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Identités de Marques et marqueurs d’identité.

Vers une
construction identitaire et sociale des individus par et dans
la consommation ?
Claudine Batazzi, Anne Parizot
Dans Question(s) de management 2016/3 (n° 14), pages 89 à 101
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.163.0089
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Identités de Marques et marqueurs d’identité.
Vers une construction identitaire et sociale
des individus par et dans la consommation ?
Brand identity and identity markers Towards the social
and identity construction of individuals by and in consumerism

Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

Résumé n n Summary

Cette communication se propose d’interroger le concept This paper aims to examine the concept of identity in re-
d’identité en relation avec la ou les marques commerciales. lation to commercial brands. How does a brand build up
Comment une marque de nos jours se constitue-t-elle une an identity nowadays? By which marketing and commu-
identité ? Par quels moyens marketing et communication- nication methods is the identity of a brand developed or
nels, l’identité de la marque est-elle révélée ou affirmée maintained? If the identity of a brand is a reality, how do
? Si l’identité des marques est une réalité, comment les brands contribute to the social construction and identity of
marques concourent-elles à la construction identitaire et individuals?
sociale des individus ? After having defined the ideas of brand and identity in the
Après avoir défini les notions de marque et d’identité dans world of consumerism, we will consider the syntactic unit
l’univers de la consommation, nous nous tournerons vers brand identity in relation to, and even in opposition to, the
le syntagme identité de marque en relation, voire en oppo- brand image. More specifically, we will study the methods,
sition avec l’image de marque. Nous étudierons plus par- tools and strategies used by certain brands to create an
ticulièrement les moyens, outils et stratégies employées image. Storytelling, fantasy, visual communication, sound
par certaines marques pour se créer une identité. Storytel- design and also myth and symbolism merge with the emo-
ling, imaginaire, communication visuelle, design sonore tional experience which can be summarized in three modes:
mais aussi mythe et symbolique se mêlent à l’expérience sensorial, aesthetically and ethically. The brand without a
sensible qui se décline en mode esthésique, esthétique et connection to the customer and the awareness of the con-
éthique. La marque sans la relation au client et la recon- sumer is inexistant. And from the customer to the citizen
naissance du consommateur n’est rien. Et du client au there is just one step. While the brand puts itself on stage
citoyen il n’y a qu’un pas. Si la marque se raconte et se and projects itself, the customer consumer looks for his
met en scène, le client consommateur cherche ses repères, points of reference, communicates andexchanges on social
communique, échange sur les réseaux sociaux. La marque networks. Can the brand therefore be considered as one of
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peut-elle alors être considérée comme un des leviers de la the catalysts in the social and/or identity construction of
construction identitaire et/ou sociale de l’individu ? the individual?
Alors qu’actuellement des « malaises » envahissent la
société provoquant crises identitaires et « crispations iden- n Keywords: identity construction, brand, consumer.
titaires », de nouveaux repères sont nécessaires et peuvent
apparaître comme des formes de quêtes identitaires.
Le client-citoyen cherche, par l’intermédiaire de ses choix
en matière de consommation, à exprimer son individualité,
son identité face à la globalisation ou à la mondialisation
qui peut tendre, du moins en apparence, à aplanir les diffé-
rences. Mais par-delà la marque, c’est aussi la performati-
vité des symboles qu’elle représente, qui entre en jeu.
C’est cette double construction identitaire que nous vou-
drions analyser en éclairant les interactions entre marque
et consommateur dans l’univers marchand à la lueur des
Sciences de l’Information et de la Communication.
n Mots-clefs : construction identitaire, marque, consom-
mateur.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°14 / Novembre 2016 / 89


IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

INTRODUCTION mation est polysémique du fait de deux sens


contraires à savoir, consumere signifiant détruire
On n’a jamais autant évoqué le concept d’iden- et consummare, mener à son terme.
tité que depuis l’avènement de la mondialisa- En nous appuyant sur les écrits de B. Heilbrunn
tion et la globalisation. En effet, ces processus (2010), nous pouvons dire que « la consomma-
d’internationalisation favorisent paradoxalement tion renvoie [alors] à un ensemble de pratiques
l’émergence de nouvelles frontières et le collec- identitaires par lesquelles les individus struc-
tif s’efface même devant un certain individua- turent leur identité sociale par d’incessants mé-
lisme. De multiples interrogations naissent par- canismes d’échange ». A l’instar de Baudrillard,
mi lesquelles l’identité semble être au cœur de la cet auteur admet que la consommation actuelle
réflexion dans le contexte mondial. Les diverses n’est pas restreinte à l’acquisition de produits,
pressions ressenties au sein de la société frag- mais relève plutôt de la signification accordée à
mentent les individus en différents « moi » et ces derniers, la valeur symbolique permettant
l’identité s’en trouve fortement fragilisée. d’augmenter la valeur économique.
Ainsi, fleurissent dans pléthore de discours sur La consommation devient alors une expérience
la société, des expressions telles que « crises de consommation, un élément clé de la compré-
identitaires » ou « crispations identitaires » qui hension du comportement du consommateur,
reflètent un certain malaise dans la société ac- mise ainsi en scène et théâtralisée (Hetzel, 2002)
tuelle. Mais aussi voit-on re-jaillir le concept de par le marketing expérientiel, « la consommation
« quête identitaire » dans un contexte de désen- provoquant des émotions et des sensations qui,
chantement global comme réponse au besoin de loin de répondre seulement à des besoins vont
quête existentielle. Aucun domaine n’échappe toucher à la quête identitaire du consommateur
à ces réflexions : sociologie, psychologie, poli- (Caru et Cova, 2006). Cette quête de sens, de
tique, marketing, etc. tous concourent à enrichir reconnaissance des individus est une quête
les interrogations dont les sujets touchent des identitaire dans la mesure où « les traditions,
objets culturels, sociaux et politiques. la religion, le politique sont moins productrices
La mutation de la consommation liée notam- d’identité sociale » (Lipovestsky, 1980).
ment aux TIC et à la crise économique conduit En évoquant une expérience de consomma-
à un affaiblissement des phénomènes de sur- tion, on met à jour à une individualisation de
consommation qui se manifeste par une critique celle-ci, ce qui amène Lipovestky (2006) à parler
globale du capital, une remise en cause des « consommation intimisée ».
marques et une perte de confiance générale. Les La consommation individualiste des années
consommateurs recherchent donc avant tout du 1990 a évolué vers une consommation plus
sens dans cet univers marqué par la perte de re- hédoniste pour finalement s’orienter vers une
pères familiaux, religieux ou spirituels. Ainsi les consommation créative dans les années 2000.
marques, nouveaux repères des existences dé- Lipovetsky (2003) évoque société d’hypercon-
senchantées, visent à valoriser l’expérience indi- sommation des années 1980, alors qu’émerge
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viduelle des consommateurs en se créant des déjà un nouveau modèle de consommation qui
identités en accord avec les valeurs actuelles, et en ferait une démarche d’appropriation symbo-
les consommateurs se construisent leur identité lique de biens et de services en objets cultu-
dans le collectif des communautés et font de la rels. Ainsi, la simple satisfaction des besoins se
marque, un repère identitaire. voit détrôné par la recherche de sensations et
L’objectif de cette communication tendra donc d’émotions dans la consommation, sensations
à préciser comment se manifestent les interac- et émotions participant activement à la construc-
tion de l’identité des consommateurs (Badot et
tions entre les marques et les consommateurs
Cova, 2003). Les pratiques de consommation
dans ce nouvel univers de la consommation,
évoluent et privilégient l’expérience qui se re-
profondément empreint d’une quête identitaire.
trouve fortement valorisée par l’esthétisme et le
symbolique.
1. Les nouveaux visages de la
Cette volonté de vivre des expériences de la part
consommation
du consommateur s’accompagne du développe-
Pour Max Weber, la consommation aurait causé ment du marketing tribal, expérientiel où l’émo-
le désenchantement de la société moderne, en- tionnel est fortement interpellé. Ainsi O. Badot
core faut-il souligner que le concept de consom- (2006 et 2004) affirme que l’expérientiel fait ap-

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Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

pel à un vécu personnel chargé en émotions. Il apparentées à des mécanismes de manipulation


parle de « marketing indiciel identitaire » où « la de signifiants et de signifiés qui conduisent à
société est un réservoir d’expériences à vivre et des systèmes de production de sens.
à créer, de sens à extraire permettant aux indi- En réalité une marque se définit par divers élé-
vidus de construire et d’ajuster leur identité ». ments qui trouvent leur prolongement. Le posi-
La consommation fournit donc un cadre qui per- tionnement définit la personnalité par rapport
met aux individus de se mettre en récit. Par ses à la concurrence, au marché et à sa catégorie.
choix de consommation, l’individu développe La promesse est la raison qui motive l’utilisa-
une extension de lui-même, comme nous le teur à choisir ce produit ou service. Le nominal
montrerons, que les marques doivent prendre (le nom) contribue à la compréhension de la
en compte dans toutes les dimensions. Par la marque et devient un facilitateur pour la com-
consommation de biens symboliques, l’individu munication. L’identité est constituée également
vise l’amélioration de son image et cherche à du logotype ou de la signature. Le territoire en-
se construire une identité spécifique. Ainsi les globe les signes graphiques (formes, couleurs,
objets tels qu’ils sont consommés actuellement typographies, photographies, rédactions, etc.)
intègrent un système sémiotique et deviennent qui permettent de baliser la création lors de l’éla-
des supports de communication de la personna- boration des outils de communication et enfin la
lité et de l’appartenance culturelle des individus. communication, peut être apparentée au porte-
Le domaine économique et marchand est voix de la marque.
donc particulièrement impacté par cette notion La marque est aussi pour J.-M. Floch, parole ver-
d’identité car cette dernière se révèle à double bale ou non verbale, autrement dit une instance
face dans ce contexte. En effet, il convient de énonciatrice (Petitimbert, 2014). Mais sans
tenir compte de la relation d’interaction entre la doute plus que tout J.-M. Floch considère la pa-
marque et le consommateur. Reprenons dans role comme un acte, par un processus d’effica-
un premier temps le concept de marque afin cité, de performativité de la promesse à l’enga-
de le définir pour pouvoir ensuite envisager les gement. Cette médiation entre parole donnée et
modes de relations avec l’identité. parole tenue ou effective s’inscrit dans une plus
large stratégie de satisfaction de la clientèle et
2. Des marques chargées d’émotions crée une forme d’attachement.
Mais quelles représentations fournir du concept
Les marques ont envahi le marché et caracté- d’identité dans le domaine de la consommation?
risent la société de consommation. Elles sont Il est intéressant de se reporter aux analyses
donc très présentes quotidiennement et cer- d’E. Goffman concernant la mise en scène ou la
tains leur vouent un véritable culte. Pour les mise en récit de l’individu dans ses pratiques de
jeunes par exemple, les marques de sport par- consommation. Le sociologue dégage trois axes
ticipent à leur mode d’expression et à leur ma- qui caractérisent l’individu dans ses interactions
nière d’être. Aussi des marques comme Oxbow : le soi perçu (la façon dont l’individu se perçoit),
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ou Quicksilver sont-elles des symboles identi- le soi vitrine (la façon dont on se pense perçu
taires qui transcendent de nombreux aspects de par les autres) et enfin le soit idéal (la façon dont
la vie des jeunes, Bouchet et Hillairet (2009). on souhaiterait être perçu). Ces éléments de
Les marques, face aux marchés de plus en plus réflexion sont soulignés par B. Heilbrunn (2010).
concurrentiels, sont confrontées à la question Le rapprochement avec la marque est possible
suivante : comment se distinguer ou se diffé- ici et il y a finalement peu de différence : tout
rencier face à l’offre existante et au pouvoir de comme l’individu, la marque se met en scène via
négociation des clients-consommateurs qui ne un jeu d’interactions, mais in fine conserve une
cesse de croître ? identité propre, tout en se distingue des autres
La marque correspond avant tout à une identité : marques par ses valeurs et la dimension symbo-
l’identité visuelle. Celle-ci regroupe le nom, le lique qui en découle.
logo qui s’y rattache, la charte graphique et les La marque constitue la somme de trois éléments
couleurs. Mais une marque ne peut se réduire à qui se combinent les uns aux autres : l’image,
cette seule existence visuelle, car ce n’est que le positionnement et l’identité. Il est nécessaire
la partie visible précisément. L’identité se voit de dissocier image de marque et identité de
aussi transcendée par un slogan, une signature marque, qui bien que proches par les termes
dans les publicités. Les marques peuvent être employés, n’en restent pas moins différentes.

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IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

L’image de marque est la représentation perçue confrontant le donné et le perçu sont toujours
par le consommateur. Il s’agit donc d’une inter- présentes et aident à la compréhension globale
prétation liée à une analyse faite par le consom- du fonctionnement d’une marque. Aussi pou-
mateur. Cette opinion réalisée à un moment vons-nous prendre en exemple Wanadoo, qui se
donné, ne peut être qu’éphémère. Il s’agit d’un veut être une marque à la pointe de l’innovation
concept de réception alors que l’identité est un mais qui est pourtant perçue par les consomma-
concept d’émission qui doit « spécifier le sens, teurs comme une marque plutôt grand public et
le projet, la conception du soi de la marque », pas forcément innovante.
Kapferer (1996 : 100). L’identité est un concept polysémique dont
Enfin, le positionnement correspond aux caracté- l’origine idem2 signifie identique. Nombre de
ristiques à mettre en avant par rapport à la concur- recherches ont porté sur ce concept d’autant
rence, pour rester compétitif sur son marché. La qu’il est complexe et qu’il est au carrefour de
marque doit aussi être attentive aux attentes plusieurs disciplines des sciences humaines et
des clients et prendre en compte l’évolution du de gestion. L’identité n’est plus à chercher dans
marché. Par exemple, la marque Castorama se le statut social, les institutions ou les traditions
positionne sur l’axe accompagnateur de clients (Dufour-Baïdouri, 2013 : 70) mais s’apparente
qui ont peur de se lancer dans le bricolage en progressivement à un processus dynamique
créant un programme « Lancez-vous », un site qui, selon Goffman (1975), résulte de négocia-
d’entraide. Leroy Merlin vise le client à s’orga- tions interactionnelles avec autrui, et aboutit à la
niser et à s’accomplir par la connaissance1. On construction identitaire.
pourrait encore citer l’exemple de marques L’identité se définit par un renvoi à l’histoire,
de voitures comparables par leur origine (alle- aux valeurs développées. Ainsi l’identité peut
mandes) et leur catégorie (luxe). Seul le position- définir la spécificité de la marque en rappelant
nement les distingue : Audi vise le design alors la mission ou la promesse engagée. A titre
que BMW a choisi la performance et Mercédès d’exemples nous pouvons citer quelques en-
se positionne sur le côté bourgeois. seignes et marques dont l’évocation renvoie à
des concepts particuliers : Darty se réfère à la
3. De la notion d’identité… notion de service basé sur la confiance, Danone,
Le concept d’identité, est en pleine évolution à la nutrition saine, Disney, à l’émotion d’un
depuis le XXe siècle et plus particulièrement monde magique.
depuis les années 1960 qui caractérisent cette Michon et Stern (1985) ont dégagé l’iden-
évolution puisqu’au concept relativement rigide tité d’une marque par divers éléments : La rai-
d’identité est souvent substitué celui de co- son d’être d’un produit affirmée par le slogan
construction de l’identité. (« L’Oréal, parce que je le vaux bien ») ; le mé-
Nous avons été tentée de noter identité au tier révélateur de son existence par rapport à la
pluriel. En effet, la relation et les interactions concurrence qui lui confère une certaine légiti-
entre marque et consommateur, l’avènement mité dans un domaine (l’automobile, la beauté,
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des réseaux sociaux conduisent à une double etc.) ; l’expression des valeurs en relation avec
construction identitaire, celle de la marque et l’éthique (Apple et l’esprit libérateur) ; la légende
celle du consommateur qui se rejoigne tout en pour se construire une histoire personnelle (Nike
étant chacune distincte. et Michael Jordan le basketteur mythique); le
De même pouvons-nous évoquer le rapproche- caractère qui vise l’image de l’entreprise ; les
ment entre identité et image de marque. Si la partenaires marquant la visibilité périphérique et
conception traditionnelle semblait les opposer enfin le relationnel qui met en valeur l’émotion-
(identité de marque correspondant à l’essence nel par exemple (Michelin et son Bonhomme
de la marque elle-même telle qu’elle a été pen- empathique).
sée, image de marque correspondant à la ré- Lorsqu’on réunit identité et marque, le prisme
ception de cette identité), cette distinction ne de Kapferer devient un outil d’analyse qui
semble plus aussi nette du fait de la co-produc- semble incontournable. L’identité de marque
tion liée aux consommateurs (notamment par offre la possibilité à la marque elle-même de
l’usage numérique). Cependant, les analyses se valoriser et d’être unique sur le marché : le
physique, la personnalité, la culture, la relation,
1 Les stratégies culturelles selon les trois fonctions.
Brand content, 2016 2 Cnrtl.fr

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Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

le reflet, la mentalisation que nous retrouvons ment la cible veut être perçue dès lors qu’elle
sous la figure 1. consomme cette marque. On cherche à donner
La marque est une forme de discours, forme une image de soi par la marque qui nous reflète
dans le sens de mise en forme, donc elle corres- (Harley : La mentalisation est la réponse à la
pond à la matérialisation du discours commer- question comment je me sens, qu’est-ce que je
cial) puisque sans communication elle n’existe projette de moi-même du fait de l’utilisation de
pas. En ce sens émetteur et récepteur se cette marque ».
trouvent construits par et dans cette communi- Pour illustrer chacun de ces éléments, nous
cation (Ibid. : 112). pouvons faire référence à des exemples publi-
Le prisme de Kapferer permet de rassembler citaires.
diverses facettes autour de la relation marque- La marque en tant que forme physique peut
consommateur et révèle les forces et les fai- être représentée par une calandre, une bou-
blesses de la marque. teille (forme et couleur de la bouteille Perrier),
Selon F. Berger-Remy3, un bonhomme (Michelin). La personnalité s’il-
« Le physique est ce que la marque donne phy- lustre par des attributs physiques et psycholo-
siquement à voir d’elle-même ; la personnalité giques (Perrier : fou, Ricard : joyeux). La relation
fait référence à des traits de caractère attribués se construit à travers le mode de communica-
par anthropomorphisme. La relation caractérise tion et d’échange avec le consommateur. La
le type de lien avec les publics. La culture est culture correspond à des valeurs véhiculées par
assimilable à un droit d’inventaire qui précise ce la marque et auxquelles le consommateur aspire
que l’on garde des racines et de l’héritage de (Benetton : la provocation, Apple : Californie). Le
la marque. Le reflet et la mentalisation tiennent consommateur se projette dans la marque qui
compte des échanges avec le consommateur.
est mentalisée (Apple : parce que je suis diffé-
Le reflet est ainsi une description de com-
rent).
3 http://chaire.marquesetvaleurs.org/sites/default/ F. Berger-Rémy retient également le système
files/dt/identite_marque.pdf d’identité de la marque de D. Aaker centré sur

Figure 1. Le prisme de l’Identité Kapferer (1996 :106)

Émetteur construit

Physique Personnalité
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Extériorisation Relation Culture Intériorisation

Reflet Mentalisation

Destinataire construit

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IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

le couple marque – produit. Ce brand identity du lien et de la valeur en dépassant la simple


system définit la marque comme un produit, fonction de divertissement.
une organisation, une personne et un symbole La communication olfactive est aussi un facteur
comme l’indique la figure suivante. Ces élé- d’identification et de reconnaissance qui séduit.
ments indiquent la valeur communicative de la Agissant sur le principe de la mémoire olfactive,
marque en fonction de l’indice comparatif utilisé. les odeurs participent à la fidélisation des clients
L’identité de marque sert à donner une direc- et créent des associations et des univers spéci-
tion, un sens à un projet et elle traduit en même fiques (« senteurs de thé pour des vêtements,
temps la façon dont l’entreprise, par l’intermé- senteurs de sable chaud chez les voyagistes,
diaire des signes matériels et immatériels, sou- des tee-shirts parfumés à la vanille », etc4.
haite se présenter et être représentée. Ainsi le sociologue Maffesoli (1988) entrevoit
Une marque c’est un nom mais également une l’identité comme un système d’identification,
charte graphique, un logo, une signature, un un bricolage de micro récits au sein desquels
packaging, un design sonore, visuel, ou olfactif les identités sociales se lient sur des bases et
qui lui confèrent une cohérence et une identité des affinités connues d’ordre émotionnel. De
propres. L’ensemble de ces éléments s’appuie son côté, A. Semprimi (1999) définit l’identité
sur des codes du sensible et plus particulière- des marques à partir de niveaux : le niveau des
ment du sensoriel. valeurs, le niveau narratif et le niveau discursif. A
Les éléments visuels (packaging, logo, etc.)
ce propos C. Badulescu (2010 : 36 et suivantes)
constituent les premiers éléments habituels sur
détermine pour la marque Occitane les valeurs
le devant de la scène. Le logo, emblème d’une
fondamentales d’authenticité, de naturel qui
marque est un symbole qui doit être mémo-
sont ensuite « narrativisées à travers divers scé-
risé. Mais il s’inscrit dans un environnement
narios » mettant en scène le terroir, le savoir-
visuel complexe constitué par l’ensemble des
faire et les paysages. Le niveau discursif rend
éléments visuels (signes juxtaposés tels les
couleurs, caractères typographiques, formes visible la signification de ces valeurs pour com-
géométriques, etc.) qui fondent l’identité de la muniquer
marque. « Un univers polysensoriel à partir des produits,
L’identité sonore participe elle aussi à cette des ingrédients et de leur sensualité et de quit-
identité et est particulièrement présente sur ter ainsi le positionnement communicationnel
le Web 2.0. Le design sonore s’inscrit dans ce des grandes marques de cosmétiques centrées
marketing sensoriel qui consiste à développer 4 http://www.e-marketing.fr/Thematique/Direct-Digi-
une construction sensible entre la marque et le tal-1003/Dossiers/Gestion-de-marque-221078/Identite-de-
consommateur. Aussi le son permet-il de créer marque-222230.htm

Figure 2. Système d’identité de la marque selon Aaker.


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Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

sur la communication métaphorique du corps par les individus « consommacteurs » et d’autre


considéré longtemps comme le plus bel objet part, par les marques qui répondent à leurs
de communication ». Il est question pour cette attentes. Ainsi se crée une sorte de cercle qui
marque de tracer « une grammaire sensible », s’auto-alimente en permanence.
de proposer au public une « parenthèse enchan- Nous allons plus précisément nous pencher sur
tée ». quelques exemples significatifs de ce méca-
Ainsi les approches de la marque et de l’identité
nisme de construction identitaire.
ont donné lieu à divers types de modélisation :
les modèles de gestion génératifs, systémiques
et des modèles orientés vers le marketing (vers 5. Le processus de construction identitaire
le positionnement, les cibles, etc.) ou la commu- des marques commerciales
nication (vers le territoire, style, etc.). L’analyse par l’intermédiaire d’un corpus de
Les nouveaux modes et activité de consom- publicités va nous permettre de revenir sur le
mation imposent aux marques de choisir de
concept global d’identité d’un point de vue sé-
nouvelles stratégies de communication qui leur
miotique et communicationnel. Cependant afin
permettent de s’affirmer par la différence. De
de ne pas nous limiter à cet aspect, nous envisa-
même les consommateurs à l’identité malme-
née usent d’objets qui servent aux récits de gerons également des univers de construction
soi dans un contexte social incertain, Dufour- qui révèlent des identités particulières comme le
Baïdouri A. (2013 : 16). La marque joue donc souligne l’expression identité numérique.
un rôle très important dans la construction de
l’identité individuelle au sein d’une communauté
Figure 3. La campagne publicitaire Renault Espace 3
ou d’une tribu et modifie ainsi l’identité collec-
tive (B. Heilbrunn).

4. … A la construction identitaire
L’identité s’inscrit alors dans un processus créa-
tif. La construction de l’identité de l’individu est
complexe car elle est loin d’être strictement dé-
finie. Le processus joue à la fois sur la volonté de
se distinguer ou de se différencier mais s’appuie
également sur le besoin de reconnaissance d’un
groupe auquel il aimerait appartenir.
Donc plus que d’identité établie, il faut parler
de construction identitaire puisque l’identité se
transforme en processus. Selon Dufour-Baïdouri
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(Ibid. : 15)
« Ce concept [qui] évoque davantage la dyna-
mique et la transformation actuelles avec la-
quelle l’identité est désormais en prise. Les
mutations dans les processus de CI5 qui en dé-
coulent (Mercklé, 2011) donnent lieu à l’inven-
tion de soi (Kaufmann, 2004), à la production
de soi (Cardon et Delaunay-Téterel, 2006), à la
figuration de soi (Cardon, 2008) et à l’exposition
de soi (Granjon et Denouël, 2010). Cette présen-
tation de soi (Goffman, 1959) sous des modes
de CI aussi divers soient-ils s’effectue sous le
regard des autres (Mead, 1963) ».
Ces constructions identitaires sujettes aux évo-
lutions de la société sont alimentées d’une part,

5 CI : construction identitaire

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IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

La dimension sémiotique de la marque nous marques de voiture renferment aussi leur propre
oriente vers les propos de Le Floch pour qui identité comme vont l’illustrer les exemples sui-
l’identité telle une notion dynamique se déroule vants, analysés au prisme de Kapferer.
à travers une « mise en intrigue ». Les manifes- Avant de développer l’analyse, nous présentons
tations de la marque sont des énoncés qui sou- les campagnes publicitaires des trois monos-
lignent la liaison de l’intelligible et du sensible de paces qui nous ferons découvrir les ambiances
la marque. différentes.
L’univers de l’intelligible regroupe toutes les L’Espace est en dehors de l’image qui laisse en-
composantes abstraites et immatérielles de trevoir de vastes territoires dans un environne-
la marque (valeurs, mythologies, promesses, ment préservé. Ainsi il s’efface totalement car il
bénéfices, etc.) l’univers du sensible recouvre n’y a pas de limites. Une liberté de mouvements
quant à lui les dimensions de la marque percep- et d’esprit qui laisse place à l’imaginaire des si-
tibles par les sens (couleurs, matières, odeurs, tuations convoquées.
goût, sonorités, toucher, etc.). La marque consi- Autre produit, autre stratégie…
dérée souvent comme être humain met en place La Peugeot « Huit Saucisses » positionné en
des éléments d’existence corporelle, sensorielle esprit famille avec des parents à l’écoute prend
relationnelle et sociale et se trouve engagée elle le discours des enfants qui deviennent les pres-
aussi dans des dispositifs d’interaction numé- cripteurs des parents.
riques. Le style décalé prend forme ici en écho au nom
Les voitures ont depuis longtemps constitués du produit (Evasion) et prend en compte la di-
des modèles d’analyse révélant des socio-styles mension « amicale », style « soixante huitard »
en ce qui concerne le consommateur. Mais les qui revendique la notion de monospace.

Figure 4. La campagne publicitaire Peugeot 806


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Figure 5. La campagne Citroën Evasion

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Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

Ainsi nous pouvons comparer les trois identités mûri, mais il conserve cependant le lien avec ses
différentes du fait du positionnement, du dis- souvenirs.
cours, sur le segment des monospaces en nous La notion de plaisir est présente dans les trois
rappelant le prisme de Kapferer. exemples mais elle est abordée de façon diffé-
Les trois prismes révèlent des univers totale- rente : entre faire plaisir et se faire plaisir.
ment différents. Mais l’identité de marque peut être en danger
Pour Renault, l’Espace prend tout son sens. Le dès lors que le positionnement de la marque
nom à double signification a donné lieu à une ex- n’est pas clair. Ainsi Nivea a dû modifier sa straté-
ploitation maximale. Du coup, l’habitacle évoque gie. Au départ la marque a délivré une promesse
une navette spatiale qui invite au rêve et l’ima- de soin. Puis elle a évolué vers une promesse
ginaire du voyage se développe. Le consomma- différente, celle de la beauté. Elle a changé ses
teur est un voyageur Zen. codes en faisant du co-branding avec Chantal
Le Peugeot 806 valorise l’univers famille et le Thomas. Ce positionnement a entraîné l’usage
plaisir devient une préoccupation collective pour de couleurs plus vives et a introduit un aspect
la tribu familiale. L’attention portée aux enfants glamour teinté de sexualité. Après cette rupture
détermine un consommateur très aimant et sur- des codes, Nivea a dû revenir au positionnement
tout « papa poule ». de départ le soin, pour que les consommateurs
Enfin, le Citroën s’assagit même s’il parle d’Eva- retrouvent leur identité. Le bénéfice fonctionnel
sion. Avec humour, l’image du car de police est lié à l’aspect hydratation se transforme en béné-
revisitée. Ici on privilégie le contexte de l’amitié, fice émotionnel eu égard aux qualités de bien-
du partage et l’image du rebelle s’est apaisée être, ce qui correspond aux valeurs développées
pour devenir un « rebelle rangé » parce qu’il a par la société.

Figure 6. Reprise du prisme de l’identité Figure 7. Renault Espace et le prisme de l’identité


selon Kapferer
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Figure 8. Peugeot 806 et le prisme de l’identité Figure 9. Citroën Evasion et le prisme de l’identité

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IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

Figure 10. Evolution de la publicité Nivea Les rites, les symboles et les mythes sont
toujours plébiscités par les marques. On peut
même affirmer qu’ils sont des points d’appui
à partir desquels les individus élaborent et
construisent des récits sur eux-mêmes (Holt,
2004).
Lavazza, marque italienne célèbre de café,
n’hésite pas à illustrer son café par une affiche
représentant le mythe de Romulus et Remus,
qui comme chacun le sait est le mythe fonda-
teur de Rome. Par cette adaptation, la marque
vise une certaine tradition au travers de la sym-
bolique du mythe où la louve est substituée par
le corps d’’une femme sensuelle. Il s’agit donc
de la mise en avant d’un savoir-faire commercial
et communicationnel qui use et abuse même
de la sensualité et de la modernité. Le Colisée,
symbole de la ville de Rome sert de décor et
ancre un peu plus la notion de tradition. Quant
au produit relativement en retrait (une petite
tasse de café est insérée sur le côté), laisse
l’imaginaire de la symbolique du lieu originel et
du mythe opéré.
Figure 11. Le prisme de l’identité de Kapferer de la Pour Kotler, la marque trouve sa cible claire-
marque de café Lavazza, selon Kotler6 ment identifiée et se définit comme :
« Intergénérationnelle : aussi bien les jeunes
consommateurs de café désireux de trouver
un repère de qualité dans un contexte de plus
en plus dense, des consommateurs plus âgés
qui cherchent le véritable café à l’italienne dans
une optique hédoniste et de respect du savoir-
faire et les séniors qui trouvent en Lavazza un
café qui a su respecter les traditions ».
De même, l’exemple de la Maif apparaît parti-
culièrement intéressant à étudier.
La Maif7 est la deuxième compagnie d’assu-
rance préférée des français. Sa notoriété n’est
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donc plus à faire alors que cette société n’a
Figure 12. Communication Subway
commencé à faire de la publicité que depuis
les années 2000, ce qui est assez récent et
particulièrement rare. Cette émergence dans
le monde publicitaire est globalement du au
besoin de conquérir de nouvelles cibles sur un
marché concurrentiel important et de s’inscrire
dans un changement de société relevant d’une
consommation différente. Aussi communique-
t-elle depuis l’origine en tant qu’« assureur
militant » ce qui lui a permis de se construire
une identité très particulière et unique dans
le monde des assurances. En s’ancrant dès le

7 On peut consulter une étude très intéressante de


6 https://demeteretkotler.com/tag/prisme-didentite- l’assureur militant sur le site https://www.ionisbrandcul-
de-kapferer/ ture.com/index.aspx

98 / Question(s) de Management ? / N°14 / Novembre 2016 © Éditions EMS


Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

début dans un discours vrai et transparent, elle sur nombre de sujets dont la consommation.
a su gagner et toucher les « consommateurs ». L’évolution des stratégies marketing en est la
En effet, son discours est clair et sans détour : preuve, les entreprises et les marques doivent
La Maif est assureur, c’est son cœur de métier maintenant composer avec les communautés
et elle le revendique…Militant indique qu’elle de consommateurs virtuels, potentiels ou réels
a une certaine conception de son engagement afin de prendre en compte leurs attentes, afin
dans la société vis-à-vis de sa clientèle et elle de les fidéliser en développant par exemple une
s’appuie sur des valeurs. Ces valeurs sont pré- relation de confiance et d’engagement mutuel,
cisément des valeurs mutualistes (Liberté, Parizot (2016).
solidarité, démocratie et indépendance) et Ces nouveaux modes de construction identi-
elles constituent les quatre piliers de la doc- taires par l’intermédiaire de l’identité numé-
trine sur laquelle se sont toujours appuyés les rique modifient les rapports à la consommation
mutualistes. et les marques doivent alors s’adapter en pro-
Enfin l’entreprise peut changer d’identité pour posant de nouveaux modes de vie plébiscités
montrer qu’elle évolue et surtout qu’elle prend par les consommateurs. Ainsi elles se pré-
toujours en compte le client. Ainsi par exemple, sentent comme des récits, des narrations qui
Subway franchise de restauration rapide se mo- leur permettent de s’exposer et de répondre
dernise pour fêter ses 15 ans. Elle adopte une aux besoins des individus. La quête de rela-
nouvelle charte graphique, une nouvelle signa- tions, ce nouvel élan du vivre bien et du vivre
ture. Mais elle cherche avant tout à séduire le ensemble par l’intermédiaire de la constitu-
consommateur pour qui elle renouvelle a com- tion de « tribus » ou de communautés, cette
munication. Elle joue alors sur la personnalisa- recherche d’émotions et de sensations traduite
tion proposée au client qui renvoie alors à la en terme d’expériences incitent les marques à
propre identité de ce dernier. développer des approches du consommateur
La nouvelle signature « c’est vous le chef » beaucoup plus attentives (Maffesoli, 2012).
invite le client à être acteur de son choix et la Les marques qui fédèrent des communautés
personnalisation donnera un sandwich à son de fans renvoient les consommateurs à la part
image. La campagne de communication se fera d’émotionnel qui est en eux, tout en véhicu-
par l’intermédiaire de plusieurs types de sup- lant leurs propres émotions. Elles partagent
ports comme par exemple les réseaux sociaux de plus en plus avec eux jusqu’à devenir « une
et le hashtag. œuvre collaborative8 » et elles répondent à la
En effet le recours au numérique pour la demande de moralisation et d’humanisation
construction de l’identité de marque et de sa des consommateurs en leur proposant des ex-
diffusion est utile. périences qui les rendent heureux, (Leberecht,
Un des exemples de mutations opérés par 2012). Les consommateurs peuvent se projeter
internet est l’identité numérique, modèle par- dans la marque et en retour la marque s’impose
ticulièrement intéressant des interactions entre un certain nombre de contraintes. Elle se per-
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émetteur et récepteur, entre l’individu et la forme d’elle-même.
marque, entre les individus eux-mêmes et la « Les nouvelles formes de présence des
gestion de leur identité. marques puisent dans l’environnement digital
les informations concernant les individus dont
6. Quand le numérique participe de la les questions identitaires sont aujourd’hui exa-
construction de l’identité cerbées en particulier pour la jeune généra-
tion dont la vie sociale se joue également sur
Internet, le web 2.0 et les réseaux sociaux ont
Internet » (Ibid. : 22).
modifié les cadres sociaux traditionnels, faisant
Ainsi, les blogs dans l’univers numérique de-
évoluer les rapports des individus entre eux
viennent de nouveaux espaces de construction
et dans leur relation à la consommation. Ces
de l’identité personnelle mis en place par les
technologies ont ainsi fait apparaître ce qu’on
consommateurs mais ils deviennent également
appelle communément l’identité numérique.
de nouvelles formes de communication des
En effet, les individus se sont appropriés ces
marques elles-mêmes.
espaces de communication et d’exposition
de soi, espaces dans lesquels la liberté d’ex- 8 http://testconso.typepad.com/brand-
pression les amène à interagir et à partager content/2012/02/fabriquer-du-sens-.html

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°14 / Novembre 2016 / 99


IDENTITÉS DE MARQUES ET MARQUEURS D’IDENTITÉ

CONCLUSION Badot O. (2004), L’autre raison du succès de Wal-


Mart : une rhétorique de l’infra- ordinaire, 9e Journées
Les marques doivent construire du sens car les de Recherche en Marketing de Bourgogne, Dijon,
consommateurs ne sont plus seulement atten- Université de Bourgogne, 4-5 novembre.
tifs à la valeur marchande des produits mais à Badot O., Cova B. (2003), Néo-marketing, 10 ans
l’identité que ces produits leur confèrent. Ainsi après : pour une théorie critique de la consommation
la valeur marchande d’un produit comprend la et du marketing réenchantés, Revue française du
valeur ajoutée en termes de construction identi- marketing, p. 79-94.
taire et sociale de celui qui l’acquiert. Badulescu C. (2010), « Le polysensoriel entre
Et au-delà de cette construction identitaire per- approche sémiotique et stratégies marketing» Actes
sonnelle, se créent des univers identitaires (le du colloque « Culture et identités dans les communi-
luxe en constitue un). Ainsi la marque Apple cations marketing » 78e congrès de l’ACFAS, Centre
confère à son utilisateur une identité de pion- d’études en communications marketing - UQAM,
ner dans la technologie, simultanément épris de Université de Montréal, 11 mai 2010. p. 34-42.
simplicité mais non moins attentif au référentiel Baudrillard J. (1981), Simulacres et Simulation,
du luxe. Elle assume une nouvelle forme de pré- Galilée, Paris.
sence avec la construction d’univers.
Bouchet P., Hillairet D. (2009), Marques de sport.
« […] La marque Apple cultive chez ses consom-
Approches stratégiques et marketing. De Boeck.
mateurs le sentiment d’appartenir à un club de
rebelles et de gens éclairés guidés par une véri- Caru A., Cova B. (2006a), Expériences de
té fondée sur la simplicité (c’est-à-dire une faci- consommation et marketing expérientiel, Revue
lité d’emploi des interfaces et des outils faisant française de gestion, n° 162, p. 99-113.
davantage appel à l’intuition des utilisateurs qu’à Caru A., Cova B. (2006b), Expériences de marque :
un quelconque savoir technique) (Le Monde, comment favoriser l’immersion du consommateur ?,
27/10/2012). Parvenant à créer étonnement, Décisions Marketing, n° 41, janvier-mars, p. 43-52.
magie et émotion à partir de produits vendus Cova B. (2003), Retour sur quatre concepts
plus chers que le marché, la marque parvient à fondamentaux du marketing contemporain : anti-
jouer sur des tendances de fond de la société, manuel de marketing, Les cahiers de la recherche,
parmi lesquelles l’attrait pour les codes du luxe. ESCP-EAP, Paris, n° 03-155.
De l’emballage aux boutiques en passant par les Cova B., Cova V. (2002), Tribal Marketing: The
produits, « Apple a dé-technicisé l’objet par l’es- Tribalization of the Society and Its Impact on the
thétique » et est parvenue à associer high tech Conduct of Marketing, European Journal of Marke-
et style, numérique et art afin de donner envie ting, Special Issue: Societal Marketing in 2002 and
aux consommateurs (Lipovetsky, Le Monde, Beyond.
27 octobre 2012) » Dufour-Baïdouri A. (2013 : Dufour-Baïdouri A. (2013), L’identité numérique.
22). Un levier d’innovation pour les marques ? Thèse de
Les marques apparaissent alors comme des res-
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doctorat, Université Panthéon-Assas.
sources qui permettent aux consommateurs de
Floch, Jean-Marie, Identités visuelles, PUF, coll.
puiser dans les mythes, les récits et les symboles
Formes sémiotiques, Paris, 1995.
pour construire leur propre récit et leur propre
identité. Cependant, ces marques jouissent du Goffman E. (1974), Les rites d’interaction,
retour ou de la collaboration des consomacteurs Éditions de minuit, Paris.
par l’intermédiaire des nouvelles technologies. Heilbrunn B. (2010), « Les marques : créativité ou
Ceux-ci relatent leurs expériences et attentes, misère symbolique ». Conférence intitu de la mode,
commentent celles des autres et enrichissent Paris [En ligne] http://artindus.hypotheses.org/303
ainsi l’imaginaire collectif. Hetzel P. (2002), Planète conso. Marketing expé-
rientiel et univers de consommation, Édition d’Orga-
nisation, Paris.
BIBLIOGRAPHIE Kapferer J.-N. (1995), Les marques, capital de
l’entreprise. 2nde ed 1995. Editions d’Organisation.
Badot O. (2006), Du sensemaking à l’experience- Kapferer J.-N. (1988), Maîtriser l’image de l’en-
making en marketing, In Les défis du sensemaking en treprise : le prisme d’identité. Revue française de
entreprise, p.136-152, Economica. Gestion.

100 / Question(s) de Management ? / N°14 / Novembre 2016 © Éditions EMS


Claudine BATAZZI et Anne PARIZOT

Lardellier P, Bryon-Portet C. (2010), « Ego 2.0 ». Parizot A. (2016), « Marques de confiance et


Quelques considérations théoriques sur l’identité et confiance en la marque. Quels signes dans la com-
les relations à l’heure des réseaux, Les cahiers du munication ? » In La confiance. Relations, organisa-
numérique, n° 1, p. 13-34. tions, capital humain, sous la direction de R. Delaye
Lipovetsky G. (2006), Le bonheur paradoxal, Gal- et P. Lardellier. Ed ; EMS, Coll. Entreprise et sacré,
limard, Paris. p. 203-226.
Lipovetsky G. (2004), Les temps hypermodernes, Petitimbert J.-P. (2014), « Territoire(s) de marque »,
Grasset, Paris. Actes sémiotiques [En ligne]. 2014, n° 117. http://
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Paris, Méridiens-Klincksieck. Rééd. (1991) Le Livre de Kapferer et AaKer » [En ligne] http://chaire.marque-
Poche, Biblio-Essais, 4142. setvaleurs.org/sites/default/files/dt/identite_marque.
Maffesoli M., Perrier B. (2012), L’Homme postmo- pdf
derne, Ed. CNRS, Paris. Semprini A. (1999), La marque, dans Les métiers
Michon C., Stern P. (1985), La dynamisation so- de la sémiotique, sous la direction de Jacques Fonta-
ciale, les Editions d’Organisation, Paris. nille et Guy Barrier, PULM.
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