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Publication : 3/07/2020 - 14456 caractères

Réflexion sur les critères du délai raisonnable en matière de justice


pénale au Sénégal. Par Albert Dione et Sadou Wane, Docteurs en
droit.
Il apparaît essentiel d’apporter des clarifications sémantiques de la notion de « délai raisonnable » qui
comprend la juxtaposition de deux termes. Le terme délai qui se rapporte à la durée, détermine un intervalle de
temps pendant lequel se produit une action, une instance, un procès. Le temps est consubstantiel au procès.
Ainsi, le circuit de la justice pénale est ponctué par de nombreuses séquences de délais légaux.

Réflexion sur les critères du délai raisonnable en matière de justice pénale.

L’examen des contours du délai raisonnable exige des précisions sémantiques sur la notion même de délai
raisonnable. Il conviendra par la suite de se focaliser sur l’appréciation du caractère raisonnable du délai, afin
de mieux cerner la portée de la jurisprudence en la matière.

I. La notion de délai raisonnable :

La rapidité de la justice comme sa lenteur présentent, toutes les deux, des vertus et des vices. En effet, l’intérêt
de tout justiciable n’est pas seulement d’obtenir une décision définitive de justice, mais surtout de l’obtenir
dans un délai raisonnable pouvant lui permettre de jouir pleinement des droits que celle-ci consacre. Le
principe du délai raisonnable est prévu à l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui
énonce que : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, (…), soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ». D’emblée, il est à remarquer qu’en droit positif
sénégalais, aucune définition législative ou réglementaire n’a été apportée sur la notion de délai raisonnable.
Or, cette terminologie trouve son assise pour la première fois dans l’article premier de la loi n° 2014-26 du 3
novembre 2014 abrogeant et remplaçant la loi n°84- 19 du 2 février 1984 fixant l’Organisation judiciaire du
Sénégal. En revanche, ce principe tarde à se traduire concrètement dans la vie judiciaire.

À ce titre, il apparaît essentiel d’apporter des clarifications sémantiques de la notion de « délai raisonnable »
qui comprend la juxtaposition de deux termes. Le terme délai qui se rapporte à la durée, détermine un
intervalle de temps pendant lequel se produit une action, une instance, un procès. Le temps est consubstantiel
au procès. Ainsi, le circuit de la justice pénale est ponctué par de nombreuses séquences de délais légaux. C’est
pourquoi, la durée de procédure varie en fonction de l’importance du conflit, de la difficulté à réunir les
preuves et à établir les faits qui constituent l’infraction et de la charge de travail du ministère public et des
tribunaux. L’adjectif raisonnable, accolé au délai pourrait signifier équilibre, ce qui est acceptable, suffisant ou
convenable. L’adjectif raisonnable a comme acception, ce qui est satisfaisant, c’est-à-dire qui n’est ni
anormalement long, ni excessivement court. Le raisonnable délimite les confins de ce qui est socialement
acceptable. La durée de la procédure doit s’inscrire dans une durée acceptable, admissible.

Le caractère raisonnable est laissé à l’appréciation discrétionnaire du juge du fond qui se prononce en vertu
des circonstances concrètes, au cas par cas, procédant à une analyse détaillée de tous les éléments de la cause.
L’aspect convenable du délai permet de « tracer une limite entre discrétionnaire et arbitraire ». En effet, le
délai raisonnable par définition ne saurait être fixé par référence à une limite maximale précise, déterminée de
manière abstraite, mais doit être apprécié dans chaque cas d’espèce en fonction des circonstances de la cause.
A cet égard, la notion de délai raisonnable est un contenant évanescent, difficilement saisissable dont il a
appartenu à la jurisprudence européenne de dégager les critères d’appréciation, in concreto, en fonction des
circonstances de chaque instance, de la "raisonnabilité" d’un délai de procédure, auxquels se sont appropriées
les juridictions des Etats membres. En espèce, dans l’arrêt de principe rendu le 28 juin 2002, le Conseil d’Etat
français a jugé que « le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à
la fois globale compte tenu, notamment, de l’exercice des voies de recours et concrète, en prenant en compte
sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties
tout au long de celle-ci ». La notion de « délai raisonnable » qui caractérise ce droit processuel, est un
contenant extensible et vague chargé d’évocation dont « il appartient au juge, sur la force de l’idée directrice
qui s’en dégage, de déterminer le contenu variable et évolutif au gré des espèces et au fil du temps ».

Dès lors, l’une des conditions sine qua non du procès équitable est le respect du délai raisonnable dans la
conduite des procédures juridictionnelles. Or, l’on note une absence de base juridique pour faire recours à la
durée d’une procédure pénale. Ainsi, pour mieux apprécier le caractère raisonnable du délai, il convient de se
rapporter sur le panorama détaillé du juge européen et la jurisprudence française en la matière.

II. L’appréciation du caractère raisonnable du délai :

Etant donné que la jurisprudence sénégalaise sur la question est pauvre, voire inexistante, nous nous
appesantirons, essentiellement, sur la jurisprudence européenne , et notamment, française pour dégager les
critères d’appréciation de la « raisonnabilité » du délai de procédure. Le caractère raisonnable de la durée de
la procédure est apprécié in globo et de façon concrète. En règle générale, les trois principaux critères sont
pris en considération, à savoir la complexité de l’affaire, le comportement des autorités étatiques et celui de
l’accusé.

La complexité de l’affaire : la complexité de l’affaire s’apprécie au regard de plusieurs variables. Elle peut tenir,
tant du point de vue des faits que sur le plan du droit, à l’objet et au caractère du conflit pénal. La complexité
de l’affaire est le critère phare lors de l’appréciation de la raisonnabilité du délai, de ce fait, l’examen ne doit
pas être hypothétique. Le caractère raisonnable doit surtout être concrètement démontré. Bien d’éléments sont
pris en compte pour l’appréciation de la complexité de l’affaire de l’importance de l’enjeu. C’est le cas, par
exemple, de la technicité des documents, des montages financiers difficilement saisissables pour tout profane,
des ramifications transnationales d’une affaire, nécessitant une commission rogatoire. La complexité résulte
également de la technicité de la matière, l’enchevêtrement des sociétés d’écran ou des structures impliquées
dans des paradis fiscaux, de la dissimulation d’actes délictueux. L’imbrication d’un conflit pénal peut résulter,
notamment, du grand nombre d’auteurs, de la dispersion des suspects sur l’ensemble du territoire national, de
l’indisponibilité des témoins, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel les affaires
s’étendent.

La complexité de l’affaire peut, également, se rapporter à la réalisation d’expertises et d’analyses scientifiques,


de l’ampleur des investigations nécessitant des infiltrations, filatures et éventuellement des écoutes. Toutefois,
la Commission européenne considère que la gravité des faits n’emporte pas forcément une déduction de la
complexité de l’affaire. La Cour estime que la dangerosité était insuffisante pour conclure à la complexité d’une
affaire. Il en est de même, de l’état de récidive du mis en cause, de la longueur de la procédure ponctuée par la
contradiction des rapports d’expertises. La délicatesse de l’affaire n’est pas le seul critère exclusif, le
comportement des autorités judiciaires sert également de baromètre pour apprécier le caractère raisonnable
du délai.

Le comportement des autorités judiciaires : il incombe à l’Etat le soin d’assurer la célérité de la procédure par
une bonne administration du service public de la justice pour parer à toute déficience structurelle. La Cour
européenne des droits de l’homme pose une véritable obligation à la charge des Etats , les obligeant à mettre
en place un système judiciaire suffisamment structuré, à telle enseigne que l’appareil judiciaire, soit à même,
de prendre toute mesure de nature à faire lumière sur l’affaire et à assurer une distribution efficace de la
justice dans un temps optimal et prévisible. Il appartient donc à l’Etat de se doter d’un arsenal juridique
adéquat et performant pour honorer ses engagements universels de régenter un procès équitable soucieux du
respect du délai raisonnable. Ainsi, la Cour impute la responsabilité à l’Etat pour non-respect du délai
raisonnable, toutes les fois qu’il s’avère que les moyens utilisés par l’Etat pour remédier au dysfonctionnement
de la justice sont « insuffisants et tardifs ».

Le juge européen, en statuant, ausculte attentivement la diligence et le comportement des autorités interférant
sur le dossier pénal et « la manière dont l’affaire a été menée par les autorités judiciaires », les retards
accumulés dus à une juridiction, l’encombrement structurel des rôles. La Cour vérifie justement si la procédure
n’a pas été inutilement prolongée, si « les juridictions ont examiné l’affaire avec la promptitude nécessaire et
dans un laps de temps aussi court que possible ». De ce fait, l’engorgement des tribunaux ne décharge pas
l’Etat de sa responsabilité dans la mesure où la Cour exige des Etats contractants, l’organisation de leur
système judiciaire pour permettre aux juridictions de remplir les conditions posées par l’article 6 de la
Convention européenne. A cet égard, il échoit à l’Etat, en toutes circonstances, de prendre toute dispositions
nécessaires pour surveiller d’éventuelles manœuvres dilatoires et apporter des réponses efficaces à toute
inactivité des autorités impliquées au dossier. La Cour, sur la base d’un faisceau d’indices, recherche les
manquements des organes étatiques, les périodes de somnolence significative ou totale, de latence et d’inertie
dans la procédure, en un mot, les lenteurs injustifiées. Ce sont les périodes durant lesquelles « aucun acte
substantiel de la procédure n’est intervenu (…) aucun acte d’instruction n’a été effectué ». Par contre, un
arriéré ou un engorgement temporaire n’engagera pas la responsabilité de l’Etat, si les autorités ont pris les
mesures raisonnables pour traiter une situation dérogatoire, sauf s’il y va de l’intérêt de la partie mise en
cause. Il est question, ici, d’une obligation de résultat à laquelle est tenu l’Etat. Par conséquent, il revient à
l’autorité étatique d’apporter la preuve du retard accusé dans la conduite de la procédure. En fin, le juge
européen retient un autre élément d’appréciation du caractère raisonnable de la procédure, à savoir le
comportement de la personne mise en cause ou son conseil.

Le comportement du mis en cause : l’appréciation de la « raisonnabilité » du temps de la procédure n’est pas


simplement attachée à la complexité de l’affaire ou au comportement des autorités compétentes, le requérant
joue un rôle fondamental dans le processus judiciaire. A cet effet, le juge européen vérifie, au regard des
éléments du dossier, s’il ressort du comportement du plaideur une pratique abusive tendant à allonger la
procédure ou dilatoire de la personne mise en cause, sans que ne lui soit reproché, le fait d’utiliser les voies de
recours disponibles. En sus, l’article n’exige pas de l’intéressé une coopérative active avec les autorités
judiciaires. La Cour note que la personne mise en cause est tenue seulement d’accomplir avec diligence les
actes le concernant. La Cour de Strasbourg ne conçoit pas, non plus, qu’il soit censuré au requérant « d’avoir
tiré pleinement parti des possibilités qu’ouvrirait le droit interne ». Il s’agit de rechercher les causes de retards
résultant de l’attitude obstructive du requérant. A titre d’exemple, dans l’arrêt Jablonski c. Pologne du 21
décembre 2000, la Cour constatait que la grève de la faim et les automutilations d’un prévenu ont retardé
l’issue de la procédure, elle conclut que ces faits ne pouvaient être reprochés à l’Etat. Il en est de même en cas
de saisine à tort d’une juridiction incompétente, comme ce fut le sens de l’affaire Beaumartin c. France, du 24
novembre 1994. Dans une jurisprudence constante, les juges de Strasbourg estiment également que l’Etat n’a
pas non plus à répondre des retards occasionnés par le refus à comparaître des témoins.

Cependant, même si le requérant manifeste de la mauvaise foi en s’attachant à tout détail bénin, dans l’optique
de tirer en longueur et enliser la procédure, les autorités sont, néanmoins tenues d’assurer un rythme régulier
du procès dans un délai raisonnable. A pareille occurrence, la Cour reconnaissait toujours le droit au plaideur
d’invoquer le respect du délai raisonnable afin de situer la véritable responsabilité de l’Etat, même si nous
gardons à l’esprit le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

C’est la raison pour laquelle le justiciable procédurier et retors qui, sans supputer ses chances, use
systématiquement des voies de recours, sollicite de manière inconsidérée des délais supplémentaires et suscite
à volonté des incidents de procédure, ne peut se plaindre de la prolongation de délais qui découle de son
comportement.

Néanmoins, en droit interne, le législateur sénégalais devrait franchir un nouveau palier en instaurant un
recours effectif pour non-respect du délai raisonnable.

Auteur :

Auteur :

Sadou WANE Docteur en droit et Albert DIONE Docteur en droit

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