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TRIBUNAL D’ARBITRAGE

2018 CanLII 132375 (QC SAT)


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC

Date: Le 14 décembre 2018

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : Maître André G. Lavoie

ENTRE

SYNDICAT DE L’ENSEIGNEMENT DE L’OUTAOUAIS

Ci-après le syndicat

ET

COMMISSION SCOLAIRE DES DRAVEURS

Ci-après l’employeur

GRIEFS : 2020-0000631-5152 (Mourad Belahbib)

Pour l’employeur : Maître Bernard Jacob


Morency Avocats

Pour le syndicat : Maître Geneviève Brunet Baldwin


BML Avocats
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2018 CanLII 132375 (QC SAT)


DÉCISION ARBITRALE INTERLOCUTOIRE
(En vertu du Code du travail du Québec, art. 100 ET ss.)

INTRODUCTION

[1] J’ai reçu du Greffe des tribunaux de l’éducation le mandat d’entendre le


grief déposé par la partie syndicale, contestant la décision de l’employeur de
modifier unilatéralement les modalités de retour au travail du plaignant en date
du 6 mars 2017 et de cesser de verser au plaignant ses prestations d’assurance
salaire.
[2] Les procureurs ont convenu des admissions d’usage quant à ma
compétence et ma juridiction ainsi qu’au respect de la procédure de grief.
[3] Il est également convenu que le fardeau de preuve appartient au syndicat.

LES FAITS

[4] Le plaignant est un enseignant du champ 13, en mathématiques, physique


et biologie.
[5] Il détient un contrat d’engagement avec 98,8% de tâche en
mathématiques et sciences pour la période du 3 octobre 2016 au 12 novembre
2016 ainsi qu’une tâche à 100% en mathématiques et sciences pour la période
du 13 novembre 2016 au 28 juin 2017.1
[6] Il quitte en invalidité le 21 novembre 2016.
[7] Le 16 février 2017 débute un retour au travail progressif qui s’échelonne
sur quatre semaines pour culminer avec un retour au travail complet à compter
du 13 mars 2017. 2
[8] À compter du 6 mars 2017, le contrat est réduit à une tâche de 16.45%,
principalement en raison de la réduction du nombre d’élèves. 3
[9] À cette date, le retour au travail progressif n’est pas complété, ce qui dans
les faits signifie que Mourad Belahbib n’a travaillé qu’une journée sur les quatre
jours prévus pour son retour au travail progressif.

1
Pièce S3
2
Pièce S5
3
Pièce S6 et S7
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[10] Il témoigne également ne pas avoir reçu de prestation d’assurance

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invalidité pour les trois jours pendant lesquels il n’a pas eu à dispenser de
l’enseignement en raison de la réduction de son pourcentage de tâche.
[11] À cette étape de la preuve syndicale, la procureure soulève la question
des travaux qui pouvaient être disponibles chez l’employeur pour les trois jours
en question ainsi que l’obligation d’accommodement de l’employeur qui en
découle.
[12] Le procureur de la partie patronale s’oppose à cette preuve soutenant
qu’aucune mention au grief ne fait référence à la question de l’accommodement
et qu’en soulevant cette question, la partie syndicale cherche à amender son
grief, ce qui a pour effet de le dénaturer.
[13] La procureure de la partie syndicale prétend pour sa part que les
dispositions de la Charte sont implicitement incluses à toutes les conventions
collectives et elles font partie intégrante de toutes demandes.
[14] Après avoir entendu les prétentions sommaires de chacune des parties, il
est convenu que les procureurs produiront des notes et autorités sur la question
en litige suivante :

La question de l’accommodement est-elle incluse implicitement dans le


libellé du grief ou constitue-t-elle un amendement qui a pour effet d’en
dénaturer la portée ?

PRÉTENTIONS DE LA PARTIE PATRONALE

[15] Pour le procureur de la partie patronale, la preuve que tente d’introduire la


partie syndicale, relativement à la question de l’obligation d’accommodement de
l’employeur, ne constitue ni plus ni moins qu’un amendement au grief, tel que
libellé, celui-ci n’en faisant mention d’aucune façon.
[16] Jurisprudence à l’appui, il souligne que pour qu’une partie puisse
valablement soulever un argument d’accommodement, ou tout autre argument
en relation avec les dispositions de la Charte, encore faut-il qu’il soit allégué au
grief, faute de quoi l’arbitre ne pourra s’en saisir au prix d’être déclaré ultra petita
de le faire.
[17] En cela, il revient sur la compétence de l’arbitre en soulignant : « Ainsi, si
l’arbitre dispose de tous les pouvoirs nécessaires pour examiner une
contestation fondée sur la Charte, encore faut-il que le grief, qui confère
juridiction à l’arbitre, donne ouverture à pareille contestation. »
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[18] Revenant sur notre affaire, il précise : « Or, le grief dont est saisi l’arbitre,

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portant le numéro 2020-0000631-5152 du Greffe des tribunaux de secteur de
l’éducation, ne contient aucune allégation ni indice invoquant de la discrimination
ou une violation à la Charte de droits et libertés de la personne donnant
ouverture à un tel débat et à un débat sur l’obligation d’accommodement. Tout au
plus y a-t-il allégation d’une décision abusive, ce qui est bien différent d’une
contestation du droit à l’égalité prévu à la Charte. »
[19] S’appuyant ensuite sur les correctifs demandés, il note que l’objet de la
contestation porte essentiellement sur la modification unilatérale des modalités
de droit de retour au travail du plaignant et de son incidence sur ses prestations
d’assurance invalidité.
[20] Pour lui, en aucune façon la partie syndicale ne soutient par son grief que
l’employeur ait failli à ses obligations d’accommodements, l’objet du grief étant
clairement identifié, au surplus, comme un grief réclamant le maintien des
prestations d’assurance invalidité.
[21] Il identifie donc le litige comme suit : « Ainsi, l’arbitre est saisi d’un litige
portant sur l’interprétation des dispositions du régime d’assurance salaire lorsque
survient une modification au contrat en cours d’invalidité, et non d’une
contestation d’une prétendue discrimination exercée par la Commission scolaire
et du non-respect de l’obligation d’accommodement. »
[22] Il demande donc de rejeter la demande d’amendement du syndicat,
d’accueillir son objection à la compétence de l’arbitre à l’égard de la contestation
de la discrimination et de l’obligation d’accommodement.

PRÉTENTIONS DE LA PARTIE SYNDICALE

[23] Pour la procureure de la partie syndicale, elle soutient d’entrée de jeu que
le libellé du grief ne peut être restrictif puisqu’il est reconnu qu’il ne vise qu’à
cerner le pourtour du litige.
[24] Jurisprudence à l’appui, elle argue que « l’arbitre doit se garder
d’examiner le grief avec un trop grand formalisme », les différents tribunaux
ayant reconnu que celui-ci constitue un acte simple, constituant ni plus ni moins
qu’un résumé d’une mésentente entre les parties, duquel il faut rechercher
l’intention des parties, le fond l’emportant sur la forme.
[25] À tous égards souligne-t-elle, la notion d’accommodement est incluse
dans tout grief qui conteste la non-reconnaissance d’une invalidité et le refus de
verser des prestations d’assurance salaire.
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[26] Elle plaide donc : « Ainsi, la présence d’un article à la convention

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collective portant sur le retour progressif n’entraîne aucun détachement vis-à-vis
de la source juridique à laquelle celui-ci est attaché : la Charte des droits et
libertés de la personne. En d’autres termes, l’inclusion à la convention collective
de disposition portant sur le retour progressif ne modifie aucunement le fait que
cette disposition découle de l’obligation d’accommodement tel que consacré par
la Charte.
[27] S’appuyant sur une décision récente de la Cour Suprême, elle ajoute qu’à
tout événement, l’obligation d’accommodement, à défaut d’être expressément
prévue à la convention collective, doit être considérée incluse de façon implicite.
[28] Elle soutient donc que l’obligation d’accommodement, qui est prévue à la
Charte est nécessairement incluse à la convention collective liant les parties.
« Conséquemment, lorsque la Commission permet au salarié de se prévaloir
d’un retour progressif, elle ne fait pas qu’appliquer la convention collective, elle
s’assure aussi d’appliquer adéquatement les mesures de protection prévues à la
Charte notamment le droit de ne pas faire subir à un salarié de discrimination en
raison d’un handicap. »
[29] Elle conclut donc que « tenant compte de ce qui précède, nous réitérons
que la portée du grief englobe nécessairement la question d’accommodement,
cette obligation étant manifestée par la contestation inscrite au grief du retour
progressif du salarié modifié unilatéralement, illégalement et abusivement par la
Commission. »
[30] Elle demande le rejet de l’objection de la partie patronale.

LA DÉCISION

[31] La question de l’accommodement est-elle incluse implicitement dans le


libellé du grief ou constitue-t-elle un amendement qui a pour effet d’en dénaturer
la portée ?
[32] Pour répondre à la question que soulève la présente affaire, il importe à
mon avis de se placer en amont de celle-ci, dans un premier temps, et de
s’interroger sur l'inclusion implicite des dispositions de la Charte à la convention
collective, notamment celles relatives à l’accommodement.
[33] Suivra ensuite l’analyse de son inclusion implicite à tous les griefs et dans
la négative, de l’effet de l’amendement qu’elle suscite le cas échéant.
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L’inclusion des dispositions de la Charte des droits et libertés de la

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personne à la convention collective.

[34] S’il pouvait exister un flou juridique sur l’inclusion implicite des dispositions
de la Charte aux dispositions des conventions collectives négociées par les
parties, l’affaire Caron4 de la Cour Suprême est venue en dissiper toute
incertitude.
[35] Bien que cette affaire traite plus précisément de l’application de la Loi sur
accidents du travail et les maladies professionnelles5, les principes que la Cour
énonce trouvent certainement écho en matière d’application des conventions
collectives.
[36] Élevant la Charte au rang de source de droit fondamental, elle rappelle
qu’il est maintenant reconnu que toutes lois doivent être interprétées
conformément aux principes énoncés dans la Charte et que se faisant, ses
dispositions en font partie intégrante, sans qu’il soit nécessaire d’en libeller le
contenu.
[37] La Cour rappelle également que le principe de l’accommodement
raisonnable, qui constitue un principe cardinal en matière de discrimination, doit
nécessairement trouver application, et qu’en définitive « il n’existe aucune raison
de priver quelqu’un qui devient invalide par la suite d’un accident du travail, des
principes applicables à toutes personnes invalides, notamment au droit à des
mesures d’accommodement raisonnable. » 6
[38] Cela dit, il n’y a qu’un pas à faire pour conclure que l’obligation
d’accommodement raisonnable tel que prévu aux dispositions de la Charte fait
partie intégrante de toutes conventions collectives et que l’employeur ne peut
exclure une personne qui est en mesure d’offrir une prestation de travail dans
des conditions adaptées, conditions qui ne doivent cependant pas constituer une
contrainte excessive pour lui.
[39] Cette précision faite, se pose maintenant la deuxième question.

L’accommodement est-elle incluse implicitement au libellé du grief.

4
Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et Alain Carron et le
Procureur général du Québec et Tribunal administratif du travail, 2018, CanLII CSC 3.
5
CQLR c. A-3.001.
6
Précitée note 4, par.35
PAGE : 7

[40] Avec à-propos à mon avis, le procureur de la partie patronale fait une

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distinction entre le caractère d’ordre public et l’inclusion des dispositions de la
Charte à la convention collective et la contestation elle-même, soit l’objet que
soulève le libellé du grief.
[41] En fait, et c’est ce que je comprends de la présente affaire, toute la
question de l’inclusion de l’obligation d’accommodement à la convention
collective n’est pas remise en cause par le procureur de la partie patronale.
[42] En revanche, il soutient que pour en faire valoir l’opportunité, il est
essentiel que le grief en conteste la violation, et ce de façon explicite. Il en va de
la compétence de l’arbitre de s’en saisir, selon sa prétention.
[43] Sur cet aspect, il ne fait pas de doute dans mon esprit que l’arbitre tire sa
juridiction du grief qui lui est soumis et que sa décision doit porter sur le litige qu’il
soulève, en interprétant et en appliquant toutes les dispositions des lois ou
règlements qui lui sont utiles pour le faire.
[44] C’est ainsi que pour saisir l’arbitre d’une question de discrimination de
laquelle découlera une obligation d’accommodement de la part de l’employeur, le
grief doit en faire mention.
[45] En cela, je ne peux souscrire à la prétention de la procureure de la partie
syndicale, à l’effet qu’à défaut d’être clairement indiquée dans le libellé du grief,
l’obligation d’accommodement y est incluse implicitement.
[46] Avec respect pour l’opinion contraire, souscrire à cet argument
équivaudrait à conclure que tout grief, malgré son libellé, doit nécessairement
inclure une contestation en vertu de la Charte, et ce peut importe la réclamation
qui l’accompagne. À mon sens, cette prétention va à l’encontre des principes
reconnus par la jurisprudence et la doctrine qui commandent à l’arbitre de
décider dans le cadre du mandat qui lui est transmis et de garder intacte la
nature de la question qui lui est soumise.
[47] Le rôle de l’arbitre n’est pas de formuler la contestation et d’en établir la
réclamation, mais de s’en saisir, tel qu’elles lui sont présentées, pour en décider
du bien-fondé. Il ne peut en élargir la portée ou en changer la finalité.
[48] Dit autrement, s’il est admis que les dispositions de la Charte font partie
de la convention collective, il est faux de prétendre que le corollaire est qu’elles
sont également implicitement incluses à tous griefs qui en découlent.
[49] Reste la question de la légalité de l’amendement ajoutant la dimension de
l’accommodement raisonnable au grief.
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L’amendement du grief proposant d’inclure la question de

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l’accommodement raisonnable.

[50] Tous s’entendent pour dire qu’en droit du travail, le grief est d’abord et
avant tout, l’expression d’une contestation de la part de l’une ou l’autre des
parties prenantes à la convention collective.
[51] Cette contestation constitue au sens propre du terme un acte juridique qui
déclenche la procédure de grief qui, au final, mènera soit à une entente ou une
décision de la part du tribunal d’arbitrage.
[52] Cela étant, il importe de rappeler que les griefs sont rédigés par les
représentants des parties, étant entendu que le plus souvent ils émanent du
syndicat. Or, règle générale, le rédacteur du grief ne possède aucune formation
juridique particulière, et il serait injuste, dans ces circonstances, d’exiger du
libellé du grief qu’il ait, par son vocabulaire et sa syntaxe, la même précision et la
même rigueur qu’exigées devant les tribunaux de droit commun.
[53] Sur ce point, je citerai avec approbation les propos de mon collègue Pierre
Laplante dans l’affaire Hydro Québec :

Un grief n'est pas autre chose qu'un bref résumé d'un problème en milieu de
travail.
Dans la très grande majorité des cas, ce sont des salariés liés quotidiennement
aux opérations qui sont témoins ou victimes d'une mauvaise interprétation ou
d'une mauvaise application de la convention collective. Pour y remédier, le
contrat collectif a prévu l'arbitrage de griefs. Ce sont ces salariés ou leurs
délégués syndicaux qui rédigent les griefs. En autant que l'employeur sache de
quoi il retourne, le grief est recevable. Le reste n'est que matière à précisions,
voire à corrections.7

[54] En somme, et c’est ce qui importe de retenir, le grief demeure un acte


simple, qui explique la teneur de la mésentente et la réclamation qui en découle,
tout en gardant à l’esprit qu’il est échangé entre des parties qui ont, au quotidien,
des discussions sur les tenants et aboutissants de la convention collective et de
son application.

7
Syndicat des technologues d'Hydro-Québec (SCFP-957) et Hydro Québec, 21 décembre 2015,
Me Pierre Laplante, arbitre de grief.
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[55] C’est d’ailleurs ce qui a fait dire aux tribunaux supérieurs, dont la Cour

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d’appel8 :
« Il s’agit là d’un concept dérivé de la procédure civile, qu’il faut se garder
d’introduire trop strictement dans l’application des conventions collectives. Les
griefs sont en principe des actes simples. Les rédigent habituellement des
plaignants ou des représentants syndicaux qui le plus souvent, ne possèdent pas
de formation juridique. Il faut chercher à retrouver l’intention du plaignant et à
faire primer celle-ci sur le texte du grief.» (Notre soulignement)

[56] J’en retiens donc, qu’au-delà des mots, il y a l’intention du plaignant qui,
en tout état de cause, constitue la véritable portée du grief. Si parfois cette
intention transparait aisément du texte, il pourra survenir certaines situations où
l’arbitre sera appelé à examiner le contexte particulier de la mésentente qui a
mené au dépôt du grief.
[57] Les auteurs Morin et Blouin énoncent avec justesse, à mon avis, l’analyse
que devra faire l’arbitre, dans la recherche de la portée d’un grief.

« L’évaluation de la suffisance minimale valable de son libellé s’effectue en


fonction de la connaissance présumée qu’ont les parties de la nature et de la
portée de la mésentente qui les occupe. Cette présomption de fait peut être
dégagée des rapports continus qu’elles entretiennent. Enfin l’utilisation d’un
langage propre à la communauté juridique, si élégant ou hermétique puisse-t-il
être, n’est pas un critère retenu pour décider si un grief est valablement libellé. Il
convient plutôt de s’en rapporter, dans la mesure du possible, au mode
d’expression des parties même si nous devions présumer de leur connaissance
des règles élémentaires de rédaction d’un tel acte. L’essentiel consiste en ce que
le libellé du grief puisse permettre de saisir suffisamment l’objet de la
contestation ou demande de manière à ce que l’autre partie puisse exercer, s’il y
a lieu, son droit de défense et aussi, pour que l’on puisse, de toutes parts,
circonscrire le débat.» 9

[58] En résumé, si le grief, tel que déposé à l’employeur, permet aux parties
d’en saisir l’enjeu et la réclamation, peu importe la précision ou l’imprécision de
son libellé, il sera réputé recevable.

8
Association des employés de garage de Drummondville (CSN) et Gougeon & frères Ltée, DTE
1992T-543.
9 e
MORIN, Fernand et BLOUIN, Rodrigue, Droit de l’arbitrage de grief, 6 édition, Édition Yvon
Blais, 2012, p.310.
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[59] Comme je le mentionne plus haut, l’analyse qui précède et la recherche

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de l’intention de la partie syndicale, au moment de rédiger le grief, s’inscrivent
dans ce qu’il est convenu d’appeler la portée du grief.
[60] Cette analyse doit donc se faire à la lumière du grief original, tel qu’il a été
déposé à l’employeur, et ce, dans son intégralité.
[61] L’amendement pour sa part est en aval de cette analyse, la portée du grief
étant déjà connue.
[62] C’est ainsi que la jurisprudence reconnait maintenant que l’amendement
permet à la partie plaignante de préciser la portée du grief. Cela dit, il importe
d’ajouter que l’inverse est en revanche proscrit et que la portée du grief ne peut
être modifiée par l’amendement.
[63] Toute la rigueur qui entoure la possibilité d’amender un grief s’explique
aisément, à mon point de vue, par le fait qu’il n’est pas question de modifier la
portée du grief, laquelle délimite l’objet de la contestation et les réclamations qui
y sont attachées, mais simplement de la préciser. C’est ce qui empêche de
modifier les éléments caractéristiques du grief, une fois la portée spécifiée.
[64] L’arbitre saisi d’une demande d’amendement doit donc s’assurer, avant de
l’accueillir, de bien circonscrire la portée du grief pour ensuite analyser la nature
de l’amendement.
[65] L’analyse se fait donc en deux temps.
[66] Voyons d’abord la portée du grief, tel qu’il a été déposé par la partie
syndicale et dont je reproduis ci-après les passages pertinents.

Le Syndicat de l’enseignement de l’Outaouais conformément à la convention


collective, vous avise de la naissance d’un grief.
Sans limiter la généralité de l’ensemble des faits et arguments pouvant être
soulevés ultérieurement le Syndicat allègue :
(…)
Le Syndicat et Monsieur Belahbib soumettent que la décision de la CSD de
modifier unilatéralement les modalités du retour au travail progressif établi pour
Monsieur Belahbib, de l’empêcher de bénéficier de ces modalités de retour
progressif et de cesser de lui verser les prestations d’assurance salaire
auxquelles celui-ci avait droit pour la semaine du 6 mars soit l’équivalent d’une
journée, est illégale, abusive et contraire à la convention collective, plus
particulièrement aux articles 5-10.27 et suivants. (Notre soulignement)
(…)
Le Syndicat demande conséquemment au tribunal :
D’accueillir le présent grief;
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De déclarer que la CSD a agi de manière illégale, abusive et contraire à la

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convention collective en modifiant unilatéralement les modalités du retour
progressif établi pour Monsieur Belahbib et en empêchant celui-ci de bénéficier
de ces modalités jusqu’à son retour au travail à temps complet le 13 mars 2017;
De déclarer que la CSD a agi de manière illégale, abusive et contraire à la
convention collective en cessant unilatéralement de payer les prestations
d’assurance salaire auxquelles Monsieur Belahbib avait droit pour la semaine du
6 au 10 mars 2017;
D’ordonner à la CSD de respecter la convention collective, et plus
particulièrement les articles 5-10.27 A) et 5-10.27 B);
D’ordonner à la CSD de payer à Monsieur Belahbib un montant correspondant à
la différence entre le montant payé pour la semaine du 6 mars au 10 mars 2017
et un montant correspondant à quatre journées travaillées et une journée payée
en assurance salaire, le tout avec intérêt légal et indemnité additionnelle
rétroactivement au 6 mars 2017.10

[67] Une lecture attentive du libellé du grief permet d’en dégager deux
contestations, interreliées, mais différentes.
[68] La première contestation vise la décision de l’employeur de modifier
unilatéralement les conditions de retour au travail du plaignant alors que la
seconde conteste l’application que fait l’employeur des dispositions relatives aux
paiements des prestations d’assurance invalidité.
[69] L’une concerne l’application générale des principes lors d’un retour au
travail suite à une invalidité alors que l’autre commande une analyse de la
mécanique entourant le droit aux indemnités découlant de cette même invalidité.
[70] Aux fins de trancher le présent litige, je me concentrerai sur la première
contestation.
[71] À mon sens, il faut voir, dans la première occurrence, tant par le libellé du
grief que de l’intention de la partie syndicale qui s’en dégage, que celle-ci
conteste la gestion de l’employeur des conditions de retour au travail du
plaignant, notamment en raison de la modification de son contrat suite à la
réduction d’élèves pour le nouveau trimestre.
[72] C’est ce qui lui fait dire que l’employeur a agi de façon abusive et illégale
en ne respectant pas les échéances du retour au travail progressif du plaignant,
contrevenant ainsi de façon générale aux dispositions de la convention collective
et plus spécifiquement à l’article 5-10.27 b) qui traite du retour progressif.

10
Pièce S2
PAGE : 12

[73] C’est ainsi que l’amendement que propose la partie syndicale viserait à

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inclure, dans sa contestation, la notion d’obligation d’accommodement qui
pourrait être imposée à l’employeur, lors d’un retour au travail progressif.
[74] Avec respect pour l’opinion contraire, j’estime que cet amendement n’a
pas pour effet de dénaturer la portée initiale du grief.
[75] Je m’explique.
[76] D’abord, faut-il en convenir, toute la question qui est soulevée par cette
contestation touche les droits qui entourent une personne salariée de bénéficier,
selon les prescriptions de son médecin, de modalités particulières, lors d’un
retour au travail suite à une invalidité.
[77] Les parties, au moment de la négociation de la convention collective, ont
prévu certaines conditions donnant ouverture à un retour progressif. Or, on l’a vu
plus haut, ces conditions ne peuvent limiter l’application plus générale des
principes cardinaux qui sont inclus dans la Charte des droits et libertés de la
personne, principes qui sont réputés faire partie intégrante de cette même
convention collective.
[78] C’est ainsi que dans le spectre des principes entourant la notion
d’obligation d’accommodement se trouve nécessairement toute la question du
retour au travail d’une personne qui s’est vu empêcher d’occuper ses fonctions
en raison d’une invalidité.
[79] Dit autrement, la question de l’application des principes
d’accommodement raisonnable n’est certainement pas étrangère à ce qui est
contesté par la partie syndicale, soit toute la notion de retour au travail des suites
d’une invalidité. Elle est, selon ma compréhension, incluse dans la contestation
telle que libellée dans le grief du 10 mai 2017, et participe à la démonstration de
ce que la partie syndicale soutient être une décision illégale et abusive.
[80] Avec respect, j’estime que l’amendement que propose la partie syndicale,
soit de permettre l’administration d’une preuve concernant l’obligation
d’accommodement que pouvait avoir l’employeur à l’égard de Mourad Belahbib,
au mois de mars 2017, ne modifie pas la portée du grief déposé, mais en précise
la contestation, tenant compte du fait que cette même obligation fait partie
intégrante de la convention collective.
[81] Je permettrai donc la preuve sur cet aspect, précisant qu’il appartient à la
partie syndicale d’en faire la démonstration, sous réserve évidemment d’une
preuve, de la part de la partie patronale, relative à la contrainte excessive que cet
accommodement pourrait avoir dans la conduite de ses affaires.
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[82] Pour tous ces motifs, après avoir étudié la preuve et sur le tout délibéré, le

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tribunal d’arbitrage.

REJETE l’objection de la partie patronale;

PERMET à la partie syndicale d’administrer une preuve relativement à


l’obligation d’accommodement qui pouvait découler du retour au travail progressif
du plaignant;

PERMET à l’employeur d’administrer toute preuve relativement à l’application de


l’obligation d’accommodement ainsi qu’en ce qui concerne la contrainte
excessive qui pourrait en résulter;

CONVOQUE les parties à une audience à être fixée dans les meilleurs délais.

Blainville, ce 14 décembre 2018

Maître André G. Lavoie


Arbitre
Conférence des arbitres du Québec

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