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Chapitre 3 : Modèles et Théories explicatifs des comportements de santé et modes de vie

1. Le modèle biomédical
2. Le modèle biopsychosocial
3. L’approche complexe
4. Les théories de l’information et de la communication
5. Les théories de la personnalité
6. Les théories valeurs-attentes
7. Le modèle PRECEDE
8. Les théories d’apprentissage social
9. La théorie des représentations sociales

Généralités sur la modélisation


La modélisation est une opération par laquelle on établit le modèle d’un système complexe, afin
d’étudier plus commodément et de mesurer les effets sur ce système des variations de tel ou tel
de ses éléments composants (Giraud-Pamart, 1974).
Etymologiquement, modèle vient de l’italien « modello » et du latin « modullus », qui était une
forme de cordonnier. « Modullus » est un diminutif de « modus » qui signifie mesure. Le terme
renvoie donc à l’origine (16ème siècle) aux Beaux-Arts. Il était utilisé dans le sens de
représentation en petit de ce qui sera reproduit en grand (maquette). On se situe dans le
domaine de l’architecture où il désignait effectivement la mesure arbitraire servant à établir les
rapports de proportion entre les parties d’un ouvrage (Bachelard, 1979).Un peu plus tard, il est
utilisé au sens de type caractéristique puis au sens moral d’exemple à imiter.
Dans l’ordre de la recherche scientifique, la notion de modèle, est envisagée comme instrument
de production et d’exposition des connaissances (Le Moigne, 1987). Au 18ème siècle, on parlait
volontiers de système pour nommer plus ou moins ce qui, aujourd’hui est entendu comme
modèle (Ibid.). Cette notion émerge donc véritablement dans les années 1930, avec deux sens
bien définis. L’un qu’on nomme logique, représentation concrète d’énoncés qui sont
considérés d’abord comme formels et abstraits.
La deuxième acception de la notion de modèle apparaît dans le contexte des sciences plus
empiriques, pour penser l’articulation entre des systèmes physiques, économiques, voire
sociaux et leur représentation formelle. Dans ce cas-là, le processus est plutôt inverse. Il s’agit
d’associer un schéma symbolique, abstrait, à un phénomène ou à des données empiriques.
Toutefois, les deux conceptions logique et empirique idéalisée sont réunies et unifiées par l’idée
que dans les deux cas un modèle est un médiateur, un objet transitionnel.
L’emploi scientifique du mot apparait en 1952 dans le langage des cybernéticiens. Il se répand
rapidement dans diverses sciences y compris les sciences humaines (économie, sociologie,
linguistique etc..). On peut donc désormais parler de modèles culturels, modèles socioculturels
pour désigner des schèmes de référence ou des échantillons de conduite, basé sur la culture
admise, établie dans une société et qui est acquise quasi spontanément par chacun des membres
qui y vivent (Birou, 1966).
Le terme modèle recouvre par conséquent des réalités et des utilisations différentes selon les
disciplines dans lesquelles il intervient. A l’entrée du mot modèle, le Dictionnaire de
l’environnement donne la définition suivante: « Représentation simplifiée, relativement
abstraite, d’un processus, d’un système, en vue de le décrire, de l’expliquer ou de la prévoir ».
Un modèle peut être déterministe, aléatoire ou statistique, il peut être conceptuel ou empirique,
il peut être global ou distributif.
Dans le domaine de l’art, un modèle est une personne qui pose pour un artiste, un personnage
réel dont s’est inspiré un écrivain. C’est un dessin, objet, personne, dont l’artiste veut
représenter l’image ou reproduire la forme. Le sculpteur, le peintre trouve dans la nature un
modèle précis, qu’il lui faut imiter et l’imitation, qui n’est pas son but, est du moins son moyen
(Blanc, 1876).
Dans le domaine du commerce et de l’industrie, le modèle renvoie à un prototype d’un objet
destiné à la fabrication industrielle en série et dont la loi interdit la contrefaçon (modèle de
fabrique, modèle breveté, déposé, dépôt des modèles, protection des dessins et modèles). C’est
donc une maquette destiné à guider l’exécution d’un prototype original, un patron. Il est une
représentation à petite échelle, d’un objet destiné à être reproduit dans des dimensions normales
(modèle de machine, de navire, d’un monument, d’un édifice, modèle d’avion, de train, de
bateau …)
Le modèle cybernétique est « système artificiel dont certaines propriétés présentent des
analogies avec des propriétés, observées ou inférées, d’un système étudié, et dont le
comportement est appelé, soit à révéler des comportements de l’original susceptibles de faire
l’objet de nouvelles investigations, soit à tester dans quelle mesure les propriétés attribuées à
l’original peuvent rendre compte de son comportement manifeste » (Thinès-Lemp, 1975).
D’un point de vue économique, le modèle renvoie à une représentation schématisée et chiffrée
de l’évolution économique d’un pays pendant une période donnée à partir de ses
caractéristiques (démographie, circulation de la monnaie et des biens, profit, épargne,
investissement, consommation, etc.) et des relations de cause à effet qui unissent ces variables
(Cida, 1973).
Un modèle psychosociologique, de comportement, de personnalité, désigne une personne dont
le comportement est observé par un sujet qui peut en être influencé (Thinès-Lemp, 1975). Le
comportement du modèle est un exemple possible à imiter. La mère peut être un modèle pour
sa fille. Ces modèles auxquels nous nous conformons avec plus ou moins de rigueur, suivant
notre tempérament, nous sont dictés par le groupe social auquel nous appartenons (Sill, 1980,
p.753).
Si dans son acception première un modèle est défini comme un objet ou une personne à imiter,
un exemple ou un archétype, dans le domaine de la science, on parle de modèle chaque fois
qu’il y a renvoi d’une réalité concrète à une réalité idéale avec exploitation de leurs analogies
descriptives. Le modèle a surtout une valeur symbolique (Sill, 1980, p.753).
Un modèle est une représentation théorique d’une réalité restreinte de la nature qui n’est pas
accessible par les sens. Le modèle est une image visible et palpable des lois abstraites que
l’esprit (du scientifique) ne peut saisir sans le secours du modèle (Duhem, 1906). De ce point
de vue, un modèle est parlant aux yeux, il sert à l’imitation, il est le prototype, l’archétype, la
maquette (pour l’architecte), l’écorché (pour l’ingénieur ou l’anatomiste), il est l’illustration
exemplaire, l’analogie iconique ou l’isomorphie symbolique. Par conséquent le modèle n’a pas
de réalité. Il n’est rien d’autre que sa fonction : modèle de…, modèle pour…, il renvoie à autre
chose que lui-même et sa fonction est une fonction de délégation (Le Moigne, 1987). Un modèle
assure les fonctions essentielles suivantes :
 décrire, interpréter et prévoir des événements dans le cadre de cette réalité et ne
s’applique qu’à un nombre limité de phénomènes (le modèle atomique permet de décrire
des phénomènes chimiques, mais pas la gravité) ;
 expliquer certaines propriétés ou certains comportements de la réalité qu’il représente ;
 mettre en relation diverses observations de manière à obtenir une interprétation
structurée de la réalité qu’il représente ;
 prévoir, dans une certaine mesure, des événements nouveaux qui pourront ensuite être
observés ;
 intermédiaire à qui est délégué la fonction de connaissance (Bachalard, 1983, p.3) et
non une fonction de réduction (Le Moigne, 1987).
Il peut être amélioré à la lumière de nouvelles observations.
Au total comme le mot exemple, tour à tour paradigme, ou simple exemplaire, le mot modèle
possède lui aussi deux sens : 1) l’original, l’idéal à atteindre, la norme ou la règle à laquelle on
se réfère ; 2) la copie, l’imitation, l’exemplaire quelconque (modèle réduit), la simple réalisation
ou interprétation. Plus couramment, le modèle est ce qu’on imite (modèle de comportement, de
vêtement, etc.) ; scientifiquement, il est plutôt ce qui imite, ou évoque. Il désigne alors la
représentation simplifiée, qui recourt fréquemment au symbolisme mathématique, des relations
et des fonctions intervenant entre les éléments d’un ensemble ou d’un système. De ce point de
vue, on peut affirmer que l’élaboration de modèles est devenue une pratique présente dans
toutes les disciplines scientifiques.
Le Modèle traditionnel de la santé ou modèle médical ou modèle biomédical la santé
A la question « quelles sont les causes des maladies cardiovasculaires ? » Les réponses peuvent
être très diverses.
La réponse d’un cardiologue pourrait être celle-ci : « Les causes principales de la cardiopathie
sont l’hypertension, l’historique génétique et l’accumulation de plaques artérielles. »
Un nutritionniste pourrait plutôt répondre: « Les cardiopathies sont causées par le tabagisme,
l’inactivité physique, l’abus de l’alcool et une diète haute en gras »
Un travailleur social dirait plutôt « Les causes principales de la cardiopathie sont le stress, la
pauvreté, le chômage et l’isolement sociale »
Pourquoi dans de variations dans les réponses? Tout dépend du modèle qui vous influence.
Description du modèle biomédical
Le modèle biomédical est réputé comme un modèle positiviste et déterministe. Il définit
négativement la santé en opposition à la maladie. Il met l’emphase sur le curatif, la guérison à
tout prix. C’est le triomphalisme du pouvoir de la médecine sur la souffrance. La maladie y est
envisagée comme un accident perturbant le processus de la vie dans le temps ou dans son
potentiel.
Ici la conception des causes des phénomènes de santé est linéaire. C’est donc un modèle fermé.
Il adopte une approche mécaniste, organiciste, atomiste et essaie de compréhension de l’être
humain comme une machine.
Dans ce modèle on analyse les parties puis on cherche des relations entre les parties. On prétend
qu’on peut découvrir toutes les parties d’une machine et comprendre son fonctionnement. Le
modèle est réductionniste, influencé par le paradigme de la raison. Il privilégie l’ordre, le
contrôle, la certitude, la maîtrise, la norme.
Pratique des soins inspirée du modèle biomédical
Le modèle biomédical affiche la volonté de supprimer les signes et symptômes de la maladie.
Il insiste sur la lutte contre les agents en cause de l’état pathologique. La prévention consiste au
dépistage et à la vaccination. Le soignant est perçu comme agent de normalisation. De ce point
de vue, la personne malade est objet de soins. Le corps humain est comparé à une machine en
bon au mauvais état, une somme d’organes réparables en cas de fonctionnement défectueux. Le
décès du patient est vécu comme échec du traitement. Les interventions sont chirurgicales
(extraction de l’organe défectueux), médicales (médicaments dirigés vers l’organe en
souffrance). L’on procède par identification du problème de santé par le praticien, vue comme
expert de la santé, capable d’apporter des réponses adaptées. La démarche est de ce fait
purement scientifique. Elle se focalise sur la compréhension et le traitement de la maladie, et
non pas sur la personne malade et le soin de cette personne (Engel, 1980). L’on pense pouvoir
réussira à percer le mystère de la réalité et à en acquérir une connaissance claire, distincte et
certaine par la dissection progressive de cette réalité en éléments toujours plus petits.
Critiques du modèle biomédical
Le modèle est jugé réductionniste. Car il ne considère (survalorise) que les parties et ignore le
tout. Il est également réductionniste dans la mesure où il réduit la maladie à des faits morbides
objectifs dans l’organisme. Il procède à une modification profonde de l’appréhension du corps,
réduisant celui-ci à un objet, à un agrégat d’organes et de fonctions, et se trouvant amputé par-
là de son rapport constitutif au monde et aux modalités concrètes de la vie (Onnis, 1998). Il
s’agit donc d’un modèle estropié, éclopé, mutilé dans lequel être malade (avoir mal, se sentir
mal, être perturbé...) se réduit à avoir une maladie, une entité morbide à l'intérieur de
l’organisme. Ce modèle n’inclut pas la personne malade/soignée et ses attributs en tant que
personne, en tant qu’être humain (Engel, 1980).
Le modèle biopsychosocial de la santé ou modèle global de la santé
Description
Dans ce modèle la personne est considérée dans ses dimensions biologiques, psychologiques et
sociaux en tant qu’elles participent simultanément au maintien de la santé ou au développement
de la maladie. Aucune de ces trois dimensions n’est prépondérant a priori même si leur
importance relative peut parfois varier dans une situation donnée. La personne est donc
envisagée dans ses interactions avec l’environnement, perçue en termes d’unités, de relations,
de processus, d’interactions, de liberté et de créativité. Il s’agit en effet d’un « tout » dynamique,
complexe, en perpétuelle recherche d’équilibre avec son environnement (Poletti, 1978). En tant
que tel, il s’agit d’un système ouvert fait de sous-systèmes en interaction constante et réciproque
avec un environnement changeant.
La santé est ici conçue comme un bien être influençable par des multiples facteurs. Il s’agit
d’une adaptation de la personne à son environnement interne et externe. C’est état instable,
dynamique, toujours en mouvement, un état d’équilibre jamais définitif, état toujours à rétablir,
en devenir, provisoire, du moment, un état constamment menacé.
Deux facteurs fondamentaux caractérisent ce modèle : Elargissement des perspectives (les
facteurs biologiques y gardant toute leur place) et la participation active du sujet malade
Relativement à l’élargissement des perspectives, le soignant conserve en permanence à l’esprit
la notion que les déterminants de la santé et de la maladie sont multiples et divers. Il y a une
réelle compénétration des diverses perspectives, qui implique que les dimensions biologique,
psychologique et sociale soient abordées de manière concomitante. Il ne s’agit pas d’envoyer
la personne chez le psychologue après échec de toutes les thérapeutiques classiques.
Relativement à la participation active du sujet, il s’agit à une réelle concertation et non simple
superposition de l’action des divers intervenants. Les croyances et attentes de la personne
influencent directement les résultats des traitements. Les discordances entre ses représentations
personnelles ou sociales et les vues scientifiques de la maladie doivent être discutées. L’accent
est par conséquent mis sur les volets d’éducation et d’information dans un cheminement dans
lequel les croyances du patient sont mises à l’épreuve des faits et ainsi progressivement
adaptées. Il y a donc modification profonde de la relation thérapeutique, nécessitant un éventail
de compétences relationnelles et éducatives
Avantages et critiques
Ce modèle présente principalement l’avantage d’aborder la santé et la maladie de façon plus
complète et plus efficace que ne le fait le modèle biomédical. Mais le modèle connaît un relatif
insuccès auprès des soignants dû entre autre à :
1. la difficulté à renoncer au mirage de la toute-puissante technologie médicale,
2. l’opposition des firmes commerciales vivant du «marché biomédical»,
3. le manque de temps pour rencontrer la personne malade dans toute sa singularité
Cependant, le modèle biopsychosocial est souvent critiqué de poser des problèmes d’évaluation
et surtout de quantification des valeurs subjectives dans le cadre de l’élargissement des
paramètres pertinents en termes de santé au domaine psychosocial. Il est également critiqué
d’être un modèle dualiste. Très souvent il ne fait souvent que juxtaposer (et non réellement
intégrer) paramètres biologiques, psychologiques et sociaux. Ces paramètres sont encore
considérés comme appartenant à des catégories distinctes. Le modèle est aussi taxé de modèle
réductionniste par le fait de sa trop forte globalisation. En effet, il privilégie le tout et semble
ignorer les parties.
L’approche complexe de la santé
Pour appréhender plus facilement la pensée complexe, il est important de comprendre
premièrement ce que c’est que la pensée simplifiante.
Caractéristiques de la pensée simplifiante
Il s’agit d’une pensée réductrice qui découpe et isole les phénomènes vers une logique
simplifiante. Elle entraîne une vision du monde simplifiée, un raisonnement faussé par une
organisation de la pensée, des phénomènes et des sciences. Le paradigme de simplicité met en
lien des notions et des principes grâce à une certaine logique qui par réduction met de l’ordre
dans l’univers tout en chassant le désordre. L’ordre se réduit à une loi, un principe.
La simplicité voit soit l’un, soit le multiple, mais ne peut voir que l’Un peut être en même temps
multiple (Morin). Le but de la pensée simplifiante est de faire ressortir la simplicité cachée dans
le désordre et la multiplicité des phénomènes. La pensée simplifiante est incapacité d’accepter
les contradictions.
Le principe de simplicité consiste soit à séparer ce qui est lié (disjonction), soit à unifier ce qui
est divers (réduction) (Morin IPC 2005). Par conséquent, nous concentrons souvent notre
attention sur un aspect particulier d’une situation et négligeons le « tout » en en disjoignant
certains aspects.
La pensée simplifiante présente donc un certain nombre de limites :
1. elle conduit à des actions mutilantes,
2. elle conduit à de mauvaises interprétations ou une explication trop « utopique » de ce
qui nous entoure,
3. elle bloque l’homme dans une pensée logique l’empêchant de connaître la vérité sur ce
qui l’entoure,
4. elle est réductrice, simplifie le complexe et fausse donc des vérités évidentes
insaisissables avec une pensée simplifiante.
Le complexe ne peut être simplifié puisque que la simplification n’est pas le vrai.
La complexité
Le mot vient du latin complexus ie tissé ensemble et de complecti ie « ce qui contient des
éléments différents ». (Fortin, 2005). La complexité est un tissu de constituants hétérogènes
inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l'un et du multiple (Morin 2005). C’est
« …un mot problème et non un mot solution (Morin, 2005). Elle reflète nos difficultés à définir
de façon claire, à ordonner nos idées. Devant la complexité on est en général confus, mal à
l’aise et notre réaction est souvent alors de simplifier, ie de réduire le complexe à quelque chose
de « simple ». « La simplification du compliqué appliquée au complexe a pour conséquence
une aggravation de la complexité par mutilation et non pas la résolution du problème
considéré » (Le Moigne, 1999, p.5). Car en effet, ce n’est pas tant la multiplicité des
composants, ni même la diversité de leurs interrelations, qui caractérisent la complexité d’un
système. Tant que les composants d’un système sont pratiquement et exhaustivement
dénombrables on sera en présence d’un système compliqué (ou hypercompliqué), dont un
dénombrement combinatoire pourrait permettre de décrire tous les comportements possibles.
La complication, à la différence de la complexité est un phénomène que l’on peut prévoir, même
si cela peut être fastidieux, avec de la persévérance, on est capable d’en venir à bout. La
complication est donc une sorte d’empilement et d’imbrication de dispositifs ou de paramètres
de tous ordres, dont on peut néanmoins venir à bout avec du temps et de l'expertise (Genelot,
2001). La complication relève de l’inconnu « connu », elle est prévisible (Le Moigne)
La complexité se réfère alors à des systèmes dynamiques caractérisés par de nombreuses
interactions et rétroactions. Il s’agit de l’inconnu « inconnu », le non prévisible. La complexité
renvoie alors à l’incertitude. En effet, une situation est complexe, si elle comporte des éléments
imprévisibles, des zones de doutes. La complexité relevant donc de l’incertain, du hasard, de
l’imprévisible, on ne peut pas la vaincre, on doit composer avec elle. C’est ce qui la différencie
de la complication. On peut simplifier un système compliqué pour découvrir son intelligibilité
(explication). Mais un système complexe doit être modélisé pour construire son intelligibilité
(compréhension). En simplifiant (en mutilant) un système complexe on détruit à priori son
intelligibilité (Le Moigne, 1999).
Les principes de la complexité
La complexité présente trois principes fondamentaux : La dialogique, la récursion et
l’hologramme
Le principe de la dialogique consiste à maintenir la dualité au sein de l’unité entre deux
logiques à la fois complémentaires et antagonistes. Ce principe est l’un des piliers du paradigme
de complexité qui ne cherche pas à réduire le complexe au simple mais à intégrer le simple dans
le complexe (Morin 1991). Il s’ait donc de faire jouer ensemble de façon complémentaire des
notions qui, prises absolument, seraient antagonistes et se rejetteraient les unes les autres. »
(Morin 1991). Ce mot veut dire qu’il sera impossible d’arriver à une unification première ou
ultime, à un principe unique, un maître mot; il y aura toujours quelque chose d’irréductible à
un principe simple, que ce soit le hasard, l’incertitude, la contradiction ou l’organisation (Morin
1991). Pour Pascal « Le contraire d’une vérité n’est pas l’erreur, mais une vérité contraire ».
Niels Bohr l’a repris en ces termes « le contraire d’une vérité triviale est une erreur stupide,
mais le contraire d'une vérité profonde est toujours une autre vérité profonde. »
Un exemple typique de la dialogique est celle de l’ordre et du désordre. L’ordre et le désordre
sont par définition contradictoires, antinomiques. L’ordre est souvent perçu de façon positive,
constructive, créatrice de valeur alors qu’au contraire le désordre est perçu négativement
comme destructeur de valeur. Ordre et désordre sont non seulement inséparables se nourrissent
l’un l’autre dans une boucle de rétroaction. L’ordre appelle le désordre, le désordre appelle
l’ordre. Le désordre initialement destructeur, devient donc producteur d’ordre et d’organisation.
Finalement, ordre et désordre doivent être conçus ensemble, c’est-à-dire comme termes à la fois
complémentaires, concurrents et antagonistes (Morin).
Le principe de La récursion stipule que les interactions entre éléments ne suffisent pas à
comprendre les phénomènes. Il y a nécessité de nouveaux instruments de pensée, pour
comprendre « des phénomènes de rétroaction », « des logiques récursives », « des situations
d’autonomie relative » (Le Moigne). Trois types de la causalité devraient ici être clarifiée pour
une meilleure compréhension du principe de la récursion: la causalité linaire, la causalité
circulaire rétroactive et la causalité récursive
La causalité linéaire ou déterministe : ici, les causes sont antérieures aux effets qu’elles
produisent. Tout objet lancé en l’air retombe sous l’effet de l’attraction terrestre. C’est le type
de causalité dans laquelle les mêmes causes, dans les mêmes conditions, entraînent toujours les
mêmes effets. Cause et effet existent dans un rapport de subordination: l’effet, tout-dépendant,
obéit mécaniquement à la cause, toute-puissante » Fortin, 2000). La causalité linéaire est propre
à la pensée classique, qui n’admet pas d’autre type de causalité.
La causalité circulaire rétroactive : les organisations non actives s’opposent à la causalité
extérieure de façon passive (causalité linéaire) alors que les organisations actives réagissent à
la causalité extérieure de façon dynamique, par action en retour ou rétroaction. Cette action en
retour, ou action opposée, est appelée par Morin « causalité rétroactive » (Fortin, 2000). Il n’y
a pas annulation de la cause extérieure, mais production, en relation complexe (complémentaire,
antagoniste, concurrente) avec la causalité extérieure, d’une causalité intérieure que Morin
appelle endo-causalité.
La causalité récursive ou complexe : ici, les effets produits sont nécessaires au processus qui
les génère (Morin). « Un processus récursif est un processus où les produits et les effets sont en
même temps causes et producteurs de ce qui est produit » (Morin 2005 p.99 et 100). On assiste
comme à la production-de-soi et régénération. Par exemple l’œuf produit la poule qui produit
l’œuf ; nous sommes le produit de la société que nous produisons. Il faut substituer la causalité
simple, simplifiante et simplifiée par la causalité complexe. Celle-ci n’est pas linéaire. L’effet
n'est plus subordonné à la cause; il n’est plus esclave. L’effet peut désobéir à la cause en se
voyant neutralisé, annulé, contrarié. Il peut rétroagir sur la cause, devenant lui-même causal de
sa cause tout en restant effet. Cause et effet sont par conséquent relatifs l’un à l’autre, ils sont
interdépendants (Fortin, 2000).
Le principe de l’hologramme expose qu’il est nécessaire de prendre en compte le tout et des
parties. En effet, le modèle biopsychosocial, a réagi au réductionnisme du modèle biomédical,
dans et par le « holisme » ou idée du « tout ». Mais croyant dépasser le réductionnisme, le
« holisme » a en fait opéré une réduction au tout. D’où, non seulement sa cécité sur les parties
en tant que parties, mais sa myopie sur le tout, son ignorance de la complexité au sein de l’unité
globale (Morin).
Le tout semble une notion euphorique (puisqu’on ignore les contraintes internes, les pertes de
qualités au niveau des parties) fonctionnelle huilée (puisqu’on ignore les virtualités antagonistes
internes), une notion naïve. Chacune des parties contient le tout et le tout contient les parties. Il
est possible de reconstituer le tout à partir de la partie. Chaque cellule vivante de l’organisme
humain contient la totalité de l’information génétique et constitue ce même organisme. Le
clonage en est un excellent exemple. Par cet exemple, il est clair que le tout ne peut pas être
réduit à la somme de ses parties dans un système complexe car cela reviendrait à occulter les
interactions multiples et variées qui le parcourent. Fortin (2000) pouvait donc effectivement
affirmer que « plus on connaît les parties, qualités et comportements individuels, mieux on
connaît le tout; plus on connaît le tout, émergences et contraintes globales, mieux on connaît
les parties » (p.34). Car en effet, le tout est plus que la somme des parties. Dans le tout, il y a
émergence des propriétés qui ne sont pas présentes dans les parties séparées mais apparaissent
lorsque les parties sont combinées. Le tout, on peut le dire, est donc synergie (1+1=3). En ce
sens, il est plus et différent de la somme de parties.
Fondements de l’approche complexe de la santé
La philosophie holistique
La notion d’holisme exprime une démarche qui entend appréhender les phénomènes de façon
globalisante où le tout est plus que les parties. Le holisme s’oppose à l’atomisme. Dans les deux
cas il apparaît que l’humain est face à deux extrêmes qui se veulent chacune pour l’unique et
seule vérité. Or, la partie est dans le tout, et le tout est à l’intérieur de la partie qui est à l’intérieur
du tout. Pascal l’exprimait si bien : « je ne peux concevoir le tout sans concevoir les parties et
je ne peux concevoir les parties sans concevoir le tout ».
L’équilibration piagétienne
La complexité dans le domaine de la santé consiste à la sensibilisation et la conscientisation des
différents acteurs et intervenants sur l’inaccessibilité du réel et l’impossibilité de tout saisir.
L’approche complexe incite, en effet, à se référer à une démarche stratégique lors des
interventions en santé et non à une démarche systématique.
Le raisonnement stratégique en santé consiste en une attitude de lucidité et de prudence
(Nkoum, 2010). Les scénarii peuvent être modifiés au cours de l’action, en fonction des
informations reçues ou des aléas rencontrés. Il est donc question d’adapter l’action en contexte,
selon les situations qui se présentent.
Le raisonnement systématique en santé concerne le fonctionnement par programme rationalisé.
On recherche à tout prix la cohérence de l’action. Tout est planifié d’avance. Les raisonnements
systématique et stratégique sont antagonistes mais complémentaires.
L’équilibration piagétienne affirme et reconnait l’articulation entre les principes de stabilité et
de plasticité des structures de connaissances chez l’individu. Celui-ci doit constamment
réajuster ses connaissances pour faire face aux nouvelles situations rencontrées. Cette
adaptation est indispensable à l’équilibre du système. L’équilibration consiste donc en
l’articulation entre stabilité et plasticité pour un équilibre du système. Si un personnel de santé
s’inscrit dans l’un ou l’autre des modèles, il a y risque de voir ces actions mutilées ou
globalisées. Pour contourner ce risque il y a lieu d’adopter une posture qui articule les deux
modèles précédents ie qui se situe dans l’entre-deux de ces deux modèles.
Posture soignante dans l’approche complexe
Dans la perspective complexe, le patient est conçu comme un partenaire actif, acteur, auteur et
décideur des orientations au sujet de sa santé. Il a la capacité d’opérer des choix. le soin consiste
en une démarche singulière privilégiant l’autre dans son historicité, c’est un lieu de rencontre
de deux individus qui cheminent ensemble dans le respect de la singularité de chacun. De ce
point de vue le Soignant est un accompagnateur à l’écoute des aspirations et des demandes du
patient.
Les modèles d’éducation
Une enquête hospitalière sur les pratiques en éducation du patient a mis en évidence
l’accroissement d’intérêt pour ces activités, mais aussi un écart important entre les intentions
déclarées et les pratiques. Ce qui trahit la réalité selon laquelle être soignant n’implique pas
être devenu spontanément éducateur. Leurs représentations de l’éducation, de la maladie et de
la santé jouent à l’insu des soignants, dans leurs pratiques éducatives. En ce sens, les
programmes et les activités d’éducation en santé se régulent en référence à des modèles et des
conceptions de l’éducation et de la santé, modèles qui s’inscrivent dans un paradigme de pensée,
une conception de l’être humain, de son rapport aux autres, au monde et à la science. Ceci
permet de décliner l’éducation des individus, suivant les lieux d’enseignement et selon trois
principaux modèles : le modèle classique ou frontal, le modèle behaviouriste et le modèle
constructiviste.
Le modèle classique
La pratique habituelle d’enseignement suppose une relation linéaire entre un émetteur
(l’enseignant), détenteur d’un savoir, et un récepteur (l’enseigné) qui enregistre, puis mémorise
une suite de messages. Dans cette approche, l’enseignant suppose qu’il suffit de transmettre,
ou d’expliquer. Il peut s’appuyer sur des illustrations (photos, schémas, matériels
d’observation…) ou un PowerPoint.
Le modèle frontal fonctionne également en différé par l’intermédiaire d’un film ou d’une vidéo. Il
peut aussi prendre la forme de dialogue. Dans cette forme dialoguée, ou pédagogies dites « actives »,
les fiches ou matériels sont également de type transmissif. Malgré l’expression ou la participation des
apprenants, la relation éducative reste essentiellement frontale. Le dialogue n’a pour but que
d’intéresser ou d’ancrer les données ; l’enseignant déroule ensuite son cours : il pose des questions,
et choisit parmi les réponses des apprenants celles qui lui permettent de décliner sa présentation. À
travers les fiches, l’enseignant fait faire à ses apprenants ce qu’il aurait fait lui-même. Ce modèle
imite le modèle universitaire qui suppose qu’apprendre est un simple processus de
communication, comportant un décodage, puis une mémorisation.
En appliquant l’éducation à la santé, Eymard (2008) soutient que toutes les fois que
l’éducation privilégiera l’acquisition des savoirs nécessaires à la prévention des
complications de la maladie d’un patient considéré a priori comme ignorant des
savoirs en santé, elle renvoie au modèle « académique ».
Le modèle frontal encore appelé transmissifs n’apparait pas totalement dépassé. Au contraire,
les pratiques éducatives découlant de ce modèle peuvent se révéler très efficaces ; cependant leur
emploi est délicat et peu évident. En fait, le message « n’est entendu que s’il est attendu !.. ».
Pour être opératoire, nombre de conditions doivent être satisfaites. En effet ce modèle s’avère
efficace si :

1. le soignant et l’apprenant se posent le même type de question ;


2. ils possèdent le même cadre de référence, à commencer par le même
vocabulaire ;
3. ils ont une façon identique de raisonner ;
4. ils produisent du sens de la même façon.
Or, la distance est grande sur chacun de ces plans entre eux. Ils peuvent utiliser les mêmes mots,
mais avec des significations différentes. Leur mode de raisonnement, leur culture, leur préoccupation
et leurs attentes peuvent être aussi diverses. D’où les multiples risques d’incompréhension. Enfin,
faut-il encore qu’ils aient en plus le même projet, le même objectif, ce qui semble rarement le
cas.
Quand ces multiples paramètres sont réunis, un exposé, un article fourni à l’apprenant est
un bon moyen de faire passer le maximum d’informations dans le minimum de temps.
Cependant, si l’exposé est fortement spécialisé (biomédical), même si d’autres paramètres
relationnels ou psychologiques sont pris en compte, l’enseignant finit par fournir des réponses
à des questions que l’apprenant ne se pose pas. Donc non seulement, le supposé « récepteur
» n’apprend pas ; mais aussi, il se décourage et se détourne.
Le modèle behavioriste
Contrairement au modèle transmissif, le modèle « behavioriste » repose sur un « conditionnement
». Des situations sont proposées à l’apprenant pour déterminer un entraînement. Ce modèle
s’enracine dans les approches développées par plusieurs psychologues behavioristes tel Watson
(1878-1958), Skinner (1904-1990), Hull (1884-1952), Tolman (1886-1959). En reprenant les
travaux du physiologiste russe Pavlov, ils considèrent que l’apprentissage est expliqué par une
modification du comportement. Cette modification est la conséquence d’une réponse à des
stimuli extérieurs. Sans nier la réalité que constitue l’individu, les béhavioristes ne s’en
préoccupent pas directement, ce qui les intéresse, c’est de spécifier les conditions et les processus
par lesquels l’environnement infère puis contrôle le comportement. Appelé « conditionnement
opérant », il repère les réponses soit positives, soit négatives. Dans le cas positif, des renforcements
sont mis en place pour enrichir le comportement ; dans le cas négatif, des remédiations sont
envisagées pour contourner l’obstacle.
En appliquant l’éducation à la santé, Eymard (2008) défend la position selon laquelle, aussi
longtemps que l’éducation centrera son attention sur l’obtention des comportements adaptés
au problème de santé du patient, elle s’inscrit dans une approche béhavioriste, ou
cognitivo-comportementale. Le programme est par conséquent structuré en fonction des
objectifs à atteindre. Il vise la suppression de l’erreur et l’adoption de bonnes conduites.
L’activité éducative va s’appuyer essentiellement sur le renforcement positif des réponses
adaptées à la situation de santé (c’est bien, bravo, continuez comme cela) et le renforcement
négatif des erreurs (regards désapprobateurs ou des mots comme non, ce n’est pas possible….
Cela fait pourtant plusieurs fois que je vous l’explique…). Le soignant devient alors le
transformateur des comportements de l’autre.
Cependant, dans le domaine de la santé, ce modèle prouve toute son efficacité lors
d’apprentissage de gestes techniques (dosage glycémie, injection insuline, etc.) ou de réflexe
de santé (renoncer à un type d’aliments ou de plat). Pour le reste, cette approche demeure très
insuffisante ; notamment, car elle intervient peu sur la motivation sauf lors de certaines
thérapies cognitivo-comportementalistes. Dans ce cas, elles le font séparément des formations
éducatives. Le désir de savoir n’est pas une retombée évidente d’une situation éducative.
De plus, les pratiques behavioristes ne s’intéressent qu’aux entrées (stimuli) et aux sorties
(comportements) en renonçant à comprendre le mental. Les états internes demeurent passifs,
non pris en compte, à l’égal du modèle frontal. Les présupposés, les croyances, mais également
les désirs, les intentions de l’apprenant sont peu pris en compte. Or ces derniers sont autant de
facteurs limitant pour s’approprier un savoir. De plus ce modèle reste très accumulatif, les
pédagogies behavioristes dissèquent les apprentissages complexes en unités élémentaires et
mettent en correspondance chacune avec un stimulus externe. Or, apprendre n’est jamais dans un
processus aussi simpliste et linéaire ; il est très délicat de passer d’une acquisition locale à une
mobilisation coordonnée de procédures gérées consciemment, d’où des transferts très partiels.
Le modèle constructiviste
Les pédagogies dites « constructivistes » mettent l’accent, non pas sur la transmission ou le
conditionnement, mais sur la « construction ». L’apprenant construit progressivement son savoir
en travaillant avec d’autres (travail de groupe), par le biais d’expressions et d’activités.
Éventuellement, il peut être fait appel à l’investigation (projet, défi, etc.) ou aux tâtonnements
(travail sur l’erreur). Situées dans le prolongement des théories philosophiques de la pensée de
Leibnitz (1704) et Kant (1781), elles prennent leur essor avec le développement des recherches
psychologiques. Parmi les travaux les plus pertinents, on peut noter ceux, datant des années
1960, de Bruner, Piaget, Ausubel et al.. Ausubel soutient par exemple qu’apprendre est une
affaire de liens et d’intégration, et cette intégration est facilitée par la mise en place de « ponts
cognitifs » qui rendent l’information signifiante par rapport à la structure préexistante. Pour
Piaget, l’apprentissage se résume à l’assimilation et à l’accommodation. Il s’agit de rattacher la
nouvelle information à ce qui est déjà connu, de la greffer sur des notions en prenant en
considération les « schèmes » dont dispose au préalable le sujet. Ces derniers sont réorganisés
par les nouvelles données. L’apprenant fait entrer dans sa propre organisation cognitive les
données du monde extérieur.
Les informations nouvelles sont traitées en fonction des acquis antérieurs : le sujet les «
assimile ». En retour, il y a « accommodation », quand il y a modification des schèmes de pensée
en place en fonction des circonstances nouvelles. Dans ce cas, l’éducation renvoie à un processus
personnel, centré sur l’apprenant. Il apparaît crucial de solliciter par un travail de groupe les
connaissances que possède déjà l’apprenant. Il s’agit alors de les lui faire exprimer, de les
confronter en s’appuyant sur un conflit cognitif. Il est possible également de les confronter à la
réalité par des exercices qui conduisent à reformuler les idées ou les questions. Parallèlement,
nombre de modèles psychosociaux peuvent nourrir ces constructions.
Dans la perspective eymardienne, relativement à l’application de l’éducation à la santé, Chaque
fois que l’éducation est conçue dans la connaissance de soi du patient, elle s’inscrit dans une
approche psychosociale, constructiviste et se centre sur la capacité du patient à agir sur son
environnement (empowerment). Le programme est centré sur l’élaboration de projets de vie
adaptables à la situation de santé des patients. L’activité éducative s’ajuste au processus
d’apprentissage des patients et s’appuie sur la formalisation des expériences. Elle vise le
développement des compétences psychosociales de l’éduqué: l’estime de soi, la confiance en
soi; le sentiment d’efficacité personnelle ou la compétence personnelle perçue, l’auto-
détermination, afin de l’aider à se sentir libre de diriger sa vie, d’être maître de son projet
de santé et de sa qualité de vie.
Les pédagogies constructivistes ont le mérite de favoriser la motivation par le vécu de
l’apprenant. Ils sont très efficaces pour enrichir un apprentissage ou modifier légèrement une
croyance de santé. Elles ont permis de comprendre qu’apprendre n’apparaît plus comme le
résultat d’empreintes laissées dans l’esprit de l’apprenant. Il n’est pas toujours le résultat
d’un conditionnement opérant dû à un simple environnement. Apprendre procède d’abord de
« l’activité » d’une personne, que sa capacité d’action soit effective ou symbolique, matérielle
ou verbale. En revanche, ce modèle reste plutôt frustre quand le savoir va à l’encontre des
conceptions mobilisées par l’apprenant. Plus les situations sont éloignées des savoirs
maîtrisés, plus les individus utilisent des stratégies primitives de raisonnement.
En fait, rien n’est immédiatement accessible dans l’apprendre. L’appropriation d’un savoir ne
se réalise pas de façon automatique par « abstraction», comme le supposait Piaget. C’est une
vue trop optimiste ou idéalisée. Pour les apprentissages de concepts ou de démarches, une
nouvelle information s’inscrit rarement dans la ligne des savoirs maîtrisés. Au contraire,
ceux-ci constituent autant d’obstacles sur les plans cognitif et émotionnel. Une déconstruction
des conceptions de l’apprenant devrait être une étape préalable. Or, contrairement à ce que
suggérait Bachelard, cette démarche est pratiquement impossible. L’apprenant ne se laisse pas
facilement déposséder de ses croyances qui se révèlent être autant de compétences ;
construction et déconstruction ne peuvent être que des processus interactifs. Le nouveau
savoir ne s’installe véritablement que quand l’antécédent apparaît périmé. Entre-temps, le
savoir antérieur, seul outil à disposition de l’apprenant, a servi de cadre interprétatif.
Par ailleurs, les modèles constructivistes isolent l’individu apprenant. Or l’expérience de
chacun se construit dans un environnement. En mettant l’accent sur les seules capacités
cognitives, ils minimisent la place et le rôle du milieu éducatif qui pourtant donne du sens.
Quant à la sphère affectivo-émotionnelle, si elle n’est niée par personne, elle n’a pas non plus
été prise suffisamment en compte. Pourtant les sentiments, les désirs, les passions, les peurs
jouent un rôle stratégique dans l’acte d’apprendre.

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