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Modalités et communication
André Meunier
Meunier André. Modalités et communication. In: Langue française, n°21, 1974. Communication et analyse syntaxique. pp. 8-
25;
doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1974.5662
https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1974_num_21_1_5662
MODALITÉS ET COMMUNICATION
I. Problèmes de définition.
8
Ailleurs encore, les modalités sont « les diverses nuances de la pensée
ou du sentiment » (possibilité, désir, souhait, question, protestation, etc.)>
qui peuvent recevoir des traductions très diverses en langue (cf. J. Martin
et J. Lecomte, Grammaire française, pp. 184-187, Masson).
On voit aisément l'inconvénient de cette dernière interprétation qui
conduit à l'établissement d'un répertoire, fatalement incomplet, de
procédés stylistiques. Le modèi?, remarquable, d'une telle démarche, qui
conduit « de la pensée à la langue », est fourni, on le sait, par l'ouvrage
de Ferdinand Brunot, La Pensée et la Langue (Masson, 1922) auquel on
doit, sans doute, beaucoup des embarras signalés plus haut. Il est bon de
revenir à cette source.
Pour Brunot, toute phrase porte la marque d'opérations émanant du
locuteur, réparties grosso modo en opérations de jugement, de sentiment,
de volonté qui, selon des réalisations très diverses (ton; jeu des temps, des
modes dits « à modalités »; auxiliaires de mode; compléments adverbiaux;
outils lexicaux; ordre des mots, etc.), modalisent ou modifient le réseau
des relations grammaticales qui constituent en quelque sorte l'infrastructure
de la langue. Les faits sont soumis au filtre de la « subjectivité » (cf. le
titre du livre XII) et la tâche du grammairien est d'inventorier les procédés
linguistiques qui permettent l'expression des manifestations subjectives
ou psychologiques : « Une action énoncée, renfermée soit dans une question
soit dans une énonciation positive ou négative, se présente à notre jugement,
à notre sentiment, à notre volonté avec des caractères extrêmement
divers. Elle est considérée comme certaine ou comme possible, on la
désire ou on la redoute, on l'ordonne ou on la déconseille, etc. Ce sont là
les modalités de l'idée » (p. 507)!
Brunot répartit ces modalités en trois grands ensembles, jugements/
sentiments /volontés, dont on ne peut rappeler ici les subdivisions (cf. pp. 510-
573). On retiendra seulement, à titre d'exemple, que cette méthode conduit
à mettre dans une même classe de modalités du jugement, entre autres
choses, les « dires » (Je dis... Je jure... Il est rapporté...) et les «
possibilités » (pouvoir, devoir, le conditionnel éventuel, etc.), ou à poser
l'équivalence, comme modalités de volonté, de : impératif, Je veux... Il faut..., etc.
Cela donne la mesure des amalgames auxquels conduit le primat
psychologique adopté.
Cette conception de la modalité se retrouve, avec un début de remise
en ordre important, chez Ch. Bally, le « père » de la stylistique : « Les
facteurs psychologiques de la pensée sont si bien engrenés dans sa texture
logique, qu'on ne peut, écrit-il, en faire totalement abstraction dans
l'analyse logique... La pensée ne se ramène donc pas à la représentation pure
et simple en l'absence de toute participation active d'un sujet pensant »
(Bally, 1932, p. 35, cf. bibliographie en fin d'article). L'énonciation est
communication d'une pensée représentée et la modalité est « la forme
linguistique d'un jugement intellectuel, d'un jugement affectif ou d'une volonté
qu'un sujet pensant énonce à propos d'une perception ou d'une
représentation de son esprit » (Bally, 1942, p. 3). C'est pourquoi, dans toute phrase,
doivent être recherchés et distingués, autant que possible, deux éléments :
un dictum « contenu représenté » (proposition primitive exprimée par
la relation sujet-prédicat)
un modus « opération psychique », ayant pour objet le dictum.
La modalité (modus), pièce maîtresse de la phrase selon Bally, peut
être, en langue, en allant du plus explicite au plus implicite.
— distincte du dictum : réalisée par un verbe modal avec sujet modal
exprimé :
9
Je (sujet modal) crois (verbe modal) que Pierre (sujet dictai)
viendra
- (verbe- dictai)
Modus Dictum
ou sans sujet modal exprimé : II faut / que Pierre vienne
— incorporée au dictum, sous des formes diverses :
— auxiliaire de mode : Pierre doit, peut venir
Jean semble malade
— Adverbe modal : Pierre viendra certainement, peut-être
— adjectif de jugement ou d'appréciation : ce fruit est délicieux.
(= J'ai du plaisir à manger ce fruit)
— mode grammatical : impératif, indicatif, conditionnel (Bally,
comme Brunot, nie la valeur modale autonome du subjonctif) :
Sortez! ( = je veux que vous sortiez)
II pleut. ( = je constate qu'il pleut)
L'analyse que propose Bally, tout en présentant encore l'inconvénient
de déboucher directement vers une exploitation plus stylistique que
grammaticale, offre néanmoins, comme on verra, mais à condition d'en
écarter certaines confusions, un cadre linguistique plus satisfaisant que celui
de Brunot et qui n'est pas sans ressemblances avec celui de recherches
récentes en grammaire generative.
Phrase
10
Q déclenche la transformation interrogative : il indique que la phrase
est paraphrasable en : « Je vous demande de me répondre... » (l'opposition
entre int. partielle et int. totale intervient ultérieurement).
Ce sont bien là, apparaissant dans la description de la structure
profonde des énoncés, ce que Ruwet appelle des « modalités de l'assertion »
(Ruwet, 1967, p. 338).
La Syntaxe de Dubois étoffe cette notion de constituant abstrait qui se
trouve explicitement mentionné (Dubois, 1970, p. 17) dans la règle de
base :
S > Const + P
Afflr.
Const- Inter. + (Nég) + (Emph) + (Passif)
Imp.
qu'il faut lire : Const est formé d'un élément obligatoire Affirmation,
Interrogation ou Impératif, exclusifs l'un de l'autre, et, facultativement,
de la Négation, de l'Emphase (qui donne des phrases segmentées ou à
détachement, du type : Oscar, je l'aime bien) et du Passif, combinables entre
eux et avec l'élément obligatoire. Ces différents constituants déclenchent
des transformations spécifiques décrites par ailleurs dans l'ouvrage.
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élément comme thème (défini un peu rapidement comme « ce qui vient en
tête »). C'est ici que prennent place les différenciations entre passif (Marie
est aimée par Oscar) emphase ou thématisation chez Halliday (Marie, Oscar
l'aime), prédication (C'est Marie qu'aime Oscar) et d'autres structures étudiées
en détail par l'auteur. Insistons sur ce qui sépare fondamentalement les
deux derniers systèmes dont les opérations sont réunies, dans une
perspective génératiste, dans le Constituant de phrase de Dubois. Les systèmes
du mode et du thème, comme le Constituant de phrase de Dubois
déterminent bien ce que dans les grammaires descriptives on appelle, d'un terme
trop vague, des « types de phrase ». Ils relèvent bien du processus de moda-
lisation définie par U. Weinreich comme la marque que le sujet ne cesse de
donner à son énoncé. Mais ce concept de modalisation est trop flou (cf. Dubois,
1969). Il est possible de retenir que :
— dans le cas des phrases passives, à emphase ou à présentatif (C'est...
que) il y a sélection (choix du locuteur ou contraintes contextuelles, situa-
tionnelles) d'un élément de la relation à énoncer comme support (thème)
de l'information. Le locuteur peut faire varier plus ou moins librement le
rapport entre éléments thématiques et prédicatifs selon le contenu du
message à communiquer. On pourrait parler à ce propos de modalités du
message;
— dans le cas de déclaration, question, ordre, ce qui varie, c'est un
tout autre rapport : celui du locuteur à l'auditeur (présent ou potentiel.
Le choix du « mode » est obligatoire car constitutif de l'acte même d'énon-
ciation. Le locuteur adopte, en parlant, une attitude vis-à-vis de
l'auditeur, ce que nous choisissons d'appeler une modalité d'énonciation,
qui détermine pour une part essentielle, la forme linguistique de l'énoncé :
— déclaration : apport d'information — question : demande
d'information.
— ordre : établissement d'une contrainte sur l'auditeur.
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Fondamentalement (1) et (2) se distinguent par leur modalité d'énon-
ciation. Soit maintenant :
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sont très diverses de même que les contenus sémantiques et logiques qu'on
peut lui reconnaître (cf. pour un début de classement linguistique, Benve-
niste, 1965 et Culioli 1968 x). (M 2) caractérise la manière dont le sujet de
l'énoncé situe la proposition de base par rapport à la vérité, la nécessité
(vrai, possible, certain, nécessaire et leurs contraires, etc.) par rapport
aussi à des jugements d'ordre appréciatif (utile, agréable, idiot, regrettable...)
(Cf. ci-dessous Problèmes relatifs à (M 2).
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L'incidence de franchement 1 ne fait pas problème : c'est, comme
naturellement x (ou : rapidement, sèchement, fièrement...), un adverbe de
manière (— avec franchis). L'adverbe franchement 2 quant à lui n'est
incident ni au verbe de l'énoncé ni à la phrase dans laquelle il apparaît. (//
est franc qu'il ait eu tort de faire cela est une paraphrase impossible.)
En fait (la paraphrase : II a eu tort, franchement parlant, de faire cela,
l'indique assez clairement), cet adverbe est incident à un verbe sous-jacent
à l'énoncé, verbe déclaratif ici, auprès duquel il joue le rôle d'un adverbe
de manière.
b) Les pronoms de première et deuxième personne.
Il semble impropre de parler de « pronoms » à propos de Je et Tu, comme
l'ont montré Benvéniste (Structure des relations de personne dans le
verbe, 1966) et Jakobson (Les embrayeurs, les catégories verbales et le
verbe russe, 1963), comme il est impropre d'appeler « personnel » // qui
définit la non-personne (« l'absent du dialogue »). On doit reconnaître un
statut particulier à ces morphèmes Je, Tu qui désignent bien des personnes
définies stricto sensu comme les « participants » au dialogue » (locuteur
et auditeur) et ne représentent aucun terme de l'énoncé. On devrait donc
renoncer à parler de pronoms à propos de termes qui au même titre que
des adverbes delà classe de ici, maintenant, embrayent directement sur la
situation d'énonciation, désignant les protagonistes de cette enunciation
lorsqu'ils coïncident avec ceux de l'énoncé.
Ce raisonnement est affaibli si on intègre le niveau de renonciation
à la description de la phrase. En effet on sait que l'apparition des pronoms
(de 3e personne) est liée à certaines règles transformationnelles. L'une d'elles
sera appelée ici, sommairement. Soit :
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mant « sujet ďénonciation ») et l'Auditeur (Aud) ayant le rôle d'un
complément prépositionnel;
— pour verbe, un membre de la classe de dire /demander /ordonner,
tous transitifs et pouvant recevoir un objet phrastique (Que P), précisément
la proposition à énoncer,
on dispose d'un cadre plus satisfaisant pour décrire les phénomènes en
question.
C'est précisément l'hypothèse centrale du travail de J.M. Sadock (Hyper-
sentences, 1969), qui vise à démontrer qu'il est pertinent de postuler un
ensemble virtuel d'éléments organisés comme une phrase supérieure,
appartenant à la structure profonde de tout énoncé, une « hypersentence »
(en abrégé S-H).
Les éléments de S-H étant virtuels, il en donne une représentation
conventionnelle qui ne tient pas compte de l'ordre linéaire, d'où, pour :
Jean dort :
VP
NP
I +V
+ performative
+ communicative Prices slumped.
+ linguistic
+ declarative
2. Néanmoins, on peut trouver pour des raisons de style (« le moi est haïssable »
pour certains sujets) des phrases du type :
Celui qui vous parle (l'auteur de ces lignes) n'ignore pas ce problème. D'autres «
irrégularités » dans la pronominalisation résultent du jeu de certaines conventions sociales,
ou d'écarts volontaires (cf. marques de politesse, respect, etc.).
3. Selon la définition d'Austin : les performatifs sont des verbes d'énonciations
qui ne peuvent être soumises à l'épreuve de vérité qui font quelque chose et ne se
contentent pas de le dire (cf. Austin, 1962).
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où le verbe d'énonciation est noté comme un ensemble de traits pertinents,
et où les pronoms I, you figurent dans la structure sous-jacente.
Selon Ross (qui suit Austin, 1962) ce qui distingue les deux phrases :
est qu'en (20) le performatif est explicite alors qu'en (19) il est implicite.
Dire sous-jacent à (19) est en effet comme demander, ordonner, jurer, prier,
promettre... un verbe de communication linguistique, à valeur performative 4.
Ross pose d'autre part le problème des phrases imperatives en des
termes que Benveniste (La philosophie Analytique du Langage, 1966)
avait déjà reprochés à Austin. Pour Ross et Austin, en effet, les énoncés :
(21)
SN SV
SN
+ v
+ Perf.
+ Communie.
+ Imp.
Je (ordonner) à vous (vous, sortir)
-► Je vous ordonne de sortir
(22)
+
+VPerf.
Imp.
Comni.
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LANGUE FRANÇAISE, № 21
> Sortez, après application de la transformation imperative qui efface
le sujet de 2e personne.
Cette assimilation de l'impératif au performatif semble discutable :
a) Le performatif se présente en (21) sous la modalité de la déclaration
(distincte de celle de l'ordre). De plus, si l'on veut, comme Benveniste,
conserver à l'énoncé performatif sa spécificité « qui est de nommer la
performance et son performateur 5 », d'être en soi un « acte », il faut le
distinguer de la phrase à l'impératif qui est « une modalité spécifique du
discours », qui « ne vise pas à communiquer un contenu, mais se caractérise
comme pragmatique et vise à agir sur l'auditeur, à lui intimer un
comportement » (Benveniste, 1966, p. 274).
Si les deux types d'énoncés ont les mêmes effets perlocutionnaires
(pour reprendre l'analyse de Searle, 1972, p. 62), à savoir tel comportement
de l'auditeur sommé de sortir, ils constituent des actes illocutionnaires
distincts.
b) Du point de vue de la syntaxe, cette interprétation du performatif
ne permet plus de justifier l'apparition des pronoms Je /Tu, puisque le
performatif J'ordonne n'est pas donné par une phrase « plus haute » du
type de S-H (cf. ci-dessus).
c) L'hypothèse est affaiblie du fait de l'existence d'énoncés comme
(23) Franchement, je promets de vous aider.
où franchement semble bien se rapporter à un verbe déclaratif distinct du
verbe performatif explicite.
C'est pourquoi il semble nécessaire de postuler une S-H conforme
au formalisme de Sadock, même dans le cas de phrases à performatif 6.
5. Une exception est à faire pour les tours : II est interdit de fumer, dont le
performateur est « masqué » par la construction impersonnelle. D'autre part, des phrases
du type : Qu'il vienne, souvent interprétées comme imperatives, ont, comme le montre
leur structure syntaxique, un introducteur performatif effacé. Ces phrases n'expriment
pas un ordre à proprement parler (intimation d'un comportement, à l'adresse de
l'auditeur), mais énoncent qu'il y a un ordre à transmettre à l'absent du dialogue.
6. On trouvera dans Sadock des directions de recherche intéressantes à propos
de l'emploi des pronoms personnels en fonction de la caractérisation sociale du
locuteur et de l'auditeur, à propos du traitement du discours direct/indirect et des phrases
à citation. Pour une discussion sur cette tentative d'intégration de la modalité d'énon-
ciation dans l'appareil syntaxico-sémantique de la grammaire generative, cf. Wun-
derlich, 1972.
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proposée ci-dessus, et du point de vue de (M 1) et du point de vue de (M 2).
Ainsi, même des énoncés comme : Jean arrive ou Deux et deux font
quatre, qui linguistiquement apparaissent comme « hors de toute modalité »,
relèvent d'un type de jugement, le jugement de réalité, qui implique
l'affirmation de la vérité de la proposition. C'est ce qu'on explicite par des
paraphrases approximatives : Je constate, je pose, j'affirme que P. Il s'agit de ce
que les logiciens appellent des propositions assertoriques (qui peuvent
être positives ou négatives), réalisées selon un mode zéro, l'assertion, qui
s'oppose aux modes marqués de la logique classique (possibilité /nécessité).
Hormis le cas de l'assertion pure et simple, on postulera, dans cette
perspective, que l'on peut repérer dans tout énoncé une modalité plus ou
moins explicite, définie abstraitement comme un opérateur sémantique
(conventionnellement représenté par un adjectif noté < ... > affectant
l'ensemble d'une proposition 7. Établir et classer ces opérateurs sémantiques
est une première tâche qu'on peut entreprendre en s'appuyant sur le
système de la logique traditionnelle (< possible >, < nécessaire > et
leurs contraires) ou sur les systèmes affinés des logiques dites « modales »
(< certain >, < démontré >, < établi > et leurs contraires; <
obligatoire >; < permis >, etc. et leurs contraires) (cf. Blanche, 1968).
Sur ce modèle, et pour rendre compte des réalités, spécifiquement
affectives du langage, on peut envisager un système de modalités évalua-
tives ou « appréciatives » (cf. Culioli, 1968) ayant pour représentants, entre
autres, < heureux >,< agréable >,< souhaitable >,etc, et leurs contraires.
D'autres classes sont à établir assurément; mais nous n'aborderons pas
cette recherche ici, ni une discussion sur la hiérarchie qu'il faut sans doute
établir entre les diverses classes. C'est le statut de l'ensemble de ces
modalités qui est en cause pour l'instant.
En effet, si la logique s'accommode d'un certain nombre d'opérateurs
symboliques agissant comme autant de prédicats préfixés à une proposition
(cf. la notation □ p pour : II est nécessaire que P, 4- p pour : II est possible
Que P), il s'en faut de beaucoup que les langues naturelles offrent de la
modalité des réalisations aussi analytiques et aussi univoques. Si,
logiquement, toute phrase, en tant qu'elle est modale, a une structure binomale
(Mod. + Prop. 8), syntaxiquement, elle n'est pas réalisée nécessairement
selon une telle structure. Seul le postulat d'un parallélisme logico-
grammatical permet d'unifier la description des phrases à modalité
implicite (assertions simples) et des phrases à modalité explicite (II est possible
que P, II est triste que P, etc.). Seul il permet de réunir comme
manifestations d'une même modalité des structures syntaxiques très diverses. Ainsi
< possible > apparaît selon les « options », dans :
a) II est possible que Jean vienne.
b) II se peut que Jean vienne.
(51) c) Jean viendra peut-être.
d) Peut-être que Jean viendra.
e) La venue de Jean est possible.
f) Jean peut venir.
7. Cette proposition peut elle-même comporter un ou plusieurs modaux en
relation de subordination (cf. Je suis heureux qu'il soit possible que Jean vienne). La «
direction » selon laquelle peuvent s'effectuer les combinaisons de modaux n'est pas
indifférente. Certaines contraintes, à étudier en détail, pourraient fournir un critère de
classement des diverses modalités d'énoncé.
8. Il semble préférable de renoncer ici au terme traditionnel du Dictum, qu'utilise
entre autres Bally, car, stricto sensu (= ce qui est dit), il renvoie à la dichotomie
Modalité d'énonciation/proposition à énoncer, évoquée précédemment.
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En a), b), d) la modalité est distincte de la proposition modalisée et lui
sert d'introducteur. En e) elle constitue le syntagme verbal d'une phrase
dont le syntagme nominal est la proposition nominalisée. En c), la
proposition est assertée; la modalité y est « accrochée ». En f) elle est incorporée
au syntagme verbal. La catégorie grammaticale de la modalité varie
sensiblement : adjectif, verbe pronominal, adverbe, auxiliaire dit modal.
De même, une modalité « appréciative peut se réaliser par un verbe
avec un sujet grammatical (qui est le sujet modal), ou, dans une
construction impersonnelle, par un adjectif auquel est associé un syntagme
prépositionnel (qui représente le sujet modal). Ainsi, pour < agréable > on
peut trouver l'équivalence approximative :
9. Les phrases à modalités logiques : II est possible, II faut que..., ne présentent pas
de sujet modal. Celui qui émet un jugement de possibilité ou de nécessité est à la fois
sujet d'énonciation et sujet modal. Cette relation entre plan de renonciation et plan
de l'énoncé est systématique dans le cas des modalités logiques; elle intervient de façon
contingente avec les modalités appréciatives, lorsque le sujet modal n'est pas exprimé :
II est agréable que P.
10. Cf. pour une discussion sur les valeurs logiques d'énoncés comme (51) a ) et c) :
Sctrick, 1971 et Ducrot, 1972, p. 66.
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ment) de forme fléchie, et un auxilié à l'infinitif (II peut arriver, II doit
sortir) u Devoir et pouvoir sont des « modalisants de fonction ». Mais la
langue présente aussi des verbes qui ne sont modalisants que par occasion,
ou « modalisants d'assomption » -.vouloir, falloir , désirer, penser , espérer, etc.
La liste de ces verbes est fort longue car il semble que le seul critère retenu
par Benveniste soit la possibilité de construction avec un infinitif. Si l'«
infinitif est la forme modalisée du verbe », tout verbe construit avec un
infinitif serait modal? Il n'est dès lors plus possible de distinguer les aspectifs,
les verbes de perception, les verbes de dire, tous susceptibles de recevoir
un infinitif..., de ceux que l'on voudrait isoler comme « modaux » (verbes
de jugement logique ou appréciatif)! Benveniste écrit : « Tout verbe qui
assume la fonction modalisante assume du même coup un infinitif auxilié »
(p. 13) d'où on peut tirer que tout verbe qui reçoit un infinitif doit être
défini comme modalisant. Ce critère formel est indiscutable mais il renvoie
à une définition extrêmement floue de la modalité (« une assertion
complémentaire portant sur l'énoncé d'une relation » (p. 10)), qui loin de l'éclairer,
en épaissit le mystère.
Les adverbes de la classe de certainement, probablement, peut-être, etc.,
sont souvent traités à part dans les grammaires descriptives. Des
caractéristiques distributionnelles les distinguent en effet d'autres adverbes de
« manière ». Ils pourraient être une réalisation syntaxique remarquable
de la modalité. Mais par ailleurs, en général, les grammaires ne les distinguent
pas d'autres adverbes dits « subjectifs » ou « d'opinion » (cf. cependant,
toutefois, donc... chez Blinkenberg; ou en général, en somme, oui, non, dans
la Grammaire du français classique et moderne de R. L. Wagner et J. Pin-
chon). Seuls des critères sémantiques encore une fois, permettent d'en faire
une sous-classe particulière.
La grammaire generative de modèle chomskyen ne peut, guère plus
que les grammaires descriptives, établir l'unité linguistique de la catégorie
de la modalité et cela malgré le concept de structure profonde opposée à la
structure superficielle. De fait il serait tentant de rapporter à des différences
de surface ce qui sépare les énoncés de (51) ou de (52), que nous prenons encore
comme exemples : la relation de paraphrase qui les unit, pourrait être
justifiée par des transformations à partir d'une même structure profonde. Ce
serait en somme envisager avec l'appareil de la grammaire generative
ce que Bally, parmi d'autres, avait traité « naïvement ». Mais la structure
profonde, dans l'optique de Chomsky, comporte des catégories syntaxiques
bien déterminées qui préfigurent fortement la forme de surface des énoncés.
Ainsi, si l'on peut relier transformationnellement II est possible que Jean
vienne et La venue de Jean est possible par l'opération de nominalisation,
il est impossible de rapporter à une même structure profonde, malgré leur
équivalence sémantique : II est possible que Jean vienne, Jean peut venir
et Jean viendra peut-être. Les schémas simplifiés qui suivent décrivent la
structure profonde de chacun d'eux :
21
(Jean venir) est possible
Après Extraposition : II est possible que Jean vienne
22
version de la grammaire chomskyenne permettrait de traiter l'ambiguïté
de Jean doit venir comme une ambiguïté de surface (avec deux structures
profondes à modalités différentes). Elle permettrait aussi de dissocier
Jean peut venir (=11 est possible que Jean vienne, avec verbe modal), Jean
peut venir (=11 est permis à Jean de venir, avec un modal différent) et
encore Jean peut venir (= Jean est en mesure, capable de venir, avec un
verbe non modal).
Cependant, il faut reconnaître que cette proposition bouscule quelque
peu la notion de catégorie grammaticale telle qu'elle est conçue dans la
grammaire generative « classique ». En revanche si l'on envisage les
modalités aussi bien logiques qu'appréciatives, sous l'angle de la sémantique
generative, l'hypothèse de Lerot qui n'est rien d'autre que la vieille
hypothèse logico-sémantique dont on a parlé longuement, trouve un cadre
théorique plus accueillant. En effet si l'on renonce au concept de structure
profonde pour donner à la composante transformationnelle une base
sémantique, il est naturel d'envisager des prédicats abstraits très proches des
opérateurs sémantiques dont il est question ci-dessus (cf. Lakofï, 1970 :
On generative semantics). Les diverses réalisations catégorielles seraient la
conséquence de l'application de diverses transformations relativement
simples à définir : « montée du sujet » pour les phrases avec F« auxiliaire »
pouvoir, devoir 12, « abaissement » de l'adverbe modal dans la phrase 13, etc.
Ceci à partir d'une structure très abstraite, empruntée à la logique moderne,
qui, réduite à ce qui importe ici, aurait la forme de :
Prédicat-—- -— Argument
'
-,
< possibilité > *— ""•"
(venir) (Jean)
Si l'on admet une telle base sémantique il est possible de rendre compte
des structures de surface des modalités appréciatives comme celles de (52) :
il suffit de poser, associé au prédicat modal un argument défini sémanti-
quement comme un v patient (pour emprunter à Fillmore le nom de l'un
de ses « cas », cf. experiencer) qui ne serait rien d'autre que le sujet modal
de Bally. Soit, pour Je me réjouis qu'Oscar ait dit cela et II m'est agréable
qu'Oscar ait dit cela, la même image de structure sémantique :
12. La notion d'auxiliaire disparaît en fait dans la sémantique generative (cf. Ross,
1967). Les constituants de l'Auxiliaire de la grammaire chomskyenne : Temps, Modal,
Aspect sont traités comme des verbes à part entière. Cette analyse, qui est
diamétralement opposée à celle de Benveniste (cf. ci-dessus) conduit en fait à poser le même
problème : comment dissocier autrement que par le sens ces différents types
d'unités linguistiques?
13. On peut nier l'équivalence sémantique des phrases avec peut-être et avec
possible (ou pouvoir) (cf. Ducrot). De plus, il ne fait pas de doute que II est heureux
qu'il soit venu et II est venu, heureusement n'ont pas le même sens (il en est de même
pour des couples de phrases de ce type contenant des modalités appréciatives). Dans
ce cas, il faut postuler une structure de base plus complexe, paraphrasable par : z7 est
venu (et) c'est heureux (= il est heureux qu'il soit venu). Deux phrases sont ainsi
coordonnées (ou juxtaposées) : l'une avec un modal implicite (l'opérateur zéro, celui
de l'assertion); l'autre qui modalise la première. De la même façon, pour une phrase
avec peut-être on peut poser : Jean viendra, il est possible que Jean vienne, le second
membre venant corriger l'assertion pure et simple qui vient d'être énoncée.
23
._ Argument2
24
BIBLIOGRAPHIE
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