6. Forgée par les canonistes, la théorie de la représentation dans sa
modalité la plus fine qu'est le mandat, fut reprise par DOMAT et POTHIER, dont s'inspirèrent largement les auteurs du code civil (J.-L. GAZZANIGA, Mandat et représentation dans l'Ancien Droit, Droits 1997/6, p. 21). Ledit code consacre au mandat le titre XIII du livre III, composé des articles 1984 à 2010. Ces articles n'ont subi que deux modifications mineures depuis 1804 : à l'article 2003 (par la suppression de la mort civile comme cause d'extinction du mandat), et à l'article 1985 sur la preuve (par la loi o n 80-525 du 12 juill. 1980, D. 1980. 273, qui a retouché plusieurs articles sur cette matière). Cette splendide pérennité est en partie le fruit de la rédaction des textes cités, assez remarquables par leur sobriété, leur concision et leur abstraction (conformément à la méthode législative prônée par Cambacérès pendant la Révolution, lors des ébauches de code civil, et exposée par Portalis dans son fameux Discours préliminaire).
7. Toutefois, sans que la conception du mandat ait fondamentalement
changé, la pratique, la jurisprudence et la doctrine contemporaines ont considérablement enrichi cette institution (V. dans le même sens : F. LASSERRE-JEANNIN et B. LE BARS, Le modèle dans le contrat de mandat, article préc.). De plus, le législateur en multipliant les statuts particuliers, de mandataires spécialisés pour lesquels il propose ou impose un régime propre, a également apporté sa pierre à cet enrichissement – qui est aussi une manifestation de la complexité toujours croissante du o Droit –. Un exemple important en est la loi n 91-593 du 25 juin 1991, « relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants » (codifiée depuis : C. com., art. L. 134-1 s.). Deux autres sont assez originaux : le « mandat à effet posthume », introduit par la loi 2006-728 o du 23 juin 2006 (V. infra, n 425) et le « mandat de protection future », o o créé par la loi n 2007-308 du 5 mars 2007 (V. infra, n 24). L'un et l'autre apparaissent en quelque sorte comme des mandats de prévention (S. HÉBERT, Le mandat de prévention : une nouvelle forme juridique ?, D. 2008. 307 ), mais dont la qualification de mandat est douteuse (A. GILSON-MAES, Mandat et responsabilité civile, préf. C. PÉRÈS, LGDJ, os 2016, n 83 s.). Le contrat de mandat manifeste une étonnante vitalité, aux visages et aux usages multiples.
b. - La vision du mandat des auteurs du code civil
e 8. La doctrine du XIX siècle avait distingué, dans la litanie des « contrats spéciaux » du code civil, les petits contrats des grands contrats. Les petits contrats étaient ceux qui apparaissaient d'utilité moindre que les grands. Par voie de conséquence, leur réglementation était plus succincte (ce qui contribua à leur force, en assurant sa pérennité et en permettant, par son imprécision, leur utilisation dans des situations imprévues par le législateur). Tel est précisément le cas du mandat. Sa « petitesse » est attestée par sa place dans le code civil : il se trouve presque en fin de liste (après la vente, l'échange, le louage, la société, le prêt, le dépôt et le séquestre, les contrats aléatoires, dans le code de 1804 ; depuis, ont été ajoutés, toujours avant le mandat, le contrat de promotion immobilière [art. 1831 s.] et les conventions relatives à l'exercice des droits indivis [art. 1873-1]). Un autre indice de cette « petitesse » est le nombre restreint d'articles consacrés au mandat : 26 (moins, par ex., que pour le dépôt proprement dit qui, sans compter le séquestre, a droit à 39 articles, ou que le prêt développé sur 40 articles, pour ne citer que deux autres « petits contrats ». – Comp. not., consacrant au mandat nettement plus d'articles : le C. libanais des obligations et des contrats, 53 art. ; le C. civ. du Québec, 55 art. ; le C. tunisien des obligations et des contrats, 90 art., mais en incluant la gestion d'affaires).
9. Le trait majeur des petits contrats était qu'ils apparaissaient comme
devant se conclure – dans le modèle idéal – entre amis ; ils concrétisaient leurs sentiments, et leur donnaient une traduction juridique. Le prêt à usage est sans doute l'archétype de cette intrusion de l'amitié dans le Droit ; dans l'esprit des rédacteurs du code civil, fidèles à une antique tradition, le mandat en était une autre hypothèse (« Mandatum […] originem ex officio [et] amicitia trahit », Paul, Dig., XVII, I, 1, 4). Dans cette optique d'amitié, les petits contrats (dont le mandat) étaient conçus comme intervenant à titre gracieux : ce sont des contrats de bienfaisance. La gratuité est, sinon toujours de leur essence, du moins conforme à leur nature. Pour le mandat, l'article 1986 du code civil résume bien cela en précisant que « le mandat est gratuit, s'il n'y a er convention contraire » (l'art. 812-2, 1 al. [L. 2006-728, 23 juin 2006] reproduit cette disposition pour le mandat à effet posthume ; bien que postérieur au C. civ. français, le BGB allemand, entré en vigueur le er 1 janv. 1900, est encore plus catégorique : « Par l'acceptation d'un mandat, le mandataire s'oblige à s'occuper gratuitement pour le mandant de toute affaire à lui confiée par ce dernier »). Le législateur avait organisé le régime juridique de ce geste amical, en précisant les obligations du mandataire (art. 1991 à 1997 ) et celles du mandant (art. 1979 à 2002 ). Une protection de surcroît résulte de l'article 314-1 du code pénal, incriminant l'abus de confiance (commet un abus de confiance le mandataire indélicat, détournant ou dissipant frauduleusement des fonds, des valeurs ou un autre bien qui lui a été remis à titre précaire en vertu du contrat. – V. par ex. : Crim. 20 mai o o o 1985, n 84-92.803 , Bull. crim. n 189. – Crim. 3 juill. 1997, n 96- o o 85.144 , Bull. crim. n 265. – Crim. 6 avr. 1994, n 93-84.341 , Gaz. Pal. o 1994. 2. Somm. 413. – Crim. 12 oct. 1995, n 94-83.619 , Bull. crim. o o n 304, D. 1995. IR 263 , RJDA 1996, n 57, détournement au préjudice o de la succession du mandant décédé. – Crim. 12 sept. 2012, n 11- 83.444. – V. Abus de confiance [Pén.] ). D'autre part, ce service d'ami avait pour objectif d'assurer la représentation du mandant – et dans son seul intérêt – par le mandataire : la représentation est de l'essence du o os mandat (V. supra, n 2, et surtout infra, n 65 s.). Tel est le principal caractère du mandat. Enfin, comme tout contrat, le mandat supposait la volonté de s'engager de la part de chacune des parties (le fait que le fils du bénéficiaire d'un coffre-fort dans une banque ait restitué sa clé au décès de son père ne saurait valoir procuration : Com. 9 févr. 2016, o n 14-23.006 , Bull. civ. IV ; Gaz. Pal. 2016. 56, obs. C. Houin-Bressand).
2° - Le renversement ultérieur des perspectives
10. La vision traditionnelle du mandat ne correspond plus à la réalité,
ayant été bouleversée à tous égards (Ph. le TOURNEAU, De l'évolution du mandat, D. 1992. Chron. 157 ). En premier lieu, la volonté de s'engager n'est plus absolument nécessaire, du moins dans le mandat apparent, où la « croyance légitime » du tiers contractant est source suffisante et os efficiente de droit contre le pseudo-mandant (V. infra, n 174 s., 377 s.). Et l'effet essentiel du mandat (assurer la représentation) subit une atténuation assez considérable à propos des mandataires professionnels os (V. infra, n 335 s.), tandis que les mandants tendent à être regardés, envers les tiers, comme des commettants du mandataire (V. infra, o n 357). Enfin, ce contrat est de plus en plus souvent conclu dans l'intérêt os commun des parties (V. infra, n 407 s.), voire, dans certains cas, semble n'avoir été envisagé que pour le seul avantage du mandataire, o comme une procuratio in rem suam (V. infra, n 51, à propos du crédit- bail).
11. En second lieu, la vision traditionnelle du code relative au mandat,
conçu comme un petit contrat, car de peu d'importance et conclu à titre amical, est complètement obsolète. Chacun de ces deux éléments est aujourd'hui controuvé. D'abord, le contrat de mandat est d'une importance considérable, d'une utilisation fréquente dans l'activité juridique des citoyens, et constante dans la vie des affaires. Et le mandataire est souvent un professionnel intervenant à titre onéreux (V. os infra, n 311 s.). Grâce à la représentation qu'il implique, le mandat permet à quelqu'un de passer un acte qu'il ne pourrait pas personnellement conclure, soit à raison de son incapacité juridique, soit à raison d'un empêchement matériel (tenant à son éloignement géographique du théâtre des opérations, à son manque de temps ou à son incompétence) ; ou encore, lorsqu'il s'agit de personnes morales (dans un certain sens, une telle « personne » est une fiction, un corpus mysticum) ; elles ne peuvent pas agir elles-mêmes, et ont donc nécessairement recours au truchement d'êtres humains, généralement regardés comme des mandataires (mais cette qualification est o contestable ; V. infra, n 31).
12. L'utilisation du contrat de mandat est si considérable aujourd'hui qu'il
n'est plus possible de le regarder comme un « petit contrat ». Il est devenu « grand » ! Mieux, il nous semble qu'il est devenu un des deux « super-grands », avec le contrat d'entreprise (au sens contemporain du mot) – alors que le contrat de vente voit son poids relatif diminuer (même si nous n'épousons pas entièrement la vue de Michel DE JUGLART, pour lequel « La vente [était] un contrat en voie d'extinction au profit de l'entreprise », selon le titre et la teneur de sa contribution aux Mélanges J. Derruppé, GLN Joly Litec, 1991, p. 63 s.). La qualification de contrat d'entreprise est bien commode : c'est un large manteau, pouvant couvrir toutes sortes d'activités à défaut d'autre qualification, dès lors que quelqu'un s'engage envers autrui à exécuter un travail indépendant et rémunéré, sans représentation (Ph. le TOURNEAU Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, éd. 2017/2018, os n 3311.11 s.). Celle de mandat est également fort pratique pour une autre raison : elle est un incomparable instrument technique (de précision) à l'appui d'autres conventions, pour en faciliter (ou en permettre), que ce soit la conclusion ou l'exécution. Le contrat de mandat est un peu « l'homme à tout faire » des contrats spéciaux, le « contrat à os tout faire », comme nous l'exposerons bientôt (V. infra, n 20 s.). Il a même pu être démontré que, dans certains cas, le mandat servait d'instrument de crédit (à condition d'être irrévocable, et dans de rares o circonstances ; V. infra, n 400).
13. Le mandat et l'entreprise ont pour objet une prestation de services
os (sur la distinction de ces deux contrats : V. infra, n 74 s.). Cette proposition donne la clef qui explique la prédominance actuelle des contrats de mandat et d'entreprise sur la scène bariolée des « contrats spéciaux ». La voici : Notre civilisation tend à devenir une civilisation des biens immatériels et des services. 70 % des entreprises françaises sont dans les services, qui représentent 38 % des emplois en France ; les trois quarts des créations d'entreprises interviennent dans ce secteur ; 60 % des investissements sont consacrés à l'immatériel (Ph. le TOURNEAU, Les e os contrats de franchisage, 2 éd., Litec, 2007, n 24 s.). En même temps, l'hyper spécialisation des fonctions s'accroît, se traduisant par un foisonnement de spécialistes et une généralisation de la sous-traitance, même pour des prestations intellectuelles ou juridiques. Si telle est l'importance économique des services, dont le mandat, il est clair que l'amitié a cessé d'être à sa base, et donc la gratuité sa norme. Voilà encore un bouleversement par rapport à la vision des auteurs du code. La plupart des contrats de mandat sont, en ce temps, conclus par des professionnels dans l'exercice de leur activité, d'où à titre onéreux. Pour autant, il faut se garder de qualifier de mandat n'importe quel contrat de service. Ainsi, le contrat de gestion d'entreprise, fort utilisé dans le domaine de l'hôtellerie, ne peut pas être qualifié de la sorte (G. CHASTENET De GERY, La nature juridique du contrat de gestion d'entreprise hôtelière. Contribution à une étude de la dissociation du capital et de la gestion, thèse dactyl. Paris IX, 1998, p. 116 s.).
3° - L'utilisation universelle du mandat
14. Pour faire toucher du doigt l'importance actuelle du contrat de
mandat, il paraît opportun de donner, sinon un inventaire exhaustif de son utilisation, du moins un panorama des principaux domaines dans lesquels il est utilisé, ce qui sera une façon d'entrer d'emblée dans le vif de la matière et de prendre conscience de sa richesse. Son emploi est universel (V. dans le même sens : A. POPOVICI qui, dans son ouvrage très personnel La couleur du mandat [Thémis, Montréal, Québec, 1995], consacre un long chapitre à « L'omniprésence du mandat », p. 195 à 370). Une manifestation de cette omniprésence du mandat est que le Droit administratif va jusqu'à admettre qu'un organisme privé puisse agir en tant que mandataire, même tacite, au lieu et place d'une personne publique ; pourront alors constituer des marchés publics des contrats conclus par des personnes privées pour le compte de personnes publiques (V. not. sur cette question : C. GUETTIER, Droit des contrats os administratifs, PUF, 2004, n 169 s.) Mais, transplanté dans un contexte administratif, le mandat est sensiblement modifié (V. en ce sens : M. CANEDO, Le mandat administratif, LGDJ, 2001, p. 69 s.) ; du reste, d'une façon plus générale, le véritable mandat (emportant pleine représentation) est rare en droit administratif (R. NOGUELLOU, Le contrat de mandat en droit des contrats publics, dans N. DISSAUX [dir.], Le o mandat. Un contrat en crise ?, op. cit., p. 67 s., n 33).
15. Quelques remarques préalables. Première remarque. - À
proprement parler, il n'est de véritable mandat que conventionnel. L'usage s'est cependant instauré d'y assimiler la représentation d'origine légale ou judiciaire, et il est courant de parler de mandats légaux ou judiciaires. Quant aux mandats conventionnels, ils sont parfois la conséquence obligée, de par la loi, d'un autre contrat. C'est notamment le cas du mandat d'une société de gestion d'un fonds commun : il est imposé aux porteurs de parts (T. BONNEAU, Les fonds communs de placement, les fonds communs de créances et le Droit civil, RTD civ. o 1991. 1 , n 72). Le mandat est imposé et, ce qui plus est, le mandataire l'est aussi.
16. Deuxième remarque. - La faveur actuelle pour le mandat conduit
parfois le législateur à baptiser ainsi des liens contractuels qui ne méritent pas cette qualification. À dire vrai, ce phénomène ne date pas d'aujourd'hui : le code de commerce en donne un cas bien connu à e propos de la lettre de change (C. com., art. L. 511-1 , I, 2 ). Ce texte impose, parmi les conditions de validité du titre, la mention de « mandat pur et simple de payer une somme déterminée » (même disposition pour e le chèque dans le C. mon. fin., art. L. 131-2 , 2 ). Il ne s'agit pas, malgré le mot, d'un mandat nouant entre le tireur et le tiré des rapports de mandant à mandataire. C'est un simple ordre. er o 17. Plus récemment, la combinaison des articles 1 de la loi n 70-9 du 2 janvier 1970, dite o HOGUET, et 72 du décret n 72-678 du 20 juillet 1972 laisse entendre que l'agent immobilier doit détenir un mandat écrit pour accomplir toute espèce de mission e (M. THIOYE, Droit des intermédiaires immobiliers, LexisNexis, 2 éd., 2012, os n 483 s. ; M. FAURE-ABBAD, La responsabilité des mandataires du secteur de l'immobilier, dans B. REMY [dir.], Le mandat en question, Bruylant [Bruxelles], 2013. 175.) ; cette règle est d'ordre public : la Cour de cassation a décidé en 2008 que le mandat apparent ne peut pas la tenir en échec