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34 à 70)
Introduction
“Le pouvoir des fables”, 4 e fable du livre VIII, qui se trouve donc dans le second
recueil de Fables, est ce que l’on pourrait appeler une fable de circonstance, contrairement
à son habitude, Jean de la Fontaine ne met pas en scène des animaux dans cette fable.
Cette fable a été écrite pendant la guerre de Hollande, et adressée à M. de Barillon,
l’ambassadeur de France à Londres. En 1678, la France est en guerre depuis cinq ans contre
les “Provinces Unies” (devenues aujourd’hui les Pays Bas), auxquelles se sont alliées
l’Autriche et l’Espagne. L’alliance avec L’Angleterre est capitale, mais celle-ci menace de
mettre ses troupes au service de la Hollande. M. de Barillon est chargé des négociations. La
situation est donc tendue et la cour est inquiète. La Fontaine en fait une fable qui nous
ramène au temps d’ “autrefois", à Athènes, pour montrer qu’il est parfois difficile de se
faire entendre et qu’il est parfois utile d’avoir recours à une argumentation indirecte et
donc à l’apologue.
L’extrait étudié ici (vers 34 à 70) est la deuxième partie de la fable.
Problématique :
Comment La Fontaine, dans cette fable, fait-il la démonstration du pouvoir des fables ?
Comment la fable parvient-elle à convaincre l’Assemblée ?
Plan :
1. En montrant d’abord un orateur impuissant à se faire entendre (v.34 à 47)
2. Avant que celui-ci ne se ravise et choisisse “un autre tour” pour contourner l’obstacle,
une fable en l’occurrence, qui explique le titre (v.48 à 64)
3. Ce qui permet au fabuliste d’en tirer la leçon (v. 65 à la fin)
On a donc une fable (et une autre fable à l’intérieur de celle-ci, mise en abyme) pour en
tirer finalement une morale.
2. Et cette fable met en scène l’art du récit et surtout l’art du narrateur : le présent de
narration au vers 51 “un fleuve les arrête” qui introduit une péripétie, un obstacle soudain,
va saisir l’auditoire, ce que montre la césure à l’hémistiche du vers, soulignée par la locution
adverbiale “L’Assemblée à l’instant / cria tout d’une voix”, autant que l’unanimité de la
réaction de celui-ci “tout d’une voix”. L’orateur a alors toute l’attention du public devenu
une “assemblée”, un public à sa mesure (et non plus “un animal à têtes frivoles”). Le lecteur
et l’assemblée se posent alors la même question “Et Cérès, que fit-elle ?”, l’orateur a réussi
à ménager un suspense, à créer un effet d’attente. Le récit est un piège, l’auditoire est
suspendu désormais aux lèvres de l’orateur qui ne lui donnera pas la réponse à sa question.
Nous ne connaîtrons pas la fin de l’histoire parce que l’important a été accompli : une fable
a réussi ce qu’un discours politique avait échoué à faire, emporter l’adhésion d’un public
jusque-là dispersé. C’est
pour La Fontaine une façon de démontrer le pouvoir des fables et de faire de ce genre
mineur un grand genre, pouvant rivaliser avec le discours politique et l’art de la rhétorique,
un genre qu’il utilise lui pour rappeler à un ambassadeur qu’il ne faut pas heurter son
auditoire, qu’il faut l’observer avec attention pour savoir comment il convient de lui parler,
lui plaire pour mieux l’instruire. Il n’y a pas alors d’obstacle infranchissable, ce que met en
scène la fable de Cérès et la façon dont l’anguille et l’hirondelle le franchissent en prenant
des chemins différents. Ayant réussi à captiver son auditoire, l’orateur peut de fait lui
faire entendre raison : le détour par la fable apparaît comme une nécessaire entrée en
matière, une concession suivie d’un renversement argumentatif qui prend la forme à partir
du vers 55 d’un véritable réquisitoire : les contes ne doivent pas faire oublier les périls qui
menacent. L’orateur a l’habileté de faire parler Cérès, de traduire son “courroux” (le mot
appartient au lexique de la tragédie où il est question de la colère des dieux) par une
ponctuation expressive qui fait réagir son auditoire qui va donc se concentrer sur ce que
l’orateur a à lui dire. Cela permet à La Fontaine de faire enfin l’éloge de la fable et de
l’Apologue en général, ayant ainsi montré l’intérêt de l’argumentation indirecte. La fable
peut donc être une arme redoutable, ce que suggère la métaphore du vers 64 : “Un trait de
fable en eut l’honneur”, elle peut pénétrer dans les cœurs comme une flèche.
Pour conclure :
- C’est une fable “classique” qui rappelle que l’on peut s’inspirer des Anciens puisque cet
orateur athénien a l’intelligence de prendre en considération son auditoire pour se faire
entendre en lui racontant une fable pour le captiver, même si cette fable est un piège qu’il
utilise pour parvenir à ses fins.
- Ce qui est aussi pour La Fontaine une façon de montrer le pouvoir des fables, capables de
rivaliser avec les genres oratoires les plus sérieux et permettant surtout de parler des
sujets les plus sérieux. C’est donc aussi un art poétique. La simplicité de la fable, son
attrait, les rebondissements du récit permettent de toucher les cœurs et de capter les
esprits. La Fontaine nous rappelle ainsi qu’il faut, pour instruire ou emporter l’adhésion,
prendre en considération ses interlocuteurs et éviter de les ennuyer…
- Rabelais l’avait déjà expérimenté dans Gargantua, nous racontant les péripéties d’un
géant, d’un homme plus grand, pour nous parler de l’humanisme.