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La parole et la lecture

ALAIN MICHEL
Professeur à l’Université de Paris – Sorbonne
Membre de l’Institut

La lecture joue un rôle essentiel dans la culture humaine, telle que l’ont
conçue les Grecs et les Latins depuis la publication des poèmes homériques.
Le débat reste ouvert jusqu’à notre temps. Certes, tout repose sur le livre et
donc sur sa lecture. Ce n’est point un hasard si leçon ressemble à lectio. Les
anciens ont eu conscience du problème. Il suffit de nous rappeler le texte
célèbre qui apparaît dans le Phèdre de Platon à propos de l’origine de l’écri-
ture 1. Elle élabore de frêles jardins de roseaux qu’elle dessine et arrose avec
de l’encre. Beaucoup d’inconvénients s’attachent à sa pratique. Elle favorise
par trop la facilité en supprimant ce qu’il y a de créateur dans le langage et
en rendant mécanique le fonctionnement de la mémoire. Une fois enfermée
dans les bibliothèques, la tradition se fige ; elle cesse d’être vivante. Mais
faut-il adopter vis-à-vis de la lecture une attitude aussi négative ? Le vrai
problème est de concilier le bon usage de la lecture avec la liberté vivante de
l’esprit.

Il faut souligner d’abord qu’avant Socrate et Platon, et aussi après eux,


toute I’antiquité avait été dominée par l’usage de la lecture. On peut dire que
là réside un des aspects majeurs du miracle grec : faire de l’écriture l’une des
formes principales de ce qui va devenir la « littérature » (noter la portée de
l’étymologie qui se prépare ainsi pour notre temps).
Une innovation aussi créatrice ne peut s’accomplir en sens unique.
Certes, le poème épique que chantaient les aèdes devient un texte écrit, qui
se trouve normalisé vers l’époque de Pisistrate. Mais, dans le texte ainsi
rédigé, le souvenir de la forme initiale est soigneusement préservé. Il y a plu-
sieurs raisons à cela. D’une part, les auteurs épiques souhaitent préserver
dans l’exercice de leur profession la présentation orale qui leur était fami-
lière ainsi qu’à leur public. D’autre part et de façon plus générale, ils se
rendaient compte qu’une telle présentation, alors même qu’elle était artifi-
cielle, offrait de grands avantages pour la technique du récit. Les modernes

1 Phèdre, 274 b sqq. (notamment 276 c).

EVPHROSYNE, 27, 1999


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ont continué à s’en apercevoir lorsqu’à propos des exercices mêmes du


langage ils ont employé volontiers le terme « narration ». Le genre littéraire
du chant épique s’est donc modifié. Mais tandis que l’écriture le fixait, on a
pris conscience de ses procédés et de ses figures. La poétique spontanée est
devenue une rhétorique. On conçoit la défiance de Platon mais aussi l’intérêt
des poètes. On comprend surtout que ce qui risque de disparaître d’un côté
se trouve compensé de l’autre. La spontanéité réelle s’efface mais l’art des
figures tend à la compenser en la dépassant.
Il suffit pour s’en aviser d’étudier les divers procédés qui apparaissent
dans le texte écrit d’Homère. Les commentateurs les ont étudiés, ils ont
montré leur valeur littéraire et esthétique. Homère use du style formulaire et
en souligne la valeur par ses répétitions. Il utilise fortement l’art de la proso-
popée, qui est particulièrement utile à l’aède lorsqu’il doit mimer les discours
de ses personnages. Mais tout cela ne prend sa pleine portée qu’en s’inscri-
vant dans l’ensemble d’une composition. On s’aperçoit que les formules et
leur répétition font beaucoup pour la clarté ou pour l’unité de l’œuvre.
Reconnaissons qu’Homère, dans sa merveilleuse clarté, « parle comme un
livre ». Il permet notamment le retour en arrière. Cela est encore plus vrai
quand on considère la « disposition » de l’œuvre. Ce n’est point un hasard si
le discours de Phénix se situe dans la partie centrale de l’Iliade. Elle annonce
en la contestant toute la suite de la colère d’Achille 2. La vue globale du texte
n’est accessible que lorsqu’on le saisit dans sa totalité. Le livre, même dans
ses formes primitives, rend possible une telle démarche. Il ne s’est donc pas
développé contre la parole mais avec elle.
Dans la littérature grecque à l’autre extrémité de la période classique
paraît Aristote. Lui aussi fait beaucoup pour le livre. Il vient après Platon et
les sophistes et il tend à concilier leurs enseignements. Il donne place à la
rhétorique et à la poétique dans la philosophie. Tel est en somme bien
souvent le rôle du livre dans son histoire. Il concilie le jeu des figures avec la
vérité ou la vraisemblance. Il ne rejette pas l’improvisation ou la spontanéité,
mais il les rattache à la nature et il sait qu’elles ont leurs lois, qui se reflètent
dans le langage sans en exclure les conventions. C’est ici que vraiment nous
apprenons à lire, selon toute la complexité vivante de cet exercice.
Des conséquences fondamentales apparaissent dans l’ordre de la pensée
philosophique elle-même ainsi que des autres formes littéraires. Nous pour-
rions le montrer encore à propos de Platon et aussi de « l’Aristote perdu ». Ces
auteurs, qui dépendent de Socrate, l’imitent chacun à sa façon, en utilisant
le même genre littéraire : le dialogue. Bien évidemment, leurs textes sont
écrits et rédigés de façon très précise. Mais la forme choisie tend à donner la
première place à la parole. Il faut savoir lire pour comprendre ces illustres
écrits et pour en conserver la mémoire, à laquelle la transmission orale ne
saurait nullement suffire. Nous avons perdu les dialogues d’Aristote, mais
ceux de Platon nous montrent bien comment la rigueur de l’écrit peut se
combiner avec le jaillissement de la parole.
Il en va de même à Rome. L’exemple le plus frappant et le plus fécond
est celui de Cicéron. Ses œuvres écrites se répartissent en trois catégories :

2 Cf. Iliade, IX , 430-605.


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les dialogues d’abord, où se manifeste la souplesse nuancée de l’Académie


platonicienne ; les discours ensuite, qui reproduisent évidemment ce qui
appartient en propre à la parole, mais qui se trouvent ici rédigés (a poste-
riori, pour une grande part) ; enfin les lettres qui sont à mi-chemin entre le
parlé et l’écrit (le De officiis ressemble à un traité suivi, mais c’est d’abord
une lettre adressée par l’auteur à son fils en un moment tragique). Ainsi donc
l’Arpinate, qui est avant tout un maître d’éloquence et qui veut gouverner par
la parole, lui fait toujours place dans des exposés qui sont pourtant rédigés
et savants. Dans le type de lecture (ou de lectio) qui se trouve ainsi instauré,
le verbe est toujours saisi à travers la lecture. Le plus souvent il l’a précédée,
mais en tout cas l’écriture a toujours contrôlé la parole, tout en exigeant
sa présence.
De là viennent les méthodes d’éducation qui trouvent leur perfection
à Rome à la fin du Ier siècle ap. J. C. et qui persisteront sans beaucoup de
changements jusqu’à la première moitié de notre siècle. Tout repose au
départ sur la lecture. Le grammairien précède le rhéteur dans le temps.
Mais ce dernier doit nécessairement intervenir pour parfaire la lecture et la
changer en parole vive au moyen de l’emendatio. A son tour, celle-ci procède
de l’interpretatio qui recourt quant à elle aux connaissances issues des diffé-
rents arts et notamment de la philosophie. En somme, nous voyons naître
ici l’explication de texte telle que la pratiquent encore nos contemporains.
Les anciens ont mis au point avec beaucoup de précision ses diverses procé-
dures. Cela leur était possible parce que la rhétorique leur enseignait avec
soin et exactitude les différentes figures qui unissent la forme et le sens. Ils
comprenaient aussi que la prise de connaissance des textes devait être
accompagnée par des progymnasmata qui permettaient à l’avance d’analyser
et d’expliquer leur genèse. On savait dans la Rome impériale que la lecture
est liée à l’imitation des gestes et des paroles ainsi qu’à la déclamation.
Celle-ci faisait une place à l’improvisation mais ne se limitait pas à cela. Elle
impliquait aussi l’art de la variation qui ne pouvait exister pleinement sans la
lecture de plusieurs textes dont on faisait la synthèse. Du coup, la mémoire
jouait pleinement son rôle, contrairement à ce qu’avait pensé l’auteur du
Phèdre. On était arrivé à la notion de copia uerborum dont Cicéron parlait
volontiers 3. Pour que les mots viennent aisément à l’orateur, il est besoin
sans doute d’une fougue spontanée, mais il faut aussi avoir beaucoup lu pour
disposer d’assez de termes et il est nécessaire d’en être assez imprégné pour
qu’ils reviennent immédiatement à la mémoire.
Ajoutons que l’interprétation des textes permet de découvrir la comple-
xité de leurs sens et de s’en rendre compte. Le lecteur antique s’en aperçoit
lorsqu’il cherche la portée des textes mythologiques. On objectera qu’ici la
lecture n’est pas seule en cause. Les narrations orales rencontrent les mêmes
problèmes que les récits écrits. Mais prenons maintenant les textes de lois.
Ils constituent toute une partie de l’argumentation rhétorique. Il s’agit essen-
tiellement de découvrir leurs intentions, leur esprit, leurs ambiguïtés. Tout
cela relève à la fois de la lecture, de la rhétorique et aussi de la philosophie
du droit 4.

3 V. en particulier CICÉRON, De oratore, III, 125.


4 Sur l’ensemble de la lecture, v. QUINTILIEN, Institution oratoire, I, 8-10.
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Nous pourrions revenir en arrière, rejoindre le grammairien. Lui aussi


se pose des questions qui portent sur la nature, l’art, l’usage. Pour répondre,
il doit rassembler des ensembles de données. Ici encore, la lecture est seule
capable de dominer le temps et de vaincre les limites 5. Elle pose donc les
problèmes de l’histoire.

Nous ne pouvons donc nous arrêter ici. Il faut continuer dans le temps
l’histoire du concept de lecture. Il reste tout à fait vivant et se charge d’une
référence essentielle à l’absolu et à Dieu. Car la notion de livre change d’une
manière décisive. Il s’agit désormais du livre parfait, du livre idéal, celui
dont l’auteur est Dieu qui le donne aux hommes pour qu’ils le lisent et le
comprennent. La civilisation du livre devient alors la religion du Livre.
C’est d’abord en lisant ses textes qu’on écoute Dieu. Le rôle de la lecture
se trouve investi d’une immense dignité. Mais il ne s’agit pas d’une pratique
rigide et passive. La lecture est un comportement complexe, dans lequel
interviennent les facultés de l’homme en leur totalité et même celles de Dieu.
Avant tout, Dieu se révèle par son fils qui est le logos, le Verbe et qui est donc
par excellence la parole vive. Le Livre sacré se confond donc avec la voix de
Dieu. En lui, les deux formes des vocables humains se rejoignent de façon
transcendante.
C’est ce que comprend, à la fin du Ve siècle ou au début du VIe, le ps.
Denys l’Aréopagite. Il se sert des catégories de pensée du néo-platonisme
pour définir les noms de Dieu. Ils semblent toujours inadéquats, inférieurs à
l’immensité de l’invisible, qu’ils veulent désigner. Comment dire et comment
lire l’indicible ? Denys donne deux réponses, qui procèdent de la plus haute
tradition issue du paganisme philosophique 6. D’une part, il suit le modèle
proposé vers la fin du Ier siècle ap. J. C. par la théorie du sublime, qui semble
elle-même avoir essayé de concilier l’esthétique grecque et celle de la Bible.
Pour cet enseignement il fallait, comme on le voit effectivement dans la
Genèse, accorder l’extrême simplicité des mots avec le jeu des symboles, qui
permettent de dépasser l’immédiat et d’atteindre le sens profond où
Dieu réside. La lecture, comme toutes les formes de la parole, permet ainsi
d’accorder les figures et la transparence.
Le Moyen Âge n’oubliera jamais cette leçon. Peut-être n’a-t-il pas en
Occident une connaissance assez profonde de la tradition grecque. Encore
faudrait-il s’en assurer. Mais en tout cas, dans le domaine latin, il suffit de se
référer à saint Augustin et à son immense influence. Nous le constaterons si
nous lisons les Confessions ou surtout le De doctrina christiana. Nous verrons
que pour Augustin deux notions sont dominantes : le mot, auquel il faut
donner son sens le plus clair ; le signe, auquel les mots peuvent aussi se
rattacher et qui permet de saisir au-delà de l’apparence immédiate et par
les différents moyens de la métaphore, de la comparaison, des tropes et des

5 On pourrait ici rejoindre SÉNÈQUE et son De breuitate uitae, XIV sqq. ; la lecture permet

de dépasser dans le repos ce que la vie et la culture ont de temporel et de rejoindre l’éternité.
6 Nous suivons ici la thèse à paraître du FR. OLIVIER VENARD, O. P., La parole et la beauté

dans la théologie. Saint Thomas d Aquin poeta theologus. L’auteur s’inspire aussi de Guigues
le Chartreux.
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figures, de l’analogie, tout ce qui se dissimulait jusqu’au Deus absconditus.


Naturellement le mot, comme les autres signes, dépend du réel. Donc les
trois termes ne cessent de jouer ensemble sur l’échelle de l’absolu en allant
de l’humilité humaine à la grandeur de Dieu ou en procédant en sens inverse.
Du même coup, la parole chrétienne prend un double caractère. Elle accorde
dans son livre l’infini et la mesure, modus et modestie. Chaque mot porte en
lui les possibilités de l’élévation et de l’humilité. Tout s’accorde dans l’amour,
qui est à la fois désir et choix, amor et dilectio. La parole humaine suit et
propose un exemple, qui est divin puisqu’il s’agit du Christ. Tout langage
est incarnation, au sens le plus sacré du terme, puisqu’il saisit le réel par
l’amour et le situe dans l’ordre de la dilectio et de ses choix. Le Moyen Âge se
souviendra de cette doctrine. À travers Augustin, elle remonte à la tradition
de Platon et Plotin. Chaque intervention du langage pose dans sa plénitude
la question du logos. Il va de Dieu à l’homme ou à la nature et à travers eux
il remonte vers l’absolu, c’est-à-dire vers Dieu. L’absolu et le relatif se trou-
vent ainsi confrontés, comme il arrive effectivement dans l’amour.Ce double
mouvement existe dans tout usage des mots, lorsqu’on approfondit à la fois
leur mystère et leur clarté. Il apparaît à la fois dans leur transparence et dans
leurs figures, dans le choix ou dans le rejet du mythe ou de la métaphore.
Dans quelle mesure le lecteur de la Bible doit-il s’en tenir au sens littéral ou
historique ? La réponse est à la fois une et multiple. D’une part, quand il
s’agit de la Bible, c’est-à-dire du langage de Dieu, des termes employés
par l’indicible lui-même, chaque mot, chaque image présentent dans leur
lumière la plénitude de la clarté. Qu’ajouter aux Béatitudes ou au dialogue
avec la Samaritaine ? Mais il n’empêche qu’à tout moment Jésus parle en
paraboles. Nous dirions volontiers que tout langage, pour autant qu’il
témoigne d’une telle pensée, aboutit au plus expressif des silences. Les deux
faces de l’incarnation se trouvent présentes ensemble.
Dès lors deviennent possibles diverses observations qu’Augustin et ses
successeurs n’ont pas manqué de faire et qui concernent de manière précise
la place de la lecture dans la culture sacrée.
D’abord, la lectio, puisqu’il s’agit d’elle, ne se limite pas à la connais-
sance de la lettre et de la grammaire prise au sens étroit. Elle met en œuvre
l’ensemble des artes et d’abord la rhétorique et la philosophie, que la poésie
accompagne. Au XIIe siècle, les Victorins et Jean de Salisbury le montrent
comme Augustin et Boèce l’avaient déjà fait. Le moindre texte, si on veut
l’approfondir, exige ainsi une culture encyclopédique ou en tout cas générale.
Plus précisément, la lecture implique, pour être complète, d’abord la médi-
tation puis, après l’interprétation des mots et des idées, la contemplatio qui
permet l’oratio ou prière : le langage s’épanouit alors dans l’action à la fois
morale et sociale.
L’acte de lire est complexe. On s’en aperçoit en particulier dès lors qu’il
est tout à fait sacré, dans la liturgie. Les problèmes de la lecture prennent ici
un sens original. À première vue la musique semble trouver une solution
au problème de l’indicible. Elle est silence, elle ne cherche pas à parler. Elle
réalise seulement une quête de l’unité qui conduit vers l’absolu et qui semble
apte à résoudre les problèmes de l’indicible, puisqu’elle peut se passer de
dire. Mais les choses ne sont pas si simples. D’abord, elle peut exprimer la
joie et la douleur, l’élévation sublime ou la simplicité naïve. Aussi s’ajoute-
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t-elle à la rhétorique ou à la poétique par une alliance spontanée ou savante.


Saint Augustin le répétait déjà : celui qui récite les psaumes a toujours le
désir de les chanter 7. L’historien de la musique peut suivre l’évolution selon
laquelle, après la fin de l’Antiquité, elle a peu à peu dépassé le simple recours
à la mémoire et mis au point d’abord les neumes, qui exprimaient seulement
les lignes et le mouvement du chant, puis la notation moderne, qui rend
possible une lecture complète.
Ainsi la lecture, dans sa perfection, appelle le chant. Mais il faudrait
ici insister sur un autre point, auquel les médiévaux et les modernes ont été
sensibles. Une telle attention aux mots ne risque-t-elle point de réduire celle
que nous accordons aux choses ? Quelle place le lecteur fait-il aux mots et
aux choses ? La lecture a tendance à mettre les premiers en valeur ; contrai-
rement à ce qu’on pourrait croire à première vue, elle peut favoriser le nomi-
nalisme. Un tel débat n’est pas ignoré de notre temps.
À la fin du Moyen Âge deux types de questions se posent donc au
lecteur ; elles touchent à la fois à la logique et à la métaphysique et elles
concernent le rapport du mot avec les choses. Faut-il se contenter de la cohé-
rence du logos ou peut-on dans la lecture chercher l’être ?
On doit répondre d’abord que les penseurs et les écrivains médiévaux
se sont trouvés partagés ici comme ailleurs entre Platon et Aristote. Le pre-
mier proclamait le réalisme des idées, le second les considérait comme des
abstractions et ne croyait donc pas à leur réalité ; mais il cherchait l’être et
la substance qui était la première de ses catégories. La pensée médiévale
apparaît donc comme un dialogue entre l’un et l’être. Le lecteur, qui cherche
dans les mots l’interprétation du réel, peut se contenter d’établir entre les
vocables des correspondances qui fondent un formalisme ou essayer plutôt
d’atteindre les choses par l’intuition. On peut aussi trouver une synthèse qui
consistera à définir par analogie des ordres qui établissent, dans les deux
sens, une hiérarchie entre l’être et les images. Les symboles joueront ici un
rôle important 8. Bien entendu l’interprétation et la lecture interviennent
dans ce cas. Elles permettent d’établir l’arrière-plan du texte et d’en définir
les intentions et la portée. Par exemple à la fin du Moyen Âge Dante présente
ensemble dans son Paradis saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, et
avant eux saint François d’Assise et saint Bernard de Clairvaux. Le premier
trouve dans la nature une analogie ascendante qui le mène vers Dieu, le
second (inspiré par Augustin ) une analogie descendante qui, allant de Dieu
à l’homme, guide et sauve les créatures ; le troisième et le quatrième s’atta-
chent à la simplicité de l’amour et à ses figures. Ainsi une lecture complète,
rendue nécessaire par la complexité même de la culture rassemblée par le
poète, rend seule possible l’étendue de l’interprétation et la beauté d’une poé-
tique où la sobriété concise s’accorde dans une sobre lumière à la subtilité
des figures et du sens pour atteindre ensemble toutes les vertus du sublime 9.

7 Cf. saint AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos, XLVI.


8 Nous touchons ici en particulier à la théorie des quatre sens de l’Écriture. Le sens
moral, le sens physique et le sens spirituel dans ses différents aspects répondent au sens littéral.
9 Le sublime était surtout aux yeux du PS. LONGIN et de la tradition stoïco-platonicienne

l’élévation qui fait écho à la grandeur d’âme. Le style des Evangiles y ajoute l’amour et
l’humilité.
LA PAROLE ET LA LECTURE 135

Qui dit lecture au plein sens du terme dit livre. Nous pouvons mainte-
nant résumer notre propos en citant un texte admirable qui remonte au XIIe
siècle et à Hugues de Saint Victor :
« Les livres, ce sont les cœurs des hommes, le livre de vie est la sagesse
de Dieu. Les livres sont ouverts quand les secrets des cœurs sont manifestes ;
le livre de vie sera ouvert quand pour chacun dans la lumière intérieure tout
ce qu’il faut faire deviendra patent. Les morts aussi sont jugés d’après ce qu’il
y a dans les livres, non dans le Livre, parce que les pécheurs seront jugés
d’après leurs œuvres. Nos livres ont été écrits d’après la ressemblance de la
sagesse de Dieu comme il est dit «la lumière de ton visage s’est marquée
sur nous, Seigneur». Maintenant encore nos livres doivent être écrits selon
l’exemple du Livre de vie, comme dit l’Apôtre : « Soyez les imitateurs du
Christ comme ses fils très chers ». Même s’ils sont écrits, ils doivent au moins
être corrigés… » 10.
Telle fut, dès l’origine, la profondeur spirituelle de la méditation médié-
vale au sujet du livre. Au XIVe siècle, Dante en a porté l’application au plus
haut degré. Au même moment, la réflexion sur la lecture prend une orienta-
tion nouvelle qui annonce et qui prépare ce qu’on a appelé la Renaissance.
Les nominalistes, dont l’influence est dominante, méditent sur la plasticité
du sens de chaque mot. Elle dépend de la perspective ou du mode dans
lesquels il est employé et donc de ce qu’il suppose. Ainsi s’ébauche une lin-
guistique philosophique de l’implicite. Soit la formule : « L’homme est bleu ».
Elle peut être fausse si l’on prend « homme » au sens universel de son genre :
humanité. Mais si l’on prend le terme dans ses aspects particuliers, si l’on dit
par exemple que tel homme est bleu parce qu’il a les yeux bleus, à ce moment
la proposition est vraie. Les médiévaux, que les modernes relaient dans une
large mesure, ont fondé une logique savante sur l’analyse de la supposition
et de ses modes. Mais les usagers du livre et des textes se sont alors trouvés
en présence d’une abstraction théorique qui, dans la forme sinon dans le
fond, leur paraissait contraire à toute simplicité et dangereuse de ce fait.
Pour rendre compte de l’implicite, ils se sont donc contentés d’observer la
cohérence des textes, que la mise en œuvre de l’imprimerie allait rendre plus
directement lisibles. Pourquoi distinguer les modes de la signification, de
l’être et de la supposition alors qu’il suffisait de revenir au contexte pour
établir directement l’interprétation? En agissant ainsi, on se plaçait au-delà
de la logique, on revenait aux temps qui avaient précédé la philosophie,
on conduisait la lecture à se suffire à elle-même et on permettait à la littéra-
ture de se constituer en soi 11. Le retour aux origines aidait la modernité à
prendre forme.

Nous ne nous arrêterons pas longuement à la Renaissance. C’est d’elle


pourtant que provient aujourd’hui notre art de lire dans beaucoup de ses
principaux aspects. Au nom du retour aux lettres antiques, elle se présente,
nous venons de le voir, à la fois comme une synthèse et comme une critique
de la pensée médiévale. Les deux aspects se confondent ou s’accordent dans
l’usage qu’elle fait de la doctrine d’Augustin et de son style. Qu’il nous suffise

10 Cf. HUGUES DE SAINT-VICTOR, La parole de Dieu, VI, 2 (trad. Alain Michel).


11 Cette tendance était apparue dès le temps de Pétrarque. Elle allait s’affermir.
136 ALAIN MICHEL

ici d’évoquer, avec beaucoup de chercheurs contemporains, les paradoxes qui


régissent l’œuvre d’Erasme et la tradition qu’il reçoit de Lorenzo Valla 12.
D’une part, il veut avant tout que les textes soient beaux. Il s’attache aux
grands auteurs, aux vrais modèles. Il obtient ainsi la delectatio. Le plaisir est
une des fins de la lecture. D’autre part toute l’anthropologie d’Erasme insiste
sur l’importance de la spiritualité et de l’intériorité. Il rejoint ainsi Augustin,
mais aussi Sénèque. Il marque donc, sans avoir besoin de recourir à la
logique des scolastiques, la possibilité, la nécessité sans doute de réunir les
grands auteurs par ce qu’ils ont à la fois de plus divers et de plus simple. C’est
alors que lisant Cicéron il trouve en lui les moyens d’apprécier les autres écri-
vains latins au lieu de les éliminer 13. Lire signifie comprendre, c’est-à-dire
embrasser la culture dans son ampleur. Cela implique à la fois l’équité et
l’ironie dont Erasme, en ses bons moments, ne se prive pas. Spiritus, qui
s’oppose souplement à littera va bientôt prendre, en se combinant avec lepos,
gaité, la valeur d’esprit au sens moderne. Erasme emploie volontiers un autre
terme important, qui a été mis en valeur par Lorenzo Valla : elegantiae. La
notion est antique. L’élégance, qui procède de l’heureux choix des tournures
et des mots, joint en elle les vertus de clarté et de pureté. Elle est liée par Valla
à une conception originale de la grammaire. Le langage est une discipline
trop haute pour être confiée aux seuls grammairiens. Ceux-ci reconnaissent
eux-mêmes, lorsqu’ils sont sages, qu’elle dépend de l’usage et même du bon
usage. Aucune théorie scolastique ne peut nous renseigner à cet égard, ni
aucun manuel scolaire. Il faut se référer aux praticiens et d’abord aux meil-
leurs d’entre eux, c’est-à-dire aux bons écrivains chez lesquels Cicéron tient
sa place mais n’est pas seul. Eux possèdent l’autorité véritable, qui leur a été
attribuée par l’expérience historique 14.
Au point où nous sommes arrivé, la lecture possède tous les avantages
qu’elle a gardés de nos jours. Mais elle offre surtout un ensemble de virtua-
lités qui se rattachent aux expériences si nombreuses qu’elle n’a cessé
d’enchaîner. Il convient d’énumérer quelques-unes d’entre elles.Nous laisse-
rons de côté ce qui se rattache à la pratique des savants. Bien entendu, pour
pratiquer la recherche scientifique, il faut savoir lire et écrire. Dès le Moyen
Âge, les humanistes et les physiciens en ont pris conscience et cela était déjà
vrai au temps des Grecs ou de Lucrèce. La didactique implique la lecture ;
elle comporte ses difficultés propres, relatives à l’expositio, à l’argumentation,
à leur mise en œuvre qui n’exclut pas certaines formes de beauté où la
poésie n’est pas absente : on l’a toujours su de Parménide et Pythagore à
Valéry en passant par Descartes. Mais nous nous en tiendrons, ici comme
auparavant, aux aspects littéraires.
La lecture est devenue un plaisir, qui prend des formes diverses. Les
premières apparaissaient déjà dans la delectatio antique. Elles naissaient de
la beauté, de la grâce, du sublime. Elles passionnent encore les amateurs.
Pour atteindre un plein contentement, ceux-ci aiment à développer certaines

12 Nous suivons ici la thèse de JACQUES CHOMARAT, Grammaire et rhétorique chez Erasme…
13 D’ERASME voir aussi le Ciceronianus et le De copia uerborum et rerum.
14 Par exemple, Valla montrait que les bons écrivains, comme Cicéron, ne disent jamais

sui ipsius, qui semble pourtant convenir à la règle grammaticale mais suus ou sua ipsius. Il
s’agit là d’un fait d’usage qu’on ne peut reconnaître que par des lectures assidues et attentives.
LA PAROLE ET LA LECTURE 137

formes raffinées du goût, qui apparaissaient déjà au temps de la Renaissance


et qui trouvent souvent leur plein épanouissement vers la fin de notre XIXe
siècle et au début du XXe. Il n’est pas étonnant qu’Anatole France, avant
François Mauriac, ait été un chartiste. Voici le temps de Sylvestre Bonnard.
L’amour du livre vient régir toute la vie et toutes les vertus de celui qui
l’éprouve. Il ne s’arrête pas à la simple connaissance du texte mais il met en
jeu les jouissances de l’antiquaire et s’attache, comme on le faisait déjà au
début de la Renaissance à la connaissance des écrits anciens et des éditions
originales et rares. Le livre devient un objet précieux, qui s’offre plus ou
moins spontanément aux collectionneurs. Ainsi voit-on renaître chez l’auteur
du Livre de mon ami un esprit d’enfance qui se manifeste également chez les
jeunes écoliers (en train d’apprendre les lettres et la grammaire en même
temps que l’histoire ) et chez les vieux bibliophiles.
Mais Anatole France savait bien, au moment où il cultivait un langage
si clair, une pensée si paisible et si gaie, que les choses n’étaient pas aussi
simples. À ses côtés, quelques écrivains sans doute plus grands que lui
assignaient à la lecture une autre fonction. Il attribuait leur comportement
à la décadence 15 mais il s’agissait surtout des poètes et notamment de
Mallarmé. Celui-ci avait poussé à l’extrême les exigences d’absolu qui, ainsi
que nous l’avons dit tout à l’heure, existent dans l’interprétation de tout
vocable. Il avait voulu, comme tel autre poète, « donner un sens plus pur aux
mots de la tribu » 16 et il avait poussé si loin cette pureté qu’il avait brisé et
remodelé la syntaxe. En chaque vocable, en chaque figure, il cherchait,
comme l’indiquait par exemple la Prose pour des Esseintes, à retrouver l’Idée
platonicienne, « fille du long désir ». Mais une exigence si grande avait appa-
remment pour effet de dissoudre la cohérence du discours. Si nous voulons,
comme Mallarmé le fait lui-même à propos de la « prose », donner aux
mots leur portée médiévale, nous dirons que, pour rejoindre l’intellect, il
avait dans une large mesure renoncé à la raison discursive. D’une certaine
manière, au-delà du discours et dans l’intellect, il avait alors assisté, comme
dit Claudel, à la Catastrophe d’Igitur 17. Mais il n’est pas sûr qu’il se soit laissé
aller à l’angoisse ou au désespoir. L’Idée avait introduit dans la pensée néga-
tive qui la saisissait le vide et le néant. Mais ceux là aussi avaient laissé leur
trace : « Le néant parti, reste le château de la pureté » 18.
Il semble que la poésie, depüis Mallarmé et quelques autres, propose
au lecteur épris d’absolu une nouvelle approche pour des exigences qui
semblent nouvelles mais qui avaient été pressenties depuis qu’existait l’expé-
rience de la lecture. Après le poète et jusqu’à nos jours deux courants prin-
cipaux vont se dessiner.
L’un passe notamment par Paul Claudel. Il cherche à concilier le grand
jaillissement du lyrisme grec, le naturalisme mystique de Virgile et le symbo-
lisme médiéval. Pour établir ainsi une conciliation entre les tendances
majeures de la littérature poétique en Occident, il doit méditer sur le rôle
et sur la portée du mot. Il comprend, d’une manière métaphorique que les

15 Cf. dans Le lys rouge le personnage appelé Choulette.


16 Cf. le Tombeau d’Edgar Poe.
17 Cf. PAUL CLAUDEL, « La catastrophe d’Igitur », dans Accompagnements, Pléiade, p. 508.
18 MALLARMÉ, Igitur, Pléiade, p. 443.
138 ALAIN MICHEL

anciens n’ont pas ignorée, que celui-ci donne à « voir », de même que « l’œil
écoute ». De telles formules sont vraies mais elles ne doivent pas être enten-
dues dans un sens littéral. Elles peuvent accorder, comme il arrive souvent
chez le poète, le réel avec l’imaginaire, la fantaisie et le rire. C’est de cette
façon que Claudel rejoint le cratylisme de Platon à propos des étymologies :
les mots, dit-il, ressemblent à ce qu’ils désignent. Claudel choisit des réfé-
rences poétiques qui le mettent à l’abri de tout pédantisme scientifique mais
qui lui permettent de jouer avec les mots. Il nous dit par exemple 19 que le mot
« locomotive » ressemble tout à fait dans sa forme, avec la roue, la cheminée
et le poste de conduite, à l’une de ces machines (à vapeur, bien entendu).
De façon plus profonde, on peut montrer que le poète accorde dans son
symbolisme et dans ses images les deux « processions » que suggéraient saint
Bonaventure et saint Thomas, l’une de Dieu à l’homme et l’autre de l’homme
à Dieu. Certes, cela n’est pas directement visible dans les jeux de mots que
nous avons signalés. Ils évoquent pourtant à la fois les jeux de l’ironie plato-
nicienne et la liberté concrète et joyeuse de l’auteur.
Mais une telle conception de la lecture poétique laisse aussi la place à
l’angoisse. Que va-t-il se passer si on désespère de l’absolu et si un nomina-
lisme radical refuse tout réalisme à la structure des mots, si tout se réduit à
la lecture, sans appui sur la nature ou sur l’être ? Les modernes se sont posé
la question. A propos du nominalisme, on peut évoquer Foucault et Eco :
que penser du nom de la rose ? On peut surtout citer toute l’œuvre de Borgès.
Sommes-nous autre chose que l’étoffe de nos songes ? Ici encore nous retrou-
vons Shakespeare. Borgès, quant à lui, médite sur la « Bibliothèque de Babel ».
En remontant au plus haut dans la culture, en accomplissant à
l’avance ce qu’Internet et les CDROM rendent possible de nos jours, on s’aper-
çoit qu’on ne revient pas à l’union des langues mais à Babel, à leur conflit qui
est aussi celui des subjectivités.
Que répondre ? On pourrait encore citer Claudel. Mais je proposerai
aussi deux autres noms pour finir. Ils appartiennent presque totalement à
notre temps. Il s’agit de Maurice Blanchot et de son ami Edmond Jabès.
Le premier se réfère à la fois à Hölderlin et à Hegel pour formuler sa
conception du Livre à venir. Il pense que tout écrit tend vers le silence et que
les poètes s’en avisent aujourd’hui. Ainsi s’accomplit leur quête d’infini. Mais
en même temps, puisqu’en toutes choses ils cherchent le nom, ils sortent de
leur domaine et de leur vocation s’ils se plongent dans l’infini, qui est silence
puisqu’il est indicible et dépasse toute parole. Le livre se situe donc au point
extrême où la parole rejoint le silence sans se confondre avec lui.
Il se peut que la poésie même aboutisse dans ses créations à cette pro-
fonde joie qui se mêle à la douleur, à ce désespoir qui touche à l’espoir. A vrai
dire, la modernité n’est pas seule en cause. Nous l’avons dit, on pourrait citer
Hölderlin, Shakespeare et jusqu’à Homère. Mais, pour compléter notre
démarche, il vaut mieux nous référer à un poète de notre temps. Edmond
Jabès est un juif égyptien qui a dû fuir son pays et s’exiler à Paris. Il a connu
la persécution hitlérienne. Dans sa condition d’exilé, il a pu se sentir coupé
de tous les hommes et même de son peuple. Mais le Livre lui reste, qui le relie

19 Cf. PAUL CLAUDEL, « L’harmonie imitative » dans Positions et propositions, Pléiade,

p. 95 sqq.
LA PAROLE ET LA LECTURE 139

à toute humanité même s’il se sent hétérodoxe, et qui, dans le silence même
et dans le néant, dans la pensée de la mort qui touche aussi Dieu, dans les
questions, les ressemblances, les analogies, au désert et dans le mystère de la
mer, lui permet de retrouver la Beauté. Voici ce qu’il écrit dans Le retour au
livre 20 : « Tout ouvrage est invalidation des ténèbres, hymne d’outre-mémoire
à la mémoire ensorcelée. La beauté est le don de la mort à la vie vulgaire pour
qu’elle vive en beauté. Abandonner le livre, c’est se laisser suspendre au vœu
du livre à venir. La moindre faiblesse nous cloue sur place. L’azur est envi-
ronné de nids d’où prennent leur envol des oiseaux dont le vol m’est un émer-
veillement. L’heure tient dans nos yeux. Je m’étonne de ce qui me déchire,
sans plus songer à la déchirure... Je me souviens d’une fin d’après-midi où,
seul dans le désert, j’ai vu l’ombre étoiler l’espace avec une aiguille si fine que
j’ai cru dans ma naïveté que le ciel était peuplé de pleureuses qui, à chaque
piqûre, poussaient un cri de feu dont on ne pouvait dire avec exactitude s’il
était celui d’une femme en transes ou de l’univers transpercé ».
Le livre est bien le cœur de l’homme, comme le disait Hugues de
Saint-Victor. Il va plus loin que la parole puisqu’il la prolonge dans le silence,
dans l’éternel, dans l’infini, les trois images ou les trois formes de la contem-
plation. La lecture n’est pas un vice impuni mais plutôt, à travers toute son
histoire, la servante inlassable de l’espoir dans sa joie et dans sa douleur, dans
les formes négatives de sa théologie. Nous finirons par la Dédicace que Jabès
adresse à tous ses morts dispersés par la guerre dans les divers cimetières
d’Europe. Toute lecture est aussi celle d’une épitaphe :
« Mère, je réponds au premier appel de la vie, au premier mot d’amour
prononcé et le monde a ta voix » 21.

SVMMARIVM

Librorum lectio in humano cultu magnas partes agit. Nam apud antiquos dialogorum
usus semper uerba rebus conciliat. Apud medii aeui christianos sancti libri hominum corda
sunt. Post renascentes litteras poetae noui et moderni silentium cum oratione conjungunt.

20 EDMOND JABÈS, Le retour au livre, p. 23.


21 Ib., « Dédicace », p. 9.

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