; une politique commerciale dynamique,
axée notamment sur l’adaptation des droits de douanes en fonction des conditions de
production dans les pays exportateurs extra-européens ; le soutien aux réseaux
transeuropéens de recherche et de développement, en lien avec le tissu économique et
industriel européen ; ainsi que l’adoption d’une politique favorable aux investissements
publics et privés, tournés en particulier vers les secteurs de réseaux (transport, énergie,
télécommunications et numérique).

Cette stratégie ne peut, par ailleurs, être fragilisée par des dynamiques concurrentielles
contre-productives au niveau intra-européen. La lutte contre l’évasion fiscale et le dumping
social sont un préalable indispensable.

Car l’accomplissement du marché unique ne se limite pas à la question des dispositions


douanières intra-européennes. Le potentiel de l’accomplissement du marché unique n’est
toujours à ce jour pas pleinement exploité. A son lancement, la suppression des obstacles
non tarifaires au commerce était supposée créer un marché unifié. Aujourd’hui, les obstacles
juridiques, réglementaires et fiscaux empêchent le développement du marché européen dans
de nombreux domaines.

Il est indispensable de faire de l’Union un vrai marché intérieur européen qui soit le « camp de Il est
base » des entreprises européennes. indispensable de
faire de l’Union un
Le marché unique est la meilleure source endogène de croissance et de création d’emplois vrai marché
des pays européens et il doit être renforcé dans des domaines prioritaires comme l’énergie et intérieur européen
l’économie numérique . Selon la Commission, l’Europe pourrait ajouter 4% à son PIB d’ici qui soit le « camp
64

2020 en stimulant le développement rapide d’un marché unique du numérique , ce qui de base » des
65

justifie que ce projet soit l’une des priorités du nouveau président de la Commission entreprises
européenne. Il pourrait donc avoir un impact économique nettement plus significatif que la européennes.
mise en œuvre du CETA.

L’Europe ne peut et ne doit surtout pas se contenter de vieilles recettes, et doit, avant tout
renforcer les acteurs économiques européens. La politique commerciale peut, dans ce
contexte, être un outil important.

3.3 UNE POLITIQUE COMMERCIALE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT


HUMAIN

Le commerce international est, de tout temps, un puissant adjuvant pour renforcer les liens
économiques et les liens entre les peuples. Toutefois, la multiplication des échanges ne peut
se traduire par une mise en danger d’un modèle de développement davantage centré sur les
besoins humains que nous appelons de nos vœux. Au contraire, les accords commerciaux,
pour qu’ils soient porteurs d’un développement équilibré pour l’ensemble des régions du
monde doit davantage intégrer les dimensions sociales, environnementales, de santé ou de

64
Eugenia BARDARO, Investir, pour quoi faire ? Au de-là du Plan Juncker, Policy paper, Cepess, mai 2015.
65
COMMISSION EUROPEENNE, Grand Coalition for Digital Jobs, mars 2013.

49
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

droits humains. Les traités de libre-échange doivent permettre non seulement le respect de
ces normes mais également en encourager le renforcement et le respect.

La soumission du commerce international à des règles plus élevées issues des objectifs du
développement humain semble la seule voie susceptible de donner de l’espoir et de la
légitimité aux accords conclus pour l’ensemble des peuples. Pour cela, les négociations pour
la conclusion de futurs accords de libre-échange devraient s’assurer le respect strict des dix
balises suivantes :

1. l’inclusion d’une clause sur les droits de l’homme, juridiquement contraignante


et suspensive, afin de garantir le respect plein et entier des normes de l'Union
dans le domaine des droits fondamentaux. L’importation de produits qui ne
respectent pas ces droits fondamentaux (par exemple en ce qui concerne le
travail des enfants) n’ont pas de place sur le marché européen ;
2. l'ajout d'une clause générale juridiquement contraignante applicable à
l'ensemble de l'accord, afin de garantir le respect complet et sans ambiguïté de
la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité
des expressions culturelles ;
3. l’instauration dans l’accord d’un principe « d’exception agricole » - à l’instar de
l’exception culturelle – qui vise à défendre et développer la particularité du
secteur agricole compte tenu de ses implications sur la vie rurale, la santé et
l’environnement, et qui peut être invoqué afin de prendre des mesures de
régulation ou si l’augmentation des importations d’un produit risque de causer
un préjudice importante à la réalisation des objectifs précités ;
4. l’inclusion de normes contraignantes sur le développement durable afin de
soutenir les efforts en matière de lutte contre le changement climatique en
veillant à ce que tout accord commercial n’entraîne pas une augmentation des
émissions de gaz à effet de serre et puisse avoir « une empreinte carbone
neutre, ou positive » ;
5. l’adoption des « listes positives » dans le domaine des services mentionnant
expressément les services à ouvrir aux entreprises étrangères et excluant les
services d'intérêt général et services d'intérêt économique général actuels et
futurs afin que les autorités publiques conservent le droit plein et entier de faire
exécuter, d'organiser, de financer et de fournir des services publics ;
6. la possibilité d’inclure des clauses sociales et environnementales dans les
marchés publics, de privilégier les circuits courts et de lutter contre le dumping
social ;
7. l’inclusion de mécanismes de coopération sur la convergence des
réglementations financières et bancaire, l’échange de données et la lutte
contre la fraude et l’évasion fiscales ;
8. l’inclusion d’un chapitre spécifique pour les petites et moyennes entreprises
en prévoyant notamment des dispositions pour faciliter l’accès aux échanges ;
9. la réalisation d’études d'impact approfondies pour chaque État membre ainsi
qu'une évaluation de la compétitivité des secteurs avec une attention
particulière sur les effets économiques et règlementaires de ces accords sur les
PME afin de pouvoir disposer de projections en matière de création et de
suppression d'emplois dans les secteurs concernés dans chaque État membre,
les coûts d'ajustement pouvant alors être partiellement supportés par des fonds
de l'Union et des États membres ;
10. l’ouverture de ces accords à d’autres partenaires qui pourraient se joindre à une
négociation plurilatérale sur base de conditions claires et prédéfinies afin
d’aboutir progressivement à un cadre multilatéral au sein de l’Organisation
mondiale du commerce.

50
QUELS ACCORDS COMMERCIAUX POUR L’AVENIR

3.4 UNE POLITIQUE COMMERCIALE AU SERVICE DU MODÈLE DE


DÉVELOPPEMENT EUROPÉEN

Depuis la création du « marché commun » de la Communauté économique européenne


jusqu’aux derniers développements autour des traités de libre-échange, la question de
l’abaissement des barrières douanières et la promotion des échanges commerciaux est au
cœur du projet européen. Le développement des relations commerciales a en effet été un
moteur de l’amélioration du niveau de vie des européens et des activités en son sein.
Toutefois, nous défendons l’idée que l’Union européenne adopte une démarche trop passive
en ce qui concerne sa politique commerciale, et qui se limite à l’abaissement des normes
douanières dans tous les domaines. Nous pensons qu’il faut faire évoluer cette orientation et
adopter une démarche plus stratégique quant à la politique commerciale de l’Union
européenne, au service des valeurs qu’elle prétend défendre.
Cette démarche plus stratégique doit s’articuler autour de deux éléments fondamentaux :

- promotion des secteurs stratégiques ;

- préservation du modèle européen à venir.


Nous constatons que d’autres régions du monde ne sont pas aussi frileuses que l’Union pour
défendre ses intérêts économiques. La Chine continue d’appliquer des droits de douane à
deux chiffres pour l’importation d’acier sur son sol. Le Brésil exige, lors d’investissements sur
son territoire, le recours à de la main-d’œuvre locale. L’Inde couple l’accès à sa main-d’œuvre
bon marché à une transmission du know-how. Dans un tel contexte, l’Union doit protéger ses
intérêts offensifs.
Nous savons que certaines activités connaissent un potentiel de développement élevé dans
le monde. Ce sont bien souvent des secteurs dans lesquels l’Europe disposait antérieurement
d’un leadership, à la pointe de la technologie et du savoir-faire. Pensons, par exemple, au
secteur du transport à grande vitesse, à la production et l’efficacité énergétique, etc. Ce sont
des secteurs stratégiques où la demande mondiale ne peut qu’augmenter, et qui de surcroît
permet de répondre aux prix de l’énergie appelés à augmenter dans un futur plus ou moins
proche.
Le deuxième élément de cette nouvelle politique commerciale concerne la préservation du
modèle de développement économique et social européen. Nous constatons en effet que la
disparition de plus en plus généralisée des barrières aux échanges et la diminution des coûts
de transport implique une mise en concurrence exacerbée des entreprises quel que soit le lieu
où elles sont établies. Cette mise en concurrence a pour effet que le coût de la production
intervient également de plus en plus dans la compétitivité des entreprises. Dès lors, les
entreprises qui diminuent leurs coûts de production grâce à des conditions de production peu
soucieuses des normes sociales (conditions de travail, droit du travail, santé des travailleurs
et risques liés à la production…) ou environnementales (recours à des produits dangereux
pour l’homme ou pour l’environnement, à des sources d’énergie intensives en émissions de
CO2, pollution de l’air et de l’eau…) ont un avantage sur les firmes européennes qui sont
confrontées à des normes plus exigeantes.
Nous défendons l’idée de continuer ce processus européen d’édiction de normes qui
progressivement harmonisent, renforcent et améliorent les normes qui s’appliquent aux
entreprises européennes en matière sociale ou environnementale. Mais ce processus ne peut
être miné par les entreprises situées en-dehors de l’Union.
Pour cette raison, nous proposons d’adopter un mécanisme d’adaptation des droits de
douane en fonction des conditions de production qui ont été d’application pour la fabrication

51
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

du produit importé. Ces droits de douane doivent être augmentés afin de compenser
Nous proposons
l’avantage compétitif dont a bénéficié l’entreprise importatrice. Cette approche a déjà été
d’adopter un
appliquée avec l’adoption du règlement Reach, qui encadre les substances chimiques
mécanisme
présentes dans les produits que l’on achète. Ce règlement a l’avantage de s’appliquer à
d’adaptation des
toutes les entreprises qui produisent pour le marché européen, et ce, quelle que soit la
droits de douane 66
localisation de l’entreprise productrice .
en fonction des
conditions de Les traités de libres échanges devraient à tout le moins, dans ce contexte, permettre le
production qui ont respect mutuel de normes acceptées par les signataires dudit traité en échange de
été d’application l’abaissement des droits de douane.
pour la fabrication
En conclusion, nous recommandons que l’Union européenne se dote d’une stratégie nouvelle
du produit importé
pour le soutien aux secteurs stratégiques en incluant la politique commerciale dans les outils
à activer. Ce recours à la politique commerciale devrait notamment prévoir des mesures de
rétorsions nécessaires en cas de déséquilibre de l’accès des entreprises européennes aux
marchés extérieurs ; le respect strict des droits de l’homme dans les conditions de production
des produits importés au sein de l’UE ; la mise en place des normes sociales et
environnementales qui devraient être respectées par toutes les entreprises – étrangères et
européennes – qui accèdent au marché européen et l’adoption de droits de douane adaptés
en fonction de ceux-ci ; ou encore l’activation des délégations européennes dans le monde au
service des entreprises européenne et soutenir leur accès aux marchés étrangers.

66
Pascal CANFIN, « Mondialisation : la troisième voie », Alternatives Economiques Hors-séries, Mai 2012.

52
CONCLUSION
L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

CONCLUSION

Cette publication apporte un regard approfondi sur un thème qui agite les instances tant
européennes que belges. A l’heure où le Parlement wallon s’est illustré au niveau européen
par une proposition de résolution remettant en cause la conclusion de l’accord de libre-
échange avec le Canada tel qu’il se trouve à l’issue des rounds de négociations, l’analyse
approfondie de cet accord et de ses conséquences est un exercice indispensable, non
seulement pour les responsables politiques mais aussi et surtout pour l’ensemble des
citoyens.
La présente analyse démontre que le CETA, loin d’être un accord exemplaire d’une nouvelle
génération d’accords commerciaux, se révèle bien plutôt être un cheval de Troie qui non
seulement inclut de nombreux risques en son sein, mais qui de plus distrait les responsables
politiques européens et nationaux d’une autre urgence, celle de renforcer la dynamique intra-
européenne axée sur le renforcement de son tissu économique propre. Nous rassemblons ici
notre analyse sur trois dimensions où l’impact du CETA est majeur : la santé de l’homme et
de l’environnement ; les petites et moyennes entreprises et l’identité culturelle européenne.

La santé prime sur le commerce !


Le CETA poursuit l’objectif de libéralisation de l’ensemble des services. Dans ce cadre, la
protection des investisseurs actifs dans ce secteur guide le raisonnement tout au long de
l’accord. La capacité pour les Etats de réguler et de réglementer les différents secteurs
couverts est perçue comme un risque pour la protection des investissements. Dès lors, tout
retour en arrière est rendu impossible par le CETA. Le fait que les échanges commerciaux
avec le Canada ne représentent qu’une petite partie des échanges commerciaux extérieurs
de l’Union n’a pas d’importance en la matière : c’est la totalité des marchés de services actifs
dans l’Union qui en est affectée, dès lors qu’un investisseur canadien pourrait être lésé par la
politique menée par un Etat membre.
La capacité des Etats d’agir dans les domaines de service public est bien entendu cruciale
dans ce cadre. On pense aux secteurs d’équipements tels que les transports, l’eau ou
l’énergie ; mais également à la protection sociale et le secteur de la santé ; ou encore
l’éducation. Dans chacun de ces domaines, les Etats sont cadenassés quant à leur capacité
d’agir. En particulier, si l’un d’entre eux souhaite renforcer sa régulation il risque d’être
attaqué devant l’organe de règlement des différends qui protège les investisseurs.
Au-delà même des services publics, ce frein à la régulation touche toutes les dimensions,
dans une logique de libéralisation toujours plus poussée puisqu’elle suit une logique de
« cliquet » et de « liste négative ». Ne seront donc protégés de l’ouverture aux échanges que
les secteurs qui auront été explicitement mentionnés. Quid alors de secteurs qui se
développeront à l’avenir, et pour lesquels une intervention publique peut s’avérer
souhaitable ? De plus, l’accord n’offre aucune garantie quant au respect de principes forts tels
que la souveraineté alimentaire, les normes sanitaires et d’hygiène, le principe de précaution,
la protection de l’environnement et de la biodiversité, ou d’autres encore que l’on
souhaiterait développer à l’avenir. Plus fondamentalement encore, les Droits de l’Homme ne
peuvent être invoqués pour justifier une entrave au commerce.
Ces impacts sont particulièrement marqués dans le domaine agricole. En encourageant un
modèle tourné vers les exportations, les petits agriculteurs seront toujours plus soumis à une
concurrence exacerbée. Le risque, comme l’expérience de l’ALENA (l’accord de libre-échange
nord-américain) nous le rappelle, est de voir émerger des grosses exploitations agricoles au
détriment des plus petites. Cela pourrait avoir des répercussions sur la survie de notre
agriculture familiale et surtout sur le développement de nouveaux modèles agricoles. De

54
CONCLUSION

même, l’ouverture des marchés publics prévue par l’accord limite la capacité des autorités
publiques à recourir à des critères sociaux ou environnementaux, par exemple dans le but de
développer des circuits courts. Quel paradoxe ! Alors même que se multiplient au Canada
comme en Europe de nouvelles manières de produire et de consommer, au bénéfice tant des
agriculteurs que de la qualité de l’alimentation et donc de la santé.
Par ailleurs, la crise agricole à laquelle l’Europe est aujourd’hui confrontée, ne se résoudra pas
en dérégulant encore plus le secteur. La préservation et le renforcement du modèle européen
de développement socio-économique passe nécessairement par de nouvelles formes de
régulation.
Enfin, parce qu’il ne mentionne pas le « principe de précaution », le CETA compromet notre
santé. Or, c’est au nom de ce principe, ancré dans le droit européen, que l’UE a par exemple
interdit l’importation de bœuf aux hormones, l’utilisation de certains antibiotiques en
élevage, certains pesticides ou OGM. Ce principe permet de protéger les citoyens,
particulièrement dans le domaine de l’alimentation, de la santé ou de l’environnement. Il
autorise le législateur à exiger la preuve qu’un produit ou un aliment mis sur le marché est
inoffensif et à prendre des mesures de précaution, telles que son interdiction, en cas de doute
scientifique.
Demain, avec le CETA, nos normes européennes en matière de pesticides pourraient être
assouplies voir contestées. Au nom du CETA, notre politique environnementale et nos
engagements climatiques pourraient être remis en question. L’environnement est justement
un exemple des effets pervers de ce Traité.
La Commission s’efforce de démontrer que les normes y compris les normes sociales et
environnementales seront tirées vers le haut. Pourtant, les négociations pour le CETA ont
offert à l’Europe une occasion (manquée) de se placer en tant que leader des normes
environnementales. La plupart des engagements du chapitre sur le développement durable
n’ont pas de valeur juridique contraignante.

Un accord qui pénalise les PME


Dans le texte de l’accord on y retrouve très peu de mentions aux PME. Or on le sait, en
Europe, très peu de PME exportent au-delà du marché intérieur. Comment dès lors penser
que la conclusion de cet accord commercial favorise le développement de ses acteurs qui
représentent l’immense majorité des acteurs économiques européens ?
Par contre, de multiples éléments de l’accord montrent que celui-ci est davantage taillé sur
les besoins des grandes entreprises. Ainsi, si l’ouverture des marchés publics canadiens
favorise les entreprises européennes, quelles sont les PME qui pourront en profiter ?
En matière de commerce, l’arrivée de nouvelles chaînes de distribution risque de mettre
davantage à mal notre tissu de commerce local et de proximité.
En matière de règlement des différends, le nouveau chapitre 8 sur « l’Investissement » ne
répond pas à une des principales craintes des PME, à savoir les coûts prohibitifs des
procédures d’arbitrage.
Une clause de rendez-vous invite l’Europe et le Canada à prendre des mesures
supplémentaires pour réduire le coût du recours au tribunal pour les PME, afin de le rendre
plus accessible. Mais aucune décision n’est prise pour l’instant quant au plafonnement des
coûts. Or, il s’agit d’une question centrale pour les PME, qui sont bien souvent limitées dans
leur capacité d’introduire des procédures en recours. L’ICS, tout comme l’ISDS, pénalise
donc les petites et moyennes entreprises.

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L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

L’identité culturelle vs le libre-échange


Cet accord touche directement nos valeurs et nos normes, il s’attaque ainsi à notre identité
européenne. Ce projet d’accord ne se limite pas à l’abaissement de droits de douanes mais
s’attaque avant tout aux barrières réglementaires au commerce. Or ces barrières sont parfois
intimement liées à nos valeurs et à l’identité européenne.
L’exception culturelle qui limite la marchandisation de la culture ou encore les indications
géographiques qui protègent nos produits du terroir montrent qu’il est nécessaire de
protéger des secteurs sensibles de la libéralisation commerciale. Le CETA prévoit une
protection pour une partie de nos indications géographique ; c’est un pas dans la bonne
direction, mais elle n’est pas suffisante. Quant à la portée de l’exception culturelle, nul ne sait
actuellement avec certitude si ce principe, pourtant inscrit dans la Charte de l’UNESCO, sera
pleinement garanti, vu l’interprétation asymétrique qu’en ont les deux parties.
Pour terminer, cette analyse démontre que les avancées obtenues grâce au CETA ne
parviennent pas à compenser ses failles et ses manques. A l’heure où les citoyens européens
exigent de leur leader de leur démontrer qu’ils ont une vision qui dépasse la seule recherche
absolue de croissance et de commerce, il est une condition absolue pour relancer une
nouvelle génération d’accords commerciaux : celle de considérer le développement du
commerce comme un moyen et non une fin, au service d’objectifs plus ambitieux au niveau
social, environnemental et tout simplement d’une amélioration du bien-être de l’ensemble
de l’humanité.

56
CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

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L’ACCORD UE-CANADA : CHEVAL DE TROIE OU EXEMPLE A SUIVRE ?

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