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Vers une
construction identitaire et sociale des individus par et dans
la consommation ?
Claudine Batazzi, Anne Parizot
Dans Question(s) de management 2016/3 (n° 14), pages 89 à 101
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.163.0089
© EMS Editions | Téléchargé le 17/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 41.143.8.66)
Résumé n n Summary
Cette communication se propose d’interroger le concept This paper aims to examine the concept of identity in re-
d’identité en relation avec la ou les marques commerciales. lation to commercial brands. How does a brand build up
Comment une marque de nos jours se constitue-t-elle une an identity nowadays? By which marketing and commu-
identité ? Par quels moyens marketing et communication- nication methods is the identity of a brand developed or
nels, l’identité de la marque est-elle révélée ou affirmée maintained? If the identity of a brand is a reality, how do
? Si l’identité des marques est une réalité, comment les brands contribute to the social construction and identity of
marques concourent-elles à la construction identitaire et individuals?
sociale des individus ? After having defined the ideas of brand and identity in the
Après avoir défini les notions de marque et d’identité dans world of consumerism, we will consider the syntactic unit
l’univers de la consommation, nous nous tournerons vers brand identity in relation to, and even in opposition to, the
le syntagme identité de marque en relation, voire en oppo- brand image. More specifically, we will study the methods,
sition avec l’image de marque. Nous étudierons plus par- tools and strategies used by certain brands to create an
ticulièrement les moyens, outils et stratégies employées image. Storytelling, fantasy, visual communication, sound
par certaines marques pour se créer une identité. Storytel- design and also myth and symbolism merge with the emo-
ling, imaginaire, communication visuelle, design sonore tional experience which can be summarized in three modes:
mais aussi mythe et symbolique se mêlent à l’expérience sensorial, aesthetically and ethically. The brand without a
sensible qui se décline en mode esthésique, esthétique et connection to the customer and the awareness of the con-
éthique. La marque sans la relation au client et la recon- sumer is inexistant. And from the customer to the citizen
naissance du consommateur n’est rien. Et du client au there is just one step. While the brand puts itself on stage
citoyen il n’y a qu’un pas. Si la marque se raconte et se and projects itself, the customer consumer looks for his
met en scène, le client consommateur cherche ses repères, points of reference, communicates andexchanges on social
communique, échange sur les réseaux sociaux. La marque networks. Can the brand therefore be considered as one of
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L’image de marque est la représentation perçue confrontant le donné et le perçu sont toujours
par le consommateur. Il s’agit donc d’une inter- présentes et aident à la compréhension globale
prétation liée à une analyse faite par le consom- du fonctionnement d’une marque. Aussi pou-
mateur. Cette opinion réalisée à un moment vons-nous prendre en exemple Wanadoo, qui se
donné, ne peut être qu’éphémère. Il s’agit d’un veut être une marque à la pointe de l’innovation
concept de réception alors que l’identité est un mais qui est pourtant perçue par les consomma-
concept d’émission qui doit « spécifier le sens, teurs comme une marque plutôt grand public et
le projet, la conception du soi de la marque », pas forcément innovante.
Kapferer (1996 : 100). L’identité est un concept polysémique dont
Enfin, le positionnement correspond aux caracté- l’origine idem2 signifie identique. Nombre de
ristiques à mettre en avant par rapport à la concur- recherches ont porté sur ce concept d’autant
rence, pour rester compétitif sur son marché. La qu’il est complexe et qu’il est au carrefour de
marque doit aussi être attentive aux attentes plusieurs disciplines des sciences humaines et
des clients et prendre en compte l’évolution du de gestion. L’identité n’est plus à chercher dans
marché. Par exemple, la marque Castorama se le statut social, les institutions ou les traditions
positionne sur l’axe accompagnateur de clients (Dufour-Baïdouri, 2013 : 70) mais s’apparente
qui ont peur de se lancer dans le bricolage en progressivement à un processus dynamique
créant un programme « Lancez-vous », un site qui, selon Goffman (1975), résulte de négocia-
d’entraide. Leroy Merlin vise le client à s’orga- tions interactionnelles avec autrui, et aboutit à la
niser et à s’accomplir par la connaissance1. On construction identitaire.
pourrait encore citer l’exemple de marques L’identité se définit par un renvoi à l’histoire,
de voitures comparables par leur origine (alle- aux valeurs développées. Ainsi l’identité peut
mandes) et leur catégorie (luxe). Seul le position- définir la spécificité de la marque en rappelant
nement les distingue : Audi vise le design alors la mission ou la promesse engagée. A titre
que BMW a choisi la performance et Mercédès d’exemples nous pouvons citer quelques en-
se positionne sur le côté bourgeois. seignes et marques dont l’évocation renvoie à
des concepts particuliers : Darty se réfère à la
3. De la notion d’identité… notion de service basé sur la confiance, Danone,
Le concept d’identité, est en pleine évolution à la nutrition saine, Disney, à l’émotion d’un
depuis le XXe siècle et plus particulièrement monde magique.
depuis les années 1960 qui caractérisent cette Michon et Stern (1985) ont dégagé l’iden-
évolution puisqu’au concept relativement rigide tité d’une marque par divers éléments : La rai-
d’identité est souvent substitué celui de co- son d’être d’un produit affirmée par le slogan
construction de l’identité. (« L’Oréal, parce que je le vaux bien ») ; le mé-
Nous avons été tentée de noter identité au tier révélateur de son existence par rapport à la
pluriel. En effet, la relation et les interactions concurrence qui lui confère une certaine légiti-
entre marque et consommateur, l’avènement mité dans un domaine (l’automobile, la beauté,
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le reflet, la mentalisation que nous retrouvons ment la cible veut être perçue dès lors qu’elle
sous la figure 1. consomme cette marque. On cherche à donner
La marque est une forme de discours, forme une image de soi par la marque qui nous reflète
dans le sens de mise en forme, donc elle corres- (Harley : La mentalisation est la réponse à la
pond à la matérialisation du discours commer- question comment je me sens, qu’est-ce que je
cial) puisque sans communication elle n’existe projette de moi-même du fait de l’utilisation de
pas. En ce sens émetteur et récepteur se cette marque ».
trouvent construits par et dans cette communi- Pour illustrer chacun de ces éléments, nous
cation (Ibid. : 112). pouvons faire référence à des exemples publi-
Le prisme de Kapferer permet de rassembler citaires.
diverses facettes autour de la relation marque- La marque en tant que forme physique peut
consommateur et révèle les forces et les fai- être représentée par une calandre, une bou-
blesses de la marque. teille (forme et couleur de la bouteille Perrier),
Selon F. Berger-Remy3, un bonhomme (Michelin). La personnalité s’il-
« Le physique est ce que la marque donne phy- lustre par des attributs physiques et psycholo-
siquement à voir d’elle-même ; la personnalité giques (Perrier : fou, Ricard : joyeux). La relation
fait référence à des traits de caractère attribués se construit à travers le mode de communica-
par anthropomorphisme. La relation caractérise tion et d’échange avec le consommateur. La
le type de lien avec les publics. La culture est culture correspond à des valeurs véhiculées par
assimilable à un droit d’inventaire qui précise ce la marque et auxquelles le consommateur aspire
que l’on garde des racines et de l’héritage de (Benetton : la provocation, Apple : Californie). Le
la marque. Le reflet et la mentalisation tiennent consommateur se projette dans la marque qui
compte des échanges avec le consommateur.
est mentalisée (Apple : parce que je suis diffé-
Le reflet est ainsi une description de com-
rent).
3 http://chaire.marquesetvaleurs.org/sites/default/ F. Berger-Rémy retient également le système
files/dt/identite_marque.pdf d’identité de la marque de D. Aaker centré sur
Émetteur construit
Physique Personnalité
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Reflet Mentalisation
Destinataire construit
4. … A la construction identitaire
L’identité s’inscrit alors dans un processus créa-
tif. La construction de l’identité de l’individu est
complexe car elle est loin d’être strictement dé-
finie. Le processus joue à la fois sur la volonté de
se distinguer ou de se différencier mais s’appuie
également sur le besoin de reconnaissance d’un
groupe auquel il aimerait appartenir.
Donc plus que d’identité établie, il faut parler
de construction identitaire puisque l’identité se
transforme en processus. Selon Dufour-Baïdouri
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5 CI : construction identitaire
La dimension sémiotique de la marque nous marques de voiture renferment aussi leur propre
oriente vers les propos de Le Floch pour qui identité comme vont l’illustrer les exemples sui-
l’identité telle une notion dynamique se déroule vants, analysés au prisme de Kapferer.
à travers une « mise en intrigue ». Les manifes- Avant de développer l’analyse, nous présentons
tations de la marque sont des énoncés qui sou- les campagnes publicitaires des trois monos-
lignent la liaison de l’intelligible et du sensible de paces qui nous ferons découvrir les ambiances
la marque. différentes.
L’univers de l’intelligible regroupe toutes les L’Espace est en dehors de l’image qui laisse en-
composantes abstraites et immatérielles de trevoir de vastes territoires dans un environne-
la marque (valeurs, mythologies, promesses, ment préservé. Ainsi il s’efface totalement car il
bénéfices, etc.) l’univers du sensible recouvre n’y a pas de limites. Une liberté de mouvements
quant à lui les dimensions de la marque percep- et d’esprit qui laisse place à l’imaginaire des si-
tibles par les sens (couleurs, matières, odeurs, tuations convoquées.
goût, sonorités, toucher, etc.). La marque consi- Autre produit, autre stratégie…
dérée souvent comme être humain met en place La Peugeot « Huit Saucisses » positionné en
des éléments d’existence corporelle, sensorielle esprit famille avec des parents à l’écoute prend
relationnelle et sociale et se trouve engagée elle le discours des enfants qui deviennent les pres-
aussi dans des dispositifs d’interaction numé- cripteurs des parents.
riques. Le style décalé prend forme ici en écho au nom
Les voitures ont depuis longtemps constitués du produit (Evasion) et prend en compte la di-
des modèles d’analyse révélant des socio-styles mension « amicale », style « soixante huitard »
en ce qui concerne le consommateur. Mais les qui revendique la notion de monospace.
Ainsi nous pouvons comparer les trois identités mûri, mais il conserve cependant le lien avec ses
différentes du fait du positionnement, du dis- souvenirs.
cours, sur le segment des monospaces en nous La notion de plaisir est présente dans les trois
rappelant le prisme de Kapferer. exemples mais elle est abordée de façon diffé-
Les trois prismes révèlent des univers totale- rente : entre faire plaisir et se faire plaisir.
ment différents. Mais l’identité de marque peut être en danger
Pour Renault, l’Espace prend tout son sens. Le dès lors que le positionnement de la marque
nom à double signification a donné lieu à une ex- n’est pas clair. Ainsi Nivea a dû modifier sa straté-
ploitation maximale. Du coup, l’habitacle évoque gie. Au départ la marque a délivré une promesse
une navette spatiale qui invite au rêve et l’ima- de soin. Puis elle a évolué vers une promesse
ginaire du voyage se développe. Le consomma- différente, celle de la beauté. Elle a changé ses
teur est un voyageur Zen. codes en faisant du co-branding avec Chantal
Le Peugeot 806 valorise l’univers famille et le Thomas. Ce positionnement a entraîné l’usage
plaisir devient une préoccupation collective pour de couleurs plus vives et a introduit un aspect
la tribu familiale. L’attention portée aux enfants glamour teinté de sexualité. Après cette rupture
détermine un consommateur très aimant et sur- des codes, Nivea a dû revenir au positionnement
tout « papa poule ». de départ le soin, pour que les consommateurs
Enfin, le Citroën s’assagit même s’il parle d’Eva- retrouvent leur identité. Le bénéfice fonctionnel
sion. Avec humour, l’image du car de police est lié à l’aspect hydratation se transforme en béné-
revisitée. Ici on privilégie le contexte de l’amitié, fice émotionnel eu égard aux qualités de bien-
du partage et l’image du rebelle s’est apaisée être, ce qui correspond aux valeurs développées
pour devenir un « rebelle rangé » parce qu’il a par la société.
Figure 10. Evolution de la publicité Nivea Les rites, les symboles et les mythes sont
toujours plébiscités par les marques. On peut
même affirmer qu’ils sont des points d’appui
à partir desquels les individus élaborent et
construisent des récits sur eux-mêmes (Holt,
2004).
Lavazza, marque italienne célèbre de café,
n’hésite pas à illustrer son café par une affiche
représentant le mythe de Romulus et Remus,
qui comme chacun le sait est le mythe fonda-
teur de Rome. Par cette adaptation, la marque
vise une certaine tradition au travers de la sym-
bolique du mythe où la louve est substituée par
le corps d’’une femme sensuelle. Il s’agit donc
de la mise en avant d’un savoir-faire commercial
et communicationnel qui use et abuse même
de la sensualité et de la modernité. Le Colisée,
symbole de la ville de Rome sert de décor et
ancre un peu plus la notion de tradition. Quant
au produit relativement en retrait (une petite
tasse de café est insérée sur le côté), laisse
l’imaginaire de la symbolique du lieu originel et
du mythe opéré.
Figure 11. Le prisme de l’identité de Kapferer de la Pour Kotler, la marque trouve sa cible claire-
marque de café Lavazza, selon Kotler6 ment identifiée et se définit comme :
« Intergénérationnelle : aussi bien les jeunes
consommateurs de café désireux de trouver
un repère de qualité dans un contexte de plus
en plus dense, des consommateurs plus âgés
qui cherchent le véritable café à l’italienne dans
une optique hédoniste et de respect du savoir-
faire et les séniors qui trouvent en Lavazza un
café qui a su respecter les traditions ».
De même, l’exemple de la Maif apparaît parti-
culièrement intéressant à étudier.
La Maif7 est la deuxième compagnie d’assu-
rance préférée des français. Sa notoriété n’est
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début dans un discours vrai et transparent, elle sur nombre de sujets dont la consommation.
a su gagner et toucher les « consommateurs ». L’évolution des stratégies marketing en est la
En effet, son discours est clair et sans détour : preuve, les entreprises et les marques doivent
La Maif est assureur, c’est son cœur de métier maintenant composer avec les communautés
et elle le revendique…Militant indique qu’elle de consommateurs virtuels, potentiels ou réels
a une certaine conception de son engagement afin de prendre en compte leurs attentes, afin
dans la société vis-à-vis de sa clientèle et elle de les fidéliser en développant par exemple une
s’appuie sur des valeurs. Ces valeurs sont pré- relation de confiance et d’engagement mutuel,
cisément des valeurs mutualistes (Liberté, Parizot (2016).
solidarité, démocratie et indépendance) et Ces nouveaux modes de construction identi-
elles constituent les quatre piliers de la doc- taires par l’intermédiaire de l’identité numé-
trine sur laquelle se sont toujours appuyés les rique modifient les rapports à la consommation
mutualistes. et les marques doivent alors s’adapter en pro-
Enfin l’entreprise peut changer d’identité pour posant de nouveaux modes de vie plébiscités
montrer qu’elle évolue et surtout qu’elle prend par les consommateurs. Ainsi elles se pré-
toujours en compte le client. Ainsi par exemple, sentent comme des récits, des narrations qui
Subway franchise de restauration rapide se mo- leur permettent de s’exposer et de répondre
dernise pour fêter ses 15 ans. Elle adopte une aux besoins des individus. La quête de rela-
nouvelle charte graphique, une nouvelle signa- tions, ce nouvel élan du vivre bien et du vivre
ture. Mais elle cherche avant tout à séduire le ensemble par l’intermédiaire de la constitu-
consommateur pour qui elle renouvelle a com- tion de « tribus » ou de communautés, cette
munication. Elle joue alors sur la personnalisa- recherche d’émotions et de sensations traduite
tion proposée au client qui renvoie alors à la en terme d’expériences incitent les marques à
propre identité de ce dernier. développer des approches du consommateur
La nouvelle signature « c’est vous le chef » beaucoup plus attentives (Maffesoli, 2012).
invite le client à être acteur de son choix et la Les marques qui fédèrent des communautés
personnalisation donnera un sandwich à son de fans renvoient les consommateurs à la part
image. La campagne de communication se fera d’émotionnel qui est en eux, tout en véhicu-
par l’intermédiaire de plusieurs types de sup- lant leurs propres émotions. Elles partagent
ports comme par exemple les réseaux sociaux de plus en plus avec eux jusqu’à devenir « une
et le hashtag. œuvre collaborative8 » et elles répondent à la
En effet le recours au numérique pour la demande de moralisation et d’humanisation
construction de l’identité de marque et de sa des consommateurs en leur proposant des ex-
diffusion est utile. périences qui les rendent heureux, (Leberecht,
Un des exemples de mutations opérés par 2012). Les consommateurs peuvent se projeter
internet est l’identité numérique, modèle par- dans la marque et en retour la marque s’impose
ticulièrement intéressant des interactions entre un certain nombre de contraintes. Elle se per-
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