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POINTS
DE VUE
INITIATIQUE S

LA FRANC-MAÇONNERIE
ECOSSAISE
TRADITIONNELLE

CAHIERS DE LA GRANDE LOGE DFFRANCE


N 25 (Ancienne serie n 45) 1 trimestre 1977
LA FRANC-MAÇONNERIE
ECOSSAISE
TRADITIONNELLE

SOMMAIRE
DU NUMERO 25
(Ancienne série N° 45)

Pages

Déclaration de principe de la Grande Loge de France 2

Avant-propos 3

Introduction du Grand Maître 4

Les Constitutions d'Anderson 7

ApercLi sur 'Histoire de la Franc-Maçonnerie 15

Dialogue entre un Franc-Maçon et un profane 37

PérennLté et actualité des Constitutions d'Anderson et de


la Franc-Maçonnerie 63

Orientation bibliographique 69

I
DÉCLARATION DE PRINCIPES
DE LA GRANDE LOGE DE FRANCE

La Grande Loge de France travaille à la Gloire du Grand


Architecte de l'Univers.

Conformément aux traditions de l'Ordre, Trois Grandes


Lumières sont placées sur l'autel des Loges l'Equerre, le Compas
:

et un Livre de la Loi sacrée.

Les obligations des Maçons sont prêtées sur ces trois Lumiè-
res.

La Grande Loge de France proclame son indéfectible


fidélité et son total dévouement à la patrie.

La Grande Loge de France ni ses Loges ne s'immiscent


dans aucune controverse touchant à des questions politiques ou
confessionnelles. Pour l'instruction des Frères, des exposés sur
ces questions, suivis d'échange de vues, sont autorisés. Toutefois,
les débats sur ces sujets ne doivent jamais donner lieu à un vote,
ni à l'adoption de résolutions, lesquelles seraient susceptibles de
contraindre les opinions ou les sentiments de certains Frères.

V, En ce qui concerne les principes autres que ceux définis


ci-dessus, la Grande Loge de France se réfère aux « Anciens
Devoirs », notamment quant au respect des traditions de la Franc-
Maçonnerie et quant à la pratique scrupuleuse et sérieuse du Rituel
et du Symbolisme en tant que moyens d'accès au contenu initia-
tique de l'Ordre.

2
Avant-Propos

La Grande Loge de France avait publié avant le guerre de


1939-1945, une brochure SOUS le titre « LA FRANC-MAÇONNERIE
ECOSSAISE », inspirée par les Travaux du Très Illustre Frère Albert
LANTOINE et due à la plume de deux Francs-Maçons éminents,
Michel DUMESNIL de GRAMMONT et Antonio COEN, anciens
Grands Maîtres. Cette brochure fut rééditée en 1952, puis avec
Ufl certain nombre de compléments en 1972. Ces publications
étant épuisées, nous avons voulu proposer aux lecteurs de bonne
foi et aux hommes de bonne volonté, une nouvelle étude qui,
tout en s'inspirant largement des Travaux précédemment cités,
fasse état des derniers travaux consacrés à la Franc-Maçonnerie
et permette de faire le point.

C'est à tous les hommes de bonne volonté et à ces lecteurs


de bonne foi, ainsi qu'à tous les Francs-Maçons Ecossais que
nous dédions ce travail.

3
Introduction
La Franc-Maçonnerie est une Fraternité qui compte à travers
le monde quelque huit à dix millions de membres, gens de toutes
nationalités, de toutes i-aces, de toutes confessions, de toutes
opinions philosophiques, politiques et religieuses, de toutes condi-
tions sociales, de toutes activités professionnelles.
Ces hommes si dissemblables se reconnaissent comme Frères
parce qu'ils se sont réciproquement élus et choisis comme tels.
C'est dans ce sens que la Franc-Maçonnerie constitue une élite
véritable, élite de l'esprit et du coeur. Les liens qui unissent nos
Frères sont plUs forts que les liens dL! sang, de l'éducation, de
la culture ou des intérêts matériels.
Ils trouvent leur origine dans l'aspect essentiel de notre véné-
rable confrérie Ordre Initiatique traditionnel.
La tradition c'est tout ce que l'enseignement classique ne petit
apprendre. Elle ne se transmet pas à travers les procédés méca-
niques par les quels les hommes mettent leur savoir en conserve.
Elle ne petit passer que du vivant au vivant, de la main à la main,
de la bouche à l'oreille.
Que confère-t-elle ?
La liberté par la connaissance, la connaissance par le travail.
La démarche initiatique postule trois constatations fonda-
mentales
L'existence d'un ordre cosmique présidant aux phénomè-
tes de l'esprit comme à ceux de la matière.
L'état d'inachèvement du monde créé et la certitude de
sa perfectibilité.
La foi dans la vertu du travail accompli dans cette pers-
pective.
Les Francs-Maçons réalisent, à travers leur ascèse, le pas-
sage de la science à la connaissance, de l'analyse à la synthèse,
de la matière inerte à la vie.
Seuls ceux qui, partant de la notion d'un monde fini et d'une
science finie, veulent ignorer tout ce qu'ils ne sont pas capables
d'expliquer aujourd'hui et n'ont aucun espoir d'expliquer demain,
n'ont rien à attendre de notre Ordre et ne peuvent rien lui
apporter.

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Ils sont figés dans un désespoir immobile, dans une rési-
gnation stupide ou dans l'attente d'un salut venu de l'extérieur.
Mais tous ceux qui, spii-itualis tes ou matérialistes, croyants
ou incroyants, hommes de sciences ou poètes, croient en un
monde évolutif, décident de joindre leurs efforts vers le bien, le
heaLi et le solide, peuvent en retirer des bienfaits immenses et
faire profiter l'ensemble dL! monde vivant de leur travail.
Entre le moment où l'oeil reçoit une image sur sa rétine et
celui où, après avoir été transmise par des impulsions électro-
magnétiques, celle-ci parvient au cerveau qLIi la voit, il s'est passé
quelque chose que la science actuelle n'explique pas.
Entre l'image noire et blanche qui se peut mesurer en ampli-
tudes de vibrations et la couleLir que voit le cerveau, il y a un
décalage que l'état de nos connaissances présentes ne permet
pas de combler.
Entre un amas de pierres agencées suivant les lois de l'équi-
libre et de la résistance des matériaLix et la cathédrale de Char-
tres, il y a une différence que le raisonnement n'explique pas.
Entre les sept notes de la gamme musicale définies par les
lois physiques connues et une Symphonie de Bach il y a un monde
clin con n Lies.
Entre les vingt-six lettres de l'alphabet et un poème de Paul
Valéry il y a toute la distance qui sépare la raison de l'intuition,
l'équilibre statique de la force en mouvement, le savoir rie la
sagesse, l'utilité de la beauté, en un mot, la science de la connais-
sa n ce.
L'esprit humain a accompli un parcours remarquable dans les
voies de l'analyse matérielle du monde mesurable. Il lUi reste
une con quête capitale à entreprendre la connaissance globale
et qualitative de l'ineffable qui s'exprime en valeurs absolues
échappant à toute mesure.
C'est à cette merveilleuse aventure humaine que nous convie
l'initiation éternelle dont les chemins multiples convergent vers
I 'amour.
Le Grand Maître
Richard DUPUY.
La Grande Loge de France a décidé de placer le texte
des Obligations en tête de ses propres Constitutions,
comme référence à la pure et authentique tradition
maçonnique dont elle entend maintenir le respect.

1Lc nciciiiic. ) tittçationi

MAÇONS FRANCS
ET ACCEPT1S
TETES DE CHAPITRES
savoir
I Concernant DIEU et la RELIGION.
li Du MAGISTRAT CIVIL Suprême et Subordonné.
III Des LOGES.
IV Des MAITRES, Surveillants, Compagnons et Apprentis.
V De la Direction dL! METIER pendant le travail.
VI De la CONDUITE, à savoir
Dans la Loge quand elle est constituée.
Conduite après fermetLlre de la Loge et avant le départ
des Frères.
Conduite quand des Frères se rencontrent sans présence
Etrangère mais hors d'une Loge constituée.
Conduite en présence d'Etrangers non Maçons.
Conduite Chez Vous et dans votre Entourage.
Conduite envers un Frère étranger.

Recueillies par 'Auteur dans leurs Anciennes Archives, sur l'ordre du


Grand Maître, l'actuel Duc de Montaigu.
Approuvées par la Grande Loge et imprimées par ordre dans la première
Edtion du Livre des Constitutions, le 25 mars 1722.

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I. Concernant DIEU et la RELIGION

Un MAÇON est obligé par sa TenLire d'obéir à la Loi morale


et s'il comprend bien l'Art, il ne sera jamais un Athée stLipide, ni Lifl
Libertin irreligieux. Mais, qLioique dans les Temps anciens les
Maçons fussent astreints dans chaque pays d'appartenir à la
Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu'elle fût, il est
cependant considéré maintenant comme plus expédient de les
soumettre seulement à cette Religion que tous les Hommes
acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui
consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d'Honneur
et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances
qui puissent les distinguer ainsi, la Maçonnerie devient le Centre
d'Union et le Moyen de nouer une véritable Amitié parmi des
Personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement Eloignées.

II. Du MAGISTRAT CIVIL SUPREME et SUBORDONNE

Un Maçon est un paisible SLIjet à l'égard des Pouvoirs Civils,


en quelque lieu qu'il réside ou travaille, et ne doit jamais être
mêlé aux Complots et Conspirations contre la Paix et le Bien-Etre
de la Nation, ni manquer à ses devoirs envers les Magistrats
inférieurs car la Maçonnerie a toLijoLirs pâti de la Guerre, de
l'Effusion de Sang et du Désordre aussi les anciens Rois et
;

Princes ont toLijours été fort disposés à encourager les Frères,


en raison de leur Caractère Pacifique et de leLir Loyauté par
lesquels ils répondaient en fait aux chicanes de leurs Adversaires
et défendaient l'Honneur de la Fraternité qui fut toujours floris-
sante dans les Périodes de Paix.
ALissi, si un Frère devenait Rebelle envers l'Etat, il ne devrait
pas être soutenu dans sa Rébellion, quelle que soit la pitié que
puisse inspirer son infortune et s'il n'est convaincu d'aucun autre
Crime, bien que la loyale Confrérie ait le devoir et l'obligation de
désavoLler sa Rébellion, poir ne provoquer aucune Inquiétude ni
Suspicion politique de la part dLl Gouvernement au pouvoir, il
ne peut pas être chassé de la Loge et ses relations avec elle
demeurent indissolubles.

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III. Des LOGES

Une LOGE est un Lieu où des Maçons s'assemblent pour


travailler d'où le nom de LOGE qui est donné à 'Assemblée OLI
:

à la Société de Maçons régulièrement organisée, et l'obligation


pour chaque Frère d'appartenir à l'une d'elles et de se soumettre à
ses Règlements Particuliers ainsi qu'aux Règlements généraux.
La Loge est soit particulière, soit générale et plus on la fréquente,
mieux on la comprend, de même que les Règlements de la Loge
générale ou Grande Loge annexée ci-après.
Dans les Temps anciens, aucun Maître ou Compagnon ne
pouvait s'en absenter, spécialement lorsqu'il y avait été convoqué,
sans encourir bine sévère Censure à moins que le Maître OU les
Surveillants n'aient constaté qu'il en avait été empêché par une
impérieuse nécessité.
Les Personnes admises comme membres d'une Loge doivent
être des Hommes bons et loyaux, nés libres, ayant l'Age de la
maturité d'esprit et de la Prudence, ni Serfs ni Femmes ni Hom-
mes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation.

IV. Des MAITRES, SURVEILLANTS, COMPAGNONS


et APPRENI]S

Toute Promotion parmi les Maîtres Maçons est fondée unique-


ment sur la Valeur réelle et sur le Mérite personnel afin que
;

les Seigneurs puissent être bien servis, que les Frères ne soient
pas exposés à 'Humiliation et que 'Art Royal ne soit point décrié
pour cela aucun Maître ou Surveillant n'est choisi à 'Ancienneté,
mais bien poir son Mérite. Il est impossible de dépeindre ces
choses par écrit, chaque Frère doit rester à sa propre place et
les étudier selon les méthodes particulières de cette Confrérie.
Tout ce que les Candidats peuvent savoir c'est qu'aucun Maître
n'a le droit de prendre un Apprenti s'il n'a pas un Travail suffisant
à lui fournir et s'il n'est pas un Jeune Homme parfait ne souffrant
d'aucune Mutilation ou Tare Physique qui puisse l'empêcher
d'apprendre 'Art et de servir le Seigneur de son Maître et de
devenir un Frère, puis un Compagnon en temps voulLi après avoir

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servi durant le Nombre d'Années fixé par la Coutume du Pays
et Si! n'est issu de Parents honnêtes ;ceci afin qu'après avoir
acquis les qualités reqLlises il puisse parvenir à l'Honneur d'être
le Surveillant, puis le Maître de la Loge. le Grand Surveillant et
enfin, selon son Mérite, le Grand Maître de toutes les Loges.
NUI Frère ne peut être Surveillant avant d'avoir passé le degré
de Compagnon ; ni Maître avant d'avoir occupé les fonctions de
Surveillant ; ni Grand Surveillant avant d'avoir été Maître d'une
Loge, ni Grand Maître s'il n'a pas été Compagnon avant son
Election. Celui-ci doit être, en outre, de noble naissance ou
GENTILHOMME de bonnes Manières OLI quelque SAVANT éminent
ou quelque ARCHITECTE distingué ou quelque autre HOMME DE
L'ART d'une honnête ascendance et jouissant d'une grande Estime
personnelle dans l'Opinion des Loges. Et afin de pouvoir s'acquitter
le plus utilement, le plus aisément et le plus honorablement de
son Office, le Grand Maître détient le pouvoir de choisir son
propre Député Grand Maître qui doit être alors ou avoir été
précédemment e Maître d'une Loge particulière et qui a le Privi-
lège d'agir comme le ferait le Grand Maître lui-même, son Com-
mettant, sauf qLland le dit Commettant est présent OLI qu'il mani-
feste son Autorité par une Lettre.
Ces Administrateurs et Gouverneurs, supérieurs et subal-
ternes de la Loge ancienne, doivent être obéis dans leurs Fotic-
tions respectives par tous les Frères, conformément aux Anciennes
Obligations et Règlements, en toute Humilité, Révérence, AmoLir
et Diligence.

V. De la Direction du Métier pendant le Travail

Tous les Maçons travailleront honnêtement pendant les jours


ouvrables arin de profiter honorablement des jours de fête et ;

l'horaire prescrit par la Loi du Pays ou fixé par la coutume sera


especté.
Le Compagnon Maçon le pILIs expert sera choisi ou délégué
en qua)ité de Maître DL,' Surintendant des Travaux du Seigneur
ceux qui travaillent SOL!s ses ordres l'appelleront Maître. Les

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Ouvriers doivent éviter toLit Langage déplacé, et ne point se
donner entre eux de sobriqL!ets désobligeants, mais s'appeler
Frère ou Compagnon ; et se conduire avec courtoisie à l'intérieur
de la Loge.
Le Maître, confiant en son Habileté, entreprendra les Travaux
du Seigneur aussi raisonnablement que possible et tirera parti des
matériaUx comme s'ils étaient à lui, ne donnant à aucun Frère ou
Apprenti plus que le salaire qLI'il mérite vraiment.
Le Maître et les Maçons recevant chacun leur juste Salaire
seront fidèles au Seigneur et achèveront leur Travail conscien-
cieusement, qu'il soit à la Tâche OUI la Journée et ils n'effec-
;

tueront pas à la Tâche l'Ouvrage qu'on a l'habitude de faire à


Temps.
Nul ne se montrera Envieux de la Prospérité d'un Frère ni ne
le supplantera, ni ne l'écartera de son Travail s'il est capable de
le mener à bien car personne ne peut achever le Travail d'autrui,
;

à l'avantage du Seigneur, sans être parfaitement au coLirant des


Projets et Conceptions de celui qui l'a commencé.
OLland un Compagnon Maçon est désigné comme SurveiHant
des Travaux sous la condL!ite du Maître, il sera équitable tant à
l'égard du Maître que des Compagnons, surveillera avec soin le
Travail en l'absence du Maître dans l'intérêt du Seigneur ; et ses
Frères Lii obéiront.
Tous les Maçons employés recevront leur salaire uniment,
sans Murmure ni Révolte, et ne qLlitteront pas le Maître avant
l'achèvement dLi Travail.

On instruira un Frère plus jeune dans le travail pour que les


Matériaux ne soient point gâchés par manque d'Expérience et pour
accroître et consolider l'Amour Fraternel.
On n'utilisera dans le travail que les Outils approuvés par
la Grande Loge.

Aucun Manoeuvre ne sera employé aux Travaux propres à la


Maconnerie et les Francs-Maçons ne travailleront pas avec ceux
;

qui ne sont pas francs, sauf nécessité impérieuse et ils n'ins-


;

truiront ni les Manoeuvres ni les Maçons non acceptés, comme


ils instruiraient un Frère ou un Compagnon.

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VI. De la CONDUITE, savoir

I. Dans la LOGE quand elle est CONSTITUEE.


Vous ne devez pas tenir de RéLinions privées, ni de Couver-
sations à part sans ALitorisation du Maître, ni parler de choses
inopportunes ou inconcevantes ni interrompre le Maître, ou les
Surveillants ni aucun Frère parlant au Maître : ne vous conduisez
pas non pILIs de manière ridicUle ou bouffonne quand la Loge
traite de choses sérieuses et solennelles et sous aucun prétexte
n'usez d'un Langage malséant mais manifestez à votre Maître, à
vos Surveillants et à vos Compagnons la Déférence qui leLir est
dLle et entoLirez-les de respect.
Si quelque Plainte est déposée, le Frère reconnu coupable
s'inclinera devant le Jugement et la Décision de la Loge, qui est
le seul JLIge compétent pour tous ces Différends (soL!s réserve
d'Appel devant la Grande Loge), et c'est à elle qu'il doit être
déféré, à moins que le Travail d'un Seigneur ne risque d'en
souffrir, dans lequel cas il serait possible de recoLirir à une
Procédure particulière mais les affaires Maçonniques ne doivent
jamais être portées en Justice, à moins d'absolue Nécessité
dûment constatée par la Loge.

2. CONDUITE après fermeture de la LOGE et avant le départ


des FRERES.
Vous pouvez ouir d'innocents plaisirs, vous traitant récipro-
quement suivant vos Moyens, mais en évitant tout Excès et en
n'incitant pas un Frère à manger OLI à boire plus qu'il n'en a
envie, en ne le retenant pas lorsciue ses Affaires l'appellent, en
ne faisant et en ne disant rien d'offensant ou qui puiSSe interdire
une Conversation aisée et libre ; car cela détruirait notre Harmonie,
et ruinerait nos louables Desseins, C'est pourquoi CL!CLlne Brouille
ni Ouerelle privée ne doit passer le Seuil de la Loge, et moins
encore quelque Ouerelle à propos de la Religion, des Nations
ou de la Politique car comme Maçons nous sommes seulement
de la Religion Catholique mentionnée ci-dessus nous sommes
;

aussi de toutes Nations, !diomes, Races et Langages et sonimes


résolument contre toute POLITIOUE comme n'ayant jamais contri-
bué et ne pouvant jamais contribuer au Bien-Etre de la Loge. Cette
Obligation e toujours été strictement prescrite et respectée
surtout depuis la Réforme en Grande-Bretagne, OLI la Séparation
et la Sécession de ces Nations de la Communion de Rome.
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CONDUITE quand des FRERES se rencontrent sans
présence étrangère mais hors d'une LOGE CONSTITUEE.
Vous devez vous saluer réciproquement de manière cour-
toise, comme on vous l'enseignera, VOUS appelant mutuellement
Frère, échangeant librement des Instructions que vous jugerez
utiles, sans être vus ni entendus, sans prendre le pas l'un sur
l'autre, ni manquer aux marques de Respect qui seraient dues à
un Frère, s'il n'était pas Maçon car quoique les Maçons en tant
:

que Frères soient tous sur un pied d'Egalité, la Maçonnerie ne


prive pas un Homme des HonneLirs auxquels il avait droit aupara-
vant bien au contraire, elle ajoute à ces Honneurs, spécialement
;

lorsqu'il a bien niérité de la Fraternité qui se plaît à honorer


ceux qui le méritent et à proscrire les mauvaises manières.

CONDUITE en Présence d'ETRANGERS non MAÇONS.


Vous serez circonspects dans vos Propos et dans votre
Comportement, pour que l'Etranger le plus perspicace ne puisse
découvrir ni deviner ce qu'il ne doit pas connaître, et vous aurez
parfois à détourner la Conversation et à la conduire prudemment
poir l'Honneur de la vénérable Fraternité.

CONDUITE Chez Vous et dans votre Entourage.


Vous devez agir comme il convient à un homme sage et de
bonnes moeurs en particLilier n'entretenez pas votre Famille,
;

vos Amis et Voisins des Affaires de la Loge, etc., mais soyez


particulièrement soucieux de votre propre Honneur, et de celui
de l'ancienne Fraternité, ceci pour des Raisons qui n'ont pas à
être énoncées ici. Ménagez aussi votre Santé en ne restant pas
trop tard ensemble OLI trop longtemps dehors, après les Heures de
réunion de la Loge et en évitant les excès de bonne chère ou de
boisson, afin que vos Familles ne souffrent ni désaffection ni
dommage, et que vous-nième ne perdiez pas votre capacité de
travail.

CONDUITE envers un FRERE étranger.


Vous devez l'éprouver consciencieusement de la Manière que
la Prudence VOLIS inspirera, afin de ne pas vous en laisser imposer
par un Imposteur ignorant, que vous devez repousser avec Mépris
et Dérision, en vous gardant de lui dévoiler la Moindre Connais-
sance.

13
Mais si vous le reconnaissez comme un Frère authentique
et sincère, vous devez lui prodiguer le respect qu'il mérite et
s'il est dans le besoin, vous devez le secourir si vous le pouvez,
ou lui indiquer comment il peut être secouru vous devez l'em-
:

ployer pendant quelques jours ou le recommander pour qu'on


l'emploie.
Vous n'êtes pas obligé de faire plus que vos moyens ne
vous le permettent mais seulement dans des circonstances iden-
tiques, de donner la préférence à un Frère pauvre, qui est un
Homme bon et honnête, avant toute autre Personne dans le
besoin.
Enfin, toutes ces OBLIGATIONS doivent être observées par
vous, de même que celles qui vous seront communiquées d'autre
manière ; cultivez l'Amour Fraternel, Fondement et clé de voûte,
Ciment et Gloire de cette ancienne Fraternité, repoussez toute
Dispute et Querelle, toute Calomnie et Médisance, ne permettez
pas qu'un Frère honnête soit calomnié, mais défendez sa Répu-
tation, et fournissez-lui tous les Services que vous pourrez, pour
autant que cela soit compatible avec Honneur et votre Sûreté,
et pas au-delà. Et si l'un d'eux vous fait Tort, vous devez recourir
à votre propre Loge ou à la sienne, ensuite vous pouvez en appeler
à la GRANDE LOGE en Assemblée Trimestrielle, et ensuite à la
GRANDE LOGE annuelle, selon l'ancienne et louable Coutume de
nos Ancêtres dans chaque Nation ; n'ayez jamais recours à un
procès en Justice sinon quand l'Affaire ne peut pas être tranchée
autrement, et écoutez patiemment les Conseils du Maître et des
Compagnons lorsqu'ils veulent vous éviter de comparaître en
Justice avec des Profanes ou vous inciter à mettre un terme rapide
à toutes Procédures, ceci afin que vous puissiez vous occuper
des Affaires de la MAÇONNERIE avec plus d'Alacrité et de Succès
mais en ce qui concerne les Frères ou Compagnons en Procès,
le Maître et les Frères doivent oFfrir bénévolement leur Médiation,
à laquelle les Frères en opposition doivent se soumettre avec
gratitude et si cet Arbitrage s'avère impraticable, ils doivent
dors poursuivre leur Procès ou Procédure-Légale, sans Aigreur
ni Rancune (contrairement à l'ordinaire) en ne disant et en ne
faisant rien qui puisse altérer l'Amour fraternel, et les bonnes
Relations doivent être renouées et poursuivies afin que tous
;

puissent constater l'influence bienfaisante de la MAÇONNERIE,


ainsi que tous les vrais Maçons l'ont fait depuis le commencement
du Monde et le feront jusqu'à la fin des Temps.
AMEN, AINSI SOIT-IL.

14
APERÇU SUR L'HISTOIRE
DELA
FRANC-MAÇONNERIE

On ignore les origines lointaines de la Franc-Maçonnerie, les


historiens demeurant sur ce point dans le domaine des sLlppOsi-
tions. Et il en est de particulièrement fabLileuses. N'a-t-on pas VLI,
dans sa création, rien moins que la main de Dieu ? Ne l'a-t-on pas
attribuée à Adam lui-même, à Moïse, à Nemrod ? Certains, en
apparence piLis sérieux, font remonter la fondation de cet « Ordre
sublime » au Roi de Rorne NLlma Pompilius (715 avant Jésus-
Christ), et pensent que ses « secrets » seraient venus jLIsqu'à
nous par les « Collegia » d'artisans romains qui, implantés dans
tout l'Empire, se seraient perpétués au Moyen Age sous la forme
de groupements professionnels, confréries, « guildes » ou corpo-
rations. D'autres ajoutent que les Templiers s'affilièrent nombreux
à ces confréries de métiers, surtout après la dissolution de 'Ordre
du Temple en 1312.

La Franc-Maçonnerie au Moyen Age.


Comme l'ont pensé deux anciens et prestigieux Grands Maî-
tres de la Grande Loge de France, Michel Dumesnil de Gramont
et Antonio Coen (1), il existe en tout cas un lien de filiation entre
la Franc-Maçonnerie moderne, dite spéculative, et la Maçonnerie
« opérative » du Moyen Age.

(1) La Franc-Maçonnerie Ecossaise (1952).

15
« AU Moyen Age, le genre humain, a écrit Victor HLigo, n'a
rien pensé d'important qu'il ne 'ait dit en pierre ». L'architecture
était vraiment l'art royal. Ces grands ouvrages de pierre qui conti-
nuent d'émerveiller notre temps étaient commandés et financés
par la Couronne, par l'Eglise, par des grands seigneurs, des muni-
cipalités. Ils exigeaient le concours d'une main-d'oeLivre fort
nombreuse qui venait souvent de très loin, s'embaucher sur le
chantier. Cette main-d'oeLivre était composée d'hommes libres,
non de serfs attachés à la terre, c'est-à-dire d'hommes francs,
échappant aux servitudes féodales et royales. A la tête de ces
« Francs-Maçons » se trouvait un Maître-d'OEuvre qui avait auto-
rité sur les ouvriers et prêtait le serment de faire respecter les
règlements. Il portait le titre de Maître-Maçon et pouvait avoir
des assistants. C'est sur le chantier qu'était édifiée la Loge. Le
terme apparaît pour la première fois, en Angleterre en 1278 (Vab
Royal Abbey), en France en 1283 (Notre-Dame de Paris). C'était un
atelier couvert où l'on taillait, scLilptait, préparait les matériaux
à mettre en oeuvre. C'était aussi un lieu de repos et de réunion
en dehors des heures de travail. C'était enfin, certainement, un
lieu d'enseignement on y apprenait les éléments de la géométrie
et les principes de l'art de bâtir. Et cet « art qui consistait à
proportionner les diverses parties d'un monument, à dresser ces
flèches et ces clochers audacieux, à courber ces voûtes gran-
dioses, sous lesqLtelles le son prenait une ampleur plus harmo-
lieuse, semblait un art magique » comme l'écrit Albert Lantoine.
On échangeait dans la Loge des « secrets » d'ordre professionnel,
comme la section dorée, mais aussi des secrets d'un autre ordre,
qLi'il était interdit de noter par écrit mais que l'on retroLive gravés
dans la pierre comme le cercle, la pyramide, le sceau de Salo-
mon, l'étoile à cinq branches. Rapidement le mot Loge vint à
désigner la collectivité, l'ensemble des compagnons ouvriers qui
travaillaient au même édifice. Etroiternent soumise pour toute la
durée du chantier à l'autorité du Maître-Maçon, cette collectivité
tirait une force certaine de 'habileté professionnelle de ses
membres, de leur nombre, des liens étroits que tissait entre eux
l'intimité quotidienne de la Loge. De plus, la mobilité inhérente
à la profession favorisait les liaisons entre chantiers et entraînait
une certaine Liniformisation des légendes et des coutumes dLi
métier. Celles-ci seront mises par écrit à partir du XIVe siècle,
en Grande-Bretagne et aussi en Allemagne.

On possède une centaine de versions manuscrites anglaises


OLI écossaises des ancieiis Devoirs (Old Charges). Parmi ces

16
manuscrits, on peut citer l'un des plus anciens, le Manuscrit
Cooke (1410 ou 1430).
Celui-ci comporte
une déclaration reconnaissant la dette de l'homme envers
Dieu
deux versions successives de l'histoire légendaire du métier
depLiis les temps bibliques
les devoirs proprement dits
une brève prière finale,
Les Devoirs ressemblent beaucoup à ceux que prescrivaient
dans d'autres professions, les « Ordonnances » des corporations
municipales. Il semble qu'on lisait au nouveau membre de la Loge,
l'historique du métier, puis on l'exhortait à observer les Devoirs,
dont il entendait la lecture, la main posée sur e Livre (la Bible),
tenu par un des plus anciens Maçons, Il promettait alors de tenir
secrets les enseignements du Maître et tout ce qu'il apprenait
en Loge.
Plus ancien encore que le Manuscrit Cooke est le Manuscrit
Reguis (1390), où sont mises en vers les légendes du métier.
Selon ce poème, la géométrie, fondement de l'art de bâtir, aurait
été inventée par Euclide en Egypte, pour reconstituer chaque
année le cadastre après la crue du Nil.
En Allemagne, on a conservé les « Statuts et Règlements
de Ratisbonne, de la confraternité des tailleurs de pierre », qui
datent de 1459. lIs confirment l'existence de « Steinmetzen
regroupés en « Hùtten » (Loges) et en « Haupthùtten » (Grandes
Loges), au nombre de cinq : à Strasbourg, Cologne, Vienne, Zurich,
Magdebourg. Une première assemblée des maçons allemands
s'était tenue dès 1275 à Strasbourg, où le maître d'oeuvre de la
cathédrale, Erwin de Steinbach, avait été nommé Maître de tous
les Maçons. Une Loge strasbourgeoise de la Grande Loge de
France porte aujourd'hui son nom.
Le caractère religieux et même catholique des « Old Charges »
britanniques (nous sommes avant la Réforme) semble indiscuta-
ble, La plupart des constitutions manuscrites commencent par
une invocation à Dieu et aux trois personnes de la Sainte Trinité.
L'article premier des « Charges General enjoint au Maçon
« d'être un homme loyal envers Dieu et la Sainte Eglise et d'éviter

17
l'erreur et l'hérésie ». De même, en Allemagne. les règlements
des tailleurs de pierre commencent ainsi : « Au nom du Père,
du Fils et dLI Saint Esprit et de la glorieuse Mère Marie... ».
En matière politique, les anciens devoirs manuscrits font
obligation aux Maçons « d'être les loyaux hommes-liges du roi,
d'être loyaux envers l'autorité civile ».
Telle nous apparaît l'existence de la Maçonnerie avant le
XV1e siècle, dans toute l'Europe chrétienne un groupement de
caractère à la fois professionnel, religieux et culturel, dont le
lieu de travail et de réunion est, sur chaqLle chantier, la Loge.
il. Le tournant des XVIe et XVll siècles.
Or, au XV1e siècle, l'Europe chrétienne voit son unité brisée
par la Réforme. Rappelons ici que Luther est excommunié en
1520 et que la Confession d'ALlgsbourg rejette l'autorité dLI Pape.
En 1534, l'acte de suprématie fait du roi d'Angleterre le chef de
'Eglise Anglicane. En 1536, Calvin publie « l'institution de la Reli-
gion chrétienne
Cette crise, qui est déjà une crise de civilisation, affecte
les hommes de cette époque dans toutes leurs activités elle
ravage les nations et déchire les âmes.
Les conséquences de la Réforme et de la Renaissance furent
considérables pour le « Métier ». Les « secrets de l'art gothique
étaient délaissés et semblaient oubliés. On ne construisait plus
guère d'églises ni de monastères. Les Loges opératives disparais-
saient peu à peu, en Angleterre et en irlande comme dans l'ensem-
ble de l'ELlrope, où l'organisation des « Free Masons » était en
perte de vitesse.
En Ecosse, cependant, l'autorité royale s'efforça de porter
remède à la crise dLI bâtiment. Attachés à leurs traditions, les
Maçons du pays s'étaient, faLite de grands chantiers, repliés sur
les villes et les bourgs et s'étaient mis à tenir Loge dans des
locaux urbains, construits, loués OLI acquis à cet effet. Les Loges
devenaient permanentes et établissaient entre elles des rap-
ports suivis. Le roi d'Ecosse nomma le Maître des travaux royaux,
Wiiliam Schaw, Surveillant général des Maçons. En 1598 celui-ci
dota la profession de statuts qui reprenaient l'essentiel des cou-
turnes et traditions du métier. C'est à ce moment que les Loges
de ce pays commencent à admettre dans leur sein des notables
étrangers au métier lui-même. Peu à peu l'élément « accepté

18
y devient de plus eu pILus nombreux. C'est ainsi qu'en 1670, la
Loge d'Aberdeen ne comprend plus sur 49 membres, que 10
Maçons de métier. AjoLitons cependant que jusqu'au XVIIIe siècle,
les offices de Maître et de Surveillant de la Loge demeurèrent
réservés aux opératifs. L'Ecosse est ainsi le seul pays où il sub-
siste des Loges, aLujourd'hui toutes pareilles aux autres, qui furent
fondées au XVIe siècle par des Maçons « opératifs
En 1603, à la mort de la rene Elisabeth, Jacques VI Stuart
monte sur le trône d'Angleterre sous le nom de Jacques 1er. Les
relations vont s'intensifier entre le royaume c!'Ecosse et celui
d'Angleterre. Les gentilhommes anglais voyageant en Ecosse y
sont reçus dans des Loges, selon la coutume du pays. De retour
chez eux, ils y tiennent loge à leur tour et reçoivent Maçons
d'autres gentilshommes et notables. C'est ainsi que la plus
ancienne réunion de « Gentlemen-Masons e anglais dont ont ait
trace, se tint le 16 octobre 1646 à Warrington dans le Lancashire
pour faire « Maçon » le jeune et célèbre érudit Elie Ashmole et
son parent le colonel Mainwaring. Signalons que l'Angleterre se
trouvait alors en pleine guerre civile. Or, la Loge coniportait des
anglicans, des protestants « non-conformistes » et môme un
« papiste », des partisans du Roi et des tenants du Parlement.
Dès son apparition, la Franc-Maçonnerie non-opérative mettait en
pratique l'idée de tolérance.
Dans ce pays déchiré depuis LIfl siècle par des luttes confes-
sionnelles et politiques, les premiers Francs-Maçons anglais
acceptés sont des hommes de bonne volonté, résolLis à fraterniser
en dépit de tout ce qui pouvait les séparer en matière politique et
religieuse. La Loge Maçonnique apparaît déjà comme une « struc-
ture d'accueil » pour des personnes qui sans elle « seraient demeu-
rées étrangères ».
Ajoutons que le secret, dont s'entourèrent les « Free Masons
attire rapidement vers les Loges des amateurs d'alchimie, d'her-
métisme, d'ésotérisme biblique, alors nombreux en Angleterre où
on les appelait des Rose-Croix et qui vont enrichir le vieux fond
opératif » de rites et de symboles empruntés aux traditions
philosophiques et aux mystères antiques.
De 1646 à 1714 (mort de la reine Aune) l'essor de la Franc-
Maçonnerie restera cependant assez modeste et les Loges anglai-
ses peu nombreuses. A Londres oui en comptait au moins quatre
Le Gobelet et les raisins, Le Pommier, la Couronne, L'oie et le
Grill, qui tiraient leurs noms des tavernes où elles se réunissaient.

19
III. La Franc-Maçonnerie moderne

Le 24 juin 1717 en la fête de la Saint Jean-Baptiste, les


membres de ces quatre Loges s'assemblèrent, s'organisèrent. éli-
rent un Grand Maître, Anthony Sayer, et décidèrent de renouveler
tous les ans la même réunion. La Grande Loge de Londres était
née. Ses horizons se limitaient aux environs de la capitale. Ses
fondateurs ne paraissent avoir été animés d'aucune arrière-
pensée religieuse, politique ou spéculative. Il s'agissait au départ
de maintenir des liens fraternels entre les Frères et entre les
Loges. En 1718, Sayer fut remplacé à la Grande Maîtrise par
Georges Payne. Et en 1719 vint le toLir dLI pasteur Jean Théophile
Desaguliers, choix qui fut d'une importance capitale pour l'avenir
de la Franc-Maçonnerie.
Desaguliers, fils d'un pasteur huguenot, était né à La Rochelle
en 1683. Elevé en Angleterre, pasteur anglican en 1717, il avait
été lecteur de philosophie expérimentale à Oxford en 1713 et
reçu membre de la « Royal Society » en 1714, à l'âge de 31 ans.
Sa Grande Maîtrise allait déterniiner l'entrée dans les Loges de
Londres de nombreux membres de l'illustre compagnie. Et le
24 juin 1721, l'un d'eux, Sa Grâce le Duc de Montagu, acceptait
la Grande Maîtrise. Ce très grand seigneur, Pair d'Angleterre,
allait faire sortir de l'ombre « l'ancienne et honorable confrérie '.
Le « Noble Duc « « troLivant fautives toutes les vieilles Consti-
tutions gothiqLles » demanda à James Anderson, un pasteur pres-
bytérien écossais, de les reprendre et d'en proposer une nouvelle
version. Le texte de celle-ci était approuvé le 25 mars 1722 et
les épreuves du livre édité par le Frère John Senex furent pro-
duites et approuvées à la Tenue de Grande Loge dLI 17 janvier
1723.

La Franc-Maçonnerie Moderne était née.


Après la constitution de la Grande Loge de Londres qui
devient vers 1730 la Grande Loge dAngleterre, l'Ordre Maçonni-
que va se développer dans l'Europe et le monde.
Très rapidement la Franc-Maçonnerie va s'implanter en
France. La première Loge française officiellement connue serait
« Le LoLlis d'Argent » fondée probablement en 1726 par des Bri-

20
tanniques, et qui reçut patente de la Grande Loge de Londres en
1732. « Le Louis d'Argent » avait élu domicile rue des Boucheries
à Paris et prit plus tard le titre de « Saint Thomas ». Signalons
également, en 1732, la fondation à Bordeaux de la « Loge Anglaise
qui aura le n3 204 sur le Matricule de la Grande Loge de Londres,
en 1733 la fondation à Valenciennes de « La Parfaite Union
enfin en 1735, la Loge de Bussy dite d'Aumont à Paris. Le « New
Book of Constitutions » présenté en 1738 par Anderson, signale
que la Franc-Maçonnerie compte alors cinq Obédiences indépen-
dantes de Londres, à savoir celles d'York, d'Ecosse, d'irlande, de
France et d'Italie, qui travaillent sous les mêmes Constitutions et
« font preuve d'un zèle égal à celui des Frères d'Angleterre «.
Le 27 décembre 1736, le Comte Derwentwater, Pair d'Angle-
terre et catholique, était élu Grand Maître de la Grande Loge
de France.
Il avait été précédé dans cette charge, dès avant 1735, par
James Hector Macleane, Chevalier Baronnet d'Ecosse, comme lui
jacobite et catholique, et peut-être dès 1729, par le Duc Philippe
de Wharton, qui avait été Grand Maître de la Grande Loge de
Londres en 1722-1723.
En 1737, vingt ans après la Maçonnerie londonienne, la
Maçonnerie française sort de l'ombre. C'est l'année du célèbre
discours du Chevalier de Ramsay, homme de lettres écossais qui
avait déjà souhaité la bienvenue dans l'Ordre à « huit Ducs et
Pairs et à deux cent personnes de la plus haute noblesse », parmi
lesquelles le Duc de Villeroy, le Duc d'Aumont, le Comte de
Tressan. « On ne parle, écrit un contemporain, que des nouveaux
progrès que fait tous les jours l'Ordre des « Free Masons ». Tous,
les grands et les petits se font également recevoir ». Le DUC de
Luynes note à son tour « Ii est souvent question parmi la jeu-
:

nesse de 'Ordre des Francs-Maçons, autrement dit des « Free


Masons ». Et un rapport de police nous indique :« il s'établit à
Paris un nouvel Ordre qui vient d'Angleterre et qu'on nomme en
anglais « Filtz (sic) Massons » ce qui veLit dire en francais
Franc-Maçon
En 1738 ou 1739, le Comte de Derwentwater est remplacé
à la tête de 'Ordre Maçonnique par un grand seigneur français,
Louis de Pardaillon de Gondrin, Duc d'Antin, Pair de France,
« Grand Maître Général et perpétuel des Maçons dans le Royaume
de France

21
Le Duc d'Antin meurt en 1743, il est remplacé par un prince
du sang, Louis de Bourbon-Condé, Comte de Clermont, qui restera
en fonction jusqu'à sa mort en 1771. C'est sous le règne de ce
Grand Maître que va se développer en France l'Ecossisme, ou
Franc-Maçonnerie Ecossaise.

Temple du XVlll siècle.

Il ne faut pas se méprendre sur la signification de ce terme.


li désigne aujourd'hui, sans référence historiqLle ou géographique
définie à l'Ecosse, divers systèmes Maçonniques qui comportent
en plus des trois degrés, dits symboliques, d'apprenti, compagnon

22
et Maître Maçon, un certain nombre de hauts grades. Il tire
son nom du premier de ceux-ci, le Maître Ecossais, un « ordre supé-
rieur de Maçonnerie » attesté dès 1733 à Londres, et qui sans
doLite fut ainsi appelé en hommage au rôle capital qu'avaient joué
les Maçons d'Ecosse dans la conservation et la propagation des
usages, rites et symboles de l'ancienne Maçonnerie opérative.
Apparu en France qLlelque dix ans plus tard, le Maître Ecossais
fut la cellule première de l'Ecossisme, qui allait trouver dans le
Royaume un terrain d'élection, s'y développer rapidement, et de là
se propager en Europe et en Amérique. Il y donnera naissance, à
l'aube du XIXe siècle, au Rite Ecossais Ancien et Accepté, riche
en tout de 33 degrés.
A la mort du Comte de Clermont (16 juin 1771), la Grande
Maïtrise est offerte à Louis Philippe Joseph d'Orléans, Duc de
Chartres.

Le DUC de Montmorency-Luxembourg qui le seconde en qualité


d'Administrateur général, est en fait le vrai chef de 'Ordre. Mais
bientôt, irrité de la prépondérance que les statuts de la Grande
Loge de France accordaient aux. Maîtres de Loçes arsiens, de
modestes roturiers pour la plupart, il fait cari vaquer à Paris et érige
en Grande Loge Nationale une assemblée principalement compo-
sée de Frères des Provinces et des Loges militaires.
Du le mars au 26 jLiin 1773 des Francs-Maçons venus de la
France entière (parmi lesquels e Prince de Rohan, le Marquis de
Fitz James, le Marquis de Clermont-Tonnerre), tiennent un certain
nombre de réunions dont sortira, le i septembre 1773, le Grand
Orient de France, une nouvelle puissance Maçonnique.

Le Grand Orient de France se dit « la seule et légitime Grande


Loge ». Mais en face de lui la plupart des Loges de Paris et un
bon nombre de Loges des provinces maintiennent l'ancienne
Grande Loge de France, maintenant dite « de Clermont», du nom
de son ancien Grand Maître, et qui se proclame « seul et véritable
Grand Orient de France ».

La dualité des Obédiences ne semble pas avoir altéré dura-


blement les relations fraternelles entre leurs ressortissants res-
pectifs, ni nui au développement de l'Ordre jusqu'à la Révolution
de 1789. En 1771 le nombre de Loges relevant de la Grande Loge
de France était de 164, soit 71 à Paris, 85 en province, 5 aux colo-

23
nies (1). A la veille de la Révolution, le Grand Orient accuse le
chiffre de 629 Loges, 63 pour Paris, 442 pour la province, 38 pour
les colonies, 69 militaires et 17 à l'étranger. Quant à la Grande
Loge, dite de Clermont, elle comptait 376 Loges, soit 129 à Paris
et 247 en province. L'Ordre Maçonnique avait conquis dans le pays,
une place considérable d'après certaines estimations, on y
r

comptait de 70.000 à 80.000 Francs-Maçons. Les nobles, les bour-


geois s'affiliaient en grand nombre et de nombreux savants, artis-
tes, écrivains et philosophes ajoutaient au prestige de l'Ordre.

L'ORDRE SOUS LA REVOLUTION

La Franc-Maçonnerie française, divisée d'abord par des ques-


tions de personnes, ensuite par l'existence de deux puissances en
compétition plus ou moins ouverte, a subi dans son ensemble et
dans ses différents membres des épreuves égales et rudes. Si les
maçons n'avaient pas eu, au siècle des Lumières, de doctrine com-
mune en matière de politique, mais seulement une tendance huma-
niste, libérale et jusqLl'à un certain point contestataire (cf. par
exemple le comte de Clermont et le duc d'Orléans), ils se rencon-
traient, le plus souvent, dans une opposition à peu près constante
à la monarchie absolLie. Ils ne tarderont pas à se trouver en conflit
d'idéologie dès l'ouverture des Etats Généraux. C'est ainsi que
le Grand Maître duc d'Orléans soutient e vote par tête et son
administrateur général le duc de Montmorency-Luxembourg le vote
par ordre.
« Même opposition entre les frères « aristocrates « et les
frères « sans-cLilotte ». On en rencontre beaucoup d'exemples. Un
grand nombre des émigrés avaient fait partie des loges, tant à
Paris qu'en province. D'aUtres frères étaient d'ardents révolution-
na ires.
Comme dans les guerres civiles de Grande-Bretagne, on
trouve donc des frères aussi bien dans le camp des montagnards
que dans celui des royalistes. Mais le trait le plus commun qu'il
soit possible de discerner en eux est le courage civique et le

(1) Beaucoup d'autres loges, en province surtout, avaient négligé de se faire


« constituer » par la Grande Loge.

24
courage tout court. Si l'attitude du Grand Maître sous la Conven-
tion lui valut d'être répudié par les Frères dont il s'était désoli-
darisé, il faut convenir que le danger qui le menaçait était bien
susceptible de lui inspirer une résolution désespérée, et que son
courage devant Ja guiliotine peut encore iui vaioir une sympathie
rétrospective.
La mère loge de rite écossais philosophique Le Contrat Social,
dont le nom était déjà un programme, diffuse dès le début de
179 puseuvs civcuaves dans esqu&les on tvou'ie réunis pouï
la première fois les mots de liberté, d'égalité et de fraternité
qu'elle qLlalifie de « devoirs civiques '>, et elle met les Frères en
garde contre ta violence d'où qu'elle vienne, qui n'a plus rien de
maçonnique. Une de ces circulaires fut traduite en allemand par

Figurine du XVIl siècle.

25
le frère Dietrich, maire de Strasbourg, et diffusée par le frère
Lemaire, capitaine à l'armée du Rhin, avec 'aide d'autres frères
appartenant à des loges militaires.
Les travaux des loges subissent évidemment des perturba-
tions graves sous la Convention. Beaucoup d'entre elles pratiquent
cependant, comme il est souvent arrivé par la suite dans l'his-
toire, une Maçonnerie de la pénombre et du silence qui garde
le feu sous la cendre. Ainsi à Toulouse où on signale l'initiation
« d'une partie de 'Etat-Major « à Marseille où, dans la Loge La
;

Parfaite Sincérité, le frère Joseph Clary présente son futur gendre


Joseph Bonaparte et l'ami de celui-ci, Antoine Saliceti, Commis-
saire aux Armées ; à Lyon où la plupart des Ecossais de rite recti-
fié, après avoir pris parti contre lEglise romaine, mais aussi contre
le clergé constitutionnel, trouvent la mort comme Antoine Wilier-
moz ou doivent s'exiler comme son frère Jean-Baptiste ; à Paris
enfin. Ici, l'activité maçonnique est interdite pour « modéran-
tisme », mais elle se poursuit cependant au sein de la loge des
Amis de Sully devenue La Montagne, par exemple, mais surtout
au Centre des Amis autour du vénérable Alexandre Roéttiers de
Montaleau qui sut maintenir le flambeau dans les pires circons-
tances.

Après la terreur, les deux Obédiences françaises, s'effor-


cent de regrouper les éléments qui peuvent reprendre quelque
activité. Un concordat est conclu le 21 mai 1799 entre le Grand
Orient et la Grande Loge. Il prévoit la fusion des deux Obédien-
ces sous le nom de Grand Orient de France. Le Frère Roêttiers de
Montaleau est élu comme Grand Vénérable et non comme Grand
Maître. Les Loges se réveillèrent peu à peu et l'Ordre reprit une
très sensible extension. Une fois encore la Franc-Maçonnerie
offrait un refuge aux esprits fatigués par les querelles et soucieux
déviter de nouvelles violences. L'union semblait réalisée entre
tous les Maçons et toutes les Loges, n'eût été, comme l'écrivaient
Dumesnil de Gramont et Antonio Coen, l'existence de quelques
cellules écossaises jalouses de leur indépendance. C'est à partir
de ces Loges, et en particulier de la Loge Saint Alexandre d'Ecosse
dont e Vénérable était Godefroy de la Tour d'Auvergne, que va
e Comte de Grasse-Tilly, membre du jeune Suprême Conseil
:e Etats-Unis, pour fonder, en septembre-octobre 1804, le
Suprême Conseil de France du Rite Ecossais Ancien et Accepté, et
:-: .oquer la réunion d'une Grande Loge Générale Ecossaise, qui
donne cour Grand Maître le Prince Louis Bonaparte. Mais
contrairement à l'attente des Ecossais, Napoléon n'allait pas auto-
riser ce qui lUi apparaissait comme un schisme. Il ordonna à la
Grande Loge Ecossaire de fusionner avec le Grand Orient, ce
qui fut fait le 3 décembre 1804, sous les auspices du Maréchal
Kellermann, par un « Acte d'Union» et un Concordat équitable.
Celui-ci réservait au Suprême Conseil la juridiction sur les Hauts
Grades et autorisait les Loges écossaises des trois premiers
degrés à pratiquer leur Rite sous l'autorité du Grand-Orient.
A la chute de Napoléon, le Grand Orient se hâte de proclamer
la déchéance de son Grand Maître le roi Joseph et du Grand
Maître adjoint Cambacérès, et de s'arroger la juridiction sur les
Hauts Grades de l'Ecossisme, cependant que le Suprême Conseil,
composé de dignitaires de l'Empire, ne peut que réserver ses
droits et se mettre en sommeil. Il ne se réveillera qu'en 1821, quand
la Terreur Blanche ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Les
Bourbons, revenus au pouvoir, ne songent donc guère à inquiéter
une Franc-Maçonnerie qui ne les inquiète pas. Elle leur apparaît
toujours sous son aspect véritable de bonnes gens qui se réunis-
sent pour échanger des propos sans méchanceté et, dans des
« agapes innocentes », célébrer les joies de la fraternité par des
cantiques d'une médiocrité ingénue. En 1818 Louis XVIII nommera
à l'évêché de Beauvais son aumônier Mgr de La Châtre, un Franc-
Maçon.

Ouand, dans son réquisitoire contre les Ouatre Sergents de


La Rochelle, le procureur général fera allLision à la qualité maçon-
nique de deux d'entre eux, il refusera assez dédaigneusement
d'y voir une aggravation de leur culpabilité.
Pourtant la Franc-Maçonnerie, par la force des choses, va se
trouver amenée à seconder l'action profane des libéraux. Il nous
faut tenter d'expliquer pourquoi, alors que son influence sur la
Révolution française est, nous l'avons vu, toute relative, elle
participera au mouvement insurrectionnel de 1830.
L'Empereur Napoléon, par le Concordat avec le Pape, avait
paru circonscrire d'une façon humiliante le pouvoir de celui-ci
en réalité la France s'en est aperçue jusqu'au vote de la Sépa-
ration de l'Eglise et de I'Etat le Vatican y avait gagné de n'être
plus inquiété dans le domaine même où on le reléguait : le
domaine spirituel. Depuis longtemps, toute intrusion dans le tem-
porel lui était interdite, malgré ses discrètes et indiscrètes tenta-

27
tives, et il ne perdait pas grand chose en fait - sinon en prestige
à voir cette interdiction codifiée. Devenir le chef incontesté
de l'Eglise catholique donnait au Pape le droit absolu de régir la
spiritualité de ses ministres et de ses fidèles. Les parlements, ai
XVIIIe siècle, avaient limité ce droit en en soumettant les mani-
festations à leur examen critique ou au bon vouloir du monarque.
Leur refus d'entériner les bLilles contre les Francs-Maçons en est
un exemple typique. Après la signature du Concordat, au contraire,
toute la Catholicité retournait sous la houlette du Saint-Père et
les excommunications pontificales se trouvaient reprendre, pour
employer une expression maçonnique, « force et vigueur ». Résul-
tat, abandon des loges par les ecclésiastiques et hostilités des
dévôts contre les francs-maçons, hostilité entretenue par des
racontars de curés sans culture et, déjà, par des feuilles publiques
spéculant sur la crédulité de leur clientèle. On sent dans leurs
propos, comme un relent des calomnies de l'abbé Barruel.
La haine de ces apostoliques fait, par réaction, l'objet des dis-
cussions maçonniques. Comment en serait-il autrement ? Elle ris-
que, en effet, de compromettre l'existence de l'Ordre si les
conseillers écoutés de Charles X, qui sont à la tête de ce qu'on
appelle alors « le parti prêtre », arrivent à triompher de la sourde
irritation des Français auxquels la Charte de 1814, leur rendant
l'appellation offensante de « sujets », avait confisqué les conquêtes
civiques de la Révolution. Aussi est-il indiscutable que si elles
ne préparèrent pas la chute du régime dans le mystère de leurs
travaux, les loges collaborèrent de toute leur foi, et par l'activité
belliqueuse des frères, à l'explosion de colère qui balaya le trône
des Bourbons.

C'est là un fait capital dans l'histoire de la Franc-Maçonnerie.


Jusqu'alors, on peut dire qu'elle était simplement demeurée
spectatrice des événements. Le fait que certains de ses membres
s'étaient trouvés mêlés comme acteurs à ces événements ne
constitue pas une contradiction, toute liberté d'action et de pen-
sée leur étant, comme de nos jours, constitutionnellement et effec-
tivement laissée. Mais après les Trois Glorieuses, nous la verrons
se vanter pour la première fois d'avoir aidé à l'instauration
d'une ère moins rétrograde. Nous ne disons pas une ère libérale
parce que le roi citoyen aura vite fait de décevoir les espérances
de ses premiers partisans. La fête qu'elle offre au général
La Fayette, à l'Hôtel de Ville de Paris, l'exaltation de ses héros

28
morts pour la « cause sacrée », ses chants et ses discours témoi-
çjnent nettement de ses soucis politiques. Le Fite Ecossais, certes,
participe à la joie générale, puisque c'est son Grand Commandeur,
le duc de Choiseul, qui préside la cérémonie en l'honneur du
« libérateur des deux mondes », mais on sent néanmoins qu'il ne
voulait pas que cette attitude de l'Ordre, bien que justifiée par
un sûr instinct de défense, déterminât une orientation contraire
à ses principes. La preuve en est que, lorsque des combattants
de juillet 1830, franc-maçons, voudront, sous les auspices de
La Fayette lui-même, qui accepte d'être leur Vénérable d'honneur,
créer une loge nouvelle sous e titre Les Trois Jours, ils échoue-
ront en dépit ou à cause de leur programme d'action.
On vient d'étudier la brève histoire de cet atelier au titre
doublement symbolique. Son état-major comprenait les Maçons
les plus éminents, outre La Fayette, le député Alexandre
de Laborde, le banquier Laffitte, Vénérable, le Maire du 4' arron-
dissement, Ch. Cadet de Gassicourt, le docteur de Laborde, le
futur ministre Odilon Barrot, et l'explorateur Crampel. Mais lors
de son installation, le général Ch. Jubé, Grand Secrétaire Général
du Suprême Conseil, lui retira sa patente, compte tenu dLI fait
qu'avant même l'intégration la loge avait suivi, bannière déployée,
le convoi funèbre du général Lamarque et qu'elle prétendait,
le jour de son installation même, procéder à l'admission d'un
réfugié polonais. L'appel interjeté, soutenu mollement ou pas du
tout par les fondateurs qui appartenaient au Suprême Conseil fut
vain et, en application du règlement, cette loge disparut.
Louis-Philippe, fils du premier Grand Maître du Grand-Orient,
dont on escomptait la reconnaissante bienveillance et qui, espé-
rait-on, placerait ou laisserait placer son fils à la tête de 'Ordre,
se montrait du reste déjà sournoisement hostile aux institutions
comme aux hommes qui l'avaient porté au pouvoir.
De son côté, la Franc-Maçonnerie témoignait d'une prudente
discrétion et se repliait sur sa véritable tradition.
Elle venait de sortir de sa tour d'ivoire. Précédent dangereux.
A raisonner dans l'absolu, on lui a parfois donné tort. Mais il est
des circonstances dans la vie des peuples qui dépassent la volonté
des individus et qui prouvent la faillibilité de leurs ois. Tolstoï
l'a montré d'une façon prophétique dans Guerre et Paix. Et
iious l'avons constaté nous-mêmes lorsqu'au moment d'une affaire

29
fameuse, des savants jusqu'alors réputés pour leur dédain des
contingences, des écrivains d'un scepticisme presque ostentatoire,
voire des Sociétés scientifiques, se mêlèrent au conflit d'ordre
idéologique qui divisait le pays en deux camps résolument adver-
ses. Le danger de tels gestes est qu'on retrouve difficilement la
sérénité perdue.

LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LA ll REPUBLIOUE

Après la chute de Louis-Philippe, d'autres frères aux tendances


politiques « opératives » eurent l'idée de fonder une obédience
nouvelle qui, s'appuyant sur les principes de 1848 ne se désinté-
resserait point de la chose pLiblique. Cet engagement politique,
qui commença par une réunion à 'Hôtel de Ville et une manifes-
tation en faveur du Gouvernement Provisoire de la République
aboutit d'une part à provoquer une harangue de Lamartine, et
d'autre part à créer une Grande Loge Nationale de France.
Convaincus d'être dans la Vérité maçonnique, et d'accomplir la
volonté du Grand Architecte de l'Univers ses fondateurs commen-
cèrent par décréter l'abolition des Hauts Grades et de l'inamovi-
bilité des fonctions.
Cette obédience comptait au départ sept loges dont cinq
transfuges du Suprême Conseil, les Trinitaires (3), les Comman-
deurs du Mont Liban (16), les Patriotes (38), les Invisibles Ecos-
sais (65), l'Etoile de Bethléem (90).
Mais les dissidents restaient encore fidèles aux traditions
du rite, ce qui n'arrangeait rien. Ils avaient mis à leur tête le
docteur du Planty, maire de Saint-Ouen, et créé une loge La Fra-
ternité à 'Orient de Montmartre.
Face à ce schisme qui pouvait être inquiétant, l'obédience
écossaise se contenta de parler de manifestations soi-disant
maçonniques et de prendre au coup par COUP des mesures feutrées
qui allèrent pourtant jusqu'à l'exclusion sans éclat de loges ou
de frères, pendant qu'on pouvait faire état des « frères restés
fidèles à leur serment ».
De son côté, le Grand Orient ne perdait pas de temps. Dans
son convent de 1849, se refusant à faire la part du feu, il jugea
nécessaire de définir ses principes et d'affermir sa régularité en
précisant une obligation jusque-là restée vague.

30
Après rapport, débat et vote, 'Assemblée générale vote un
article premier de la Constitution du Grand Orient de France qui
précise que « La Franc-Maçonnerie a pour principe l'existence de
Dieu et l'immortalité de l'âme. » Malgré un correctif sur la liberté
de conscience, cette affirmation dont le moins qu'on puisse dire
est qu'elle est dogmatique paraît, avec le temps, assez peu adé-
quate. Mais elle permettait alors, d'espérer l'audience d'une
clientèle assez large, car elle intéressait un secteur d'opinion
hostile au « Roi Citoyen », mais « voltairien '. Ce secteur allait
jusqu'aux curés bénisseurs d'arbres de la liberté et on pourrait,
rien que d'après Baizac, en faire une étLlde instrL!ctive.

LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LE SECOND EMPIRE

Les deux organisations qui se trouvent ainsi régularisées par


un ukase officiel ont-elles tenu à justifier cette confiance en
revenant à la pure tradition maçonnique ? On est obligé de le
croire car enfin et cette constatation doit bien gêner les anti-
maçons qLIi, au cours de l'histoire, s'obstinent à classer toujours
l'Ordre parmi les groupements d'avant-garde on ne la voit
guère se manifester lors du Coup d'Etat de décembre 1852. Une
adresse du Grand Orient deux mois auparavant le montre même,
cette fois encore, impérialiste avant l'Empire.
Les travaux de cette obédience ne prêtent guère à suspicion.
Malheureusement des rivalités d'ordre intérieur et assez vives,
au sLijet de la Grande Maîtrise que se dispLitent un moment le
prince Murat et Jérôme Napoléon, provoqLient l'intervention de
Napoléon III. La tactique de l'oncle inspire le neveu. Et alors paraît
sa décision dans l' Officiel » du 2 janvier 1862 « Napoléon, vu
les articles, etc., considérant, etc., avons décrété et décrétons
ce qui suit... S. Exc. e Maréchal Magnan est nommé Grand
Maître du Grand Orient de France ». Magnan n'était même pas
maçon.
Le coup est rude non pas qu'a priori le maréchal Magnan
déplaise, mais le procédé choque. Certes ce n'était pas la pre-
mière fois que l'Etat imposait son favori, mais en sauvant la
Forme ; le vote des frères entérinait. D'ailleurs, souvent 'Ordre
lui-même, pour témoigner de sOn loyalisme, avait demandé au

31
pouvoir de lui désigner un chef. En 1862, c'est la carte forcée.
contre laquelle on ne peut rien, sinon se montrer assez souple
pour et c'est ce qui arrivera reconquérir le droit d'élection.
Et les bulletins alors consacreront le choix de 'Empereur en
maintenant à son poste de Grand Maître le maréchal Magnan.
Celui-ci, pour ajouter à son prestige et satisfaire à la volonté
évidente de 'Empereur, veut obliger le Suprême Conseil à fusion-
iier avec le Grand Orient. Ainsi se trouverait justifié ce titre
qu'il arbore orgueilleusement, mais inexactement Grand Maître
:

de l'Ordre maçonnique en France. Le Rite Ecossais renâcle. En


somme c'est son suicide qu'on lui demande. Déjà, depuis sa nais-
sance, les offres les plus tentatrices Lii avaient été faites pour
une absorption sans douleur.
Cette fois la situation est grave, car fait encore unique
dans l'histoire de l'institution le PoLivoir jette son glaive dans
la balance. Résister à la volonté de empereur eût été impos-
sible si le Suprême Conseil n'avait eu à sa tête un assez mauvais
coucheur, l'écrivain et homme politique Viennet. Il a pour lui
le bénéfice de son rang social il est membre de l'Académie
française et le bénéfice de son grand âge. Il est royaliste. il
a fait partie de cette cohorte de collaborateurs dLi Constitution-
nel que l'on appelait les « \/oltairiens de la droite » ou « les héré-
siarques de la légitimité » et il est demeuré fidèle à ses
convictions monarchistes. Raison de plus pour le réduire ? Non.
Tout gouvernement pactise avec ses adversaires. C'est son inté-
rêt, surtout pour des affaires d'Line importance bien secondaire.
Viennet refuse de se soumettre au désir impératif du maré-
chal Magnan ; ses missives témoignent de l'orgueil de son Rite.
Magnan insiste, pis, il menace. Viennet va trouver l'empereur.
L'empereur n'est pas méchant. Il compatit au fond à la révolte
sentimentale de ce vieillard qui ne veut pas se rendre, On l'ima-
gine calmant l'impatience du maréchal :« Laissons-le tranquille...
il a quatre-vingt-huit ans... Quand il ne sera plus là... ». D'autre
part, il sait bien que le Rite Ecossais est peut-être royaliste, mais
que son caractère initiatique peu enclin aux aventures, ne le rend
guère inquiétant pour le régime. Le SLiprême Conseil est surtout
préoccupé d'internationalisme, non dans l'acception antipatriotique
que des malveillants pourraient donner à ce mot, mais pour un
apostolat de fraternité. D'autres Suprêmes Conseils se sont créés
dans maintes nations par des statuts précis où sont affirmés
la croyance en Dieu et le respect des lois et, par leur confédé-

32
ration, ils aident à 'interpénétration des esprits et conséquem-
ment au rapprochement des peuples.
Quand Viennet meurt, après Magnan, l'attention gouverne-
mentale est accaparée par bien d'autres soucis. La Franc-Maçon-
nerie d'ailleurs ne fait guère parler d'elle ; un de ses membres, le
docteur BLichtold-Beaupré, dans son livre isis ou l'initiation maçon-
nique, va même jusqu'à lui reprocher « son abstention ou sa
réserve dans les grandes luttes politiques et religieuses du jour ».
L'Institution est vraiment fidèle à sa doctrine première qui ne pres-
crivait aucune foi, niais il n'y a guère d'exemple qu'à cette épo-
que Liii rite accueillît un seul néophyte se proclamant nettement
athée. Même, en 1875, au Rite Ecossais (nous anticipons un peu
sur les événements mais ce détail trouve ici sa place et son
considérable intérêt), la loge des Coeurs Unis refuse un candidat
qui n'avait pas voulu reconnaître l'existence du Grand Architecte,
ce qui, disait le rapport envoyé au Pouvoir Central, est contraire
à nos Règlements
La Franc-Maçonnerie, sous le Second Empire, y gagne du
moins d'être bien vue et à la Cour, et à la Ville. Quand la Société
de Saint-Vincent-de-Paul qui, assez inquiétante par ses menées
politiques, refusa la reconnaissance publique qu'on lui avait offerte,
le ministre, M. de Persigny, opposa officiellement (circulaire du
16 octobre 1861) le bon esprit de la Franc-Maçonnerie à l'attitude
méfiante de la Société. Cela devait susciter de la part de
Mgr Dupanloup une protestation enflammée. L'influence du maré-
chal Magnan aidait à cette heureuse réputation.
En effet, tout système, aussi fâcheux soit-il, ne va pas sans
quelques avantages compensateurs : ces grands Maîtres tou-
jours choisis parmi les personnages haut placés non seulement
protègent l'Qrdre, mais celui-ci profite moralement de leur situation
dans le monde profane. Cela ne fut pas seulement au XVIIIe siècle,
mais pendant tout le XIXe siècle jusqu'en 1871. Les francs-maçons
jouirent jusqu'à l'avènement de la troisième République d'une
considération évidente parmi toutes les classes de la société, Ils
avaient des ennemis parmi les catholiques, certes, mais des enile-
mis qui n'étaient jamais parvenus à les salir dans l'opinion de
leurs contemporains. Ils gardaient le prestige d'avoir eu dans
leurs rangs des hommes célèbres par leur talent, leurs mérites,
et même par leur naissance.
Lorsque ceux qu'on appelait les libres-penseurs étaient mal-
menés par leurs adversaires dans les assemblées représentati-

33
ves, on évitait de les confondre avec les francs-maçons. Combien
cette remarque est révélatrice d'un état d'esprit qui nous étonne
aujourd'hui ! Pour ceux qui la pourraient trouver insuffisamment
fondée, nous citerons ce fragment du discours que Sainte-Beuve
prononça au Sénat, en 1868, au sujet des « tendances matérialistes
de l'enseignement ». Nous le relevons dans le Moniteur Universel
du mercredi 20 mai 1868
« ... Est-ce parce que les esprits faisant partie de cette classe
ne sont pas associés, affiliés entre eux, comme cela a lieu pour
les sectes et communions religieuses ? Je serais presque tenté
de le croire, car du moment qu'il y a un lien d'association comme
dans 'Ordre de la Franc-Maçonnerie par exemple, oh ! alors on
cesse d'être injurié, répudié, maudit je ne dis pas dans les
chaires sacrées, c'est leur droit mais dans les assemblées
publiques et politiques. Si l'on parlait ici dans le Sénat des francs-
maçons comme on y parle habituellement des libres-penseurs, on
trouverait assurément quelqu'un de haut placé pour répondre. »
(Sourires, les regards se portent sur le général Mellinet qui
prend part lui-même à l'hilarité). (Le général Mellinet était alors
Grand Maître du Grand Orient, mais à la différence du maréchal
Magnan, il était maçon depuis de longues années).

LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS LA 111e REPUBLIQUE

Une grande partie de la Maçonnerie, et notamment certains


de ses dirigeants les plus importants, allait changer de cap. Bon8-
partistes sous l'Empire, ils allaient être, SOUS la 111e République,
républicains avancés.
La décennie 1871-1881 fut une nouvelle période tournante, Si,
aux témoignages tardifs de Léo Taxil ou de partisans à oeillères,
la Commune de Paris fut une oeuvre maçonnique, les contem-
porains comme Louise Michel, Maxime du Camp ou un des prin-
cipaux acteurs, le frère Thirifocq, montrent bien qu'il y eut, comme
sous la Révolution française, des partisans dans les deux camps.
Comme l'obédience écossaise était mieux implantée à Paris que
ne l'était le Grand Orient et qu'elle comptait de nombreux fédérés
ou sympathisants, le frère Malapert, Grand Orateur du Suprême
Conseil et son représentant à Paris se borna à inviter les membres
de celui-ci à ne pas engager l'Ordre dans son ensemble. Mais le
Préfet Babeau-Laribière, Grand Maître du Grand Orient et plusieurs

34
de ses Grands Officiers stigmatisèrent les partisans de la Com-
mune, même dans leur action comme libres citoyens. Il avait
l'excuse d'être un haut fonctionnaire de province et sans doute
assez mal informé de l'esprit des Parisiens, ce qui s'explique
aisément, étant donné les circonstances dans leur ensemble.
La République instituée, puis passée aux mains des républi-
cains, comment expliquer le revirement qui s'est produit dans
l'esprit d'une certaine élite sociale et, avouons-le, dans l'opinion
publique, touchant la renommée de la Franc-Maçonnerie ? Elle le
doit certainement à la campagne menée par les cléricaux, mais
aussi à ses propres fautes. L'avènement de la République porta
au pouvoir plusieurs de ses membres qui avaient appris à penser
à l'intérieur de ses temples et qui se trouvèrent devoir mettre en
pratique le libéralisme de son enseignement.
Il devient alors de plus en plus difficile à 'Ordre de se tenir
à l'écart des événements profanes et ce d'autant plus que la
République assez mal assise va encore avoir à se débarrasser
de certaines erreurs qui nuisent à son épanouissement. On discute
la loi Falloux. L'ecclésiastique a encore une influence considéra-
ble dans les rouages de l'Etat...
Le succès grise. Les jeunes francs-maçons voLidraient « exté-
rioriser » la Franc-Maçonnerie. Certains d'entre eux, comme
Gambetta, Jules Ferry, Brisson, Floquet, Camille Pelletan, Georges
Perm, Edouard Lokroy, Wyrouboff, Millet le sculpteur, le docteur
Lannelongue, etc., dont beaucoup, comme les neuf derniers,
appartiennent à des loges écossaises, voudraient pousser le
Suprême Conseil à sortir de sa réserve, lis proposent des innova-
tions dans la constitution que désapprouvent les Grands Com-
mandeurs - même des chefs comme Adolphe Crémieux dont le
républicanisme n'est pourtant pas suspect. On voudrait jeter par
dessus bord le Grand Architecte de l'Univers. Le Grand Orient
le fait en 1877 en rejetant de sa « Déclaration de principes » la
croyance en Dieu et à l'immortalité de l'âme. PourqLloi le Rite
Ecossais n'imiterait-il pas un exemple aussi méritoire ? Le Suprême
Conseil tergiverse, élude, accorde des concessions qui ne touchent
pas au point névralgique du débat, c'est-à-dire à son propre pou-
voir dictatorial qui semble aux révolutionnaires un anachronisme
inadmissible. Et cela dLlre jusqu'au jour où des loges intransi-
geantes se séparent de lui en 1880 pour fonder une obé-
dience aux tendances nettement politiques La Grande Loge Sym-
:

bolique Ecossaise. Douze Loges font ainsi dissidence.

35
Le Suprême Conseil, cédant à la force des choses, accordera
à ses Loges Bleues (du 1er au 3 degré) de tels avantages, que la
Grande Loge Symbolique Ecossaise ralliera le bercail pour fonder
avec les ateliers demeurés fidèles l'organisme qui existe de nos
jours sous le titre de Grande Loge de France (1894). En 1905, ces
avantages iront même jusqu'à une complète autonomie, de sorte
que le Rite se trouve actuellement scindé en deux parties qui
constituent néanmoins l'unité écossaise le Suprême Conseil qui
:

continue d'administrer les ateliers du 4 au 33C degré, et la Grande


Loge de France, sous la juridiction de laquelle travaillent les ate-
liers du 1 au 3 degré.
La Grande Loge de France a ainsi recueilli l'héritage spirituel
de la Franc-Maçonnerie Ecossaire, la richesse de son symbolisme,
la générosité de son éthique. Les Francs-Maçons de la Grande
Loge de France, par d'incessants retours aux sources, s'efforcent
d'être les conservateurs éclairés des plus pures traditions de
tolérance et de progrès humain de la Franc-Maçonnerie Univer-
selle, laissant à chacun ses opinions particulières en politique, en
religion et en philosophie. L'Ordre Maçonnique se doit, en effet,
de favoriser le libre épanouissement de chaque individu et le
développement de la fraternité entre tous les hommes, en restant
quant à lui au-dessus des querelles du temps.

Les armes de la Compagnie des Maçons de Londres.

36
DIALOGUE
ENTRE UN FRANCMAÇON
ET UN PROFANE
Ouestion
Dans l'article premier de la Déclaration de Principe de la
Grande Loge de France il est écrit « La Grande Loge de France
travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers ». Qu'enten-
dez-vous par là ?

Réponse
C'est un fait. Les Francs-Maçons écossais de la Grande Loge
de France travaillent à la Gloire du Grand Architecte de 'Univers
et ils ouvrent et ferment leurs travaux sous cette invocation, car
ils pensent que ce symbole est essentiel et qu'il constitue la
clef de voûte de tout l'édifice Maçonnique. Le Grand Architecte
de 'Univers a pour eux valeur d'analogie. Dans la mesure où
l'Univers peut être comparé à un édifice, c'est-à-dire à un ensemble
ayant forme et finalité, il y aurait, à l'origine de cet Ordre,
un être créateur et un principe ordonnateur qui serait à l'uni-
vers ce que l'architecte est à 'édifice. Et de même que cet
architecte a présidé à la création et à la construction du monde,
de même que Hiram (1) a pensé et construit le Temple de Salo-
mon, tout Franc-Maçon a le devoir de construire le Temple exté-
rieur et intérieur. En travaillant à la Gloire du Grand Architecte
de l'Univers, la Franc-Maçonnerie écossaise manifeste son atta
chement à l'idée d'un univers où le sens l'emporte sur le non-sens,
où la pensée et l'action de l'homme doivent être en accord avec

(1) Hiram Architecte du Ternp!e de Salomon, en qui la Franc-Maçonnerie


reconnaît son Maître fondateur.

37
la signification ultime de la réalité. Elle laisse aux théologies et
aux systèmes métaphysiques le soin de définir le contenu et le
mode d'être du Grand Architecte de l'Univers.

Christ au Compas Le Logos, Verbe-Raison-Vie tire le plan du monde


qu'il inspire. XIII siècle.

38
Question
Votre Déclaration de Principe dit aussi que « Conformément
aux Traditions de l'Ordre, trois Grandes Lumières sont placées
sur l'Autel des Loges l'Equerre, le Compas, et le Volume de la
Loi Sacrée. »

Réponse
C'est exact. Les Francs-Maçons prêtent leur obligation sur le
Volume de la Loi Sacrée, ouvert sur l'Autel des serments et sur-
monté de l'Equerre et du Compas. Tous leurs travaux se dérou-
lent en présence de ce symbole unique aux triples dimensions.
Pourquoi, me direz-vous, ces trois symboles iD L'équerre:

c'est un instrument rigide qui nous donne l'angle droit par lequel
la pierre brute est rendue cubique et devient apte à être assem-
blée en un édifice harmonieux. L'équerre permet de passer du
désordre à l'ordre, de l'homme conçu comme nature désordonnée
et livrée aux passions à l'homme soumis à la raison et à la volonté.
Elle est symbole de rigueur, de rectitude vis-à-vis de soi et vis-à-
vis des autres. Quant au compas, c'est un instrument essentielle-
ment mobile et qui sert à tracer le cercle, sans commencement
ni fin, et qui sert à mesurer. Il est le symbole de la mesure du
mouvant par rapport à l'inerte, symbole de l'esprit dans son dyna-
misme constructeur. L'Equerre et le Compas sont toujours asso-
ciés et unis dans un rapport complémentaire, disons même dialec-
tique. Enfin, cette Equerre et ce Compas, sont placés sur le
Volume de la Loi Sacrée. Le plus souvent dans nos Loges, c'est
la Bible (Ancien et Nouveau Testament) généralement ouverte à
l'Evangile de Jean. Mais on peut l'ouvrir à l'Ancien Testament,

(1) Certaines organisations Maçonniques identifient le Grand Architecte


au Dieu personnel de telle ou telle religion particulière. Sans entrer dans
des controverses théologiques, qui ne sont pas de notre compétence et qui
seraient ici hors de propos, disons que la notion de Dieu n'est pas dépourvue
de signification. Quant à son mode d'existence, la Grande Loge de France laisse
chaque Maçon libre de sa croyance personnelle. Tout Franc-Maçon du Rite
[cossais, à notre sens, travaille à la Gloire du Grand Architecte de 'Univers
du seul fait qu'il est capable de consacrer à son Idéal une partie de son
temps et de ses forces et de lui sacrifier éventuellement ses intérêts personnels
et même sa vie.
Ce faisant, par définition, il agit à la Gloire du Principe inconnu d'où
procèdent toute vérité et toute vie.

39
au Livre des Rois par exemple. D'autres livres sacrés peuvent être
utilisés, si l'impétrant est d'une confession différente par exem-
:

ple le Coran, le Tao Te King, les Vedas ou le Zen Advesta...


Que peut signifier ce livre sacré pour un Franc-Maçon Ecos-
sais ? Disons tout de suite, en conformité avec la philosophie de
notre Ordre, qu'il ne peLit avoir qu'une signification adogmatiqLie
et universelle et justement universelle parce qu'elle est adogma-
tique. Nous voulons dire par là qu'il ne saurait être interprété à
la lumière de tel ou tel canon, de telle ou telle religion ou de tel
ou tel dogme. Il n'est pas pour nous Francs-Maçons Ecossais, le
livre des Juifs, pas plus que celui des catholiques, pas plus celui
des protestants ou autres anglicans. Il est pour nous le livre de
tous les hommes de bonne volonté qui cherchent la lumière. H
est par-delà toLite controverse théologique que nous écartons par
principe et par définition, le livre de la Tradition, de la Lumière
et de l'Amour des hommes. Nous retenons et ne voulons retenir
de son message que cette parole essentielle, hier comme aujour-
d'hui et aujourd'hui comme demain « Tu aimeras ton prochain
comme toi-même. « Il s'agit bien pour nous de voir en tout homme,
un frère, c'est-à-dire de le reconnaître et de le traiter non pas
comme un étranger ou une chose, mais comme une personne,
comme un homme. Et c'est en cela que nous serons dans la
lumière car, ainsi que dit Jean dans ses Epîtres « Celui qui dit
:

être dans la lumière et qui a son frère en haine est dans les ténè-
bres «, « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière ».
C'est ici que l'amour fraternel devient lumière et que cette
lumière se confond avec cet amour fraternel. La loi, notre loi est
suspendue à cette seule idée de fraternité totale et universelle.
Cette loi de charité et de jListiCe, il ne sagit pas seulement de
la reconnaître, mais il faut surtout la pratiquer « Quiconque ne
pratique pas la justice n'est pas né de Dieu « nous dit encore
Jean et il ajoute « N'aimons pas en paroles mais en oeuvres avec
vérité (1). La vérité de notre amour ce seront nos oeuvres qui
en seront les témoins. Il s'agit de « pratiquer la justice « « faire »
le bien (2). Si bien que dans cet esprit, le vrai fidèle c'est celui
dont les oeuvres sont bonnes même s'il s'écarte des dogmes.
L'infidèle c'est celui qui tout en étant d'accord avec les dogmes,

(') Epîtres : II 9-11-10 Saint Jean.

Epîtres III-18 Saint Jean.


Epîtres III-7 Saint Jean.

40
s'écarte du véritable esprit de charité. Or, le volume de la Loi
sacrée dans la Loge rappelle et doit rappeler à chaque instant au
Franc-Maçon qui est un homme, qu'il doit toujours s'efforcer
d'obéir à cette loi de justice et d'amour.
Tel nous apparaît bien au-delà des rivalités religieuses et
des qLlerelles confessionnelles, le sens véritable de ce message,
la vérité de cette loi.
Car il est profondément vrai que « Si flOLIS marchons dans la
lumière, nous faisons société avec les autres » et que « celui qui
aime ses frères est dans la lumière » (3). Ici encore amour et
connaissance se rejoignent dans une seule et même idée, dans
une seule et même espérance.
Comme l'évoquait au XVlll siècle le Chevalier de RAMSAY
« La Franc-Maçonnerie est bien cette résurrection de la religion
noachique, celle du patriarche Noé, cette religion universelle anté-
rieure à tout dogme et qui permet de dépasser les différences et
les oppositions de confessions '>, qui permet de dépasser toutes
différences et toutes les divisions, ajouterons-nous, à condition
certes, de bien vouloir entendre son message et son enseigne-
me nt.

Question
Me permettez-vous. Monsieur, de vous poser une aUtre qties-
tion. Vot,-e Constitution que vous m'avez si aimablement donnée
et que je viens de lire, dit que la Franc-Maçonnerie cherche la
vérité et que dans cette recherche, il n'est admis aucune limite
et aucune entrave, ce qui sup pose la liberté de conscience comme
règle. Dès lors ne pensez-vous pas qu'il y a contradiction entre
ces cieux affirmations, celle du Grand Architecte de l'Univers
d'une part et d'autre part celle de la Liberté de Conscience ?

Réponse
Non seulement il n'y a pas de contradiction entre ces deux
affirmations, mais au contraire il y a complémentarité. On ne sau-
rait affirmer la bberté de a pensée sans affirmer e Grand Archi-
tecte de l'Univers, celUi-ci apparaissant comme le support, le
garant, le fondement de la liberté de pensée.

(3) Epitres / 7-11-10 Saint Jean.

41
Ici, Monsieur, expliquons-nous. Certains vous diront et vous
démontreront que la pensée humaine n'est pas libre ; qu'elle est
déterminée par des facteurs biologiques, économiques et sociaux,
et qu'elle l'est totalement. Ils nous assurent que notre conscience
n'est que le reflet de tendances inconscientes, d'impératifs éco-
nomiques et sociaux ou le fruit de notre ressentiment. Certes la
pensée appartient en partie à l'ordre du fait et de l'histoire
mais n'appartient pas qu'à eux seuls. Elle appartient aussi à un
autre ordre, de Droit qui est celui de la Vérité et elle lui appartient
dans la mesure où elle est justement recherche de la Vérité.
Et c'est cette recherche de la vérité qui définit mieux que tout
autre la pensée véritable. On ne saurait comprendre la nature
de la pensée si l'on ne comprend en elle ce qui est intention,
recherche de la vérité. Et remarquons ici que lorsque dans l'his-
toire, des hommes ont demandé la liberté de pensée, ils ne deman-
daient pas d'exprimer ce que leur dictait leur inconscient ou leur
classe, ils ne demandaient pas de dire n'importe quoi, ils vou-
laient exprimer la vérité ou ce qu'ils croyaient être la vérité, lis
nous montrent par là que pour eux, comme pour nous, liberté et
vérité sont intimement, nécessairement liées, que la liberté de
pensée ne peut exister sans l'ordre de la vérité.
Eh bien pour nous Francs-Maçons écossais, le Grand Archi-
tecte devient fondement de cette vérité et si vous me permettez
le langage philosophique, le Grand Architecte devient le fonde-
ment ontologique de la Vérité. Mais ici, il faut tout de suite
ajouter ceci que le Grand Architecte s'il est Dieu est un Dieu
ineffable, un Dieu absent, il est l'Etre Inconnu.
L'Etre qu'aucun homme quel qu'il soit, fût-il le Pape ou l'Arche-
vêque de Canterbury, i'Etre qu'aucune confession religieuse,
quelle qu'elle soit, juive, catholique, anglicane et protestante ne
saurait définir et dont elle ne saurait imposer le contenu à la
libre conscience des hommes. On peut même aller plus loin et
dire que dans leur origine et leur authenticité les religions ne
disaient pas autre chose. « Je suis ce que je suis » nous dit le
Dieu d'lsraèl, ce qui signifie que moi homme je n'ai pas à cher-
cher à le comprendre et à le définir. Et la révélation me direz-
vous ? L'idée de révélation n'a rien à voir avec la Franc-Maçonnerie.
La révélation concerne les consciences individuelles, qui sont
libres de croire ou de ne pas croire au Dieu personnel de telle
religion particulière. La Franc-Maçonnerie se situe au-delà de
toutes les religions, de la révélation mosaïque, comme de la révé-
lation chrétienne, ou musulmane. Voilà pourquoi, Monsieur, nous

42
pensons que ces deux affirmations, celle du « Grand Architecte »
et celle de la liberté de conscience ne sont pas contradictoires,
mais encore une fois, complémentaires. Il n'y a de liberté véritable
que si l'on pose, transcendant à tous les ordres de fait, ceux de
la nature et ceux de l'histoire, un ordre de Droit qui devient
l'unique recours de la conscience libre. C'est ainsi qu'en travail-
lant à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, les Francs-
Maçons de la Grande Loge de France, affirment dans le même
temps la liberté de la personne humaine.

Question
La Grande Loge de France proclame son indéfectible fidélité
et son total dévouement à la patrie, dites-vous dans l'article III.
En élargissant la question, peut-on vous demander quels sont les
rapports de la Franc-Maçonnerie avec la politique ou plutôt avec
le politique ?

Réponse
Il est dit, Monsieur, dans les Constitutions d'Anderson, article
II, qL!'un Maçon est un sujet paisible des pouvoirs civils tant au
lieu de sa résidence qu'à celui de son travail et qu'il ne sera
jamais impliqué dans aucun complot ou aucune conspiration
contre la paix et la prospérité de la nation, qu'il ne manquera à
aucun de ses devoirs envers les autorités.
La Franc-Maçonnerie n'a jamais essayé de se placer en dehors
des lois. Les Francs-Maçons respectent les lois civiles de la
société dans laquelle ils vivent. lis sont des citoyens loyaux et
qui se veulent responsables.
En tant que citoyens, ils peuvent et ils participent souvent
aux affaires de la Cité, comme les autres citoyens, mais contrai-
rement à une opinion aussi répandue que fausse, ils ne reçoivent
aucun mot d'ordre auquel ils seraient tenus d'obéir. Pas plus en
politique qu'en religion, ii n'y a de credo Maçonnique. Et dans
les Loges, ii est fréquent de voir se cotoyer sur nos colonnes, le
« libéral » et le « socialiste », le « radical » et « l'indépendant »,
le « progressiste » et le « conservateur », comme se cotoyent le
« juif » et le « chrétien », « l'intellectuel » et le « manuel » tous
sont tenus par la discipline de la Loge, de respecter les opinions
d'autrui et d'éviter les disputes et les querelles. N'est-ce pas
d'aiiieLlrs ce que disait déjà l'article VI des Constitutions d'Ander-

43
Le Grand Homme, les outils de l'architecte et l'âme universelle
(Bâle 1650)

son et que nous nous efforçons d'appliquer avec toUte la rigueur


possible.
« Brouilles et disputes ne doivent point franchir la porte de
la Loge et bien moins encore toutes querelles d'ordre religieux,
patriotique et politique
Question
Cependant, Monsieur, il n'est pas difficile de constater que
des Francs-Maçons occupent très souvent des postes de haute

44
responsabilité dans l'Etat et jouent un rôle considérable dans la
vie politique de leur pays. Par exemple aux Etats-Unis où de
nombreux présidents ont été et sont Maçons, en Amérique du
Sud, en Angleterre et en France même?

Comment expliquez-vous ce phénomène?

Réponse

Eh bien, Monsieur et au risque de paraître me contredire, je


vous répondrai justement parce qu'ils sont Maçons. Et je vous
prie de m'écouter et de m'entendre. Il est vrai que la Loge n'est
pas un « clan » politique et que toute « politique politicienne »
comme on dirait, doit en être absente. Mais il est vrai aussi que
le Franc-Maçon est un opératif, un constructeur, je veux dire qu'il
n'est pas un pur contemplatif. Son idéal, il veut le réaliser, il veut
le mettre en oeuvre. Aussi s'engage-t-il souvent dans les affaires
de la Cité mais il s'efforce de le faire avec cette mesure, ce
sens de la responsabilité, qu'il a appris en Loge. De plus s'il pense
que la Franc-Maçonnerie doit s'attacher au perfectionnement de
l'individu, à l'amélioration de l'homme, il pense qLI'une des condi-
tions de cette amélioration de l'individu se trouve aussi dans un
aménagement social plus juste et plus « vrai ». En particulier, il
ne saurait concevoir une société, où les droits de la personne
humaine dans le libre exercice de sa pensée et de ses actes, ne
seraient pas garantis et sauvegardés. Le Franc-Maçon n'est pas
un homme désincarné, un animal réduit à sa seule dimension
métaphysique ; il est aussi un être qui a une dimension sociale,
politique et culturelle. N'oublions pas que nous sommes les
héritiers des Maçons du Moyen Age. Au point de vue du travail,
il faudrait distinguer le métier franc en face de la corporation.
Sur le plan politique, les villes franches forment des îlots de
liberté en face du pouvoir féodal, comme la Loge de Maçons
francs et acceptés est un lieu de liberté en face de dogmatismes
de toutes sortes, le Franc-Maçon est un homme libre. Des évé-
nements qui sont encore dans toutes les mémoires pourraient
en témoigner. Lorsque la France a été envahie et occupée, que
les droits de l'homme ont été bafoués par le nazisme, nombreux
sont les Francs-Maçons qui ont témoigné de leur indéfectible
dévouement à la patrie et à la liberté et ont sacrifié leLir vie
pour les défendre.

45
Question
Monsieur, il est une idée qui est d'habitude attachée à la
Franc-Ma çonnerie, c'est celle du secret. Y a-t-il L/fl secret Maçon-
nique et quel est-il ?

Réponse
Oui il y a un secret Maçonnique. En quoi consiste ce secret ?
Je ne peux pas VOLIS le dire mais je peux VOLI5 dire ce qLI'il n'est
pas et cela vous permettra d'éliminer un certain nombre d'idées
fausses. Rejetons d'abord ce qui a constitué jadis et ce qui cons-
titue encore pour qLlelques esprits attardés, une calomnie gros-
sière.
L'accusation du complot.
Dès la fin du XVIIIe siècle en effet, la Franc-Maçonnerie fut
accusée de travailler en secret à renverser les trônes et l'Eglise.
A la suite de l'Abbé Baruel, les anti-maçons les plus virulents
virent en elle l'instigatrice de la révolution française y compris la
terreur, et comble de stupidité, quelques dizaines d'années
plus tard, des Maçons oublieux de leurs authentiques tradi-
tions, acceptaient avec ravissement que leurs ancêtres aient
joué un pareil rôle. Ignorance historique, que de crimes on commet
en ton nom N'en déplaise aux maniaques de l'ubiquité maçon-
nique, la devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité
n'est pas sortie de nos loges et il y eut beaucoup plus de Maçons
guillotinés que de Maçons guillotineurs. Les Maçons de ce temps
étaient dans leur très grande majorité, royalistes, favorables
certes à une évolution constitutionnelle de la monarchie, mais
tout de même fidèles au trône. Quant à l'accusation de complot
contre l'Eglise, elle est tellement peu fondée que la première Bulle
d'excommunication « in eminenti » promulguée en 1738 par le Pape
Clément XII, ne reproche que le caractère secret des réunions
et, incapable de donner le moindre motif à la condamnation se
réfugie dans la vague formule « pour des motifs de nous seuls
connus ».
Même dans les grandes périodes anticléricales de la 111e RépLi-
blique, les Maçons dans leur ensemble n'ont voulu s'attaquer qu'à
certains privilèges de I'Eglise et non à l'Eglise elle-même. Les
discussions suscitées par les articles de la Loi de Séparation des
Eglises et de l'Etat le prouvent, loi qui soit dit en passant, s'est
révélée à l'avenir absolument providentielle aussi bien en ce qui

46
concerne la subsistance matérielle des Eglises, que leur liberté,
au point que celles-ci devraient considérer [mile COMBES et
Aristide BRIAND comme de grands bienfaiteurs. Il y eu certes
des excès et des prises de positions nettement antireligieuses,
mais elles furent l'exception et disons-le tout net, personne
aujourd'hui ne les considère comme d'inspiration maçonnique.
Ou bien il faudrait considérer comme d'inspiration spécifi-
quement catholique la propagande antisémite et antidreyfu-
sarde de l'époque. Quant à l'accusation de complot contre
l'Etat, la valeur des hommes politiques Maçons de cette époque,
ainsi que leur patriotisme suffit à en démontrer l'absurdité.
Il semble qu'aujourd'hui on ait fait justice de tout cela.

Le secret Maçonnique résiderait-il donc dans nos rituels qui


ordonnent nos cérémonies ? Non encore. Très tôt ces rituels
ont été connus et on peut se les procurer avec une relative
facilité. Le secret Maçonnique n'est ni politique, ni rituelique. Il est
encore moins celui que posséderaient des hommes doués de pou-
voirs magiques et mystérieux. On ne pratique dans les Loges ni
envoûtements, ni invocations sataniques.

D'où vient alors la nécessité du secret maçonnique. A quoi


lui-même correspond-il, puisque je l'ai dit, je n'ai ni la volonté,
ni la possibilité de le communiquer ? Tout simplement de la nature
même de l'initiation. A l'inverse du sacrement l'initiation ne
confère pas une grâce « Ex opere operato », bien que comme lui
elle veuille faire changer l'individu. Elle lui ouvre une voie, lui
montre un chemin. Imaginons par exemple deux alpinistes placés
devant la paroi abrupte d'une montagne. L'initié sera celui qui
aura le regard assez perçant pour découvrir les traces de précé-
dents passages et saura de plus les utiliser. Aux points d'appui
qu'il aura pu repérer il ajoutera les siens propres et pourra ainsi
mener à bien son ascension. Vous l'avez compris, même en utili-
sant ce que son prédécesseur a laissé, il ne peut compter que sur
son effort personnel. Le profane qui se prépare a être initié se
trouve un peu dans cette situation. La tradition de notre ordre va
lui présenter un certain nombre de symboles lors de la cérémonie
d'initiation, symboles qui d'ailleurs l'accompagneront tout au long
de sa vie maçonnique.

Quelques explications lui seront certes données, car un sym-


bole, tout en ouvrant la voie à de multiples réflexions ne veut pas

47

I
Grand Temple de la Grande Loge de France.

48
pour autant dire n'importe quoi. Cependant l'action essentielle
du symbole sur l'être même de l'initié ne sera possible et efficace
que si celui-ci fait l'effort de volonté nécessaire. De lui, dépend
la réalité de l'initiation.
Comment cet effort est-il fourni, quelle réaction suscite-t-il
chez l'intéressé, à quoi aboutit-il, quel regard nouveau provoque-t-il
sur le monde et sur soi ? Voilà autant de questions dont les
réponses relèvent du véritable secret maçonnique. Secret qui
existe donc pleinement, d'une part, parce que les réponses sont
réelles, d'autre part parce qu'elles sont incommunicables. Seul
celui qui vit ce genre d'effort peut savoir ce qu'il représente
sans réelle participation, l'impression de l'extérieur ne peut qu'être
inexacte. Si je reprends mon exemple de l'alpiniste, je ne puis
m'empêcher de songer à toutes les critiques dont bien souvent
ce sport est l'objet. Pourquoi tenter de telles ascensions, pour-
quoi utiliser les chemins les plus difficiles ? Temps perdu, énergies
et vies gâchées, telles sont les conclusions auxquelles arrivent
ceux qui jugent cette activité du dehors. Le même genre de remar-
ques s'entend à propos des rites maçonniques. Vus de l'extérieur
ils sont plus ridicules qu'inquiétants, leur spectateur se trouvant
dans l'impossibilité ontologique de les recevoir. C'est la raison
fondamentale pour laquelle, la Franc-Maçonnerie ne voulant trom-
per personne, les garde secrets. De plus, il ne faut pas oublier que
ces rites ont pour but de transformer un être. Les effets qu'ils
produisent, pour être durables et conduire à une réelle évolution
ne doivent être connus que par l'intéressé lui-même. Quel homme
se laisserait totalement pénétrer par le symbolisme, interpeller
par le rite dans le plus profond de son être, s'il savait que ses
réactions étaient épiées par des regards étrangers et critiques.
Pour tout témoin, il faut qu'il n'ait que le Grand Architecte de
l'Univers et lui-même, tout en se sentant soutenu par la présence
fraternelle d'hommes qui ont subi et qui vivent la même initiation
que lui. L'Eglise agit d'ailleurs exactement de la même façon en
veillant au caractère secret des confessions. L'engagement
solennel que prend le prêtre, l'entretien privé au cours duquel le
fidèle expose ses problèmes, constituent autant de garanties don-
nées à la personne humaine pour que les différentes phases
au travers desquelles son être va passer pour se réconcilier avec
Dieu, restent secrètes. Ainsi seront-elles vécues avec authenticité
et efficacité.

Tout ce qui vise à l'évolution de l'être humain dans e sens

49
d'une réconciliation avec Dieu ou encore, comme c'est le cas pour
la Maçonnerie, dans le sens d'une recherche d'une meilleure har-
monie avec les lois du Cosmos pour parvenir à la sagesse, tout
cela ne peut s'accomplir valablement que dans le secret des
coeurs.

Question

Dans la Constitution de la Grande Loge de France, il est écrit


« La Franc-Maçonnerie est un Ordre Initiatique traditionnel et Uni-
verse! fondé sur la Fraternité ».

Réponse

Nous voulons dire d'abord qu'elle n'est pas une église, fondée
sur une révélation, ce qui impliquerait une foi particulière. Mais
elle n'est pas non plus et ne peut pas être une société de type
profane, analogue soit à un parti politique, soit à un syndicat,
soit à un club, fût-il progressif et de bonne compagnie.

Les Francs-Maçons sont des hommes qui cherchent la vérité


ce qui implique deux idées en apparence contradictoires mais en
fait complémentaires.

La première, et pardonnez-moi cette lapalissade, c'est que


s'ils cherchent la vérité, ils ne la possèdent pas, et ne prétendent
pas la posséder d'une manière ou d'une autre. Ce qui exclut par
principe tout dogmatisme et tout fanatisme de leur part, ce qui
entraîne nécessairement chez eux, la tolérance et le respect de
la personne d'autrui.
«
La Franc-Maçonnerie, écrivait Oswald VVirth, se distingue
des églises par ce fait qu'elle ne se prétend pas en possession
de la vérité. L'enseignement Maçonnique ne comporte ni dogme,
ni credo d'aucune sorte. Chaque Franc-Maçon est appelé à cons-
truire lui-même l'édifice de ses propres convictions ».
Mais si le Franc-Maçon ne prétend pas posséder la vérité,
n'en résulte pas, par là qu'il professe un scepticisme systé-
il
matique et un laxisme de la pensée et de l'action. Aussi diver-
50
ses que soient leurs croyances religieuses et leurs convictions
métaphysiques, les Francs-Maçons se rejoignent pour affirmer
qu'il y a une vérité essentielle et primordiale dont le Grand Archi-
tecte est le symbole éternellement vivant. Et c'est cette vérité
qu'ils recherchent avec « leur âme tout entière » pour reprendre
la si belle expression de Platon.

Tel est d'abord le sens de l'initiation, celui d'une quête, d'une


recherche et d'une volonté de recherche jamais achevée. Cette
recherche s'effectue, au sein de la Loge, sorte de Maître collectif,
au moyen des rites et des symboles. Comme son étymologie l'indi-
que, l'initiation est un commencement grâce à elle il s'agit de
nous mettre en route, vers ce que nos vieux rituels appellent
la lumière. Aussi ne faut-il pas la concevoir comme une sorte
d'état, mais plutôt comme un acte, comme une longue chaîne
d'actes, comme une méthode de recherche et d'élévation spiri-
tuelle.

Cette initiation nous la poursuivons conformément à la tradi-


tion millénaire des constructeurs qui dans la pratique quotidienne
du travail et de la réflexion réalisaient en eux-mêmes et dans
leurs oeuvres, l'équilibre de la sagesse, de la force et de la beauté,
par une quête perpétuelle de la vérité et par une collaboration
constante à l'oeuvre de création. Jajouterai que l'initiation Maçon-
nique s'adresse à l'homme tout entier, certes à son intelligence
et à sa raison mais aussi à sa sensibilité et à son coeur. L'initia-
tion Maçonnique veut en principe apporter au Franc-Maçon une
connaissance niais qui ne saurait se réduire à celle, abstraite et
générale, que nous apporte la science technicienne l'initiation
;

Maconnique veLit provoquer en nOUS une émotion et susciter un


espoir. Sa finalité c'est de changer radicalement l'homme que
nous sommes, d'opérer une mutation profonde de sa structLlre
existentielle et morale, de faire naître l'homme nouveau.

Question

Mais, cet ordre initiatique, dites-vous, est traditionnel, qu'est-


ce pour vous que la tradition ? Que représente-t-elle pour un
Franc-Maçon Ecossais ?

51
Réponse
Dire de la Franc-Maçonnerie qu'elle est un ordre initiatique
et traditionnel est à la limite un pléonasme. L'idée de tradition et
celle d'initiation sont consubstantielles. Dire que la Franc-Maçon-
nerie est une société traditionnelle, c'est dire que la tradition fait
partie de sa nature même, de son essence.
Remarquons que lorsque Anderson énonçait les règles de la
Franc-Maçonnerie spéculative, il est rattachait aux règles de la
Franc-Maçonnerie opérative les Francs-Maçons opératifs eux-
mêmes respectaient les traditions, et ainsi de suite jusqu'à une
Tradition primordiale », à laquelle d'ailleurs on peut attribuer
le rôle, le statut d'un mythe. Cette expérience vécue de la tradi-
tion conduit à une sagesse, celles de ces morts dont Auguste
Comte a pu dire « qu'ils gouvernent les vivants ». Donc il nous
semble que Tradition et Franc-Maçonnerie sont synonymes. Si la
Franc-Maçonnerie perdait la tradition de ses rites d'initiation,
elle deviendrait une sorte de club politico-philosophique.
Mais une tradition a un contenu. L'idée fondamentale de la
Franc-Maçonnerie serait celle de cette voie initiatique qui passe
par la recherche du vrai, du bien et du beau :sagesse, force,
beauté, représentent dans nos rituels cette trilogie. Cette idée
de tradition initiatique qui définit la Franc-Maçonnerie contient
d'abord l'idée du secret. Le contenu d'une initiation est réservé
aux seuls initiés et la communication de ce secret aux profanes
est vaine, parce que déformante. A la limite, le secret Maçonnique
parce que initiatique est intransmissible par le seul verbe ou la
seule écriture. Pour être compris, il doit être expérimenté, c'est-à-
dire vécu. Nous trouverions ensuite la tradition d'un Rite et
d'un Rituel (en particulier les rites d'ouvertures et de fermetures
qLii ont pour fonction de séparer le monde « sacré » du monde
« profane »). N'oublions pas que le lieu où se réunissent les Maçons
est un Temple et que ce Temple a été consacré. Nous trouverions
encore la tradition des degrés dans 'initiation elle-même, ici,
Apprentis, Compagnons et Maîtres et enfin la pratique du symbo-
lisme. Tradition et symbolisme s'impliquent réciproquement : une
tradition transmet des symboles et réciproquement, une symbo-
lique n'a de sens que par une tradition.

Ouestion
Mais qu'est-ce qui ferait l'originalité de la tradition initiatique
de la Franc-Maçonnerie ?

52

I
Réponse
L'originalité, le caractère propre de la tradition Maçonnique.
ce serait sans doute de refuser l'opposition absolue entre science
et sagesse, contemplation et action, matière et esprit. Vous avez
pu remarquer que les symboles propres à la tradition Maçonnique
sont principalement des outils (1) la règle, l'équerre, le compas,
;

le maillet..., instruments d'une technique qui repose sur des


sciences comme la géométrie ou l'arithmétique et vous savez
comme moi selon une formule désormais célèbre que l'homme
avant d'être « homo sapiens » a été « homo faber '. C'est par la
fabrication et l'utilisation des outils que l'homme est devenu
animal raisonnable, c'est-à-dire un homme véritable. Aussi bien
l'usage symbolique des outils dans le travail Maçonnique est-il
essentiel à notre tradition. De plus, la tradition Maçonnique
exprime une attitude fondamentale de l'homme occidental, attitude
que nous retrouverions d'ailleurs dans ses traditions religieuses
et philosophiques et qui consiste non pas à opposer l'esprit et la
matière et à essayer de dépasser celle-ci en la niant et en s'ins-
tallant dans un vague et hypothétique « Nirvana », mais en
s'efforçant de connaître sa structure et son fonctionnement pour
la dominer et la transformer selon les lois de l'esprit lui-même.
Ce qui amène ce même homme, et le Franc-Maçon en est comme
la vivante incarnation, non plus à séparer radicalement et à
opposer absolument, la contemplation et l'action mais au contraire
à les concilier et à les unir. Cette idée de contemplation, de
connaissance et cette idée d'action impliquent l'idée de liberté,
de la liberté de la pensée et de la liberté de l'action. Ici, on peut
faire remarquer que la Franc-Maçonnerie a recueilli l'héritage du
siècle des lumières qui est celui de sa naissance en tant que
Franc-Maçonnerie spéculative, mais aussi celui de la Franc-
Maçonnerie opérative : un Franc-Maçon c'est un Maçon libre.
Ainsi cette idée de liberté nous semble l'idée essentielle qui
éclaire l'ensemble de toute la tradition Maçonnique.

(1) Certes, il y a dans la symbolique Maçonnique des symboles qui appar-


tiennent à d'autres catégories.
NOTE : Seuls des esprits mal informés de la nature de la tradition Maçonnique
peuvent voir dans l'invocation au Grand Architecte de 'Univers, symbole
de la souveraineté du Logos et de la présence du Volume de la Loi Sacrée,
symbole de la tradition nitiatique, un obstacle à la libre pratique de leur
recherche initiatique a leur démarche vers la connaissance.

53
Parvis du Temple Franklin Roosevelt.

54
Question

A plusieurs reprises, vous avez prononcé le mot de symbole,


symbolisme, symbolique. Quelle est selon vous le caractère du
symbolisme Maçonnique et quelle est sa valeur ? Quelle est
aussi son origine ?

Réponse

Le symbolisme Maçonnique na pas une origine mais cii a


plusieurs. Les symboles Maçonniques sont d'abord empruntés à
l'art de bâtir, par exemple l'équerre, le compas, la règle, le maillet...
D'autres troLivent leur origine dans la religion judaïque et chré-
tienne comme le triangle, le delta lumineux, le pavé mosaïque,
la chaire du Roi Salomon... et d'autres dans la tradition hermé-
tique et alchimique, comme les quatre éléments, la terre, l'air,
l'eau, le feu, ou bien le sel, le soufre et le mercure. N'oublions
pas aussi les symboles chevaleresques comme les épées, les
cordons, l'aigle... Vous voyez que la symbolique Maçonnique est
très riche et se rattache à des traditions multiples et diverses.
Mais plutôt que de me livrer à une interminable énumération, je
voudrais avec vous m'interroger sur sa signification. Car compren-
dre la signification du symbolisme, c'est comprendre ce qu'est
et ce que veut être la Franc-Maçonnerie spéculative. Les diction-
naires nous disent qu'un symbole est un signe de reconnaissance
formé par les deux moitiés d'un objet que l'on rapproche, qu'il
est par extension, un signe concret qui évoque quelque chose
d'absent ou d'impossible à percevoir. Tout symbole comporte
et réunit deux moitiés ou deux parties, l'une, si vous me
permettez ce jargon, que l'on appelle le signifiant, l'aLitre
que l'on appelle le signifié. Le signifiant, c'est la moitié visible
du symbole, par exemple, cette équerre, ce compas que je
vois, que je touche. Le signifié, ce à quoi renvoie le signifiant,
c'est la moitié invisible, ineffable, ce qui positivement ne
peut être vu, nommé mais seulement évoqué, suggéré. Ainsi
tout symbole a deux caractères il est à la fois fragmen-
:

taire et complémentaire. Il est un fragment d'être qui renvoie à


l'Etre : et d'abord à cet être du sLijet que je ne peux pas saisir
objectivement, je veux dire ma conscience, c'est-à-dire ma liberté.
Dans la connaissance symbolique je fais chaque fois l'expérience
de ma liberté, comme libre interprétation. Le symbole renvoie
ensuite cet au-delà de l'objet, c'est-à-dire à cette structure ton-

55
damentale des choses que je ne peux jamais saisir totalement et
appréhender positivement. Peut-être à ce que Platon appelait l'idée
du Bien, peut-être à l'Archetype fondamental, à ce que les méta-
physiciens du XVIIe siècle appelaient l'Etre. Ce signifiant, cet
être fragmentaire, renvoie à son complémentaire, au signifié, au
grand Tout, au Cosmos, à 'Etre lui-même. Le symbole est ainsi
un fragment de vérité qui renvoie à la Vérité. C'est un fragment
d'être qui renvoie à l'Etre. Et si dans notre vie quotidienne nous
vivons dans le fini, la pensée symbolique nous permet d'accéder
à l'infini, que celui-ci soit du côté du Cosmos ou du côté de
I 'Esprit.

La pensée symbolique est une pensée qui par définition est


ouverte, ouverte à tout ce qui dépasse l'homme et qui permet
à celui-ci, par cette ouverture, de se dépasser. Or, dans notre
monde et dans notre civilisation peut-on sauver l'homme sans
faire appel à ce qui les dépasse ? Nous ne le pensons pas. La Franc-
Maconnerie écossaise traditionnelle veut être le lieu spirituel
de ce dépassement, la voie de cette espérance.

Question

La Franc-Maçonnerie est universelle. En quoi consiste cette


universalité ?

Réponse

Nous disons que la Franc-Maçonnerie est universelle. Elle


n'est pas internationale. Nous voulons dire qu'il n'existe aucun
organisme international supérieur aux Grandes Loges. Celles-ci
assurent, chacune sur leur territoire, le maintien de la tradition
initiatique. Les Conférences internationales peuvent réunir les
Grands Maîtres de ces Grandes Loges mais elles n'ont aucun droit
d'ingérence dans les affaires intérieures des Obédiences. En
disant que la Franc-Maçonnerie est universelle, nous voulons dire
que notre Ordre applique dans sa configuration matérielle, les
principes moraux et spirituels qui constitLlent son âme. Elle réunit
des Frères dans un effort initiatique commun par une méthode
symbolique commune. Mais alors que l'universalité pour certaines
institutions passe par la croyance et l'acceptation d'un dogme

56

I
religieux ou idéologique, pour la Franc-Maçonnerie, l'universalité
passe par la liberté de ccnscience et repose sur elle ; le Franc-
Maçon est un homme libre dans sa Loge libre. Il s'agit par cette
liberté et dans cette liberté de « réunir ce qui est épars » et de
réaliser ainsi le « centre de l'union » « par une amitié vraie entre
des personnes qui aUraient dû rester éloignées les unes des
autres ».

Question

Monsieur, dans l'histoire on a souvent opposé les Eglises, et


surtout l'Eglise catholique romaine et la Franc-Maçonnerie. Est-ce
qu'il y a selon vous une incompatibilité entre la foi religieuse en
général et la Franc-Maçonnerie?

Réponse

Pour beaucoup de gens encore, foi chrétienne et Franc-


Maçonnerie sont incompatibles. La liberté de conscience prônée
par notre Ordre, son excommunication par le Pape au XVllle siècle,
ses combats contre le cléricalisme à la fin du siècle dernier appa-
raissent comme autant de preuves d'une opposition irréductible,
Certes le public intéressé par ces questions sait que des contacts
officiels ont été renoués entre les Eglises et la Franc-Maçonnerie
comme en a témoigné en juin 1971 la visite à la Grande Loge de
France de Monseigneur Daniel Pézeril, évêque auxiliaire de Paris.
Mais ce même public a entendu récemment les paroles d'un autre
évêque, en rupture de ban avec Rome certes, clouant la Maçon-
nerie au pilori, sous l'accusation éculée de satanisme. Le côté
fanatique et extravagant de pareils propos n'a pas échappé bien
sûr aux esprits avertis. Mais nous sommes « payés » pour savoir,
nous autres maçons qu'il reste toujours quelque chose des calom-
nies que l'on profère, surtout quand celles-ci sont de taille, Peut-
être ne croira-t-on pas que les messes noires constituent une des
pratiques habituelles des Loges, mais on risque d'en déduire qu'il
n'y a pas de fumée sans feu et de voir ainsi dans de semblables
accusations le reflet d'une inimitié essentielle entre la démarche
maçonnique et celle de la foi.
Pour tenter d'y voir plus clair, il est bon ce me semble de

57
faire en premier lieu un bref rappel historiqLie. Les fondateurs de
la Franc-Maçonnerie spéculative, les pasteurs Anderson et Désa-
guliers étaient des chrétiens convaincus. L'obligation faite aux
maçons de croire en Dieu est d'ailleurs inscrite à l'article de I

leurs Constitutions. Et ce n'est certes pas l'esprit maçonnique


qui vida les loges de leurs éléments catholiques dans nos pays
latins, mais tout simplement la bulle pontificale d'excommunica-
tion. Encore fallut-il attendre plus d'un siècle puisqu'en 1867 le
Grand Orient de France commandait une messe à Notre-[)ame
pour les obsèques de son Grand Maître, le Maréchal Magnaii.
Pendant très longtemps on a donc pu être chrétien et même
chrétien catholique romain et appartenir à une Loge maçonnique
sans se trouver gêné. Les conflits qui ont pu survenir par la suite
viennent beaucoup plus d'une évolution contre-nature de l'Eglise
et de la Franc-Maçonnerie que d'une opposition essentielle.

Expliquons-nous. L'Eglise catholique romaine, la seule à être


entrée en conflit ouvert avec les Loges a cru utile d'accroître son
autoritarisme au cours du XlX siècle. Le point culminant est incon-
testablement le règne de Pie IX, avec des textes comme le Sylla-
bus, l'Encyclique QUANTA CURA et surtout le vote lors du
1er Concile du Vatican du dogme de l'Infaillibilité pontificale, venant
couronner les luttes séculaires de la Papauté pour faire triompher
sa primauté. Le dogme déjà considéré comme infaillible, c'est-à-
dire comme expression absolue et totale de la Vérité, donc irréfor-
mable, pouvait maintenant être proclamé, non plus par le Concile
oecuménique seulement mais par le Pape seul, ce qui renforçait
encore le côté arbitraire. QLioi d'étonnant alors de voir le clérica-
lisme de l'Eglise catholique s'accentuer. C'était là, la conséquence
d'une « vaticanisation » outrancière de l'Eglise et d'un renforce-
ment abusif de la puissance papale.

Aussi quand les maçons de nos pays latins se sont opposés


à une pareille Eglise au nom de la démarche initiatique impliquant
une recherche permanente de la Vérité, incompatible donc avec
le catholicisme autoritaire et dogmatique dont je viens de parler,
ils ne se sont pas véritablement attaqués à la foi chrétienne mais
à des abus de cette foi. D'autres chrétiens, les protestants s'étaient
opposés à l'autoritarisme du Pape et aux implications théologi-
ques qu'il entraînait. En proclamant le principe de l'autorité de
'Ecriture Seule, Martin Luther replaçait le dogme à une place
qu'il n'aLirait jamais dû quitter, celle du point de repère pour

58
l'esprit. Fait de mots humains empreint dans sa forme d'une
logique humaine, soumis constamment à la Parole de Dieu, un
tel point de repère ne saurait être infaillible. L'adhésion qu'il
réclame ne signifie donc pas pour l'esprit un arrêt de la réflexion
mais en fait une étape dans la recherche incessante d'une formu-
lation toujours à améliorer de la Vérité. Cette conception dLl
dogme, beaucoup plus conforme à la foi, au Dieu de la Bible dont
le Nom est imprononçable est actuellement partagée par de nom-
breux catholiques. La foi chrétienne est donc revenue à une cer-
taille pureté dans une dimension oecuménique et apparaît dans
cette forme-là comme parfaitement compatible avec une quête
initiatique.

Encore faut-il qu'il s'agisse vraiment d'une quête initiatique,


c'est-à-dire que la Maçonnerie qui la propose soit restée fidèle à
ses traditions et à ses « Devoirs '>. Quel que soit le nom qu'on leur
donne, la Maçonnerie traditionnelle a des règles.

On objectera peut-être, que celles qui regardent la Maçon-


nerie sont d'ordre rationnel, ce qui n'est pas toujours le cas
pour la religion. C'est vrai, et nous touchons là une différence
essentielle de la méthode entre le cheminement initiatique et
le cheminement religieux. L'initiation fait en effet d'abord appel à
une recherche personnelle à l'aide de la raison alors que la reli-
gion sollicite la foi à partir de l'annonce d'une révélation. L'une
utilisera des symboles, l'autre plus volontiers des énoncés théolo-
giques pour stimuler l'esprit. Dans le premier cas on parlera sur-
tout de l'homme et de ses rapports avec l'univers, dans l'autre,
de Dieu et de ses interventions dans l'Histoire. Un exemple précis
peut, me semble-t-il, illustrer cela. Dans les loges qui travaillent
au Rite Ecossais et qui sont fidèles à la Tradition, le Volume de la
Loi Sacrée, une des Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçon-
nerie, est la Bible. Disons nettement qu'à ce rite, il ne peut être
que la Bible et voici pourquoi : tout le symbolisme dLl rituel écos-
sais est emprLlnté à la Bible comme l'essentiel des récits qui illus-
trent les passages du grade. Il est donc logique que ce livre repré-
sente en loge la Tradition et on prête serment sur lui dans les
occasions solennelles. Mais entendons-nous bien, au niveau
maçonnique, il n'est pas demandé de reconnaître en lui la Parole
de Dieu révélée. Une pareille reconnaissance est du domaine
de la foi. Si d'aventure la Franc-Maçonnerie la demandait, elle
flLftait à sa mission universelle en éliminant des spiritualités qui

59
refuseraient de reconnaître la Bible comme Parole de Dieu, et
elle empiétrait sur le domaine de l'Eglise qui seule a autorité
pour prendre des positions théologiques. Et, dire que la Bible
est la Parole de Dieu, est une affirmation théologique fonda-
mentale, soulevant immédiatement différentes questions quant à
la façon de la comprendre, questions sur lesquelles les Eglises
et les théologiens ont effectivement à prendre position, mais cer-
tainement pas les Francs-Maçons en tant que tels. La Franc-
Maçonnerie doit rester un « Centre d'Union » et interdire dans
ses loges tout ce qui peut diviser et opposer les hommes. C'est
la raison pour laquelle la Grande Loge de France ne demande aucun
engagement de type religieux. Elle respecte trop l'Eglise pour cela.
Voilà, à très gros traits, les différences de démarches. Il appa-
raît alors clairement, me semble-t-il que celles-ci ne s'opposent
et ne s'excluent nullement, car le symbolisme n'est constructif
que s'il s'appuie sur une tradition et la théologie ne remplit sa
fonction que si elle ne se sclérose pas dans un dogmatisme
aveugle. Quand au but, il est sensiblement le même et peut être
résumé ainsi la connaissance de l'Ordre qui nous régit, et l

vie en harmonie avec celui-ci au fur et à mesure des progrès


que nous accomplissons dans sa connaissance. Si nous restons
sur le strict plan maçonnique, nous parlerons alors de progrès
dans la voie de l'initiation, progrès dans la connaissance de Dieu,
ajoutera le chrétien.

Dans le temps de crise que nous connaissons en ce moment,


il serait utile pour l'humanité que les voies initiatiques et reli-
gieuses soient de plus en plus vécues ensemble par les mêmes
individus. Ce ne serait là d'ailleurs qu'LIn retour aux origines
qui ne pourrait qu'être prometteur dans la préparation du lende-
main spirituel.

Question

Dans les Constitutions d'Anderson, c'est la première phrase,


il est écrit que « Le Maçon est tenu par son obligation d'obéir à
la Loi Morale «. Y aurait-il une morale qui serait particulière à la
Franc-Maçonnerie ? Que peut signifier pour un Franc-Maçon cette
expression « Loi Morale » ?

60
Réponse

Je répondrai d'abord à votre première question et au risque


de vous décevoir je répondrai, non. Non, il n'y a pas de morale
particulière au Franc-Maçon si l'on veut dire que le Franc-Maçon
posséderait un « truc » (pardonnez-moi ce mot), une sorte de
système D qui lui permettrait de résoudre immédiatement et
par une sorte de miracle, les difficultés morales auxquelles il
se trouve confronté, comme tous les autres hommes. Non
encore, si l'on veut dire que le Franc-Maçon est obligé de se sou-
mettre aveUglément et « comme un cadavre » à une autorité supé-
rieure qui lui dicterait des ordres autorité qui découlerait
elle-même d'une doctrine, d'un système métaphysique quelcon-
que, d'une croyance religieuse, d'un engagement idéologique.
Dans l'ordre de la connaissance comme dans celui de l'action,
le Franc-Maçon est un homme libre. Il ne se soumet et ne saurait
se soumettre qu'à sa conscience, et aux Valeurs que cette
conscience libre découvre et reconnaît au cours de sa quête
initiatique.
La morale du Franc-Maçon découle donc de la démarche ini-
tiatique. Elle est liée au progrès de la conscience elle-même, à
celui de la connaissance, étant encore une fois entendu que cette
connaissance ne se réduit pas et ne saurait se réduire à la science
positive et technicienne.
Dans La Loge, à l'abri des agitations du monde, par la pratique
rigoureLise du rituel et grâce à l'outillage symbolique, le Franc-
Maçon, avec ses Frères, va à la conquête de sa raison et de sa
volonté, de son esprit, c'est-à-dire de son être vrai. Et c'est ainsi
qu'il passe de la servitude à la liberté. La morale Maçonnique est
d'abord un apprentissage de la liberté. Mais là encore, cette liberté,
fruit de cet effort méthodique et de cette longue patience, ne signifie
pas pour le Franc-Maçon, le déferlement incontrôlé des puissances
inférieures du moi, e défoulement débridé de sa libido, le relâ-
chement de toutes ses frénésies, encore moins la réalisation de
sa volonté de puissance. Cette liberté, ou si vous préférez cette
libération, fruit de la connaissance, elle signifie maîtrise héroïque
de soi, domination de ses instincts et de ses passions. Et c'est
peut-être, parce que e Franc-Maçon a appris à se dominer, à se
maîtriser, à faire régner en lui « l'ordre intérieur », qu'il peut
écouter l'autre et s'ouvrir à lui. C'est parce qu'il a fait « amitié
avec soi » qu'il peut faire « amitié avec l'autre », avec tous les
autres.

61
En ce sens la morale Maçonnique est l'apprentissage de la
fraternité.
C'est parce qu'il a réalisé en lui l'équilibre et l'harmonie, qu'il
peut les apporter au monde et aux autres hommes.
Vous voyez donc, Monsieur, qu'il ne s'agit pas pour nous de
dicter une conduite, il ne s'agit pas de prêcher, il s'agit de propo-
ser des exemples, il s'ag,it d'aqjr. Me confondons pas moae
authentique avec le moralisme et avec la moralisation qui n'en
sont que la caricature. Vous voyez aussi qu'il ne s'agit pas égale-
ment pour nous d'inventer de nouvelles normes de conduite ou de
nouvelles valeurs. Mais il s'agit d'inviter tout homme à la réflexion
et par un effort incessant de la volonté, par une recherche métho-
dique et ordonnée de l'esprit et du coeur, d'inciter cet homme à
retrouver la Loi Universelle et éternelle de Vérité, et d'Amour,
inscrite dans la conscience de tout homme de bonne volonté.
Voilà notre Loi Morale. Cette épuration, cette clarification est la
première condition de toute action, qui se veut morale. C'est parce
que le Franc-Maçon a fait triompher en lui la lumière, cette lumière
qui l'éclaire et le transforme, qu'il peut ensuite apporter au monde
un peu de cette lumière, pour éclairer et transformer ce monde.
Mais me direz-voUs, tout cela tient du rêve et de l'utopie plus que
de la réalité. Sans doute. Mais déjà, il y a 25 siècles, le divin
Platon dans la RépLiblique, remarquait que la « science des sages
était inutile parce que l'on se refLisait à l'utiliser ». Même si
aujourd'hui comme hier, le spectacle que nous offre le monde, lui
montre la distance entre ce qui devrait être et ce qui est, entre
l'idéal auquel il aspire et la sombre et triste réalité, le Franc-
Maçon ne renonce pas et ne saurait renoncer à son « utopie » et
à son « rêve », celui d'une humanité enfin réconciliée avec elle-
même, dans la justice et dans la liberté. La Morale du Franc-
Maçon, elle est faite de cette générosité, de cette foi et de cette
espérance. « Les passions sont tristes, la haine est triste, a pu
écrire un moraliste. La générosité et la joie vaincront les passions
et la haine ». La Morale Maçonnique, elle est et surtout elle veut
être l'exaltation de cette générosité et de cette joie, qui entraî-
tiera la libération profonde de tous les hommes.

62
PÊRENNITÉ ET ACTUALITÊ
DES CONSTITUTIONS D'ANDERSON
ET DE
LA FRANC-MAÇONNERIE

Tout au long de ces pages, nous avons étudié l'histoire de la


Franc-Maçonnerie, et flOUS avons essayé de dégager les principes
fondamentaux à partir desquels elle s'est constituée. Nous avons
pu constater qu'au XVllle siècle, cette « très ancienne et très res-
pectable confrérie », connaît un développement considérable en
Angleterre et en Europe, d'abord, puis dans le monde entier. On
peut se demander pourquoi, et essayer de formuler une réponse à
cette question, car l'universalité et la pérennité de la Franc-Maçon-
nerie, manifestent quelque signification. Aussi, nous paraît-il indis-
pensable de rappeler quelques faits historiques importants. Sou-
venons-nous en effet que, au XVIe siècle, la chrétienté voit son
unité brisée par la Réforme. En 1520, LLlther est excommunié et
la confession d'Augsbourg rejette l'autorité du Pape. En 1530,
Calvin publie à Genève, « L'institution de la Religion chrétienne
En 1534, l'Acte de Suprématie fait du roi d'Angleterre, le chef de
l'Eglise Anglicane. Enfin à partir de 1534, se développe la Contre-
Réforme qui aboutira au Concile de Trente (1545-1563) origine de
l'Eglise catholique romaine moderne. Cette crise déclenchée par
la Réforme est une crise de civilisation et se prolonge pendant
toute le XVll siècle. Elle ravage les nations et déchire les âmes.
L'ELlrope tout entière semble aller au chaos et se précipiter dans
le néant. « Je voyais, écrit un contemporain (1), dans l'univers

(1) Grotius : De jure belli et pacis.

63
chrétien, une débauche de guerres qui eût fait honte aux nations
es plus barbares ». Et Paul Hazard peut écrire avec raison, dans
« La crise de la conscience européenne » « Dès que l'on considère
'J'jÇ. 5\ 'aç
morale a été rompue ses habitants sont divisés en deux partis
qui s'affrontent. Guerres, persécutions, disputes, injures, sont la
vie quotidienne de ces Frères ennemis

Certes, parmi ces « Frères ennemis », parmi ces chrétiens


et ces hommes il en est qui sont conscients de l'absurdité de ces
querelles et qui redoutent les ruines matérielles et morales qu'en-
traînent ces guerres fratricides pour l'Europe et pour l'humanité.
Aussi, vont-ils s'efforcer de donner à nouveau aux « Chrétiens », le
sentiment de 'eur communion, et aux « Européens », cetui de teur
commune civilisation. LI faudrait mentionner en particulier, t'en-
treprise du philosophe Leibniz qui veut réunir les églises entre
elles, d'abord les églises protestantes, puis celles-ci à l'Eglise
catholique romaine ; « il n'y a point de doute que l'amour de Dieu
et la charité devraient porter tous les chrétiens à renoncer aux
schismes et à rétablir l'union » écrivait-il. Et Bossuet, le catho-
lique, de lui répondre « Puisse cette année vous être heureuse
à vous et à tous ceLix qui recherchent l'union des chrétiens «.

Or, l'entreprise de réunification des églises se soldera par


un échec. « La raison du XVlle siècle est impuissante à restaurer
le rêve de l'unité chrétienne brisée par la Réforme », écrira Léon
Brunschwicg. Cet échec était-il dû à la mauvaise volonté des uns
et des autres ? Il ne le semble pas. Mais, nous pensons que l'erreur
de Leizniz, celles des pasteurs réformés et celles des prélats
catholiques, comme Bossuet, était de vouloir réconcilier les diffé-
rentes églises, en tant qu'institutions et les différentes religions
en tant que systèmes. En fait, on ne peut jamais concilier les
systèmes religieux (pas plus d'ailleurs que les systèmes idéolo-
giques), sinon dans le plus superficiel des syncrétismes, et on
ne peut refaire l'unité des Institutions, sinon dans la plus vague
des confusions. Mais si l'Unité des Eglises ne peut être réalisée,
ne peut-on réaliser l'union des chrétiens eux-mêmes, quelles que
soient leur confession, ne peut-on réaliser l'union entre les hommes
quelle que soit leur croyance. Or, n'est-ce pas cette union des
chrétiens et des personnes qu'avait su réaliser la Franc-Maçonnerie
opérative, au sein même de la Loge ? N'est-ce pas cette réconci-
liation des hommes que s'efforcera de réaliser la Franc-Maçonnerie
spéculative et que réaliseront ces Loges de Maçons « Francs et
64
Acceptés », où nous voyons se côtoyer des anglicans, des protes-
tants, des catholiques, les partisans du roi et ceux du parlement ?
Autrement dit, si la réunification ne pouvait pas passer par les
églises en tant que telles, elle pouvait passer par les personnes.
Mais à une condition essentielle qui manquait à beaucoup d'hom-
mes de ce temps. Cette condition, cette idée, et nous serions
tentés d'écrire cet outil, qui manquait à la plupart des hommes
de cette époqLle, c'était l'idée de tolérance, l'idée de liberté de
conscience. C'est par l'idée de tolérance, l'idée de liberté de la
pensée, que passera le chemin de la réconciliation et de 'union.
Et nul sans doute, n'a mieux exprimé cette opinion que Locke qui,
dans sa célèbre « Lettre sur la Tolérance », écrivait : « PLiisque vous
me demandez mon opinion sur la tolérance réciproque, je vous
répondrai que c'est le principal critère de la véritable église
Aussi on peut, on doit laisser à chacun « le soin de sa propre
âme », aucune église, aucun pouvoir ne pouvant légitimement
me forcer d'adhérer à des vérités qui ne me semblent pas évi-
dentes. Et parallèlement, sur le plan politique, si certains, comme
Hobbes ou Bossuet, estiment que l'on ne peut retrouver la paix
civile que par l'absolutisme, d'autres affirmeront que seule la
liberté de pensée est la condition de la paix et de l'union (1).
On ne cherchera pas à réaliser l'union des chrétiens et des
hommes en les soumettant à un dogme, pas plus qu'on ne cher-
chera à réaliser leur unité en les soumettant à une autorité absolue.
La réconciliation universelle passe nécessairement par la liberté
de conscience. C'est grâce à cette liberté que la Franc-Maçonnerie
deviendra le « Centre de l'Union ». Telle est la première signifi-
cation de ces Constitutions d'Anderson qui vont devenir la charte
de la Franc-Maçonnerie universelle. Et si ce message nous apparaît
toujours vivant, toujours actuel, c'est qu'il exprime ce besoin
incoercible de la liberté, qui habitait l'âme de l'homme du XVIIIe
siècle, comme il habite l'âme de l'homme de notre temps. Or à
notre époque, au dogmatisme des religions révélées et au fana-
tisme qu'il entraînait, s'est souvent substitué le totalitarisme des
idéologies, celle de l'Etat et celle de la Classe, celle de la Race
et celle du Surhomme, sans oublier celle de nos systèmes tech-
nocratiques. Ces idéologies, qui se parent abusivement du nom
de « sciences » sont, comme on l'a dit très justement, « la peste

(1) Note cf. Spinoza. Traité théologico-Politique ch. 20. « On établit que
:

dans un état libre, chacun a le droit de penser ce qu'il veut et de dire ce


qu'il pense

65
noire de notre temps ». (R. Ruyer). Ces idéologies totalitaires
menacent l'homme, même si à travers des artifices de langage,
elles prétendent le libérer. li s'agit pour le Franc-Maçon d'affirmer
les droits inaliénables de la personne humaine, li s'agit de les
affirmer mais aussi de s'armer moralement et spirituellement pour
les défendre et les sauvegarder. Il s'agit d'affirmer la liberté de
l'homme en face de tout ce qui l'écrase et de la sauver, aujour-
d'hui comme hier.
Mais, si elle affirme d'une manière indiscutable les droits
de la pensée libre, la Franc-Maçonnerie, dans ses « Devoirs » (1)
affirme aussi « La Loi Morale » « Un Maçon est tenu par son
état d'obéir à la Loi Morale », Devoirs de 1723, et dans la version
de 1738, il est précisé que le Franc-Maçon n'agira jamais « Contre
sa conscience ». On affirme donc la Loi Morale « Toujours vivante
au coeur des hommes qui sans elle, seraient retournés à l'état
de bestialité » (2). Mais cette Loi Morale, ne saurait résulter du
dogme de telle ou telle religion particulière, ni d'un système
métaphysique quelconque. Elle ne saurait non plus résulter des
Sciences, et des Sciences humaines en particulier. Celles-ci,
comme toutes les sciences, nous renseignent plus ou moins bien
sur ce qui est elles ne sauraient nous dire ce qui doit être, elles
ne sauraient nous dicter notre devoir. La Loi Morale émane de
la conscience morale elle-même, juge de ce qui est bien ou mal.
Tout homme porte en lui-même des vérités morales, il n'a donc
pas à les apprendre du dehors, mais à les découvrir en réfléchis-
sant sur ce qui le constitue, c'est-à-dire sur le Devoir principe
même de tous ses jugements. (Ainsi la connaissance de ce que
nous devons faire, c'est-à-dire de ce que peut notre liberté, ne
dérive ni de la religion entendue comme un dogme extérieur
à nous-même, ni d'un système métaphysique, ni d'une connais-
sance scientifiqLle elle émane de la conscience elle-même).
Et c'est en ce sens que cet impératif du devoir, se distingue
fondamentalement de la contrainte qui est toujours extérieure et
lui substitue l'obligation, signe de notre liberté intérieure. Cette
liberté qui s'affirme dans la Loi Morale, met l'homme à l'abri de
tous ces dirigismes totalitaires qui veulent réglementer ce qu'il
faLit dire, lire, penser et faire, cependant que la Loi Morale, fonde-
ment de la liberté, met l'homme à l'abri de tous les pseudo-libé-

On appelle « C.harges « en Anglais, ou Devoirs » en Français, les


Constitutions d'Anderson.
Richard Dupuy « La Foi d'un Franc-Maçon

66
ralismes de la transgression systématique, de l'aventure hagarde
et débridée, dont notre époque nous donne si souvent l'exemple.
Pour le Franc-Maçon, il ne saurait y avoir de vie humaine véritable
sans liberté, mais il ne saurait également y avoir de vie humaine
véritable, sans loi morale, c'est-à-dire sans un principe auquel il
juge de se soumettre librement. Et c'est en ce sens qu'il faut
selon nous, comprendre, l'article 1er des Constitutions d'Anderson
quand il est affirmé que, « s'il comprend bien l'Art, le Franc-
Maçon ne sera jamais un athée stupide, ni un liberté irréligieux
Ici le Grand Architecte de l'Univers devient le fondement
même de notre Loi Morale et de notre Liberté, le Postulat fonda-
mental qui soutient tout l'édifice. N'est-il pas significatif de l'état
d'esprit, de la « mentalité » du XVIIIe siècle, qui fut le siècle des
« Lumières » et de la Franc-Maçonnerie, ce jugement du philo-
sophe Emmanuel Kant : « Deux choses remplissent le coeur d'Une
admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours
croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique
le ciel étoilé au-dessus de moi, la Loi Morale en moi ». Ce ciel
étoilé, ce Cosmos aux dimensions infinies et à la structure ordon-
née, toujours symbolisé en Loge par la voûte étoilée, oeuvre du
Grand Architecte, cette Loi Morale, inscrite au coeur de chaque
Franc-Maçon et symbolisée dans chaque Loge par le Volume de
la Loi Sacrée.
Mais ces principes, la « Liberté de conscience », la « Loi
Morale », « Le Grand Architecte de l'Univers », affirmés par la
Franc-Maçonnerie Universelle, ne seraient-ils pas périmés, « dépas-
sés «, comme disent aujourd'hui les esprits « distingués », en
cette fin du XXe siècle, après les fantastiques progrès des sciences
et des techniques ? Nous ne le pensons pas. Nous croyons au
contraire que, même s'il ne sont admis et acceptés qu'à titre de
postulats, ils sont indispensables à l'homme de notre temps et
qu'ils peuvent seuls, sauver cet homme de l'inquiétude et du
désespoir. Aujourd'hui comme hier, on ne peut sauver l'homme,
sans faire appel à cet idéal de vérité et de liberté, de justice et
d'amour qui le définit, le qualifie et le distingue de tous les
autres êtres de la nature.
Ainsi la Franc-Maçonnerie veut répondre aux problèmes de
l'homme historique, de l'homme inséré dans une société et dans
un temps. Tout homme est un être social, un « animal politique
inséré dans une société, membre d'une communauté, et comme
tel confronté à des problèmes d'ordre social et politique. Mais

67
l'homme ne se réduit pas à cette seule dimension. Il est aussi
dirions-nous, un être métaphysique « Un néant à l'égard de l'infini,
un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout », comme
l'écrit Pascal, et par là même confronté aux problèmes éternels
de sa situation métaphysique, c'est-à-dire à ceux du fini et de
l'infini, à ceux du temps et de l'éternité, à celui de sa mort et
de sa vie spirituelle, et pourquoi pas aux problèmes de l'amour
et du bonheur.
Dans ce domaine, comme dans les aLitres, la Franc-Maçonne-
rie ne veut pas et ne prétend pas nous apporter une solution toute
faite et définitive. Mais grâce à l'esprit même de sa symbolique
et à la réflexion qu'elle entraîne, grâce à ses rites d'initiation et
à la signification qu'elle invite à découvrir, la Franc-Maçonnerie
peut proposer un « Chemin », une méthode. Elle veut aussi faire
naître une espérance, celle de l'homme retrouvé dans sa véritable
dimension spirituelle.
C'est dans les Loges de Francs-Maçons opératifs d'abord, dans
les Loges de Francs-Maçons spéculatifs ensuite, que s'est forgé
en partie le monde d'aujourd'hui et qu'ont été défini les principes
fondamentaux, sur lesquels il repose et à partir desquels il
s'ordonne.

C'est dans les Loges Maçonniques que s'est peu à peu édifié
l'homme d'aujourd'hui, dans sa double dimension, temporelle et
spirituelle. Pourquoi les Loges Maçonniques ne seraient-elles pas
encore le lieu privilégié, le lieu spirituel, où des hommes de
bonne volonté, soucieux de liberté et de vérité, de justice et
d'amour, travailleraient dans une communion fraternelle à l'édi-
fication du monde de demain, et à celle de l'homme lui-même.
Alors nous verrions naître cette Nouvelle Jérusalem et nous pour-
rions dire comme Jean « il eSsLliera toutes les larmes de leurs
:

yeux, et la mort ne sera plus et il n'y aura plus, ni deuil, ni cri,


ni douleur ».
Au travail et espérons.

68
ORIENTATION
BIBLIOGRAPHIQUE

Le seul ouvrage d'ensemble existant reste celui de WOLFSTIEG


(August) Bibliographie der Freimaurerei, und der freimaurerische
Literatur, 1911-1926, réédition photomécanique 1964 chez Georg
Olms, Hildesheim, RFA. 2 vol. + 1 vol. d'index + 1 supplément.
Ce livre n'est malheureusement plus à jour, alors que le sujet
est presque totalement renouvelé. Mais il reste indispensable sur
de nombreux points monographiques. On est en droit d'attendre
un complément dont le besoin se fait de plus en plus sentir.

Pour une étude générale sommaire


On aura une vue perspective en lisant l'article d'environ
2 000 mots publié sous le titre Franc-Maçonnerie dans l'Encyclo-
pédie Alpha (fascicule 1113). Ce texte, qui est vraisemblablement
oeuvre collective, heurte les spécialistes par quelques contre-vérités
patentes. C'est ainsi qu'il affirme, par exemple, à propos des
Constitutions d'Anderson « On y voit apparaître, fait très impor-
tant à l'époque, le principe de la liberté absolue de conscience »
et à propos de l'histoire de l'ordre maçonnique au xixe siècle
« Si la franc-maçonnerie française, qui a pu naître sous l'absolu-
tisme monarchique, a préparé la Révolution française, la maçon-
nerie impériale, qui devait tant à la Révolution, a contribué à la
création de la iiie République dans laquelle elle voyait l'incar-
nation de sa vocation progressiste et de son refus de s'incruster
dans le passé. » L'esquisse historique qui précède pourra permettre

69
les rectifications nécessaires dont il faut espérer qu'elles seront
apportées dans une édition prochaine. Le reste de l'article est plus
sérieux et fournira l'essentiel de l'essentiel à l'amateur pressé.
Parmi les ouvrages d'ensemble les plus courants et de petit
format nous citerons
Paul NAUDON, La Franc-Maçonnerie, P.U.F., n° 1064 de la
collection Que sais-je ? i éd. 1963, rééditée. On peut lui reprochei-
quelques affirmations discutables, comme celle de l'existence cer-
taine d'une loge au sein du régime des Gardes irlandaises de
Chai-les 11(1661.1698). De même le Droit Humain ne doit pas être
confondu avec la Grande Loge Symbolique Ecossaise.
Serge HUTIN, Les Francs-Maçons, Le Seuil, 1960. Ce petit
livre développe le chapitre V de l'ouvrage du même auteur Les
Sociétés Secrètes, P.U.F., n° 515 de la collection Que sais-je ? Il
pourrait facilement être un peu plus étoffé, à la lumière des publi-
cations récentes.
Jean PALOU, La Franc-Maçonnerie, Petite bibliothèque Payot
(n° 65), réédité récemment dans une autre collection (Aux confins
de la science).
Les affirmations, parfois tranchantes, de l'auteur mériteraient
d'être revues, notamment en ce qui concerne la Maçonnerie écos-
saise et ses prétendues origines exclusivement « forestières ». Mais
la bibliographie qui suit chaque chapitre est excellente et permet
des compléments et des rectifications utiles.
Pierre MARIEL, Les Francs-Maçons, CAL, 1969. Bon pano-
rama de l'histoire et de l'esprit de l'Ordre. Du même auteur, mais
anonyme aux éditions La Colombe, 1961, Les authentiques
Fils de la lumière peut donner une idée rudimentaire, mais assez
juste de ce qu'est l'initiation.
Mai-jus LEPAGE, L'Ordre et les obédiences, i édition, Derain,
1956, réédité en 1971. Ouvrage très probe et qui répond à des
questions qu'on se pose souvent à propos de 1' « universalisme »
et de la « régularité ».
Jean SAUNIER, Comprendre les Francs-Maçons. Essai de

70
description d'une société traditionnelle. Décrit la Maçonnerie en
termes de sociologie. Bon aperçu historique.
On lira encore avec profit Recherche d'une Eglise dans Les
Hommes de Bonne Volonté de Jules ROMAINS dont l'intuition et sans
doute aussi l'information sont beaucoup plus solides que celles
d'autres auteurs dont la réussite à propos des Francs-Maçons ou
des « Fils de la Lumière » même s'ils se sont bien vendus, est hors
de proportion avec leur bonne volonté, voire avec leur charme
littéraire.
Jean SAUNIER, Les Francs-Maçons, Grasset 1972.
Daniel LIG0u, La Franc-Maçonnerie, P.U.F. 1977.
Richard Dupuy, La Foi d'un Franc.Maçon, Plon.

Dictionnaires - Encyclopédies
Après les Encyclopédies maçonniques anciennes, en anglais,
comme MACKEY, Lexicon of freemasonry, dernière éd. 1946, ou en
allemand comme LENNHOFF-POSNER, Internationales Freimaurer
Lexikon, dernière éd. 1964, viennent de paraître en français
Le Dictionnaire des Sociétés secrètes en Occident, publié sous
la direction de Pierre MARIEL, CAL, 1971. Une bonne préface de
L. PAUWELS. Beaucoup de lacunes et d'erreurs, notamment dans
les articles Grande Loge de France, Opéra (Grande Loge Natio-
nale)
Daniel LIGou, Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, 2 vol.,
Paris 1974.
Il y aurait de sérieuses réserves à formuler sur l'article Maçon-
nerie (Franc) de 1'Encyclopaedia Universalis. Les lecteurs qui pra-
tiquent l'anglais lui préféreront, sauf en ce qui concerne l'écos-
sisme à peine cité, l'article Masonry de l'Encyclopaedia Britannica.
Sur l'Histoire en général
Epuisés, mais encore utilisables si on veut les consulter dans
les bibliothèques, les ouvrages d'Albert LANTOINE qui a disposé
de documents aujourd'hui disparus

71
Histoire de la Franc-Maçonnerie chez elle (Nourry, 1928)
La Franc-Maçonnerie chez elle (Nourry, 1928)
Le Rite Ecossais Ancien et Accepté (Nourry, 1930)
La Franc-Maçonnerie dans l'Etat (Nourry, 1935).
On fera la part de certains excès polémiques pour retenir
surtout la bonne documentation et la volonté de détruire des
légendes parfois ridicules en sens divers.
Gaston MARTIN, Manuel d'Histoire de la Franc-Maçonnerie,
Prix Arthur Mille 1926, P.U.F., 3 éd. 1934.
Ouvrage hâtif, mais assez bien documenté et d'une présen-
tation didactique commode. Intéresse surtout la région toulousaine
où enseignait l'auteur.
R.C. FEUILLETTE, Précis de l'Histoire du Grand Orient de
France, Glootn, 1928, a, lui aussi, utilisé le fonds d'archives du
Grand Orient, auquel il était attaché avant la dernière guerre. Pas
toujours sûr pour le reste.
Jean-André FAUCHER et Achille RICKER, Histoire de la Franc-
Maçonnerie en France Nouvelles Etudes Latines, 1968, a ten-
dance parfois à exagérer le rôle de l'Ordre maçonnique dans la
vie politique.
L.-J. PIROL, dans Le Cowan !, Ed. Vitiano, recherche une
voie moyenne et, en dépit d'erreurs regrettables, il mérite d'être
consulté pour ses conclusions tempérées. Bonne préface de J. Cor-
neloup.
Henri-Félix MARCY, Essai sur l'origine de la Franc-Maçon-
nerie et l'histoire du Grand Orient de France, Ed. du Foyer philo-
sophique. Ouvrage sérieux et honnête, malheureusement inachevé.
Pierre CHEVALLIER, Histoire de la Franc-Maçonnerie Fran-
çaise. Tome I : La Maçonnerie Ecole de l'Egalité 1725-1799.
Tome II La Maçonnerie : Misionnaire du Libéralisme 11800-
1877. Tome III : La Maçonnerie : Eglise de la République 1877-
72
1944, Editeur Fayard. Collection : Les Grandes Etudes Histo-
riques.
R. PRIOURET, La Franc-Maçonnerie sous les iys, Paris 1959.
Etudes historiques de détail
Sur la MAÇONNERIE OPERATIVE:
Paul NAUDON reprend dans Les origines religieuses et corpo-
ratives de la Franc-Maçonnerie, Dervy, 1953, et dans Les Loges
de Saint-Jean et la Philosophie Esotérique de la Connaissance,
Dersry, 1957, des légendes qui ont pu inspirer des Maçons « opéra-
tifs », c'est-à-dire manuels, du Moyen Age. Encore n'est-ce pas
toujours prouvé.
En revanche, Lionel VIBERT, La Franc-Maçonnerie avant l'exis-
tence des Grandes Loges, Ed. Gloton, a tout le sérieux des études
anglaises sur la question.
Jean GIMPEL, Les bâtisseurs de cathédrales, Le Seuil, le
complète en ce qui concerne le continent. De bonnes illustrations.
La revue Le Symbolisme a publié les seules traductions fran-
çaises de divers manuscrits provenant de la maçonnerie opérative
britannique.
Dans le Bulletin du Centre de documentation du Grand Orient
de France n° 51, « les Statuts de Ratisbonne (1459) ».
Emile CORNAERT, Les compagnonnages, Les Editions ouvrières,
1970.
Sur DIVERSES AUTRES INFLUENCES:
Paul ARNOLD, La Rose Croix et ses rapports avec la Franc-
Maçonnerie, Maisonneuve et Larose (1970), met les choses au
point sur ce sujet.
Bernard GORCEIX, La Bible des Rose-Croix, P.U.F. Traduction
des premiers écrits (1614-1615-1616) -

PROBST-BIRABEN, Les mystères des Templiers (Cahiers Astro-


logiques), fait justice de légendes et fournit des données assez
solides.

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Albert OLLIVIER, Les Templiers, Le Seuil, plus récent, montre
la complexité du problème et le situe sur un plan général.

Sur les DEBUTS DE LA MAÇONNERIE EN FRANCE


le problème a été entièrement renouvelé par
Pierre CHEVALLIER, Les Ducs sous l'Acacia ou les Premiers
pas de la Franc-Maçonnerie française (1725-1743), Vrin, 1964 et
La Première Profanation du Temple Maçonnique ou Louis XV et
la Fraternité (1737-1755), Vrin, 1968.
Albert LACHET, Le Grand siècle de la Franc-Maçonnerie. La
Franc-Maçonnerie lyonnaire au xviiie siècle, Dervy 1977.
G.-H. LUQUET, La Franc-Maçonnerie et l'Etat en France au
XVIJt siècle, Vitiano, 1963, assez discursif mais commode.
La Franc-Maçonnerie et la Révolution française, Annales his-
toriques de la Révolution française, juillet-septembre 1969. ras-
semble de bonnes études sur le Siècle des Lumières et me biblio-
graphie régionale également utile. Très précieuse mise au point.
Daniel LIGou, La Franc-Maçonnerie française au XVJJL siècle.
Position des pioblèmes et état des questions. L'Information histo-
rique, mai-juin 1964.
Claude-F. Livy, Capitalistes et Pouvoir au siècle des lumières,
Mouton, 1969, attire l'attention sur de mystérieux signes de frater-
nité en usage dans les relations plus ou moins lointaines.

SUR LE XIXe SIECLE ET LES DEBUTS DU XXe.


Pierre MARIEL, Les Carbonari, CAL, fait le départ nécessaire
entre Franc-Maçonnerie et carbonarisme trop souvent confondus.
Jean CORNELOUP, Schibboleth. De la Franc-Maçonnerie de
grand-papa à la Franc-Maçonnerie de nos petit-fils. Ed. L'Horizon
international, 1965.
Daniel LIGou, F. Desmons et la Franc-Maçonnerie sous la
tue République. Gedalge, 1966.
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Mrs HEARDINGS, The Free Masonry under the III Republic,
Baltirnore, 1949.
Eugen WEBER, Satan tranc-maçon, la Mystification de Léo
Taxil, Petite Collection Archives, Julliard, 1964.

Symbolisme et initiation

Un classique, toujours utile, René GUNON, notamment dans


Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le compagnonnage, Ed. tradi-
ti onnelles.
Aperçus sur l'initiation, Les Ed. traditionnelles, Paris, 1953.
Le Roi du Monde, même éditeur, 1950. L'auteur qualifie de
« traditionnelles » ses propres opinions, même particulières.
La Grande Triade, 3 éd., Gallimard 1957.
Oswald WIRTH, Le symbolisme occulte de la Franc-Maçonne-
rie, 1928 (réédition intégrale. Trois livres de l'Apprenti, du Compa-
gnon, du Maître (rééd. le Symbolisme) -
Robert AMBELAIN, Scala philosophorum ou la symbolique
des outils dans l'Art royal, Paris, Ed. Niclaus (N. Bussière suc-
cesseur), 119511.
Dictionnaire des Symboles, Ed. Laffont sous la direction de
J. Chevalier.
Lexique des Symboles, collection Zodiaque.
J..P. BAYARD, Le Monde souterrain, Flammarion.
Le monde des symboles, Ed. La Pierre-qui-vire.
Jean SERVIER, L'Homme et l'Invisible, Robert Laffont. D'une
profondeur, d'un esprit initiatique rares.
REVUES Les Cahiers de Clio (mélanges). Renaissance tradition-
nelle (réservée aux membres de l'Ordre). Le Symbolisme.
L'initiation.
Jules BOUCHER, Le symbolisme maçonnique, Dervy.

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PLANTAGENET (Ed. Dervy) : 1) Causeries Initiatiques pour

le travail en loge d'apprenti 2) Causeries Initiatiques pour le


;
travail en chambre de compagnon ; 3) Causeries Initiatiques pour
le travail en chambre du milieu.
F. PORTAL, Des couleurs symboliques, La Maisnie.
Raoul VERGER, La Pendule à Salomon, Julliard. Les Tours
Inachevées. Les Illuminés de l'Art Royal.
J.-P. BAYARD, Le symbolisme maçonnique traditionnel, Ed.
du Prime. Le Symbolisme maçonnique des hauts grades, Ed. du
Prisme.
Jacques BRENGUES, La Franc.Maçonnerie du Bois, Ed. du
Prisme.

Sur les problèmes de rite

Rite écossais ancien accepté, outre les publications de la


Grande Loge de France, comme celle.ci.
R.S. LINDSAY, Le Rite Ecossais pour l'Ecosse, traduction fran-
çaise de M. Lepage, le Symbolisme, 1961, ouvrage paru avec l'im-
primatur du « Supreme Council for Scoltiand » en 1958. Il fait la
part de la France et rectifie, notamment, sur ce point, l'Histoire
de la France-Maçonnerie de GOULD, 6 volumes, Londres et, du
même auteur, Histoire abrégée de la Franc-Maçonnerie, trad. fran-
çaise par Louis Lartigue. Ed. Lebègue, Bruxelles, 1910.
Paul NAUDON, Histoire et Rituels des Hauts Grades Maçon-
niques, le Rite Ecossais ancien et accepté, Dervy, 1966.
Sur le Rite rectifié, René LE FORESTIER, La Franc.Maçonnerie
occultiste et templière, Aubier-Nauwelaerts, 1970, Extra.maçon-
nique, mais très anti-écossais et comme tel doit être rectifié par le
Symbolisme, n° spécial octobre.décembre 1968.
Se méfier de RAGON dont la symbolique ne vaut pas davan-
tage que l'historiographie.

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Quelques Maçons célèbres
La plupart des monographies négligent ou ignorent l'aspect
maçonnique des personnages qu'elles étudient.
Font exception, notamment, les livres sur
Cagliostro, par François RIBADEAU-DUMAS, Paris, Arthaud,
1966.
Lord Chesterfield et son temps, un grand Européen, par Alec
MELLOR, Marne, 1970.
Fouché, duc d'Otrante, par Henry BuIssoN, Bienne (Suisse),
Editions Panorama.
Alain LE BIHAN, Francs-Maçons et Ateliers parisiens de la
Grande Loge de France au xviïie siècle, BN, Paris 1976.
F.-R. MESMER, Le Magnétisme animal, Payot, 1971, publié et
commenté par Robert AMADOU. Va beaucoup plus loin que ne le
suggérait son titre, notamment au plan biographique.
Docteur Philippe ENCAUSSE, Le Maître Philippe de Lyon, Ed.
traditionnelles, 1970, avec des documents inédits.
Un répertoire exhaustif rendra de très grands services
Alain LE BIHAN, Francs-Maçons parisiens du Grand Orient
de France (fin du XVIIIC siècle), Paris, Bibliothèque Nationale,
1966.
Historique de Loges ou études régionales
Trop de ces travaux sont de véritables puddings, dans lesquels
l'Ordre Maçonnique est amalgamé avec les clubs, sociétés révolu-
tionnaires, groupements politiques parfois appelés « loges » (cf.
les actuels Orangistes d'Irlande).
Mais en séparant le bon grain de l'ivraie on peut utiliser Mau-
rice AGULHON, Pénitents et Francs-Maçons de l'ancienne Provence.
L'intuition de l'auteur ouvre des horizons et sa documentation est
particulièrement sérieuse. C'est un modèle de travail scientifique.
André BOUTON, Les Francs-Maçons manceaux et la Révolution
Française (1741-1815) et Les luttes ardentes des Francs-Maçons
manceaux pour l'établissement de la République (1815-1914).

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André BOUTON et Marius LEPAGE, Histoire de la Franc-
Maçonnerie dans la Mayenne (1951). Beaucoup plus sérieux.
Philippe DAVEAU, Histoire de la Franc-Maçonnerie en Seine-
Inférieure de 1850 à 1914. Excellent travail encore manuscrit, mais
qui peut servir de modèle pour sa méthode et son soucis d'exactitude.
Jean BOSSU, Quelques Francs-Maçons vosgiens, Epinal, 1960.
Charles MAILLIER, Les Loges Maçonniques drouaises du XIIi
(sic) au xxe siècle.
Xavier YACONO, Un siècle de Franc-Maçonnerie algérienne,
Paris, Maisonneuve et Larose, 1970, remonte en fait à une période
antérieure à l'occupation française. Montre la divergence de points
de vue entre 1' « ancienne » maçonnerie et la « nouvelle » et
peut faire regretter les « occasions perdues ». Un index de 11 500
noms.
Encore un répertoire précieux d'Alain LE BIHAN, Loges et
Chapitre de la Grande Loge et du Grand Orient de France (2 moitié
du xviiie siècle), Paris, Bibliothèque Nationale, 1967, donne une
bibliographie par région à jour jusqu'à cette date.

Musique et Chants maçonniques


Daniel LIGOU, Chansons maçonniques (XVIII et xixe siècles),
Paris, AHI, 1972. Une importante préface et 81 morceaux choisis.
Roger COTTE, Chants maçonniques traditionnels, Paris, Zur-
fluh s.d, (1970). Album de 11 chants harmonisés.
Sous la direction de Roger COTTE ont été enregistrés des
oeuvres de Musique rituelle du xviiie siècle (Mozart, Giroust,
Beethoven, etc.). Ed. des Disques Arion.
N.B. Le présent répertoire a été préparé par la Commission d'His-
toire et de Documentation de la Grande Loge de France. Il
n'est certes pas sans lacunes. Mais on en trouvera d'utiles
compléments dans les Points de Vue Initiatiques. Voir ci-
dessus, p. 2 de la couverture, les conditions d'abonnement.
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