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Partie 2 : Approche socio-historique de l’État et des formes de gouvernement

Séance 3 : De l’État en général à l’État en Afrique

On va faire une histoire de l’état tel qu’il est apparu en Occident. Ce détour s’explique par le fait que
c’est à partir de cette histoire et de travaux qui l’ont mise au jour qu’ont ensuite été menés les
travaux et analyses à partir de 1960.

Rappel des approches classiques de l’État évoquées en séance n°1

La théorie des 3 critères de Carré de Malberg (Contribution à la théorie générale de l’État,


1920)
- C’est une approche assez facile. L’État existe lorsque sur un territoire réside une population
où s’exerce un pouvoir juridiquement organisé qui monopolise la contrainte légitime.

La définition de Max Weber (1919)


- « Entreprise politique à caractère institutionnel, dont la direction administrative revendique
avec succès dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte légitime sur un
territoire donné ». Tout cela est en lien direct avec ce qu’on appelle la socio genèse de
l’État. C’est une perspective qui adopte une perspective de la longue durée. Elle s’efforce
de rendre compte de la façon dont à partir de la fin du Moyen-Âge en Europe, l’État est
devenu un projet
- Pour la perspective sociologique, l’État c’est une entité, une organisation qui est apparu petit
à petit, c’est des relations d’interdépendance entre une série d’acteurs. L’État est devenu un
projet. C’est une dynamique sociale, qui vise à dominer des territoires, dominer des
populations. Un budget public et administrations spécialisées sont des phénomènes apparus
progressivement.

La sociogenèse de l'État est développée par plusieurs auteurs.

Norbert Elias : La dynamique de l’Occident (1939)


Ernst Kantorowicz : Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge
(1957)
Charles Tilly : Contrainte et capital dans la formation de l’Europe 990-1990 (1990)
On peut partir d’un constat : souvent aujourd’hui on réduit l’État à son espace national. C’est
d’ailleurs ce que sous-entend la théorie des trois critères.

1. Or l’État est un accomplissement de processus multiples qui recouvrent des luttes


dynastiques, sachant qu’une dynastie est une suite de souverains qui appartiennent à une même
famille.
2. Le deuxième processus est quand des entreprises plus ou moins coordonnées établissent
de la concentration des pouvoirs,
3. Ce sont les mobilisations, les alliances entre différents groupes, sachant que ces différents
groupes eux-mêmes sont tiraillés par des tensions, des divisions internes.

Ces processus multiples ne sont pas seulement dus à une volonté de groupe qui serait dominant
(logique implicite). Il convient de prendre les relations sociales dans leur ensemble. D’où
l’importance de proposer une histoire sociologique, considérer la formation de l’État comme
étant au cœur de relations d’inter dépendance entre plusieurs groupes, plusieurs logiques. On a
un processus de consolidation de pouvoir central : on passe d’un État royal à un État
bureaucratique.
C’est à dire que l’État va progressivement s’imposer comme une entité, comme une réalité, et
surtout l’État va s’imposer comme une entité progressivement indépendante du patrimoine du
roi. C’est le processus de publicisation de l’État.

1. Conquête territoriale et conquête de monopole.

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A. L’émergence d’une domination de type étatique
L’État apparaît comme l’aboutissement d’activités collectives et de processus indissociables
selon Norbert Elias. C’est à la fois :
- Un travail d’accumulation qui va faire converger vers un centre des ressources qui sont
convoitées par des puissances rivales.

- Une activité de concentration : ça veut dire l’apparition de groupes de plus en plus


spécialisés dont la mission ça va être d’organiser, de gérer et de justifier l’afflux des
ressources. (naissance de l’administration)

- Un processus de monopolisation qui trouve son principe dans une dynamique de


compétition entre différents groupes. Ce processus synthétise les deux listés
précédemment.

Entre le 11ème (seigneurie féodale) et le 15 ème siècle, on voit l’avènement d’une puissance
royale. On peut parler d’État royal.
- La société féodale est caractérisée par une dispersion des pôles de puissances. On a le
partage d’un territoire morcelé. Chaque seigneur avait son territoire, parmi ces seigneurs il y
avait le Roi, élu par les autres seigneurs. Le roi était « Le premier parmi ses pairs ». Petit à
petit, va commencer un processus d’accumulation territoriale au bénéfice du
détenteur de la couronne royale.

- La grande dynastie des Capétiens (987-1328) entre en rivalité, en compétition avec tout un
tas de maison féodales pour étendre leur territoire. Le territoire n’est pas homogène mais il y
a des poches territoriales. Elle veut maintenir le contrôle mais aussi l’agrandir.
Effectivement, cette dynastie va devenir prédominante au sein d’une zone de compétition de
plus en plus élargie. Les capétiens ont utilisés 3 moyens : des mariages, des achats de terre
et des conquêtes militaires. Tout ça a permis l’intégration de maisons rivales à un
domaine dynastique qui s’est avéré de plus en plus vaste.

Exemple de la domination des Capétiens (987-1328) par des cycles d’expansion et


d’accumulation territoriale
Tout ça se fait en lien avec un changement structurel à l’époque, le passage d’une société de
guerrier à une société faite d’un nombre de plus en plus restreint de grandes familles.
Exemple de cette transition, les transformations qui ont eu lieu sous le règne de Philippe Auguste
qui va régner de 1180 à 1223. La victoire de Bouvines en 1214 de Philippe Auguste contre les rois
anglais montre supériorité des capétiens. On a alors une extension du domaine royal, on
agrandit son territoire, il y a un accès à de nouvelles ressources qu’on pourra mobiliser pour de
futures conquêtes. Élias montre qu’on entre dans des cycles d’accumulation territoriales.

On voit des transformations durables : on va conserver les conquêtes des prédécesseurs. Les
Capétiens vont donc s’étendre jusqu’en 1328 puis à partir du 14 ème siècle c’est la dynastie des
Valois qui va prendre le relais. Il faut être dans la nuance, cette domination n’est pas
nécessairement synonyme de la formation d’un royaume cohérent. Même si c’est vrai que le roi va
exercer son autorité sur le territoire, en tant que propriétaire centrale il a une approche patrimoniale,
sans administration centrale. Les spécificités locales s’expriment d’une manière latente.

Formation progressive d’ensembles monopolistiques (territoires et ressources militaires et


économiques)
Il existe une loi tendancielle. Quand une maison consolide sa présence sur une aire
spécifique, presque toujours cette maison va avoir tendance à engager d’autres conquêtes
pour agrandir encore plus son territoire. On observe la formation progressive d’ensembles
monopolistiques. Ce sont de grands ensembles qui vont contrôler des ressources territoriales,

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militaires et économiques dans des territoires donnés. Finalement la maison royale a évincé les
dynasties conquérantes (Guillaume le Conquérant, les Plantagent)

B. La formation de l’État fiscal

Une lente transition : les luttes pour le monopole de la domination deviennent des luttes
pour l’accès à des positions dominantes dans l’État
On observe ensuite la formation de l’État fiscal. On a la formation d’un centre, une accumulation
territoriale, à l’origine de la division croissante des fonctions de dominations. Petit à petit va
apparaitre un appareil administratif permanent et spécialisé. C’est une lente transition : on
passe d’une lutte pour le monopole de la domination c'est à dire que toutes ces maisons
dynastiques veulent être à la tête et à des luttes entre les fractions élitaires (Bernard Lacroix)
pour l’accès à des positions dominantes dans l’état.

Vers le 14ème siècle, on peut commencer à parler d’État comme l’ensemble des ressources
militaires et financières. Il y a une lutte pour le pouvoir, l’enjeu est ce contrôle. Au bout d’un
moment, les grandes dynasties vont accepter comme un fait la domination de l’État. L’enjeu n’est
plus l’abolition du monopole de domination. L’enjeu va être d’avoir des positions clefs de ce qui va
apparaître comme un État.

Évolution du rôle de l’impôt


On peut appréhender ce processus avec l’évolution de l’impôt. L’impôt était seulement une charge
sollicitée en temps de guerre. Ces taxes qui étaient ponctuelles vont se transformer en ressources
régulières pour le roi. Norbert Élias observe en vérité une imbrication entre la disposition de moyens
militaires (coercition physique) et la levée de l’impôt (la contrainte financière).

- Une concentration de la coercition physique : la puissance royale va s’imposer. Cela


reprend Max Weber et le monopole de la violence légitime. La puissance royale va
déposséder ses concurrents, ses rivaux des moyens d’exercer la puissance physique. On a
alors un monopole de l’usage de la violence physique. Ce monopole, par la
concentration des moyens militaires aboutit à l’interdiction des guerres privées dès le
14ème. L’action militaire progressivement ne va pouvoir se faire qu’au service du roi. Cette
concentration de la coercition physique va se concrétiser par l’apparition d’une armée
permanente avec des soldats de métiers. On voit l’apparition d’un loyalisme : seul le roi a la
capacité de nommer et de promouvoir. Il y a une lutte sociale pour avoir des positions clefs
au sein de l’armée par exemple.

- Une concentration de la contrainte financière : la contrainte financière, la guerre, a


permis de justifier l’impôt. Il va se généraliser comme ressource pour le pouvoir royal
alors que jusqu’à présent, il se rétribuait via les ressources de son domaine privé.
Pour Bernard Lacroix, la généralisation de l’impôt comme ressource régulière est une base
de l’apparition de l’état moderne. Au 15/16 ème siècle, plusieurs traités vont rationaliser
l’usage de l’impôt. On a un nouvel argument, le bien public (la salus publica). Vont
apparaître et s’institutionnaliser des services et des administrations au traitement des
revenus de l’état et à la gestion de l’impôt. Tout cela va contribuer à stabiliser le rôle et la
gestio du monopole fiscal au sein des états moderenes.

Charles Tilly montre que plusieurs types d’impôts vont apparaître : taxes, droits de douane,
droits de péage, loyers sur la terre. On a une institutionnalisation progressive mais cela
provoque parfois des réactions violentes de la part de seigneur et de paysans face à la
rupture avec la société vassalique. Ces résistances se sont progressivement déplacées non
pas vers un enjeu qui serait la fin du monopole du roi, mais vers la gestion juridictionnelle et
policière du monopole d’état et aussi vers l’attribution des ressources (droits sociaux et
politiques). Progressivement, les résistances visaient moins l’abolition du monopole de la

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contrainte physique et financière mais plutôt à la question de qui les gère. On a l’apparition
progressive du consentement, avec la question de la légitimité, lorsqu’on reconnaît comme
nécessaire, acceptable ce contrôle.

2. La naissance de l’État comme puissance publique

Il y a des moyens et des besoins nouveaux. Certaines institutions et groupes spécialisés sont
progressivement devenus indépendants de la maison et de la personne du roi. L’émergence de
l’État s’était opérée à travers de la convergence vers un centre de tout un ensemble de
ressources, soumises à l’usage patrimoniales. Le patrimoine veut dire propriété privée. La
gestion des ressources, les profits étaient au patrimoine. On est passé au patrimoine privé du roi
à la puissance publique ou encore de l’Etat royal à l’État moderne. L’usage et le contrôle
patrimonial est un des éléments très importants entre l’état Occidental et l’état en Afrique.

Enjeu du passage entre un État dynastique/patrimonial et un État bureaucratique


Rappelons l’idéal type de Max Weber. Le pouvoir traditionnel est assumé par un souverain entouré
de serviteurs contre le pouvoir légal/rationnel qui est fondé sur une direction bureaucratique. Dans
la sociogenèse de l’état, ces deux formes ont longtemps coexisté pour finalement se séparer. On
est passé d’une domination patrimoniale, d’un pouvoir privé, à un pouvoir impersonnel
exercé par des fractions élitaires. On peut voir l’automatisation pratique et symbolique de l’État
comme une entité séparée de la personne du roi.

A. Les transformations de l’État dynastique

On observe la transformation du travail de domination entre :


- Les membres de l’union dynastique
- Les « fractions élitaires » : du fait de leurs compétences, engagées au service du roi et de
l’État = « des professionnels des procédures » (Georges Duby, 1989)

On a l’apparition de nouvelles élites, scolaires ou savantes qui correspondent aux classes


urbaines émergentes, notaires, marchands qui ont eu accès aux formations scolaires,
universitaires. Pour elles, l’enjeu est d’accéder à des positions dominantes au sein de cet
appareil étatique qui naissait. Leurs stratégies pour pérenniser leurs positions dans cet appareil
étatique est ce qui a permis que l’État s’autonomise.

Un exemple de la consolidation de l’administration fiscale est d’imposer des règles aux sujets mais
aussi au roi. Ces hommes nouveaux, de simples relais de la volonté royale, se sont
progressivement avérés être des protecteurs en quelques sortes d’une entité impersonnelle qui
allait bien au-delà de la personne privée des rois. A partir des 14, 15, 16ème siècle, ils prennent de
plus en plus d’importance.

Cela se fait en lien avec l’environnement structurel de l’époque. On a une part croissante de
l’écrit dans la gestion des affaires, les lettrés deviennent donc plus importants. Les
professionnels de procédure vont importer des compétences, des savoirs faires. Cela entraîne
l’apparition de règles, de procédures que l’on met par écrit qui se stabilisent
progressivement. À contrario la part de la noblesse dans les universités médiévales ne dépasse
pas les 10%. Les études représentent une voie d’ascension sociale de plus en plus prisée (haut
clergé, médecine, offices supérieures). Ces professionnels de la procédure vont importer des
connaissances et des compétences nouvelles dans la gestion de l’état et vont devenir
incontournables. Ce sont des règles, des registres, des instruments qui vont sous-tendre la fonction
de l’état.

On compte aussi les conseillers des souverains et à côté des agents spécialisés tel que Colbert qui
eux aussi devront être titulaires d’une part de l’autorité royale et ils vont exercer cette autorité royale
en gagnant en autonomie. On a un processus de dissociation entre un processus domestique

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contre un processus de gouvernement. La noblesse de robe, l’autorité publique ne va plus être
gérée seulement par des agences. Les stratégies ne vont plus être seulement de conserver des
positions acquises.

B. La publicisation de l’état

Cette tendance commune aux états modernes a crée l’apparition de stratégies collectives, qui
visent à consolider des positions au sein de l’État. On peut avoir par exemple un officier chargé
de collecter un impôt : c’est une position qui va devenir un enjeu en soit. L’apparition de l’État
bureaucratique va se constituer comme un espace pour des groupes ascendants. Il va y avoir
insistance de la part des agents spécialisés sur le caractère public de la puissance royale (termes
d’état, de patrie, de chose publique). Tout cela est en lien avec un travail collectif d’imposition de
l’état comme une organisation nécessaire, irremplaçable, dotée de missions spécifiques et d’une
personnalité propre. Ce travail là est opéré par des groupes hétérogènes plus ou moins formels.

La doctrine juridique des « deux corps du roi » (Kantorowicz, 1957) : la continuité de l’état
Un adage apparaît au 16ème : quand le roi mourrait on disait « le roi est mort, vive le roi ».
L’institution le transcende et va se transmettre sans discontinuité à ses successeurs. Cela
marque la continuité du pouvoir royal, mais aussi la permanence des institutions de l’État
moderne. La société est présentée comme un corps dont le roi garantit la pérennité. Il y aussi l’idée
d’une autorité perpétuelle, d’un pouvoir souverain sur un vaste ensemble de sujets. On a cette idée
de l’autorité, de continuité transpersonnelle. La continuité de l’État prend sa source dans le
fonctionnement de l’État dynastique. L’objectif est d’assurer la continuité dynastique pour la stabilité
du pouvoir royal or cela était un principe intraséquement patrimonial et va de pair avec des
principes bureaucratiques. Il y a une transpercion de la personne royale.

La différenciation de l’État est le résultat de la croissance d’une organisation de plus en plus


complexe et du travail symbolique qui vise à justifier ces monopoles
En bref, la différenciation, l’autonomisation de l’État est le résultat de la croissance d’une
organisation de plus en plus complexe, chargée de la gestion du monopole de la violence
légitime et fiscale. Cette différenciation est le fruit d’un travail symbolique, notamment juridique
visant à justifier l’exercice de ces monopoles.

L’État a progressivement pris la forme d’un ensemble complexe d’organisations spécialisées


et hiérarchisées
À partir du 12ème siècle émerge et s’institutionnalise un droit sécuyer universel qui va représenter
une étape décisive dans la genèse des instruments de légitimation de l’état. On a l’apparition du
droit au sortir du moyen âge. L’émergence du droit, du spécialiste du droit vont déposséder le roi
de sa légitimité à être juge. On va soumettre le roi au droit : c’est le rationalisme d’État. L’État
est un ensemble d’organisations complexes, hiérarchisées.

La question de la rationalisation de l’État bureaucratique.


C’est le résultat d’une sophistication de la domination et de la sophistication du contrôle exercé par
l’état et qui réclame des moyens humains et financiers inédits. De nouveaux instruments
(carthographie, statistiques) ont pour objectif de connaître, d’encadrer et de maiutriser les
populations qui se répartissent sur le territoire. La rationalisation de l’état passe par les serviteurs
de l’état : les fonctionnaires qui doivent obéir aux devoirs objectifs de leurs fonctions (Weber). Suite
à la révolution les personnels d’état sont sélectionnés sur concours (plus de recrutement
népotique).

3. Les approches plus contemporaines de l’état

Nadège Vézinat et Patrick Le Galès, L’Etat recomposé (2014).

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L’État tel qu’on l’évoque en Afrique n’est pas du tout le fruit de cette histoire . Ils vont donner
une définition de l’autorité politique exercée par l’État :
- Une capacité à prendre des décisions qui s’imposent à la collectivité
- Une capacité à les mettre en œuvre par des moyens appropriés
- Une capacité à leurs donner une justification normative qui amène les sujets de l’autorité à
s’y plier.

L’État n’est plus tout à fait l’État parce qu’il n’a plus le monopole de l’exercice de l’autorité
politique puisqu’il y aurait une pluralisation des sources de l’autorité politiques. Cela est du :
- Au processus d’européenisation
- Au processus de globalisation
- Au renforcement du poids de grandes entreprises mondialisées ou non gouvernementales.
Cela fait référence à la capacité d’acteurs internationaux à exercer une partie de l’autorité
politique.

L’État serait le gardien, l’administrateur de l’autorité politique qu’il partage quelque part avec
toutes une série d’acteurs et non plus le détenteur. Les états se définissent de plus en plus par
leurs activités. La notion de Policy state de Stephen Showroneck désigne que l’Étatse définirait par
des politiques publiques mises en œuvre et par ses activités.

Bruce Berman et John Lonsdale in Unhappy Valley. Conflict in Kenya and Africa (1992)
Ils distinguent deux notions. Le pouvoir va devenir diffus, de plus en plus reconnu et accepté. Ils
distinguent
- Le processus historique (state formation) : la formation de l'État. C’est un processus
historique largement inconscient et contradictoire fait de conflits, de négociations et de
compromis entre divers groupes, et dont les interactions constituent la vulgarisation du pouvoir
- La construction de l’état (State bulding) : c'est à dire un effort conscient de créer un
appareil de contrôle.

4. Opérationnaliser la notion d’Etat en Afrique

Texte support : Mamoudou Gazibo (2006), « Les cadres d’analyse », Introduction à la


politique africaine, Montréal, Presses universitaires de Montréal, pp 34-53

L’intérêt pour la science politique en Afrique très récent. À l’origine c’était surtout de
l’anthropologie qui étudiait les objets « exotiques ». L’histoire s’y est intéressée pour connaître les
structures et les formations politiques coloniales et précoloniales. Sont arrivés tardivement les
premiers travaux de sciences politiques, dans les années 60. Ils s’intéressent d’accord aux
ressentis et aux conséquences des indépendances. Cela s’explique aussi par le fait que la science
politique n’apparait que dans les années 40. A partir des années 90, ils s’interrogent sur les
processus de démocratisation. A chaque fois, toutes ses études sont le fruit d’intérêts exogènes,
extérieurs et des prémices européennes. Gazibo écrit : « L’intérêt de la science politique pour
l’Afrique n’est pas venu initialement de ce continent ; de plus, il est récent » et « les modèles
exogènes prévalent dans la recherche sur l’Afrique ».

La faiblesse de la science politique en Afrique et l’extranéitee des cadres d’analyse


Il y a différents paradigmes exécutifs, utilisés pour comprendre le continent : réfléchir sur des
modèles dépassés, des modèles de relais un peu plus intéressants. La faiblesse de la science
politique en Afrique s’explique par un manque de moyens, un manque de centre de
recherches. Rares sont les départements de science politique (à part en Afrique de l’Ouest, au
Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana, en Afrique du Sud, au Nigéria). C’est surtout lié à
l’effondrement des structures académiques et des moyens de fonctionnement dans les années
1980 en lien avec la multiplication des conflits et les politiques d’ajustement structurels (cf. L’autre
moitié du soleil, Chimamnda Ngozie Adichie).

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Une extraversion théorique
Plusieurs dynamiques vont dans le sens du développement de centres de recherche sur l’Afrique
(Codesria à Dakar) mais pour lui il n’y a pas le développement de cadres conceptuels autonomes. Il
n’y a que reprise de ceux qui sont développés ailleurs. C’est l’extraversion : la recherche africaine
se construit en fonction de la façon dont elle se construit ailleurs. C’est une dépendance théorique
et conceptuelle.

Quid de l’appréhension de l’État en Afrique ?

Au début des années 60, on commence à appréhender le phénomène des indépendances


parce qu’elles ne correspondaient pas au modèle de la sociogenèse classique.
« L’émergence de nouveaux États, consécutive à la vague d’indépendances dans les années 1950
et 1960 […] a provoqué un renouvellement des études portant sur l’Afrique » selon Gazibo. Les
modèles élaborés à cette époque appréhendent l’Afrique au prisme de modèles élaborés ailleurs.

On a quatre modèles :

- Le modèle libéral développementaliste : modernisation politique, perspective évolutionniste.


L’idée est que toutes les sociétés telles qu’elles soient convergent vers un modèle unique de
modernité, et ce modèle est la démocratie et la société d’abondance telle qu’on la connait en
occident. Chaque pays connait une croissance unique uniforme. On a une comparaison de
l’Afrique à l’Occident et on essaie de voir les chances de l’Afrique d’atteindre le développement de
l’Occident. L’autre objectif était de prédire les chances de l’Afrique d’arriver à un développement.

Gabriel Almond en est un des auteurs. Pour lui, toutes les sociétés disposent de systèmes
politiques : un ensemble d’institution de rôles, d’institutions et de processus. Ces systèmes
permettent de poursuivre des intérêts collectifs, ces systèmes comportent des structures
diversifiées, mais ces fonctions peuvent être par différentes sortes de structure. Toutes les
sociétés vont dans le même sens, dans le développement politique et la modernisation. Les
pays africains sont simplement en retard par rapport à l’Occident. « Les développementalistes
estiment que, certes, les systèmes, les structures et les fonctions peuvent varier dans leurs formes
concrètes, mais que le schéma global […] reste lui inchangé » explique Mamoudou Gazibo.

Ainsi tous les pays peuvent être étudiés dans une même étude. Il n’y a pas de différence de
nature entre les deux sociétés, simplement des différences de degrés, toutes les sociétés
n’ont pas atteint les mêmes degrés de niveau. « Les travaux issus des études
développementalistes ont tendu, de ce fait, à montrer que les différences entre les systèmes
africains et leurs homologues occidentaux étaient non pas de nature, mais de degré de leur
développement politique ». La limite de ce modèle est que c’est un modèle ethnocentrique
(« L’Afrique est étudiée ici non pas à partir d’elle-même mais au prisme de l’occident ») et
évolutionniste.

- Le modèle centre et périphérie : approche évolutionniste, universaliste du développement


politique. La modernisation, « un critère qui se veut universel, applicable en tout lieu et en
tout temps », est le fait qu’il y ait un centre qui assure son hégémonie sur des régions
périphériques, c’est ce qu’il s’est passé en occident, le pouvoir royal a consolidé son autorité. Cela
rappelle l’analyse de Norbert Élias.

Dans ce modèle Africain c’est différent, parce que suite aux indépendances, on ne retrouve pas
un centre car il y a une hétérogénéité ethnique qui empêche la main mise d’un centre sur des
périphéries. C’est une approche normative, l’État en Afrique est une illustration de la tradition, il
est tout sauf moderne parce qu’il n’est pas capable d’assurer son hégémonie. Les limites de
ce modèle sont l’ethnocentrisme, un certain évolutionnisme. Il y a des travaux tel que ceux de Guy
Nicolas, qui travaille sur le Nigéria qui dit que oui on peut avoir une émergence de l’état avec un

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pluralisme identitaire. L’État nation comme il s’est construit en occident n’est pas pareil qu’en
Afrique.

- La théorie marxiste de la dépendance. C’est une critique marxiste de l’impérialisme. On a un


centre dominant : les pays du nord, et une périphérie dominée : les pays du sud. « Cette
thèse est basée sur l’argument selon lequel les relations économiques internationales fondées sur
la théorie des avantages comparatifs débouchent sur une exploitation des pays du sud ». Samir
Amin parle de sous-développement de l’Afrique dans le système mondial. L’État fait surtout
référence à des économies qui sont dominés. C’est une approche très généralisante (non pris
en compte des particularités locales) mais aussi les auteurs adoptent une approche très militante.
- Les cadres d’analyse de moyenne portée sur l’état et les pouvoirs africains. Ce sont des
approches moins généralisantes. Dans les années 60, on voit l’apparition de travaux qui
cherchent à être un peu plus spécifique, plus précis. On a des analyses qui sont surtout
juridiques, formelles qui étudient les Constitutions des États privés. On voyait alors des états
démocratiques avec du multipartisme et des libertés fondamentales. L’État en Afrique et en
occident disaient les auteurs c’était la même chose. Il y a deux axes principeaux de réflexions :

- L’apparition dans les années 60 de questions concernant la spécificité de l’Afrique et de


ses trajectoires. On peut citer par exemple Bertrand Badie, avec L’état importé (1992), où
l’État est une construction sociale singulière, et à ce titre il est donc exogène dans des
contextes non occidentaux. Il n’est pas né en Afrique mais importé, il faut s’intéresser aux
conditions, aux modalités de son importation sur le continent. Plusieurs auteurs ont développé
des notions propres à l’Afrique, par exemple ce que Jean François Bayart, Stephen Ellis,
Beatrice Hibou et appellent l’État criminel et ce que Jean-François Médard appelle l’état
néopatrimonial.

- Les « invariants » de la politique africaine. Il y aurait des invariants, des choses qui ne
bougeraient pas comme la politique du ventre de Jean-François Bayart. Pour Mamoudou
Gaazibo, ces auteurs parlent d’État mais pas vraiment l’État au cœur de ces approches mais
plutôt des pratiques qui sont mise en avant pour expliquer l’État en Afrique. Mais « cette
analyse a pêché par excès de formalisme » : les auteurs mettaient tout l’accent sur le droit alors
même que le droit proclamé n’était pas toujours appliqué et respecté.

Dans les années 1980, de nouvelles théories arrivent. Les grandes théories généralisantes ou
de grande portée (développementalisme) vont se transformer en théories de proximité.

- Les rapports société-État et la politique par le bas avec une revue Politique Africaine (Comi
Toulabor, Achille Mbembe, Jean-François Bayart). La politique par le bas part du postulat que
quand on étudie le politique, le mode d’exercice du pouvoir l’intéressant est de ne s’intéresse
non pas aux institutions, aux partis mais plutôt aux dynamiques sociales, à la façon dont les
gens ordinaires participent à la vie politique notamment dans les régimes autoritaires.
Jean-François Bayart parle de modes populaires d’actions politiques comme les OPNI (objets
politiques non identifiés) de Denis Constant Martin.

- Les processus de démocratisation. Il y a des processus de mouvements de revendications


démocratiques. Au Togo, au Bénin, ces mouvements actent le passage de régimes autoritaires
à des régimes démocratiques (en même temps que l’Amérique du sud, l’Europe de l’est). Les
travaux portent aussi sur la consolidation démocratique. C’est ce qu’on appelle la
consolidologie. Ils portent sur les régimes politiques et pas seulement les états en tant que tel.

- Les dynamiques d’intégrations et aux conflits. Il en très en vogue de s’intéresser aux


organisations régionales qui promeuvent la démocratisation et la résolution des conflits
(Organisation de l’Unité Africaine en 1963 puis Union Africaine en 2001 et Nouveau Partenariat

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pour le développement de l’Afrique soit NEPAD la même année). L’État n’est pas au cœur
des analyses.

Séance 4 : L’historicité de l’État : les formes précoloniales de domination

Cette séance s’interroge sur le politique dans la longue durée. L’objectif est de montrer qu’il y a du
politique en Afrique précoloniale. On a une diversité des formes d’organisations politiques et
sociales. Du politique veut dire qu’il y a des relations de commandement et d’obéissance. Pour
certains auteurs, on peut même aller jusqu’à parler d’État.

1. Comment saisir l’historicité du politique en Afrique ?

A. La question de la périodisation de l’histoire africaine

Catherine Coquery-Vidrovitch in « De la périodisation en histoire africaine. Peut-on


l’envisager ? À quoi sert-elle ?, Afrique et histoire, 2004
Catherine Coquery-Vidrovitch dit que périodiser c’est aller au-delà de la chronologie pour interpréter
tout en décrivant. C’est ce qui permet de mettre à jour de grandes périodes en tenant compte des
ruptures entre les périodes mais aussi en mettant à jour les continuités entre les périodes. Elle
refuse des analyses éclatées entre pays. L’Afrique est diverse mais périodiser son histoire reste
valable. Périodiser permet de comprendre le présent à travers des plongées dans le temps long et
le flux des héritages.

La périodisation très classique : Afr précoloniale, Afr coloniale, Afr postcoloniale.


Elle a été construite à partir d’une histoire occidentale de l’Afrique : Valentin-Yves Mudimbe parle
de « la bibliothèque coloniale ». C’est assez curieux de parler d’Afrique précoloniale puisque l’on
caractérise la vie de personnes en fonction de leurs descendants. Ce découpage peut poser
question car il conduit à mettre en perspective des temporalités très différentes. Le temps
précolonial serait le temps long, le temps colonial serait le temps moyen et le temps des
indépendances serait le temps court presque immédiat. Cela pose des interprétations éronées : la
présence européenne ne daterait que de la période coloniale. Cette perspective schématique très
limitée a des défauts. Dans une perspective de science politique, on s’intéresse aux formes de
domination politiques. On s’intéresse à l’État tel qu’il existe aujourd'hui. On le considère comme un
héritage de l’État colonial (mécanisme de domination). Mais cet État colonial n’émerge pas sur une
terre anhistorique puisqu’on peut parler d’états précoloniaux dès le Moyen-Âge.

B. Ce que l’on sait de l’Afrique précoloniale

Catherine Coquery-Vidrovitch (2011), in Petite histoire de l’Afrique


Elle explique que mis à part l’Egypte conquise par les grecs et les romains et mis à part la côte
orientale (Tanzanie Kenya) colonisée par le sultanat d’Oman puis au XIXe siècle par Zanzibar, la
quasi-totalité de l’Afrique est restée indépendante jusqu’à la fin du XIXe siècle. Elles sont
restées indépendantes des européens jusqu’à la fin du 19 ème siècle, même pendant la traite
négrière. Il y a l’exception du Portugal qui a conquis l’Angola (Luanda en est la capitale) depuis le
XVIe siècle.

9
La question des sources
L’histoire africaine est d’une grande diversité et de plus en plus connue grâce aux travaux
d’historiens qui se sont multipliées depuis 1960. Concernant la période gréco-romaine (Ve siècle av
JC), on a l’archéologie, la linguistique, l’ethnobotanique, des documents écrits comme ceux
d’Hérodote… Aux VII-VIIIe siècle, l’écrit ressurgit en langue arabe (voyageurs du monde
méditérranéen et érudits locaux). C’est le début de la diffusion de l’islam en Afrique
subsaharienne. On a une culture autochtone écrite sur laquelle les historiens peuvent se baser.
Aux XVI, XVIIe siècles, les hollandais, les jésuites et les missionnaires vont écrire. Les marchands
arabes ont parcouru les États du Soudan : Hassan al-Wazzan dit Léon l’Africain écrit. Les
chroniques (tarinks) sont transmises oralement.

2. A la recherche de l’État avant la colonisation

Pas de système étatique élaboré : Jean-François Bayart


Pour Mamoudou Gazibo, on ne peut parler d’État en Afrique avant la colonisation. C’est parce
qu’il n’y avait pas d’état avant la colonisation qu’il est problématique aujourd’hui. Pour Jean-
François Bayart, seul l’Ethiopie fait exception (il y avait un empire très ancien). L’État est une
structure importée (lien avec Badie). C’est ce qui explique les problèmes postcoloniaux. Goran
Hyden va dans le même sens. Les sociétés africaines subsahariennes n’ont jamais
développé par elles-mêmes des systèmes étatiques élaborés. Cet avis est aussi partagé avec
l’historien John Iliffe (Les Africains) qui dit que des populations éparses et des distances énormes
limitait les communications et l’apparition des élites lettrées.

Même si certains auteurs disent que les états n’existaient pas il y avait des formes d’organisation
politique. Est-ce qu’il existe à un moment donné un détenteur précis du pouvoir ? Le système de
production partisan limite l’émergence de véritables super structures et donc limite l’émergence de
formes étatiques complexes. Il reste intéressant de considérer les différentes formes d’organisation
du pouvoir. On a une réflexion sur les modes d’institutionnalisation du politique. Ce qui nous
intéresse est comment s’exerce la contrainte, comment est réguler l’ordre social, comment apparaît
un détenteur de l’autorité…
-
A. L’approche en termes de « civilisations »

Daniel Bourmaud (1997), La politique en Afrique


Le politiste Daniel Bourmaud dit que les structures sociopolitiques de l’Afrique actuelle sont
le fruit d’un processus de sédimentation entamé bien avant la période coloniale. On peut
parler de systèmes politiques éloignés des modèles politiques métropolitains. Il propose une
typologie en termes de civilisation. Il s’inspire de l’idée de mosaïque qui avait été formulé plus tôt
par Jacques Maquet dans Les civilisations noires (1962). Il regroupe les sociétés africaines en 5
civilisations qui correspondent à des spécificités géographiques. Elles se singularisent par leur
économie, culture et leur organisation sociale.

- La civilisation de l’arc sont des peuples chasseurs et récolteurs comme les pygmées.
Ils vivent en bande. Il n’y a pas d’unité territoriale permanente. Ces groupes bougent. Les
déplacements sont fonction des impératifs alimentaires et de la localisation des ressources
disponibles. L’unité repos essentiellement sur les liens de parenté. Les membres d’une
même famille peuvent appartenir à des bandes différentes (si disputes). La vie collective
s’opère par le biais du groupe familial.

- La civilisation des clairières : sont les agriculteurs itinérants de la forêt humide. La vie
collective est régulée par le biais du groupe familial. Les groupes sociaux sont des rôles

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parentaux eux-mêmes définis par la position occupée au sein du groupe de parenté (défini
par rapport à un ancêtre). Ce groupe s’organise sur la base de la filiation, souvent
patrilinéaire et parfois matrilénéaux. Les groupes sont le lignage : le doyen de chaque
lignage assure la cohésion du groupe.

- La civilisation des guerriers sont les agriculteurs de la savane méridionale.


L’organisation sociopolitique est liée au mode de production. Ce sont des sédentaires. Ils
ont des techniques élaborées : jachères, rotation des culture… Cela leur permet d’extraire
du surplus qui sera stocké dans les greniers. Cela permet de faire face au risque de famine.
La gestion de ces greniers explique l’émergence de la chefferie. C’est une structure
politique. C’est au chef qu’incombe la tâche de gérer le grenier et donc la redistribution du
surplus. Le chef dispose de la surproduction ce qui lui permet de contrôler les instruments
de coercition. Bourmaud précise que ces chefferies ont connu des variations. Certaines
fonctionnent sur des territoires isolés : un village, voire quelques villages. D’autres
fonctionnent sur un modèle fédéral suite à un processus de conquête (c’est le cas de la Lozi
en Zambie).
- La civilisation de la lance sont des pasteurs des haut plateaux de l’est africain. Elle se
base sur le bétail destiné à la consommation et à l’échange. Le bétail constitue un capital,
une richesse économique fragile. Des organisations guerrières ont vocation à protéger le
bétail. Les communautés sont homogènes et faiblement stratifiées (pas de hiérarchie très
nette).Il y a une forte mobilité et disponibilité des membres. Cela développe une forte
solidarité et un fort sentiment d’appartenance. Il donne l’exemple de Kikuyu au Kenya : de
18 à 40 les hommes sont guerriers. Après 40 ans, on est un ancien : on accède aux
fonctions de décision collective. Puis quand on est plus âgé on a une fonction de conseil. Il y
a une fluidité sociale.

- La civilisation des cités sont des artisans et marchands de l’Afrique de l’ouest.


L’économie est fondée sur l’exploitation des ressources naturelles et sur leur commerce vers
l’extérieur. On peut citer le Ghana (or), le Mali (position stratégique dans les échanges
commerciaux transsahariens. Pour Bourmaud, ce sont surtout les civilisations des guerriers
et des cités qui se rapprochent le plus de modèle de formation des états mais sans s’y
confondre.

B. Le débat société sans État/sociétés avec État

Evans-Pritchard et Fortes in African Political Systems (1940)


L’anthropologie met en évidence la variété des modes de gouvernement. Elle apparait en
1940 avec African Political Systems d’Evans-Pritchard. Ils montrent l’existance du politique dans
une organisation sans état.
- Dans les sociétés organisées, les clivages sociaux se font selon la richesse, les
privilèges, le statut correspond à la distribution de la puissance et de l’autorité. Il
donne l’exemple des Zoulous en Afrique du sud avec un roi et une cour.
- A côté certaines sociétés n’ont pas d’autorité centralisée : pas de machines administratives
ou judiciaires. Les rapports de pouvoir se constitue autour d’un clan ou d’un lignage :
existence d’un ancêtre mythique en commun dans un clan. Les lignages n’ont pas cet
ancêtre mythique. Il n’est que généalogique. L’identité familiale correspond à l’identité
politique. Ce sont des sociétés segmentaires où l’organisation politique se confond avec les
relations familiales.
- Dans Les Nuer, Evans-Pritchard propose le concept d’anarchie ordonnée : l’équilibre
politique repose sur un jeu oppositionnel et complémentaire entre les différents lignages.
L’autorité revient à l’homme « à peau de léopard » en cas de litige. Il est doté de
compétences rituelles particulières. Il assure la fonction de régulation politique et sociale
quand ces litiges menacent l’équilibre du groupe.

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Ce détour par l’anthropologie permet de voir que l’exercice du pouvoir ne passe pas forcément
par l’émergence et l’institutionnalisation d’une institution qui serait l’État. Selon Daniel
Bourmaud, il est excessif de dire qu’en règle général l’Afrique sub-saharienne a méconnu l’état.

L’intérêt des approches en termes de pouvoir plutôt que l’État : Georges Balandier in
Anthropologie politique
Georges Balandier dans Anthropologie politique dit que le pouvoir correspond à une nécessité pour
chaque société et non pas à un attribut spécifique. C’est ce qui permet à chaque société de lutter
contre la menace de désordre. Il est rarissime que des sociétés humaines existent sans que du
pouvoir et des individus chargés de l’exercer existent.
Daniel Bourmaud propose un continuum construit autour d’une institutionnalisation croissante
des rôles politiques où on peut distinguer deux pôles :
- Une faible institutionnalisation du pouvoir (les Mbutis, peuple pygmée de l’ancien Zaïre)
: il y a de nombreuses sociétés sans gouvernement. Il n’y a pas d’institution politiques
coupées de la société. Le groupe est détenteur de l’autorité. Cela n’empêche pas des
inégalités statutaires (idée de hiérarchie sur la base du prestige). La contrainte s’exerce
ponctuellement. Cela fait référence aux sociétés qui sont restées en périphérie des
royaumes (texte de M’Bokolo)
- Une institutionnalisation accentuée du pouvoir avec des logiques à la fois
bureaucratiques (des agents font appliquer l’ordre au nom du chef) et patrimoniales (les
biens de la communauté se confondent avec les biens du chef). Dans les royaumes et les
chefferies, on a une organisation coercitive permanente. Il y a une territorialisation du
pouvoir sur un mode centralisé ou fédéré. Pour les chefferies, le chef est détenteur du
pouvoir. Il est aidé par un appareil bureaucratique qui lève l’impôt, assure l’ordre public,
garantit le monopole de la contrainte physique légitime. On a une institutionnalisation
croissante du pouvoir qui va instaurer une césure entre gouvernants et gouvernés. Les
royaumes sont dirigés par un monarque qui a un pouvoir de droit divin en tant que
représentant des ancêtres. Le monarque a sous son contrôle une bureaucratie militaire et
administrative qui lui permet de régner de manière despotique sur l’ensemble du corps
social. Il y a un important usage de la guerre par lequel le monarque se procure des
esclaves utilisés comme force de travail, comme soldats. Il y a un contrôle rigoureux de la
production agricole. Il y a une logique patrimoniale : la richesse collective est la
richesse privée du monarque.

3. Une approche historique des formations socio-politiques

Pour John Iliffe, l’Égypte est l’état le plus ancien en Afrique


John Iliffe souligne que l’Égypte est l’état le plus ancien en Afrique et y apparait très tôt la
centralisation politique. L’empire égyptien va s’étendre par la militarisation et c’est une tendance
qu’on retrouvera souvent en Afrique subsaharienne. On y adopte l’écriture vers 3150 AVJC (les
biens vont être étiquetés et l’écrit va être utilisé dans le cadre de l’administration et les
hiéroglyphes). L’Égypte se distingue également par une armée professionnelle (mercenaires
étrangers) et le contrôle de cette armée était la clé de l’ascencion au trône (règle de la
primogéniture). Cela a donné lieu à des querelles de successions. L’Égypte est symbolisée par une
bureaucratie autoritaire et des sociétés largement urbaines.

En dehors de l’Égypte, c’est l’état de Kerma (en Haute-Nubie) qui devient l’état de Méroé vers
1900 AVJC
Le plus vieil état en dehors de l’Égypte est un royaume en Haute-Nubie (Nord du Soudan actuel)
qui est évoqué sous l’expression « l’infame Kouch ». Son existence est attestée dès 2500 avjc et
les tombes les plus anciennes montrent une certaine différenciation sociale qui montre l’existence
d’un état dont l’apogée se situerait entre 1700 et 1500 avjc : c’est l’état de Kerma qui s’étendait du
Nord jusqu’à l’Égypte actuelle avant d’être conquis par les Égyptiens.

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Vers 1900 avjc un nouvel état fait son apparition : c’est l’état de Méroé. On y trouve des tombes
royales similaires à celles qu’on trouvait à Kerma. On en a déduit une culture élitiste. Cet état a été
attaqué par d’autres monarques, on a changé la capitale mais l’état a persisté sous différentes
formes. Les dirigeants successifs ont été des grands prêtres à la manière pharaonique qui se
faisaient enterrés dans des pyramides toujours plus petites jusque dans le 4 ème siècle avjc. Cet état
fournissait de l’or, des esclaves et des produits tropicaux à la Méditerranée et au Proche Orient où
l’existence de ce royaume était connue. On le visitait parfois comme une sorte de frontière exotique.
Le cœur de son économie était le coton, le sorgo et le bétail. Ce royaume disparait au 4 ème siècle
apjc et aurait été affaiblit par un déplacement des routes commerciales (du Nil à la Mer Rouge).

A. Des questions inégalitaires

Avant la colonisation, il y avait de nombreuses formations politiques (royaumes, empires…).


Ces sociétés politiques ont une histoire commune. Il y a un système hiérarchisé. Il y a souvent
une langue commune. Selon Catherine Coquery-Vidrovitch, c’était des États, même si leurs
bases étaient sensiblement différentes des États européens C’est une société profondément
inégalitaire puisqu’il y avait une hiérarchie : des statuts différents. On peut voir les sociétés dites
lignagères (Afrique centrale forestière) et les sociétés aristocratiques (société d’éleveur du Sahel).

La question des esclaves : les esclaves et traite et les captifs locaux


Les esclaves de traite étaient condamnés à être vendus. Les captifs locaux restaient là où ils
étaient. Catherine Coquery-Vidrovitch montre qu’au XVIe siècle, il y a corrélation entre émergence
et consolidation des États et mise en place d’une force de travail servile. Il a existé des plantations
esclavagistes qui se développèrent avec les cultures d’exportation au 19 ème précoloniales. Les
guerres, nombreuses, ont été les principales pourvoyeuses de prisonniers et de femmes (razzia :
on fait la guerre et on ramasse tout ce que les sociétés ont de ressources) qui ont été incorporées
en tant qu’esclaves à la société victorieuse. Ces esclaves de guerre n’étaient pas prioritairement
des soldats puisque faire partie de l’armée du prince restait un privilège aristocratique. Ceux qui
deviennent esclaves l’étaient souvent déjà avant : il s’agissait des plus démunis dont les proches
étaient incapables de racheter la liberté. La hiérarchisation sociale était particulièrement accentuée
dans les sociétés aristocratiques qui étaient très répandues chez les peuples où l’élevage était
dominant (pays du Sahel, cultivateurs des oasis étaient des esclaves). Les chefs et les princesses
vivaient entourés d’esclaves à leur service.

B. La succession des royaumes du Soudan

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Ghana (VIII-XII), Mali (XIII-XIV), Songhaï (XV-XVI), cités haoussas
Jusqu’au XVIIIe, les royaumes soudanais se sont succédés dans la zone sahélienne en se
propageant vers l’est. Il ne faut pas confondre le Ghana actuel avec son ancêtre. Le Ghana, le
Mali, Songhay apparaissent dans des périodes différentes. Il ne faut pas confondre le Ghana actuel
avec son ancêtre. Le Ghana du VIIIe au XII siècle laisse la place à l’empire du Mali jusqu’au XII.
Puis, on a le Songhaï du XVe au XVIe qui se sont substituées les cités haoussas (nord du Nigéria
actuel).

La multiplication des djihads


À la fin du XVIIIème se sont développés des djihads menés par des grands chefs religieux et
militaires. Ce sont des mouvements idéologiques d’inspiration conservatrice. Un des plus connus
est celui de Ousmane dan Fodio qui commence dès 1804 qui partait à la conquête du Nord du
Nigéria actuel. En quelques années, le territoire dominé a atteint 1300km (EO) et 1500km (NS).

Entre le 16e et le 18e siècle, des solides empires se sont formés. Ils étaient appelés Luba et
Louanda qui ne furent connus des premiers voyageurs portugais qu’à leur déclin. Pour les empires
de l’Afrique centrale et surtout des royaumes du Soudan, leur essor est dû à la conjonction de deux
facteurs : l’adoption du maïs qui permet une progression démographique (plus de plantations pour
l’armée) et l’exploitation du cuivre qui joua un rôle de monnaie et qui a favorisé le commerce sous
toutes ses formes : traite des esclaves inclus.
Fin du XVIIème : série de petits royaumes « négriers »
A partir du XVIe siècle, quand la traite négrière s’est généralisée, ces formations politiques n’ont
pas su proposer d’esclaves autant qu’on leur en demandait. Cela explique leur déclin. Elles ont fini
par vendre leurs propres sujets comme esclaves. Cela explique l’apparition de petits royaumes
négriers, basés sur le commerce d’esclaves. Ils ont pris fin avec l’occident. Le plus connu de ces
royaumes négriers est le royaume d’Abomey. Il y a aussi l’état ashanti et des petits états sur la côte
Ewe (Togo actuel).

Exemple du royaume d’Abomey


Ce royaume d’Abomey constitue une communauté politique forte (XVIIe, XVIIIe), de langue de
culture fon. Il y avait un système qui combinait guerre et commerce. À chaque saison sèche, les
soldats partaient au fin fond du territoire et ramenaient des prisonniers qui étaient ensuite
transformés en esclaves. Des fêtes étaient organisées quand les soldats revenaient ce qui servait à
montrer la puissance. Ce royaume est au sud du Bénin actuel. Le roi Ghézo (1818-58) recevait des
fusils en échange d’esclaves. La traite était centrale dans sa politique. Il a su s’adapter à la
demande occidentale. Il exploite l’huile de palme. Il exploite les palmeraies à l’aide d’esclaves. Dans
le royaume, le système était pyramidal avec un monarque et sa cour au sommet entourés de
l’aristocratie avec des dignitaires locaux et d’anciens marchands brésilo-africains. Il y avait une
unité nationale qui explique pourquoi la conquête du Dahomey par les français (1890-1894) a été la
guerre coloniale la plus longue et la plus dure de la région. Le peuple de ce royaume a beaucoup
soutenu le roi de l’époque (le Béhenzin).

Exemple de l’état ashanti


L’État ashanti est dans le Ghana actuel. Il est né d’une confédération de peuples de langue akan. Il
a à peu près suivi la même évolution chronologique que le royaume d’Abomey. C’était une
formation militaire, politique et marchande qui tenait son originalité des échanges avec l’arrière pays
qui eux-même étaient fondés sur toute la redistribution dans tout le Sahel musulman. C’était un
producteur important de noix de cola. Sa prospérité est garantie par l’exploitation de l’or qui
constituait la base militaire de l’état. Le chef s’appelait l’asantehene et il a assis son pouvoir à la fin
du 19ème siècle. En 1896, les britanniques annexent cette région. Cela est mal accepté. Le peuple
accepte la souveraineté que quand les anglais en 1928 rendent à leur chef un siège d’or : un
symbole de l’autorité du chef.

4. L’exemple des États soudanais (texte support de M’Bokolo)

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A. Texte support : M’Bokolo, Elikia (1995), « Les États soudanais », Afrique noire : Histoire et
civilisations jusqu’au XVIIIème siècle

Il y a un caractère institutionnalisé du pouvoir. Il existe des élites politico-bureaucratiques. Le


souverain dispose d’un appareil administratif et militaire qui va le faire régner sur ses sujets.

Il ne s’agit pas de l’actuel Soudan mais d’une zone sahélienne qui correspond à l’Afrique du
nord-ouest. On dispose d’une série de sources écrites. Ce que l’on appelle les État soudanais sont
une forme d’organisation politique autour d’un chef, d’un souverain, disposant d’agents sur son
territoire (carte ci-dessus). Les états soudanais se sont succédés : ce sont des formations étatiques
solidement ancrées du VIIème à la fin du XIXème. Enfin, cette région de l’Afrique n’a pas le
monopole des formations de type étatique en Afrique précoloniale (aussi en Éthiopie, dans le centre
avec la région du Kongo, le Zimbabwe…).

Une économie d’échanges commerciaux en relation dialectique avec le phénomène étatique


L’auteur parle d’un espace original car il y avait une économie ouverte sur les échanges ce qui
explique l’émergence précoce d’une vie urbaine. De plus, il y a eu un avènement précoce de
l’islam qui investit les formations étatiques. Les États s’appuient sur l’islam pour conforter leur
domination politique.
L’économie d’échange est liée au phénomène étatique. Au VIIIe siècle, les musulmans du nord
prennent contact avec des groupes du sud. Les routes de l’or, du sel, des esclaves apparaissant.
Les pays soudanais ont participé au commerce international qui était centré sur la Méditerranée. Au
départ c’était une économie principalement agricole dans laquelle on vendait les surplus. Entre l’Est
et l’Ouest, le commerce se complexifie : on achète les Cauris (des coquillages utilisés comme
monnaie), des produits alimentaires, des étoffes, des métaux (cuivre), des esclaves et des chevaux.
Dans le sens Sud-Nord les produits phares étaient l’or et les esclaves.

Le commerce devient régulier vers le IXème/Xème siècle. Ces échanges ont eu des effets
remarquables. Il y a des dynamiques marchandes et des dynamiques politiques qui sont liées.
Elles sont liées car les États soudanais contrôlaient le commerce dont contrôlaient les routes, la
sécurité des routes, des biens, des personnes. Les États trouvent dans le commerce des sources
de revenus. Les principaux bénéficiaires sont les détenteurs du pouvoir politique.

Le rôle de l’islam
La première phase d’islamisation intervient avec la conversion de populations berbères et
touarègues qui dominaient les routes du commerces transsahariens jusqu’à la fin du XIIème siècle.
Jusqu’au XIème siècle, l’islam était resté marginal et a coexisté avec les religions locales qui
étaient dominantes. Les nouveaux convertis conservaient dans une large mesure leurs croyances
et pratiques. Globalement on peut dire que les commerçants, assez tôt, ont embrassé la nouvelle
religion puisqu’ils ont trouvé le ciment d’une fraternité efficace. Les rois et les pouvoirs étaient alors
associés aux croyances locales (royauté sacrée).

M’Bokolo montre que l’islam a permis aux détenteurs du pouvoir de trouver un surcroît de
ressources politiques et spirituelles. C’est une dynamique comparable quand il va y avoir la
rencontre avec le christianisme à la fin du XVème siècle. L’islam, progressivement, est devenu une
source de légitimité féconde (cf. La légende du roi de Malal qui se convertit à l’islam suite à des
prières et associations qui ont permis l’arrivée tant attendue de la pluie). À partir du XIème siècle,
on passe d’une situation de compromis et de coexistence à une volonté d’imposer l’islam par
tous les moyens et à tous les niveaux de la vie sociale.

Les agents de l’islamisation ne sont plus les étrangers mais les africains eux-mêmes à commencer
par les princes et les lettrés (chefs guerriers et religieux) comme les souverains du Mali et Songhaï
sont musulmans. On assiste à une adhésion de plus en plus généralisée des princes à l’islam par
l’instauration d’un arsenal juridique complet et la constitution d’un appareil d’état (conseiliers
lettrés). L’islam devient une ressource de plus en plus privilégiée mais pas exclusive des équipes

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dirigeantes dans les pays soudanais. En parallèle on observe l’émergence d’un islam noir
(processus lent mais massif d’adhésion à un islam plus proche de la culture et des préoccupations
des classes populaires.

Une vie urbaine florissante


Effectivement, du fait des échanges commerciaux, il va y avoir un développement urbain précoce.
M’Bokolo souligne qu’il est complexe de faire la part entre les échanges et la volonté politique des
états et détenteurs du pouvoir. Les métropoles politique abritaient à la fois les cours princières et
les grands marchés du négoce international (Oualata, Tombouctou). Autre dimension qui monte
cette auto-alimentation c’est les péripéties de la politique des états soudanais avaient des effets sur
les villes. S’alternait des périodes de prospérité liées aux âges de la plus grande puissance des
états et des années plus sombres qui correspondaient aux invasions étrangères.

L’exemple de Tombouctou est sans doute un des plus connus : c’était à la fois un carrefour
commercial mais aussi le siège d’une vie intellectuelle brillante. D’ailleurs, les empereurs du Mali
avaient des politiques très protectrices envers les lettrés et les savants. Ils faisaient l’objet de
gratifications matériels (argent, bétail, esclave) et d’exemptions fiscales. Les lettrés étaient assez
associés à l’exercice du pouvoir.

Les sociétés rurales : la question de l’esclavage et de la guerre


L’agriculture fournissait le surplus nécessaire à l’entretien et au paiement des agents de
l’administration et de l’armée. La pression des états était particulièrement forte sur le monde
paysan. Pour approfondir la question de l’’esclavage, il existait dans l’empire Songhaï (structure
héritée du Mali) de grandes plantations esclavagistes dont le principal propriétaire était l’empereur
lui-même. L’état vivait du travail des esclaves : en témoigne le surplus retiré du travail agricole
esclave et le fait qu’en tant que premier propriétaire de la terre et des esclaves, l’empereur
distribuait généreusement ses esclaves aux différents membres des classes dirigeantes.

Une des principales occupations des états soudanais était la guerre : de conquête mais aussi
idéologique (au nom de l’islam contre les infidèles = djihad). La guerre avait pour effet, sinon pour
objectif, la capture de gens ensuite réduits à l’esclavage, redistribués en partie entre les hauts
dignitaires de l’armée et incorporés de force dans les différentes activités notamment agricoles et
éventuellement vendus à l’exportation ce qui apportait des revenus supplémentaires à l’état.

B. La grande diversité des formations politiques

Des typologies fragiles


Dans l’ouvrage d’Evans-Pritchard et Fortes, ils font la dichotomie entre les sociétés étatiques et
celles non étatiques. Dans cette perspective, M’Bokolo évoque trois défis pour les historiens.

- Les sources : Ce sont les écrits des voyageurs arabes et européens et même les écrits des
lettrés musulmans locaux. Dans l’ensemble, on relève une méconnaissance volontaire des
formations politiques autres que les états. Dans ces écrits, les états sont vus comme les
seuls permettant d’avoir de l’ordre politique. S’il y avait d’autres formes d’organisation du
pouvoir, on ne le sait pas parce que ces écrits ne les mentionnent pas. L’autre problème est
le manque de profondeur chronologique dans des sociétés à tradition morale : il était
complexe de remonter à des périodes très anciennes (antérieures au VIIème/Vème siècle).
C’est en lien avec l’ouvrage d’Evans-Pritchard et Fortes : il peut paraître assez tentant
d’observer ce qu’eux appelaient en 1940 des sociétés non étatiques et de déduire qu’elles
n’ont jamais changé et qu’elles étaient aussi comme ça au Moyen-Âge. Il y avait des états
soudanais et le reste étaient des sociétés sans états. Cela pose des questions puisque ça
revient à nier l’historicité de ces sociétés et à omettre le fait qu’elles sont elle-même issues
de la décomposition d’états anciens dont elles conservent quelques traces.

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- La difficulté de mettre à jour la ligne de partage entre « États » et « sociétés sans
États ». En effet, les états ont toujours entretenu des relations avec les sociétés non
étatiques et vice versa. Les razia des états soudanais auprès de sociétés non étatiques
(limitrophes des territoires des 10 états) ont eu lieu d’abord pour obtenir des esclaves puis
ensuite au nom de l’islam. Un exemple intéressant est l’ouvrage du XVème siècle d’Al-
Maghili Réponses aux questions de l’askiya Muhammad : cet érudit musulman va donner
des conseils à l’empereur du Tsonghaï pour gérer les affaires politiques et économiques de
l’empire selon la loi islamique. Il va distinguer trois types de formation politique :
1. Les pays qui ont un émir sont respecteux de l’islam et il faut les préserver
2. Les pays où l’émir est corrompu et à la tête desquels le bon prince musulman a le
droit de placer un autre chef
3. Les sociétés sans états païennes ou musulmans sans émir

- Le problème insoluble du passage du « non-état » à l’État. Pour l’historien Jean-Pierre


Chrétien, on ne connait pas le point 0 d’où tout partirait. On peut s’intéresser aux mythes et
légendes qui révèlent la conception du pouvoir que les gens se faisaient au moment où ces
mythes ont été élaborés et tant qu’on a continué à y croire (il est difficile d’en tirer une
chronologie facile)

Des empires plutôt que des royaumes


Ce qu’on peut constater avec M’Bokolo c’est qu’il y a une évolution des états dans deux directions
principales : le déplacement continu du centre de gravité des états vers l’est et entre le XXe
siècle et le quinzième, il y a une diminution du nombre des États qui va de pair avec
l’accroissement du nombre de royaumes. Il y en a de moins en moins mais ils sont de plus en
plus gros. Au XIème siècle, on a plusieurs royaumes (dont Ghana) et plusieurs pays. Au XVème
siècle il y a les empires du Mali et de Kanem et toujours de nombreux royaumes (gouvernés par
des rois sous la gouvernance des empires). L’empire du Mali contrôlait 13 royaumes. Un des
ressorts de l’État soudanais était l’armée. On avait jusqu’à 200 000 soldats dans l’empire de
Kanem entre les XIIIème et XIXème siècle. L’armée se répartissait dans des capitales provinciales
avec des généraux nommés ou membres des lignées royales locales.

Pour Raymond Mauny, les États soudanais étaient des États militaires. Son analyse permet de
comprendre les ressorts de la succession rapide des états soudanais dans le sens où les royaumes
et les empires duraient le temps du pouvoir militaire qui leur a donné naissance. Au moindre signe
de faiblesse du pouvoir impérial, les vassaux les plus importants pouvaient reprendre leur liberté ou
défier et attaquer le pouvoir impérial. Quand on perdait une guerre, cela signait l’arrêt de mort
de la structure étatique. L’un des plus gros problèmes des états soudanais était la maitrise de leur
territoire qui était très étendu et de plus en plus divers. M’Bokolo adopte le concept d’empire plutôt
que de royaume pour désigenr ces formations étatiques. C’est parce que l’idée de royaume évoque
des structures emboitées.

M’Bokolo explique que les structures étaient administrées de deux façons :


- Indirecte : les royaumes faisaient allégeance à l’empire. Elle payait des taxes à l’empereur
et mettaient à disposition des soldats en temps de guerre.
- Directe : administration faite par des princes de la famille impériale, des gouverneurs de la
région conquise. Les royaumes pouvaient passer de l’hégémonie d’un empire à un autre en
ménageant à les garder dominants : c’est un mélange de soumission et d’autonomie
relative.

On a un tiraillement entre la volonté de centralisation et d’administration directe et d’autre part la


réalité des faits qui exigent une administration indirecte (contraintes de la géographie). À la fin du
XVème siècle, on a une centralisation importante. Cela est net avec l’empire Songhay qui introduit
de la centralisation : en nommant des agents de l’empereur révocables à la tête des provinces mais

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aussi en créant un corps de fonctionnaires chapotés par des ministres (finance, douane,
agriculture). Pour lutter contre les tendances autonomistes, les empereurs pratiquaient les
alliances. On a donc des prémices du bureaucratisation.

Il reste difficile pour les historiens d’étudier cette histoire en raison d’un manque de
sources : M’Bokolo parle de « difficultés théoriques et méthodologiques à la fois excitantes et
redoutables ». Il est possible d’utiliser des terminologies différenciées pour qualifier des formations
socio-politiques. Ce qui est important c’est d’avoir en tête ce à quoi font référence ces termes.

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