Vous êtes sur la page 1sur 8

La RAISON et le langage

I Définitions et caractères de la raison


1) La raison, définition et procédés
● Définition
Le mot « raison » vient du latin « ratio » qui signifie « calcul », puis faculté de calculer, de juger… ; ce
mot a pris deux significations :
- faculté de l’homme qui permet le jugement, l’explication, le raisonnement
- cause, c'est-à-dire que la raison d’une chose, d’un évènement est découvert par la raison

La raison manie les concepts : en effet, elle travaille avec des outils intellectuels qui lui permettent de
saisir l’essence des choses. Ces outils sont des concepts et grâce aux concepts et à la notion de causalité,
la raison repère l’ordre intelligible inscrit au cœur du réel. En effet, le propre de la raison est :
- d’ordonner (= mettre en ordre ; par ex. si une forêt brûle, il y a une cause : le feu -> quelqu’un a
allumé le feu ou jeté un mégot ; … la raison remonte toute la chaîne des causes jusqu’à vouloir trouver
LA cause).
- d’organiser et de rationaliser le monde. TOUT a une cause et peut être compris (même la folie :
troubles neuro-psychiques ; même le paranormal : la raison dit soit que ça n’existe pas, soit que nous
n’avons pas les clés pour comprendre les causes de l’événement et admet que qch puisse lui échapper).

2) L’homme décalque sa raison dans le monde


L’ordre est une disposition régulière, une organisation logique : l’ordre est partout car il est
d’abord dans la raison ! L’homme décalque sa raison dans le monde ! Le désordre, le chaos,
l’anarchie, tout cela dérange l’homme [car il est rationnel ;] sa raison est un facteur d’organisation, de
compréhension et de cohésion (= qui donne sens et cohérence), donc le monde est formaté / façonné
afin de ressembler aux critères rationnels réclamés par la raison : on ordonne, on réglemente, on
légifère, on organise, on aménage… TOUT. La raison et son ordre, on les retrouve partout : en
logique, en mathématiques, en sciences, dans la société, dans la culture, et … dans l’art (c'est beau car
c'est harmonieux et … ordonné!) !
Mais n’a-t-elle pas des limites ? La raison peut-elle tout comprendre … Elle est en effet cette faculté de
donner sens au monde mais aussi de reconnaître qu’il y a de l’Autre, qu’il y a de l’irrationnel en ce
monde.

3) Mise au point sur quelques distinctions


La raison s’efforce vers un idéal. Son idéal est d’atteindre les valeurs qu’elle prône, qu’elle défend et
qu’elle essaie de cultiver en pratique :le vrai / le juste / le beau / le bon / le Bien (en soi). Mais il faut ici
distinguer deux facettes de la raison : sa facette rationnelle (correspondance avec les critères de la Vérité)
et sa facette raisonnable …
- le coté rationnel : coté logique, mathématique, valable pour tous.
La rationalité est objective et cohérente avec les critères de la vérité. Ce qui est rationnel : c’est tout ce
qui est logique et qui répond à l’exigence organisatrice des cadres de la raison càd les maths, les
sciences, la politique, l’organisation économique et sociale, la pensée abstraite … etc.

- le coté raisonnable : c’est l’usage de notre raison dans son aspect pratique et ici moral. Etre
raisonnable, c’est adopter une conduite sensée ou/et sage en accord avec les règles morales édictées en
société. C’est agir en accord avec les codes moraux établis (cf. 3) du II). Etre raisonnable, c’est agir
correctement et avec respect envers soi et autrui.

II La raison est le moyen d’éviter les formes de la


doxa
Le rôle de la raison est d’éviter de tomber dans toutes les formes de raisonnement faux.

♣ Superstition : croyance aux présages, aux prophéties et à des causes surnaturelles des évènements.
Cette croyance est due à la crainte religieuse et à la mentalité archaïque et irrationnelle qui veut voir dans
des signes, figures ou nombres, des pouvoirs maléfiques ou bénéfiques.

♣ Préjugé = juger avant de connaître, de savoir


opinion admise sans jugement fondé en raison -> jugement subjectif sans fondement.
opinion erronée et irraisonnée dont un individu se prévaut (ex : préjugé social, racial, sexiste,
religieux, homophobe …)

♣ Sophisme (de « sophia » = sagesse)


Attention à sa racine qui induit en erreur. Le sophisme, comme son étymologie ne l’indique pas, est
un raisonnement sans valeur qui se présente avec les apparences de la vérité mais qui, en fait, est émis
avec l’intention de tromper ou de créer un embarras.
A l’origine, dans la Grèce Antique (4eme, 5eme av JC), les sophistes = professeurs de sagesse. Mais ces
professeurs voyagent beaucoup à l’étranger et se rendent compte qu’ailleurs les mœurs, la « morale » (pas
encore universelle), les coutumes, les règles sont différents. Ils en déduisent que les Grecs ont LEUR
vérité et que d’autres peuples ont d’autres vérités. Partant d’un constat véridique (différence des mœurs),
ils aboutissent à une logique perverse. Ils décident qu’au fond la vérité est relative (≠ absolue), qu’il n’y a
pas de vérité définitive et que le langage peut tout dire (tout et son contraire donc) ! La vérité n’a pas
d’importance, du moment qu’elle séduit et qu’elle rapporte !

Les sophistes prétendent tout savoir (culture universelle) et surtout donner la maîtrise du langage à leurs
élèves, afin qu'ils puissent parler de tout. En réalité, le but de la sophistique n'est pas le savoir mais le
pouvoir. Le but est clairement de donner les clés de la manipulation :
● sophisme = utilisation du langage pour imposer son opinion à autrui = persuader → coeur
● philosophie = utilisation du langage pour construire la vérité avec autrui = convaincre →
Raison

Les sophistes deviennent alors des hommes habiles dans l’art de persuader les foules et de manier le
langage : ils font payer très cher leur enseignement à des fils de bonne famille qui briguent des postes à la
tête de l’état et ils leur enseignent à séduire le peuple à l’aide de belles paroles.
De là vient le mot de sophisme, qui est un raisonnement d'apparence logique destiné à tromper
l'interlocuteur et le rallier à sa cause. On trouve de nombreux sophismes dans les débats d'opinion ou
débats politiques. Exemple de ce slogan d'extrême droite en 1978 : « Un million de chômeurs, c'est un
million d'immigrés en trop » (sophisme qui repose sur la volonté de confondre par l'identité du nombre le
chômeur et l'immigré, en se gardant bien de dire : a/ que les immigrés ne sont pas tous employés ou
chômeurs, ils peuvent être créateurs d'emploi ; b/ qu'ils ne prennent pas tous le travail des « français » et
que certains étant chômeurs, les renvoyer ne résoudrait pas le chômage ; c/ « immigré » peut se dire de
ceux qui ne sont pas encore nationalisés mais aussi de ceux qui le sont et qui sont donc français
(sophisme sur l'équivoque)).

Mais on peut imaginer d'autres sophismes : la violence est en augmentation, le nombre d'enfants aussi,
donc les enfants sont de plus en plus violents (sophisme qui confond succession et causalité).
Exemple actuel : on interdit les propos de Dieudonné qui attaque les juifs mais on n'interdit pas les
caricatures de prophète Mahomet ; alors la France est de parti pris avec les élites juives et les juifs sont
intouchables tandis que les musulmans ne seraient pas respectés ... Sophisme qui confond attaque contre
personnes et attaque d'un symbole : Dieudonné incite à la haine raciale (il hait les juifs !) tandis que
Charlie Hebdo caricature un symbole !!! et n'est pas irrespectueux envers les musulmans (il attaque de
même les symboles de la religion catholique !).
Ainsi la raison conduite selon un usage raisonnable, rationnel et justifié peut éviter toutes ces formes de
perversion de la pensée qui la détourne de sa véritable destination (la justice et la justesse, la
vérité).
C’est ainsi que les sophistes deviennent les adversaires des philosophes véritables (Socrate, Platon ( 420 -
340 av JC), Aristote (384-322)…etc.). Platon passe sa vie à combattre, grâce à un dialogue juste et vrai,
les sophistes.

III Raison et langage : le pouvoir spirituel du


langage
1) 1) Le Logos Logos => Raison} Raison s’exprime dans un discours
=> Parole } intelligible

♠ Définition du langage comme propriété stricte de l’homme


Le langage au sens large est un moyen d’expression et de communication de la
pensée humaine –il suppose conscience, intelligence rationnelle et réciprocité donc
dialogue possible- et il traduit une intention de signifier (cf. intentionnalité dans le
cours sur la conscience.
Signifier intentionnellement, c’est donner une signification à…, donner un SENS :
en ce sens, seuls les hommes possèdent le langage, seul l’homme signifie c'est-à-dire
donne sens et portée à sa parole, toujours strictement libre et personnelle. Le langage est
une institution universelle spécifique de l’homme.

♠ La communication animale
Les animaux eux, communiquent, c'est-à-dire font passer des messages dictés par le
besoin ou l’instinct…Ils obéissent au programme que la nature a inscrit en eux. La
communication animale existe bel et bien mais on ne peut pas dire que ce soit un langage
car il n’y a pas d’intention de signifier, pas de SENS réfléchi, conscient et raisonné →
l’animal ne parle pas, il agit à travers des SIGNES dictés par l’instinct et il ne lui est
pas possible de dialoguer. La communication animale est faite de signes et ces signes
sont émis à sens unique (pas de réciprocité de la communication : l’animal en face
réagit à un message mais ne répond pas !) : ces signes sont divers comme des cris, des
odeurs (phéromones), des gestes, des danses …etc.

♠ Parole = pensée
L’homme communique également mais chez lui, d’emblée ça se place au niveau
intellectuel et rationnel ; il peut aussi en rester à une communication banale et sans
réciprocité véritable (« Chéri, achète la baguette de pain … »). Mais quoiqu’il en soit de
la communication quotidienne, le langage humain, c’est la parole c'est-à-dire un
ensemble de sons articulés traduisant une pensée (logos). Ainsi la parole humaine est
toujours l’énonciation d’une pensée.
Le mot LOGOS, qui vient des Grecs, exprime cette indissoluble union : il n’y a pas de
parole sans une pensée qui lui correspond (même parole banale ou irréfléchie) et de
même, pas de pensée sans des mots qui la portent (même si on ne le dit pas à haute voix).
Quand on pense dans sa tête, c’est toujours avec des mots !!!
PAROLE == PENSEE
Raisonnement et discours sont toujours liés, donc, il n’y a pas d’antériorité de l’un sur
l’autre. On ne peut pas dire : d’abord la pensée, ensuite les mots ou vice-versa…Les deux
se développent en même temps. L’enfant apprend à penser en apprenant à parler et en
pensant, il apprend à trouver les mots adéquats. Le langage s’articule toujours à la
pensée ; penser est un terme fort qui génère des concepts, des abstractions (le langage
mathématique, les chiffres …) , des symboles, une logique rationnelle de l’action …
Ce qui explique encore que seuls les humains pensent. L’animal lui, est dans l’instinct ou
l’impulsion ; il est intelligent mais cette intelligence est inconcevable pour nous car elle
utilise d’autres médiations (moyens) pour s’exprimer. Instinct et discours rationnel
conscient sont deux mondes radicalement opposés et impénétrables l’un à l’autre.

2) Les fonctions du langage


♠ Les 3 fonctions du langage
Le langage est le véhicule de la culture. Il unit les êtres d’une même culture et possède
plusieurs fonctions :
♦ Fonction de communication => permet de dire des besoins et d’établir des relations.
La parole relie les personnes et permet l’entente grâce aux échanges. Parler est un
moyen de refouler la violence car c’est quand on refuse le dialogue qu’elle surgit (le mot
« barbare » à l’origine signifie « qui ne parle pas le grec » => donc ne pas parler = être
exclu = barbarie).
Communiquer, c’est faire passer l’intériorité de l’être dans l’extériorité du mot.
C’est donc pouvoir se projeter hors de soi.

♦ Fonction de représentation du monde => le langage est l’expression symbolique du


monde. Symboliser, c’est former des concepts distincts de l’objet concret (ex : le mot
arbre n’a rien à voir avec l’arbre réel), inventer des signes pour exprimer quelque chose
au moyen d’autre chose (signes mathématiques par ex./ panneaux routiers / pancartes
abstraites symbolisant une réalité concrète - par ex. comme les pancartes d’interdiction de
fumer : ce n’est qu’un rond rouge avec une cigarette barrée à l’intérieur-/ représentations
symboliques de certaines réalités comme la balance pour la justice ; la colombe pour la
paix ; le lion pour la force ; le renard pour la ruse …etc.).
Le langage représente le monde ; les mots abstraits expriment une réalité
concrète en la signifiant.

♦Fonction magique ou esthétique => le langage possède un grand pouvoir de


création. L’art, la poésie, la fiction, la publicité, la religion montrent le pouvoir des
mots. Dire, c’est aussi créer. On crée souvent la réalité en la nommant et les
personnages de roman (quand on les aime), Dieu (quand on y croit) ou ses saints
(quand on les invoque) n’existent pas moins que certains de nos amis. La langue
s’étend donc à tous les domaines de la créativité.

IV Langage et société

1) La langue structure la pensée


Une fois constitué, le langage est un instrument de médiation entre les hommes : il
relie et intègre celui-ci au sein de la communauté humaine. (Victor n’est pas intégré à
la communauté humaine car il ne parle pas). Le langage reflète une culture, c’est-à-dire
un système de pensée et de maîtrise du monde… Grâce au langage, nous devenons des
êtres culturels.
Pourtant, les philosophes et les linguistes ont montré que si l’homme maîtrise le langage,
inversement, le langage maîtrise l’homme : en effet, la langue est une structure c'est-à-
dire un ensemble complexe de grammaire et de modes d’énonciation et cette structure
va structurer la pensée. Nous sommes élevés et structurés par la langue : elle nous
façonne et influence nos manières de penser et de voir le monde. En fait, nous pensons
comme nous parlons.
Dans une langue donnée se traduit une certaine façon de voir le monde => ex : les
langues indo-européennes (dont la nôtre fait partie) sont structurées d’une façon très
précise ; il y a une structure sujet/verbe/complément, l’importance du pronom personnel,
beaucoup de conjugaison temps (imparfait, passé simple, plus-que-parfait, conditionnel…
etc.) et toutes ces spécificités induisent une certaine manière de voir le monde →
pronom personnel = importance de l’identité (ce n’est pas partout pareil : dans les tribus
primitives de l’Amazonie, il n’y a pas de JE) ; les différents temps, chez nous, montrent
qu’il y a un fort rapport aux trois temps passé/présent/futur, ce qui induit un rapport à la
mémoire, à l’action et le sens marqué de la causalité ; ainsi nous ne vivons pas tant dans
le présent que dans un monde venu du passé et structuré par le sens du projet, par la
représentation de l’avenir ( mais ce n’est pas ainsi dans les tribus primitives qui vivent
dans un éternel présent : elles ne font pas d’histoire et elles n’ont pas d’histoire ; autre
ex . : en Chine, pas de futur => différente manière de voir le temps !).
Dans d’autres langues où on ne parle pas comme nous, on ne pensera pas comme
nous et on ne verra pas le monde de la même façon. (Lire texte de Klineberg).
2) Les pouvoirs du langage
Les mots ont donc un très grand pouvoir car c’est à travers eux que se structure et se
manifeste la perception de l’univers dans lequel nous vivons. C’est pourquoi le langage
s’utilise comme un révélateur de ce que nous sommes et il peut aussi être un moyen de
nous influencer, de nous classer, de nous mentir, de nous illusionner. Le langage a
différents pouvoirs :
♦ Pouvoir de manifestation psychique => le langage peut traduire malgré nous des
pensées ou des désirs inconscients. La cure psychanalytique utilise donc le langage
comme instrument de traitement des névroses. Voir le cours sur l’Inconscient …

♦ Pouvoir de discrimination sociale => à l’intérieur d’une même communauté


linguistique, on s’aperçoit que tout le monde ne parle pas de la même façon. Il y a
plusieurs niveaux de langage : langage courant => langage vulgaire => langage soutenu.
Ces niveaux correspondent à des classes sociales. La classe dominante prétend
maîtriser la parole et fait de celle-ci un critère de sélection (ex : entretien
d’embauche … il faut maîtriser la parole si l’on veut être reconnu socialement
comme être cultivé et/ou digne de s’adapter à toutes situations …). Nous sommes
très souvent jugés sur notre manière de parler et savoir parler est toujours et
encore aujourd’hui reconnu comme instrument de sélection (culturelle) … et
appartenance à une élite sociale.
Par contre, la classe sociale défavorisée peut se retrouver déclassée à cause du
langage peu soutenu qu’elle utilise et elle peut alors inventer son propre langage
en réaction contre le langage dominant qui est un facteur d’exclusion et de
jugement (d’où le verlan et le langage des banlieues…). Le langage est donc loin
d’être un instrument égalitaire.
Maîtriser la parole (car on nous juge aussi sur ça), c’est maîtriser le monde.
♦ Pouvoir d’information => Médias. Pouvoir de communication des informations sur le
monde. Mais il y a aussi un risque, le risque de déviation de la vérité. Images et mots sont
utilisés pour nous faire voir et comprendre le monde ; mais on peut aussi nous faire voir
ce qu’on veut ...

♦ Pouvoir de séduction => utilisation amoureuse du langage ou discours politiques.

♦ Pouvoirs négatifs => mensonge /hypocrisie / pouvoir dictatorial qui use d’un langage
unique (ex. : La Pravda en URSS, la seule vérité du Parti …) / sophismes (cf. les
sophistes dans le cours sur la Raison).

V - Le langage est-il notre allié ou nous trahit


–il ?
1) Le langage ne trahit-il pas la pensée ou le sentiment ?
Le langage est contingent ; tout mot est arbitraire, polysémique et souvent ambigu et ce
problème peut porter atteinte à la clarté du discours et à l’entente intersubjective … De
même que l’on peut être déçu et frustré de ne pas savoir exactement nommer ce que
l’on ressent ...

♠ HEGEL : le langage recouvre la pensée → tout ce qui est bien pensé peut être bien
nommé
Texte : « Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées déterminées
et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de
notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d'une
forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son
articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si
intimement unis.

Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Et il est
également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la
pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce
qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable ... Mais c'est là une opinion superficielle et sans
fondement ; car en réalité l'ineffable c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de
fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot.

Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on
peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée
imparfaite, indéterminée et vide, elle n'en est pas au mot. »

Pour Hegel, l’ineffable (=l’indicible, ce qui ne peut pas se dire) n’existe pas !
L’ineffable, ce n’est rien de plus que la pensée obscure, « à l’état de fermentation » ;
l’ineffable, c’est un défaut de pensée claire : il y a ineffable parce que notre pensée
est brumeuse, fumeuse, obscure et embrouillée ! Il n’y a pas d’ineffable en clair : il n’y
a que de la pensée qui n’a pas encore trouvé le mot clair et adéquat pour s’exprimer. La
pensée ne peut se faire que par l’union intime de l’externe (le mot) et de l’interne (la
subjectivité pensante.)

♠ BERGSON :
Texte : "Pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le
plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est
encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms
propres) désignent tous des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la
plus commune et son aspect le plus banal, s’insinue entre elle et nous (…)

Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme
qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu.
Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou
tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience, avec les mille
nuances fugitives et les milles résonances profondes qui en font quelque chose
d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens.
Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement
extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le
langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les
mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu,
l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons (déplaçons) parmi des généralités et
des symboles (…)."
Le langage a été institué pour faciliter les échanges et la coopération entre les hommes : il
est utile et permet l’entente et la cohésion sociale mais il ne dit de la chose que son aspect
pratique ; le langage est un outil utilitaire. Le langage transcrit en mots généraux (il dit
des genres) des choses particulières. C’est pourquoi, selon Bergson, le langage ne sait
pas retranscrire le sentiment particulier ; il est incapable de saisir les impressions
fugitives qui tissent notre vie intérieure. Les mots ne conservent de nos émotions et
de nos sentiments que leur aspect le plus commun et le plus impersonnel. Au final,
pour Bergson, le langage est trop général et ne nous permet pas de dire
correctement ce qui est spécial, intime, unique, personnel … → et en plus le langage
est un rouleau compresseur qui ne nous permet même pas d’atteindre nos propres
émotions ; le langage occulte même nos propres émotions !
Bergson pensait que seuls les poètes expriment adéquatement leurs sentiments.

2) Dire, c’est faire ! John AUSTIN


Dans une autre optique, John AUSTIN, logicien britannique (1911-1960) explore lui
aussi tous les sens, tous les usages de la parole vivante. Austin veut mettre en valeur la
variété et la richesse des contextes d’énonciation ; surtout, il va s’attacher à un mode
d’énonciation très particulier, ce qu’il appelle les « énoncés performatifs » (du mot
« performance » car ici le langage accomplit une performance : il constitue l’acte qu’il
énonce…).
Quand on parle, ce n’est pas seulement pour dire des choses (vraies ou fausses), le
langage DIT et FAIT : parfois énoncer des phrases, ce n’est ni décrire ni affirmer
que je fais quelque chose, C’EST LE FAIRE ! ex : le « oui » du mariage ; le baptême
d’un enfant : au moment où le prêtre verse l’eau bénite sur le front du bébé en
disant « je te baptise », alors l’enfant est baptisé ; les mots et gestes traditionnels du
baptême d’un bateau avec une bouteille de champagne prête à être brisée : « je
baptise ce bateau » ; « la séance est levée » quand le juge frappe avec son marteau ;
en classe, quand le prof dit « je vous autorise à partir » => là se constitue un acte
car DIRE, C’EST FAIRE.
John Austin écrit alors ce livre célèbre : Quand dire, c’est faire !

Vous aimerez peut-être aussi