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11 L’énonciation

La langue et le discours

Objectifs du chapitre
Savoir repérer les indices de l’énonciation dans les énoncés (indices personnels, spatio-temporels
ou indices de jugement et de sentiment).
Distinguer les indices de l’énonciation des marques de personne et des repères spatio-temporels
indépendants de la situation d’énonciation.
Analyser les effets littéraires des choix énonciatifs (selon le genre littéraire et le type de discours
PARTIE 1

notamment).

CHAPITRE 11 L’énonciation 59
Démarche
Le texte permet de repérer ce que l’on entend par situation d’énonciation et de
confronter les deux types d’énoncé : énoncé ancré dans la situation d’énonciation,
énoncé coupé de la situation d’énonciation. L’écriture épistolaire (et ici la lettre amou-
reuse) permet d’envisager l’efficacité de la référence à la situation d’énonciation pour
pallier l’absence ou rendre présente la personne absente.

1. Comprendre la situation d’énonciation


a. Pronoms personnels :
➙ 1re personne : Je (l. 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 15), me (l. 2, 3, 5, 13, 14, 16), moi (l. 6) ;
nous (8, 9, 15).
➙ 2e personne : vous (l. 1, 3, 4, 6, 12, 14).
➙ 3e personne : il (l. 3), elle (l. 5, 10, 16), elles (l. 2), le (l. 3, 5), lui (l. 12).
Attention : Il y a (l. 4-5) est un présentatif ; rendez-vous (l. 7) est un nom commun.
Déterminants possessifs :
➙ 1re personne : notre (l. 2), mon (l. 5, 12).
➙ 2e personne : votre (l. 15, 17).
Les marques de la 1re et de la 2e personne dominent dans le texte.
b. Les événements évoqués sont situés par rapport au moment de l’énonciation,
c’est-à-dire le moment où Diderot écrit sa lettre.
c. Diderot dit écrire le soir, entre neuf heures (l. 1) et dix heures (l. 16-17). La durée de
l’écriture de la lettre est donc inscrite dans le texte ; la lettre est présentée en train
d’être écrite, ce qui permet d’insister sur son caractère spontané : Diderot écrit au
fil de la plume, pour passer le temps en compagnie de sa destinataire par l’intermé-
diaire de la lettre. L’heure choisie correspond au soir, moment de l’intimité, et vient
s’opposer aux autres heures évoquées dans le texte (rendez-vous d’affaire à six heures
du soir…, l. 7-10). De manière paradoxale, alors qu’ils sont séparés, la lettre écrite le
soir permet de réunir les deux amants.
d. Cette indication de date situe le moment évoqué en dehors de tout lien avec la
situation d’énonciation. La naissance n’est pas située par rapport au moment de
l’énonciation mais par rapport au terme théorique envisagé pour cette grossesse…

2. Interpréter l’attitude du locuteur


a. Les phrases sont pour la plupart courtes, à la forme affirmative ou interrogative
(l. 13-14). Il s’agit surtout de propositions indépendantes, coordonnées ou juxtaposées.
On rencontre peu de subordonnées. Ce rythme serré révèle le trouble de l’épisto-
lier, incapable de prendre le temps de rédiger de longues phrases. Il peut faire écho à
l’accélération du rythme cardiaque : amoureux, souffrant de la distance qui le sépare
de Sophie Volland, Diderot semble ici en proie à une émotion extrême.
b. Éléments qui révèlent les sentiments du locuteur : Je perds l’espérance de vous voir
(l. 1), grand plaisir (l. 2), l’envie de vous faire une petite caresse (l. 4), je vous aime (l. 6),
cela me paraît dur (l. 14), je ne me ferai jamais à l’austérité de ce régime (l. 14-15), nous
désespérer (l. 15). Diderot insiste ainsi sur son amour pour Sophie et sur son déses-
poir profond : il ne doute pas de son amour, mais il doute de la revoir un jour… Ainsi
cherche-t-il à réduire l’éloignement en suscitant une réponse rapide de la femme
aimée, ce dont rend bien compte le chiasme de la l. 6 : Aimez-moi, comme je vous aime.

EXERCICES
Exercice 1
Indices d’énonciation : 1, 3, 5, 6, 8, 10.

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Exercice 2
1 Indices personnels : je, te, nous. – Indices temporels : souhaite (présent d’énon-
ciation), serons, sommes arrivés (futur et passé relatifs au moment de l’énonciation),
demain matin, dans 10 jours, hier au soir.
2 Indices personnels : je, mon, le tien, je, ta. – Indices spatiaux et temporels : ce matin,
dans peu de jours, commence (présent d’énonciation), vivrai (futur), ta belle vallée (lieu
relatif au destinataire de l’énonciation).
3 Indices personnels : je, vous, ma. – Indices temporels : aujourd’hui, demain, écris
(présent d’énonciation).
4 Indices personnels : nous. – Indices temporels : cette nuit, serons (futur).

Exercice 3
1 Il est surprenant (adjectif) + subjonctif ; adjectif évaluatif marquant l’étonnement.
2 Adjectifs : effrayée (peur), bonne, appliquée, aimables (jugement moral appréciatif),
pauvre (dépréciatif). – Verbes : Je crois (certitude), Je doute aussi + subjonctif (doute
qui équivaut à la conviction qu’aucune mère n’a aimé sa fille à ce point).
3 Adjectif : véritable (adjectif exprimant la certitude). – Groupes nominaux employés
en italique : la paix finale, trêve (mots empruntés aux discours de l’époque, sur les-
quels le narrateur émet un avis personnel). – Adverbe : vraisemblablement (hypo-
thèse probable).
4 Verbes : Il faut, il fallait (nécessité), je le sens bien (certitude), j’aurais dû (néces-
sité). – Indices syntaxiques : mode conditionnel : j’aurais dû (certitude), et impéra-
tif : voyez, conseillez-moi (appel au destinataire) ; phrases interrogatives : que faire… ?
Comment m’y prendre ? (doute).
Exercice 4
On évaluera ici la variété des indices d’énonciation en s’appuyant sur les exemples
suivants (que l’on peut fournir éventuellement aux élèves au préalable, en fonction
de la classe) :
– expression de la certitude ou du doute : emploi des verbes devoir et pouvoir comme
auxiliaires ; emploi d’autres verbes tels paraître, sembler, penser, trouver, croire, dou-
ter, etc., d’adverbes tels peut-être, certainement, sans doute, d’adjectifs tels possible,
vrai, probable, vraisemblable, sûr, douteux, du conditionnel qui modère une affirma-
tion (je dirais que…) ;
– expression de la volonté ou de la nécessité : emploi des verbes devoir et falloir
comme auxiliaires ; emploi d’autres verbes tels vouloir, refuser, admettre, d’adjectifs tels
nécessaire, permis, interdit, de l’impératif ou du subjonctif de souhait (puisse, fasse) ;
– expression d’un jugement valorisant ou dévalorisant, favorable ou défavorable :
emploi d’un lexique appréciatif (bon/mauvais, beau/laid…), d’adverbes de jugement
(heureusement, hélas), de suffixes péjoratifs (-ard, -asse, -âtre) ou intensifs (-issime) ;
– expression d’une émotion ou d’une réaction affective : emploi de verbes de senti-
ment (aimer, détester…), de termes affectifs (le pauvre homme !), etc.
La langue et le discours

Exercice 5
a. Pour aider les élèves à apporter davantage de précisions dans leur description
objective, on pourra projeter d’autres photos du château de Chambord. On insistera
sur l’idée d’objectivité et le refus de la 1re personne. Ainsi : Les jardins qui entourent le
château sont des jardins à la française…
b. On prendra soin de multiplier ici les indices personnels et les indices de jugement
et de sentiment. On pourra signaler que, même s’il est plus probable que le visiteur
PARTIE 1

apprécie sa visite, il est aussi possible de s’ennuyer à Chambord, de trouver le châ-


teau trop massif ou d’être gêné par une telle profusion d’ornements… On peut par
exemple préférer Chenonceau ou Azay-le-Rideau…

CHAPITRE 11 L’énonciation 61
On s’appuiera sur les éléments donnés dans la correction de l’exercice 4 (voir ci-des-
sus). On pourra par exemple jouer sur les suffixes des adjectifs mélioratifs ou dépré-
ciatifs : célébrissime château… teinte blanchâtre des pierres…
Exercice 6
Proposition de réponse rédigée : Comment, cher ami ! Sont-ce là les seuls propos que
tu aies à m’adresser ? Quelles paroles amères ! Je suis sincèrement accablé par tes mal-
heureux sentiments ! N’as-tu pas quelque anecdote à me rapporter ? La vie est certes la
plupart du temps sans relief. Toutes les journées n’ont que vingt-quatre heures. Le soleil
se lève tous les matins et se couche tous les soirs. Tous les jours, tous les hommes s’ha-
billent, et le soir se déshabillent. L’heure du déjeuner sonne à midi. Et vient ensuite la
digestion, et la sieste qui l’accompagne. Mais admets que chaque journée s’écarte légè-
rement de la précédente et diffère de celle qui suit. Écoute ma proposition : note tout
ce qui t’arrivera demain, et de même après-demain, peut-être en seras-tu convaincu.
Mais pour te le prouver davantage, sans doute faudrait-il que je revienne chez toi pas-
ser quelques jours. Alors, certainement, nous vivrons de nouvelles aventures, et tu quit-
teras ce triste ton que je ne souhaite plus trouver désormais dans tes lettres.
Exercice 7
On s’appuiera pour cet exercice sur les éléments de corrigé de l’exercice 4. On pren-
dra soin de répartir équitablement la parole afin d’évaluer non pas la quantité des
arguments mais la qualité des indices de jugement et de sentiment convoqués par
chacun des intervenants.
Exercice 8
a. Indices personnels : marques de 1re personne (mon, mes, l. 1 ; je, l. 2 ; me, je, l.3 ; j’,
l. 5 ; j’, je, l. 9 ; ma, l. 10 ; je, l. 14 ; m’, l. 15) et de 2e personne (Tu, te, l. 1 ; tu, t’, l. 2 ; toi, tu,
l. 4 ; te, l. 6).
Il s’agit ici d’une lettre insérée dans un roman.
b. Les indices de jugement et de sentiment montrent une évolution en deux temps.
Tout d’abord, l’épistolier insiste sur son apparente sérénité. Mais les sentiments heu-
reux masquent une réalité plus sombre que les indices suivants mettent en évidence :
la vie est monotone (l. 11-12), et l’épistolier n’a rien de mieux à dire qu’à répéter qu’il
va bien (l. 3). Il y a dans ces indices de sentiment une sorte de contradiction angois-
sante que l’accumulation d’indices vient mettre en évidence peu à peu.
c. Énoncé coupé de la situation d’énonciation : absences d’indices d’énonciation. Pré-
sent à valeur de vérité générale (ou présent gnomique).
Exercice 9
– On distingue nettement la première phrase, coupée de la situation d’énonciation
(présent de vérité générale, absence de marques de l’énonciation).
– v. 1-8 : énoncé ancré dans la situation d’énonciation : indices personnels, spatio-tem-
porels et indices de jugement.
– v. 9-20 : énoncé coupé de la situation d’énonciation.
– v. 21-22 : énoncé ancré dans la situation d’énonciation : retour aux marques de la
1re personne. Mais attention : ici on a affaire à un possessif éthique (ou d’intérêt atté-
nué), tour stylistique qui vise à installer une certaine familiarité et à créer les condi-
tions d’un rapprochement entre le destinataire (le lecteur) et le locuteur (le fabuliste).
Il crée ici à la fois une distance, de l’ironie et une touche d’affection que l’on retrou-
vera plus tard chez Stendhal à propos de Fabrice dans La Chartreuse de Parme par
exemple (« Notre héros était fort peu héros en ce moment… »).
➙ L’alternance entre les deux types d’énoncé permet de maintenir un lien entre le
fabuliste et son lecteur tout en prétendant donner à la fable une portée universelle,
au-delà du seul instant de l’énonciation.

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Exercice 10
a. Énoncé ancré dans la situation d’énonciation : indices personnels (moi…), spatiaux
(autour de moi…), de jugement (immensément, je pense…).
b. On insistera sur le caractère spontané et vivant d’une écriture du présent, au pré-
sent, prise sur le vif. Le lecteur est amené à suivre le lent processus créateur du poète
qu’il suit ainsi en train d’écrire : le lecteur a le sentiment de lire ce poème en même
temps que le poète l’écrit.
Mais on pourra aller plus loin en indiquant le caractère artificiel ou ludique d’un tel
énoncé ancré dans la situation d’énonciation : le poète porte la plume à l’encrier (l. 7)
et dit écrire ce poème… alors que le poème a déjà commencé ! Autrement dit, tout
énoncé apparemment ancré dans la situation d’énonciation, à l’écrit, est en réalité
impossible. Il s’agit plus d’une stratégie d’écriture que de la réalité concrète de l’acte
d’écriture (cf. le texte de Diderot, p. 54, ou le recours au nous et au je dans le texte
de La Fontaine, p. 57, v. 21-23).

La langue et le discours
PARTIE 1

CHAPITRE 12 Les usages de la langue 63

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