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Qualiopi quand on est formateur

indépendant : concrètement ça
ressemble à quoi ?

Le 12 juillet 2023 à 11 h 47 min | Mis à jour le 12 juillet 2023 à 12 h 08 min

Par Benoit Kriegel, Consultant, Auditeur et Formateur Qualité

Le débat autour de l’utilité de la certification Qualiopi pour les


organismes de formation fait rage depuis des mois. Pour certains il s’agit
d’un progrès, d’une évolution naturelle depuis Datadock, et pour d’autres
c’est une contrainte administrative de plus à devoir supporter.

Mais Qualiopi ce n’est pas la même histoire que l’on soit formateur
indépendant, petit organisme de formation ou un mastodonte du secteur.

Aujourd’hui je donne mon point de vue sur la certification pour le cas que
je connais le mieux, puisque c’est le mien : formateur indépendant. En
précisant que je ne fais pas que de la formation et que cette activité
n’est pas mon activité principale.

Je te propose de passer en revue ce qu’être certifié Qualiopi m’amène


comme difficultés, les avantages que j’y trouve et finalement de dresser
un bilan de la certification pour un indépendant.

Les difficultés de Qualiopi pour un indépendant


Les coûts

Obtenir la certification Qualiopi quand on est indépendant amène son lot


de contraintes, à commencer par le coût. Je pars de l'hypothèse que le
chiffre d’affaires de l’activité formation d’un indépendant reste inférieur
à 150 000€HT (si tu en fais plus, le coût ne devrait plus poser de
problème). Dans cette configuration l’audit initial dure une journée et
celui de surveillance une demi-journée. En ajoutant les frais
administratifs et divers, la certification pour un indépendant coute entre
1 500 et 2 000€HT pour une durée de 3 ans. Est-ce peu ou beaucoup ? La
réponse est à relativiser par rapport aux chiffres d’affaires que la
certification rend possible.

Le coût ne se limite pas à celui de la certification à proprement parler.


Pour être efficace et efficient des outils sont nécessaires, qui font
gonfler l’ardoise. J’utilise YPK à titre personnel, la plateforme de gestion
administrative d’HOP3TEAM. Sur 3 ans le coût est de l’ordre de 2
500€HT. Est-ce indispensable ? Non. Est-ce utile et est-ce que cette
dépense est justifié ? Je pense que oui.

L’autre coût indirect, plus difficile à mesurer, c’est le temps consacré à


cette certification. D’abord pour se préparer à être certifiable, puis pour
maintenir l’organisation et produire les preuves requises. Difficile de
chiffrer ce temps précisément. Dans la mesure où je suis qualiticien de
métier j’ai probablement été plus rapide que d’autres sur la partie
préparation. J’estime avoir eu besoin de l’équivalent d’une semaine de
travail à temps plein pour me mettre en ordre de marche. Le temps de
maintien quant à lui se décompose en deux parties : les actions
systématiques à réaliser pour chaque action de formation et les actions
de fond, où en lien avec l’environnement externe. J’y reviendrai.

Le formalisme

La difficulté suivante c’est le formalisme. C’est pour moi la plus


significative. Devoir produire et conserver des preuves documentées.
Que ce soit des échanges oraux concernant le recueil des besoins, le
positionnement en début de formation, les adaptations réalisées en
cours de formation etc... En tant qu’indépendant travaillant sur un petit
volume de formation, je garde aisément tous ces points en tête. A titre
personnel je n’ai pas besoin de les formaliser, mais je le fais pour la
certification.

En parlant de formalisme, il est un sujet qui me pose plus de problèmes


que tous les autres : la veille. Ou plutôt les trois veilles. Pourquoi ? Parce
que je suis en veille tous les jours ! Que ce soit à travers des posts
Linkedin, des articles de blog, des newsletters, des discussions avec
des confrères... Je vais potentiellement capter de l’information
susceptible d’influencer mon activité et mes décisions quotidiennement.
De plus j’ai un circuit de décision court, je peux lancer une nouvelle offre
de formation la semaine prochaine si je le souhaite : cette agilité c’est
un des atouts des indépendants. Alors devoir formaliser cette activité de
veille pour pouvoir prouver que je la mène me coute et je limite le
formalisme au strict minimum.

D’ailleurs ce sujet de formalisation de la veille constitue une des


principales difficultés que je retrouve chez les organismes de formation
que j’ai accompagnés vers Qualiopi. Ils ont compris l’attendu, mais le
formalisme tend à systématiquement passer à la trappe... Alors on fait
du remplissage à l’approche du prochain audit.

Les incohérences
Il est difficile de devoir faire pour faire juste parce que Qualiopi le
demande, alors que soit dans l’absolu, soit dans le cas d’un indépendant,
il n’y a pas d’intérêt réel. Prenons l’indicateur 30 : recueillir
l’appréciation des financeurs... C’est le truc inutile que je dois faire de
temps en temps. Inutile car je n’ai jamais obtenu de réponse à mes
sollicitations (et à ce jour je ne connais pas d’organisme de formation en
ayant obtenue une...). Indicateur 18 concernant la coordination des
intervenants : oui, je me coordonne moi-même...

Pour aller plus loin, certains indicateurs peuvent être conformes bien
que manquant de pertinence. Prenons l’indicateur 2 : diffuser des
indicateurs de résultats. Bon clairement je peux dire ce que je veux, en
choisissant évidemment des indicateurs arrangeants, sans nécessité d’y
associer un objectif. Franchement, quelle utilité ? A titre personnel, au
regard de mon activité : aucun. A titre commercial ? Je ne suis pas
convaincu.

Ce “faire pour faire”, c’est ce qui fait questionner la démarche. A titre


personnel, étant qualiticien, je fais en prenant du recul sur la pertinence
de l’exigence. Mais quand j’accompagne des clients sur la préparation
Qualiopi, devoir leur dire : “bon ben là-dessus ne vous posez pas de
question, faites juste ça, oui je sais ça ne sert à rien, mais c’est
justement pour ça qu’on ne va pas perdre de temps à se poser des
questions...” Cela contribue à décrédibiliser la démarche qualité.

Une perte d'agilité

Finalement la principale difficulté de Qualiopi pour un indépendant c’est


ce sentiment d’entrave. Des activités supplémentaires pas toujours
utiles, des coûts supplémentaires, des temps d’analyse et de réflexion
supplémentaires, qui réunis vont brider l’agilité de l’activité et
potentiellement retarder la mise sur le marché ou le test d’une nouvelle
offre. Car avant de pouvoir la tester, il faut l’avoir pensée Qualiopi
compatible. Or c’est précisément l’agilité qui caractérise un indépendant
vis-à-vis de structures plus importantes.

Une piste de progrès serait d’envisager que seules les formations


associées à un financement soient concernées par Qualiopi. Car oui,
certaines des formations que je vends le sont, mais plus de la moitié ne
le sont pas. Et sur ces actions je me retrouve tout de même empêtré
dans ce besoin de formalisme et ces exigences parfois inutiles.

Les avantages de Qualiopi pour un indépendant


Après l’énumération des difficultés, voyons les avantages apportés par
la certification Qualiopi. Car il y en a.
Crédibilité

Le premier concerne la crédibilité. Oui, quand on discute avec une


entrepris on a plus de chances d’être écouté, pris au sérieux et retenu si
on est certifié Qualiopi. C’est devenu la norme dans le secteur et s’en
priver peut éveiller des suspicions. “Ah vous n’êtes pas certifié, mais
pourquoi ?” Pas capable ? Pas le budget ? C’est louche. Donc pouvoir
présenter le sésame est un facilitant et un ouvreur de portes dans
certains cas, bien que cela ne garantisse en rien des commandes pour
autant.

Financements

Ce deuxième avantage est plutôt trivial : l’ouverture aux financements


de la formation professionnelle. Je parle ici de celui qui est le seul que je
côtoie : le financement OPCO. En effet mon offre n’est pas éligible CPF,
ni Pole Emploi, Régions ou autres. Mais concrètement, quelle part de
mon activité de formation a été associée à des financements ? Un peu
moins de 50%. Ce n’est pas quelque chose que je recherche
particulièrement ni que je cible, mais c’est le bilan après un peu plus
d’un an de certification. La grande majorité de ces presque 50%
concernent des formations individuelles destinées à d’autres
indépendants (comme par exemple sur Qualiopi).

Mais la vraie question reste la suivante : si je n’étais pas certifié


Qualiopi, aurais-je obtenu ou non ces affaires ? Je pense que oui pour la
moitié d’entre elles. Dis autrement, ne pas être certifié Qualiopi m’aurait
couté 25% du chiffre d’affaires associé à mon activité de formation. Or
quel est le chiffre d’affaires de formation d’un indépendant dont ce n’est
pas l’activité principale ? Il a été de l‘ordre de 25 000 €HT pour moi sur le
dernier BPF. 25% représente donc environ 6 250€HT. Les couts que j’ai
signalés précédemment s’élèvent environ à 4 000€HT... Sans compter le
temps qui n’est pas consacré à autre chose. Sans compter l’ouverture de
portes parce que je suis certifié Qualiopi, même s’il n’y a pas eu de
financement. Alors, est-ce un bon calcul ? Pas facile à dire...

Structuration

Le troisième avantage que je tire de ma certification Qualiopi est


paradoxal. Viser et obtenir la certification m’a obligé à me structurer.
Oui, même un qualiticien a besoin de cela ! Tu connais l’histoire du
cordonnier mal chaussé ? C’est complètement ça ! Je savais
parfaitement ce qu’il y avait lieu de faire en termes de structuration,
mais ne l’ai effectivement fait qu’à partir du moment où j’ai visé la
certification. Quelles actions réaliser, dans quel ordre, comment
recueillir les besoins en amont, quel processus pour la conception d’une
nouvelle formation, comment garantir sa bonne réalisation etc... Une
certification oblige à poser un cadre. Qu’il soit contraignant, qu’on soit
en accord ou pas, peu importe. Au final, il impose de réfléchir, de se
structure et de trouver l’organisation qui permet de répondre aux
exigences, tout en restant cohérente avec notre manière de travailler.

Amélioration ?

Pour finir j’aurais pu citer la démarche d’amélioration. Or elle aussi,


comme la veille, est totalement inhérente à l’activité d’indépendant. On
est en permanence en train de traiter les difficultés, de les analyser,
d’adapter afin de ne pas les reproduire. Pourquoi ? Parce que nous
sommes à la fois le formateur au contact des stagiaires, le commercial
au contact de l’entreprise, le logisticien qui prévoit le lieu, les modalités,
les moyens, le qualiticien qui s’assure de la conformité. Dès que quelque
chose coince, il n’y personne à convaincre, pas besoin de validation, on
agit. Donc l’amélioration est inhérente à la configuration de
l’indépendant et l’exigence de l’indicateur 32 est plutôt évidente. Sous
réserve de formaliser ce qui est réalisé.

Bilan
Quand j’essaie de faire le bilan des avantages et inconvénients,
plusieurs enjeux me sautent aux yeux. Ce sont eux qu’il faut être
capable d’adresser pour déterminer si la certification Qualiopi sera
pertinente ou non lorsqu’on est indépendant.

D’abord bien réfléchir l’organisation que l’on va déployer. Celle-ci doit


absolument être simultanément agile et reproductible d’une action de
formation à l’autre. Cela signifie que les processus prévus vont pouvoir
être mis en œuvre en tenant compte des variations associées à chaque
formation vendue. Un processus “standard” risque d’être trop rigide, car
l’indépendant est rarement sur une offre unique et fait plutôt du sur
mesure. Quels sont ces éléments variables : le sujet de la formation, la
durée, les modalités, le client, la typologie des stagiaires...

Cette organisation doit permettre de collecter les éléments de preuve


attendus de manière systématique : quels que soient les paramètres de
la formation, je fais un recueil de besoins, un positionnement, de
l’émargement, une évaluation de l’atteinte des objectifs, je collecte les
appréciations des parties prenantes etc...

Le cœur du problème pour l’indépendant c’est de réaliser tout ceci de


manière efficiente, c’est à dire en y consacrant le moins de ressources
possibles, car il est la seule ressource disponible ! L’objectif est la
production des preuves de conformité, pas la performance. Car il faut
bien comprendre que Qualiopi n’aborde pas la notion d’objectif qualité ou
même business pour l’organisme de formation ! Certes il demande la
diffusion d’indicateurs de résultats, mais sans exigence de se fixer
d’objectif. Quant à l’évaluation de l’atteinte des objectifs de la formation
par les stagiaires : l’exigence c’est l’évaluation et non pas l’atteinte...
Donc l’indépendant à tout intérêt à se consacrer à la production de ses
preuves de manière rigoureuse, en y consacrant le moins de temps et de
budget possible.

La vraie difficulté pour le formateur indépendant c’est qu’il est seul dans
son organisme de formation. Et qu’il ne fait peut-être pas que de la
formation. Il doit donc trouver cette organisation systématiquement
efficace et efficiente, qu’il réalise 3 ou 50 formations par an : c’est ça
l’enjeu majeur.

Après un an et demi de certification je prépare actuellement mon audit


de surveillance. Puis arrivera rapidement le moment de prendre une
décision : renouveler ma certification Qualiopi pour trois années
supplémentaires ou non ? Aujourd’hui je ne sais pas répondre à cette
question, tout simplement car la réponse n’est pas évidente. Ce n’est
pas un grand oui, ni une porte fermée.

Cela m’amène à mon dernier point : est-ce que je recommanderais la


certification Qualiopi à un formateur indépendant qui se demanderait si
c’est une bonne idée ? La bonne réponse ne tient pas tellement à
Qualiopi, qui n’est qu’un des éléments de l’équation, mais plutôt au
business model que souhaite déployer ce formateur. Personnellement je
ne souhaite pas orienter mon activité vers le CPF, ni cibler en priorité
des clients éligibles aux financements. Mais si c’est le cas, le jeu en
vaut la chandelle, c’est totalement faisable à condition de bien
comprendre que la clé de la réussite réside dans la capacité à trouver la
bonne organisation dans chaque contexte particulier.

Comme je le dis toujours aux indépendants que j’accompagne : obtenir la


certification Qualiopi est facile, en revanche la maintenir dans la durée
est difficile.

Benoit Kriegel

Benoit est consultant, auditeur et formateur en management de la


qualité ainsi que gérant de la société beQua, organisme de formation
certifié Qualiopi. Il a construit son parcours dans les secteurs industriels
de l’automobile, l’emballage agro-alimentaire, la plasturgie et dans la
formation professionnelle. Il intervient aujourd’hui principalement sur le
référentiel ISO 9001 dans tous secteurs d’activité et sur le Référentiel
National Qualité (Qualiopi) dans les organismes de formation. Il prône
une approche simple, agile et sexy de la qualité, indispensable selon lui
pour obtenir l’adhésion et l’engagement tant des dirigeants que des
collaborateurs.

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